Bonjour à tous !

J'espère que vous allez bien :) J'ai un peu tardé pour cette actualisation, je vous prie de m'en excuser. J'espère que la suite vous plaira, aujourd'hui, nos héros vont avoir droit à un petit moment de détente !

Bonne lecture :)


Chapitre 26 - Patins à glace

Le lendemain, le temps s'était gâté et la neige avait recommencé à tomber. Sakura et Shaolan s'éloignèrent pour leur entraînement matinal, tandis que Kurogane demeurait près du feu en compagnie de Mokona, de Fye, d'Hideki et de Chii. Le ninja avait espéré que l'indifférence du roi cadet à son encontre ne serait que passagère, mais il constata qu'il continuait de l'éviter. Cela commençait à l'énerver d'autant plus fortement qu'il ignorait toujours le motif de sa froideur. En revanche, Hideki se montrait de plus en plus à l'aise avec son fils, et cela était réciproque : Fye perdait peu à peu ses réserves, devenait plus loquace, et pendant le petit-déjeuner, la conversation roula sur des thèmes légers, propices à rapprocher les parents et le fils. Kurogane guettait du coin de l'œil son compagnon : Fye lui avait promis une revanche, mais il n'osa pas l'interrompre. Il craignait de passer pour un malpoli et d'aggraver l'inimitié qu'Hideki nourrissait à son égard. Les minutes défilèrent, tant et si bien que lorsque le gamin et la princesse reparurent, ils n'avaient pas commencé l'ombre d'un combat.

– Ah, Shaolan-kun, Sakura-chan, vous êtes revenus ! s'exclama le mage. C'est parfait, on pouvoir lever le camp !

Il se mit sur ses pieds et entreprit d'aider ses parents à démonter leur tente, tout en poursuivant la conversation qu'ils avaient entamée. Kurogane haussa les sourcils : Fye aurait-il … oublié leur duel ? Ce n'était pourtant pas son genre, ça allait forcément lui revenir. Mais à mesure que le ninja l'observait déboîter les perches de la yourte puis charger leurs montures, il dut se rendre à l'évidence : le mage avait bel et bien oublié leur revanche. En contrepartie, il paraissait beaucoup plus à l'aise avec ses parents ; des liens commençaient à se tisser entre eux pour construire une nouvelle relation. Le ninja savait que cette évolution aurait dû le rendre heureux, alors pourquoi avait-il l'impression que qu'un vide noir déteignait sur son cœur ? Et d'abord, pourquoi ce sentiment le dérangeait-il ? Lorsqu'il servait Tomoyo, il était habitué à la solitude et il s'en accommodait sans problème. Il jeta un œil à Shaolan et Sakura, qui roulaient le treillage de leur yourte en s'échangeant des regards complices. Bizarrement, leur connivence l'agaça plus encore. Bon sang, que lui arrivait-il ? Avait-il tant changé que l'attitude de ses compagnons pouvait influer sur son humeur ? Ridicule. Il tenait à eux, mais pas au point d'être dépendant de leur présence. Dans ce cas, pourquoi voir Fye sourire à ses parents, sans lui prêter attention, l'irritait-il à ce point ? Ces derniers temps, il n'avait souhaité qu'une chose, voir le mage se détendre et relativiser le poids de son passé. À présent que le blond y arrivait enfin, il ne parvenait pas à s'en réjouir ; décidement, il ne savait pas ce qu'il voulait. Ou peut-être était-il plus égoïste qu'il ne le croyait. À cette pensée, une vague de honte l'envahit. Fye ne lui appartenait pas, il pouvait bien faire ce dont il avait envie, et passer tout son temps avec ses parents si cela lui chantait. De toute manière, pourquoi s'inquièterait-il ? Les anciens souverains et son compagnon étaient liés par le sang, mais lui aussi avait partagé son sang avec le mage. Personne ne le connaissait mieux que lui, il en était convaincu. Cependant, Fye se sentait si bien avec les anciens souverains qu'il en avait oublié leur revanche, et sous ses pieds, Kurogane avait l'impression que le sol tanguait. Se trompait-il ? Exagérait-il l'importance qu'il revêtait aux yeux de son compagnon ? Aux yeux de l'ensemble de ses amis ? Il commençait à se le demander.

La matinée lui parut interminable. Le mage et ses parents continuaient de discuter en tête de convoi, tandis que la princesse et le gamin bavassaient en bout de ligne. Au milieu de ces deux extrémités, Kurogane broyait du noir. Quand une forme souple sauta sur son cheval, il ne se retourna pas. Mokona, déterminé, s'agrippa à son manteau, gravit son grand dos comme un mur d'escalade et vint se poster sur son épaule comme sur le faîte d'une montagne.

