Bonsoir à tous !

Gomen, sorry, désolée pour ces trois semaines sans update ! J'ai été prise par le temps et je n'ai pas réussi à mettre le nouveau chapitre en ligne, je vous prie de m'en excuser. Mais je suis de retour avec la suite ! Aujourd'hui, un chapitre plus léger émotionnellement parlant que le précédent. J'espère que cela vous plaira :)

Bonne lecture à toutes et à tous !


Chapitre 35 - Entraînement

En milieu de matinée, les voyageurs virent des silhouettes se dessiner dans le creux de la vallée, minuscules idéogrammes posés sur le papier neigeux par un pinceau invisible. Le groupe, qui devait compter quatre ou cinq personnes, se trouvait encore loin d'eux, mais il avançait dans leur direction. Les hommes d'Ingvar n'auraient jamais marché à découvert, ils songèrent donc à un groupe de trappeurs. À mesure que les silhouettes progressaient vers eux, ils se rendirent compte qu'ils portaient de longs manteaux bleus.

– Ce sont les mages que nous envoie Clef ! comprit Fye, soulagé.

– Ils viennent récupérer les corps des trappeurs, ajouta Shaolan.

– Enfin, ils en ont mis du temps, grogna Kurogane. On va pouvoir lever le camp.

– Avec ces mages, les corps des trappeurs seront en sécurité, dit Sakura, rassurée.

Ils accueillirent chaleureusement les magiciens et leur offrirent une collation. Tout en grignotant, ils leur exposèrent la bataille qu'ils avaient menée contre les insectes d'Ingvar afin qu'ils en informent Clef.

– C'est grâce à ces créatures qu'Ingvar collecte ses âmes, dit Fye.

– C'est terrifiant, murmura l'un des mages, encore sous le choc de la révélation.

– N'avez-vous pas été attaqués pendant votre voyage ? ajouta Hideki.

– Non, notre route s'est passée sans encombre.

– C'est étonnant que ces insectes n'aient pas tenté de s'en prendre à vous, remarqua Chii. Vous êtes des magiciens, vos pouvoirs sont mêlés à votre âme, cela intéresserait sans doute Ingvar.

– Peut-être ces insectes n'auraient-ils pas réussi à s'en prendre à ces hommes, même s'ils avaient essayé, réfléchit Shaolan.

– Qu'est-ce que tu veux dire ? lui demanda Kurogane.

– D'après les explications de Watanuki et nos propres observations, il semblerait que les insectes s'en prennent en priorité à des personnes psychologiquement faible, qu'ils rendent peu à peu agressives en exacerbant leurs émotions négatives. Ils peuvent ainsi se nourrir plus facilement de leur âme. On peut en déduire que les personnes plus fortes ne succombent pas aussi aisément au pouvoir des insectes, ils sont plus difficiles à déposséder de leur âme. Les magiciens sont des personnes dotées d'une grande force physique et mentale, les créatures ont sans doute préféré se diriger vers Tirmeíth pour trouver des proies faciles.

– Si ce que tu dis est vrai, pourquoi un de ces insectes s'en est-il pris à Fye ? intervint Kurogane. On sait tous ici qu'il est loin d'être faible, alors pourquoi cette bestiole lui a sauté dessus ?

Tous les regards se tournèrent vers le mage. Ce dernier, une main sur le menton, hésita.

– Tas une idée ? dit Kurogane.

– Eh bien, peut-être que je possède quelque chose qu'Ingvar convoite.

Shaolan fronça les sourcils : Fye pensait à la même chose que lui, il en était persuadé. Cette supposition lui trottait dans la tête depuis qu'il avait entendu le récit de Chitose, mais il n'avait aucune preuve, il avait donc gardé ses réflexions pour lui.

– Quelle serait cette chose ? demanda Sakura.

– Je ne sais pas.

Kurogane croisa les bras : Fye fuyait tout contact visuel et ses lèvres s'étaient pincées pour dresser une digue contre les mots qu'il voulait taire. Il savait très bien ce que désirait Ingvar, mais il n'osait pas le leur dire. Le ninja songea qu'il ne valait mieux pas le brusquer et qu'ils pourraient toujours en reparler plus tard, lorsqu'ils seraient seuls. Le blond releva la tête vers les magiciens :

– Quelle est la situation à Tirmeíth ?

