Acte II - Premières danses

En réalité, je n'ai compris que trop tard que les regards de Pomona, teintés de tendresse et de bienveillance, attendaient autre chose de moi qu'une seule amitié indéfectible. Était-ce là depuis toujours ? Lorsque je tente de me remémorer toutes nos années à Poudlard, je ne perçois que nos rires, nos heures passées à combler nos lacunes respectives, son soutien sans faille lorsque Albus accepta de m'aider à devenir animagus, et par-dessus tout, nos vacances partagées. Pomona avait lourdement insisté pour me faire découvrir son pays. Un mois de rêve. Sa famille me couvrait des plus belles attentions et Pomona rayonnait. Un événement en particulier me revient à l'esprit.

C'était l'été qui précédait mon entrée au Ministère. Je venais de terminer ma scolarité à Poudlard et Pomona m'avait fait jurer de venir chez elle avant de partir pour Londres. J'avais en effet reçu, à la fin de mes cours, un courrier de la part du Département de la Justice Magique me demandant si je pouvais prendre poste au plus vite. J'étais parvenu à négocier l'été afin de pouvoir me préparer convenablement. Le comportement de Pomona avait changé lors de cette dernière année, sans que je ne parvienne à mettre le doigt sur ce qu'il se passait exactement…

Ce soir-là, nous devions nous rendre sur l'île d'Aran où se tenait un événement que je ne devais manquer sous aucun prétexte selon Pomona. Alors que je m'apprêtais à la rejoindre au rez-de-chaussée, je surpris une conversation entre elle et sa mère. Cette dernière semblait inquiète :

- Es-tu sûre de toi, ma chérie ? Je… tu sais que je n'au aucun soucis à l'accepter, mais… tu es si jeune…

- Maman, je t'en prie. Je ne veux pas avoir cette conversation avec toi.

- Mais es-tu certaine au moins qu'elle… enfin qu'elle soit comme toi ?

- Je l'ignore. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, cela ne changerait rien. J'attendrais.

- Et si cela n'arrivait jamais ? As-tu seulement envisagé qu'elle puisse le prendre mal ? Voire même qu'elle en ait peur ?

Pomona ne répondit pas tandis que sa mère se rapprochait d'elle pour la prendre par les épaules.

- Je veux juste t'éviter des souffrances inutiles ma petite fleur.

J'eus la gorge nouée en entendant Pomona éclater en sanglots. Je n'arrêtais pas de ressasser cette conversation en me demandant quel pouvait bien en être le sujet. Après un temps, et une fois que je m'eus assuré que les pleurs avaient cessé, je manifestais ma présence, laissant à Pomona suffisamment de temps pour sécher ses larmes. Elle m'accueillit avec un grand sourire même si son teint pâle trahissait son malaise. Sa mère, quant à elle, n'osait me regarder dans les yeux, rajustant la cape de sa fille sur ses épaules en leur recommandant de se montrer prudentes.

- Ne vous inquiétez pas, Mrs Chourave, je veille toujours sur Mona.

Je pensais la réconforter en lui assurant mon soutien, mais je ne vis que ses yeux s'embrumer de larmes. Pomona m'attira dehors, non sans un dernier regard quelque peu courroucé vers sa mère. Là nous nous dirigions vers l'appentis où j'avais laissé mon balai.

- Tu es sûre que ça ira, Mina ? Je veux dire… je sais que tu en es capable, mais, je veux m'assurer que ce soit bien raisonnable.

Comme toujours lorsque l'on évoquait mon accident, je ressentais un léger pincement au niveau des côtes. Quelques mois plus tôt avait eu lieu la finale de la coupe de Quidditch des quatre maisons au cours de laquelle j'avais été victime d'un cognard lancé volontairement sur moi à dessein de me faire tomber de mon balai. Il en avait résulté une commotion cérébrale, plusieurs côtes cassées et une belle semaine d'inconscience. Pire encore, je ne devais plus faire de Quidditch… Voler sur un balai m'était devenu difficile, car souvent des nausées me prenaient dès que je décollais du sol. Si le trajet était court, je pouvais m'accommoder de ce désagrément.