– Kuro-pi …

– Qu'est-ce que tu veux, la brioche ?

– Pourquoi Kuro-pon est triste ?

– Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne suis pas triste.

– Si, tu es triste. C'est parce que Fye passe beaucoup de temps avec son papa et sa maman ?

– Qu'est-ce ça peut me faire ? Au contraire, je suis très content qu'il renoue avec eux.

– Alors, pourquoi tu n'as pas l'air heureux ? Parce que Shaolan et Sakura ne t'ont pas demandé d'aide pour l'entraînement ?

– Je m'en fiche.

Kurogane fronça les sourcils : depuis tout ce temps, il pensait sa place acquise au sein de leur groupe, mais il suffisait de quelques petits bouleversements pour la voir remise en cause. Au fond, peut-être était-il en partie responsable de cet état des choses. Peut-être s'était-il trop endormi sur ses lauriers, en pensant que les sacrifices auxquels il avait consenti et les combats qu'il avait menés suffisaient à prouver sa valeur. Le manjuu sauta devant lui et s'assit sur le dos de son cheval.

– Mokona aime beaucoup Kurogane, parce que Kurogane est fort, même quand les choses ne vont pas bien.

Le ninja cilla.

– Alors, quand les choses vont plutôt bien, comme maintenant, Mokona pense que Kurogane aussi a le droit d'être heureux.

Le ninja se renfrogna. C'était plus facile à dire qu'à faire, mais il éprouvait une certaine gratitude envers le manjuu. La bestiole passa le reste de la matinée en sa compagnie, et pour une fois, le guerrier fut presque content de l'écouter se vanter à propos de ses 108 techniques secrètes.

La tempête se leva dans l'après-midi, coupant court à toutes les conversations. Sous le vent hurlant du nord, Fye dut redoubler d'efforts pour détecter la magie d'Ingvar. Quand ils firent enfin halte pour la nuit, leurs montures tenaient à peine sur leurs jambes et ils ne valaient guère mieux. Ils dînèrent dans le calme. Si Kurogane nota qu'Hideki se montrait toujours aussi indifférent à son égard, personne ne parla beaucoup ce soir-là. Les anciens souverains et les gamins allèrent se coucher tôt, laissant seuls le ninja et le mage face au feu de camp. Fye fixait les flammes d'un air pensif et Kurogane se demanda s'il s'était souvenu de leur revanche. Le blond finit par remarquer son regard insistant.

– Ça va, Kuro-chan ? Tu es bizarre, ce soir.

C'est de ta faute, eut envie de répondre le ninja, mais il se retint. Cependant, les mots qui sortirent de sa bouche ne furent guère plus amènes.

– Et toi, t'as une tête de déterré. C'est le temps pourri de cet aprèm qui t'a claqué ?

Il ne voulait pas donner cette intonation agressive à sa voix. Il voyait bien que Fye était épuisé et que le moment était peu propice à une discussion, pourtant, il n'avait pas pu s'en empêcher. Le mage le fixa : il avait deviné que quelque chose n'allait pas. En fait, plusieurs choses n'allaient pas, mais Kurogane était bien trop fier pour se l'avouer ; déballer ses émotions, exprimer son ressenti, tout ça n'avait jamais été son truc. Le regard de Fye se perdit dans le vague, puis il dit d'une voix lasse :

– C'est vrai, la tempête m'a fatigué, mais je suis surtout soucieux. Cela fait plusieurs jours que je n'arrête pas de penser à ces gens qui se sont fait voler leur âme. Qu'Ingvar, si c'est bien lui, soit capable de lancer un sortilège d'une telle ampleur m'inquiète. Et puis, on ne sait toujours pas si ceux qui ont perdu leur âme l'ont fait volontairement ou non. Si ce ne sont que des victimes, avons-nous vraiment le droit de les tuer en cas d'attaque ? Je sais que nous ne ferions que nous défendre, mais j'en ai la chair de poule rien que d'y penser.

Fye avait replié ses genoux contre sa poitrine et les avait entourés de ses bras. Il observait le feu, mais dans ses pupilles dansaient une ronde de doutes. Kurogane jura intérieurement : il n'était qu'un idiot. Il avait passé la journée à se lamenter sur son sort, pendant que Fye, comme toujours, pensait d'abord aux autres. Pour sa plus grande honte, le dilemme moral auquel réfléchissait son compagnon ne lui avait même pas effleuré l'esprit : pour lui, si l'on s'en prenait à sa vie ou à celle de ses amis, il tuerait sans états d'âme. Toutefois, Fye avait raison : si ces soldats étaient victimes d'un sortilège, ils ne pouvaient pas les massacrer sans sourciller.