– Le nombre de victimes ne cesse d'augmenter. Maintenant que nous savons qu'il s'agit d'insectes, nous allons nous montrer plus vigilants, mais il est peu probable que nous réussissions à protéger tous les habitants du pays. Nous prenons soin du corps des victimes, en espérant qu'ils puissent réintégrer leur âme.

Un silence embarrassé leur répondit. Sakura se tordit les mains : Fye et Shaolan avaient déjà émis des doutes sur la capacité des victimes d'Ingvar à récupérer leur âme, toutefois, personne n'osa contredire les magiciens. Elle-même voulait croire que leur salvation était encore possible, que ces personnes n'étaient pas condamnées à voir leur corps et leur âme scindées en deux pour toujours.

– Clef s'efforce de protéger les habitants de Tirmeíth et de Dál Gleann, continua l'un des magiciens. Il a sollicité l'aide de tous les mages du pays.

– Vous allez en avoir besoin, car seule la magie peut venir à bout de ces insectes, dit Shaolan.

– Nous allons essayer de les repérer et de les détruire au plus vite. Mais en premier lieu, nous allons mettre le corps de ces trappeurs à l'abri.

L'un des magiciens détacha de son cou un pendentif en forme de de charrette et le posa au sol, assez loin de l'endroit où il était assis. Puis, il invoqua un sortilège, et sous les yeux stupéfait des voyageurs, le petit chariot commença à grossir, jusqu'à atteindre la taille d'une importante carriole.

– Pratique, ce sort, commenta Kurogane. On devrait faire le processus inverse avec nos tentes, ce serait moins lourd pour les chevaux.

Fye lui jeta un regard amusé et prit note mentalement.

– Si nous étions en pleine possession de nos capacités, nous aurions simplement ouvert un portail vers Tirmeíth pour y envoyer les corps des trappeurs, déclara l'un des magiciens, mais la puissance qui gangrène tout Valeria nous en empêche. C'est pour cela que nous sommes arrivés à pied : un portail nous a conduit à mi-chemin, là où la magie d'Ingvar ne pesait pas encore trop sur l'environnement, puis nous avons continué par nos propres moyens.

– Vous voulez dire que cette magie bloque vos pouvoirs ? s'étonna Kurogane.

– En effet. Nous allons donc transporter les corps des trappeurs sur cette charrette jusqu'au portail situé à la limite de notre zone d'action, puis nous regagnerons Tirmeíth.

Le ninja jeta un œil à Fye, Chii, puis Shaolan et Sakura : depuis qu'ils se trouvaient à Valeria, aucun d'eux n'avait vu leur magie diminuée par les effets de celle d'Ingvar. Leur puissance égalait-elle celle de leur ennemi ? S'il n'avait pas de mal à le croire dans le cas de Fye et de sa mère – ils tenaient tout de même leur puissance d'un dieu – il était plus surpris pour Shaolan et Sakura. Il réfléchit quelques secondes, puis haussa les épaules : après tout, Shaolan était le descendant de Clow, et la princesse était issue d'une lignée royale, l'idée n'était pas absurde. Pourtant, Kurogane avait l'impression qu'il touchait du doigt quelque chose d'important, sans parvenir à en saisir toutes les implications.

Après avoir mis en branle leur charrette à l'aide de runes ensorcelées, les mages reprirent la route vers Tirmeíth.

Shaolan et ses compagnons démontèrent leur campement et se mirent en selle. Libérés de la garde du corps des trappeurs, ils pouvaient désormais se relancer sur les traces d'Ingvar. À la menace que représentait l'armée de leur ennemi s'ajoutait à présent celle des insectes mangeurs d'âme ; ils allaient devoir redoubler de vigilance.