- Ne t'inquiète pas pour moi, Mona. Il te suffit de m'assurer que si je glisse du balai, tu me retiendras !

- Bien entendu. N'oublie pas que je suis moi aussi sur ce balai !

Cette soirée fut absolument magnifique, bien qu'un détail me soit resté en mémoire, comme une note dissonante. Le trajet fut des plus agréables. L'air du soir était doux, juste ce qu'il fallait de chaleur pour que la vitesse ne soit pas une gène. Le rassemblement de l'île d'Aran était impressionnant. Alors que je survolais l'île, je sentais le cœur de Pomona battre à tout rompre dans mon dos. J'aimais cette sensation. Soudain, elle me montra du doigt une petite butte un peu à l'écart de la foule qui déjà lançait en tous sens des feux d'artifice.

Je descendais en douceur et commençais à sentir, bien malgré moi, une petite pointe douleur sur le côté ce qui me valut un regard plein de réprimandes et une incitation à m'asseoir avant d'aller profiter du spectacle. Après un instant de repos, mon garde malade accepta que nous nous mêlions à la foule. Biéraubeurre, Whiskey Pur Feu, Eau de Giroflée et autres boissons plus ou moins alcoolisées se succédaient dans nos verres apparus par magie entre nos mains. Je tentais dans un premier temps de surveiller la consommation de Pomona, mais devait bientôt me rendre à l'évidence que ma tâche était impossible tant elle était excitée. Plusieurs fois je la surpris en train de me dévisager, un sourire énigmatique au coin des lèvres et un regard pétillant de malice.

Avant que le bouquet final ne retentisse, Pomona m'attira vers la petite butte où nous avions atterri plus tôt. J'avais la tête qui tournait à cause du whiskey que j'avais bu, mais aussi à cause de ce maudit parfum qui, ce soir-là, était particulièrement obsédant. Je n'avais qu'une envie, celle de le humer, encore et encore, le nez collé à la peau de Pomona et d'y rester pour toujours. Je crois bien que c'est la première fois que je ressentais une telle attraction. Ou plus exactement que mon corps et mon esprit se dissociaient. Tout mon être souhaitait ne faire plus qu'une avec celui de Pomona, que rien ne change entre nous, mais mon esprit, lui, ne comprenait pas ce qu'il était en train de se produire. Qu'étais-je en train d'envisager ? Qu'étais-je en train même de m'imaginer ?

Nous nous sommes allongées sur l'herbe sèche et je levais mes yeux vers le ciel qui ne cessait de tourner. J'entendais la voix de Pomona comme un songe lointain alors que les feux d'artifice venaient zébrer de leurs lueurs colorées la voûte céleste.

- Qu'en penses-tu ? me demandait-elle

- Quoi ? répondis je, interloquée, n'ayant pas suivi ce qu'elle pouvait me raconter.

- Je te demandais si cela ne te semblait pas étrange de penser que cette année, nous ne serons plus ensemble à Poudlard.

Elle avait prononcé ces mots d'une voix triste. Je n'osais la regarder en face, de peur de laisser mon émotion prendre le dessus. Je sentais mon cœur se serrer à cette seule pensée, mais à cet instant, j'ai songé que le mieux, que mon rôle était de l'aider à passer ce deuil.

- Bien sûr, mais j'ai hâte de pouvoir faire mes preuves et apporter ma contribution au monde magique.

Je la sentis se tendre à côté de moi et m'empressait de rajouter qu'une fois installée à Londres, elle pourrait se joindre à moi et nous pourrions passer quelques jours ensemble. L'idée sembla la rassurer quelque peu, mais le silence s'installa avant qu'elle ne me demande comment j'envisageais l'avenir, où je me voyais dans cinq ans et avec qui.

