Bonjour à tous !
Me revoici avec la suite ! Aujourd'hui, le mystère continue de s'épaissir et nos héros vont enfin avoir un peu d'action.
Petite anecdote musicale : tout le début de ce chapitre a été imaginé et écrit sur le morceau "Densetsu" de l'ost de l'anime Ghost Hunt (Nandra-chan, si tu passes par là ...) Les 30 premières secondes me faisaient penser à de la neige qui tombe et la suite collait très bien à l'ambiance. Quant à la partie plus "d'action", elle a été imaginée et écrite sur "Sono Kyoukan, Ryoryoku Zetsurin," de Hunter x Hunter, tout simplement parce que je trouve cette ost totalement ... badass.
Bonne lecture !
Chapitre 8 - Des êtres humains ?
– C'est … un village ? souffla Mokona.
– On dirait bien, acquiesça Shaolan.
– Ou plutôt ce qu'il en reste, souligna Kurogane. Je n'aperçois aucun être humain.
– Allons voir cela de plus près, déclara Fye.
Ils firent descendre leurs montures au bas de la butte et les dirigèrent vers le hameau. Une dizaine de minutes plus tard, ils mettaient pied à terre devant l'ensemble d'édifices qu'ils avaient aperçus de loin : il s'agissait bien d'un village. Les maisons de pierre, totalement en ruines, s'étaient à demi-écroulées et le manteau blanc qui les drapait venait adoucir les arêtes saillantes de leurs murs éventrés. Ils attachèrent leurs chevaux à des arbres pour explorer le village à pied : les habitations, de plan circulaire, formaient un agglomérat autour d'une construction plus massive de forme conique.
– Sans doute la maison du chef de village, ou peut-être du conseil qui le dirigeait, remarqua Shaolan à voix basse.
– Cet endroit fait un peu peur, dit Mokona, perché sur l'épaule de l'adolescent.
Le jeune homme s'approcha de l'une des bâtisses et retira une partie de la neige qui recouvrait sa porte congelée. Il devina que le battant en bois, maintenu en position par le froid, s'effondrerait à la moindre pression. Il dégagea le mur adjacent de la poudreuse qui le revêtait et observa la construction : cette maison avait été bâtie grâce à l'empilement de nombreuses petites pierres plates de différentes épaisseurs. L'entrée était quant à elle constituée de trois longs blocs rectangulaires et massifs, deux à la verticale et le troisième, par-dessus, formait un linteau. Il remarqua alors une trace sur le mur qu'il avait dégagé et ses yeux s'écarquillèrent.
Fye errait entre les décombres, mal à l'aise. Une étrange sensation s'était emparée de lui dès qu'il avait pénétré dans ce village et plus il progressait entre les habitations, plus son angoisse s'accentuait. Il se dégageait de cet endroit vide et figé une sensation de désolation qui lui rappelait la fosse où il avait été enfermé lorsqu'il était enfant. Sans doute les maisons avaient-elles été abandonnées lorsque les habitants avaient fui le pays ; peut-être certaines familles avaient-elles été arrêtées par l'armée de son oncle pour être exécutées. Ce lieu évoquait à lui seul les fléaux de la malédiction qui s'étaient abattus sur Valeria, mais il n'y avait pas que cela. Sous la couche de neige qui crissait sous ses pas, Fye avait l'impression que se tapissait le souvenir d'une ancienne catastrophe, un secret endormi par le gel depuis plusieurs générations.
Kurogane marchait à quelques mètres derrière lui, sourcils froncés. Il avait vu le mage se tendre dès qu'ils s'étaient aventurés dans les ruines et cela ne lui disait rien qui vaille. Lui-même ne se sentait pas très serein entre ces murs décharnés. Les habitants de ce hameau fantôme avaient-ils été tués ? S'étaient-ils enfuis à cause de la malédiction ? Quand il observait les bâtisses effondrées, il éprouvait une désagréable sensation, qui, sans qu'il ne sache pourquoi, lui rappelait la nuit où il avait perdu ses parents. Ou plutôt, le matin qui avait suivi ce drame, lorsque la cendre était retombée sur les décombres du château de Suwa.
Sur sa droite, Sakura demeura un long moment immobile au milieu des vestiges raidis par le froid. La neige s'était remise à tomber, déposant ses larmes gelées sur les créneaux irréguliers des ruines. Contrairement à Fye et à Kurogane, cet endroit ne lui inspirait aucun sentiment d'angoisse, mais plutôt une immense peine. Elle fit le tour de plusieurs bâtisses, le long desquelles la neige montait si haut qu'elle les faisait ressembler à d'imposants tumulus. Elle s'approcha de l'une des habitations, qui avait perdu sa porte, et pénétra à l'intérieur : l'endroit comportait visiblement trois pièces, dont une plus grande que les autres, peut-être une salle à manger. La jeune fille s'approcha de l'une des parois de la maison, posa sa main dessus et ferma les yeux : de la tristesse murmurait à l'intérieur de ces murs, elle le sentait, mais aussi de la colère. Au même moment, des voix chargées de haine parvinrent à ses oreilles, des timbres stridents qui charriaient des flots d'injures.