Une tempête de neige les surprit en début d'après-midi. Les voiles des bourrasques sifflaient dans le vent et les giflaient sans relâche, tandis que le sable blanc de l'hiver aveuglait leurs montures. Épuisés par cette mitraille insaisissable, ils jugèrent inutile de poursuivre. Ils trouvèrent à s'abriter dans une grotte, érigèrent leurs yourtes et allumèrent un feu. Après le déjeuner, Hideki rejoignit Kurogane qui nourrissait les chevaux.

– Kurogane ?

– Un souci ?

– Non, tout va bien. Je me demandais juste si vous étiez toujours d'accord pour m'enseigner quelques techniques de combat.

– Bien-sûr.

– J'ai toujours l'épée que j'avais récupérée sur un champ de bataille, voulez-vous que j'aille la chercher ?

– Non, pas besoin. Pour un premier cours, on va travailler les fondamentaux. Je finis de donner à manger aux bêtes et on y va.

Cinq minutes plus tard, les deux hommes s'étaient isolés dans un coin de la grotte et se positionnèrent l'un face à l'autre.

– Je vous préviens, déclara Kurogane, je n'ai eu qu'un seul élève, Shaolan, je suis donc loin d'être le meilleur professeur de la terre.

– Vu le niveau de Shaolan, je vous fais entièrement confiance.

– Pour commencer, on va revoir les positions de jambes et les coups de poing de base.

– Euh, ça, je pense déjà savoir le faire.

– Pas à ma façon. Je vais vous apprendre à vous battre comme on le fait chez moi, au Japon.

Intrigué, Hideki observa attentivement les positions dont Kurogane lui fit la démonstration. Effectivement, l'art martial du ninja différait grandement des techniques qu'on apprenait à Valeria. Hideki s'appliqua à reproduire ses gestes, conscient qu'ils pourraient lui être très utiles dans un affrontement. Il avait remarqué que cette manière de se battre n'était pas coutumière aux sbires d'Ingvar, qui se battaient plutôt comme d'anciens soldats de Valeria. Maîtriser les techniques de Kurogane lui permettrait de les prendre par surprise. Il passa deux longues heures à perfectionner son jeu de jambes et ses frappes, puis le ninja décida de changer d'exercice.

– Maintenant que vous coordonnez bien votre corps, je vais tester vos réflexes.

Il ramassa quelques pierres au sol.

– Je vais les lancer dans votre direction. Évitez-les.

– D'a … d'accord.

Sans crier gare, Kurogane ouvrit le feu. Hideki réussit à éviter les premières, mais à mesure que Kurogane augmentait la cadence, il se fatigua et perdit en concentration. Une première pierre érafla son bras gauche, son épaule droite et il reçut la dernière en plein front.

– Aïe !

– C'est bon, j'ai trouvé votre point faible, déclara Kurogane. Vous parez tous les coups venant du bas, mais vous réagissez trop lentement à ceux venant du haut. Il va falloir que vous soyez plus rapide. Si vous faîtes face à un adversaire comme Gowan et sa hallebarde, les coups bas et les coups haut s'alterneront sans relâche et vous perdrez votre tête avant d'avoir eu le temps de voir venir l'attaque.

– Très bien, acquiesça Hideki, légèrement honteux de s'être fait toucher.

Près du feu, au centre de la grotte, Shaolan et Sakura observaient à distance les deux hommes en plein entraînement. Shaolan vit le ninja ramasser des pierres et il sourit.

– Ça me rappelle des souvenirs … enfin, façon de parler.

Sakura sourit, elle aussi, tout se remémorant les souvenirs de son clone. Au pays d'Oto, l'autre princesse avait pris soin du double de Shaolan à chaque fois qu'il revenait trempé et égratigné de ses entraînements avec Kurogane.

– Sans Kurogane, je n'aurais jamais atteint mon niveau actuel au combat, déclara l'adolescent. Je me suis amélioré grâce aux leçons qu'il a données à mon clone, mais aussi grâce à toutes les techniques qu'il m'a apprises pendant les deux ans où nous étions juste tous les quatre, avec Fye et Mokona.

Sakura hocha la tête, puis tourna la tête vers lui.

– À propos de combat, je voulais te parler de quelque chose.

