Hellooo !

J'espère que vous allez bien ! Me voici de retour avec la suite ! Aujourd'hui, Kurogane et Fye vont devoir s'expliquer ... et ce n'est pas gagné ! J'espère que ce chapitre vous plaira :)

Avertissement : même si cela est mentionné dans le résumé de la fic et qu'à ce niveau de l'histoire, vous avez dû comprendre la direction que prenait la relation Fye/Kurogane, je rappelle qu'il s'agit d'une attirance homme/homme. Je vous laisse donc libres de choisir si vous souhaitez continuer à lire cette histoire, mais vous êtes prévenus.

Bonne lecture à toutes et à tous !


Chapitre 34 - Paroles sincères

Fye sentit son pied glisser sur une pierre verglacée. Il partit en avant, se rattrapa in-extremis, puis poursuivit son ascension. Un brouillard languissant plongeait la forêt dans la torpeur, ensorcelait les arbres et faisait léviter leurs troncs. Sous ce chanci fantomatique, Valeria n'était plus qu'une nature morte. L'hiver engourdissait le vert profond des sapins et le brun ridé des écorces pour les transformer en un gris minéral qui les faisait ressembler à des statues de pierre. Plus le magicien prit de l'altitude, plus le froid pénétra ses vêtements jusqu'à sa chair. De la neige fondue roulait sur les branches des arbres et tombait goutte à goutte sur le sol, dans une cadence aussi régulière que le tic-tac d'une d'horloge. Hormis le bruit de ses pas, aucun son ne venait rompre le silence étouffé dans lequel il se mouvait.

Jusqu'où Kurogane s'était-il aventuré dans la montagne ? Plutôt que de suivre la pente douce qui évoquait vaguement un chemin, Fye grimpa le versant abrupt. Ses pieds s'enfoncèrent dans vingt centimètres de poudreuse qu'il dut soulever à chaque pas pour continuer sa route. Rapidement, son rythme cardiaque s'accéléra, mais il n'avait pas de temps à perdre. Il devait parler à Kurogane, il avait trop attendu, trop hésité au cours des jours passés. Il ne s'était pas rendu compte de l'animosité qui opposait son père au ninja, au plutôt, il n'avait pas voulu la voir. Il pensait pouvoir contrôler la situation, maintenir un statut quo entre les deux hommes, mais il s'était surestimé. À présent que cette dispute avait éclaté, il craignait de les perdre tous les deux, et rien qu'à l'idée que le ninja s'éloigne de lui, une douleur terrible lui traversait la poitrine.

Le souffle court, il parvint à une altitude où le terrain s'aplanissait, rendant plus facile sa progression. Il s'arrêta quelques secondes pour reprendre sa respiration et leva les yeux vers les cimes des sapins. Devait-il continuer ? Kurogane était-il allé s'isoler tout en haut de la montagne ? N'était-il pas plutôt déjà redescendu vers leur campement ? Avec ce brouillard, il auraient pu se croiser sans se voir. Fye secoua la tête : non, il aurait détecté sa présence et Kurogane la sienne. Bon sang, où était-il ?

Et soudain, il l'entendit. Un bruit sourd et répété, non loin de lui. Il tendit l'oreille et reconnut le son d'une lame s'abattant sur du bois. Il se remit en marche en plissant les yeux. Peu à peu, le bruit devint plus distinct, plus sec et plus mat. Il pressa le pas et à travers le brouillard cotonneux, il devina une silhouette : c'était bien Kurogane. Le ninja se tenait au pied d'un arbre mort dont le tronc s'était brisé en deux. La ramure s'était affaissée au sol tandis que la souche décharnée regardait vers le ciel, tout en serrant contre elle un linceul neigeux. Cet arbre était-il déjà mort avant l'arrivée du ninja, ou Kurogane l'avait-il abattu grâce à une attaque spéciale ? Fye n'aurait su le dire. Son compagnon s'acharnait sur le tronc pour le débiter en bûches, mais dès que Fye s'approcha, il s'immobilisa ; il avait perçu son qi. Kurogane pivota lentement vers lui et les deux hommes se dévisagèrent. Fye songea que les yeux rouges de son compagnon constituaient la seule tâche de couleur au milieu de ce monde de blancheur. C'était un rouge effrayant, au fond duquel il devinait tous les reproches que Kurogane avait envie de lui faire, mais aussi tous les doutes qui le conduisaient à se taire.

