Bonjour bonjour !

Je suis retour avec la suiite ! Bon, j'espère que vous vous êtes remis de vos émotions du chapitre précédent, parce que là, on attaque un deuxième morceau. Si vous vous demandiez quand la frimousse de deux blondinets allait apparaître dans ce (méga) flash back, eh bien ... c'est pour aujourd'hui.

Bonne lecture à tous :)


Chapitre 22 - La prédiction d'Ingvar

Quatre mois plus tard, notre mariage a été célébré avec faste à la cour de Valeria. Toutes les personnalités importantes du pays ont été conviées à la cérémonie qui s'est déroulée dans les jardins royaux, au pied du chêne planté par le fondateur de notre dynastie, trois cents ans plus tôt. Cet arbre ancestral tisse un pont entre le monde terrestre et le monde céleste, et tout serment nuptial prononcé sous ses branches monte directement aux cieux pour recevoir la grâce des dieux.

Aucune femme, ce jour-là, n'aurait pu être plus belle que Chii. Deux longues tresses ensoleillaient son visage radieux et tout, dans son regard, son maintien et ses gestes annonçait déjà une reine. Le druide qui présidait la cérémonie m'a offert une coupe remplie d'hydromel : j'en ai bu une gorgée, puis je l'ai tendue à Chii, qui l'a portée à ses lèvres à son tour. En partageant cette boisson sacrée, nous avons scellé notre union. Puis, nous nous sommes agenouillés face au druide, qui s'est saisi d'une branche de gui. Il l'a d'abord trempée dans de l'eau magique, puis l'a agitée au-dessus de nos têtes : symbole d'immortalité de l'âme, d'éternité du monde et d'amour fidèle, le gui achève la bénédiction du mariage. Après nous avoir sanctifiés, le druide a posé sur nos têtes les couronnes qui ont fait de nous les souverains cadets de Valeria. Ensemble, nous nous sommes relevés, la tête droite et le regard digne. Un tonnerre d'applaudissements s'est alors élevé de la foule, comme une houle dont l'intensité se serait accrue à mesure qu'elle remontait vers nous.

– Vive le roi cadet !

– Vive la reine cadette !

Des centaines de visages me faisaient face, chacun avec ses particularités, sa manière de sourire, de crier, et dans leurs voix je devinais les espoirs qu'ils plaçaient en moi. Je savais ce que supposait la dignité à laquelle j'accédais, mais ce n'est qu'en contemplant l'expression de ceux qui m'acclamaient que j'ai pris conscience de l'immense devoir qui m'incombait. Désormais roi et époux, je devrais protéger mon peuple et Chii de toutes les menaces, mais plutôt que de ressentir de la peur, j'en ai éprouvé de la fierté. Les vivats nous ont accompagnés jusqu'au château où une grande réception a été donnée en l'honneur de nos noces.

Après le repas, Chii et moi avons pris place sur deux trônes de noyer sculpté pour recevoir les félicitations des courtisans. Tandis que je remerciais les invités qui me présentaient leurs respects, j'ai soudain remarqué un homme avec lequel mon frère, assis sur un trône parallèle au mien, était en train d'échanger. Ses vêtements luxueux laissaient deviner une personne fortunée et ses yeux clairs, entre le vert et le gris, brillaient d'intelligence. Rien, dans ce portrait, n'aurait dû me surprendre : l'inconnu appartenait sans doute à la noblesse et il avait revêtu ses plus beaux atours pour assister à notre mariage. Cependant, je n'ai pas pu détacher mon regard de lui. J'avais la sensation qu'il transmettait quelque chose de différent des autres convives. Était-ce un magicien ? Percevais-je confusément ce que Chii appelait l'aura et que seules les personnes douées de pouvoirs magiques savent discerner ? Je l'ignorais. En revanche, le ton de l'homme indiquait clairement qu'il ne parlait pas des réjouissances de la noce. La contrariété se lisait sur son visage et face à lui, les rides qui plissaient le front de mon frère trahissaient également de l'agacement, voire de la colère. C'est à ce moment que je me suis rendu compte que Chii fixait l'inconnu, elle aussi. Ses yeux s'étaient écarquillés et ses pupilles rétrécies dans un sentiment de peur.

– Chii ?... Chii, ça va ?

Elle détaillait chaque centimètre du visage de l'inconnu et je sentais qu'elle fouillait sa mémoire à la recherche d'un souvenir.

– Tu connais cet homme ?

Elle cilla, hésitante, puis pinça les lèvres et secoua la tête.

– Non, je ne crois pas. Il me rappelle quelqu'un … mais je me trompe sûrement.

J'ai froncé les sourcils, inquiet. À cet instant, l'homme a tourné les talons et s'est éloigné d'un pas furieux. Alors qu'il se dirigeait vers la sortie, il a croisé le chemin de Clef. Les deux hommes ont échangé un regard bref mais chargé d'une hostilité non-dissimulée. Contraint de demeurer sur mon trône jusqu'à la fin des hommages, j'ai dû attendre de m'installer au banquet pour parler à mon frère. Tandis que nous mangions, je me suis discrètement penché vers lui.

– J'ai remarqué un homme avec lequel tu as discuté, tout à l'heure. Il avait l'air en colère. Qui est-ce ?

Le visage de mon frère s'est assombri.

– Un mage qui a brièvement servi la cour au temps de notre père. Il a été congédié avant que je ne monte sur le trône.

– Pourquoi ?

– Notre père ne le jugeait pas assez qualifié pour remplir sa fonction.

– Pourtant, tu le reçois toujours ?

– Lors d'évènements aussi importants qu'un mariage royal, je ne peux pas refuser sa présence.