Sakura rouvrit brusquement les yeux et se retourna : dans la salle en ruines, il n'y avait personne. Elle cligna des yeux, le cœur battant : avait-elle rêvé ? Avait-elle imaginé ces voix à cause du sentiment étrange qui l'environnait ? Ou bien … se pouvait-il que ces voix ne soient que le lointain écho de cris poussés par des personnes décédées depuis longtemps ?
Depuis qu'elle était toute petite, Sakura savait qu'elle avait la faculté d'entrer en contact avec les esprits des morts, des plantes et des minéraux, comme la roche ou l'eau. Elle pouvait ressentir leurs émotions, en particulier leur douleur. En touchant le mur de ces maisons, avait-elle réveillé des souvenirs gravés dans la pierre ? Les souvenirs de ceux qui avaient vécu ici ? La jeune fille ressortit sur le porche et observa longuement les ruelles. Tout autour du hameau, une zone boisée les coupait des bruits du loch et empêchait le silence poudreux de se briser, créant une atmosphère presque irréelle. Elle balaya du regard les habitations circulaires, quand soudain, elle sursauta : elle aurait juré voir une silhouette sur l'un des seuils. L'instant d'après, elle en aperçut deux autres à l'entrée d'une deuxième maison, qui disparurent presque aussitôt. Puis encore deux autres, un peu plus loin … des expressions de colère déformaient leur bouche, mais aucun son n'en sortait. La jeune fille distingua à cet instant deux ombres plus petites que les autres, qui traversèrent le village en courant. Deux adolescentes plus jeunes qu'elle, qui se tenaient par la main et dont était visage crispé par la peur. Sakura voulut les interpeller, mais au moment où elle s'avançait les apparitions s'évanouirent brusquement, comme la mèche d'une bougie soufflée par le vent. Sakura demeura un moment hébétée, à fixer le lieu où les fillettes s'étaient tenues.
– Quelque chose ne va pas, Sakura-chan ?
Fye et Kurogane venaient de la rejoindre, inquiets. Sakura cligna des yeux et se tourna vers eux.
– J'ai vu … des silhouettes. Des silhouettes humaines.
– Ceux qui nous ont espionnés ? demanda Kurogane.
– Non, il ne s'agissait pas de personnes ... vivantes.
Les sourcils de Kurogane se haussèrent tandis que le front de Fye se plissait : l'ancienne Sakura avait le don de voir des esprits et de parler aux êtres inanimés, il était donc fort possible que cette Sakura-ci en ait également le pouvoir.
– Des anciens habitants de ce village ?
– C'est possible, oui. Mais ce n'était pas des esprits, je dirais plutôt qu'il s'agissait … de souvenirs.
– Tu veux dire que tu as vu des images du passé ?
– Oui.
– Comment étaient ces gens ?
– En colère. À l'exception de deux jeunes filles, plus fragiles, qui paraissaient chercher à échapper à quelque chose.
– Échapper à quelque chose ? répéta Kurogane. Aux habitants du village ?
– Peut-être, mais je n'en suis pas certaine. J'ai la sensation … qu'une tragédie s'est produite, ici.
Fye fronça les sourcils : ainsi, il n'était le seul à avoir cette étrange impression. Si Sakura percevait elle aussi des traces rémanentes d'une ancienne catastrophe, c'est qu'elle avait sûrement eu lieu. À cet instant, la voix de Shaolan rompit le silence étouffé du village enneigé.
– Venez voir !
Ses amis le rejoignirent à la hâte. Ils trouvèrent l'adolescent accroupi près du mur d'une maison, dont il avait ôté une grande partie de la neige qui le recouvrait, révélant ainsi la pierre qui constituait la paroi. Tranchant avec l'immaculé de la poudreuse, la noirceur du mur leur sauta tout de suite aux yeux. À moins qu'il n'ait été bâti avec une roche volcanique, il ne pouvait pas être aussi foncé naturellement. Or, ils n'avaient remarqué aucune montagne qui ressemble à un volcan depuis leur arrivée.
– Ce village a été victime d'un incendie, déclara Shaolan. Il ne s'agit pas seulement de cette maison, j'ai gratté le gel sur plusieurs d'entre elles et leurs pierres sont toutes aussi noires. C'est pour cela qu'aucune maison n'a conservé son toit : ils devaient être bâtis en bois ou en chaume et ils ont brûlé. Je suis sûr que si l'on dégageait l'intérieur des bâtisses de la neige qui les recouvre, on trouverait des poutres de charpente calcinées.
Kurogane écarquilla les yeux : voilà pourquoi ce village réveillait en lui le souvenir de la nuit où le palais de Suwa s'était consumé dans les flammes. Toutes les maisons de ce bourg avaient connu le même sort.
– Tu penses que cet incendie a été déclenché à cause de la malédiction ? demanda Fye.
– Je n'en sais rien. C'est possible.
– C'est vrai, c'est possible, admit Sakura. Mais j'ai l'impression que ces ruines sont plus vieilles que ça.
– Plus vieilles ? répéta Fye.
– Oui, les souvenirs qui me sont brièvement apparus des habitants de ce village sont assez anciens. Je ne suis pas certaine que la malédiction soit la cause de ce qu'il s'est passé ici, j'ai l'impression que tout cela est bien antérieur.