– Quoi donc ?

La jeune fille farfouilla dans sa sacoche, en tira son boomerang et le présenta Shaolan.

– Je vais perfectionner mon boomerang. Je voudrais placer des lames très fines sur le bord intérieur des pales, ainsi je pourrais augmenter sa dangerosité à chaque lancé. L'idée m'est venue après avoir vu ce Fomoire dont les bras étaient si tranchants qu'on aurait dit des lames de ciseaux, dans les sous-sols du palais de Valeria.

– L'idée est intéressante, mais il faudrait forger des lames adaptées à ton boomerang. On n'en a pas des si fines sous la main.

– Pas de problème, j'ai déjà chargé Watanuki de m'en procurer.

– Watanuki ? Tu as payé une compensation ?

– Oui, oui.

– Qu'est-ce que tu as donné ?

– C'est un secret !

Shaolan fronça les sourcils, mais n'insista pas. À cet instant Mokona, qui somnolait dans une couverture près du feu, se réveilla en sursaut. La perle rouge sur son front s'activa et il ouvrit grand la bouche : un petit paquet enveloppé dans de la toile en jaillit et atterrit dans les mains de Sakura.

– Cadeau de Watanuki ! déclara la boule de poils.

– Déjà ? s'ébahit Shaolan. Il a fait vite.

Sakura déroula la toile et deux lames apparurent. Leur tranchant de rasoir avait la forme d'un croissant fin dont la courbe intérieure était fendue sur toute la longueur. Sakura passa un doigt sur la surface lisse.

– C'est exactement ce que je voulais.

Elle approcha une lame de son boomerang et glissa l'une de ses pales dans la fente de la lame : la gaine de métal rutilante et acérée recouvrit le bois à la perfection.

– Il faudra le manier avec précaution, à présent, déclara Shaolan. Ses lames sont plus aiguisées que des faucilles.

– Oui, mais elles nous défendront mieux.

– Tuer ne t'effraye plus ?

– Bien-sûr que si. Mais si c'est pour te protéger, toi ou l'un de nos amis, j'ai décidé de ne plus hésiter.

Shaolan la dévisagea, impressionné par son courage, puis se leva.

– Puisque que Kurogane et Hideki s'exercent, que dirais-tu de reprendre notre entraînement, nous aussi ?

– Ça me va ! acquiesça la princesse en se mettant sur ses pieds. Au fait, où sont Fye et sa mère ?

– Dans l'une des yourtes, je crois. Chii voulait parler à Fye, mais j'ignore de quoi.

Ils posèrent leurs armes et s'installèrent à l'opposé d'Hideki et de Kurogane pour commencer leurs exercices.

Dans la chaleur ouatée de la tente des souverains de Valeria, Fye offrit un bol de thé à sa mère, puis s'en versa un et s'assit face à elle.

– Et donc ? De quoi voulais-tu me parler seul à seule ?

– C'est à propos de ma magie. Il y a deux nuits, lorsque j'ai retrouvé mes pouvoirs, j'ai été submergée par leur intensité. À ce moment-là, ce n'était pas un problème, car nous avions besoin de puissance pour éradiquer les insectes d'Ingvar. Cependant, une fois la fureur du combat retombée, l'inquiétude est revenue me tarauder. La puissance de ma magie est telle que je crains de ne pas toujours réussir à la maîtriser. Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive. La nuit où Freya est morte et que je me suis battue contre Ingvar, j'ai eu peur de perdre le contrôle sur moi-même, et je l'ai réellement perdu lorsque j'ai défendu ton père contre Tugdual de Laíth, il y a vingt-cinq ans. Je sais que ma question est un peu délicate, mais toi qui as hérité de ma magie, t'es-tu déjà trouvé … dans une situation similaire ?

Son fils la fixa intensément.

– Tu veux dire, perdre le contrôle de mes pouvoirs ?

– Oui.

