Partie 4 : Le vortex
« Sans mémoire, tout est nouveau. »
Maurice Roche
Londres – 5 juin 2011
Drago expulsa un soupir de soulagement en poussant la porte du Macusa. Rien que quatorze petites minutes de retard. C'était presque de la bienséance, à ce niveau-là. Le fameux quart d'heure de politesse. Et puis, il aurait été malvenu d'arriver en avance à sa soirée d'anniversaire.
Il fut accueilli par un serveur au front perlé de sueur mais aimable, qui l'invita à le suivre à travers les tables, jusque dans un coin un peu à l'écart du restaurant. Et son visage se fendit en un large sourire. De celui que Drago ne se permettait d'offrir qu'en de rares occasions. Un sourire vrai, d'une sincérité désarmante, qui contrastait avec son habituel air impérieux et sophistiqué proche de l'aristocratie, et l'attitude de convenance qu'il s'attachait à conserver la plupart du temps.
Harry – et Blaise à n'en pas douter – avait vu les choses en grand. Une table ronde, sertie d'une nappe blanche impeccable, autour de laquelle ses amis étaient installés, lui renvoyant tous un sourire égal au sien.
- Je commençais à croire que tu avais décidé de rester cloîtré dans ton deux pièces ! lança Harry en riant de bon cœur avec les autres.
- J'avoue avoir hésité jusqu'à la dernière minute…
Aux côtés du brun, Ginny se leva pour l'accueillir chaleureusement. Elle lui déposa une bise sur les joues et le serra dans ses bras. Il appréciait la femme de son coéquipier. Beaucoup d'humour, un tantinet moqueuse, toujours attentionnée, l'esprit ouvert. Elle l'avait accepté de la même façon dont Harry l'avait fait, quand Drago avait rejoint la Crim.
- Tu seras gentil de te baisser pour m'embrasser, blondie, glissa une voix féminine de l'autre côté de la table.
- Oh mais naturellement, votre altesse sérénissime, répondit Drago en mimant une révérence.
Il contourna la table pour aller embrasser sa meilleure amie. Pansy Parkinson, trentenaire survoltée sur les bords et capricieuse au milieu, enceinte jusqu'aux dents de sept mois. Elle et son compagnon Ron Weasley – le frère de Ginevra -, avaient tenu à garder secret le sexe de leur enfant à naître. De ce qu'elle avait dit à Drago, eux-mêmes ne le savaient pas : ils voulaient avoir la surprise. Oui, parce qu'être tombée enceinte d'un rouquin au bout de six mois de relation n'était pas déjà suffisamment surprenant. Cela étant dit, l'étrange couple qu'ils formaient fonctionnait à merveille. Ils s'entendaient comme larrons en foire et remerciaient sans cesse Drago et Harry de les avoir présentés l'un à l'autre. Une grossesse si rapide aurait pu les faire douter, les séparer. Mais pas eux, bien au contraire. La nouvelle les avait soudés plus encore, s'il était possible.
- Tu es radieuse, Parks, souffla le blond dans le creux de l'oreille de son amie.
Et elle l'était. Dans sa longue robe de grossesse couleur amande faisant ressortir ses yeux, elle semblait sortir tout droit d'une aquarelle.
- Oui, oui, tu ne dirais pas ça si c'était toi qui avais pris dix kilos et que tu n'arrivais plus à voir tes pieds !
- Il a raison, tu es magnifique ma chérie, intervint Ron en caressant amoureusement son ventre rond.
- Oh bah tu peux parler toi ! C'est bien ta faute si on en est là…
Drago rit légèrement et déposa un tendre baiser sur le haut du front de Pansy, là où ses cheveux d'ébène prenaient naissance et se redressa pour saluer leur reste de l'assistance.
Ron, tout d'abord, assis à droite de Pansy, à qui il offrit une franche poignée de mains. Blaise, ensuite, qui le serra entre ses bras puissants, l'air particulièrement heureux, dans une accolade à la fois virile et affectueuse.
- Eh bah mon pote ! Ca fait quoi, deux mois ?
- Trois… corrigea Drago en s'écartant légèrement.
- C'est bien ce que je dis… Vous autres, les enquêteurs, ne sortez plus de votre tanière que pour dormir et prendre une douche de temps en temps… Tu as bien pris une douche avant de venir, rassure-moi ?
Drago écrasa son poing dans l'épaule de Blaise qui feignit la douleur puis il prit place au centre de la table, non sans avoir posé une main amicale sur le bras de Harry. Force était d'admettre qu'il était content de les retrouver. Ce genre d'évènement se faisait de plus en plus rare ces dernières semaines, à mesure que leur affaire prenait de l'ampleur et que les cadavres s'accumulaient. Non. Ne pas y penser, savourer l'instant et remettre l'horreur à plus tard.