Ceci me surprit, car durant toutes les années que nous avions passées ensemble, il n'avait jamais été question de relations sentimentales. Je ressentais quant à la chose une pudeur toute britannique, sans doute hérité de mon contexte familial. Non que je n'avais jamais considéré certaines personnes comme attractives, mais je me donnais du temps encore pour envisager ce genre de choses. Et je commis ce jour-là une grande erreur. En prenant quelques instants, un visage s'imposa à ma pensée. Celui de Dougal McGregor, un fermier de mon village avec qui j'avais sympathisé au début de l'été. Il avait ce don rare de me faire rire et d'avoir beaucoup d'esprit, cette simplicité et cet humour piquant que j'appréciais tout particulièrement. À bien y réfléchir, oui, il était parfaitement le genre de personne avec qui je m'imaginerais bien vivre. Et j'eus la bêtise de l'avouer à Pomona. Plus encore, je lui avouais que Dougal m'avait demandé en mariage, mais que j'ignorais encore la réponse à lui donner.

Dès que j'eus prononcé ces mots, je sus que j'avais fait une erreur. Une de plus. Lorsque je tournais la tête vers Pomona, je vis une larme se perdre dans ses boucles brunes. Elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour maitriser ses émotions, et si je m'étais contenté de garder les yeux rivés sur le ciel, j'aurais tout aussi bien pu ne pas m'en apercevoir.

- Qu'y a-t-il Pomona ?

- Rien. Tout va bien.

- Alors pourquoi pleures-tu ?

- Je viens… J'ai réalisé… Non. Tu vas terriblement me manquer, Mina.

Elle restait parfaitement immobile, le regard perdu dans les étoiles. Je me redressais et lui demandais de me regarder et m'écouter attentivement. Une main sur sa poitrine et l'autre caressant ses cheveux, je tentais de la rassurer et de sécher ses larmes.

- Mona. Même si nous ne sommes plus ensemble à Poudlard, je ne t'abandonne pas. Nous continuerons à nous envoyer des hiboux, et à nous voir aussi souvent que possible. Je te le promets. Je serais toujours là.

Afin de ponctuer ma promesse, je déposais un tendre baiser sur son front et pouvais sentir son souffle se couper l'espace de quelques secondes alors que je collais mon corps contre le sien pour l'enlacer. Elle finit par me rendre son étreinte, avec plus de force que d'ordinaire. Je continuais à songer à cet instant que tout était toujours semblable à d'habitude et ignorais que j'en étais qu'aux prémices de toutes les souffrances que j'allais lui infliger.

Bien évidemment, il s'avéra très vite que j'étais incapable de tenir ma promesse malgré toute la volonté du monde. En un mois de travail au ministère, je n'avais pas trouvé un seul instant pour moi. Avant sa rentrée cependant, je lui proposais de passer la nuit chez moi afin que je puisse l'accompagner à la Gare de King's Cross. Nous ne nous étions pas revu depuis ce fameux soir, et n'avais même pas eu le temps de la tenir au courant de ma décision de ne pas épouser Dougal. En ouvrant, je lus un instant son hésitation quant au comportement à adopter. Son regard balaya mon appartement avant que je ne la rassurer sur le fait que j'étais seule. Elle parut soudainement se détendre et posa avec enthousiasme ses affaires dans un coin avant de se jeter sur mon canapé qui émit un couinement de protestation.

La soirée fut des plus agréables. Lorsqu'il finit par me poser la question sur Dougal, je perçus une dernière trace de nervosité dans sa voix qui disparut aussitôt lorsque je lui livrais ma décision.

Je l'aime, c'est un fait. Mais je ne me sentais pas le droit de l'arracher à sa vie pour me suivre. Tout comme je ne suis pas prête à abandonner le monde de la magie. J'ai trop vu ce que cela à coûter à ma mère pour ne serait-ce que l'envisager. Et je pense en toute honnêteté n'être pas faite pour le mariage. Du moins pour le moment.

- Nous sommes encore trop jeunes pour penser à cela. Nous en rediscuterons lorsque tu seras Ministre de la Magie.

Grands Dieux, non. Très peu pour moi. Mais je compte bien profiter de ma jeunesse comme tu le dis. Il n'est pas venu le temps où Minerva McGonagall regardera le monde avancer sans elle à travers sa fenêtre.

Pomona eut un petit rire et un regard plein de tendresse avant de se laisser tomber sur moi dans une grande embrassade.