– Il n'y a pas de bonne réponse à cette question. Si la situation se présente, il faudra aviser le moment venu.

– Oui, je sais. Mais lorsque je me dis que cet homme se sert peut-être d'innocents, ça me retourne l'estomac.

Kurogane aurait donné n'importe quoi pour effacer l'angoisse qui creusait les traits de Fye. L'énervement qu'il avait éprouvé au cours de la journée retomba d'un seul coup et il se traita encore une fois d'imbécile. Il avait eu la sensation que Fye allait bien, entouré de l'amour de ses parents, mais derrière ses sourires, derrière son aisance apparente, le magicien pensait à l'ennemi qu'ils allaient devoir affronter. La revanche qu'il lui avait promise n'était qu'une broutille comparée à ce qui les attendait, ce n'était pas étonnant qu'il l'ait oubliée. Kurogane releva la tête, s'apprêta à dire quelque chose … et se figea. Un bras appuyé sur l'un de leur coffre de voyage, la tête posée dessus, Fye s'était endormi. Son dos se soulevait à un rythme régulier et ses cheveux s'éparpillaient autour de son visage clair. Kurogane demeura bouche bée : en deux ans de voyage, il n'avait jamais vu son compagnon tomber aussi vite. Ce crétin ne se rendait-il pas compte qu'il pouvait mourir de froid, à s'écrouler à l'extérieur de leur tente ? Ou bien, avait-il suffisamment confiance en lui pour sombrer dans le sommeil tout en sachant qu'il ne le laisserait pas dehors ? Cette pensée réchauffa un peu l'âme de Kurogane et il se mit sur ses pieds. Après avoir éteint le feu, il souleva le mage d'un bras, le cala contre lui, puis il rentra dans la yourte. Avec précaution, il étendit son compagnon sur sa couche et tira une couverture sur lui. Toutefois, au moment où il se redressait, une main agrippa son poignet. Il tressaillit : dans la pénombre, il ne discernait pas les traits de Fye, mais les longs doigts du magicien sur sa peau lui donnèrent des frissons.

– Pardon, Kuro-chan. J'ai oublié notre revanche, ce matin.

Kurogane cilla. Il était vraiment le dernier des idiots. Il eut un sourire, un vrai, un de ceux qu'il n'aurait jamais osé esquisser en public, mais que l'obscurité masqua.

– T'inquiète. On peut reporter ça à plus tard.

Il eut l'impression que Fye souriait, lui aussi. Les doigts se délièrent autour de son poignet, glissèrent lentement le long de sa peau. Kurogane devinait les contours du corps de Fye, et brusquement, il eut envie de se rapprocher de lui. Il posa un genou à terre, inclina son buste vers le magicien. Il ne savait pas très bien ce qu'il faisait, ni ce qu'il désirait vraiment. Il aurait voulu s'excuser auprès de Fye d'avoir pensé qu'il pouvait l'oublier, d'avoir été si égoïste, et peut-être, aussi, lui faire comprendre à quel point il comptait pour lui … mais il ne savait pas comment formuler tout cela, il avait toujours été maladroit. Il se pencha un peu plus, et soudain, il se figea : la respiration de Fye était redevenue régulière. Ce crétin s'était rendormi. Kurogane percevait la tiédeur de son souffle sur son cou, sentait le parfum de ses cheveux, s'imaginait ses yeux clos et ses lèvres légèrement entrouvertes. Il se redressa, à regret, et se rendit compte que son cœur battait sourdement dans sa poitrine. Il alla s'étendre sur sa propre couche, troublé. Même dans l'obscurité, il décelait le qi de Fye à quelques mètres de lui, et son aura insaisissable. Le mage comptait énormément à ses yeux, il l'avait toujours su, mais quel était cet étrange sentiment d'attraction qu'il venait d'éprouver ? Que pensait-il faire au juste si Fye était resté éveillé ? Il s'étonna des pensées qui traversèrent son esprit et ses joues émirent une chaleur suspecte. Bon sang ! Il avait toujours su garder le contrôle de lui-même en toutes circonstances, alors pourquoi, dès qu'il s'agissait de Fye, il avait l'impression de perdre ses repères ? Il se tourna sur le côté, remonta sa couverture sur ses épaules et ferma les yeux. Cependant, cela n'empêcha pas le sourire qui étirait ses lèvres d'y rester accroché.

