Confessions nocturnes
ACTE I : Bon sang ne saurait mentir
NB : AVERTISSEMENT - Il est fait mention dans ce texte de tortures physiques et mentales ainsi que de sévices sexuels. Je conseille donc aux personnes sensibles de sauter ces passages ou de s'abstenir de lire cette histoire. En vous remerciant pour votre vigilance.
Une femme de ma condition sait reconnaître lorsqu'elle n'a plus aucun espoir. J'ai tenté la Fortune, à de nombreuses reprises. Je sais qu'elle m'a abandonnée, lasse de mon comportement et de mes suppliques répétées. À cet instant, elle me regarde, une pointe de dédain dans le sourire. Puis-je l'en blâmer ?
Je suis née le 29 octobre 1965, un soir d'orage qui faillit coûter la vie à ma mère. À bien y penser, il aurait mieux valu pour elle qu'elle succombe en me donnant le jour. Cela lui aurait évité bien des déconvenues, et l'opprobre de se voir chassée de sa maison, de son monde... Traitez-moi de sentimentale ou d'insensée si vous le désirez, mais j'aurais aimé être le fruit d'un amour inaliénable entre deux êtres. Malheureusement, tout ce qui unit Tessa et Socrate Selwyn fut un contrat, passé entre leurs deux familles. D'elle, je ne garde qu'un vague souvenir : son parfum, sa voix, la chaleur de sa peau contre la mienne, et le goût salé de ses larmes. J'avais moins d'un an lorsque ma mère est morte. Plus je grandissais, plus je doutais des circonstances réelles de son décès. Il me suffisait de me souvenir de ses larmes, et faire l'expérience des grandes fureurs de mon père pour me douter que la réalité était sans doute plus complexe qu'une dragoncelle foudroyante.
J'ai grandi privée de tout bonheur, bercée par le devoir, les responsabilités incombant à mon rôle et à mon rang, élevée par un père autoritaire, intransigeant, inconstant et cruel. La moindre contrariété était gravée dans ma chair. J'ai enduré toutes ses punitions avec la même détermination : celle de vivre et de devenir la fille qu'il désirait. Pourquoi chercher à répondre à ses désirs avant les miens ? Parce que c'est ce que nous sommes, et que je pensais, naïvement sans doute, qu'une fois sa fierté acquise, je serais libre de mes choix, libre de m'extirper de son ombre pour faire mes premiers pas dans la lumière.
Malgré toutes les raisons que je peux avoir de haïr mon père, je lui dois d'être ce que je suis aujourd'hui. Eut-il été plus laxiste avec moi, je n'aurais sans doute pas affronté les épreuves de la vie avec autant d'assurance et de contrôle. Il m'a appris à envisager chaque problème avec réflexion, gardant à l'esprit que l'argent et le nom peuvent tout. L'amour, le bonheur, l'amitié ne sont que des points faibles que nos ennemis peuvent exploiter. Seuls comptent les relations, l'influence et l'usage qu'on en fait. La fortune est un bien joli substitut au bonheur, et le seul qui dure toujours pour un Selwyn.
Socrate ne manqua pas d'attention à mon égard, mais son cœur, s'il en avait un, s'endurcit avec le temps. Il me manquait quelque chose. Peut-être étais-je trop tendre, trop sentimentale, mais le silence autour de ma mère me pesait. Tout le monde autour de moi s'évertue à faire comme si elle n'avait jamais existé. Il me fallut du temps pour trouver des affaires lui appartenant, dissimulées avec soin dans un coin du grenier ou revendues. Je tentais, au contact de ces objets, d'éprouver quelque chose, n'importe quoi, afin de combler ce vide en moi...
Il me fallut attendre pour cela mon premier contact avec la magie noire par le biais d'un médaillon appartenant à ma mère. J'ignorais à quoi il servait, et pourtant, lorsque je passais l'objet entre mes doigts, j'entendais comme une voix dans ma tête, un murmure, charmant, envoûtant, qui me suppliait de le passer à mon cou. Cette tentation, ce picotement au bout des doigts, ce semblant de décharge, comme la caresse brûlante d'un éclair excitant mes nerfs, étaient comme un baiser, rassurant, familier. Mon père mit fin à ce charme, et jamais je n'éprouvais autant de haine à son encontre qu'à l'instant précis où il me l'ôta des mains. Pourtant, ce n'était que partie remise. Petit à petit, je soutirais de sa collection personnelle quelques artefacts, de-ci de-là. Je faisais des recherches afin de tenter d'en connaître les propriétés, en vain. Comment faire alors ? Je devais les découvrir par moi-même. Cependant, un soupçon de morale, la crainte de ne pouvoir maîtriser leurs effets, de me faire prendre, d'une cruelle correction m'empêchait de sauter le pas. Je me suis longtemps demandé ce qu'il se serait produit si Mafalda Hawks ne m'avait pas provoquée ce jour-là.
