Tony brûlait d'envie de casser des objets.

Des vases. Des miroirs. Des assiettes. Peu importait, tant qu'ils éclataient au sol dans une cacophonie cristalline et répandaient une myriade de miettes tranchantes qui auraient été une parfaite métaphore de son état d'esprit.

— C'est de ma faute, répéta Natasha pour la dixième fois, mais Tony secoua la tête :

— Non. Il savait ce qu'il faisait. Toi ou quelqu'un d'autre… il aurait réussi à s'enfuir.

Et par "quelqu'un d'autre", Tony se visait directement. Il savait que si Peter avait cherché à le manipuler — tout comme il avait manipulé Natasha en profitant de sa gentillesse —, il n'aurait pas résisté. Il aurait commis la même erreur que son amie : il aurait sauté à pieds joints dans le piège tendu par le symbiote et l'aurait libéré, désireux de ne pas faire souffrir son enfant.

Cela ne l'empêchait pas d'éprouver une profonde frustration, à laquelle s'ajoutait une angoisse qui irradiait de sa poitrine pour envahir chaque centimètre carré de son corps.

— Il faut l'arrêter, déclara Rhodey. Il commence déjà à faire des ravages. L'un de vous a jeté un œil à Twitter ces dernières heures ? Spider-Man est en tendance, mais pas pour de bonnes raisons. Il a déjà envoyé trois personnes à l'hôpital, il a même brisé la mâchoire de l'une d'entre elle.

Il leva les yeux vers les Avengers réunis en demi cercle autour de lui, l'air grave.

— Ce n'est qu'une question de temps avant que Peter ne tue quelqu'un.

Son pragmatisme irrita Tony. Il ne put s'empêcher de grogner entre ses dents :

— Ce n'est pas Spider-Man. Ni Peter. C'est ce foutu symbiote. Si je mets la main dessus…

Il serra le poing, imaginant qu'il écrabouillait cette horrible vermine entre ses phalanges.

— Il faudrait qu'on ratisse la ville, proposa Steve Rogers. En la découpant en plusieurs zones, on se partagerait le boulot.

— Ouais, ce serait une bonne idée. A nous tous, on devrait bien finir par retrouver notre Stark junior préféré, approuva Clint.

— Non, c'est à moi de… commença Tony, mais il fut interrompu par Rhodey :

— Arrête de vouloir jouer au chevalier solitaire, Tony. Il faut qu'on s'entraide, c'est le meilleur moyen de retrouver Peter en minimisant les dégâts.

— Mais Peter est mon… voulut-il insister, mais il fut à nouveau interrompu :

Ton fils, on sait. Mais ça ne veut pas dire que tu dois agir seul. On te l'a dit : on est une famille, on veille les uns sur les autres. Sur toi, et sur Peter. Dans les meilleurs moments comme dans les pires. Alors s'il te plaît… laisse-nous t'aider.

Tony releva les yeux et fut happé par le regard de Natasha. Elle le fixait avec une telle intensité, une telle sincérité, qu'il sentit quelque chose se comprimer dans sa poitrine. Ses doigts furent agités d'un bref soubresaut ; elle dut le voir, car elle posa sa propre main sur la sienne, dans un geste apaisant que n'empoisonnait aucune arrière-pensée.

— Okay, capitula-t-il, d'une voix plus faible qu'il ne l'aurait souhaité. Okay. (Il se racla la gorge.) Friday, montre-nous un hologramme de New-York et partage la ville en autant de portions que de personnes présentes dans cette pièce.

Les Avengers se penchèrent au-dessus de l'image matérialisée par l'intelligence artificielle, collant presque leur nez contre les immeubles miniatures en suspension dans les airs.

— Quelle zone tu choisis, Tony ?

Ses yeux se tournèrent instinctivement vers les quartiers que Peter connaissaient le mieux : l'appartement de George et Gwen Stacy, le café où il se réunissait parfois avec ses amis, l'épicerie où, selon l'adolescent, on pouvait acheter "le meilleur sandwich de New-York !" et tous ces quartiers qu'il aimait sillonner après avoir revêtu son costume…

Il pointa la zone du doigt :

— Ici. Le Queens.