– Que voulait-il ?

– Me demander une faveur.

– Laquelle ?

– Celle de se présenter aux concours de recrutement afin de servir de nouveau la couronne.

– Qu'as-tu répondu ?

– J'ai refusé.

– Pourquoi ?

– Du temps de notre père, c'était un piètre mage.

– Peut-être a-t-il progressé depuis ?

– On ne peut pas faire confiance à ceux de son espèce.

Son espèce ? J'aurais bien voulu demander à mon frère ce qu'il entendait par là, mais j'ai deviné à son expression qu'il ne me dirait rien. Chii, à ma droite, a posé une main sur la mienne.

– Que t'a dit ton frère ?

– Il s'agit d'un mage qui a servi la cour du temps de notre père et qui a été renvoyé parce qu'il ne satisfaisait plus à ses obligations.

– Avant qu'il ne se retire, il s'est retourné vers nos trônes … et nos regards se sont croisés. Son expression m'a paralysée de peur.

– Tu es sûre que tu ne le connais pas ?

– Je ne crois pas l'avoir déjà vu … mais il me manque encore des souvenirs, je ne peux pas en être certaine.

– Quoi qu'il en soit, tu n'as à t'inquiéter. Mon frère l'a congédié et il m'a assuré qu'il ne se représenterait plus à la cour.

– Ah … tant mieux.

J'ai observé Chii : j'avais l'impression qu'elle ne me disait pas tout. Je voyais bien qu'elle évitait mon regard et qu'elle s'était replongée dans des souvenirs auxquels je n'avais pas accès. Me cachait-elle quelque chose ? Ce mage pouvait-il avoir joué un rôle dans la disparition de ses parents ? Depuis que je l'avais entendue prononcer leurs noms dans la clairière où elle s'était battue contre Tugdual de Laíth, je supposais qu'ils étaient morts. J'étais également persuadé qu'elle ne parvenait pas à se rappeler l'identité du meurtrier, sinon, elle l'aurait fait rechercher. Mais parce qu'il manquait une pièce au puzzle de sa mémoire, elle n'agissait pas. Cet inconnu pouvait-il être l'assassin de ses parents ? Si tel était le cas, j'espérais qu'il respecterait l'ordre de mon frère et ne se présenterait plus jamais au palais.

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Au cours des mois qui ont suivi, j'ai dû m'habituer à mes nouvelles responsabilités. Devenu roi cadet de Valeria, j'ai commencé à assister aux conseils des ministres. Mon frère m'a confié la gestion de la justice, des lois et de la religion, tandis qu'il se réservait l'économie, la fiscalité et les armées. Chii s'est rapidement faite à sa fonction de reine et a su, petit à petit, accorder sa confiance à un cercle restreint de dames de compagnie. Elle continuait d'étudier, m'accompagnait parfois dans mes voyages et recevait des érudits. Si nos occupations respectives nous séparaient parfois, nous nous retrouvions toujours en fin en journée pour profiter d'un moment d'intimité.

Pourtant, un évènement de taille est bientôt venu perturber notre quotidien. Peu après la grande fête du solstice d'hiver, alors que je me trouvais en déplacement, Chii a fait un malaise. Dès que je l'ai appris, je suis rentré à bride abattue au palais. Lorsque je suis arrivé devant notre chambre, un médecin en sortait.

– Alors, comment va-t-elle ? A-t-elle quelque chose de grave ?

L'homme m'a observé avec sérieux.

– Non, sire. La reine cadette va très bien. Elle est seulement indisposée.

– Indisposée ? Comment ça ?

– Je pense que vous devriez lui poser la question en personne, votre majesté.

Peu rassuré par cette réponse, je suis entré dans notre chambre. Chii se tenait assise sur le bord du lit, le regard perdu dans le vide. En entendant la porte s'ouvrir, elle a sursauté. Je l'ai observée pendant un bref instant : son visage exprimait une confusion étrange, que je n'ai pas su interpréter sur le moment.

– Chii, tu vas bien ?

Elle m'a dévisagé et j'ai remarqué qu'elle se tordait les mains de nervosité.

– Hideki, j'ai quelque chose à t'annoncer.

– M'annoncer ?

– Je … je suis enceinte.

Les mots de Chii ont résonné plusieurs fois dans ma tête et j'ai brusquement eu la sensation que le monde se figeait autour de moi. Au milieu de ce temps arrêté, ce sont d'abord la surprise et l'incrédulité qui m'ont envahi.

Nous allions avoir un enfant.

Nous allions donner la vie à un être que nous avions créé ensemble et qui n'aurait pas existé sans nous. Je savais que cela arriverait un jour ou l'autre, mais je ne pensais pas que cela viendrait si tôt. À la stupéfaction a succédé une joie incroyable. J'ai pris Chii dans mes bras et je l'ai serrée contre moi.

– Chii, c'est merveilleux !

Elle m'a rendu mon étreinte, pourtant j'ai eu l'impression que ses mains s'agrippaient un peu trop fort à mon dos. En me détachant d'elle, j'ai observé son ventre : à cet instant, peut-être l'ai-je vu plus arrondi parce que je savais qu'elle portait notre enfant, mais cela demeurait encore imperceptible à l'œil nu. Chii a baissé les yeux et a déclaré :

– Les médecins ont dit que cela doit faire trois mois déjà.

À cet instant, je me suis rendue compte que sa voix tremblait.

– Chii … ça va ? Cette nouvelle ne te rend pas heureuse ?

Elle a souri, mais des larmes ont perlé au coin de ses paupières .

– Si … si, bien sûr que je suis heureuse … l'idée que nous puissions donner vie à un enfant me remplit de joie, mais je ne peux pas m'empêcher de me demander … et s'il ... s'il naissait avec la même quantité magie que moi ?