- Je suis si heureuse que tu sois toi, Mina.

Nous avons continué de parler jusqu'à une heure avancée de la nuit alors que les bâillements de Pomona se faisaient de plus en plus rapprocher. Lorsqu'elle fut partie et que je regagnais seule mon appartement, je ressentis un grand vide. L'avoir contre moi cette nuit m'avait paru si naturel, comme une évidence. Avec elle, tout était si simple et limpide.

Comme je l'expliquais, mon travail au ministère ne me laissait que peu le loisir de la voir, ne serait-ce que d'aller jusqu'à Pré-au-lard pour y boire un verre aux Trois Balais. Pomona continuait de m'écrire, inlassablement. Je ne pouvais m'empêcher de ressentir une pointe de jalousie envers elle et nos autres amis. Ils étaient ensemble tandis que moi, je ne faisais que voir les jours se succéder avec les mêmes routines et les mêmes brimades de fait de ma nature de Sang-Mêlée. Le seul à me considérer selon mes capacités et non mon sang était mon chef de département, Elphinstone. Mais je supposais que ses attentions avaient d'autres intérêts que de simple relation de travail.

Le temps passa et irrémédiablement, Pomona termina ses études à Poudlard avec brio. Afin de fêter l'événement, elle nous entraina dans un bar du Londres moldu. Mes cernes me valurent quelques bonnes réprimandent de la part de Poppy qui, comme à son habitude, ne put s'empêcher de m'interroger sur ma vie privée. Ce à quoi je répondis que je n'avais tout simplement pas le temps ni l'envie pour ce genre de choses. Durant la soirée, Pomona, qui avait déjà bu plus que son compte de pinte, m'entraina sur la piste de danse. Une fois encore, la fatigue, les vapeurs d'alcool, les effluves de Mina's dream m'abandonnèrent à mes sens. D'autant que ce soir là, Pomona était bien décidée à m'ouvrir les yeux. Ses mains passées autour de mon cou, son corps pressé contre le mien, le rythme effréné de la musique, le monde autour de nous, tout nous attirait irrémédiablement l'une contre l'autre. Tout était réuni pour que mes sens l'emportent sur ma raison. Elle colla alors son front contre le mien et il suffit d'un coup d'épaule me poussant vers elle pour que, sans le vouloir, mes lèvres rentrent en contact avec les siennes.

Si j'avais réagi à cet instant, cela nous aurait épargné à toutes deux la scène pénible que je devais lui infliger quelques jours plus tard. Mais j'étais à cet instant comme figé, incapable de comprendre ce qui était en train de ses passer alors qu'au lieu de me repousser, les bras de Pomona se refermèrent implacablement sur moi. Elle raffermit son étreinte et emprisonna mes lèvres dans un long baiser langoureux. J'oubliais tout, jusqu'à mon propre nom. Je laissais, sans volonté, ses mains glisser le long de mon dos, sous mon T'shirt pour m'attirer toujours plus contre elle alors que sa langue s'invitait à caresser la mienne. Ce fut comme si j'assistais à cette scène d'un point de vue complètement étranger, impuissante, me demandant à la fois pourquoi je me laissais faire, mais aussi pourquoi je n'avais pas cédé avant. Elle glissa alors à mon oreille :

- Depuis le temps que je rêvais de faire cela.

Alors je compris. La signification de tous ces silences, ces regards. Soudain, je pris peur. Je savais que je devais dire quelque chose, mais j'en étais proprement incapable. Oui, j'aimais Pomona, mais pas ainsi. Enfin, je ne pensais pas. En réalité, je n'avais jamais songé à elle en ces termes. J'étais juste tétanisée.

- Je… oui… je dois rentrer. Je dois me lever tôt demain.

- Oh… répondit-elle, déçu, mais je pensais que nous pourrions…

- Une autre fois, Mona. Je suis désolée.