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Chaque matin, Fye redéfinissait leur itinéraire pour demeurer dans le sillage de la magie d'Ingvar. Ils avaient d'abord mis le cap vers le nord, puis ils bifurquèrent vers l'ouest et prirent de l'altitude. Plus les jours passaient, plus le froid s'exacerbait et plus la végétation se raréfiait. La nuit, Fye protégeait leurs montures grâce à un sortilège. Ils avaient abandonné les forêts de conifères pour s'aventurer dans une vallée dépeuplée, où les rares arbustes qui poussaient encore grelottaient sous le hurlement du blizzard. Telles des ermites, les montagnes émaciées méditaient de part et d'autre de ce paysage désolé, formant un corridor de sentinelles qui se succédaient à l'infini. Elles éveillaient chez les voyageurs un sentiment de fascination mêlée de crainte, une admiration devant leur beauté sublime qui rappelait aux hommes la fragilité de leur existence. L'air charriait une odeur de pierre et de flocons, comme si toutes les senteurs de la vie avaient été balayées par le vent.

Un matin, ils constatèrent que la surface du loch qu'ils suivaient commençait à se cristalliser. Quatre jours plus tard, le fleuve avait été entièrement pris par les glaces. Les dernières nuits avaient été polaires ; aux dires de Mokona, ils étaient passés sous la barre des – 30°C.

– Comment tu peux le savoir, la brioche ?

– Parce que c'est l'une des 108 techniques secrète de Mokona : le thermomètre instantané !

– Tu nous l'avais encore jamais faite, celle-là …

– En tout cas, c'est une très bonne nouvelle ! s'exclama Fye. Avec tout ce froid, le loch doit être gelé sur au moins trente centimètres d'épaisseur, on va pouvoir faire du patin !

Shaolan et Sakura lui adressèrent un regard interrogatif, tandis que Kurogane l'observait d'un air suspicieux. Le ninja ne savait pas exactement ce qu'était ce « patin », mais le mage avait l'air d'un gosse auquel on aurait proposé le meilleur des jeux, et quand il arborait cette tête d'idiot, c'est que l'activité en question risquait de ne pas lui plaire.

– Du patin ?

– Oui, Kuro-chan, du patin à glace ! Cela consiste à placer des lames métalliques sous tes chaussures pour pouvoir glisser sur une surface gelée. On en faisait beaucoup à Sélès, tu vas voir, c'est divertissant.

– Je ne sais pas pourquoi, mais je ne le sens pas.

– Ce que tu peux être grognon !

– Ça a l'air très amusant ! déclara Sakura. À Clow, il ne neige jamais, alors j'ai très envie d'essayer !

– Moi aussi, renchérit Shaolan. Mais comment va-t-on fabriquer les patins ?

– Mokona peut aider ! Mokona va appeler Watanuki !

Aussitôt dit, aussitôt fait : la perle rouge qui ornait le front du manjuu s'activa et la silhouette de l'adolescent se stabilisa face à eux. Watanuki portait un kimono léger et était affalé dans un fauteuil en rotin sur la terrasse de la boutique. Un sourire éclaira son visage quand il les reconnut.

– Oh, bonjour ! Je suis content d'avoir de vos nouvelles, cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus. J'imagine que vous étiez heureux de retrouver Sakura ?

– Oui, très ! confirma Mokona. On a fait un dîner bien arrosé pour fêter ça !

– Je vois, acquiesça le jeune homme avec un sourire entendu.

– Merci à toi de lui avoir permis de voyager entre les dimensions, dit Shaolan.

– Je n'ai fait qu'accorder un vœu en échange d'une rétribution. C'est mon travail.

– Justement, c'est pour un vœu, ou plutôt une demande que nous te contactons, dit Fye. Te serait-il possible de nous procurer des patins à glace ? J'en ai aperçu une fois dans un monde semblable au tien, ils sont très performants.

À cet instant, ils entendirent des pas derrière Watanuki et la silhouette de Dômeki entra dans leur champ de vision. Lorsqu'il reconnut les interlocuteurs de son compagnon, le jeune homme s'arrêta.

– Oh … yo, les salua-t-il. Ça faisait longtemps.

– Ah, Dômeki, tu tombes bien ! s'exclama Watanuki. Shaolan et ses amis ont une mission pour toi !

– Pour moi ? Je croyais que c'était toi qu'ils contactaient.

– Je te rappelle que je ne peux pas sortir d'ici, crétin !

– Qu'est-ce qu'ils veulent ?

– Des patins à glace.

– Des patins à glace ? Drôle de demande … vous êtes dans un pays froid ? demanda-t-il au groupe.

– Ouais, on se pèle du matin au soir, confirma Kurogane.

– Quelle chance ! se lamenta Watanuki. Qu'est-ce que je donnerais pour être à votre place !

– Crois-moi, déclara le ninja, dans cette tenue, tu tiendrais pas deux minutes ici.