L'ambiance était bonne, le décor était parfait, la musique en arrière-plan était douce. L'intérieur de l'établissement était raffiné sans être pompeux, les fenêtres victoriennes donnaient sur un patio lumineux où des magnolias avaient été planté. Le cadre idéal, donc, pour oublier pendant quelques heures que le monde continuait de sombrer à l'extérieur.
- C'est pour qui, cette assiette ? interrogea Drago en remarquant que la dernière place à la table restait vide.
- Theo. Il avait répondu présent mais, tu sais, les patients, les urgences.
- Ouais. J'espère qu'il pourra se libérer.
- Et moi dont ! ajouta Blaise en saisissant le menu. C'est toujours le dernier arrivé qui régale !
- Avec un ami comme toi, qui a besoin d'ennemi Zabini ?
Une nouvelle salve de rires fusa à travers l'assistance. Puis vint rapidement le moment de la prise des commandes. Et pour le coup, Blaise ne regarda vraiment pas à la dépense. Des mets de choix, des grands crus uniquement. Un étalage de produits de qualité dont l'ensemble des convives se délecta au milieu d'une ambiance légère et bon enfant. Les conversations allaient bon train et les plats de résistance étaient déjà bien entamés lorsque Theodore débarqua dans le restaurant. La tablée l'accueilli à grands coups d'exclamations et de blagues.
L'interne avait les cheveux encore humides, négligemment repoussés vers l'arrière, prouvant qu'il sortait à peine de la douche. Sa cravate était nouée autour de son cou sans être trop serrée, et il avait abandonné blouse et sur-chaussures isolantes pour un chino gris agate et une chemise blanche dont il avait retroussé les manches.
- Navré pour le retard, dit-il en prenant place. Joyeux anniversaire Drago.
- Tu t'excuseras auprès de ton banquier, glissa Ginny dans un sourire. Il paraît que le dernier arrivé paie l'addition…
- J'ai apparemment bien fait de venir !
- De nous tous, c'est toi qui as un salaire de médecin, tu peux te le permettre !
- Je te rappelle que je suis interne Blaise… Si j'arrive à payer mes factures et manger des pâtes un mois sur deux, je suis content !
- Peut-être, mais bientôt tu seras chirurgien et tu gagneras des millions !
- Bien sûr oui, Monsieur-j'ai-la-folie-des-grandeurs !
Theo passa rapidement sa commande, incluant une bouteille de champagne hors de prix – si l'on considérait ses propres mots – et fit joyeusement tinter sa flûte avec les autres. Il enfourna un morceau de son onglet de bœuf dans sa bouche et se tourna vers Drago, au milieu des conversations diverses.
- J'ai appris que la fille avait quitté nos murs. Vous saviez, vous, qu'elle sortait aujourd'hui ?
Le blond tenta de cacher du mieux qu'il pouvait la façon dont il venait de s'étrangler avec sa gorgée de champagne. Il toussota discrètement et s'essuya les lèvres avec une serviette avant de faire glisser ses yeux d'azur vers son ami. Theo continuait de mâcher distraitement, l'air désinvolte.
Evidemment, qu'ils le savaient. Drago bien mieux que n'importe qui d'autre. Mieux que Harry, mieux encore que Kingsley. Il se repassa intérieurement le film de son après-midi. Il revoyait ses boucles chocolat, s'échappant de sa coiffure faite à la va-vite. Il revoyait cette expression circonspecte, presque craintive, clairement affichée sur son visage. Il revoyait ses lèvres rosées. Les traces des hématomes sur sa peau claire. Les mots qui sortaient de sa bouche hésitante. Il revoyait l'ensemble du tableau un peu trop bien.
- On le savait, répondit le jeune homme. Elle est rentrée chez elle et on l'a placé sous protection. Tant qu'on n'en sait pas plus.
- C'est un truc de fou, quand on y pense, non ? Perdre la mémoire, ajouta Theo. J'ai tout de suite su qu'il y avait un truc pas net, quand les pompiers nous l'ont amenée.
- Ah ?
- Ben ouais. Ca a fait un sacré bruit dans l'hôpital. Encore plus que les histoires de cul entre McRory et les quatre infirmières en pédiatrie et pourtant, c'était quelque chose !
Les deux jeunes hommes éclatèrent dans un rire de connivence. Le milieu hospitalier, comme beaucoup d'institutions, était réputé pour les scandales les plus graveleux. Le personnel passait énormément de temps ensemble, partageait des moments de doutes, la fatigue, l'animation, le stress. Tout ce qui était nécessaire à susciter les rapprochements physiques entre soignants. Drago ne comptait plus le nombre de fois où Theo leur avait raconté les derniers ragots de l'hôpital.
- Faut dire aussi qu'elle était pas mal, cette fille, reprit le médecin. Enfin, je veux dire, le timbré qui leur fait ça, il les choisit forcément pour ça, non ?
- Heu…
- Puis-je débarrasser les assiettes ?