Je l'ai attendue, le cœur battant, serrant contre ma poitrine la dague que j'avais dérobée à mon père, bien cachée dans son étui. Comme la première fois, j'entendais cette mélopée dans mes oreilles, un sifflement captivant. Malgré tout, j'avais peur. J'ignorais ce qu'il se passerait à l'instant où la lame toucherait sa peau. Tout ce que je désirais, c'était l'effrayer, qu'elle souffre autant que j'avais souffert d'entendre les rires de mes camarades à mes dépens, leurs insultes. Ils sauraient alors, ce qu'il en coûte de provoquer Modestia Selwyn. À peine arrivée à ma hauteur, je la saisissais, la plaquait contre le mur. Elle commença à m'insulter, et se débattit, je sortais la dague de son fourreau et l'appliquais contre sa gorge. Je sentis à l'instant un picotement de mon poignet remonter le long de mon bras tandis que de la lame s'étendaient des veinures noir remontant le long de la gorge de Mafalda, gagnant ses lèvres, ses narines, puis ses yeux don't les vaisseaux injectés de sang s'assombrissaient. La panique me gagna alors que je pouvais sentir sous mon autre main le pouls de la Gryffondor s'accélérer. J'avais le souffle saccadé, et respirais difficilement. La peur sans doute, mais aussi une profonde exaltation et satisfaction. Je lisais enfin dans ses traits la crainte que je voulais inspirer. Elle souffrait, et je découvrais pour la première fois, la douce caresse du plaisir ressenti à la voir ainsi convulser sous mon emprise. Malheureusement, à peine avais-je mis un mot sur ce que je ressentais que l'extase était terminée, et Mafalda s'effondrait à mes pieds. Je restais un instant regardant la dague dans mon poing serré. J'avais tellement raffermi ma prise que les lanières de cuir enserrant la garde laissaient leurs sillons dans la paume de ma main. Je fus éveillée comme d'un songe par un dernier râle de Mafalda, avant qu'elle ne s'évanouisse pour de bon. Je remis la dague dans son étui et regagnais mon dortoir. En marchant dans les couloirs, je songeais de nouveau à ce que j'avais fait. Je ressentais une certaine frustration. Cela avait été... trop court. Cet infime sentiment de plaisir que j'avais éprouvé, je voulais le comprendre. Mais pour cela, il fallait que je prenne mon temps.
J'échappais aux soupçons, et fort heureusement pour moi, elle ne gardait aucun souvenir de ce qu'il s'était passé. En revanche, en voyant ses blessures, mon père comprit. Je m'attendis à une correction exemplaire, mais rien ne vint. À partir de ce jour, son attitude envers moi changea. Il savait ce que j'avais fait, et savait également qu'il ne pourrait plus rien faire pour m'empêcher de devenir celle que j'étais. Ai-je lu dans son regard de l'admiration pour ce que j'avais osé faire, ou plutôt de la crainte ? Au lieu de me réprimander, il m'apprit, me présentant chaque objet de sa collection et s'exposant ses effets. Lorsque mes doigts s'approchaient de ces vitrines, j'entendais distinctement leur appel, et au fond de mon cœur, le désir avide de laisser parler leur art. Mais Socrate me surveillait désormais, et redoublait les protections autour de ses biens pour éviter tout nouvel incident.
Au sortir de mes études à Poudlard, il était grand temps pour moi d'entrer dans le grand monde, celui pour lequel on m'avait préparé toute mon enfance. Mon père me cherchait le meilleur parti tandis que j'entretenais les alliances, enchaînais les repas chez les uns, les autres, multipliais les soirées mondaines afin de faire connaître mon nom, mon visage, et ma dot. Je me pliais avec le plus grand sourire à toutes ces formalités, sous le regard d'acier de Socrate, prompt à redresser la moindre de mes erreurs ou indélicatesses. Mais il n'eut aucune raison d'user de son ascendant, car j'étais parfaitement irréprochable au sein des miens. Je menais avec perfection le langage de ma caste, trouvais toujours le mot juste pour chacun, brillais par mon excellente mémoire des mariages passés, des noms qu'il fallait scander et de ceux qu'il fallait taire.