Ses yeux humides reflétaient une angoisse terrible. Je l'ai fixée et j'ai demandé calmement :

– … en quoi cela serait-il une mauvaise chose ?

Elle s'est tordu les mains de plus belle, sans oser me regarder.

– Tu as vu les effets de ma magie, Hideki. Elle est très puissante. Si notre enfant en hérite, je ne veux pas qu'elle soit un fardeau pour lui et que les autres le maltraitent à cause de ce pouvoir. Et surtout, je ne veux pas … qu'il se mette en danger.

Des larmes ont dévalé ses joues. Dans ces yeux que je trouvais si beaux, je devinais les fantômes d'épreuves et de tristesses qu'elle avait dû subir dans son ancienne vie. L'avait-on brimée à cause de son pouvoir ? Sa magie avait-elle joué involontairement un rôle dans la mort de ses parents ? Quoiqu'elle ait vécu, ses paroles étaient trop empreintes de douleur pour avoir été lancées au hasard. Elle se recroquevillait sur elle-même, terrifiée à l'idée que notre enfant subisse le même calvaire.

– Et si je n'arrivais pas à le protéger ?... S'il lui arrivait quelque chose ? Je ne me le pardonnerai jamais !

Sa voix frôlait la panique. Je me suis agenouillé près du lit pour être à sa hauteur, puis j'ai doucement posé une main sur sa joue.

– Si notre enfant hérite de ta magie, cela me rendra très heureux. Je sais qu'avec ce pouvoir, il pourra toujours se défendre. Et s'il ne naît pas doté de cette faculté, je l'aimerai tout autant. Nous disposons de bons mages à la cour pour lui enseigner tout ce qu'il doit savoir, qu'il soit magicien ou non. Je ne suis pas du tout inquiet.

Elle m'a dévisagé, les yeux encore chargés de larmes.

– L'arrivée de cet enfant ne t'effraie pas, toi ? Tu n'as pas peur, tu ne doutes pas ?

– Si, bien-sûr, je me pose des tas de questions. Mais tu sais, je n'ai pas eu la chance de connaître ma mère qui est morte en me donnant le jour, et mon père est décédé lorsque j'avais dix ans. Alors, le plus important à mes yeux est de pouvoir être aux côtés de notre enfant lorsqu'il grandira. J'ignore quel père je serai. Tout ce que je sais, c'est que je ferai de mon mieux pour être à la hauteur.

Elle m'a fixé, impressionnée, et j'ai vu l'angoisse s'atténuer peu à peu dans son regard. Elle a serré plus fort ma main tandis que j'essuyais les larmes sur ses joues.

– J'ai toujours su que tu étais plus fort que moi, a-t-elle murmuré.

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Ma grossesse a été bien accueillie de la part du frère d'Hideki, qui souhaitait que nous ayons une descendance. Clef s'est montré plus méfiant, mais comme il s'était toujours comporté de la sorte avec moi, je ne m'en suis pas préoccupée outre mesure. Grâce au soutien d'Hideki, j'ai moins appréhendé la naissance de notre enfant.

Certaines peurs continuaient toutefois de me poursuivre, notamment celle de mettre au monde un bébé doté de pouvoirs aussi dangereux que les miens. Si tel était le cas, pourrais-je le protéger des convoitises mieux que je n'avais su protéger Freya ? Pourrais-je l'empêcher de se mettre en danger ? Je l'espérais. Et si cet enfant ne possédait aucune magie, serais-je une bonne mère ? À force de retourner cette question dans mon esprit, l'image de mes propres parents m'est revenue en mémoire. Je me suis souvenue de la manière dont ils nous avaient entourées d'amour, ma sœur et moi, et j'ai songé que je voulais offrir la même chose à mon enfant. Je savais que ma mère était potentiellement encore en vie, quelque part dans le royaume, peut-être dans un village voisin de celui dans lequel j'avais grandi. J'ai eu brusquement envie de la revoir, de lui présenter Hideki et notre enfant à naître, de lui montrer que malgré l'adversité j'avais continué à avancer, jour après jour. Mais avais-je raison de vouloir la retrouver, après tout ce temps ? Depuis deux ans, elle me croyait sûrement morte. Quand elle apprendrait que j'avais survécu, m'en voudrait-elle de ne pas lui avoir donné de nouvelles plus tôt ? Je devrais lui présenter des excuses, lui expliquer ma perte de mémoire, et même si j'avais espoir qu'elle me comprenne, j'avais tout de même peur qu'elle ne me pardonne pas.

Une nuit que je ne parvenais pas à dormir, je me suis levée pour m'asseoir à mon bureau, puis j'ai tiré une feuille de papier et j'ai trempé ma plume dans de l'encre. Puis, j'ai écrit, écrit, écrit. Les mots jaillissaient sans aucun effort et avant que je ne m'en rende compte, j'avais couvert cinq pages d'encre. Quand j'ai apposé le point final, j'ai reposé ma plume, puis j'ai levé une main : je n'avais pas utilisé la magie depuis mon duel avec Tugdual et je redoutais d'y faire de nouveau appel. Pourtant, le sortilège est venu tout seul, ce soir-là. Dès que les runes se sont infiltrées dans le papier, les mots ont disparu comme si les fibres les avaient avalés. J'ai soulevé la couverture qui recouvrait la cage où je gardais des oiseaux apprivoisés et j'ai pris sur mon doigt le plus robuste des volatiles pour lui insuffler un sort qui le guiderait jusqu'à ma mère. Puis, j'ai attaché la lettre à sa patte, j'ai ouvert la fenêtre et je l'ai lancé dans la nuit. Le pigeon a disparu et je suis demeurée un long moment à contempler le ciel dégagé dans lequel brillait une lune ronde. Il ne me restait que peu de temps avant de mettre au monde mon enfant et l'air se faisait plus doux. J'ai prié pour que ma mère reçoive ma lettre rapidement et qu'elle puisse me pardonner. Je savais qu'elle ne pourrait pas me répondre, car les messagers postaux ne circulaient pas dans notre région reculée, mais j'espérais qu'elle puisse me rejoindre à la capitale.

