Hello tout le monde !

Nouvelle semaine, nouveau chapitre ! J'essaie de tenir le rythme 1 chapitre / semaine, mais je ne pourrais probablement pas poster quoi que ce soit la semaine prochaine pour cause de week-end en vadrouille. Mais ! Pour la peine, ce chapitre-ci est particulièrement long (le plus long que j'ai écrit depuis très longtemps), j'espère qu'il vous plaira ! J'ai bien hésité à le couper en deux mais je suis un peu psychorigide sur les évènements que je veux inclure dans mes chapitres et je voulais absolument y inclure TOUT ce qu'il se passe ci-après.

Bonne lecture !


Tony étouffa un grognement dans sa tasse de café. La migraine cisaillait ses nerfs optiques, un goût désagréable qui lui évoquait de l'eau de Javel se répandait dans sa bouche. La lumière du matin qui filtrait à travers les rideaux de la cuisine était particulièrement agressive, il avait la sensation qu'elle contribuait au tambourinement intempestif qui battait contre son tympan gauche.

— Qu'est-ce que tu as encore fait, Tones ?

Il leva les yeux et constata que Rhodey était posté à l'entrée de la pièce, les bras croisés et l'air étrangement soupçonneux. Tony prit le temps d'avaler une gorgée de café particulièrement amère, avant d'ébaucher un mince rictus qui se voulait détaché :

— Pourquoi est-ce que tu supposes que j'ai fait quelque chose ? Tel que tu me vois, je suis l'innocence incarnée. C'est même écrit dans ma biographie Wikipédia.

Rhodey n'eut pas l'air convaincu :

— Premièrement, je te rappelle que c'est toi qui as écrit cette biographie. Deuxièmement, tu ne t'es pas rasé. Et troisièmement : tu as bu, hier soir.

— Bravo, 10/10 pour ton sens de l'observation. Je te serrerai bien la main pour te féliciter mais comme tu peux le constater, la mienne est déjà prise.

Son ami poussa un profond soupir et s'approcha de lui, refusant de détacher son regard du sien. Tony résista tant bien que mal à l'envie de se cacher derrière la cafetière. Ou sous la table. Ou derrière le frigo. Partout, tant qu'il était hors de portée du jugement et des conseils non sollicités du Colonel Rhodes — lequel fit observer, non sans se départir de son air méfiant :

— Tu n'as pas vu le petit, ce matin.

Ce n'était pas une question, et Tony regretta vivement d'avoir ordonné à Friday de partager avec Rhodey les informations relatives à Peter qui lui semblaient importantes. Sur le moment, cela lui avait semblé être un geste responsable, mais il commençait à réaliser qu'il était surtout synonyme d'un certain nombre de désagréments.

— Que veux-tu ? Tout le monde n'est pas aussi accro à ma personne que toi, mon cher Rhodey, répondit-il finalement en haussant nonchalamment les épaules.

— Okay… Est-ce que tu es encore saoul ?

— Oh, crois-moi, j'aimerais l'être, marmonna Tony en replongeant dans sa tasse. Malheureusement, mon esprit est actuellement aussi affûté que la langue de Clint Barton. Enfin, pour ce que j'en sais…

Rhodey ne lui consentit même pas l'esquisse d'un sourire.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Vous vous êtes disputés, Peter et toi ?

Tony prit une nouvelle gorgée de café, espérant grappiller quelques secondes pour trouver une réponse convenable à apporter à son ami. Celui-ci fut malheureusement imperméable à la supercherie et s'empressa de demander, une pointe d'inquiétude s'allumant au fond de ses prunelles :

— Tu n'es pas allé le voir après avoir bu, quand même ?!

— Bien sûr que non ! s'offusqua Tony, essuyant avec la manche de sa chemise blanche les gouttes noires qui avaient coulé sur son menton. Pour qui me prends-tu ?

Rhodey sembla se détendre, mais le scepticisme ne quitta pas son regard.

— Je ne sais pas, Tony. Je ne sais pas non plus ce que tu as actuellement dans la tête. En revanche, ce que je sais, c'est que tout cela est nouveau pour toi et que tu n'as aucun modèle convenable à suivre, alors s'il te plaît, laisse-moi essayer de te comprendre et de t'aider. Qu'est-ce qu'il se passe ?