Je pris littéralement la fuite. Sans même prendre le temps de dire au revoir aux autres, je transplanais jusque chez moi et me précipitais dans la salle de bain pour vomir. Jamais je ne me suis sentie aussi mal et aussi nauséeuse. Comment pouvais-je briser les rêves de Pomona, comment pouvais-je ne serait-ce qu'imaginé la blesser ? Comment lui expliquer que jamais je ne la verrais autrement que comme une amie, une sœur ? Les nuits qui suivirent ne furent qu'angoisse jusqu'à ce que je reçoive un hibou de Pomona me demandant l'autorisation de passer chez moi dans la dernière quinzaine de juillet. Je l'attendais avec une boule eu creux de l'estomac, mais vis avec surprise qu'elle ne tentât aucune approche envers moi, si bien que j'en vins à me demander si je n'avais pas rêvé ce qu'il s'était passé.

Elle me conforta dans ma décision de quitter mon poste au ministère et d'accepter la proposition d'Albus de reprendre son poste de professeur de métamorphose. À dire vrai, elle n'eut pas grande peine à me convaincre, car j'en étais arrivé à un point où soit je démissionnais, soit je partais à Azkaban pour avoir lancé un maléfice sur l'un de mes collègues.

- Tu verras, à nous deux, nous allons révolutionner l'enseignement à Poudlard ! Pour fêter cela, je t'emmène en ville.

Sans méfiance, je la suivais au détour des rues, heureuse et légère à l'idée de retourner au château, et de ne plus être seule. Elle m'amena dans un coin de Soho où je ne m'étais jamais rendu. Les rues étaient de plus en plus animées, tout n'était que joie et rires. Pomona m'attira dans un bar qui éveilla une première sonnette d'alarme, Les délices de Sappho. Je décidais de ne pas m'arrêter à ce simple nom et la suivais jusque sur la piste de danse. Là, en laissant mon regard se promener sur les couples enlacés en train de se trémousser, je remarquais qu'il n'y avait là que des femmes. Sans en comprendre la raison, je sentis une colère irrationnelle monter en moi alors que Pomona passait une nouvelle fois ses bras autour de mon cou. Ses yeux pétillaient d'un amour sincère et je sentais peu à peu le piège se refermer sur moi.

Était-ce de la peur ? Était-ce la crainte de perdre ce qu'il y avait de si cher et de si unique dans notre relation ? M'étais-je laissée gagner par la honte que j'avais ressentie face à cet instant d'intimité ? Pourquoi ressentais-je à cet instant cette révulsion à la voir s'approcher de moi ou à la simple idée d'admettre l'attraction qu'elle exerçait sur moi ? Sans un mot, je la repoussais, plus violemment que je ne l'aurais souhaité. Elle m'observa, interdite avant de devenir blême alors que je déblatérais un flot d'insultes qui n'avaient rien à faire dans ma bouche et encore moins de lui être adressée.

- Comment peux-tu ne serait-ce qu'un instant penser que je puisse être comme toi ?

- Minerva, je t'en prie. Pardonne-moi, je pensais…

- Tu pensais mal ! Jamais je ne serais comme toi, tu m'entends !

- Comment…

- Tu me dégoutes, Pomona, lâche-moi !

- Je me débattais furieusement et sortais en trombe du bar, Pomona, exsangue, sur mes talons.

- Minerva, je t'en prie. Écoute-moi…

- Non, je ne veux plus rien avoir à faire avec toi.

En transplanant chez moi, j'eus toutes les peines du monde à extirper de mon esprit la dernière image de Pomona, sur le trottoir, la tête entre les mains, secouée de spasmes. Les jours qui suivirent ne sont d'une succession de flash entre deux bouteilles de scotch. Seul l'alcool parvenait à m'abrutir assez longtemps pour ne pas ressentir tout le mal que j'avais fait. Je buvais pour essayer de combler cette immense sensation de vide que je ressentais. Perclus de honte, j'en vins à certaines heures tardives, à me demander si ce n'était pas mieux d'en finir maintenant. Je m'étais conduite comme une imbécile et j'avais été pendant ces quelques secondes, un monstre. J'avais laissé la peur s'infiltrer dans mon cœur et l'avait laissé blesser la personne qui comptait le plus à mes yeux.