Deux semaines plus tard, le jour du solstice d'été, j'ai accouché sans avoir de nouvelles d'elle. Quelle ne fut pas notre surprise, à Hideki et moi, quand les médecins nous ont annoncé qu'il y avait non pas un, mais deux bébés ! Le travail a été plus difficile et lorsqu'enfin j'ai pu prendre mes petits dans mes bras, mille émotions contradictoires s'entrechoquaient dans mon esprit. D'un côté, j'étais folle de joie d'avoir pu naissance à des jumeaux ; j'allais donner l'opportunité à nos fils de développer la même complicité que celle qui m'avait liée à Freya. D'un autre côté, je craignais que cette similitude ne soit un mauvais présage pour leur avenir, d'autant que j'ai immédiatement su, en voyant la couleur de leurs yeux, que nos enfants avaient hérité de mes pouvoirs. Pourtant, à ce moment-là, j'étais trop heureuse pour vraiment m'en soucier.

Nous avons appelé le premier né Fye et le second Yuui. Toute la cour nous a complimentés sur leur beauté et je reconnais que leurs cheveux blonds me faisaient penser à deux grands soleils. Clef a paru contrarié de découvrir qu'ils détenaient autant de magie que moi, mais il s'est abstenu de toute remarque : le plus important, à ses yeux, était que nous ayons donné à la couronne de Valeria des héritiers en bonne santé.

Les deux années qui ont suivi ont été les plus heureuses de ma vie. Nos fils grandissaient de jour en jour, tout comme leurs pouvoirs magiques. Depuis leur naissance, Hideki partait souvent sillonner le royaume pour diverses affaires, mais il veillait à compenser cette absence à chacun de ses retours. De nous deux, c'était lui qui jouait le plus avec Fye et Yuui. Je pensais avoir enfin atteint le bonheur auquel j'avais toujours aspiré. Pourtant, un soir, Hideki est rentré au palais le visage soucieux.

Tu te rappelles du mage qui t'a inquiétée, lors de notre cérémonie de mariage ?

À ces mots, un sentiment de peur s'est noué dans mon estomac. J'ai acquiescé.

Il est revenu. Il s'est présenté au palais ce matin et a demandé à être reçu en audience : mon frère l'entendra dès demain. J'ai enfin pu apprendre son nom : il s'appelle Ingvar.

À ces mots, le livre que je tenais m'a échappé des mains. Des sueurs froides ont coulé le long de mon dos et j'ai cligné des yeux tandis que des images m'assaillaient : toujours les mêmes souvenirs, toujours la même violence. Cette journée de cauchemar où tout avait basculé, ce moment où un sortilège grésillant comme une flamme avait touché mon père, ce moment où le sang poisseux s'était répandu sur le parquet, où l'odeur d'incendie avait envahi mes narines … Depuis que j'avais retrouvé la mémoire, je demeurais incapable de me rappeler le visage du meurtrier qui avait brisé ma famille. Toutefois, lorsqu'Hideki a prononcé ce nom, les derniers fragments qui manquaient à mon puzzle ont repris leur place dans mon esprit.

Ingvar. C'était bien le magicien qui nous avait harcelées, ma sœur et moi, c'était bien lui qui avait tué mon père avant de disparaître comme un lâche … ses traits, à présent, me revenaient très nettement et en prenant conscience que nos chemins s'étaient croisés quelques mois auparavant, une sensation de terreur m'a saisie.

Chii ? Chii, ça va ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

J'ai lentement relevé la tête, le cœur battant. Mon expression devait faire peur à voir, car Hideki a brusquement blêmi.

C'est lui. Le magicien qui a fait du mal à ma famille, c'est lui. Il a tué mon père et ma sœur.

Hideki m'a longuement dévisagé et j'ai réalisé que je ne lui avais jamais parlé du drame qui avait frappé les miens. Il découvrait l'horreur de mon passé en même temps qu'il l'associait à la personne d'Ingvar, et en une fraction de secondes le peu de couleur qui restait sur ses joues s'est évanoui.

Je ne m'en suis pas rendu compte lors de notre mariage, car même si j'ai vu son visage, je ne connaissais pas son nom. Maintenant, je suis certaine que c'est lui.

Le bouleversement de mon mari a rapidement cédé place à une fureur sans borne. J'ai vu son regard brun s'assombrir, comme si l'on avait versé dans ses pupilles l'encre de la colère.

Le salaud … et il ose se représenter au palais ?! Je ne le laisserai pas toucher à un seul de tes cheveux, tu entends ?

Je ne suis pas inquiète que pour moi. Cet homme a attendu que Fye et Yuui naissent pour reparaître à la cour … et s'il n'en n'avait pas qu'après moi ? S'il voulait faire du mal à nos fils ?

Qu'il essaie de poser un doigt sur eux, et il verra …

Nous ne devons pas le sous-estimer, il est très puissant, je t'assure !

Puissant, peut-être, mais je suis le roi cadet de Valeria et mon frère est le roi aîné. Nous allons ordonner son arrestation.

Mais … s'il se mettait en colère ? S'il s'en prenait à toi ?

Alors je me défendrai.