Ma bataille était intérieure. Dans un coin de mon esprit demeurait la dague que j'avais conservée, et que j'ai toujours, tel un trophée, conservé dans un coffre à capitons vert dans ma chambre. Lorsque le sommeil me fuyait, je me prenais à l'ouvrir, et faire tourner le fourreau entre mes doigts, posant de temps à autre mes yeux sur la lame aux reflets irisés. Si dans un premier temps, sa simple vue suffisait à me rappeler ce que j'avais ressenti ce jour-là, les années finirent par en faner le souvenir. Et le désir de l'éprouver une fois de plus devenait... incontrôlable. Je gardais ce souhait blotti contre mon cœur, en espérant qu'un jour, il se réaliserait.
Et enfin, il s'accomplit, de lui-même, lors d'une soirée passée en compagnie des Lestrange. Nos pas nous menèrent dans une rue déserte de Londres Moldu. Il y avait là une femme, de mon âge, je pense, qui avait du mal à tenir sur ses jambes. Sans doute avait-elle également profité de cette belle nuit d'été dans un bar environnant. Bellatrix commença à l'insulter, Rodolphus lui barrait toute retraite. J'étais encore jeune et pourtant avec eux, je n'avais nullement l'impression d'être différente, innocente, comme ce pouvait être le cas auprès des amis de mon père. Je mis mes gants en peau de dragon, précaution soufflée par Bella pour la manipulation des objets que je m'enorgueillissais à collectionner ; et prenais dans ma poche une chaîne en argent achetée deux jours plus tôt chez Barjow et Beurk. Je la scellais sur les poignets de la moldu et la regardais faire son œuvre. Le toucher n'en était pas létal, mais la chaîne une fois en contact avec la peau s'animait et commençait à enserrer les bras puis le corps de la moldu, resserrant peu à peu son étreinte. Elle suppliait, implorait, et à mesure que ses plaintes se faisaient plus virulentes, je me sentais... vivante, puissante. Avoir ce droit de vie et de mort, de pouvoir à chaque instant mettre fin à sa souffrance, d'un simple geste de baguette. Pourtant, il était si dur de le faire, je voulais voir jusqu'à quel point elle pouvait résister, voire jusqu'où son faible esprit pouvait supporter la torture. Puis je me souvins de Mafalda, de cette impression de manque, d'inachevé. Je mis fin au sortilège, laissais la moldu espérer quelques instants qu'elle pourrait avoir la vie sauvé... avant de lui lancer cet impardonnable qui la laissait se contorsionner, souffrir mille maux et supplier, encore et encore. Jusqu'à cet éclat de lumière verte qui la rendit inerte. Je lançais un regard furieux à Bellatrix, pour avoir mis fin de manière aussi brutale à ce que j'étais en train de ressentir. Elle s'approcha de moi, et me pria de regarder le corps à mes pieds. « Souviens-toi toujours de cette leçon : ne va jamais au bout de ton plaisir, sans quoi il perd de sa saveur. De cette manière, il t'en faudra toujours plus, encore et encore ! »
La leçon était rude, mais juste. À partir de cet instant, je m'adonnais à ma nouvelle passion. Avec calme, discernement, ne choisissant que des cibles isolées, sous le couvert de la nuit. Mais donner la mort... m'était plus difficile. Souvent, je me contentais des sorts d'Oubliette, tout en sachant que les séquelles laissées par l'usage de la magie noire étaient irréversibles. La disparition du Seigneur des Ténèbres me compliquait les choses, ainsi que les arrestations de ses fidèles. Difficile pour moi alors de faire retomber mes actes sur les Mangemorts. Mais j'étais bien trop avancée dans mon exploration des arcanes inconnues de la magie noire pour m'arrêter en si bon chemin. Je m'adonnais encore aux soirées mondaines, partageais toujours mon temps entre mes riches amis, les représentants de ma caste, les bénéficiaires de mon mécénat, et mes activités plus secrètes, nocturnes. Je ne suis jamais devenue professionnelle en la matière, et plusieurs de mes frasques m'ont valu les visites peu agréables du Ministère. Rien que l'argent et l'influence ne puissent acheter.