Son premier arrêt fut à l'appartement de George et Gwen Stacy. Il ne savait pas exactement ce qu'il espérait, mais il pressa tout de même la sonnette d'entrée avec impatience.

Ce fut la fille qui lui ouvrit. Elle écarquilla les yeux et jeta un regard par dessus l'épaule de Tony, comme si elle s'attendait à voir Peter surgir du néant et faire une pirouette dans les airs.

— Est-ce qu'il est là ? demanda Tony.

Ils n'avaient pas le temps de s'encombrer de formules de politesse. Par chance, la fille comprit aussitôt :

— Non, je ne l'ai pas vu depuis des lustres. Qu'est-ce qu'il se passe, M. Stark ? Il est arrivé quelque chose à Peter ou à Spid… euh, à Peter ?

Tony haussa un sourcil.

— Okay, inutile d'y aller par quatre chemins. Il te l'a dit, n'est-ce pas ? Pour son identité secrète.

Gwen Stacy détourna le regard, les joues cramoisies. Tony grimaça :

— Bon sang, l'instinct de survie de cet enfant…

— Oui, bon, c'est vrai, il me l'a dit, mais je ne l'ai répété à personne ! protesta vivement Gwen. Promis, juré, vous êtes la première personne à qui j'en parle !

— Ton père…

— Mon père n'en a aucune idée ! Peter peut me faire confiance, il sait très bien que je ne le trahirai jamais !

— Okay, okay.

Il soupira. La fille le fusillait du regard, mais il n'était pas venu jusqu'ici pour se disputer avec elle. Il passa la main sur son visage et se força à recouvrer le fil de ses pensées.

— Écoute, petite, je crois que Peter et Spider-Man sont en danger. Pour te donner la version courte, il y a une saloperie d'origine extra-terrestre qui se promène en ville depuis plusieurs semaines et qui a subitement décidé de s'en prendre à lui. Je pense qu'elle s'intéresse surtout à Spider-Man, mais le résultat est le même : elle est entrée dans la tête de Peter et l'a… changé.

Gwen eut l'air horrifié :

— Attendez, vous voulez dire qu'un alien lui a pondu un œuf dans le cerveau ?!

— Non, non, rien d'aussi barbare, Dieu merci, où est-ce que vous allez chercher des idées pareil, Peter et toi ?

— Tout le monde sait que les alien pondent des œufs dans le cerveau, M. Stark.

Tony ravala de justesse le soupir de désespoir qui avait gonflé dans sa gorge.

— Bref, il y a cet extra-terrestre dans la tête de Peter qui lui dicte des pensées pas très sympathiques, et même carrément glauques. Il l'a poussé à s'enfuir de la Tour et, ahem, je n'ai aucune idée de l'endroit où il aurait pu se réfugier. J'ai pensé qu'ici… puisqu'après tout, il a vécu plusieurs années dans cet appartement…

Sa jeune interlocutrice fit la moue :

— C'est vrai que Peter a habité avec nous mais, franchement, je ne crois pas qu'il ait jamais considéré cet endroit comme sa maison. Mon père était… enfin, il n'a jamais vraiment considéré Peter comme son fils. On s'est beaucoup disputés à ce sujet, mais il n'a jamais voulu entendre raison.

Elle ajouta, l'air songeur :

— Je pense qu'il est beaucoup plus heureux avec vous.

A ces mots, une vague de culpabilité s'éleva dans la poitrine de Tony. Il s'efforça de ne pas penser à toutes ses erreurs, tous les échecs qui l'avaient mené sur le pas de la porte des Stacy, à la recherche de son fils, et s'enquit :

— Tu as une idée d'un autre endroit où il aurait pu aller ? Un endroit qu'il aimerait particulièrement ? Une cachette super secrète dont il t'aurait peut-être parlé, entre deux révélations du style "eh, au fait, je suis un super-héro" ?