Tony soupira. Il n'avait aucun moyen d'échapper à cette conversation ; le plus tôt il s'ouvrirait à Rhodey, et le plus tôt il serait débarrassé du poids qui s'enchaînait à son corps et à ses pensées au souvenir de sa dernière interaction avec l'adolescent.

Il posa sa tasse et, tout en admirant les volutes de fumée qui s'en échappaient voluptueusement :

— J'ai merdé, Rhodey. Complètement, totalement, absolument merdé.

Son ami pinça les lèvres mais demeura silencieux, attendant patiemment la suite.

— J'ai emmené le gamin au labo. Je pensais que ça lui plairait, que ce serait l'occasion de nouer des liens, ce genre de conneries.

— Jusque là, ça ne me semble pas être des conneries, fit observer Rhodey avec une certaine douceur.

— Je lui avait bien dit de ne pas sortir de la pièce mais j'aurais dû me douter qu'il ne m'écouterait pas. J'aurais peut-être dû l'attacher à son siège. Ou demander à Friday de verrouiller la pièce.

Rhodey haussa les sourcils :

— Et s'il avait eu envie d'aller aux toilettes ?

— Ouais, c'est le souci avec ce genre de solutions. Elles sont un peu trop radicales.

— Et ensuite ?

Tony ravala le nouveau soupir qui gonflait dans sa gorge.

— Ensuite, il est plus ou moins tombé sur Nat et Steve. Qui se sont bien évidemment demandés pourquoi un enfant de quatorze ans vadrouillait dans les couloirs de la tour et se sont empressés de se poser la question à voix haute.

— Oh.

Une lueur de compréhension illumina les prunelles de Rhodey et une pointe de sympathie fit frémir les commissures de ses lèvres.

— Je comprends, c'était sûrement un peu tôt pour les présentations, mais il fallait bien que ce moment arrive, non ? Tu ne pouvais pas éternellement cacher aux autres l'existence du gamin qui vit juste au-dessus de leur tête.

— Non, tu ne comprends pas. Je leur ai dit que… putain, Rhodey. J'ai paniqué, et je leur ai dit que Peter était mon stagiaire.

Oh, répéta Rhodey, toute esquisse de sourire envolée.

— Brillant, hein ? Je me demande pourquoi on ne m'a pas encore nommé aux Oscars du père de l'année, ironisa Tony, regrettant soudainement l'absence de scotch dans la tasse nichée entre ses doigts.

Son ami fronça les sourcils, comme s'il pouvait lire dans ses pensées.

— Okay, Tones, ce n'était peut-être pas la chose la plus intelligente à dire, mais je ne vois rien d'irréparable là-dedans. Tu as pensé à t'excuser auprès du petit, ou du moins à t'expliquer, avant de sauter sur ta réserve de bouteilles ?

— Et toi, tu as pensé à faire preuve d'un peu de compassion pour ton plus vieil ami, avant d'entrer dans cette pièce ?

— Je suppose que ça veut dire non. Bon sang, Tony…

— Je sais, Rhodey. Je te l'ai dit : j'ai merdé.

— Bon, okay, souffla son ami. Tu n'as peut-être pas été parfait…

— Euphémisme, dix lettres, mot compte triple, récita Tony en levant les yeux au ciel.

Rhodey l'ignora superbement :

— Tu n'as peut-être pas été parfait, mais il est encore temps de parler avec Peter. De lui présenter tes plus plates excuses ou, au minimum, de lui expliquer pourquoi tu as jugé pertinent de ne pas dévoiler à Steve et Nat qu'il est ton enfant biologique. Toi et moi savons que tu n'as pas agi par égoïsme ou malveillance, mais Peter ne peut pas le deviner. Va le voir, parle-lui, tu verras que rien n'est irrécupérable.

Tony retroussa les lèvres dans une parodie de sourire :

— Tu crois vraiment qu'il a envie de me voir ?

Rhodey haussa les épaules :

— Qu'il en ait envie ou pas, tu es l'adulte, c'est à toi de prendre les devants.

Il ajouta, avec une douceur qui prit Tony de court :

— D'après les descriptions de Friday et de Happy, il semble avoir bon cœur. Je suis sûr qu'il t'écoutera. Et qu'il sautera sur l'occasion pour recoller les morceaux avec toi. Personne n'a envie d'être en froid avec son propre père.