Mais rien... rien de tout cela ne pouvait effacer l'immense solitude que je pouvais ressentir. Pourtant, je n'étais jamais entourée de silence. La foule, les elfes de maison, je n'étais presque jamais seule avec mes pensées. Je me suis distraite grâce à mon entourage, mais je n'en demeure pas moins solitaire dans un grand manoir. Les murs me renvoient mon écho, les tableaux, silencieux, murmurent sur mon passage. Je lis la crainte, le respect, la haine dans les regards. J'ai cultivé ce silence, et pourtant, parfois, j'aimerais avoir quelqu'un à mes côtés, qui partage mes idées, qui me vois telle que je suis, et aime ce qu'il y voit. Je nourris une jalousie intense bien qu'inconvenante envers le couple Malefoy : si beaux, si bien assortis, en accord. J'aimerais connaître le même amour... celui don't j'avais été privé par le départ de ma mère, celui qu'elle n'avait jamais connu entre les bras de mon père. Peut-être l'avait-elle trouvé l'espace d'une nuit dans les draps de ce moldu après tout... Malgré mon aversion profonde envers ces rats, je les ai assez observés pour savoir qu'ils sont heureux avec ce qu'ils ont. J'ai la richesse, la beauté, la sécurité, le pouvoir, et pourtant... je suis incapable d'être heureuse. Mes seuls moments de bonheur, je les trouve dans la souffrance d'autrui, flattant ma position de puissance, et... dans mon bain, un verre de vin dans une main, un livre dans l'autre. Pas n'importe lequel. J'ai en effet trouvé l'homme de mes rêves, un mage puissant, une personnalité brillante. Pour lui, je renoncerais à ma fortune, à mon titre, à mon nom, car il est tout ce que je désire : un homme que je pourrais plier à mes désirs, tout en brillant à son bras en société, sous le regard des journalistes et des photographes. Gilderoy Lockhart. Pour un homme tel que lui, je serais capable de tout... Je ne sais ce qui m'a fait chavirer chez lui, mais j'ai su sans doute voir en lui un homme qui exècre la médiocrité, comme moi. Qu'importe pour moi qu'il soit un imposteur, c'est en cela que je l'aime. Imposteur, menteur, manipulateur, quoi de mieux pour avoir le loisir de me plaire !
J'ai péché par orgueil et me suis moi-même précipitée vers ma fin alors que pourtant, tout me souriait. Mon père avait enfin trouvé un bon parti pour moi, Orpheus Parkinson. Ce n'est pas un Malfoy, il n'en a pas la prestance, mais il en a le titre et c'est tout ce qui compte pour mon père. J'aurais pu tomber bien pire à dire vrai, mais lorsque nous avons été présentés officiellement afin de conclure les premiers contrats, il a saisi ma main pour l'embrasser, et je n'ai malheureusement senti dans ce geste, aucune force, aucune audace. Il m'a fait des compliments, a loué ma beauté, mon esprit, mon port, mon charme ; il sera un mari entièrement soumis à ma volonté. Or, si j'avais voulu un chien, j'en aurais acheté un, je ne l'aurais pas épousé. Je pense que c'est le seul moyen que mon père a trouvé pour me punir. Il sait que les services ne prennent plus, alors il a voulu m'humilier un peu plus, en privant d'un mariage autre que par simple intérêt. J'ai rongé mon frein, j'ai tout accepté, gardant à l'esprit ma maigre compensation, à savoir que le soir même, je retrouverais mon laboratoire où m'attendait ce sang-mêlé sur lequel je pourrais tester mes derniers artefacts. Ce soir-là, je vis la peur dans le regard d'Ignatius, car oui, je peinais à arrêter mon geste. Ce médecin de Saint Mangouste ne je finançais pas les expériences sur des patients sortis de l'hôpital magique n'était pourtant pas d'une frêle nature. Malgré tout, je vis toute couleur fuir son visage alors que j'appliquais encore et encore l'objet sur la peau à vif du sang-mêlé. Ses plaies purulentes se refermaient immédiatement, puis de moins en moins sous mes sortilèges de soin, sans cesse rouvertes après chaque apposition. Lorsqu'il s'écroula enfin, je tentais en vain de le ranimer et Ignatius m'arrêta juste à temps. Je les laissais, lui et son partenaire Licorus, ainsi que leurs interrogations. Jamais je n'avais éprouvé une telle rage. Ce mariage, je l'avais repoussé de tous mes vœux, car il signifiait pour moi la fin de ma liberté, la fin de mes vices, et surtout je devrais désormais rendre des comptes à un autre individu que moi-même. Ultime insulte.