– Qu'est-ce que tu veux ?

– Qu'on parle.

– J'ai rien à te dire. Et toi non plus, d'ailleurs, t'as rien à me dire. Du moins, c'est l'impression que j'ai eue tout à l'heure.

Fye pinça les lèvres, mais ne se laissa pas démonter pas pour autant. Son compagnon avait reporté son attention sur le tronc et leva son sabre pour reprendre son travail. Le magicien fit un pas vers lui et tendit la main, mais d'un revers de bras, Kurogane le repoussa.

– Fous-moi la paix.

– Écoute, mon père, il …

– Je t'ai dit de me foutre la paix. J'ai pas envie d'entendre tes reproches.

– Je n'avais pas l'intention de t'en faire. Je voulais m'excuser, j'ai été maladroit avec toi. J'aurais dû …

– Je veux pas de ta pitié, t'entends ? Ok, je l'admets, je me suis comporté comme un con avec ton père. Ce n'est pas de sa faute s'il a été enfermé dans cette prison magique pendant vingt ans, ce n'est pas de sa faute s'il n'a pas pris une ride et qu'il retrouve un fils plus vieux que lui. Je me doute bien que rien de tout ça n'est facile à avaler et qu'il se pose des questions, mais je n'ai jamais demandé à ce qu'il me prenne en grippe. Il est toujours désagréable avec moi, sans que je n'en connaisse la raison. Mais au fond, je m'en fous de ce qu'il peut penser de moi. Je suis sorti de mes gonds parce qu'il s'est mis à parler de toi. Il m'a jugé, nous a jugés, sans rien savoir de ce qu'on a pu vivre. Il pense te connaître parce qu'il te côtoie depuis deux semaines, mais il se trompe. Il n'était pas là à Tokyo, ni à Célès, ni même la nuit derrière, face à ces insectes répugnants, il ne t'a pas vu frôler la mort à plusieurs reprises, il n'a pas ressenti cette colère qui m'a tordu les boyaux, alors … alors, il ne peut pas comprendre.

Kurogane détourna le regard. Fye le dévisagea en silence.

– Tu es fâché contre moi ? Parce que je n'ai pas su me protéger seul de cet insecte qui m'a attaqué, la nuit dernière ?

Les yeux du ninja s'écarquillèrent.

– Contre toi ? Contre toi ? J'ai cru que t'allais crever, étouffé par cette chose immonde, tout ça parce que j'étais incapable de t'aider ! S'il y a quelqu'un à blâmer dans cette histoire, c'est moi !

– Mais ma mère est intervenue, et je m'en suis sorti …

– Ouais, ta mère est intervenue, mais qu'est-ce qu'il se serait passé si elle n'avait pas été là ? Je n'arrivais pas à te faire recracher cette bestiole, tu ne respirais plus. Rien que de penser que t'aurais pu y passer, ça me colle la rage … parce que ça m'a fait prendre conscience que malgré tout ce qu'on a traversé, il y a encore des choses contre lesquelles je ne peux pas me battre. Parce que ça me rappelle que même les fois où j'ai réussi à te sauver, j'ai toujours reçu une aide extérieure. À Tokyo, de la part de la Sorcière des Dimensions et de Kamui, à Célès, de la part de Tomoyo … sans eux, j'aurais été incapable de faire quoi que ce soit !

– Tu te trompes, même sans eux, tu aurais agi !

– Mais pour quel résultat ? Qui te dit que ça aurait marché ? Ça fait deux ans qu'on a repris notre voyage avec Shaolan ; le petit s'est beaucoup amélioré en combat, et depuis que tu utilises à nouveau ta magie, tu es bien plus fort. Je l'ai senti, la nuit derrière, quand tu as balayé tous ces insectes d'un seul sortilège. Quant à Sakura, on a bien vu qu'elle pouvait se défendre toute seule maintenant. Mais moi, est-ce que j'ai progressé ? Non, et c'est bien pour ça que je n'ai pas su te protéger d'un misérable insecte !

Fye lui adressa un regard sévère.

– Tu n'es pas responsable de ma vie. Tu n'as pas à t'imposer de me protéger, ni à devenir plus fort pour moi.

– Qui te dit que je le fais par devoir ?