Étrangement, Tony puisa une sorte d'espoir dans ces mots — et, pour la première fois depuis qu'il s'était réveillé, la tête prise dans l'étau de la gueule de bois, le nœud qui emprisonnait son cœur se desserra légèrement.

— Tu le penses vraiment, ou tu essaies seulement de rassurer ton plus vieil et stupide ami ? ne put-il s'empêcher de demander en esquissant un rictus face à l'air éminemment sérieux de Rhodey.

— J'en suis sûr et certain. Tu n'es pas ton père, Tony. Les choses ne sont pas définitivement compromises entre Peter et toi… tant que tu acceptes d'admettre tes torts, et de ne pas les laisser empoisonner votre relation.

Sa main pressa brièvement son épaule.

— Ne sois pas comme Howard, Tony. Sois toi. Et tu verras, les choses se passeront peut-être beaucoup mieux que ce que tu imagines.

— Friday, à quelle heure Peter rentre du lycée, aujourd'hui ?

— Il devrait être là dix-huit heures, Boss.

Tony était entré dans la chambre de l'adolescent, croisant les doigts pour ne pas tomber sur quelque chose de gênant (il avait cru comprendre, au gré de ses recherches, qu'il valait mieux éviter de fouiller sous le matelas d'un adolescent).

Les deux ordinateurs de Peter trônaient sur son bureau. Tony remarqua qu'il n'avait pas touché au StarkBook qu'il lui avait offert ; toutefois, il avait pris soin de brancher l'imposant ordinateur qu'il avait ramené de l'appartement des Stacy. Des manuels scolaires étaient empilés sur sa table de nuit, des livres de chimie étaient sagement rangés dans sa bibliothèque ; en revanche, il n'avait pas accroché aux murs les posters de Star Wars que Tony avait repérés dans ses cartons — d'ailleurs, aucune décoration n'égayait la pièce. Son lit était fait, ses vêtements étaient pliés, la seule touche de fantaisie qu'il semblait s'être autorisé était la tasse Nasa qu'il avait oubliée sur son bureau, à côté d'un pot à crayons mâchouillés.

Tony éprouva un sentiment étrange en voyant les traces de chocolat sur les bordures de la tasse, quelque chose qu'il identifia comme un début de tendresse — mais qui, loin de le rassurer, ne parvint qu'à attiser la panique qui s'était lovée au fond de sa poitrine depuis l'arrivée de Peter dans sa vie.

Il tendit la main pour la récupérer (elle méritait de faire un tour au lave-vaisselle), lorsque de morceaux de papiers jetés au fond de la corbeille attirèrent son attention. Il croyait reconnaître l'entête du lycée de Peter sur l'un d'eux, et il s'accroupit pour mieux les déchiffrer.

— Friday, est-ce qu'il t'a parlé de ça ? Demanda-t-il en rassemblant les confettis. On dirait une convocation de son lycée…

— Il ne m'a rien dit, Boss, mais d'après mes recherches, le lycée de Peter organise une réunion entre parents et professeurs dans quinze jours. Je suppose que cette convocation a un rapport avec ladite réunion.

— … Oh, je vois.

Il étouffa un nouveau soupir. Il avait la sensation que Peter et lui avaient plusieurs sujets à aborder, et il voyait l'heure du retour de l'adolescent approcher avec une angoisse qu'il tenta, tant bien que mal, d'ignorer (ou, du moins, de noyer sous une triple dose de café noir).

Cependant, son niveau d'anxiété exécuta un prodigieux rebond lorsqu'il constata qu'il était dix-huit heures passées, mais qu'il n'y avait toujours aucune trace de Peter dans la tour.

Dix-huit heures quinze… dix-huit heures trente…

Les minutes défilaient, Peter n'était pas là, et Tony n'y tint plus :

— Friday, appelle Happy, ordonna-t-il sèchement en s'asseyant sur au bord du lit de l'adolescent.

La voix de son ami ne tarda pas à s'élever dans la pièce :

— Tony ? Quelque chose ne va pas ?

— Tu es avec Peter ? Il aurait dû être là depuis trois quarts d'heure.

Durant le silence qui succéda à ses paroles, Tony eut tout le loisir d'écouter les tambourinements tonitruants de son propre cœur.

