Bonjour à tous !
Je vous prie de m'excuser pour ce mois sans update, j'ai encore tardé. Mais ça y est, je suis de retour avec un nouveau chapitre et vous en aurez un second très rapidement ! Le face à face entre Ingvar, Fye et Chii se poursuit, la tension monte !
Je vous souhaite une bonne lecture :)
Chapitre 48 - Des armes convoitées
Fye ne pouvait détacher son regard d'Ingvar. Immobile, il fixait le sorcier, tandis que les pièces du puzzle s'imbriquaient lentement dans son esprit. Les informations l'étourdissaient, son cœur résonnait jusque dans ses oreilles avec un rythme de tambour.
Il n'avait jamais été maudit. Certes, c'étaient bien ses pouvoirs et ceux de son frère qui avaient provoqué les catastrophes qui avaient ravagé Valeria, mais ces fléaux n'étaient pas dus à une malédiction. Leur magie avait été trafiquée, pervertie pour provoquer des évènements funestes. Ingvar avait pactisé avec Fei Wang Reed pour obtenir le trône de Valeria, et il avait désiré, tout comme ce dernier, s'approprier leur vie et tirer parti de leurs pouvoirs. L'idée que son existence était déjà instrumentalisée avant même qu'il ne sache marcher souleva en lui un sentiment de révolte, qui confinait à la nausée. Mais il y avait plus surprenant, pire encore.
Ashura avait marchandé avec Fei Wang Reed, lui aussi. Comme Fye l'avait soupçonné par le passé, le roi de Célès se savait condamné à devenir un monstre. Il l'avait délivré de la fosse aux condamnés dans l'unique but d'avoir sous sa coupe un magicien plus puissant que lui, capable de le tuer le moment venu.
Toutefois, Fye ignorait que la folie d'Ashura résultait d'une malédiction. Apprendre que son tuteur avait été maudit quand lui-même ne l'avait jamais été éveilla un étrange sentiment dans son cœur. L'image du roi agonisant, transpercé par l'épée de Kurogane, lui revint en mémoire. Il pensait qu'Ashura était venu le chercher à Valeria de son propre chef, mais comme Ingvar, il s'était allié avec Fei Wang Reed pour réaliser son vœu.
Au fond, cela était logique : comment Ashura aurait-il eu connaissance de son existence, sans l'aide de Fei Wang ? C'était si évident que Fye se sentit stupide de ne jamais y avoir pensé. La douleur qui lui comprimait le cœur se transforma en plaie béante. Il se sentait trahi. Le roi de Célès et Fei Wang étaient de mèche dès le départ, et surtout, c'était Ashura qui avait lancé le sortilège qui avait perverti ses pouvoirs et ceux de son frère. Fei Wang lui avait probablement enseigné la formule, mais c'était lui qui l'avait lancée. Comment avait-il pu précipiter un pays tout entier dans le malheur pour servir son intérêt personnel ? Comment Ingvar avait-il pu accepter la mort d'une partie de ses sujets pour mieux manipuler l'un des princes et accéder au trône ? Fye frissonna : dès leur naissance, sa vie et celle de son jumeau avaient été convoitées comme des butins. Ils étaient considérés comme des outils, malléables à souhait.
Pourtant, lorsque Fei Wang était apparu dans leur prison, il leur avait demandé de choisir. Lui, ou Fye, le vrai Fye. Le sorcier savait qu'un seul enfant sortirait de la fosse aux condamnés, qu'un seul enfant pourrait être donné soit à Ashura, soit à Ingvar. Lequel avait-il choisi en échafaudant son plan ? Comme un écho à sa pensée, la voix d'Ingvar s'éleva dans la caverne.
– Fei Wang Reed avait-il prévu que le roi de Valeria ne me libèrerait jamais ? Ou la folie du roi a-t-elle dépassé ses expectatives ? Avait-il prévu de ne me donner aucun des princes jumeaux, ou l'a-t-il décidé en cours de route ? Je n'en sais rien, mais je suppose qu'il n'a jamais eu l'intention de m'aider. Je n'étais qu'un pion pour lui, comme l'était Ashura, comme toi et ton frère, Fye, l'étaient aussi. Je voulais rétablir la justice dans mon royaume ; lui manipulait les destins, juste pour prouver qu'il en était capable. La vérité, le bien et la vie humaine n'avaient pas de valeur à ses yeux. L'état du pays n'a cessé de se dégrader, les malheurs qui le frappaient se transformaient en fléaux, les morts se multipliaient. J'avais peine à croire qu'un simple sortilège de manipulation avait pu déclencher de tels cataclysmes, pourtant, c'était la vérité.