– En tout cas, ça risque de ne pas être facile de répondre à votre demande, dit Dômeki. Chez nous, les températures frôlent les 38°C, ce n'est pas du tout la bonne saison pour trouver des patins.

– Dans un magasin de sport, tu dois bien pouvoir dénicher ça ? fit Watanuki.

– Qu'est-ce que t'en sais ? Tu t'y connais ?

– Non, je suppose.

– Donc tu supposes, mais c'est moi qui dois ressortir sous la cagne ?

– Il faut bien que tu serves à quelque chose.

– Bon, ok, j'y vais. Mais je te préviens, je veux que le dîner soit prêt quand je reviendrai. Je prends quelles pointures ? demanda-t-il au groupe en sortant un carnet de sa sacoche d'étudiant.

– Alors, commença Fye, du 42 pour Shaolan et moi, du 46 pour Kuropon …

– Hé ! J'ai jamais dit que je voulais utiliser vos trucs, moi !

– Arrête de ronchonner, je suis sûr que tu vas adorer, et … Sakura-chan, tu sais combien tu chausses ?

– Du 36 ! répondit fièrement la princesse.

– Parfait. Et, euh …

Le mage se tourna vers ses parents, hésitant.

– Est-ce que vous voulez patiner avec nous ?

– Qui sont ces gens ? demanda Watanuki, intrigué.

– Oh, pardon, j'ai oublié de te les présenter, dit Fye. Voici mes parents, Hideki Ier et Chii, anciens souverains cadets de Valeria.

À ces mots, les yeux de Watanuki s'écarquillèrent et il mit quelques secondes à intégrer la nouvelle. Puis, comme si un ressort implanté dans son siège avait soudain jailli sous ses fesses, il se leva d'un bond et inclina le buste vers les parents de Fye.

– Je suis très honoré de faire votre connaissance, vos altesses.

– Nous de même, répondit Hideki en le saluant de la tête, tandis que Chii l'imitait.

Watanuki se rassit en souriant, et Shaolan savait qu'il se réjouissait intérieurement pour Fye. Même si le disciple de Yuko ne connaissait pas tous les détails de l'histoire du magicien, il savait qu'il avait vécu une enfance difficile et rien ne le rendait plus heureux que de voir ceux qu'il appréciait trouver le bonheur. Rapidement, Shaolan lui résuma leur situation, la libération des parents de Fye, les âmes volées par Ingvar et leur voyage pour retrouver le mage malfaisant. Watanuki écouta avec sérieux, puis leur recommanda la prudence. Glissant sur un sujet moins grave, Fye réitéra sa proposition de patiner avec eux à ses parents. Chii et Hideki, peut-être par timidité, refusèrent poliment.

– En ce qui concerne la compensation …, reprit Watanuki.

– Que diriez-vous de deux bouteilles de whisky ? proposa Fye. Elles viennent de Tirmeíth, le pays voisin de celui où nous nous trouvons. Vous verrez, il est d'une excellente qualité, et c'est encore plus fort que du saké.

– Plus fort que du saké ? Mokona veut goûter ! sautilla le Mokona noir sur les genoux de son maître.

– Si ce n'est pas assez, nous pouvons ajouter du thé, déclara Shaolan.

– J'accepte les deux, les remercia Watanuki.

Dômeki quitta la boutique pour le magasin de sport le plus proche, laissant seul Watanuki avec les voyageurs. Il revint une demi-heure plus tard, chargé d'un cabas de courses contenant les patins commandés. Une fois la livraison effectuée grâce aux Mokonas, les cinq compagnons payèrent leur dû. Sitôt les bouteilles de whisky parvenues dans la boutique, Dômeki s'en empara.

– Je vais les ouvrir. Watanuki, cuisine-nous quelque chose pour accompagner ça.

– D'où tu me donnes des ordres ? Et où est-ce que tu vas comme ça ? Cette bouteille est ma compensation !

– Ouais, sauf que c'est moi qui ai fait les courses.

– Reviens ici !

– Mokona veut goûter le whisky ! Mokona veut goûter le whisky !

– Bon, lança Watanuki aux voyageurs, on vous laisse ! Profitez-bien du patinage, on se recontacte quand vous vous voulez !

– Ça marche ! acquiesça Shaolan.

Et la communication se coupa. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Shaolan et Sakura lacèrent leurs patins et s'engagèrent à pas prudents sur la glace. N'ayant jamais pratiqué ce sport ni l'un ni l'autre, ils tombèrent à de multiples reprises, mais comme le jour où ils avaient s'étaient mêlés à une danse populaire de Tirmeíth sans en connaître les pas, ils rirent de leur maladresse et essayèrent, encore et encore. Au bout de quelques minutes, Shaolan parvint à tenir en équilibre sur ses jambes et à se diriger convenablement. Sakura, derrière lui, glissait encore d'un pas hésitant.