C'est un magicien, Hideki !

À la cour aussi nous disposons de mages, et s'il faut les employer tous contre lui, je le ferai.

Inquiète, j'ai hoché la tête. J'aurais voulu pouvoir lui assurer que moi aussi, j'utiliserais mes pouvoirs contre cet homme s'il le fallait, que je ne me laisserais pas faire, mais j'ignorais si j'en aurais été capable. Le traumatisme que j'avais vécu continuait de me hanter et la seule idée de me mesurer encore une fois à cet homme me paralysait au point de me faire douter de mes capacités.

À cet instant, les pleurs de l'un de mes fils me sont parvenus. Ce cri a eu sur moi l'effet d'une décharge électrique, d'un déclic qui m'aurait brusquement ramenée à la réalité. Je me suis levée d'un bond et je me suis dirigée vers la chambre adjacente, où Yuui venait de se réveiller. Depuis la naissance de nos jumeaux, j'avais appris à interpréter le moindre de leur sanglot, l'évolution de leur intonation au fils des mois et leur signification. Ils avaient fêté leurs deux ans quelques jours auparavant et ils ne pleuraient presque plus, désormais. Toutefois, si cela arrivait, cela signifiait qu'ils ne savaient pas comment gérer une situation ou qu'ils étaient effrayés. Bizarrement, ces pleurs-là m'inquiétaient presque plus que lorsqu'ils étaient des nourrissons. Yuui venait probablement de se réveiller d'un cauchemar, et dans ce cas-là je restais avec lui le temps qu'il se calme. Je l'ai pris dans mes bras pour le consoler. Il s'est redressé sur mon épaule, m'a longuement observée, incertain. Finalement, il a murmuré :

Maman … tu as peur ?

Sa voix fluette et empreinte d'inquiétude m'a bouleversée. De grosses larmes ont rempli les yeux bleus de Yuui et il a blotti sa tête dans mon cou. J'ai deviné qu'il avait surpris notre conversation avec Hideki et que même s'il ne l'avait pas totalement comprise, il avait perçu notre angoisse. Je m'en suis voulu de l'avoir préoccupé et j'ai refermé mes bras sur lui, tout en lui murmurant des mots rassurant. Il a répondu à mon étreinte en agrippant mon dos de ses petites mains. Mon cœur s'est mis à battre plus fort et je me suis faite une promesse : je ne laisserais jamais Ingvar toucher à mes enfants. L'amour que je leur portais était bien plus fort que la peur qu'il m'inspirait. Pour les protéger, j'ai brusquement eu la certitude que je saurais faire appel à ma magie, quoiqu'il arrive.

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– Ingvar de Cathbad, vous êtes en état d'arrestation.

Après ma conversation avec Chii, j'étais immédiatement allé trouver mon frère pour l'avertir du danger que représentait Ingvar. À mon grand étonnement, il m'avait écouté sans m'interrompre, et s'il se montrait parfois sceptique devant les propos de ma femme, je n'avais eu aucun mal à le convaincre de mon récit. Quand je m'étais tu, il avait posé ses avant-bras sur les accotoirs de son trône, avait croisé les mains au-dessus de ses genoux et son regard s'était perdu dans le vide. Dans ses yeux sombres cernés de rides, une étrange lueur s'était allumée, un feu sombre que je ne lui avais vu. Non seulement il n'avait douté d'aucune de mes paroles, mais j'aurais même juré qu'il semblait … satisfait d'apprendre la vérité sur cet homme. Son expression implacable m'avait fait froid dans le dos et lorsqu'il avait pris la parole, sa voix caverneuse m'avait presque donné le sentiment de me trouver face à un inconnu.

– Si nous lançons des gardes à sa recherche maintenant, il risque de nous filer entre les doigts. Je le recevrai en audience demain, comme prévu, et nous procéderons à son arrestation à ce moment-là.

– Il faut doubler la garde.

– Je sais. Sois là en avance.

J'avais acquiescé, puis j'avais pris congé pour aller retrouver Chii. Je savais que j'aurais dû me sentir soulagé que mon frère m'ait cru sur parole et qu'il mette tout en œuvre pour protéger ma famille, pourtant je ne parvenais pas à me défaire d'une étrange sensation de malaise. Quelque chose m'échappait, mais en cet instant, je n'aurais pas su dire quoi, aussi je m'étais contenté de rassurer Chii en lui affirmant qu'Ingvar allait être mis hors d'état de nuire.

Le lendemain, Ingvar a été reçu à l'heure prévue dans la salle d'audience. Mon frère avait pris soin de convoquer des renforts de mages et je me tenais debout à sa droite, prêt à intervenir. Chii était restée auprès de nos fils : j'avais jugé plus prudent qu'Ingvar ne la voie pas afin qu'il ne soit pas tenté de s'en prendre à elle. De plus, elle ne voulait pas laisser nos fils seuls tant que cet individu se trouverait dans le château. Elle m'avait assuré qu'Ingvar avait autrefois convoité ses pouvoirs magiques et qu'il pouvait désirer s'emparer de ceux de nos enfants. Nous devions donc redoubler de méfiance.

Quand mon frère a prononcé la sentence, les yeux d'Ingvar se sont écarquillés de stupeur, avant de céder place à la colère.

– Pourquoi ? Pourquoi, votre majesté ? Vous n'avez même pas écouté ce que j'étais venu vous révéler !

– Je me moque de ce que tu voulais me dire, Ingvar. Tu es un assassin, j'en ai la preuve désormais, tu vas payer pour tes crimes. Soldats, saisissez-vous de lui !