Fye déglutit lentement. Il avait toujours su que ses pouvoirs, mal employés, pouvaient être dangereux. Leur origine divine faisait d'eux une arme à double tranchant, et même s'ils avaient été pervertis contre sa volonté, le magicien se sentait responsable des catastrophes qui avaient dévasté son pays.
– Le roi, imbue de sa propre autorité, refusait d'admettre que la situation lui échappait, poursuivit sombrement Ingvar. Comme au temps de Lug et d'Ogmios, il voulait démontrer sa supériorité, quitte à ajouter aux décès par maladie et par famine un nombre faramineux de condamnés à morts. Malgré l'état critique de notre royaume, le roi n'est jamais venu me libérer. Un jour, j'ai appris qu'il s'était suicidé. J'aurais aimé le tuer de mes propres mains, mais sa folie s'en était chargée avant moi.
» Le chaos s'empara du peuple, jusqu'à ce qu'entende de la bouche de mes geôliers que Clef, l'ancien mage personnel de la famille royale, organisait un exode des rescapés. Profitant de la désorganisation de l'armée, j'ai réussi à tromper la vigilance de mes gardes et à m'échapper. J'ai tenté de contacter Fei Wang Reed, en vain. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à éprouver des doutes, à soupçonner qu'il s'était servi de moi … »
Le regard d'Ingvar se perdit dans le néant, mais au fond de ses pupilles éteintes, Fye devina le sentiment de trahison qu'il avait éprouvé.
– Si Fei Wang m'avait trompé, j'espérais au moins que les princes jumeaux ne soient pas morts. Je suis parti en hâte vers la fosse aux condamnés, où ils avaient été enfermés. Lorsque je suis arrivé au bord du gouffre, je n'ai vu personne. Enfin, aucun être vivant. La fosse était jonchée de cadavres, mais il n'y avait pas de trace des princes. Je suis monté dans la tour, personne. J'ai fini par remarquer une tâche rouge sur la neige, au pied du donjon. Quelqu'un était mort dans cette fosse, d'une mort violente. Il ne pouvait pas s'agir d'un condamné à mort, qui se vide de son sang sous la hache du bourreau. Si quelqu'un avait péri dans ce gouffre, c'était forcément l'un des jumeaux. Près de cette tâche, j'ai détecté une empreinte, comme les derniers reflux d'une présence magique. J'ai compris que cette empreinte contenaient en réalité les réminiscences de deux auras distinctes : celle de Fei Wang Reed et celle d'Ashura.
L'amertume envahit la bouche d'Ingvar au souvenir de ce jour maudit. Dès le départ, Fei Wang avait prévu de donner l'un des jumeaux à Ashura et de tuer de l'autre, ou de le prendre pour lui. Il serra les poings : Fei Wang se moquait de mon désir de justice, de la dynastie d'Ogmios et de l'avenir de Valeria. Seuls les enfants l'intéressaient, tout comme cet étranger venu de Célès. Ils lui avaient menti, tous les deux. Jamais une telle rage ne l'avait envahi, jamais, même lorsque l'ancien roi avait refusé son pardon.
– Les princes m'avaient échappé et mon royaume était plongé dans le chaos. Pourtant, j'ai refusé d'abandonner. Si les enfants avaient été emmenés dans une autre dimension, il me restait encore leur mère. Je savais qu'elle était emprisonnée dans les sous-sols du château de Valeria avec le roi cadet, je pouvais encore m'approprier son pouvoir. J'ai tenté de la libérer de son pilier de glace, mais Clef, qui avait appris mon évasion, m'a opposé une farouche résistance.
– Il nous est resté fidèle, déclara Chii avec un regard de défi.