Kurogane le transperçait d'un regard intense, un regard face auquel Fye se sentait démuni. Le mage se mordit l'intérieur de la joue. Non, non, il ne devait pas céder à la faiblesse, se laisser à croire que Kurogane éprouvait les mêmes sentiments que ceux qu'il nourrissait à son égard. Admettre cette vérité revenait à faire peser le poids de son existence sur Kurogane, à accepter que son compagnon se mette en danger pour lui, à courir le risque de le perdre. Pourtant, lui laisser la liberté d'agir à sa guise, même si cela l'effrayait, n'était-ce pas la meilleure preuve d'amour qu'il pouvait lui offrir ?

– J'ai choisi de continuer à vivre malgré mon passé, c'est à moi d'en assumer les conséquences. Depuis que nous sommes arrivés à Valeria, tu m'as beaucoup soutenu. Après mon duel contre Clef, après la mort de Chitose, lors de mes retrouvailles avec mes parents, ça suffit maintenant, je ne veux plus ...

– Arrête ça !

Fye sursauta : Kurogane était monté d'un ton d'un seul coup. Froidement, le magicien répliqua :

– Quoi donc ?

– De tout prendre sur tes épaules ! De tout porter tout seul, sans jamais t'appuyer sur les autres. Tu as été toujours été comme ça depuis que je te connais. Avant, c'était parce que tu étais persuadé d'être responsable de la mort de centaines de gens, puis parce que tu étais convaincu d'être un traître. Mais depuis qu'on a tué le fou au monocle, tu continues d'agir exactement de la même manière. Pourquoi tu devrais être le seul à tout endurer ?

– Je ne veux pas que les autres partagent mes souffrances. Je ne veux pas leur imposer ça, ce serait trop égoïste.

Fye vit à peine Kurogane bouger tant le mouvement fut rapide. En moins d'une seconde, le ninja l'avait attrapé par le col et le foudroya du regard.

– Tu veux ce que te dise ce qui est égoïste ? C'est de nous cacher, à moi et aux gamins, ce que tu ressens réellement. Tu crois nous épargner, mais c'est le contraire.

– Je ne veux pas être un poids pour vous.

La poigne de Kurogane se resserra sur son col et il le fit reculer jusqu'à ce que son dos heurte un tronc d'arbre. La voix du ninja résonna, grave, presque menaçante.

– Un poids ? Tu penses vraiment ce que tu dis ? Tu crois que je te considère comme un fardeau, que je soutiens par pitié ? Si c'est le cas, tu me décevrais beaucoup, le mage.

Fye tressaillit. Le regard de Kurogane brûlait de colère, mais dans ces pupilles féroces, le magicien devina une autre émotion. Leur visage se trouvait à quelques centimètres l'un de l'autre, il sentait la chaleur qui émanait du corps de Kurogane, la main puissante qui serrait son col, le souffle haché de leur respiration. Tu crois vraiment que je te considère comme un fardeau, que je soutiens par pitié ? Si c'est le cas, tu me décevrais beaucoup, le mage. Pour qui connaissait la manière de s'exprimer du ninja, ces mots signifiaient bien plus qu'ils ne le paraissaient. Fye avala sa salive. Non, il ne se faisait pas d'idées, il n'exagérait pas l'importance qu'il revêtait aux yeux de son compagnon. Il n'inventait pas ce magnétisme invisible qui, en cet instant, les attirait l'un vers l'autre. Pourtant, il avait encore peur de commettre une maladresse qui blesse Kurogane et qui l'éloigne de de lui pour toujours. Mais s'il ne disait rien, s'il ne faisait rien, il ne saurait jamais si ses craintes étaient fondées. Ses mains se levèrent, silencieusement, saisirent les manches du manteau de Kurogane …

Avant que le ninja ne comprenne ce qui lui arrivait, Fye lui faucha les jambes d'un croche-pied bien placé. Kurogane bascula en arrière et le mage l'accompagna dans sa chute pour être certain qu'il ne se relève pas. Ils s'écroulèrent l'un sur l'autre et Fye se redressa, à califourchon sur son compagnon. Il devina un léger trouble dans le regard de Kurogane, mais lui demanda d'une voix sérieuse :

– Si j'accepte que tu risques ta vie pour moi, tu devras accepter que je risque la mienne pour toi.

Kurogane demeura imperturbable.