Ingvar s'est aussitôt mis sur la défensive, mais avant qu'il n'ait le temps d'attaquer, un bâton a frappé le sol. Clef, qui se tenait à la gauche de mon frère, venait de faire apparaître autour d'Ingvar un cercle qui, pour ce que je pouvais en voir, ralentissait ses mouvements.

– Je vous déconseille de tenter quoi que ce soit, l'a menacé Clef. Outre les mages que vous voyez dans cette salle, des dizaines attendent à l'extérieur. Je n'ai qu'à lancer un sortilège pour les avertir et ils interviendront.

Le sorcier lui a adressé un regard meurtrier, mais il a abaissé sa main. Clef a rompu son sortilège et les gardes ont aussitôt menotté Ingvar, puis ils l'ont contraint à les suivre. Toutefois, avant de quitter la salle, Ingvar s'est retourné.

– C'est dommage, sire … j'étais venu vous avertir d'un danger qui menace votre royaume.

– Tout ce qui sort de ta bouche ne sont que des mensonges.

Ingvar lui adressa un regard impassible.

– Très bien, dans ce cas, tant pis pour vous … et pour vos sujets.

Pendant un bref instant, j'ai vu le doute envahir le regard de mon frère. Ses poings se sont serrés sur les accotoirs, son front s'est plissé. Ingvar nous a tourné le dos et les gardes l'ont conduit sans ménagement vers la sortie. Un tic nerveux a contracté la bouche de mon frère, son cou s'est tendu vers la porte et j'ai vu ses jointures blanchir de tant se crisper sur son siège. Intérieurement, je priais. Non, il ne devait pas céder, il ne devait pas reprendre la parole, ne pas réagir à la provocation d'Ingvar …

– Attendez.

Pourquoi ? Ne venait-il pas de dire qu'on ne pouvait faire confiance aux propos d'Ingvar ?

– Mon frère, je ne pense pas que ce soit une bonne id …

– Tais-toi, Hideki.

Indigné, je l'ai fixé : comment osait-il me parler de la sorte ? Comment osait-il rappeler le mage qui avait détruit la vie de Chii ? Je ne pouvais pas le tolérer, mais je ne savais pas comment répliquer. Si nous avions été seuls, je l'aurais saisi par le col, mais je ne pouvais pas commettre un tel affront en public. Je devais me défendre avec des mots, mais ceux-ci ne sortaient pas de ma bouche. Clef a adressé un regard désapprobateur au roi aîné, mais il n'est pas intervenu. Il avait conscience que si mon frère m'avait intimé de garder le silence, cet ordre valait aussi pour lui. Mon frère s'est tourné vers Ingvar :

– De quelle menace parles-tu ?

Le mage n'a pas répondu immédiatement. Ses yeux verts, que j'aurais pu trouver beaux s'ils avaient appartenu à quelqu'un d'autre, ne m'inspiraient que dégoût : leur pâleur aqueuse, leur froideur inexpressive, leur impassibilité m'insupportait. Finalement, d'une voix grave où je n'ai perçu aucune oscillation, Ingvar a déclaré :

– Je parle de la menace que représentent les princes jumeaux, fils du roi cadet, votre altesse. Ces enfants portent une magie trop puissante, une magie maudite et d'ici peu, des fléaux vont s'abattre sur notre pays.

– Quoi ? Comment oses-tu inventer pareille ignominie ?

– Je ne mens pas.

– Si c'est vrai, comment le saurais-tu ?

– C'est ce que m'ont laissé entrevoir les dieux lors de ma dernière prière ; j'ai toujours eu des dons de divination, vous le savez bien. Prenez garde, votre altesse, ces enfants détruiront Valeria.

Pourquoi avais-je l'horrible impression qu'il était sincère ? Pourquoi son intonation, son corps, ses mouvements ne traduisaient-ils aucune hésitation ? Il avait regardé mon frère droit dans les yeux tout au long de l'échange et ses mains étaient restées le long de son corps, sans tressaillir … Il avait énoncé sa mise en garde d'une voix parfaitement calme, comme s'il était intimement persuadé de la véracité de ses propos. Des sueurs ont coulé dans mon dos et je me suis écrié, hors de moi :

– Comment oses-tu prononcer de telles horreurs ? Nous savons très bien que le pouvoir de ces enfants t'intéresse, tout comme tu as convoité ceux de la reine cadette ! Tu es en train de nous mentir pour servir tes intérêts !

Pourquoi n'étais-je qu'à moitié convaincu de mes paroles ? Ingvar m'a adressé un regard condescendant.

– Si ces enfants m'intéressaient réellement, les calomnierais-je devant vous ? Ce que vous dîtes n'a pas de sens, votre majesté.

– Comment oses-tu t'adresser à moi ainsi ?...

– Que pense le roi aîné de tout cela ?

Je me suis tourné vers mon frère, scandalisé. Pourquoi n'intervenait-il pas ? Comment pouvait-il laisser cet homme m'insulter et insulter par là-même toute la famille royale ? Il avait gardé le silence, un frémissement agitait ses pupilles, des gouttes de sueurs dégoulinaient le long de son cou et ses doigts broyaient les accotoirs. Il a longuement observé Ingvar et je devinais que dans son esprit, le démon du doute le tenaillait. Toutefois, au bout d'une longue minute, mon frère a esquissé un geste en direction des mages et des soldats.

– Emmenez-le.

Sur le visage d'Ingvar s'est dessinée une expression de dédain mêlée de fatalisme, mais il n'a opposé aucune résistance à son escorte. Dès qu'il a eu disparu, je me suis retourné vers mon frère, encore suffisamment remonté pour m'exclamer :

– Tu ne vas pas me dire que tu crois un mot de ce qu'il vient de nous raconter ?