Le regard de Fye s'assombrit à mesure que sa mémoire projetait des souvenirs sur l'écran de son esprit. Le froid funeste de Célès, le corps poisseux de sang d'Ashura, le râle douloureux de Kurogane qui plaquait une main sur ses côtes. Le regard d'Ashura-Ô s'était éteint et il avait contemplé ce visage qu'il avait tant aimé et tant haï. Et soudain, le rugissement de l'apocalypse avait déchiré ses oreilles. Sa magie s'était tordue de folie dans toutes les directions, le filet de ses runes avait resserré sa prise sur la dimension toute entière. Il pouvait presque encore ressentir la lance de feu au niveau de sa gorge, le goût du sang dans sa bouche. Le goulot du monde s'était rétréci autour d'eux, la conviction acide de ne disposer d'aucune échappatoire l'avait envahi, la caresse glacée de la mort l'avait effleuré … il fronça les sourcils.

– Cela m'est arrivé, une fois. C'était en partie à cause d'une malédiction que m'avait jetée Fei Wang Reed, mais la puissance de la magie qui a déferlé sur le monde dans lequel nous nous trouvions m'appartenait. C'était effrayant. Ma magie a détruit cette dimension, et sans Kurogane, je serai mort ce jour-là.

Chii le fixa, bouleversée. Fye cilla, puis reporta son regard sur elle.

– Cela ne s'est produit qu'une seule fois. Je pense que l'homme qui m'a élevé m'a suffisamment appris à maîtriser mes pouvoirs pour que je ne me retrouve pas dans une situation périlleuse. De toute manière, je n'utilise jamais ma magie au maximum de ses capacités.

– Jamais ? Même lorsque nous avons combattu les insectes d'Ingvar ?

– J'en ai utilisé plus que de coutume, mais j'avais encore de la marge.

Sa mère le considéra d'un regard impressionné.

– Dans ce cas, j'aimerais que tu m'enseignes à mieux maîtriser ma magie. Le mage du village dans lequel je suis née a toujours refusé de nous apprendre à utiliser la magie, à Freya et moi, puis nous avons rejeté la proposition d'Ingvar, je suis donc entièrement autodidacte. J'aimerais mieux contrôler mes pouvoirs, afin de ne jamais me trouver débordée par leur puissance.

– Je comprends. De ce que j'ai pu voir l'autre nuit, tu sais déjà formuler des sorts.

– Oui, mais j'aimerais mieux en doser la force.

– D'accord. Alors, j'ai une petite idée d'exercices que nous pourrions essayer.

Ils sortirent de leur yourte et balayèrent la grotte du regard : dans un coin, Kurogane continuait de développer les réflexes d'Hideki, tandis que Shaolan et Sakura s'étaient lancés dans un exercice à mains nues.

– Eh bien, sourit Fye, tout le monde travaille dur, à ce que je vois. Nous n'allons pas être en reste, n'est-ce pas ?

Sa mère acquiesça. Ils se dirigèrent vers la seule partie de la grotte encore libre et s'attelèrent aux exercices imaginés par Fye. L'éclat de leurs sortilèges fit tourner la tête de leurs compagnons ; Kurogane vit du coin de l'œil le mage donner des conseils à sa mère et sourit intérieurement : ils faisaient tous de leur mieux pour devenir plus fort. Il reprit l'entraînement avec Hideki. L'ancien roi apprenait plus vite qu'il ne l'aurait cru, et s'il répétait suffisamment les techniques qu'il lui enseignait, il ne serait plus pris par surprise sur un champ de bataille. Il lui proposa de tester ses acquis dans un combat à mains nues. Ils avaient échangé quelques coups et parades, quand une spirale de runes passa entre eux. Coupés dans leur élan, ils se figèrent. Le ninja se redressa et cria à travers la grotte :

– Oy, le mage ! Fais un peu gaffe où tu lances tes sorts !

– Oh, pardon, Kuro-chan, je ne voulais pas interrompre ton cours !

– Si tu le penses vraiment, retire ce sourire crétin de ta face !

– Oui, Kuro-chan !

– Et ferme-la !

– Oui, Kuro-pon !