Gwen se mordit rêveusement l'ongle du pouce, le regard dans le vide.

— Peter ne sort pas beaucoup, à part pour aller chez Ned, sinon il est toujours… oh ! (Ses yeux s'illuminèrent.) Oh, M. Stark, je crois que je sais !

L'espoir et le soulagement que ressentit Tony furent cependant de courte durée :

— Mais si je vous le dis, vous devez me laisser venir avec vous. Peter m'a sauvé la vie, l'autre jour, alors cette fois-ci c'est à mon tour de l'aider !

— Hors de question, trancha Tony. Peter n'est plus lui-même, je n'ai aucune idée de la façon dont il pourrait réagir en te voyant… et entre nous, je ne pense pas que le colonel Stacy ait très envie de retrouver sa fille adorée en pièces détachées.

— Je n'ai pas peur. Et puis on ne sera pas assez de deux, s'il faut le ramener à la raison ! S'il vous plaît, M. Stark !

Tony n'avait aucune envie de parlementer avec une adolescente obstinée ; chaque seconde passée à discuter sur le paillasson des Stacy était une seconde supplémentaire durant laquelle Peter lui échappait, l'âme manipulée par le symbiote. Il soupira et fouilla brièvement dans sa poche.

— Okay, si tu tiens à ce point à te mettre en danger, prends au moins ça. Au moindre problème, appuie sur le bouton, et l'embout ici deviendra chargé d'électricité. A utiliser avec parcimonie et, surtout, ne dis pas à ton père que c'est moi qui te l'aies donné.

— Woaah, trop cool, un taser !

— Non, ce n'est pas un taser, c'est… enfin bref, on débattra de ça plus tard. Où est Peter ?

C'était la première fois que Tony allait à Midtown. En voyant le lycée de son fils plongé dans la pénombre, il songea qu'il avait probablement eu tort d'envoyer systématiquement Happy le chercher à la sortie des cours. Si seulement il s'était montré plus présent, Peter se serait-il laissé manipuler aussi facilement par le symbiote ? Et surtout (et cette pensée était celle qui hantait le plus Tony) : aurait-il remarqué que son fils n'était plus exactement lui-même, lui permettant d'arracher l'extra-terrestre de son esprit avant qu'il ne soit trop tard ?

Il fut tiré de ses pensées par le flash du téléphone de Gwen. Tony retint un juron et s'empressa d'étouffer la lumière avec la paume de sa main.

— Nope, pas de ça. Tu ne veux pas non plus qu'on balance des pétards et qu'on allume des feux d'artifice, histoire d'être sûrs et certains que Peter nous ait repérés ?

— Il voit dans le noir, pas nous ! Et avec tout les grincements que fait votre armure, ça doit faire dix minutes qu'il sait qu'on est là ! Sérieusement, vous n'avez jamais pensé à mettre un peu d'huile dessus ?

Tony comprenait de mieux en mieux pourquoi Peter appréciait la compagnie de la jeune fille. Décidant de renoncer aux sarcasmes qui brûlaient ses lèvres, il se contenta de répondre, baissant d'un ton :

— Je vais sur le toit ; toi, tu restes ici et tu ne bouges surtout pas avant que je te fasse signe que tout est okay. Caspisce ?

— Compris, m'sieur, je reste ici et j'attends votre autorisation pour bouger !

Il n'en croyait pas un mot, mais il jugea qu'elle courait peu de risque ; l'extra-terrestre qui manipulait Peter ne s'en était jamais pris à une personne innocente. Il espérait seulement qu'il conservait toujours une part de bon sens, sinon… Gwen avait toujours le Paralyseur Stark 2.0.

Tandis que la jeune fille s'asseyait sagement près de la porte d'entrée du lycée et ramenait ses genoux contre sa poitrine, Tony utilisa son armure pour s'élever dans les airs.