– J'aurais préféré qu'il se rallie à moi. Que gagnait-il à défendre une dynastie qui avait tant de morts sur la conscience ? Après m'avoir affronté, il a invoqué le dieu Dagda et les Fomoires comme protecteurs de la prison des souverains. Je ne pouvais plus les approcher, mais je n'ai pas abandonné pour autant. Je me suis juré que je parviendrai à libérer la reine cadette, à faire miens ses pouvoirs et à monter sur le trône. Avec la reine à mes côtés, je savais que le peuple exilé reprendrait espoir et reviendrait sur nos terres. Cela m'a pris vingt ans, mais j'ai trouvé comment vaincre Dagda et les Fomoires. En parallèle, j'ai rassemblé une armée. Je ne pouvais pas recruter d'hommes directement dans les pays voisins, cela aurait été trop voyant. Alors, je me suis souvenu d'un sort dont Fei Wang m'avait parlé et que lui-même utilisait. Un sort pour voler des âmes …
Les yeux de Fye s'écarquillèrent : il le savait. Il savait qu'Invar n'avait pas pu concevoir seul ce sort que leur ancien ennemi avait tant exploité. Qu'il parvienne à maîtriser un sort aussi complexe révélait son talent en tant que mage. Certes, il ne pouvait pas voyager entre les dimensions, comme Fei Wang, mais il avait réussi à extorquer des âmes grâce à la magie, et avait absorbé les pouvoirs que son ancêtre, Ogmios, tenait du dieu primordial. Une telle concentration de puissance dans un seul homme était effrayante.
Ingvar releva lentement la tête et plongea son regard dans celui de ses interlocuteurs.
– J'ai utilisé ce sort et j'ai créé un monstre capable de collecter pour moi les nombreux cadavres qui peuplent Valeria. Vous l'avez rencontré, je crois ?
– Cette chose immonde n'aurait jamais dû exister, dit Fye. En plus de dépouiller les vivants de leur essence la plus sacrée, vous profanez le corps des morts.
– Ce sont mes anciens sujets, au fond. N'ai-je pas le droit d'agir comme bon me semble à leur égard ?
Ingvar eut un sourire suffisant.
– Grâce à ces âmes et ces cadavres, j'ai créé des soldats immortels, tant que l'on ignore leur point faible. Aucun coup, aucune blessure ne peut venir à bout d'eux. Personne ne m'arrêtera et je reprendrai ce qui m'a été jadis volé. Je vais prouver à lFei Wang Reed que je n'ai pas besoin de son aide pour devenir roi et pour apporter la paix à ce royaume déserté depuis vingt ans. Le monde entier saura bientôt que le meurtre d'Ogmios était une erreur qui a conduit Valeria à sa perte. Moi, Ingvar, je réparerai cette ignominie et m'imposerait à tout souverain qui souhaite m'entraver. Et puisque tu as eu l'amabilité de revenir dans cette dimension, Fye, je vais avoir besoin et de ta mère pour y parvenir.
Un silence menaçant suivi les dernières paroles du sorcier. Dans la pénombre ballotée par les vagues des torches, l'eau ruisselait sur la roche, égrenant ses gouttes comme les grains d'un sablier. Fye fixait Ingvar : il restait quelque chose qu'il ne leur avait dite. Il manquait encore à son histoire un morceau pour compléter sa logique, une pièce du puzzle que le magicien redoutait de découvrir. Près de lui, il vit les épaules de Chii commencer à tressauter, et il crut qu'elle tremblait. Ce n'est que lorsque des petits bruits aigus lui parvinrent qu'il comprit qu'elle riait, d'un rire dénué de toute chaleur. Elle releva la tête et posa sur Ingvar un regard sardonique.
– Que vous apportera notre magie, exactement ? Valeria est un royaume vide, personne ne vous empêche de monter sur le trône. Vous vous êtes battu pendant vingt ans pour cela ? Laissez-moi rire ! Vous êtes tombé bien bas.
Ingvar dévisagea Chii sans prononcer un mot, sans laisser transparaître une émotion.
– Tu penses que je n'aspire qu'au trône, Elda ?
– C'est ce que vous avez dit.
– Et si je te disais maintenant que j'aspire à bien plus que cela ?
– Que voulez-dire ?
– Si je devenais roi, je ne changerai que le présent et l'avenir. Ce que je souhaite, c'est changer le passé ...
Chii et Fye se figèrent.
– … et vous allez m'y aider.