Drago remercia silencieusement le serveur qui venait d'arriver, coupant court à cette discussion qui commençait à le déranger sérieusement.
D'une part, parce que le brun soulevait une question que Harry et lui s'était trop souvent posé ces dernières semaines. Oui, le tueur les choisissait – logiquement – pour leurs ressemblances physiques. Des brunes plutôt jolies dans la même tranche d'âge. N'y avait-il que cela ? La couleur de leurs cheveux et leur petite trentaine ? Peut-être. Ce qui faisait d'environ trente-pour-cent de la population de Londres une cible potentielle. Une estimation aussi terrifiante que crédible.
D'autre part, et ce fût pour cela que Drago apprécia tant de changer de sujet, effectivement, Granger n'était « pas mal ». Et il savait que jamais, jamais, il ne pourrait ni ne devrait se laisser aller à penser une telle chose. Non. Elle était une victime, un témoin sous la protection de son département. Et cette simple pensée n'entrait tout bonnement pas dans le cadre de ses prérogatives. Il ne pouvait juste pas se permettre de la considérer, même hypothétiquement, comme autre chose.
Les plats disparurent, le dessert arriva. Et avec lui, de nouvelles bouteilles de cet incroyable champagne. Drago remisa ses réflexions dans un coin de son esprit et savoura le reste de la soirée.
Londres – 6 juin 2011
Bourdonnement sourd et incessant dans les tympans. Douleur lancinante de la boite crânienne, manège infernal et sans fin. Remontées acides dans l'estomac sur fond de nausée aigre.
Putain, putain… Putain !
Drago avait passé l'âge de se prendre des cuites. Il était arrivé à un stade de sa vie où se contenter d'un verre de bourbon et d'un canapé matelassé suffisait à le rendre heureux. Mais non. Il avait fallu qu'il se rende au dîner organisé par Potter, dans ce restaurant chic où tout était absolument divin. Il avait fallu qu'il accepte les coupes de cet excellent champagne français. Trop de coupes. Et depuis son réveil, il maudissait son ami et se maudissait lui-même pour la méchante gueule de bois qu'il subissait.
Il en arrivait presque à envier Pansy et sa grossesse qui la forçait à se tenir à distance de toute forme d'alcool et des dérapages qui allaient avec.
S'il y avait bien un jour où Drago devait être au maximum de sa concentration, de ses capacités et de sa volonté, c'était celui-ci. Malheureusement, il observait actuellement les deux comprimés de paracétamol se dissoudre dans son verre d'un œil absent, avec la désagréable sensation de tanguer sur les flots. Les cachets blancs se décomposèrent puis remontèrent à la surface en une multitude de petites bulles effervescentes le long des parois, non sans lui rappeler les bulles de ce fameux champagne rosé qu'il avait ingurgité plus que de raison.
L'inspecteur avala le mélange de médicaments dans une grimace tout en consultant les messages non lus sur son téléphone. Mails publicitaires en tous genres et textos de la veille. Blaise lui souhaitant une énième fois un bon anniversaire après être rentré chez lui. Puis Ginny qui espérait que les hommes étaient restés un minimum raisonnables après leur départ du restaurant avec Pansy et l'invitait à venir prendre le thé prochainement. Et un message d'un numéro inconnu. Reçu à 2h46 du matin – soit peu de temps après que le taxi l'eu déposé au pied de son immeuble de la City. Drago regarda les petits caractères numériques s'affichés sur l'écran en haussant un sourcil dubitatif.
« Ok pour l'expérience rat de labo. Je serai là à 10h. »
Pas de mise en forme spécifique, pas d'explication poussée, même pas de signature. Et pourtant… Granger. Son nom s'alluma comme une ampoule électrique dans le cerveau de Drago. Rien qu'une information brute, donnée sans attente de réponse. Une dizaine de petits mots, balancés au milieu de la nuit, comme une bouteille lancée au hasard à la mer. S'ils trouvaient preneur, tant mieux. Si le numéro était erroné et que le message se perdait quelque part dans les ondes du réseau de communication, tant pis.
Les méninges de l'enquêteur se mirent soudainement en branle. Quoi qu'il se soit passé entre le moment où il avait déposé la jeune femme devant chez elle et celui où elle avait appuyé sur les touches de son téléphone portable, elle avait pris la décision d'accepter l'entretien. Une petite victoire, en soi. Mais que s'était-il passé, justement ? Il y avait forcément quelque chose en particulier. Un petit rien qui avait tout changé. Il se surpris à se trouver étonnement vif d'esprit pour un lendemain de soirée un peu trop arrosée.
Le message avait au moins eu l'avantage de l'arracher complètement à l'état comateux dans lequel il baignait. Drago se fit couler un café, bien serré, bien corsé, qu'il but d'un trait en grimaçant une nouvelle fois et s'engouffra sous la salle de bains. Il en ressorti dans un nuage de buée, plus frais et légèrement moins dans les vapes qu'au réveil, attrapa ses clés et quitta son appartement avec un sentiment persistant et, somme toute perturbant, d'impatience et d'excitation.