Les lumières des immeubles alentours éclairaient faiblement le toit du lycée. L'ombre fine d'une silhouette juvénile, accoudée contre la balustrade, se découpait dans la nuit. Le cœur de Tony s'accéléra, car la fille Stacy avait eu raison : c'était ici que s'était réfugié Peter.

— Je savais que tu viendrais, dit son fils d'une voix froide, lointaine — une voix qui fit courir un frisson sur la nuque de Tony.

Il se retourna vers lui. Il était entièrement vêtu de noir, comme si son costume avait été trempé d'encre de Chine — mais il ne pouvait s'agir de son véritable costume ; Tony avait pris soin de l'enfermer à double-tour dans une chambre forte de la Tour. L'alien qui s'était insinué dans les pensées de Peter avait réussi, d'une façon ou d'une autre, à matérialiser une nouvelle tenue à son image.

L'adolescent s'écarta de la balustrade et lui fit face :

— Alors tu crois encore pouvoir me contrôler, Stark ? Tu crois encore avoir le moindre droit sur moi ?

— Peter… commença Tony, cherchant à reconnaître les traits de son fils sous le masque sombre qui recouvrait son visage. Peter, petit, est-ce que tu m'entends ?

— Que viens-tu faire ici ? demanda la Chose qui avait pris possession de Peter.

Tony soutint le regard laiteux de son masque :

— Je viens chercher mon enfant.

— Ton enfant ? répéta la créature, visiblement amusée. Laisse-moi rire… Ce mot ne signifie rien, pour toi. Il n'a jamais été ton enfant. Et toi… toi, tu n'as jamais été un père pour lui. Mais après tout, tu n'as jamais voulu l'être, n'est-ce pas ? A tes yeux, Peter n'a toujours été qu'un accident. Une erreur de parcours.

Tony secoua vivement la tête :

— Pete… tu sais bien que c'est faux. Cette chose te raconte des mensonges. Tu es mon enfant…. mon fils…

— Un fils que tu caches dans ta Tour ? Un fils dont tu ignores les pensées ? Que tu n'es jamais allé chercher à la sortie de son lycée, comme si tu avais honte de lui ?

Le cœur de Tony battait si fort qu'il avait mal à la poitrine, mal aux tympans, mais il se força à articuler :

— On en a déjà parlé. Je n'avais pas le choix…

— Faux ! Tu avais le choix ! On a toujours le choix. Le tien a été très clair…

Tony voyait son fils trembler sous son costume. Il s'approcha, tendit la main vers lui — mais Peter exécuta un bond en arrière, comme s'il craignait qu'il ne lui fasse du mal.

— Bambino…

— Arrête de m'appeler comme ça ! Je… je ne suis pas ton fils !

Peter était plus petit que lui, moins entraîné aux situations de combat, mais infiniment plus vif. Il se jeta brutalement sur lui et le heurta si violemment qu'il eut l'impression de recevoir un camion de plein fouet et, bien que protégé par son armure, eut le souffle coupé.

Sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits, Peter lui assena un puissant coup de poing en plein plexus solaire — le genre de coups qui aurait brisé les os d'un homme normal.

— Peter, arrête !

Tony attrapa les poings de l'adolescent dans l'espoir de l'immobiliser. Peter se débattit violemment et chercha à lui décocher des coups de pied. Tony avait l'impression d'essayer de retenir à mains nues un cheval lancé au triple galop. Ses bras commençaient à lui faire mal ; Peter ne tarderait pas à lui échapper. Il serra les dents.

— Friday, lance-lui le rayon le moins violent que nous ayons en stock.

Un éclair lumineux frappa son fils, qui laissa échapper un cri de douleur et s'effondra par terre. Tony fut persuadé d'avoir entendu au moins l'une de ses côtes se fêler.

— Nom de Dieu…

— Désolée, Boss. C'est le moins puissant que vous ayez programmé.

— Espèce de… comment oses-tu ? cracha Peter en se recroquevillant sur lui-même, la respiration sifflante. Tu… tu vas regretter de t'en être pris à moi !