– Antérieur à la malédiction ? fit Kurogane.
– Ce qui voudrait dire avant que nous ne naissions Fye et moi, remarqua Fye.
Les cinq amis échangèrent un regard : à l'identité de ceux qui les avaient espionnés la nuit passée venait s'ajouter un nouveau mystère. Valeria renfermait de nombreux secrets, que des décennies d'abandon avait permis de garder inviolés. Shaolan leva la tête vers le ciel.
– Il va faire nuit dans peu de temps. On devrait monter notre campement.
– Sortons d'abord de ce village, dit Sakura. Je ne veux pas dormir près de ces ruines.
Ses compagnons acquiescèrent : ils ne sentaient pas plus à l'aise que la princesse dans ce hameau et tous n'avaient qu'une hâte, le laisser derrière eux. Ils retournèrent à l'entrée du village pour récupérer leurs chevaux.
Tandis qu'il détachait la bride de sa monture de l'arbre auquel il l'avait attaché, Kurogane crut soudain entendre un craquement, à quelques dizaines de mètres d'eux. Il releva la tête, aux aguets.
– Kuro-chan ? fit Fye. Un problème ?
– J'ai l'impression qu'on nous observe.
Tous suivirent son regard, inquiets, mais le silence était retombé sur la bourgade en ruines. Ils se remirent en selle et prirent un peu d'altitude, jusqu'à retrouver la forêt de conifères qui les abriterait du froid. Là, ils ôtèrent leur matériel de leurs montures et montèrent leur campement : tandis que Kurogane, Fye et Sakura s'entraidaient pour dresser leur tente, Shaolan décida d'aller chercher du bois pour le feu.
Vingt minutes plus tard, le ninja, le mage et la princesse avaient achevé leur tâche et commencèrent à préparer le dîner, mais l'adolescent n'était toujours pas revenu.
– C'est étrange, murmura Sakura, inquiète.
– Il en prend un temps pour couper quelques bûches, remarqua Kurogane.
Tous deux épluchaient un chou et des pommes-de-terre pendant que Fye coupait des morceaux de lard pour l'ajouter dans la potée qui leur servirait de dîner. Leurs gestes se faisaient mécaniques, tandis que leur oreille était tendue à l'affut du moindre bruit anormal.
Soudain, un cri aigu retentit, qui n'appartenait pas à Shaolan. Il fut suivi d'un second râle plus rauque et cette fois, tous reconnurent le timbre de leur ami. Fye, Kurogane et Sakura sentirent leur cœur s'accélérer ; ils bondirent sur leurs pieds, la princesse attrapa quelque chose dans une besace et ils sortirent de leur tente en courant. Mokona s'apprêta à leur emboîter le pas mais Fye l'arrêta net :
– Moko-chan, toi, tu restes ici et tu gardes le camp ! Si quelqu'un essaye de nous voler quelque chose, tu gobes tout et tu te caches, compris ?
– Tout ? répéta le manjuu, surpris. Même les chevaux ?
– Même les chevaux !
Guidés par les échos des cris, es trois compagnons traversèrent la forêt à toute vitesse en repoussant les branches basses chargées de neige des sapins sur leur passage. Sakura sentait son cœur cogner dans sa poitrine : quelqu'un ou quelque chose s'en prenait à Shaolan. Était-ce ceux qui les avaient épiés la nuit passée ? D'autres personnes ? S'agissait-il d'êtres humains, allaient-ils se retrouver face à des monstres ? Elle accéléra la cadence et resserra son emprise sur l'objet qu'elle tenait dans la main droite, tandis qu'elle glissait la main gauche dans sa poche pour vérifier la présence de son dé magique.
Après être passé sous plusieurs arbres aux branches trop épaisses à couper, Shaolan s'était aventuré un plus loin afin de trouver des arbustes dont il pourrait faire du petit bois. Tandis qu'il entassait un fagot, un bruissement de feuilles lui avait fait relever la tête. Il avait tendu l'oreille et deviné des bruits de pas crissant sur la neige : quelqu'un approchait. Plusieurs personnes, à la démarche discrète, mais pas assez pour avancer sur ce manteau poudreux sans se faire repérer. Hélas, le temps qu'il se redresse, l'adolescent avait compris qu'il était déjà cerné. Pour ce qu'il avait pu en voir, ses agresseurs arboraient une silhouette humaine, mais la pénombre l'avait empêché de distinguer nettement leurs traits. Une chose était certaine toutefois : ils étaient nombreux, plus de quinze autour de lui, peut-être plus si d'autres se cachaient dans les fourrés. Ceux qui les avaient espionnés ? Il n'aurait su le dire. L'adolescent avait joint ses deux mains, fait pivoter ses paumes et les avait écartées, faisant apparaître son épée juste à temps pour parer le premier coup. Aussitôt, tous les autres s'étaient jetés sur lui. Ses assaillants brandissaient des sabres, des haches, des couteaux ou des piques, et leurs intentions étaient on ne peut plus claires. Il avait brisé des hampes de bois et repoussé des lames de métal ; malheureusement les ombres étaient trop nombreuses et il n'avait pas pu se protéger de tous les côtés à la fois. Il s'était baissé pour éviter une pointe de lance, avait fait un croche-pied à son propriétaire qui s'était effondré en poussant un cri aigu, puis avait levé le bras pour arrêter un sabre qui s'abattait sur sa tête. D'un bond, il s'était relevé pour se remettre en position, quand une silhouette avait jailli d'un fourré sur sa gauche. Shaolan avait senti un fil aiguisé toucher son bras et une douleur brûlante lui remonter jusqu'à l'épaule. Il avait crié et aussitôt reculé pour se mettre hors de portée.