– Ça ne te pose aucun problème ?

– Ce n'est pas comme ça que les choses fonctionnent depuis notre passage à Célès ?

Fye cilla. Ainsi, donc, pour Kurogane, cela faisait si longtemps que les choses étaient claires. Il se sentit désarçonné, touché, un peu stupide aussi. Il le fixa, immobile, hésitant. Sous ses mains, sous ses jambes, il sentait le corps chaud et musclé de son compagnon, sa poitrine qui se soulevait à chacune de ses respirations. Il agrippa ses bras, presque pour l'empêcher de bouger, même s'il savait que le ninja avait la force de le repousser. Kurogane ne fit rien, ne bougea pas d'un pouce. Fye inclina le buste vers lui, ses cheveux glissèrent le long de son visage. Il sentit leur souffle s'entremêler et, lentement, il posa ses lèvres sur les siennes. Alors, tout s'arrêta : l'errance froide de la brume, les gouttes de neige qui comptaient le temps, les sapins drapés dans leur manteau parfumé, tout se suspendit. Kurogane eut un bref tressaillement de surprise, mais Fye ne s'écarta pas. Le ninja avait une grande bouche, à la mesure de sa mâchoire puissante, et des lèvres brûlantes, vivantes, qui donnaient au magicien l'impression de se noyer dans le souffle d'un dragon. Lorsqu'il était encore un vampire, il avait déjà posé ses lèvres sur son poignet, mais jamais leurs bouches ne s'étaient rencontrées. Il prolongea encore un instant leur baiser, puis se recula, son regard toujours accroché à celui de son compagnon.

– Et maintenant, ça ne te pose toujours aucun problème ?

Kurogane dévisagea intensément Fye. Il ne s'attendait pas du tout à ce que le mage fasse une telle chose. Lorsque ses lèvres s'étaient posées sur les siennes, il n'avait d'abord pas compris ce qui était en train de lui arriver. Son cerveau s'était figé, comme plongé dans un seau d'eau glacé pendant que son cœur s'enflammait. La première stupeur passée, tout avait brusquement fait sens. Il avait compris qu'il avait envie de ce contact depuis longtemps, sans jamais oser se l'avouer. Que la nuit où il s'était approché de Fye, dans leur yourte, alors que le mage dormait déjà, c'était ce lien physique qu'il désirait. Par pudeur, et aussi parce qu'il n'avait jamais éprouvé ce genre de sentiments pour personne, il n'était pas allé jusqu'au bout de son geste. Peut-être craignait-il aussi d'être rejeté. À présent que Fye s'était penché vers lui en premier, il n'avait plus aucun doute.

Il se redressa légèrement ; Fye eut un mouvement de recul et sur son visage, Kurogane devina de l'inquiétude. C'est vrai qu'il n'avait pas répondu à sa question. Peut-être avait-il peur d'être rejeté, lui aussi ? Idiot de mage. Comment pouvait-il s'imaginer une telle chose, après tout ce temps ? À son tour, il l'attrapa par les bras et le renversa au sol. Il vit les yeux de Fye s'écarquiller, mais il ne lâcha pas prise. Cette fois, c'était lui qui se tenait au-dessus de son compagnon, et avant qu'il n'ait pu prononcer une parole, Kurogane posa à son tour ses lèvres sur les siennes. Son cœur manqua un battement : quand Fye l'avait embrassé, une brume irréelle l'avait enveloppé, il ne contrôlait rien. Au contraire, embrasser Fye éveilla en lui un sentiment de pouvoir, d'excitation et de crainte, une émotion proche de celle qu'il éprouvait lorsqu'il se lançait à l'assaut d'un palais inconnu. L'une de ses mains remonta du bras du mage jusque sur sa poitrine et il perçut les battements médusés de son cœur. Croyait-il être le seul à pouvoir le surprendre ? Le sang pulsait aux tempes du ninja, si fort que cela en devenait étourdissant. Les lèvres de Fye étaient fines et tièdes, presque fraîches. C'était comme se jeter du haut d'une cascade issue des glaciers, plonger dans une rivière qui se réchaufferait à l'arrivée de l'été. Quand Kurogane se redressa, il se rendit compte que Fye le fixait avec une expression aussi ébahie que celle qu'il avait dû arborer quelques instants plus tôt. Ses pupilles étaient dilatées et il respirait à peine, comme s'il avait du mal à croire, lui aussi, ce qui venait de se produire.