Mon frère a lentement relevé la tête et nous nous sommes dévisagés sans dire un mot. La rage m'habitait tout entier, et je voyais bien que des émotions contradictoires perturbaient aussi mon frère, mais contrairement à moi, il savait les dissimuler. Il avait toujours eu le don de masquer ses émotions, et en cet instant, j'aurais été incapable de savoir à quoi il pensait.

– Bien-sûr que non. Je n'ai accordé aucun crédit à ses paroles.

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Ingvar a été reconnu coupable de double meurtre et emprisonné dans la cellule la plus sécurisée du palais de Valeria en attendant d'être exécuté. Soulagée de cette décision, je me suis peu à peu détendue. Avec Hideki, nous étions rassurés de savoir que ce magicien n'approcherait pas nos enfants et nous pensions être débarrassés de lui pour toujours.

Peu de temps après cependant, un étrange phénomène s'est produit.

C'était au cours d'une nuit tiède d'été. Alors que nous dormions d'un profond sommeil, leurs cris simultanés de nos deux fils nous ont réveillés en sursaut. Je me suis redressée d'un bond dans notre lit et j'ai échangé un regard alarmé avec Hideki, puis j'ai rejeté les draps et je suis passée dans la pièce adjacente. Fye et Yuui, assis dans leur lit, pleuraient de concert, pourtant tout autour d'eux paraissait normal. Un cauchemar ? Je me suis agenouillée auprès de Fye, préoccupée :

Fye ? Fye, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Que s'est-il passé ?

De ses petites mains encore potelées, il a essuyé les larmes qui coulaient sur ses joues et a bégayé :

J'ai mal … là … et là aussi …

J'ai immédiatement tâté toutes les parties de son corps qu'il me désignait, mais je ne détectais aucune blessure. Une douleur interne ? Dans les bras d'Hideki, Yuui a balbutié entre deux sanglots :

J'ai senti un grand boum … et puis j'ai eu mal, là, dans le ventre … Fye a dit qu'il sentait pareil …

Plutôt que le ventre, Yuui désignait son cœur et j'ai soudain eu très peur. Je me suis levée pour l'examiner et à cet instant, un frisson a parcouru mon dos.

Chii ? Chii, qu'est-ce qu'il y a ? m'a demandé Hideki, qui avait immédiatement perçu ma tension.

Je sens des traces d'aura.

Quoi ?

Une sorte d'empreinte … qu'un magicien aurait laissée dans son sillage. Quelqu'un est entré ici.

C'est impossible, on n'accède à cette chambre qu'en passant par la nôtre, nous l'aurions forcément entendu !

Je me suis approchée de la fenêtre et j'ai tiré sur l'un des battants : il était entrebâillé.

Le loquet est intact, a constaté Hideki. La serrure n'a pas été forcée …

L'œuvre d'un sortilège, sans doute.

Mais la fenêtre ne donne sur aucun balcon ! À cet étage, nous nous trouvons bien à vingt mètres du sol, comment quelqu'un aurait pu grimper jusque-là ?

Si c'est un bon magicien, c'est faisable.

Qui aurait fait ça ?

Je me suis mordue la lèvre, inquiète : Ingvar avait été arrêté depuis une semaine déjà, et il était surveillé nuit et jour par dix mages expérimentés. Nous savions qu'il était impossible qu'il ait pu s'évader, et un kekkai entourait sa prison, l'empêchant d'émettre le moindre sortilège vers l'extérieur.

Je ne sais pas, mais ça ne me plaît pas. Nous devons être sur nos gardes.

Hideki m'a tendu Yuui.

Je vais chercher un médecin pour nous assurer que tout va bien.

D'accord.

Le docteur qui s'est présenté a méticuleusement examiné nos enfants, mais il n'a détecté aucune blessure, aucune trace de coups ou de mauvais traitements, pas plus que de maladie. À moitié rassurés, nous l'avons congédié et pris chacun un de nos fils dans nos bras. Tandis que nous les bercions pour qu'ils se rassurent, Hideki a soufflé :

Tu sens quelque chose d'anormal sur eux ?

Non … non, rien du tout. Juste … leur magie. Je ne l'avais encore jamais sentie avec cette intensité.

Le lendemain, nous avons averti le roi aîné d'une possible intrusion et nous avons demandé à Clef d'inspecter la chambre de Fye et Yuui, au cas où il parviendrait à nous donner plus d'informations sur l'étrange aura que j'avais détectée. Après une demi-heure de vérifications, Clef est venu nous rejoindre.

J'ai passé au crible toute la pièce, vos altesses, et je dois dire que je suis étonné : je ne sens rien, dans cette chambre, à part le pouvoir de vos fils.

Nous avons échangé un regard stupéfait.

Vous êtes sûrs ? ai-je demandé, septique.

Catégorique, votre majesté.

Pourtant, est intervenu Hideki, ma femme m'a clairement dit qu'elle avait senti un pouvoir étrange dans cette chambre et la fenêtre était entrouverte quand nous sommes entrés. L'aura aurait-elle pu se dissiper ?

Oui, mais d'après ce que vous m'avez dit, l'incident a eu lieu vers quatre heures du matin, il y a donc trois heures et demi. Si un mage avait pénétré dans la chambre de vos enfants, mon expérience m'aurait forcément permis de le détecter, même après ce laps de temps.

Est-ce que je me serais trompée ? ai-je dit en fronçant les sourcils.

Puis-je voir les princes jumeaux, vos altesses ?

Oui … oui, bien-sûr, ai-je acquiescé.

Clef s'est approché du tapis où Fye et Yuui jouaient. Il s'est agenouillé près d'eux et a dit d'une voix rassurante :

Je voudrais vérifier quelques petites choses avec vos pouvoirs magiques, vous voulez bien ? Ce ne sera pas long et vous ne sentirez rien.