Arrêt au coffee shop, double expresso, viennois supplément caramel. Autoroute. Parking. Escaliers. Porte vitrée qu'il ouvrit brusquement. Perpétuel rythme, gestes automatiques. 8h07. Un peu plus tard que d'ordinaire. Mais l'ensemble était le même. Potter était déjà assis derrière son bureau et, hormis ses cheveux encore plus en bataille que la normale, il semblait en grande forme. Le brun releva la tête face au gobelet extra large que Drago présenta devant son visage.
- On t'a déjà dit que tu faisais des miracles ? plaisanta-t-il en attrapant la tasse qu'il porta directement à ses lèvres. Merci !
- Chaque jour que Dieu fait. Et merci à toi, et à Blaise, pour hier soir. Je reconnais que la soirée était agréable.
- Ne me dis pas que tu as déjà entamé la bouteille ?
Drago pouffa en s'installant dans son fauteuil et posa ses jambes sur l'angle de son bureau. Non, il n'avait pas eu besoin, ni encore moins l'envie, de goûter au breuvage que ses amis lui avaient offert en cadeau. Un whisky écossais de quinze ans d'âge distillé deux fois qui promettait d'être particulièrement tourbé. Ils le connaissaient bien. Il avait également eu droit à deux places pour assister à la rencontre de rugby entre l'Angleterre et le Pays de Galle, ainsi qu'une paire de lunettes de soleil – « parce qu'il faut protéger tes yeux bleu, ils sont plus sensibles que les iris brunes », avait précisé Pansy.
- J'espère que tu n'as pas réveillé femme et enfants en te couchant hier soir, rond comme tu l'étais ! se moqua le blond.
- J'ai essayé de faire attention… Elle avait l'air de bonne humeur, j'ai même eu droit aux toasts et aux œufs brouillés ce matin.
- Ginny est vraiment super avec toi, assura Drago, pas surpris une seconde par les attentions de la rousse envers son époux.
- Ouais mais désolé, c'est la mienne et je ne te la prêterai pas !
- Ah putain ! Ferme ta gueule Potter !
Les deux hommes rirent de bon cœur et Drago termina son café en quelques gorgées avant de se redresser. Il se fit soudain plus sérieux, les yeux ancrés dans ceux de son collègue de l'autre côté de la pièce.
- Granger va venir passer l'entretien ce matin, lâcha-t-il.
- Hein ? Comment tu peux le savoir ?
- Une intuition.
Penché au-dessus de son écran d'ordinateur, Harry fronça les sourcils. Il arrivait parfois que son regard de jade se fasse aussi profond et pénétrant que ne l'était celui du blond. Son visage se parait alors d'une expression indéchiffrable, tandis que ses narines frémissaient légèrement. C'était exactement ce faciès presque dérangeant que Drago cherchait à tout prix à éviter.
- Elle m'a envoyé un message, dit-il naturellement en agitant sa carte de visite en l'air.
Une demi-vérité valait-elle mieux qu'un mensonge entier ? Était-ce réellement plus honnête ? Drago ne savait pas pourquoi il s'était gardé de raconter à Harry le moment qu'il avait passé en compagnie de Granger, après qu'elle eut quitté l'hôpital. Ce moment bizarre, dans sa voiture, sur la route qui les conduisait chez elle. Peut-être parce qu'il redoutait, inconsciemment, l'idée que le brun pourrait s'en faire.
- Ok, dit finalement Harry en baissant les yeux vers son écran.
S'il avait trouvé l'explication louche, il ne l'avait pas montré. Et Drago devait admettre que ce n'était pas plus mal. Bien sûr, il ne tenait pas à avoir de secret pour son ami, mais quelque chose le retenait. Une chose qu'il ne concevait pas, certes, mais qu'il acceptait.
Il écrasa un bâillement sonore et se plongea à son tour dans les dossiers qui traînaient sur son bureau, ses pieds retrouvant leur juste place sur le sol. Et il eut l'impression de regarder les minutes s'allonger à l'infini. Le tic-tac inlassable qui résonnait dans le bureau. Le cliquetis répétitif des doigts de Harry sur le clavier. Le stylo en métal que Drago faisait rouler nerveusement sur la surface plane de l'acajou massif. Jusqu'à ce que l'heure arrive enfin. 10h. Une sorte de libération pour son esprit qui s'agita de nouveau, alerte.
Sans se concerter, les deux hommes se levèrent presque instinctivement et descendirent au rez-de-chaussée du bâtiment. Rapides coups d'œil dans le hall d'accueil. Jacob était en communication au standard, il ne leur prêta aucune attention. Harry s'approcha de l'accueil des visiteurs et s'appuya contre le comptoir.
- Bonjour Camille. Est-ce qu'une jeune femme s'est présentée et a demandé à nous voir ?