– Évidemment que ça ne me pose aucun problème. Il t'en a fallu du temps pour le comprendre, le mage.

Dans le regard de son compagnon, le ninja vit se succéder mille émotions, si rapidement qu'il n'eut pas le temps de toutes les saisir. Le soulagement, toutefois, était évident, puis vint un sourire, d'abord timide, puis entier.

– Kuro-chan ... idiot.

– Non, c'est toi l'idiot.

– Tu as raison.

Fye sourit et le guerrier lui rendit son sourire. Il se pencha de nouveau, et cette fois, Fye glissa une main derrière sa nuque pour l'attirer à lui. Les deux premiers baisers avaient eu le goût de la surprise, le troisième leur brûla les lèvres. Combien de temps restèrent-ils là, dans cet écrin de brume ? Ils n'auraient su le dire. Quand enfin ils se relevèrent, la neige avait moucheté leurs vêtements de blanc. Kurogane épousseta son manteau, puis passa une main dans les cheveux de Fye et en fit tomber les flocons qui s'y étaient déposés. D'une voix grave, il déclara :

– Je vais aller m'excuser auprès de ton père.

Sa voix n'exprimait plus aucune colère, ni aucune inquiétude. Fye lui sourit.

– Moi aussi, j'irai le voir après toi.

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Sakura tendit ses mains au-dessus du feu, puis les ramena vers elle et les frotta nerveusement l'une contre l'autre. Cela faisait vingt bonnes minutes que Shaolan était parti voir Hideki, tandis que Fye et Kurogane avaient disparu dans la montagne. Et si leur désaccord s'aggravait ? Si Hideki refusait de parler à quiconque ? Rien qu'à cette pensée, la princesse sentait son cœur se serrer.

– Ne vous inquiétez pas, les choses vont s'arranger.

La jeune fille sursauta, brusquement tirée de ses pensées : Chii la fixait avec bienveillance. Elle hocha la tête.

– J'espère que vous avez raison.

À cet instant, des pas dans la neige leur firent lever la tête : Hideki revenait vers eux. Les deux femmes virent immédiatement que son visage n'exprimait plus la moindre agressivité. Chii se leva.

– Hideki, est-ce que ça va ? Tu as pu parler avec Shaolan ?

– Oui, acquiesça l'ancien roi avec un sourire.

– Cela veut dire que tu n'es plus en colère ?

– Non, plus maintenant. Je me suis rendu compte que je n'avais pas de raison de l'être, en fait. Sous prétexte que j'avais été emprisonné pendant plus de vingt ans, j'ai été injuste envers Kurogane. Mais j'ai bien compris mes torts et je lui vais lui présenter mes excuses. Lui et Fye ne sont pas encore revenus ?

– Non, toujours pas.

– Je vois. Je vais reprendre l'entraînement que j'avais commencé, alors.

Hideki ressortit de la caverne, ramassa son épée qui était demeurée plantée dans la neige et se remit en garde. Médusée, Sakura l'observa enchaîner les feintes et les coups avec calme et précision.

– Il … il a l'air d'aller beaucoup mieux.

– En effet, acquiesça une voix derrière elle.

Shaolan les avaient rejointes dans la grotte, le visage serein, et vint s'asseoir à côté de la princesse.

– Qu'est-ce que tu lui as dit ? lui demanda Sakura.

– Pas grand-chose, en réalité. Il a pris ses décisions tout seul.

Sakura sourit, rassurée, puis son regard se leva vers la montagne au-dessus d'eux.

– Fye et Kurogane sont toujours là-haut ? demanda Shaolan.

– Oui … cela va faire une demi-heure à présent. Je m'inquiète pour eux.