Ce soir-là, en rentrant chez moi, je posais les yeux sur le portrait de ma mère que j'étais parvenu à trouver dans les affaires de mon père. Je sais désormais les raisons qui l'ont chassé loin de cette maison. Je la hais, pour m'avoir laissé avec ce monstre, d'avoir été assez faible pour céder à un moldu. Cette idée seule me révulse, mais une part de moi l'admire. Car elle a choisi de commettre la pire des injures dans le simple but de punir mon père, une ultime bravade avant de tirer sa révérence. Comme un coup du destin, c'est ce même soir que je reçus la lettre de Portheus me disant qu'il avait les résultats de mes analyses, et qu'il fallait à tout prix que l'on se rencontre. Je me souviendrais jusqu'à mon dernier jour de ses mots, de son sourire lorsqu'il m'a montré le papier, m'annonçant triomphant ses doléances. À cet instant, j'ai hésité. Le tuer maintenant, faire disparaître les documents, tuer le bâtard... Hélas, c'est cette dernière once d'humanité qui a retenu ma baguette ce jour-là, ainsi que le jour de l'inauguration. J'ai acquiescé, je n'ai pas eu le courage, d'accepter l'opprobre, la fin de mon monde. Comme tout ceci me semble lointain... J'ai eu la lâcheté d'accepter son marché plutôt que de devoir affronter mon père, ma caste, mon futur, qui aurait alors eu mon destin entre ses mains. Tout plutôt que de dépendre d'un homme ! Je me suis construite en m'aidant de mon nom, et pourtant ma réussite je ne me la dois qu'à moi-même et à cet instant je n'étais pas prête à tout sacrifier. Il veut être directeur, et bien soit, qu'il fasse ! Tant qu'il sait tenir sa langue.
Pendant ce temps-là, je vois l'étau se refermer sur moi... Cette réception peut être mon salut. Mais tiendra-t-il sa langue jusque-là ? Rien n'est moins sûr. Et pourtant c'est là que tout se joue, mais ce que je veux avant tout savoir, c'est qui il est ? Qui est ce bâtard ? Et au fond de moi, toutes ces questions qui n'arrêtent pas de tourner. Pourquoi ? Commentaire? A-t-il connu ma mère plus que moi ? L'a-t-elle aimé ? Puis je me gifle d'avoir de telles idées futiles, ce n'est pas cela qui est important. Il est une menace, il faut qu'il se taise ou périsse. J'ai affronté à de nombreuses reprises les dangers, la suspicion et n'en ai jamais été inquiétée, mais cette fois-ci, je ne parviens pas à soutenir les regards. Portheus à l'audace de me mettre le couteau sous la gorge et pour la toute première fois, je me trouve au pied du mur, incapable de bouger, de respirer, contraint à céder. La présence de Gilderoy agit cependant comme un baume sur mon cœur. Il est encore plus éblouissant que je ne le pensais... Je me prends à penser à ce que nous pourrions accomplir tous deux, mais chasse ces idées de mes pensées. Il s'agit pour le moment d'éviter l'opprobre.
Pourquoi m'entêtais-je à protéger mon nom et ma famille de la souillure ? Ce n'est pas moi qui l'aie couverte d'opprobre, mais ma mère, et mon père avant cela en se montrant incapable de maitriser sa femme. Que peut-on me reprocher ? Je n'ai fait que faire briller le nom de la famille Selwyn sur la liste des vingt-huit, en faisant d'eux les mécènes des plus grandes entreprises sorcières, des précurseurs en matière de défense des Sangs purs. Je serais prête à verser chaque goutte de mon précieux sang si cela peut annihiler et purifier les erreurs de la nature telles que les cracmols.