– Ne regarde pas tes pieds ! lui lança le jeune homme. Regarde devant toi et fléchis légèrement les jambes !

La princesse suivit ses conseils, et bientôt, elle patina avec plus d'aisance.

– Ça y est, j'y arrive ! Shaolan, regarde, j'y arrive !

L'adolescent la rejoignit et lui tendit la main. La princesse la saisit et sentit son cœur s'accélérer. Ils décrivirent des cercles ensemble, jusqu'à ce qu'ils aperçoivent Mokona tout près d'eux, qui tourbillonnait comme une toupie.

– Moko-chan ! s'exclama Sakura. Tu peux patiner sans patins ?

– Eh oui ! C'est encore l'une des techniques secrètes de Mokona ! C'est parce qu'il a les pieds bien plats, ça glisse tout seul ! Youpii !

Le manjuu s'élança de plus en plus vite, suivi des adolescents. Sur la berge, Kurogane les observait avec un demi-sourire. Ces derniers temps, ils ne s'étaient pas beaucoup amusés, cette petite pause dans leur parcours ne pouvait que leur faire du bien. En fin de compte, le mage avait eu raison d'insister. Tout comme les gamins, son compagnon avait rapidement chaussé ses patins et s'était élancé sur la glace. Même si le ninja s'y attendait, il ne put qu'admirer sa technique : on aurait dit qu'il avait fait ça toute sa vie. Il glissait avec grâce et souplesse et s'aidait de ses bras qui donnaient de la stabilité à sa posture. Virage larges, virages serrés, patinage en avant, patinage en arrière, il exécutait tous les mouvements avec une facilité déconcertante. Mais quoiqu'il dise, Kurogane était résolu à ne pas mettre un pied sur cette maudite étendue de glace. La fluidité, la légèreté, ce n'était pas sa tasse de thé : il était plus à l'aise dans les activités supposant force et précision, où il était sûr d'avoir l'avantage. Non, il allait rester bien tranquillement sur le rivage, et quand ses compagnons se fatigueraient, ils reprendraient la route. À cet instant, Fye passa tout près de lui.

– Eh bien alors, Kuro-chan, tu n'es pas encore sur la glace ?

– J'ai dit que je ne viendrai pas.

– Allons, Dômeki s'est donné de la peine pour te trouver une paire de patin, tu ne vas pas gâcher son cadeau ?

– Mais j'ai jamais demandé à ce qu'on m'offre ces trucs, moi !

Au même moment, Shaolan et Sakura le hélèrent :

– Kurogane, dépêche-toi de nous rejoindre ! lui lança le gamin.

– Oui, tu vas voir ce n'est pas si difficile, même quand on n'en a jamais fait ! renchérit la princesse.

– Kuro-pi, vieeens ! ajouta Mokona. C'est pas drôle si on n'est pas tous ensemble !

Raah, pourquoi fallait-il qu'ils le regardent avec cet air suppliant ? Quand ils le prenaient par les sentiments, il finissait toujours par céder, et c'était précisément ce qui risquait de se produire. Et puis, après avoir passé cinq jours à se sentir mis à l'écart, le ninja ne pouvait pas dire que leur invitation le laissait indifférent. Mais non, pas moyen, il ne chausserait pas ces machins bizarres ! Il était persuadé qu'il ne parviendrait jamais à tenir en équilibre, et il ne voulait pas se ridiculiser devant tout le monde.

– Allons, tu n'as pas à avoir peur, même les petits qui n'avaient jamais patiné de leur vie y arrivent, lui glissa Fye en repassant à sa hauteur.

– Je n'ai pas peur !

– Si ça te rassure, je peux te tenir la main, comme l'a fait Shaolan avec Sakura, ajouta le mage avec un clin d'œil.

– Abruti ! s'écria le ninja en piquant un fard.

Fye rit, décrivit un nouveau cercle tandis qu'un sourire malicieux fleurissait sur ses lèvres.

– Ah, j'ai compris, Kuro-chan !

– Qu'est-ce que t'as compris ?

– Pourquoi tu n'oses pas nous rejoindre. Tu as vu combien j'étais doué et tu sais déjà que tu ne pourras pas me rattraper si nous faisons la course !

– Même avec ces bidules aux pieds, je suis sûr que je parviendrais à t'attraper.

– Ah oui, tu crois ?

– J'en suis sûr.

– Vraiment ?

– Vraiment !

– Alors, qu'est-ce que tu attends ? rit Fye s'éloignant à grandes enjambées.