La dénommée Camille releva les yeux et inclina doucement la tête. Une petite minute, qui sembla à Drago durer une éternité, l'employée fit courir son regard vert sur le registre des visites qu'elle tenait à la main.
- Hum… Oui, une certaine Hermione Granger. Elle est arrivée il y a quelques minutes. Everwood l'a installé dans la SI numéro 7.
- Merci.
Drago se demanda pourquoi ils n'avaient pas été informés de son arrivée, mais se retint de le faire remarquer. Il suffisait que la fille se soit présentée au moment où ils quittaient leur bureau et qu'elle ait été prise en charge alors qu'ils se trouvaient encore dans les escaliers du poste.
Ils longèrent le standard, saluant d'un signe de tête Jacob et ses collègues, et traversèrent le couloir qui menait aux salles d'interrogatoires. C'était toujours là-bas qu'ils effectuaient ce type d'entretiens. Standardisation, absence d'éléments perturbateurs, une table, des chaises, vitre sans tain, une fontaine à eau qui ronronnait dans un coin. Le strict minimum. Mais le manque de distraction et le confort primitif qu'offrait une SI incitait à la concentration. Pour eux, autant que pour ceux qu'ils interrogeaient.
Ils se regardèrent un moment, s'accordant silencieusement sur la marche à suivre. Ils n'avaient plus besoin de le formuler, néanmoins. Ils connaissaient le manège sur le bout des doigts, tant ils avaient eu l'occasion de le répéter. Toujours le même scénario : ils entraient ensemble, se présentaient, puis Harry prenait les commandes. Il échangeait avec le témoin, la victime, le suspect. Il laissait la personne assise en face de lui s'acclimater à sa présence, la mettait à l'aise – ou l'intimidait, selon le cas de figure -, s'assurait qu'elle soit totalement disposée pour ce qui allait suivre.
Puis Drago prenait le relais. Il y avait toujours cet instant, cette seconde de battement, où Drago comprenait que c'était à son tour d'intervenir. Le blond le savait. Systématiquement. Il le voyait sur les visages. Le tressautement d'une veine, le plissement des yeux, le ton fébrile d'une voix. Un petit rien, insignifiant pour quiconque n'était pas lui.
Harry frappa deux fois contre la porte avant de pénétrer dans la pièce exiguë. Et Granger était là. Elle leur tournait le dos, peut-être volontairement, et mordillait nerveusement l'ongle de son pouce, les yeux rivés sur le miroir sans tain.
- Mademoiselle Granger ?
Elle se retourna lentement vers eux. Très lentement. A tel point qu'ils purent distinguer le moindre détail physique de son profil gauche. Du moins Drago le distingua. Aucune trace de maquillage. La courbe de sa mâchoire. L'amas de délicates taches de rousseur au-dessus de son oreille. La pointe de son sourcil qui s'arqua légèrement. La moue sceptique qui creusa un peu sa joue.
- Merci d'avoir accepté de venir aujourd'hui, continua Harry avant de lui proposer de s'assoir.
- Je n'avais rien d'autre de prévu.
Drago réprima un sourire en coin et s'adossa nonchalamment contre le mur, dans l'angle opposé de la pièce et sans même l'avoir saluée, tandis que le brun prenait place face à la jeune femme. Harry préféra ignorer le sarcasme et embraya directement.
- Hum… Comment allez-vous depuis notre dernière rencontre ?
Les pupilles de la brune glissèrent imperceptiblement vers Drago, une demi-seconde, avant de venir s'enraciner dans celles de Potter.
- Je suis rentrée chez moi, répondit-elle d'une voix plate. Ce doit être chez moi, puisqu'il y a mon nom sur la boîte aux lettres.
- Rien ne vous est encore revenu ? De votre vie ou… sur ce qui est arrivé ?
- Non. J'ai découvert que je n'aimais pas les poires, en revanche. Et si j'en juge par le nombre de livres sur la bibliothèque dans le salon, je dois apprécier la lecture. Mais je doute que ce détail vous intéresse.
L'enquêteur laissa ses lèvres s'étendre en un fin sourire et remonta ses lunettes sur son nez du revers de la main. Elle n'avait pas complètement tort, mais au regard d'une enquête comme celle-ci, tout pouvait avoir de l'importance. Même ce qui ne semblait pas en avoir l'air. Il griffonna donc quelques mots dans son calepin.
- Mademoiselle Granger…
- Hermione, par pitié, coupa la jeune femme.
- Très bien. Hermione, si vous êtes venue aujourd'hui, c'est parce que nous aimerions pouvoir essayer quelque chose qui, selon notre expérience, pourrait peut-être vous aider.
- M'aider ? Ou vous aider ?
- Eh bien… j'imagine que cela fonctionne dans les deux sens.
- Ah oui ?
Mais le ton n'appelait aucune réponse.