Le cœur battant, je suis entrée dans le bureau de Fleming. Comme hors de mon propre corps, je me suis vue, erratique, jeter les documents à travers la pièce afin de trouver mon dossier. Une fois en ma possession, je le parcours des yeux jusqu'à tomber sur la ligne qui m'intéresse : Correspondance génétique — Basil Derwent. Je réfléchis un moment, puis tout devient clair. Son interpellation lorsqu'il m'a vu, cet air de déjà-vu, le médaillon, ce malaise en le voyant... Trop de questions se soulèvent... Mais je n'ai pas le temps pour cela. Je détruis le document, mais il me reste le laboratoire. Des bruits dans le couloir, beaucoup trop. Quand le calme revient enfin, je quitte ma cachette en prenant bien soin de me dissimuler et... La Fortune est une femme capricieuse, facétieuse, qui s'amusa une fois de plus à tester mes motivations en mettant en travers de mon chemin, Basil. Dans mon esprit plusieurs choses se bousculent : tue-le et il n'y aura plus de trace ; ne le tue pas, c'est ton frère ; tu peux le faire ; tu es incapable d'ôter la vie d'un innocent de sang-froid ; ce n'est qu'un bâtard ; il a connu ta mère... Il m'était impossible de les faire taire, et je voyais dans ce regard, la peur, l'incompréhension, l'innocence d'un esprit malade, torturé. Alors j'abaissais ma baguette...
Durant toute cette soirée, j'étais aux prises avec toutes ces questions. À la fois dégoûtée de ce que j'avais sous les yeux et intriguée. Ce jeune homme a vécu un enfer, a été soumis à des dizaines de sortilèges sans perdre entièrement sa raison, ce qui révèle d'un grand potentiel magique. Et malgré tout ce qui lui a été infligé, il continue de sourire à la vie. Je ne pense pas que cela soit de la stupidité... mais sans doute à une forme d'innocence que je ne connais jamais. Je suis née pour n'être à jamais qu'un nom sur un arbre généalogique don't on ne se souvient que pour le grand mariage qu'elle a pu faire et toutes les bonnes œuvres auxquelles elle a participé. Ma personnalité, mes erreurs, mes choix, mes plaisirs seront oubliés au profit du nombre d'enfants que j'aurais su donné à mon époux et de leurs resplendissantes carrières. Du moins, c'est ce qu'avait décidé mon père pour moi, mais comme toujours je me suis attachée à le décevoir.
En toute justice, après ce qu'il s'était passé lors de cette inauguration, j'aurais dû être enfermée à Azkaban et ne plus jamais revoir la lumière du jour. Mais lorsque vous avez un nom tel que le mien et de l'argent, vous ne restez jamais bien longtemps derrière des barreaux. J'ai présenté une nouvelle fois mes excuses, j'ai donné tout l'argent qui était censé être ma dot afin que tout ce qu'il s'était passé à Sainte Mangouste ne soit consigné nulle part. Toutes les familles de Sang-Purs, j'allais le découvrir ont leur secret honteux. Ceux qui en sont à l'origine, soit sont chassés de leurs demeures et des arbres généalogiques, soit sont pardonnés, mais tenus en laisse. Cette dernière option ne vient que lorsqu'on est enfant unique, comme moi. Je n'eus plus d'autres choix que de marcher dans les traces de mon père et de mon époux. Qu'importe le scandale pourvu que la messe soit donnée ! Mon mariage me réserva une surprise à laquelle je ne m'attendais pas. Et à l'instant où elle se présenta, je sus qu'une fois de plus, j'allais porter la honte sur mon nom, cette fois-ci pour la dernière fois... Oderint dum amat.
Modestia sourit en posant sa plume à côté de son carnet. Elle saisit son verre de vin, et but une gorgée avant de s'approcher du mur sur lequel figurait plusieurs photographies, toutes du même visage, ainsi que des coupures de presse, toutes du même auteur. Modestia approcha une nouvelle fois le verre de ses lèvres, mais suspendit un instant son geste, avec un sourire carnassier en caressant distraitement l'une des photographies sur laquelle la femme tentait d'échapper à sa vue. « Allons, allons, ne sois pas si timide, souffla-t-elle d'une voix langoureuse, tu as passé tellement de temps à me traquer. Il est temps que ma chasse commence. Je te retrouverais, Cracmolle. Tu as survécu à la mort une fois. Mais à moi, tu n'échapperas pas. Tu as voulu jouer, alors jouons. ». Alors ses doigts glissèrent jusqu'au nom de celle qui fut mon ombre pendant des années entières, avant de hanter ses songes : Orabella Wilkinson.