À présent, il bataillait tout en tenant son épaule blessée. Bon sang, il avait besoin d'aide ! Il ne ferait jamais le poids contre autant d'adversaires, il fallait qu'il force la chaîne humaine qui l'entourait pour retourner vers le campement. Il devait frapper fort afin de s'ouvrir un passage : il leva donc son épée devant son visage, posa deux doigts dessus et s'apprêta à lancer un sort. À cet instant, une silhouette qu'il n'avait pas repérée bondit et referma un bras sur son cou. L'homme serra pour l'étrangler, tout en avançant un poignard vers sa gorge. Shaolan se débattit, mais son opposant ne manquait pas de force, et en voyant la pointe de son arme avancer vers sa peau, le jeune homme sentit la panique l'envahir.
Soudain, quelque chose siffla dans l'air et frappa celui qui le tenait à la tête. L'ombre cria, son emprise sur son cou se relâcha et Shaolan en profita pour le gratifier d'un coup de coude dans l'estomac. Il se dégagea, fit volte-face et distingua alors l'objet qui avait atteint son ennemi : un boomerang ! L'arc de bois siffla en sens contraire et le jeune homme vit son propriétaire sauter pour le rattraper au vol : Sakura ! Les yeux de l'adolescent s'écarquillèrent et il demeura un instant ébahi, au moins autant que l'avaient été Fye et Kurogane trente secondes plus tôt en voyant la princesse manier cette arme.
– Shaolan, ça va ? lui demanda-t-elle en le rejoignant.
– Oui, merci, mais …
– Tu es blessé …
– Ça va aller, ne t'en fais pas.
Derrière eux, Kurogane et Fye s'employaient déjà à repousser leurs ennemis. Kurogane fit jaillir Ginryû de sa main gauche et s'élança contre les ombres, tandis que Fye traçait à toute vitesse des runes bleutées dans les airs du bout de deux doigts. Les lettres formèrent un cercle luminescent que le magicien envoya vers un groupe de cinq attaquants : les silhouettes furent projetées au sol et contre les troncs des arbres où elles se fracassèrent. Cependant, à la grande stupéfaction du blond, elles se relevèrent rapidement, avec des mouvements parfaitement déliés. Ces hommes ne ressentaient-ils donc pas la douleur ? Avec la force qu'il y avait mis, ils étaient sûrement blessés, certaines souffraient peut-être même de fractures, alors comment pouvaient-ils encore bouger avec une telle aisance ?
De son côté, Kurogane envoya voler une épée, puis une lance ; lorsqu'une silhouette se précipita vers lui avec son couteau, il s'écarta, l'attrapa au poignet et le lui tordit pour l'obliger à lâcher son arme. Puis, il lui donna un coup de genou dans l'estomac qui la laissa au sol. Ces hommes pensaient peut-être les terrasser sous le nombre, mais ils ignoraient qu'il était le meilleur ninja du Japon. Non loin de lui, Shaolan avait repris le combat, aidé de Sakura : de son boomerang, la jeune fille maintenait à distance les ombres qui se trouvaient encore loin d'eux, tandis que l'adolescent repoussait ceux qui s'approchaient trop près. Cependant, tous avaient beau contrattaquer, frapper, assommer leurs assaillants, ceux-ci revenaient à la charge sans montrer la moindre trace de souffrance, au point d'en arriver à faire douter les quatre compagnons de les avoir réellement touchés. Ils avaient bien senti l'impact de leurs armes contre le corps de ces hommes, alors que se passait-il ? Fye vit une dizaine d'hommes se rapprocher de Kurogane : il créa une boule d'énergie alimentée par ses runes et l'envoya contre ses adversaires. Cette fois, son sortilège était suffisamment volumineux pour illuminer brièvement la clairière. Dans un flash, le mage, Kurogane, Shaolan et Sakura découvrirent pour la première fois le visage de leurs agresseurs : il s'agissait bien d'êtres humains, hommes et femmes confondus, vêtus de fourrures tout comme eux. Leur visage cireux aux joues creusées était encadré de cheveux hirsutes et sillonné de sang pour la plupart ; cette fois, aucun des quatre compagnons ne pouvait en douter : ils avaient bien atteint leurs ennemis et les avait même blessés sévèrement pour certains, cependant aucun d'eux ne semblaient souffrir de leurs plaies. Leur regard légèrement vitreux vibrait d'une rage meurtrière. La lumière du flash s'éteignit, replongeant la forêt glacée dans la nuit.
– Shaolan ! s'exclama Sakura qui sentait son cœur s'accélérer. Ces gens, leurs blessures …
– Oui, j'ai vu. Ne t'éloigne pas de moi !