Drago la détaillait de ses iris céruléennes. Par instants, elle croisait son regard froid et intimidant, et détournait les yeux dans la seconde, comme troublée par l'échange. Granger ne pensait pas un traitre mot de ce qu'elle disait. Et pourtant… Pourtant elle se trouvait là, dans cette pièce impersonnelle aux murs flanqués de plaques isolantes. Un lieu dépourvu d'âme dans lequel elle s'était volontairement laissé entrainer. Quelque chose la retenait ici. Une force invisible qui la contrôlait, qui aiguisait sa curiosité et son compréhensible besoin d'en savoir plus sur elle-même.
- D'abord, reprit Harry sur un ton rassurant, il faut que vous sachiez que ce que nous allons tenter de faire n'est pas une science exacte… Il n'y a aucune certitude quant aux résultats que nous obtiendrons.
- C'est-à-dire ?
- Il se peut que vos souvenirs ne parviennent pas à remonter. Pour une raison ou une autre. Alors, pas de pression, d'accord ?
Harry prenait le temps de prononcer le plus distinctement chacun de ses mots. Il veillait à utiliser la bonne intonation, à ponctuer ses phrases de façon claire et sans appel. Aucune place n'était laissée à l'incertitude. C'était un art. Et il était artiste. Car le visage de Granger se détendait. Graduellement, mais il se détendait. La petite ride entre ses sourcils s'atténuait et elle avait enfin cessé de ronger cet ongle.
- Vous ne serez jamais seule pendant l'expérience. L'inspecteur Malefoy ou moi-même serons toujours présents.
Nouvelle œillade vers l'angle de la salle. Imperceptible. Vélocité du nerf optique étonnante. Automatisme non contrôlé du cerveau, comme pour s'assurer des paroles qu'elle percevait. Présence de l'inspecteur Malefoy dans son champs de vision périphérique : validation et acceptation des explications données par le brun.
Drago notait l'ensemble de ses réactions sans ciller. Il n'avait toujours pas décroché le moindre mot depuis qu'il était entré dans la pièce. Impassible. Illisible. Un véritable mur. Il aurait aisément pu se confondre avec celui contre lequel il prenait appui, bras croisés sur le torse.
- Et surtout Hermione, rappelez-vous que nous n'avez rien à craindre ici.
- Je ne vois pas ce que j'aurai à craindre, de toute façon, répliqua la brune comme une évidence.
Une évidence parce qu'elle n'avait pas conscience, pas la moindre idée, de ce qui allait se produire.
- Je dois vous prévenir que l'intégralité de l'entretien qui va suivre sera enregistré. Est-ce que cela vous pose un problème ?
- Non, je ne crois pas.
- Très bien, merci, fit Harry avant d'enclencher la caméra à l'aide d'une petite télécommande. J'aurai une question à vous poser, si vous le permettez ?
- Je vous écoute, inspecteur.
- Pourquoi avoir accepté de participer à cet entretien ?
- Vous aidez, m'aider, le singea-t-elle avec sarcasme. C'est bien ça le but, non ? Il paraît que je suis la seule à avoir surv… à pouvoir en parler, se corrigea-t-elle. Et mon cerveau est réduit à l'état de bouillie visqueuse, malheureusement.
- Votre cerveau fonctionne parfaitement. Les altérations de la mémoire sont fréquentes, assura Harry avec aplomb. Le problème est chimique, pas physique, rassurez-vous.
Un voile passa devant les yeux de la brune et elle se mit spontanément à effleurer la tranche de la table en acier du bout de doigts, sans même s'en rendre compte.
Le signal. Celui que Drago espérait, qu'il avait patiemment attendu de voir apparaître, d'une façon ou d'une autre, dans l'attitude de la photographe. Et Harry, sans vraiment le savoir, le saisit également. Peut-être perçut-il la tension qui émana soudainement de son coéquipier. Ou peut-être finissait-il par être habitué. Il fit mine de consulter un message entrant sur l'écran de son téléphone, un air dubitatif courant sur son visage rond.
- Veuillez m'excuser une petite minute, souffla-t-il avant de quitter la pièce sans un regard vers son homologue.
Et Drago se redressa calmement, dans le silence laissé derrière lui par Harry. Il s'approcha du bureau d'un pas mesuré. Centre de la table, puis paumes des mains à plat sur la surface, doigts légèrement écartés. Gestes millimétrés, précision calculée.
- Vous êtes prête, mademoiselle Granger ?
Sa voix, un demi ton plus grave que d'ordinaire, résonna à travers le vide et il vit la jeune femme pincer doucement ses lèvres rosés avant de hocher la tête.
Pas de proposition d'utilisation du prénom, rapport de force différent, nota mentalement Drago en réprimant un sourire suffisant. Il fit le tour de la table, retint son geste un instant, puis s'installa sur la chaise délaissée par son collègue. Il joignit ses mains entre elles et les plaça en triangle sous sa mâchoire dessinée.