La lettre d'Albus me demandant de venir au château pour y prendre mes quartiers agit comme un sceau d'eau glacée. Je pris le train au plus vite avec la ferme intention de présenter mes excuses à Pomona. Soit elle les acceptait et je restais, soit elle les refusait, et je partirais. Jamais je ne pourrais lui infliger plus de souffrance. Ce fut Poppy qui m'accueillit aux portes de Poudlard. Nous nous sommes dirigées ensemble vers le château, en silence, jusqu'à ce qu'elle n'entame la conversation, toujours avec la plus grande bienveillance.

- Tout va bien se passer Minerva.

- Je ne suis pas inquiète pour les cours.

- Je ne parlais pas des cours. Crois-tu vraiment que j'ignore ce qu'il s'est passé ?

- Je suis vraiment aveugle, n'est-ce pas ?

- Oui. Et stupide aussi. Brillante, mais stupide.

- Cela fait longtemps ?

- Oui. Mais elle a mis des années à mettre un mot sur ce qu'elle ressentait. En revanche, tu ne l'as pas aidée avec ton moldu, et ce baiser… Si je ne te connaissais pas, je dirais que tu t'es amusé à ses dépens et j'aurais la baguette qui me démange de t'expliquer ce que j'en pense ! Mais je connais…

- Que dois-je faire, Poppy ? Je… j'ignore ce qu'il m'a pris de lui dire toutes ces choses, je n'en pensais pas un mot !

- Tu as passé trop de temps à devoir te fondre dans la masse au Ministère, à devoir taire tes convictions, à devoir montrer un visage souriant et faire ce que les autres attendent de toi. Tu as été élevé dans un monde où… une femme doit épouser un homme et bâtir un foyer. Moi aussi. Mais Pomona… elle est différente. Et avant qu'elle ne m'en parle, je dois dire que je n'aurais pas même pensé cela possible. Mais en réalité, il n'y a rien de plus normal. Le plus important, c'est ce qu'on a dans le cœur, non ?

J'étais incapable de lui répondre. Bien sûr qu'elle avait raison. Mais savais-je seulement ce que j'avais dans le cœur ? Je pris autant de temps que je le pus, une fois arrivée au château, à investir mes appartements, repoussant toujours plus le moment d'aller confronter Pomona. Albus vint me voir pour s'assurer que j'étais parfaitement installée puis me laissa seule. Assise sur mon lit, je tentais de formuler ma pensée lorsqu'on toqua à ma porte. J'eus la surprise d'y trouver Pomona, qui tentait d'éviter mon regard.

- Je te dérange ?

- Non… bien sûr que non ! Mais… ce n'était pas à toi de venir.

- Peut-être oui. Mais je ne pouvais pas attendre. Je peux entrer ?

- Je l'accueillais dans mon petit salon où je fis apparaitre une théière fumante et deux tasses. Pomona s'assit et nous servit du thé. Je remarquais que sa jambe gauche appuyée sur le sol était prise de tremblements.

- Mona… je suis… je suis désolée de ce qu'il s'est passé. Je ne pensais pas un seul mot…

- Mina, je t'en pris. Tu pensais ce que tu disais. Mais ce n'est pas grave. Ce n'est pas à toi d'être désolée. Je n'aurais pas dû agir comme je l'ai fait sans même prendre le temps de t'en parler. Je me suis fourvoyée quant à tes sentiments, tu m'as exprimé ta façon de penser. Malgré tout, si tu penses la chose possible, j'aimerais que nous restions amies.

Je l'avais écouté bouche bée. Jamais je n'avais pensé à un tel revirement de situation. Voilà qu'elle me mettait en position de victime ! Je ne pouvais supporter cela plus longtemps. Je franchissais les quelques pas qui nous séparaient et m'agenouillais devant elle. Je ne me rendis pas compte tout de suite que les larmes commençaient à couler le long de mes joues.