À cet instant, huit hommes et femmes se liguèrent ensemble pour attaquer le jeune homme qui dut batailler dur pour les tenir à distance. Pendant quelques secondes, sa concentration fut détournée et une femme, qui s'était perchée sur un arbre, en profita pour se laisser tomber sur Sakura. La jeune fille et son assaillante roulèrent à terre, la princesse sentit son boomerang lui échapper des mains tandis que la femme lui tordait le bras droit dans le dos. La douleur remonta jusqu'à sa mâchoire et la jeune fille sentit la lame froide d'un poignard se poser sur sa nuque. Elle cria, chercha à se dégager, mais elle savait que si elle faisait un mouvement trop brusque la femme lui casserait le bras. Elle devait trouver autre chose, et vite. Elle étira alors la main gauche pour atteindre la poche de son manteau.
– Sakura !
Shaolan, qui luttait contre quatre adversaires en même temps, avait immédiatement relevé la tête en l'entendant crier. Il fendit l'air de son épée, repoussa avec rage ses ennemis et se précipita vers la princesse, tandis que le poignard faisait déjà perler le sang sur sa nuque. À cet instant, Sakura referma sa main sur un petit objet dans sa poche, de forme cubique : le dé dans lequel elle conservait ses six sortilèges. Elle réussit à le lancer dans les airs et s'écria :
– Deux, bouclier !
Aussitôt, la face du dé à deux points s'illumina d'une lumière éclatante et des volutes magiques s'en échappèrent. Un cercle magique au centre duquel brillait une étoile apparut sous le corps de la jeune fille et au même moment, un halo protecteur l'enveloppa, forçant son assaillante à lâcher prise sur son bras. La femme fut rejetée en arrière et Sakura put se relever, tremblante mais intacte. Shaolan, stupéfait, fixa le cercle magique et le halo irisé qui formait une bulle autour de son corps.
– Je vais bien ! le rassura-t-elle.
Il la rejoignit et put en effet constater avec soulagement qu'elle n'était pas blessée. À cet instant, le cercle sous ses pieds s'éteignit et le bouclier se retransforma en volutes pour réintégrer le dé duquel il avait jailli ; le petit objet retomba entre les mains de Sakura, qui le glissa de nouveau dans sa poche. Puis, elle ramassa son boomerang et jeta un regard en arrière.
– Nous n'allons pas être tranquilles longtemps.
Shaolan se retourna : en effet, ceux qu'il avait blessés revenaient à la charge. Il resserra sa prise sur son épée tandis que Sakura pliait le coude pour lancer son arme.
Pendant ce temps, Kurogane et Fye devaient faire face au même acharnement de la part de leurs agresseurs. Fye couvrait les arrières de Kurogane, sur lequel se jetaient le plus gros des troupes. Le mage trouvait d'ailleurs cela étrange : tous les assaillants qu'il avait repoussés jusqu'à présent n'avaient tenté de s'en prendre qu'au ninja, à Shaolan ou à Sakura ; aucun d'eux ne l'avait attaqué directement. Mais il n'avait pas le temps de penser à cela maintenant : une femme que Kurogane venait de blesser se relevait et ramassait sa dague pour tenter de l'attaquer dans le dos. Fye traça des runes et les projeta aussitôt vers elle.
Voyant que le mage le débarrassait de la furie qui fonçait dans sa direction, Kurogane en profita pour faire face à un homme qui tenta de l'embrocher de son épée : d'un geste précis, il bloqua sa lame grâce à Ginryû, puis l'attrapa par le bras, le tira en avant et enfonça sa lame dans sa cuisse. Il entendit l'homme grogner avant de tomber, un genou à terre. Il abandonna le blessé au sol pour s'occuper d'un autre attaquant, auquel il fit mordre la poussière. Cependant, une minute plus tard, l'homme qu'il pensait bien amoché se releva : malgré la plaie sanglante au niveau de sa jambe, il se remit sans la moindre difficulté sur ses pieds et marcha à nouveau vers lui. Kurogane jura à voix basse. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Avec la blessure qu'il lui avait infligée, l'homme aurait dû se tordre de douleur. Si tous leurs opposants se redressaient même avec un trou au milieu du corps, ils n'en finiraient jamais.
– Il va falloir changer de tactique ! lança-t-il à Fye.
– Qu'est-ce que tu comptes faire ?
– Frapper un grand coup.
Le ninja vit une lueur de réprobation passer dans le regard du mage, mais Fye ne protesta pas : il savait qu'ils n'avaient pas le choix. Kurogane plia légèrement les genoux, leva son sabre à la verticale et concentra tout son qi dans sa lame. Un bon ninja ne blesse que ceux qu'il a l'intention de blesser, sans porter préjudice aux autres personnes qui l'entourent. C'était exactement ce qu'il allait faire : son attaque n'atteindrait que leurs assaillants, pas ses compagnons. Il abaissa son sabre vers le sol et lança :
– Shouryen !