Ah, c'était comme ça ? Ce crétin de mage le provoquait ? Puisque c'était ce qu'il voulait, il allait voir de quel bois il se chauffait ! Il enfila rapidement ses patins, fit trois fois le tour de sa cheville avec les lacets, les noua rapidement, puis s'aventura sur le loch gelé. La vache, c'est que ça glissait drôlement ! Lui qui se campait si fermement au sol quand il se trouvait sur terre, il avait l'impression d'avoir troqué ses jambes contre deux bâtons de bois. Sa stature de géant éloignait son centre de gravité du sol, ce qui ne l'aidait pas du tout à trouver son équilibre. Tout son corps s'était tendu et il n'arrivait pas à avancer. Sakura passa près de lui :

– Kurogane, plie légèrement les jambes et regarde devant toi pour garder ton équilibre !

Sans rire, c'était la princesse qui allait lui donner des leçons ? Il aurait vraiment tout vu ! Mais bon, il valait mieux tenter quelque chose, parce que là, il avait vraiment l'impression d'être un petit vieux au dos cassé. Il essaya de reproduire la posture de Sakura, qui s'appliqua à lui montrer ses gestes avec beaucoup de patience.

– Comme ça ?

– Oui, comme ça ! Et maintenant, appuie sur ta jambe la plus forte pour avancer, et ensuite, reporte ton poids sur l'autre jambe et appuie dessus pour continuer !

– Tu veux dire … que je me fends en avant, comme lorsque j'attaque avec mon sabre ?

– Euh … oui, c'est ça !

Perplexe, le ninja essaya d'appliquer ses conseils. À sa grande surprise, le mouvement vint plus vite qu'il ne l'espérait, et au bout de quelques foulées il se sentit plus à l'aise. Sakura et Shaolan le félicitèrent, et curieusement, leurs compliments lui firent plaisir. Il s'était toujours considéré plus expérimenté qu'eux dans tous les domaines et il pensait que s'il fallait enseigner quelque chose, ce serait toujours lui qui dirigerait la leçon. Mais il s'était trompé, il pouvait apprendre d'eux, et les adolescents, loin de le laisser de côté, étaient venus spontanément l'aider. Même s'ils étaient devenus plus proches l'un de l'autre, ils ne l'oubliaient pas, et cela réchauffa l'âme du ninja. Il releva la tête pour chercher Fye du regard, mais il ne le vit pas. Au même moment, une main lui toucha l'épaule et le mage le dépassa à vive allure.

– Touché, Kuro-chan ! C'est toi le chat !

Avec un sourire de loup, il s'élança derrière son compagnon. Il accéléra la cadence – finalement, il se débrouillait mieux qu'il ne le pensait – le regard fixé sur le dos du mage, et le prit en chasse. Le blond rit, le laissa se rapprocher, puis lui échappa à la dernière minute en effectuant un virage à angle droit. Le ninja manqua de s'écrouler, se rattrapa, et le jeu reprit. Les gamins ne tardèrent pas à se joindre à eux et tous se poursuivirent en riant.

Sur la berge, Chii s'était assise sur un rocher et contemplait les cinq amis, amusée. Son regard s'attarda un peu plus longtemps sur son fils et son cœur se serra. En tant que mère, elle aurait voulu que son sourire ne s'efface jamais. En tant qu'adulte, elle savait néanmoins que cela ne serait pas toujours possible, et qu'à un moment ou à un autre Fye devrait de nouveau risquer sa vie. Elle tentait de se rassurer en se répétant qu'il était capable de se défendre seul, désormais, et qu'il maîtrisait sa magie bien mieux qu'elle, mais cela ne suffisait pas à apaiser ses craintes. Alors, elle étouffait ses sentiments. Elle préférait voir son fils et ses amis heureux comme ils l'étaient en cet instant, comme si le danger n'existait pas, comme s'ils vivaient dans un éternel présent. Les regards qu'ils s'échangeaient, cette connaissance qu'ils possédaient des habitudes des autres, la façon dont se répartissaient les rôles au sein de leur groupe, tous ces petits détails que l'ancienne reine avait notés disaient à quel point les liens qu'avaient tissés ces cinq personnes étaient profonds. Hideki et elle n'avaient pas pu être là pour leur fils, mais Fye avait rencontré des compagnons précieux, et même si elle aurait souhaité que les choses se passent différemment, le voir s'amuser suffisait à réchauffer son cœur. Fye avait souffert, autant qu'elle avait souffert quand elle avait perdu Freya, peut-être même plus encore lorsqu'il était devenu l'instrument de Fei Wang Reed. Pourtant, il savait encore rire, s'enthousiasmer pour un rien. La présence de ses amis avait dû beaucoup influer sur son évolution, mais Chii était persuadée que son fils possédait une grande force intérieure, une résistance qu'elle n'avait pas. Aurait-elle seulement survécu au quart de ce qu'il avait vécu ? Elle en doutait. Elle avait la conviction que si l'un de ses compagnons était en danger, Fye saurait utiliser toutes ses ressources pour le protéger, et qu'il ne demeurerait pas paralysé comme elle l'avait été quand on l'avait privée de ses enfants. Oui, le petit garçon auquel elle avait donné le jour avait disparu, et même si elle le regrettait, elle admirait l'homme qu'il était devenu.