— Non, répondit finalement Happy. Je croyais qu'il était déjà avec toi. Il m'a écrit, cet après-midi, pour me dire qu'il rentrerait à pieds, que ça lui ferait du bien, que tu étais déjà au courant. Il m'a aussi qu'il avait peur d'oublier comment utiliser ses jambes si je continuais de le transporter partout. Sur le coup, son raisonnement ne me semblait pas complètement stupide. Et puisqu'il avait ton approbation…

Tony serra les dents et lutta contre une furieuse envie de se pincer l'arête du nez. Il avait l'impression qu'on enfonçait une aiguille invisible derrière son œil gauche.

— Tu n'étais pas au courant, devina Happy.

— Je n'étais pas au courant, confirma Tony.

— … Merde, laissa échapper Happy.

— Merde, confirma Tony.

— Il y a bien un GPS dans son téléphone, non ? Tu veux que je le localise ?

— Je m'en occupe. Toi, tiens-toi prêt à le récupérer, où qu'il se soit fourré.

— Compte sur moi.

Après que Friday eut raccroché, Tony s'empara de son téléphone. Ses doigts étaient crispés si fort contre l'écran que ses phalanges avaient viré au blanc. Quant à son visage, il devait plutôt avoisiner le cramoisi.

Peter savait qu'il n'aurait pas dû mentir, mais il ne parvenait pas à le regretter.

Il n'avait presque pas dormi de la nuit, hanté par les cauchemars qui remuaient impitoyablement sous ses paupières dès qu'il fermait les yeux. Lorsque le matin était finalement arrivé, il s'était rendu dans la cuisine à contrecœur, sans vraiment savoir s'il souhaitait y trouver M. Stark — mais l'homme n'avait pas daigné le gratifier de sa présence. Définitivement seul, Peter avait mâchonné son pain au lait sans entrain, fixant distraitement le paysage qui se déployait de l'autre côté des baies vitrées, baigné par la lumière orange-sanguine du jour naissant.

Une vue pareille, ça en vaut la chandelle, non ?

Ça vaut bien le coup d'être le stagiaire de M. Stark, à défaut d'être son fils.

Malgré le nœud qui étreignait sa gorge, il s'était efforcé de déglutir sa tasse de chocolat chaud et d'aller se préparer pour sa journée de cours.

Le lycée lui avait semblé interminable. Ned avait remarqué que quelque chose n'allait pas, mais Peter n'avait pu se résoudre à lui avouer ce qu'il s'était passé. Il ne voulait en parler à personne, honteux du rejet qu'il rencontrait chez celui qui, pourtant, partageait son ADN.

Tout ce qu'il voulait, c'était patrouiller. Que Peter Parker disparaisse derrière Spider-Man, que ses frustrations futiles d'adolescent s'effacent au profit de son alter ego héroïque. Il n'était pas censé traîner dehors après le lycée, mais peut-être que pour une fois… ? De toute façon, ce n'était pas M. Stark qui risquait de s'inquiéter de sa disparition…

Alors le mensonge avait guidé ses doigts avec une facilité déconcertante. Il avait envoyé un message à Happy, prétendant qu'il rentrerait à pieds, et l'homme s'était contenté d'un sobre "OK", sans chercher à poser de questions. A dix-sept heures trente, au lieu de rejoindre la rue qui lui aurait permis de retourner à la Tour des Avengers, il s'était enfoncé dans une ruelle désertique et avait maladroitement enfilé son costume en se cachant derrière des poubelles qu'un chat errant reniflait avec intérêt. Le petit félin ne manqua pas de lui cracher dessus lorsqu'il voulut le caresser.

Bondissant sur les toits de New-York, Peter savoura le chant du vent contre son masque. Les grosses lunettes noires qu'il avait cousu sur sa cagoule l'aidaient à passer outre les lumières aveuglantes et les couleurs éclatantes de la capitale, et il ne tarda pas à repérer un vol à la sauvette dans une rue reculée du Queens.

— Où est-ce que vous courez, comme ça ? demanda-t-il en se laissant tomber face au voleur, un sourire s'épanouissant sous son masque. Vous avez perdu quelque chose ?

— Putain, qu'est-ce que c'est que ce clown ? Dégage de là !