Absorbés par leurs exercices, aucun des six compagnons ne vit l'après-midi passer. Ce furent les bons effluves d'un ragoût de pommes-de-terre, de carottes et de viande séchée réhydratée dans un bouillon d'oignons qui leur firent lever la tête : près du feu, Mokona remuait le mijoté dans une grande marmite.

– C'est toi qui as préparé tout ça tout seul, Moko-chan ? s'ébahit Sakura.

– Oui ! Comme Mokona vous voyait tous très occupés, il s'est dit que vous auriez faim pour le dîner !

– Comment t'as coupé les légumes, avec tes pattes minuscules ? demanda Kurogane, suspicieux.

– Et comment as-tu ramené les bûches pour alimenter le feu ? ajouta Shaolan, médusé. Je veux dire, elles sont toutes plus grosses que toi …

– Grâce aux techniques secrètes de Mokona !

– Et on peut savoir lesquelles ? fit Kurogane.

– Non, sinon elles ne seront plus secrètes !

– C'est bien, Moko-chan ! le félicita Fye en lui tapotant. Tu as eu raison de tout préparer, je meurs de faim ! On passe à table ?

– Je vais me changer, d'abord, déclara Hideki en s'éloignant vers sa yourte.

– Moi aussi, acquiesça Chii.

Le reste du groupe prit place auprès du feu et Sakura aida Mokona à répartir les bols en bois. Fye avisa le dos trempé de son père et les traînées de sang que de multiples égratignures avaient créées sous sa chemise. Il se pencha vers Kurogane.

– Tu n'y es pas allé un peu fort, plus un premier entraînement ?

– Je lui ai servi la même leçon qu'au clone du petit. C'est un homme, lui, je ne vois pas pourquoi il y aurait de problèmes. Et puis, tu peux parler, t'as vu l'état dans lequel tu as mis ta mère ? Elle tenait à peine sur ses jambes, ses bras et son visage sont tout écorchés.

– Elle veut s'entraîner à mieux maîtriser ses pouvoirs, il est normal qu'il y ait des ratés au début …

– Tu me traites de brute, mais en fait, tu n'es pas mieux que moi.

– Tu as peut-être raison, admit le magicien, amusé.

– De toute manière, cette femme a le même cran que toi, elle n'est pas du genre à se plaindre, non ?

– En effet. Je ne crois pas que ce soit le cas de mon père non plus.

– Il fait ce que je lui dis sans râler, c'est vrai.

Les anciens souverains réapparurent, vêtus de vêtements secs, et tous se mirent à table. Malgré la fatigue respective de chacun des membres du groupe, le dîner fut animé, ce soir-là.

Le lendemain, la tempête de neige n'avait pas cessé. Contrariés de ce retard, mais conscients que leurs chevaux ne pourraient jamais avancer sous un tel blizzard, ils demeurèrent dans la grotte où ils avaient trouvé refuge et poursuivirent leurs entraînements. Ils espéraient que le temps se dégagerait en milieu de journée, mais ils constatèrent rapidement que les rafales cinglantes ne se taisaient pas. Ils déjeunèrent donc, puis continuèrent. Kurogane et Hideki reprirent leurs quartiers dans leur coin de grotte et le ninja déclara :

– Je pense que vous avez acquis des bases suffisantes pour passer au maniement d'une arme.

À ces mots, le regard d'Hideki s'éclaira.

– Ne vous emballez pas trop vite. Vous connaissez les bases, certes, mais vous êtes encore loin de les maîtriser parfaitement. Vous ne faîtes plus de grosses erreurs, on va dire, et dans un combat, vous saurez vous débrouiller pour survivre. Cela ne veut pas dire que vous en sortirez vainqueur, continuez donc de travailler toutes les techniques que je vous apprises.

– Évidemment.

– Vous avez toujours l'épée que je vous ai vu utiliser l'autre jour ?

– Oui, bien-sûr.

– Allez la chercher.

Hideki s'exécuta et une minute plus tard, il se tenait face à son professeur. Kurogane fit à son tour jaillir son arme de sa main et se mit en garde. Hideki lui adressa un regard intrigué.

– Cela fait longtemps que je voulais vous poser une question.

– Laquelle ?