- Mona, tu resteras toujours mon amie. Jamais je n'aurais dû te dire toutes ces choses et je peux t'assurer que je n'en pensais pas un mot. J'ai eu peur. Tout simplement peur de te perdre si je te disais que je ne partageais pas tes sentiments. Et pour la première fois, je me suis trouvée entièrement prise au dépourvu, incapable de trouver les mots juste pour ne pas te blesser. Alors je t'ai attaqué. C'était injuste, minable, méprisable et je passerais ma vie à regretter de t'avoir blesser ou de t'avoir fait croire que tu étais… que tu étais…

- Un monstre ?

- Oui, tu n'es rien de cela ma Mona. Et… je suis plus que navrée de ne pouvoir te donner ce que tu souhaites.

Pomona me prit le visage entre les mains et essuya mes larmes avant de déposer un baiser sur mon front.

- Mina. Bien sûr que je préférerais que nos relations soient plus intimes. Mais je préfère encore t'avoir dans ma vie autant qu'amie que te perdre à jamais. Je reste à tes côtés, quoi qu'il m'en coûte.

Nous tombions dans les bras l'une de l'autre et laissions nos larmes de soulagement sceller cette nouvelle promesse d'amitié éternelle. La première année d'enseignement fut pour nous source d'expérimentation. Nous ne tardions pas à mettre au point toute une série de rituels que nous ne manquions pour rien au monde, une fois les cours terminés et le repas du soir ingurgité. Nous nous retrouvions alors dans ses appartements à côté des serres pour un dernier verre. J'aimais ce qu'elle avait fait de cet endroit. Une porte dérobée au fond de la serre N° 3 donnait sur ses quartiers, une grande pièce à vivre surmontée d'une verrière occupée d'une ottomane et de deux fauteuils sans âge. Le sol était entièrement recouvert de tapis élimés dans des tons verts et ocre. Un escalier en fer forgé permettait d'accéder au sommet de la verrière où une plateforme occupée d'une banquette permettait d'observer les étoiles. Au fond de la pièce, une série de trois marches menait à la chambre à coucher et au cabinet de toilette.

Pomona avait un véritable goût pour l'aménagement. On s'y sentait comme dans un cocon qui avait l'avantage d'être assez éloigné des yeux et des oreilles indiscrets pour que nous nous livrions à toutes les libertés sans subir les réprimandes de Rusard ou d'Albus. Jusqu'à une heure avancée de la nuit, nous écoutions des musiques moldus sur le gramophone que j'avais modifié pour écouter des vinyles moldus, goûtant aux « spécialités » que Pomona avait mise au point dans ses serres personnelles, à l'insu de tous. Au fil de ces soirées, je voyais bien son petit jeu. Elle avait accepté que mes sentiments ne soient pas partagés, mais elle n'avait jamais promis de ne pas essayer de me convaincre. Je m'amusais à lui faire remarquer ses écarts, mais me surpris à… les attendre. Une main saisissant la mienne, ce baiser déposé dans mon cou, ses doigts passés dans le creux de mes reins, la tendance qu'elle avait de toujours vouloir rajuster le col de mon gilet, juste pour passer ses bras autour de mon cou.

Elle était parfaitement irrésistible. A mesure que le temps avançait, j'avais de plus en plus de mal à repousser gentiment ses avances, jusqu'à me demander pourquoi je m'entêtais à lui refuser ce qu'elle désirait le plus au monde. La peur n'était plus et avait cédé la place à un tout autre sentiment. Je m'en aperçus sans l'ombre d'un doute ce fameux soir où Pomona tenta de me donner de l'herbe à chat lorsque j'étais sous ma forme animagus. Quel délice ! Ce fut la toute première fois que je m'entendais ronronner ! Heureusement que les murs de ses appartements n'ont pas d'oreille sans quoi ma crédibilité en tant que professeur en aurait fortement pâti ! Cette nuit-là, nous nous sommes endormies ensemble, sous la verrière. J'étais allongée sur sa poitrine, ronronnant sous ses caresses. Ses yeux pétillaient d'amour alors qu'elle me murmurait en passant une nouvelle fois ses doigts dans mon pelage « Je t'aime, Mina ». J'étais incapable de lui répondre autrement que par un miaulement. Mais si elle avait pu lire en moi, elle aurait sur qu'il signifiait « Moi aussi, Mona. ».