Si Peter ne s'était pas attendu à ce qu'il l'accueille avec des cotillons et des feux d'artifice, la matraque télescopique qu'il sortit de sa poche le prit de court.

— Okay, je ne sais où est-ce que vous voulez insérer ce machin, mais je vous prie de ne pas l'approcher de ma personne.

— Dégage, putain de dégénéré !

Peter esquiva facilement le premier coup de l'homme ; toutefois, la fatigue et le repas qu'il avait sauté, la veille au soir, contribuaient à le rendre plus lent qu'à l'accoutumée, et le deuxième coup le cueillit de plein fouet au niveau de la cheville. La douleur explosa sous sa peau et, un bref instant, un voile blanc se superposa à son champ de vision.

— Gnnn, okay, j'ai compris, on ne rigole plus !

Son majeur et son annulaire pressèrent vivement son lance-toile. L'instant d'après, la main du malfrat était fermement attachée au mur parce une substance blanche et gluante qu'il avait bricolée à son cours de chimie.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? Détache-moi, le clown !

— Désolé, ce n'est pas en mon pouvoir ! Mais peut-être que la police pourrait vous aider ? Proposa Peter. Justement, je l'entend qui arrive !

Sur ces mots, il quitta la scène d'une nouvelle pression de lance-toiles.

Sa cheville l'élançait. Tout en renfilant ses vêtements de lycéen derrière une benne à ordure qui dégageait un fumet tenace de poisson pourri, il réalisa qu'elle était anormalement violette et gonflée. Il l'effleura du bout des doigts et retint une grimace.

Okay, sur une échelle de un à dix, à quel point était-il mal barré ?

Onze, mon vieux. ONZE.

La vibration de son téléphone dans la poche de son jean le fit sursauter. Son cœur se comprima de quelques centimètres lorsqu'il réalisa que M. Stark essayait de l'appeler.

— Euh… a-allô, M. Stark ? V-vous, euh, vous allez bien ? demanda-t-il d'un ton léger, quoi qu'une octave au-dessus de son timbre habituel.

— Peter. Ravi de constater que tu es toujours en vie. Quoi que tu fasses dans cette allée sombre et vide de la ville, tu ne bouges pas, Happy vient te chercher dans une minute.

— D-d'accord… J-je… euh… M. Stark, je suis —

Trop tard : M. Stark avait raccroché.

Tout en se mordillant nerveusement la lèvre, Peter avança cahin-caha jusqu'à la rue où, effectivement, la voiture aux vitres teintées de Happy Hogan ne tarda pas à apparaître. Peter s'y engouffra en prenant garde à ne pas trahir la douleur qui enfonçait ses griffes dans sa cheville et fourrageait ses nerfs jusqu'à son genou.

— Salut, Happy, lança-t-il en attachant sa ceinture.

— Oh, voilà le menteur de la journée, l'accueillit froidement l'homme en lui jetant un regard sévère à travers le miroir intérieur de la voiture.

— Quoi ? Je ne t'ai pas menti ! Enfin, pas complètement ! protesta Peter. Je comptais bel et bien rentrer à pieds ! Je n'avais juste pas précisé quand, ni quand est-ce que j'aurais prévenu M. Stark.

— Hum hum. Je te laisserai exposer cette argumentation à Tony, on verra ce qu'il en pense, dit Happy sans se départir de cette voix qui aurait pu geler un bonhomme de neige.

Peter soupira et se mit à observer ses mains.

— Écoute, Happy, je… je suis désolé. Je n'aurais pas dû t'envoyer ce message. Je ne voulais pas t'inquiéter ou te mentir, c'est juste que je… j'avais besoin de prendre un peu l'air, et je ne pensais que M. Stark aurait remarqué mon absence.

A travers le rétroviseur, il crut voir le visage de Happy s'adoucir très légèrement.

— Pourquoi ne l'aurait-il pas remarqué ? Tu es plutôt difficile à ignorer, petit.

Peter haussa les épaules.

— Je pensais plutôt qu'il aurait fait semblant de ne pas le remarquer. Les adultes sont très forts pour ça, tu sais ? Faire semblant de ne pas voir leurs enfants.

A ces mots, il planta nerveusement ses ongles dans le cuir de la banquette.