– Vous n'êtes pas magicien, n'est-ce pas ? Alors, comment faîtes-vous sortir ce sabre de votre paume ?

Kurogane leva un pouce en direction de Fye, qui s'entraînait de l'autre côté de la grotte avec Chii.

– C'est votre fils qui a créé ce sort. C'est bien pratique, je ne dépends plus de la boule de poils pour obtenir mon arme. Pour en revenir à notre affaire, voici comment nous allons procéder : je vais vous enseigner des techniques de bases, faciles à mettre en pratique. Ce n'est pas vraiment ma philosophie de combat et ce n'est pas comme ça que j'ai été formé, mais vous n'avez pas des années d'entraînement devant vous non plus. Si nous sommes surpris par l'armée d'Ingvar ou par ces maudits insectes, il faut que vous puissiez vous défendre. On va donc aller à l'essentiel. Je ne vais vous montrer qu'une dizaine de mouvements, que vous devrez maîtriser à la perfection.

– Ça me va.

À la grande surprise de Kurogane, Hideki saisit plus rapidement les passes qu'il lui enseigna à l'arme blanche que celles qu'il lui avait apprise au corps à corps : même si vingt années de captivité avaient amoindri ses réflexes, cet homme avait bel et bien appris à manier une épée par le passé, cela se sentait. Il avait conservé quelques automatismes, qui, joints aux nouvelles techniques que Kurogane lui montra, lui donnèrent rapidement de l'assurance.

– Puisque vous vous débrouillez plutôt bien, on va voir ce que vous êtes capables de faire en situation réelle.

– Vous … vous allez m'attaquer ?

– À quoi servirait l'entraînement sinon ? Ne faîtes pas cette tête-là, je ne vais pas vous couper en deux …

« … si vous êtes suffisamment rapide pour m'esquiver », termina-t-il mentalement. Et sans plus de sommation, il se fendit en avant.

De l'autre côté de la grotte, Fye et Chii enchaînaient les sortilèges d'attaque et de défense. Le magicien para une série de sa mère, puis une autre. Entre deux salves, il jetait un œil en direction de Kurogane et de son père. Voir les deux hommes s'entraîner comme des camarades de longue date alors qu'ils ne se supportaient pas deux jours plus tôt tenait du miracle. Tout de même, songer que c'était Kurogane qui donnait le cours, alors que son père avait le double de son âge, c'était quelque peu étrange … enfin, songea le mage avec un haussement d'épaule, pas plus étrange que le cours qu'il donnait à sa propre mère. Il para un sortilège, projeta une attaque en direction de Chii, que celle-ci esquiva et lui renvoya. Fye ne s'attendait pas à une telle riposte, mais contra le coup sans peine.

– C'était à moi de t'attaquer, non ?

– Tu rêvais, rétorqua sa mère avec un sourire amusée.

– C'est vrai, tu as raison.

– Tu veux y aller ?

– Y aller ? Où ça ?

– T'entraîner avec ton père et Kurogane. Je vois bien les coups d'œil que tu leur jettes depuis dix minutes. Tu aimerais participer à leur entraînement, n'est-ce pas ?

Fye eut un sourire désabusé : était-ce parce qu'elle était sa mère qu'elle lisait si facilement en lui ? Chii lui sourit.

– Tu m'as montré assez de sortilèges pour que je puisse m'entraîner toute seule pendant une petite heure. Vas-y.

– … merci.

Sans se faire prier, il se dirigea vers l'autre bout de la grotte. Chii traça quelques runes tout en continuant de sourire : Fye était peut-être un adulte, mais une seconde plus tôt, il lui avait semblé voir un petit garçon qui ne demande qu'à aller jouer avec ses camarades. Et comme elle restait sa mère malgré les vingt ans d'emprisonnement qui les avaient séparés, elle n'avait pu s'empêcher d'éprouver un petit plaisir en lui donnant la permission d'aller s'amuser, même si, l'un comme l'autre, ils avaient passé l'âge de ce genre de choses. Après tout, le destin s'était joué d'eux, cela ne les autorisait-il pas à se jouer de lui en retour ?