– Tu ne devrais pas. Ils n'en sont pas à leur première dispute, et puis, si ça dure un peu plus longtemps cette fois-ci, c'est peut-être bon signe …

Chii ne put retenir un sourire. Les sourcils de Sakura demeurèrent encore un peu froissés d'inquiétude, puis elle décida de faire confiance à Shaolan. Après tout, il avait voyagé avec Fye et Kurogane pendant près de deux ans, il les connaissait sans doute mieux que quiconque. Les minutes passèrent, les nuages encore ensommeillés s'éveillèrent et le ciel s'éclaircit peu à peu. Sakura, Shaolan et Chii firent chauffer de l'eau et préparèrent le petit déjeuner. Alors qu'ils se versaient un bol de thé, des pas dans la neige les firent se retourner : Fye et Kurogane venaient d'émerger de sous les sapins et se dirigeaient vers la grotte. Sakura remarqua aussitôt que Fye marchait calmement et que son visage s'était adouci, mais surtout, que les yeux de Kurogane souriaient. C'était une expression rare chez le ninja, qui ne descendait pas jusqu'à sa bouche, mais Sakura savait que cet éclat dans ses yeux était bien un sourire. Elle posa une main sur son cœur et soupira de soulagement : ils s'étaient réconciliés. Et même plus que ça, songea Shaolan en notant la grande proximité des deux hommes, qui marchaient côte à côte. Vous en avez mis du temps, mais vous y êtes arrivés. Il se tourna vers Sakura :

– Tu es rassurée ?

– Oui, sourit-elle.

Shaolan entrelaça ses doigts dans les siens et Sakura en profita pour se rapprocher de lui. Chii se leva alors et se dirigea vers sa yourte.

– Je reviens, je crois que j'ai oublié quelque chose, lança-t-elle.

Shaolan jeta un œil par-dessus son épaule : la mère de Fye avait disparu dans sa tente, et autour d'eux, personne ne les observait. Rapidement, mais il se pencha vers Sakura, posa une main sur sa joue et l'embrassa. Quand il se recula, Sakura lui adressa un regard surpris. Le jeune homme rougit, embarrassé.

– Cela fait plusieurs jours que je me retenais, de peur que Kurogane ou Fye ne nous voient. Comme les choses n'étaient pas au beau fixe entre eux, j'avais peur de jeter de l'huile sur le feu s'ils nous surprenaient en train de … enfin, tu vois.

Une lueur amusée passa dans les yeux de Sakura.

– Tu es vraiment gentil, Shaolan-kun.

Et à son tour, elle déposa un baiser sur ses lèvres. Les deux adolescents pensaient que personne ne les regardait. C'était sans compter sur Kurogane, dont le regard s'était déjà porté jusqu'à la grotte. Le ninja pila net.

– Fye …

– Mmm ? Qu'est-ce qu'il y a ?

– Les gamins sont en train de s'embrasser.

Le magicien s'arrêta à son tour, plissa les yeux et un sourire étira ses lèvres.

– On dirait bien, oui.

– C'est tout l'effet que ça te fait ?

– Eh bien, jusqu'à présent, ils ont été discrets, mais il était probable qu'un jour ou l'autre nous les apercevions.

– Mais, euh, je veux dire … enfin, ce sont les gamins, quoi ! Ils ne sont pas un peu jeunes pour ce genre de trucs ?

– Mais ils s'aiment, Kuro-pon ! Après ce qui vient de se passer entre nous, tu ne vas pas me dire que tu les ne comprends pas ?

– Mais quand même, ils ont dix ans de moins que nous !

– Tu es mignon, Kuro-chan, quand tu rougis.

– Je ne rougis pas, bordel !

– Et techniquement, ils ont dix ans de moins que toi.

La diversion fonctionna aisément. Kurogane, détourné de son premier sujet de préoccupation, reporta son attention sur son compagnon.

– C'est vrai, ça. On a toujours une revanche à faire pour que tu me dises enfin quel âge tu as, le mage.

– Oh, ça t'intéresse toujours ?

– Évidemment que ça m'intéresse !

– Il n'est pas dit que tu gagnes. Peut-être ne connaîtras-tu pas la réponse.

– Je trouverai le moyen de te faire parler !

– Ha ha ! Tu sais que je pourrais m'imaginer des choses, Kuro-pi ?

– Je ne parlais pas de ça !

– Vraiment ? Dommage ...

Ils poursuivirent leur chemin quand Hideki s'avança vers eux, épée d'entraînement au poing et le regard déterminé. Kurogane eut un bref mouvement de recul, mais l'ancien roi s'arrêta à un mètre de lui et planta son épée dans le sol.

– Kurogane, j'aimerais vous parler.

– Ah … euh … oui, moi aussi.

– Je rejoins Sakura-chan et Shaolan-kun, déclara Fye en s'éclipsant doucement.