— Arrête de gratter ton siège, Peter, il ne t'a rien fait. Et je peux t'assurer que Tony ne fera jamais semblant de ne pas te voir. Il… il est très impliqué dans ton adoption, tu sais ? Il ne parle que de ça, depuis que tu es là.

— Ah bon ?

— Avant ton arrivée, il nous a briefés pendant des heures et des heures, Rhodey et moi, pour qu'on sache exactement quoi faire quand tu serais là. Nos oreilles ont failli saigner. Et je ne parle pas de Friday, qu'il a reprogrammée d pour qu'elle te prenne en compte dans chacune de ses décisions et fasse de toi sa priorité absolue. La dernière fois qu'il avait fait ça, c'était quand Pepper avait emménagé avec lui. Il ne sait probablement pas comment te le montrer, mais il tient à toi, Peter.

Surpris par ces nouvelles informations, Peter se renfonça silencieusement dans son siège. Il avait l'impression que quelque chose s'était allégé dans sa poitrine — ce qui renforçait corrélativement la sensation de brûlure qui s'épanouissait dans son mollet.

Arrivé à la Tour, il parvint à dire au revoir à Happy et à s'engouffrer dans l'ascenseur sans rien montrer de sa souffrance. Toutefois, dès que les portes se furent refermées dans un doux chuintement, sa jambe se mit à trembler violemment ; elle ne supportait manifestement plus son poids et ce fut à cloche-pied qu'il éradiqua les derniers mètres qui le séparaient de sa chambre.

M. Stark l'attendait, assis sur son lit, le dos appuyé contre le mur et les bras croisés.

— Te voilà enfin, dit-il. J'ai failli t'attendre.

— M. S-Stark, euh… bonsoir ?

L'homme portait ses lunettes de soleil, mais Peter fut sûr et certain de voir ses yeux se poser sur sa cheville.

— Qu'est-ce qui est arrivé à ta jambe ?

— Rien, mentit-il précipitamment en reposant son pied par terre.

Ce fut une très mauvaise idée : une pointe de douleur transperça sa cheville et il ne put retenir un léger gémissement.

La posture de M. Stark changea avec une rapidité surprenante. Il fut à ses côtés en une fraction de secondes, toute sévérité envolée de sa physionomie. Néanmoins, ses mains restèrent figées à quelques centimètres de lui, comme s'il n'osait pas le toucher.

— Qu'est-ce qui est arrivé à ta jambe ? Répéta-t-il, plus fermement que la première fois. Tu t'es tordu la cheville ?

— O-ouais… quelque chose comme ça, admit Peter. Je… whoo, oups !

Il avait de nouveau essayé de poser son pied, mais sa jambe refusa obstinément de coopérer et il perdit l'équilibre. Il se rattrapa de justesse au bras de M. Stark qui, par réflexe, enroula son autre bras autour de ses épaules afin de le soutenir. Ils n'avaient jamais été aussi proches, et Peter entendait distinctement le cœur de l'homme battre la chamade à une dizaine de centimètres de son oreille.

— Okay, petit. Je vais t'aider à aller jusqu'à ton lit, dit-il lentement, et Peter fut persuadé de déceler dans la gêne sur ses traits crispés. Essaie de ne pas m'écraser le pied.

Grâce à M. Stark qui supportait une bonne partie de son poids, Peter parvint effectivement à rejoindre le support douillet de son matelas. Un soupir de soulagement lui échappa lorsqu'il fut assis sur les draps, le dos enfoncé contre ses oreillers moelleux.

— Mets ta jambe ici, ordonna M. Stark en tapotant le lit.

— Mais je vais tout salir avec ma chauss—

— Ta jambe. Ici.

Peter s'exécuta. M. Stark sembla hésiter, puis l'aida à retirer sa basket, sa chaussette et à remonter doucement son jean. Sa cheville était encore plus gonflée qu'auparavant, et sa teinte violette avait presque virée au noir.

Peter entendit distinctement M. Stark retenir son souffle, et les battements de son cœur s'accélérer.

— Ce n'est pas aussi grave que ça en a l'air, dit Peter. C'est juste un gros hématome. Demain, ça sera parti.

M. Stark émit un reniflement dubitatif.

— J'ai vu des os brisés qui avaient meilleure mine que ça. Friday, nous allons avoir besoin de glace. Et de pommade.

— Je préviens le centre médical d'en mettre à votre disposition, Boss.