Kurogane feinta, trancha en direction des jambes d'Hideki. L'ancien souverain para, mais son adversaire reprit l'assaut, l'attaqua de côté, et sans crier gare, remonta vers son épaule. Hideki sut qu'il avait une demi-seconde de retard ; bon sang, et dire que Kurogane lui avait dit de faire attention aux attaques arrivant d'en haut ! Il allait probablement récolter une nouvelle égratignure, car même s'il esquivait la lame du ninja effleurerait sa chair.

À cet instant, un bâton bloqua le sabre de Kurogane. Médusé, Hideki découvrit que le bras qui tenait l'arme appartenait à Fye. Il n'avait pas vu son fils s'approcher, ni ne l'avait entendu lorsqu'il s'était interposé entre lui et Kurogane. Il avait agi avec une rapidité stupéfiante, sans bruit, et il avait arrêté l'arme du ninja. Ce dernier haussa les sourcils, visiblement mécontent que le magicien s'immisce dans une attaque qu'il pensait réussie.

– Qu'est-ce que tu fous là, le mage ? Je croyais que tu travaillais avec ta mère !

– Quel est donc ce regard noir, Kuro-chan ? Ma mère s'en sort très bien pour le moment, et comme je commençais à m'ennuyer, j'ai voulu me joindre à vous.

– D'où tu décides sans me demander mon avis ? C'est mon cours, je te rappelle !

– Je ne vois pas pourquoi tu serais le seul à t'amuser !

– M'amuser ? Je bosse, moi, je te signale !

– Pas assez, je trouve. C'est facile d'adopter la posture du professeur, pendant que mon père trime !

C'est peu de le dire, songea Hideki, mais il ne fit aucun commentaire.

– Alors, pour corser un peu tout ça et t'empêcher de rouiller, Kuro-chan, tu vas nous attaquer tous les deux !

– Tous les deux ? Ton père et toi ?

– Oui, c'est ça.

– Et pourquoi tu te mets de son côté ?

– Si j'étais avec toi, tu en profiterais pour paresser et me laisser faire tout le travail.

– Mais qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! Je te signale que c'est toujours toi qui te tournes les pouces pendant que je me tape le boulot !

– Quel mauvais menteur !

– Tu vas voir si je mens !

D'un mouvement preste, Kurogane repassa à l'attaque en direction du mage et de son père. Hideki reprit sa position tandis que Fye parait le premier coup de son bâton.

– Ça ne te dérange pas que je me joigne à toi ? lui demanda son fils par-dessus son épaule.

– Pas … pas du tout !

Au contraire, Hideki sentait des étincelles de joie danser dans son cœur. Il contra le sabre de Kurogane son épée, le repoussa, puis croisa les jambes pour tenter une attaque sur le côté ; en réalité, il s'agissait d'une feinte pour tromper le ninja et l'attaquer vers le visage. Fye jeta un œil à sa position, et de son bâton accompagna son geste pour doubler sa feinte. Hideki écarquilla les yeux : comment avait-il deviné son intention ? Ensemble, ils visèrent le genou de Kurogane, et relevèrent leur arme vers son cou. Le ninja, rapide, réussit tout de même à les contrer. Hideki recula, reprit son souffle et jeta un œil à son fils : celui-ci ne le regardait pas, mais il paraissait savoir à l'avance quel coup il allait tenter. L'ancien roi tenta une attaque plus frontale, et encore une fois, Fye suivit son mouvement. Était-il devin ? Son fils anticipait ses gestes et l'aidait à mettre Kurogane en difficulté sans qu'ils n'aient besoin d'échanger une seule parole. Cette complicité muette le grisa. Bon, cela ne suffisait pas à battre Kurogane qui connaissait Fye par cœur, mais tout de même, lutter ainsi aux côtés de son fils l'exaltait, le galvanisait. Pour la première fois depuis qu'il avait retrouvé Fye, il se sentait connecté à lui. Ils échangèrent un bref regard et se sourirent : ils éprouvaient visiblement la même chose. D'un mouvement parfaitement synchrone, ils relancèrent l'assaut vers Kurogane.