– Fye ! le retint Hideki. Est-ce que … est-ce qu'après je pourrai te parler, à toi aussi ?

– Bien-sûr, acquiesça le magicien avec un sourire. Moi aussi, il y a des choses que j'aimerais te dire.

L'ancien roi cilla tandis que son fils se détournait vers la grotte. Il reporta son attention sur Kurogane et s'inclina dans sa direction :

– Je vous prie d'accepter mes excuses. Je me suis comporté de façon indigne avec vous et je vous ai adressé des reproches immérités. J'ai parlé avec Shaolan … et cela m'a ouvert les yeux. Je sais maintenant que vous avez fait énormément pour Fye et je ne peux que vous en être reconnaissant. À cause de ma captivité, je n'ai pas pu voir mon fils grandir, et cela m'a rendu un peu amer, je l'avoue. J'enviais votre force, votre capacité à tenir bon face à n'importe quel adversaire dans une bataille … et la proximité que vous avez avec Fye. Cependant, j'ai aussi compris que le lien qui m'unit à mon fils existe toujours. C'est un lien différent de celui qu'il entretient avec vous, différent de celui que j'avais avec Fye lorsqu'il n'était qu'un petit garçon, mais tant que j'ai une chance de le reconstruire, alors cela me suffit.

Kurogane fixa longuement Hideki, surpris de cette tirade qui lui donnait tout à coup beaucoup plus de charisme. Il s'inclina légèrement à son tour.

– Moi aussi, je vous dois des excuses, votre altesse. Je me suis énervé, je vous ai dit des choses que je ne pensais pas. Je sais que les évènements que vous avez vécus ne sont pas simples à assumer, et moi-même, je suis loin d'être parfait. Je suis fort, certes, mais il y a encore bien des choses contre lesquelles je ne sais pas lutter, alors n'idéalisez pas trop mes capacités. Mais tant que j'ai la confiance de Fye, je continuerai d'avancer.

Les deux hommes se redressèrent, se dévisagèrent, et chacun lut du respect dans les yeux de l'autre. Hideki reprit son épée qu'il avait plantée dans un tas de neige.

– Lorsque j'aurai terminé de parler avec mon fils, voudrez-vous m'apprendre quelques-unes de vos techniques à l'arme blanche ?

Un bref sourire passa sur le visage de Kurogane.

– Pas de problème.

Hideki tourna les talons et prit le chemin de la grotte : il l'avait fait, il avait réussi à s'excuser. Un énorme poids venait de se retirer de sa poitrine et il eut la sensation d'avoir retrouvé la dignité qu'il avait perdue en frappant Kurogane. Toutefois, il lui restait encore une chose à faire. Il chercha Fye du regard.

– Père, je suis là.

Hideki se retourna et découvrit son fils adossé à un tronc d'arbre, un peu à l'écart de l'entrée de la caverne. Le magicien décroisa les bras et s'avança vers lui. Hideki ne put s'empêcher de constater combien Fye ressemblait à Chii, et si peu à lui. Il allait prendre la parole, mais finalement, ce fut son fils qui se lança le premier.

– Tu sais, quand nous avons atterri à Tirmeíth avec mes amis, je ne pensais pas être si proche de Valeria. Pour être honnête, je ne pensais même pas y revenir un jour. Pourtant, depuis que j'ai entrepris ce voyage avec mes compagnons, je suis allé de surprise en surprise. J'ai retrouvé ma grand-mère et le palais dans lequel je suis né, même si ce n'est plus qu'une ruine aujourd'hui. Je vous ai retrouvés, toi et maman, alors que je pensais ne plus jamais vous revoir.

Fye baissa les yeux.

– Tu m'as demandé, tout à l'heure, pourquoi je vous ai réveillés puisque j'ai déjà réuni une famille autour de moi. Kurogane, Shaolan-kun et Sakura-chan comptent énormément à mes yeux, c'est vrai, car ils m'ont accepté tel que je suis, avec mes faiblesses et mes mensonges. Toutefois, ce que j'ai ressenti en redécouvrant vos visages au palais de Valeria est une émotion unique, que personne d'autre que vous peut m'insuffler. Je vous croyais morts, morts à cause de moi et de mon frère, mais j'ai découvert que tout cela était faux. J'ai souffert à cause de la malédiction, mais les dieux m'ont permis de pouvoir vous retrouver, et pour rien au monde je n'aurais voulu qu'il en soit autrement.