Fye sentit son cœur s'accélérer. Changer le passé. C'était donc le véritable but de leur ennemi, celui qu'il poursuivait depuis le début. Le magicien savait à quel point une telle quête était périlleuse et dangereuse. Shaolan l'avait entreprise pour sauver Sakura, et cela avait fonctionné parce qu'elle n'était pas morte lorsque le temps s'était arrêté. Fei Wang avait tenté la même expérience, pour ramener à la vie la Sorcière des Dimensions, mais celle-ci était déjà décédée. Les morts ne reviennent pas, jamais, et ceux qui transgressent cette règle bouleverse la stabilité de tous les mondes.
– Qu'attendez-vous de nous, exactement ? demanda-t-il à Ingvar.
– Vous êtes porteur de la magie du dieu primordial, n'est-ce pas ?
– Oui aussi, grâce aux pouvoirs d'Ogmios.
– Mais je n'en ai qu'une petite partie. Vous, elle fait partie de votre corps, de votre âme. Elle est un chemin vers celui que je souhaite atteindre.
– Atteindre … ? répéta Chii.
– Oui. En m'appropriant votre magie, je vais contraindre le dieu primordial à changer le passé.
Le cœur de Fye et de Chii manqua un battement. Les yeux écarquillés, Chii répéta d'une voix effrayée :
– Contraindre le dieu primordial à changer le passé …?
Le sourire d'Ingvar s'élargit.
– Vous m'avez bien compris. Je vais le contraindre à modifier le passé, pour qu'Ogmios sorte vainqueur du combat qui l'a opposé à Lug il y a trois cent ans. De cette manière, je réparerai l'injustice commise par Lug et j'éviterai le massacre des fidèles d'Ogmios. Mes ancêtres monteront sur le trône de Valeria et jamais ce royaume ne connaîtra les malheurs qui l'ont frappé.
Fye avala sa salive : les motivations d'Ingvar étaient encore pires que ce qu'il avait imaginé. La modification du temps aurait des répercussions en chaîne sur l'histoire du pays. Non seulement, dans ce monde, ses ancêtres ne règneraient pas sur Valeria, mais en plus de cela, il était probable que Chitose ne sollicite pas le dieu primordial. Par conséquent, ni sa mère, ni lui ne verraient le jour. Si Ingvar mettait son plan à exécution, ils allaient disparaître, purement et simplement. Des frissons parcourent le dos du magicien tandis que son esprit continuait de remonter la chaîne des conséquences.
S'il disparaissait, ni Ashura, ni Fei Wang ne pourraient jamais le manipuler. Il ne se joindrait pas au voyage que Shaolan, Sakura, Kurogane et Mokona entreprendraient … et ses amis perdraient peut-être face à leur ennemi. Fei Wang utiliserait le pouvoir des plumes pour ses funestes dessins. Tous les combats qu'il avait menés avec ses amis seraient réduits à néant et les mondes sombreraient dans le chaos. Il ne pouvait pas laisser une telle chose se produire.
Cependant, à cause du kekkai d'Ingvar, ni lui, ni sa mère ne pouvaient utiliser leur magie. Fye serra le dents : où pouvait être Kurogane ? Cela faisait près de vingt minutes qu'ils étaient descendus dans cette caverne sous-marine avec sa mère. Le ninja et Hideki avaient pour mission de retrouver Shaolan et de le libérer, afin que ce dernier détruise le kekkai d'Ingvar, ou tout du moins qu'il fragilise sa résistance, afin qu'il puisse en venir à bout avec Chii. Peut-être le jeune homme était-il mieux gardé qu'ils ne le pensaient ? Peut-être sa prison était-elle difficile d'accès ?
– Je sais que votre magie se trouve dans vos yeux, dit Ingvar. Et je sais que si je m'en empare, je pourrai m'approprier vos pouvoirs. Je prendrai d'abord les tiens, Fye, puis ceux de ta mère.
Des sueurs froides coulèrent le long du dos du magicien : comment Ingvar avait découvert la source de leurs pouvoirs ? Était-ce Fei Wang Reed qui le lui avait révélé, il y avait bien longtemps ?