— Merci.

Il pointa l'index vers Peter.

— Je vais chercher de quoi soigner ça. Toi, tu ne bouges pas d'ici.

Peter leva les yeux au ciel.

— Sans vouloir vous offenser, M. Stark, même si je le voulais, j'aurais du mal à me lever.

— Huh huh, permets-moi d'en douter. Friday, s'il bouge, merci de fermer toutes les portes. Et d'enclencher l'alarme.

— M. Staaaark… geignit Peter.

— Je reviens tout de suite, petit malin.

Cette fois-ci, Peter n'eut pas longtemps à attendre. La douleur dans sa cheville était devenue un battement sourd, lancinant, lorsque M. Stark revint près de lui, remonta ses lunettes de soleil sur son front et s'agenouilla pour avoir une meilleure vue sur sa jambe.

Son regard était concentré tandis qu'il examinait sa blessure et préparait la pommade. On devinait aisément qu'il avait déjà accompli ce genre de gestes des dizaines de fois et, pourtant, quelque chose perturbait la ligne sérieuse de son visage — un curieux mélange de frustration et d'exaspération, mâtinée d'une pointe d'inquiétude.

Peter eut un frémissement lorsque la pommade effleura sa peau. M. Stark eut aussitôt l'air agité.

— Je t'ai fait mal ?

— N-non… c'est juste très froid, souffla l'adolescent.

Les épaules de M. Stark se détendirent légèrement.

— C'est normal. Si ça te fait mal, dis-le moi. Je n'ai aucune idée de la dose d'anti-douleurs que je suis autorisé à donner à un adolescent, mais Friday doit bien le savoir, elle.

Il appliqua la crème en silence durant quelques minutes, massant sa cheville avec une délicatesse qui trahissait son expérience.

Il enroulait fermement une bande de gaze autour de sa jambe pour la maintenir immobile lorsqu'il dit soudainement, le regard fixé sur son pied :

— Je suis désolé.

Peter cilla, surpris.

— Que… euh… quoi ?

M. Stark prit une grande inspiration.

— Je suis désolé pour hier. Désolé d'avoir perdu mon calme. Et désolé d'avoir dit à Steve et Nat que tu étais mon stagiaire.

Il lissa la bande de gaze, entassa des coussins au pied du lit et fit très doucement bouger la jambe de Peter pour l'y poser.

— Ce n'était pas contre toi, ajouta-t-il en passant une dernière fois la main sur sa cheville. Je n'avais juste pas… imaginé les choses comme ça. Je pensais leur faire une annonce, quelque chose qui nous aurait laissé le temps de nous préparer, ou plutôt de… de me laisser le temps de m'y préparer. J'ai été pris de court, et, pour changer, j'ai tout fait foiré.

Il soupira, et ses yeux bruns affrontèrent enfin les siens.

— Je suis désolé, Peter, répéta-t-il.

L'adolescent hocha la tête. Il n'aurait su expliquer pourquoi, mais une agréable chaleur se répandait dans sa poitrine, parvenant presque à chasser la crispation provoquée par la douleur qui palpitait au niveau de sa cheville.

M. Stark parut hésiter, puis ajouta, s'asseyant au bord du lit, à côté de lui :

— J'ai vu ce papier, dans ta corbeille.

Peter se sentit pâlir.

— Oh, euh, q-quel papier ? Le prospectus de l'infirmerie sur les virus ? Je vous promets que je n'ai jamais —

— La réunion pour ton lycée. Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ?

— Oh, eh bien, euh, je ne voulais pas vous déranger avec ça, et de toute façon je sais très bien que vous ne pourriez pas venir, et puis… ce n'est pas comme si vous vous intéressiez vraiment à ma vie, ne put s'empêcher de répliquer Peter.

A peine eut-il prononcé ces mots qu'il regretta leur rudesse. Il rougit :

— D-désolé, je n'aurais pas dû dire ça, je, euh…

Mais M. Stark leva la main pour l'interrompre.

— Ne t'excuse pas, petit. Tu as raison, je n'ai pas été assez présent pour toi, ces derniers jours, mais je… je vais essayer de m'améliorer, d'accord ?

— D'accord, M. Stark, souffla Peter sans parvenir à dissimuler la note d'espoir qui faisait légèrement trembler sa voix.