– Fye …

– Si je t'ai paru froid à certains moments, c'est parce que je ne sais pas très bien comment agir avec toi et maman. Avoir des parents, c'est une réalité que j'avais presque oubliée … et à laquelle je croyais ne plus avoir droit. Cela me fait bizarre d'être à nouveau avec vous, mais cela ne veut dire que je ne suis pas heureux. Si je te semble parfois maladroit ou réservé, c'est juste que j'ai peur de vous mettre à l'aise. Tu comptes beaucoup pour moi, sache-le. Je n'attends rien de toi, tu n'as pas besoin de me prouver quoi que ce soit. Se battre n'est jamais quelque chose d'agréable et exige de l'entraînement, il est normal qu'après tout ce temps enfermé cela te soit difficile. T'avoir à mes côtés et pouvoir mieux te connaître me suffit amplement.

Hideki dévisagea longuement son fils, bouleversé. Fye releva la tête vers lui, légèrement embarrassé, et plongea son regard dans le sien. Hideki aurait voulu dire mille choses, exprimer mille émotions, partager l'amour qui brûlait au fond de lui pour ce fils qui avait survécu malgré toutes les malédictions qui s'étaient acharnées sur lui. Il aurait voulu lui dire qu'il n'avait pas besoin de s'excuser, qu'il le comprenait parfaitement et qu'il admirait l'homme qu'il était devenu. Au lieu de cela, il s'avança vers lui et le prit dans ses bras. Il le sentit tressaillir à ce contact, et après un bref moment où il demeura immobile, Hideki sentit qu'il lui rendait son accolade.

– Merci, Fye. Pardonne-moi si j'ai pu, moi aussi, manquer de tact envers toi. Peu importe que tu sois devenu adulte, que nous ayons été longtemps séparés, que tu sois maintenant un grand magicien … tu restes mon fils. Je t'aimerai toujours.

Il sentit les bras de Fye se resserrer plus fort autour de lui et l'image de l'enfant qu'il avait jadis été traversa l'esprit d'Hideki. À cette époque, les bras de Fye étaient petits et frêles, loin de ceux, grands et fort, qu'il possédait aujourd'hui. Le lien qui les avait unis autrefois n'existait plus ; désormais, ils construiraient une relation d'homme à homme. Hideki ignorait à quoi ressemblerait ce lien, mais il était heureux de pouvoir le créer avec Fye.

À l'intérieur de la grotte, Kurogane avait rejoint Shaolan, Sakura et Chii. La princesse lui offrit une tasse de thé qu'il accepta volontiers, tout en glissant un regard vers l'extérieur. Près d'un grand sapin, Fye et son père discutaient. De là où il se trouvait, le ninja ne pouvait pas entendre ce qu'ils se disaient, mais il devinait qu'il s'agissait de mots qui devaient rester entre eux. À à sa grande surprise, il vit soudain Hideki prendre Fye dans ses bras, puis Fye répondre à son étreinte. Visiblement, ces deux-là s'étaient aussi expliqués, et réconciliés. Kurogane porta le bol de thé à ses lèvres et en avala une gorgée. Fye et Hideki se séparèrent et revinrent d'un pas tranquille vers la caverne. À mesure qu'ils s'approchaient, les yeux de Kurogane s'écarquillèrent.

Fye ressemblait énormément à sa mère, n'importe qui pouvait le constater, toutefois le ninja avait plus de mal à lui trouver des points communs avec son père. À présent qu'il les voyait marcher côte à côte, l'évidence le frappa comme une révélation.

Fye et Hideki souriaient de la même manière.

Ce sourire doux et plein de gentillesse, qui étirait leurs yeux en amande et faisait pétiller leurs pupilles, c'était exactement le même. Il s'agissait d'un sourire que Fye n'esquissait que lorsqu'il était vraiment heureux et qui n'avait rien à voir avec les pauvres sourires qu'il utilisait pour cacher sa tristesse et son inquiétude. Dans ces moments-là, il ressemblait davantage à sa mère. Les deux hommes pénétrèrent dans la caverne.

– Kuro-chan, pourquoi tu nous observes comme ça ?

Fye le fixait d'un regard interrogateur. Le ninja le dévisagea, amusé.

– Pour rien.

Et il avala une autre gorgée de thé.