Et leurs pupilles s'arrimèrent. Une ancre au fond d'un océan en pleine tempête, impénétrable, insondable.
- Nous allons partir de votre plus ancien souvenir ce soir-là, d'accord ? Vous vous trouviez près de Westminster Millenium Pier. La nuit commençait déjà à tomber, il devait être environ vingt-heures.
- J'avais froid.
- Oui… l'air étais frais cette nuit-là.
Drago se souvenait de la brise qui avait caressé sa nuque, assis au volant de sa voiture devant la maison des Potter. Il faisait doux mais le fond de l'air s'était rafraîchi avec le crépuscule. La petite brune opina du chef. Ses doigts, infatigables, continuaient de glisser le long de la table dans un bruissement étouffé.
- Fermez les yeux s'il vous plaît, murmura-t-il du bout des lèvres.
Elle obtempéra, presque docile sous les ordres de Drago. Etonnement malléable, dirigée par la puissance de sa voix qui lui dictait la marche à suivre. Fébrile poupée de chiffon entre ses doigts habiles.
- Vous aviez froid, donc… continua le blond. Qu'entendez-vous, à cet instant, alors que vous vous trouvez sur la jetée ?
- L'eau… Les remous du fleuve. Il y avait… Il y a les cris des mouettes.
- Quoi d'autre ?
- Les moteurs des voitures… Quelqu'un klaxonne. Et aussi… j'entends des sirènes.
- Où ça ?
- Je ne sais pas… le son est lointain. De l'autre côté de la rue, peut-être…
Drago contempla la jeune femme dont les paupières restaient parfaitement closes. Derrière le rideau de cils, il percevait le mouvement ondoyant de ses iris qui s'agitaient. Il autorisa le silence à planer entre eux un petit moment, la laissant se plonger toujours plus loin dans les abysses de ses souvenirs. Il fallait qu'elle s'habitue à naviguer au milieu de sa mémoire. Et faire appel à ses sens était le meilleur moyen de l'y amener. Et toujours replanter le cadre, l'obliger inconsciemment à revivre l'instant.
- Il y a ce bruit tout autour de vous, vous avez la chair de poule… Qu'est-ce que vous ressentez ?
- Je suis fatiguée. Mes pieds me font mal…
- Pourquoi avez-vous mal ?
Ses petites mains se crispèrent et ses ongles s'enfoncèrent profondément dans sa peau. Drago la regarda lutter contre la douleur qu'elle s'auto-infligeait. Mécanisme instinctif du cerveau pour se rappeler sa propre souffrance… Fascinant.
Il se souvint des photos qui ornaient le tableau de liège dans son bureau du troisième étage. Elles avaient été prises peu après l'arrivée de la jeune femme aux urgences. Les stigmates laissés sur sa peau par les liens. Le symbole gravé sur sa cuisse. L'infime petit trou par lequel on l'avait drogué, dans le pli de son coude. Son visage ahuri et apeuré. Et sa voute plantaire abimée, striée de plaies, après avoir erré sans chaussures le long des quais.
- Je crois que j'ai marché. Longtemps… ajouta-t-elle.
- Oui… D'où est-ce que vous venez ?
- Je…
- Prenez votre temps, dit-il en saisissant son hésitation.
Inutile de prendre le risque de la brusquer, de la braquer. Il la conduisait là où il le fallait et Drago savait pertinemment que le chemin serait long. Sinueux. Pavé d'embuches. Granger devait accepter de s'y confronter, plutôt que de tenter vainement de les contourner. Elle devait admettre l'horreur, la visualiser pleinement. Et lui faire face. Comme elle faisait face, intérieurement, à la pellicule d'images embrumées qui défilaient dans son crâne.
- J'ai longé une rue jusqu'au port… Il y a des bosquets en fleurs et des haies du thuyas. Et… et des murs. De la pierre.
- Des murs en pierre ?
- Ils sont hauts… Je n'arrive pas à voir les toits.
- Ce n'est pas grave, c'est très bien, la rassura le blond. Continuez, qu'y-at-il autour de vous ?
- Ma vision est trouble… il y a des taches blanches partout et il y a cette chose, tout en haut.
- Quelle chose ?
- Un cercle blanc. Je ne suis pas sûre… Tout est… tout est si flou… Je n'aime pas ça.
- Essayez de vous détendre, dit Drago en notant la multitude de frissons qui courut le long de ses bras.
Elle s'était mise à trembler, dans son état de demi-conscience. Il était évident que l'exercice lui devenait pénible. Remonter le fil conducteur de ses souvenirs, aussi sommaires étaient-ils, la rapprochait inévitablement du pire. Tout la ramenait aux lanières de cuir qui enserraient ses membres, à la brûlure que laissait la lame du cutter sur sa peau, à la ceinture qui lui écrasait la trachée, la privant d'air et étouffant ses cris.