L'esquissa d'un sourire troubla le visage de l'homme.

— Mais pour cette réunion dans ton lycée… Bien sûr, on pourrait faire une déclaration publique, dire à tout le monde que tu es mon enfant, et alea jacta est, comme dirait cette prof bizarre de latin que j'avais à ton âge. Mais les choses ne sont pas aussi simples que cela, Peter. Je… je ne suis pas un père idéal, tu as déjà dû le remarquer. Ni un homme idéal tout court. Il y a beaucoup de gens qui aimeraient trouver une faille pour m'atteindre, et… enfin… je ne veux pas que tu sois une cible pour eux. Tu mérites une adolescence normale, loin de ces histoires de vengeance, de missions ou de super-héros. Alors pour l'instant, si cela ne te dérange, peut-être pourrait-on… rester discrets sur notre lien de parenté ?

— Oui, bien sûr, murmura Peter en baissant les yeux. Je comprends.

La chaleur s'était évanouie dans sa poitrine, mais il savait que sur ce point, M. Stark avait raison. Et lui-même devait admettre qu'avec sa double identité, il n'aurait pas été particulièrement malin d'attirer l'attention sur lui.

— Maintenant que cela est dit, tu veux bien me dire ce qui est arrivé à ta jambe, et ce que tu trafiquais dans cette allée louche dans laquelle Happy t'a récupéré ?

— R-rien, répondit Peter, mais il comprit au froncement de sourcils de M. Stark qu'il ne goberait pas si facilement cette histoire. Enfin, presque rien. On… on est sorti après le lycée, avec Ned.

M. Stark plissa les yeux. Peter nota mentalement de prévenir son meilleur ami au cas où M. Stark décidait de vérifier son histoire.

— On voulait, euh, faire du skate. Il… il y a un terrain par très loin de la rue où Happy est venu me chercher. Mais, eh bien, j'ai glissé et ma jambe a atterri en plein sur le skate, bam, même que j'ai failli le casser en deux ! Mais à la place, c'est ma cheville qui a tout pris et, euh… tada ?

Tada, répéta M. Stark d'un air sceptique. Tu peux le dire. Tiens, j'ai aussi pris de la glace au centre médical.

— De la glace au chocolat ? demanda Peter avec espoir.

— De la glace pour ta jambe, petit génie. Spoiler alert, ça va être très froid.

Il posa un petit sachet blanc sur la jambe de Peter. Celui-ci grimaça — ce n'était pas très froid, c'était aussi gelé que l'Antarctique —, mais l'anesthésie que celui lui procurait était plutôt bienvenue. Ses doigts rejoignirent ceux de M. Stark pour maintenir le sachet en place, et ils restèrent silencieux — mais pour une fois, Peter ne décela aucune gêne dans l'atmosphère.

La fatigue de la nuit passée s'abattit soudainement sur lui, et ses paupières se mirent à papillonner.

— Ne t'endors pas tout de suite, Pete, dit la voix lointaine de M. Stark. Friday m'a dit que tu n'avais rien mangé hier, et je n'ai pas envie d'avoir des problèmes avec ton lycée quand tu feras un malaise en plein cours de gym, alors tu me feras le plaisir d'avaler quelque chose avant de te coucher. Oh et, ahem, je suppose que tu es puni.

Les yeux de l'adolescent s'ouvrirent brusquement.

— Hein ? Mais pourquoi ? C'est injuste ! Je n'ai rien fait de mal !

— Tu as menti à Happy. Si tu m'avais seulement demandé de pouvoir sortir avec Ted…

— Je me suis déjà excusé, marmonna Peter.

— Trop tard. Tu es, euh... laisse-moi réfléchir... privé de sorties pendant quinze jours. Et tu me donneras le numéro de téléphone de Fred, que je lui touche deux mots à propos de ces histoires de skate dans les quartiers louches de la ville.

Peter grimaça de plus belle. Il allait vraiment devoir écrire à Ned avant que M. Stark ne se mette en tête de lui envoyer des SMS.

— Je crois que je préférais quand j'étais juste votre stagiaire, grommela-t-il en se renfonçant plus confortablement dans ses oreillers.

Le sourire de M. Stark frémit, et pour la première fois, Peter fut persuadé d'y lire une pointe d'attendrissement.