L'éclair illumina de nouveau le visage de leurs adversaires et balaya la forêt. Shaolan, Sakura et Fye s'immobilisèrent, mais ainsi que Kurogane l'avait prévu, sa vague d'énergie ne les affecta pas. Les hommes qui se trouvaient près de lui subirent le plus de dommages, tandis que ceux qui se situaient plus loin furent seulement assommés. Quand la lumière de son attaque retomba, les corps de nombreux blessés s'étendaient devant lui. Pourtant, au bout d'une demi-minute, pour sa plus grande horreur et son plus grand agacement, presque tous se relevèrent. Le sang maculait leurs vêtements, mais aucun ne semblait s'en soucier. Kurogane pesta : ces hommes et ces femmes étaient-ils donc immortels ? Près de lui, Fye remarqua le corps d'un homme qui ne s'était pas redressé : celui-ci avait été littéralement empalé par une branche d'un arbre qui s'était brisée lors de l'assaut de Kurogane. La pointe en bois était fichée dans sa poitrine, non au niveau du cœur, qui se trouvait à gauche de la poitrine, mais à droite. Fye fronça les sourcils : était-ce là le point faible de ces étranges adversaires ? Au même moment, Shaolan, qui se battait contre un homme armé d'une hache, trébucha contre une racine que la neige dissimulait. Il bascula en arrière et son agresseur leva son arme, prêt à lui fendre le crâne. Dans la panique, Fye lui cria :
– Shaolan, vise sa poitrine, à droite !
Juste au moment où l'homme abattait sa hache sur lui, Shaolan leva son épée et transperça le torse de son opposant. L'homme émit un râle et s'effondra aussitôt ; quelques secondes s'égrenèrent, mais il ne se releva pas. À cet instant, les ombres comprirent que leurs adversaires avaient découvert leur point faible. Leur attitude changea alors du tout au tout, et d'agresseurs ils se transformèrent en fuyards. Détalant à travers la forêt sombre, ils abandonnèrent la clairière en quelques minutes.
Le cœur cognant dans leur poitrine, Kurogane, Fye, Shaolan et Sakura se réunirent ; Shaolan leva deux doigts et fit apparaître une petite boule de feu au-dessus d'eux.
– Tu ne devrais pas utiliser ta magie, Shaolan, tu es blessé, lui dit doucement Sakura.
– Ne t'en fais pas, ce n'est pas grave.
Les quatre compagnons jetèrent un œil vers les corps des deux assaillants étendus sur la neige.
– Qui pouvaient bien être ces gens ? souffla Sakura.
– Et surtout, pourquoi veulent-ils nous tuer ? ajouta Shaolan.
– En tout cas, ils étaient au courant de notre arrivée à Valeria, déclara Kurogane. Ils nous ont d'abord patiemment suivis avant de nous attaquer.
– Tu penses qu'il s'agit des mêmes personnes que celles qui nous ont espionnés ? demanda Shaolan.
– Oui, j'en suis presque certain.
– Leur résistance était incroyable.
– Ça, c'est sûr. Peu importe le nombre de coup qu'on leur portait, le nombre de blessures qui leur trouaient le corps, ils se relevaient.
– Sauf celui que j'ai tué. Tu avais raison Fye, ils avaient bien un point faible.
Le mage fronça les sourcils : beaucoup trop de choses dans cette attaque clochaient. Si Kurogane avaient raison, si ces gens étaient bien ceux qui les avaient surveillés, pourquoi avaient-ils autant attendu avant de les attaquer ? S'agissait-il réellement d'êtres humains ? Ils en avaient l'apparence, mais leur exceptionnelle résistance aux blessures permettait d'en douter. Si l'attaque de Kurogane n'avait pas tué l'un des hommes sur le coup, ils n'auraient jamais su où frapper pour se débarrasser d'eux. Pourquoi avaient-ils été victimes de cette attaque ? Qui avait averti ces hommes et ces femmes de leur arrivée ? Personne ne connaissait leurs projets à Tírméith hormis Ryu-Ô et Clef. Si Fye ne doutait pas de l'innocence du premier, il hésitait à mettre en doute celle du second. Clef lui était antipathique, mais à aucun moment il n'avait eu l'impression qu'il souhaitait sa mort. La manière dont il l'avait dévisagé, le ton qu'il avait employé pour lui poser ses questions traduisaient une certaine curiosité, mais pas d'hostilité. Alors, qui ? Dernier point à éclaircir : pourquoi aucune ces ombres ne l'avaient attaqué directement ? Pourquoi s'en étaient-elles prises à ses compagnons et pas à lui ? L'idée de mettre en danger Kurogane, Shaolan, Sakura ou Mokona le terrifiait, et bien qu'ils aient accepté de l'accompagner de leur plein gré, il savait qu'il ne se le pardonnerait jamais s'il leur arrivait quelque chose. Il ne voulait plus être responsable de la mort de personne, et surtout pas de ceux qui comptaient pour lui.
– Nous devrions enterrer ces deux hommes, dit Shaolan à voix basse.
– Oui, acquiesça Sakura.
– Vous ne pourrez pas creuser de tombes avec ce froid, les avertit Kurogane. Sous la neige, la terre doit être aussi dure que de la pierre. Mieux vaut les brûler.