Ingvar traça des runes et les projeta dans leur direction : Chii et Fye se jetèrent de côté pour éviter son attaque. Fye se redressa en serra les dents : ils ne pouvaient plus attendre l'aide de leurs compagnons. Il se redressa, zigzagua pour échapper à une nouvelle salve de runes et bondit vers l'autel où se trouvait Ingvar. Il se baissa pour éviter un sort, étendit la jambe et faucha les pieds de leur ennemi. Le sorcier partit à la renverse et Fye lui décocha un coup de poing en plein visage. Il bloqua ses bras et lui asséna un coup à la tempe, mais le sorcier était endurant à la douleur. Il reprit ses esprits et d'un mouvement sec du poignet, il créa un sortilège. Le magicien se sentit projeté par un souffle contre lequel il ne pouvait pas lutter. Il perdit pied et dévala les marches qui menaient à l'autel.
– Fye ! s'écria Chii.
Ingvar se redressa et fixa le blond avec mépris.
– Tant que mon kekkai fonctionnera, tu seras impuissant contre moi.
Fye serra les poings. S'il faisait diversion, Chii pouvait affaiblir le kekkai et il se chargerait de le détruire. Puis, il reprendrait le combat contre Ingvar. Aurait-il assez d'énergie pour enchaîner ces deux actions ? Depuis qu'il avait renoncé à la moitié de sa magie, il n'était plus aussi puissant qu'auparavant. Ingvar, de son côté, possédait une part de la magie d'Ogmios. Leur force devait être presque équivalente. Le sorcier esquissa un sortilège et le lança vers Fye. Il esquiva à nouveau, tenta de se rapprocher, sans succès, recula, fit un nouvel essai. Pour éviter un faisceau de rune, il se contorsionna, sans voir le deuxième sort qui arrivait sur sa gauche. Tel un lasso, le ruban verdâtre s'enroula autour de son corps, le cercle de runes comprima ses bras et ses pieds. Fye s'écroula à terre. Il s'agita, mais le sort se resserra comme un boa constrictor. Une corde magique passa autour de son cou et l'étrangla. Les yeux de Chii s'écarquillèrent et elle se précipita devant son fils. Ils ne pouvaient plus attendre Kurogane et Hideki. Elle rassembla toute ses forces, tenta d'appeler sa magie et de la concentrer dans ses mains. Son pouvoir circulait au ralenti dans ses veines, le kekkai freinait sa magie comme le barrage bloque l'élan d'un fleuve. Elle entendait les pas d'Ingvar se rapprocher, menaçants, le bas de son manteau frôler le sol comme une lame que l'on approcherait sa gorge.
– Voyons, Elda, tu sais bien que tu ne peux rien faire.
Chii sentit sa peau se couvrir de chair de poule : la voix d'Ingvar avait exactement le même timbre que la nuit où il avait tué Freya. Elle serra les poings, fit désespérément appel à sa magie. Au-dessus d'elle, Ingvar la toisait de toute sa hauteur.
– Je vais d'abord m'occuper de ton fils.
– Ne le touchez pas.
Ingvar dévisagea avec amusement l'ancienne reine : elle avait le même regard que le jour où elle avait défendu Freya, alors qu'elle n'avait que seize ans. Mais aujourd'hui, ce n'était plus une adolescente qui se tenait face à lui, c'était une femme et une mère. Avec un rictus, il traça des runes et les lança vers elle. Chii tenta de créer un bouclier pour se protéger, mais la magie ne lui répondit pas. Elle fut projetée contre l'un des murs de la caverne et s'y fracassa avec violence.
– Mère !
Chii s'effondra au pied de la roche, sonnée. Fye essaya de se redresser, mais les cordes se resserrèrent si fort sur ses membres qu'elles lui coupèrent la circulation. Si cela continuait, sa blessure au torse allait se rouvrir … Ingvar eut un sourire suffisant en contemplant le corps inerte de Chii.
– Après tout, je n'ai besoin que de ses yeux … si le reste est un peu abîmé, cela ne m'importe guère.
– Espèce de salaud !
Le sorcier s'agenouilla pour être à hauteur de Fye et saisit son menton dans sa main. Le magicien sentit ses entrailles se tordre tandis qu'une affreuse sensation de déjà-vu s'emparait de lui. Non, cela ne pouvait pas se passer comme cela. Il ne pouvait pas laisser Ingvar changer le passé, il ne pouvait pas laisser sa mère et ses compagnons seuls, il ne pouvait mourir …
À cet instant, le sol trembla, les parois de la caverne vibrèrent et un bruit sourd résonna dans toute l'île, tel le rugissement d'une divinité sous-marine.