Et malgré tout ceci, Granger gardait les yeux irrémédiablement fermés. Elle luttait, doutait, tremblait. Mais elle persistait. Sa résilience en devait presque troublante.
Drago vrilla son regard vers la vitre sans tain. Il savait que, de l'autre côté, Harry ne manquait rien de la scène qui se jouait dans l'intimité de la salle d'interrogatoire. Il savait que le brun retranscrivait la conversation au mot près, qu'il étudiait minutieusement le moindre changement d'attitude, le moindre geste. Et répertoriait l'intégralité de ce moment si particulier.
Le blond réprima l'envie qui le prit de poser sa large main au-dessus des siennes. Pourquoi avait-il soudainement envie de poser sa main sur la sienne, d'ailleurs ? Non. Surtout, ne pas la toucher. Ne pas troubler le flux de ses pensées. Un contact physique quel qu'il soit la rappellerait au présent, à cette pièce, à la réalité et mettrait un terme à l'expérience. Il devait la laisser avancer en solitaire, suivre son propre cheminement intérieur, faire face aux fantômes qui vivaient au fond d'elle. Et il devait patienter.
Il vit ses lèvres s'écarter légèrement pour prendre une longue inspiration silencieuse. Drago recentra la conversation.
- Retournez à cette rue. Vous voyez ces murs, ces taches lumineuses… Vous marchez. Mais vous venez de quelque part. Où se trouve cet endroit ?
- Je ne sais pas…
- Continuez de marcher.
- Je… Je tourne au coin de la rue. Il y a des néons qui éclairent le trottoir.
- De quelle couleur sont-ils ?
- Jaune… répondit-elle, hésitante. Non. Blanc… oui, blanc. La lumière filtre sous le rideau métallique.
Les propos dans leur ensemble étaient confus et manquaient cruellement de cohérence. Ils ne prenaient sens que dans l'esprit torturé de Granger. Elle, elle se contentait seulement de débiter un flux continu de mots, tels qu'ils naissaient dans sa bouche et dans sa tête. C'était le rôle de Drago, que de tenter de reconstituer l'histoire. Et l'exercice était délicat.
Il nota intérieurement la mention récurrente à la lumière. Blanche, crue, éblouissante. Un phare dans la nuit opaque de ses pensées.
- Quel rideau ?
- Que… Je le vois. C'est un rideau coulissant. Il n'est pas complètement baissé…
Nous y voilà.
La porte qui enfermait les souvenirs de Granger était là. Juste devant elle. Il lui suffisait de tendre le bras et de la pousser. Il lui suffisait d'un pas, d'un minuscule effort. Elle devait… Non, elle pouvait le faire. Si Drago l'y aidait.
- Glissez-vous dans l'ouverture.
- Je ne peux pas… J'ai peur, il y a…
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- J'entends une voix de l'autre côté du mur…
- Quelle voix ?
- La sienne… il est là, tout près. Et il va revenir, je… Je…
Respiration saccadée, mâchoire tremblante, doigts crispés. Une accumulation de signaux trahissant la terreur qui s'emparait d'elle, tandis que les images à l'intérieur de sa tête la rapprochaient de l'horreur, de la torture, de la violence.
- Tout va bien… Tout va bien, vous êtes en sécurité, assura Drago sans jamais la quitter du regard.
- Je n'aime pas ça du tout… J'ai mal. Je…
- Il ne peut plus rien vous faire. Est-ce que vous pouvez le voir ?
- Non… oui… Je ne sais pas…
La jeune femme, secouée de spasmes, semblait littéralement submergée par le film qui se jouait derrière le voile ses paupières. Mais il fallait, il fallait, continuer. Essayer, jusqu'au bout. Jusqu'au déclic. Celui de la libération.
- Est-ce que vous le voyez ? répéta-t-il en songeant à l'air désapprobateur qui devait courir sur le visage de Harry, de l'autre côté de la vitre. Comment est-il ? Que fait-il ?
- Il a… non ! Non !
Point de rupture. Retour à la réalité.
Ses grands yeux noisette s'ouvrirent pour croiser les siens. Puis sa tête balayait la petite pièce en suivant le même chemin que son regard, prenant la mesure de l'endroit dans lequel elle se trouvait. Hagarde, fiévreuse. Elle avait l'air si fragile, plus encore qu'elle ne l'était sur son lit d'hôpital.
Et pour une raison insensée qu'il ne s'expliqua pas, Drago se sentit presque coupable d'être à l'origine du sanglot étouffé qu'elle réprima difficilement.
- Je ne peux pas, dit-elle d'une voix chevrotante.
- Mademoiselle Gran…
- Stop ! Je ne peux pas faire ça… Désolée.
Une perle translucide franchit le barrage de ses cils qui papillonnaient frénétiquement. Elle roula le long de sa joue, lentement. Drago regarda Granger l'essuyer rageusement du bout des doigts avant de se lever et de quitter la salle sans se retourner.
Et merde.