Shaolan et Sakura pincèrent les lèvres : au pays de Clow, les habitants inhumaient leurs morts. Aucun d'eux n'aimaient la crémation, qui réduisait les corps en poussière en quelques heures, mais Kurogane avait raison : ils n'avaient pas le choix. Cependant, au moment où ils se retournèrent pour s'occuper des cadavres, ils se rendirent compte qu'ils avaient disparu : ou plutôt, que leurs corps avaient disparu, ne laissant derrière eux que les vêtements en fourrure que les hommes avaient portés.
– Qu'est-ce que ça veut dire ? souffla Sakura, bouche bée.
Fye fronça les sourcils, s'agenouilla près des vêtements et passa une main sur les fourrures. Ses doigts se refermèrent sur un petit tas de poussière qu'il laissa couler au sol.
– Il y a de la magie là-dessous. Je ne sais pas encore ce qu'il vient de se passer, mais la disparition de ces corps ne peut s'expliquer que de cette manière. Je n'aime pas ça.
– Tu penses qu'il s'agit du pouvoir dont Clef nous a parlé ? demanda Kurogane.
– C'est fort possible, mais je ne peux pas l'affirmer clairement. Depuis que nous sommes arrivés à Valeria, je perçois une puissance. Je la sens partout : dans l'air ambiant, dans la forêt, le long du loch. En ce moment-même, elle nous entoure. Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais elle sature tout et m'empêche d'identifier la source et la nature des phénomènes magiques qui nous environnent.
– Tu veux dire que ça brouille ta perception ?
– Oui. J'ignore si la personne à l'origine de ce pouvoir est la même que celle qui a envoyé ces gens pour nous tuer, mais si c'est le cas, nous allons devoir nous montrer très prudents.
Ils regagnèrent leur campement. Comme ils ne voyaient pas leur tente, ils craignirent de s'être trompés de chemin, lorsqu'une boule de poils blanche jaillit des fourrés.
– Mokona est là ! Tout le monde va bien ?
– Oui, ne t'inquiète pas, tout le monde va bien, acquiesça le mage.
– Personne n'est blessé ?
– Que du superficiel, répondit Shaolan.
– Quelqu'un s'est approché du campement, Moko-chan ? demanda Sakura.
– Oui, des hommes et des femmes avec un regard qui faisait peur !
– Les mêmes que ceux qui nous ont attaqués, dit Fye. Ont-ils essayé de nous voler quelque chose ?
– Non, ils ont allumé des torches et ils voulaient tout brûler !
– Tout brûler ? répéta Kurogane. Quels salauds !
Les yeux de Fye s'écarquillèrent : il avait un moment songé que ceux qui les avaient attaqués pouvaient être d'anciens habitants de Valeria qui auraient survécu dans cette contrée abandonnée avec leurs enfants, en vivant de chasse et de pêche, et qu'ils n'avaient voulu les tuer que pour voler leurs biens. Cependant, s'ils avaient voulu réduire en cendre leur tente et leur matériel, cette hypothèse tombait à l'eau. Il échangea un regard avec Kurogane et sut que le ninja pensait la même chose que lui. Ces gens ne voulaient pas les voler, ils voulaient les tuer, que ce soit par les armes ou en les privant de toutes ressources, car dans un tel pays, dormir dehors équivalait à une condamnation à mort. Restait à savoir pourquoi ils tenaient à ce point à éliminer.
– Alors, Mokona a tout avalé, poursuivit la petite boule blanche, comme Fye le lui avait dit, et il s'est caché jusqu'à ce que vous reveniez.
– Tout avalé ? répéta Shaolan, ébahi. Même les chevaux ?
– Même les chevaux ! confirma le manjuu fièrement.
– C'est bien, Moko-chan, le félicita le blond. Mais ces gens sont partis maintenant, tu peux tout recracher.
– J'imagine qu'il va falloir à nouveau remonter la tente, grogna Kurogane.
Mokona ouvrit grand la bouche et une lumière en jaillit pour se séparer en plusieurs entités. Le hennissement des chevaux parvint aux oreilles des quatre compagnons et leurs montures se rematérialisèrent à quelques mètres d'eux, ainsi que leur tente, telle qu'ils l'avaient laissée.
– Et voilà ! fit la petite boule blanche d'air satisfait. Alors, Kuro-pon, tu croyais que Mokona n'était pas capable de remonter la tente tout seul ?
– J'admets que tu t'es amélioré, Blanche-Neige.
Tous se glissèrent à l'intérieur de leur abri et allumèrent un feu avec le fagot qu'avait ramassé Shaolan, puis s'occupèrent de la blessure du jeune homme. Kurogane lui nettoya avec de l'eau, puis entoura son épaule et son bras gauche d'un bandage qu'il serra correctement. Sakura passa également un linge humide sur l'égratignure que le poignard de la femme avait laissé sur sa nuque, puis ils préparèrent le dîner. Au vu de leurs efforts de la journée et de ceux qu'ils venaient de fournir pour repousser leurs ennemis, ils décidèrent d'un commun accord d'ajouter à la potée une partie de palette de porc salé qu'ils avaient emportée avec eux : ils avaient grandement besoin de reprendre des forces. Tandis qu'ils vidaient leur bol, Shaolan releva la tête vers la princesse :
– Au fait, Sakura … merci, pour tout à l'heure. J'avoue que j'ai été réellement surpris quand j'ai vu que c'était toi qui avait lancé ce boomerang.