Fye et Yuui ont échangé un regard puis ont hoché la tête. Clef a posé la main sur leur tête, puis a entamé une incantation qui ne nous est parvenue que par bribes. Des flammèches blanches se sont élevées de ses doigts, ont enveloppé le corps de nos fils. Nous l'avons observé enchaîner les incantations en silence. Au bout d'une dizaine de minutes, Clef s'est redressé et a déclaré :

C'est vraiment très étrange …

Quoi ? me suis-je exclamé. Qu'avez-vous trouvé ?

Les pouvoirs de vos fils ont gagné en intensité. Cet accroissement a dû se produire d'un seul coup, probablement cette nuit. Cela a dû être un choc pour des êtres aussi petits, ce qui explique les douleurs qu'ils ont ressenties. C'est sans doute pour cela qu'ils se sont réveillés.

Mais … et la fenêtre ? ai-je répliqué.

En se déployant, la magie de vos fils a pu créer une vague d'énergie, modérée, certes, mais suffisamment forte pour ouvrir une fenêtre.

Vous êtes en train de nous dire que c'est la puissance de nos fils qui a causé tout cela, et non un magicien ? a compris Hideki.

En effet. Cela expliquerait pourquoi je ne sens pas d'autre aura que la leur dans la chambre. Cependant, je dois avouer que tout cela m'inquiète.

Comment cela ? ai-je demandé.

Le pouvoir de ces garçons a quadruplé depuis leur naissance, et ils n'ont que deux ans. Chi-sama, cela s'est-il passé de la même manière pour vous lorsque vous étiez bébé ?

Je … je l'ignore. Ma mère ne m'a jamais parlé de ce genre de détails.

À quel âge avez-vous découvert vos pouvoirs ?

Vers trois ou quatre ans, il me semble.

Dans ce cas, je peux d'ores et déjà vous avertir que vos enfants seront plus puissants que vous.

J'ai cillé et le visage de Freya s'est imposée à moi : je me rappelais qu'avant de mourir, ma sœur m'avait transféré l'intégralité de ses pouvoirs. Avais-je transmis toute cette puissance à Fye et Yuui ? Si c'était bien le cas, cela signifiait qu'ils avaient hérité de la magie de deux personnes, et non pas d'une. Une magie offerte par le plus puissant de nos dieux. J'en ai frémi et d'une voix blême, j'ai demandé à Clef :

Est-ce que … est-ce qu'une telle quantité de magie est dangereuse pour eux ?

Ça pourrait l'être s'ils ne parviennent pas à la contrôler, mais pour l'instant, je ne crois pas. Reste à savoir si cela peut l'être pour leur entourage.

Hideki a froncé les sourcils et j'ai tout de suite su qu'il pensait aux mots qu'avait prononcés Ingvar, le jour de son arrestation. Moi, j'étais persuadée que tout cela était faux, et je savais par expérience que la magie n'est pas dangereuse tant que l'on ne s'en sert pas. Fye et Yuui n'étaient encore que des tous petits enfants, ils ne pouvaient nuire à personne. Tout du moins, c'est ce que je croyais en cet instant.

Comme nous l'avait assuré Clef, Fye et Yuui ont continué de jouir d'une excellente santé. Aucun autre évènement inquiétant n'a eu lieu dans les jours qui ont suivi, et nous avons fini par croire que c'était bien leur magie que j'avais perçue, cette nuit-là. Nous avons donc cessé de nous inquiéter et nous avons repris le cours d'une vie normale.

L'accroissement des pouvoirs de nos fils ainsi que leur bonne maîtrise du langage ont convaincu Clef de commencer à leur enseigner les bases de la magie. Lorsqu'il nous a proposé de débuter leur éducation, je me suis d'abord montrée hésitante : à deux ans, n'étaient-ils pas un peu jeunes ? Clef m'affirmait au contraire que c'était le meilleur moment pour commencer, et j'ai fini par céder.

J'ignore si Clef a tenté, par cette prévenance, de contenir les pouvoirs de nos fils ou bien de leur apprendre à en user correctement, mais il s'est toujours montré respectueux et patient avec eux. Comme je m'y attendais, Fye et Yuui n'ont eu aucun mal à mémoriser les rudiments que Clef leur inculquait, parfois même ils devançaient ses attentes. Si le petit mage blanc leur accordait beaucoup de temps, le roi aîné manifestait moins d'intérêt pour ses neveux : il ne venait que rarement les voir et ne demandait de leurs nouvelles que par politesse. J'attribuais cette froideur à un double sentiment : le roi savait que nos enfants avaient hérité de ma magie et qu'une fois adultes, ils seraient plus forts que lui. Cette certitude le rendait sans doute méfiant à leur encontre, toutefois, je pense aussi qu'il essayait de mesurer jusqu'à quel point il pourrait utiliser leurs pouvoirs à son avantage. Le risque qu'il tente de les manipuler comme il avait essayé de me contrôler était réel et je prenais toujours garde à ce qu'il ne vienne jamais les voir sans la présence d'un tiers. J'avais remarqué qu'il demandait parfois à Clef de lui résumer les dernières leçons qu'il leur avait dispensées, probablement pour estimer s'ils commençaient à représenter un danger pour lui ou s'il était toujours en mesure de tirer parti de leur magie. Je préférais donc qu'il se montre indifférent face à mes enfants plutôt que de le voir tourner trop près d'eux. Car au fond de moi, et sans que je ne m'explique pourquoi, je conservais la crainte tenace de ne pas être en mesure de les protéger face au danger.