La petite princesse, qui était le chat, glissa et tomba à genoux sur la glace. Shaolan patina à toute vitesse vers elle.

– Sakura, ça va ?

Elle ne répondit pas immédiatement et Chii crut qu'elle s'était fait mal. Shaolan se pencha un peu plus vers elle, et à cet instant, la jeune fille releva la tête et toucha l'épaule de l'adolescent.

– C'est toi le chat !

Avant qu'il ne comprenne ce qui lui arrivait, Sakura s'était déjà remise sur pieds et avait filé à toute allure. Quand il reprit enfin ses esprits, il protesta :

– Eh, c'est de la triche ! J'ai eu peur pour toi, moi !

– La ruse n'est pas interdite, que je sache ! répliqua la jeune fille. C'est Fye qui m'a conseillé cette stratégie !

– Je me disais aussi que ce n'était pas son genre, marmonna Kurogane en jetant un regard noir au magicien. T'as pas honte d'enseigner tes tours de fourbes à la petite ?

Fye lui répondit par un sourire éloquent et Shaolan retroussa ses manches.

– Très bien, Fye, puisque c'est toi le coupable, c'est toi que je vais attraper en premier !

– Je vais t'aider, gamin ! renchérit Kurogane avec un sourire de loup.

– Ah non, Kuro-tan, tu ne peux pas faire ça ! Tu ne peux pas aider le chat, c'est contraire aux règles du jeu !

– Dans ce cas, on n'a qu'à rajouter une règle qui dit que le chat a le droit de recruter des mercenaires.

– Bien dit, Kurogane ! approuva Shaolan.

Et les deux compagnons fondirent sur le magicien, qui dut accélérer la cadence pour leur échapper. Chii eut un petit rire, puis leva la tête vers son mari et son sourire s'effaça à demi. Bras croisés, Hideki observait Fye et ses compagnons ; un pli de contrariété s'était formé au milieu de son front. Qu'arrivait-il à son époux ? L'ancienne reine suivit son regard et se rendit compte qu'Hideki ne fixait pas Fye, mais Kurogane. Et brusquement, elle comprit. L'air de rien, elle relança la conversation.

– Eh bien, mon chéri, que t'arrive-t-il ? Tu es maussade ?

– Moi ? Non, pas du tout.

– Ce n'est pas ce que dit ton visage.

Fye échappa à Shaolan qui dérapa et s'étala de tout son long sur le loch, mais Kurogane continua de poursuivre le mage. Chii cilla, et sans regarder son mari, déclara :

– Nous n'avons pas été là pour Fye quand il avait besoin de nous. C'est normal qu'il ait tissé des liens avec d'autres personnes et qu'il se soit constitué sa propre famille. Le contraire aurait été triste, tu ne crois pas ?

Hideki grogna, mais ne la contredit pas. Chii avait raison, il le savait bien, mais cela n'effaçait pas son amertume. Fye agissait de façon si naturelle avec ses amis … les sourires qu'il leur adressait n'étaient pas forcés, ses gestes n'étaient pas contenus, ses mots n'étaient pas soupesés. Il plaisantait avec eux sans crainte de les froisser, parce qu'il les connaissait, et qu'ils le connaissaient. Le visage qu'il arborait en leur compagnie n'était pas celui qu'il leur réservait, quand ils n'étaient que tous les trois, et ce changement faisait ressentir à l'ancien roi l'immense fossé qui le séparait de son fils. Toutefois, de tous les compagnons de Fye, c'était bien Kurogane qui l'agaçait le plus. Hideki ne savait pas l'expliquer, mais lorsqu'il voyait les deux hommes s'entraîner, lorsqu'il les observait discuter et se chamailler, il percevait une alchimie particulière entre eux, et cette sensation lui hérissait le poil. Trop de temps avait passé, et à présent, il n'était plus qu'un étranger aux yeux de Fye, un étranger beaucoup moins impressionnant que le ninja aux yeux rouges. Hideki soupira. Fye avait déjà réuni une famille autour de lui, une famille extraordinaire. Comment pouvait-il rivaliser face à des liens aussi forts ?