– C'est vrai, moi aussi je n'en revenais pas, acquiesça Fye.
– Pourquoi as-tu décidé d'apprendre à te servir d'une telle arme ? demanda Kurogane.
– Lorsque j'étais au pays de Clow, je me suis beaucoup exercé à la magie ; néanmoins, comme je vous l'ai dit, j'avais décidé dès le départ que mes pouvoirs serviraient de compensation pour que Watanuki me permette de vous rejoindre. Je savais donc qu'une fois avec vous, je ne pourrais plus compter sur mes sortilèges pour me défendre. J'ai donc pris le parti d'apprendre à manier une arme pour pouvoir me protéger en cas d'attaque par mes propres moyens. Je ne voulais plus … être un poids pour vous.
La princesse avait rougi et ses amis sourirent.
– Mais pourquoi un boomerang ? demanda Shaolan, intrigué.
– En fait, je n'avais pas spécialement prévu d'apprendre à manier cette arme-là. Au début, comme je n'avais aucune idée de ce qui me conviendrait, j'ai essayé toutes les armes de l'armurerie royale … Toya s'est bien moqué de moi, d'ailleurs. Il disait qu'une arme blanche serait bien trop lourde pour moi, et je dois reconnaître qu'il avait raison. Alors, j'ai laissé tomber les épées et les sabres et j'ai tenté d'apprendre le tir à l'arc, mais à chaque fois qu'il fallait prendre une nouvelle flèche pour l'encocher, j'étais trop lente. À l'arbalète, ça a été la même histoire. J'aurais bien pris une arme à feu, mais ce genre d'armes n'existe pas au pays de Clow. J'ai fini par m'essayer aux armes de jet, en particulier au lancé de couteaux. Je n'étais pas mauvaise, je visais bien, et j'étais plus réactive qu'au tir à l'arc. L'inconvénient du lancer de couteau c'est qu'il faut soit être sûr de pouvoir le récupérer facilement, soit se déplacer avec plusieurs couteaux sur soi, ce n'est pas très pratique. C'est alors qu'un soldat qui travaillait au palais et qui avait remarqué que j'étais douée au lancé m'a proposé de tenter le boomerang. J'ai suivi son conseil et il s'avère que c'est l'arme que j'ai réussi à maîtriser le mieux en très peu de temps ; j'ai donc décidé que ce serait avec celle-là que je partirais.
– C'était une très bonne idée, déclara Shaolan. Sans toi, cet homme m'aurait égorgé.
L'adolescent prit la main dans la sienne et la jeune fille sentit ses joues rosir sous le compliment. Kurogane et Fye sentirent leur cœur s'attendrir, même s'ils n'en dirent rien. Lorsque les adolescents reportèrent enfin leur attention sur leur repas, le mage déclara :
– Moi, ce qui m'a étonné, Sakura, c'est ce sortilège de bouclier que tu as lancé pendant la bataille. J'ai bien vu, tu l'as lancé à partir d'un dé à jouer, n'est-ce pas ?
– Oui.
La princesse farfouilla dans sa robe et en ressortit le dé, qu'elle présenta au magicien et au ninja en leur expliquant son fonctionnement. Les deux guerriers demeurèrent stupéfaits.
– Eh ben dis donc, t'es devenue sacrément débrouillarde pendant qu'on était séparés, commenta Kurogane.
– Merci. Avant, je maîtrisais beaucoup plus de sorts, mais je les ai offerts à Watanuki. Le bouclier que j'ai créé pendant notre combat est contenu dans le chiffre deux du dé.
– Et les autres, qu'est-ce qu'ils renferment ? demanda Mokona.
– Ah, ça, Moko-chan, c'est un secret, répondit-elle malicieusement.
– Un secret ? répéta le manjuu, désappointé.
– Oui, comme toi avec tes 108 techniques, tu ne les révèlerais pas toutes d'un coup, n'est-ce pas ?
Les quatre compagnons sourirent et achevèrent le repas, puis étouffèrent le feu et se couchèrent. Dans l'obscurité tiède et épaisse de la yourte, tous songèrent longuement aux visages effrayants qu'ils avaient combattus et aux corps mystérieusement disparus.
Shaolan, en particulier, peina à trouver le sommeil : des images de leur bagarre lui revenaient sans cesse en mémoire, et à ces flashs se superposaient, sans qu'il ne s'explique vraiment pourquoi, le souvenir des deux querelles auxquelles il avait assisté à Tirmeíth. L'expression agressive de ces deux hommes qui se mettaient brusquement à insulter leurs voisins, voire à les frapper, alors qu'ils paraissaient avoir été personnes respectables l'avait laissé perplexe. Puis, le visage hagard de ce passant qui erraient sans but dans les rues Tirmeíth s'imposa à lui : son regard vide, dénué de toute émotion l'avait fait frissonner. Il avait le sentiment que tous ces évènements et toutes ses personnes étaient liés sans qu'il ne sache comment. Et cela ne lui plaisait pas du tout.