Le cœur de Tony fut victime d'un nouveau soubresaut, infiniment plus douloureux que tout ce qu'il avait pu vivre jusque là. Recevoir des miettes d'obus dans la poitrine, être kidnappé par des terroristes, avoir le sang empoisonné par du palladium… qu'était-ce, face à la haine qu'il devinait dans la voix de son propre fils ?

Il devait réussir à l'atteindre. A lui communiquer toute la tendresse, tout l'amour qu'il avait appris à éprouver à son égard. Il réalisa que ce n'était pas Iron Man qui devait se battre contre un ennemi extra-terrestre ; c'était Tony qui devait se battre pour son fils.

Son armure s'ouvrit. Il s'en extirpa et avança vers le corps roulé en boule de Peter, levant les mains pour lui signifier qu'il ne comptait pas lui faire de mal.

— Je suis désolé, Peter, dit-il en s'agenouillant près de l'adolescent.

Celui-ci essaya de reculer.

— Ne… ne m'approche pas !

— Laisse-moi te regarder, s'il te plaît, insista Tony avec douceur. Laisse-moi voir tes yeux…

Lentement, ses mains effleurèrent les commissures de son masque. Il sentit Peter frissonner sous ses doigts, mais l'adolescent ne le repoussa pas et, délicatement, Tony parvint à dégager son visage.

Les yeux de Peter rencontrèrent les siens et Tony eut un choc. Ses pupilles étaient réduites à deux têtes d'épingle, le blanc de ses yeux était injecté de sang. Il n'y avait plus aucune trace de cette candeur étonnée qui, d'ordinaire, adoucissait ses traits. Son visage était dur, hostile ; des ombres s'épanouissaient sous ses cils, ses joues étaient pâles et creusées.

— Oh, petit…

Tony voulut cueillir sa joue, réchauffer sa peau glacée, mais Peter fut plus rapide. Il esquiva son geste de tendresse et, comme s'il avait été monté sur des ressorts, se redressa d'un bond. Sans laisser à Tony le temps de comprendre ce qui lui arrivait, il se jeta de nouveau sur lui et, cette fois-ci, parvint à lui faire perdre l'équilibre. Son crâne heurta le sol, une mélodie cinglante s'éleva sous son crâne. Il regretta amèrement d'avoir quitté la protection de son armure.

— Peter, je t'en prie…

— Tais-toi, vieil homme ! Tu n'as aucun droit de t'adresser ainsi à nous ! Tu n'es qu'un sale… un sale… je… je te déteste !

Tony sentit les doigts de son fils s'enfoncer contre sa gorge. Étourdi, il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser ce qu'il se passait : Peter — ou plutôt, l'extra-terrestre qui manipulait Peter — essayait de l'étrangler. Son rythme cardiaque s'emballa ; il voulut le repousser, mais ses bras ne lui obéissaient plus.

— P… Pe…

Les yeux de Peter le voyaient sans le voir. Ils étaient anormalement fixes, ignorant ses suppliques étouffées.

— Pe… ee…

Il n'arrivait plus à respirer, des étoiles noires virevoltaient dans son champ de vision.

— Peter, non, lâche-le !

Il ne fut jamais autant soulagé que quelqu'un ait outrepassé ses ordres.

Tremblante, les yeux écarquillés d'horreur, Gwen Stacy s'était interposée, témoignant d'un certain courage (ou d'une totale inconscience). A travers les larmes qui l'aveuglaient, Tony voyait sa silhouette floue s'agiter à côté de celle de l'adolescent, s'échinant à le repousser.

— Peter, s'il te plaît, ne me force pas à utiliser ce taser contre toi !

— Ne te mêle pas de ça, idiote !

Les mains de Peter relâchèrent enfin leur pression. Tony inspira à pleins poumons l'air frais de la nuit, savourant chaque bouffée d'oxygène comme s'il s'agissait de la dernière. Il se redressa sur les coudes et eut le temps de voir Peter repousser violemment son amie. Ses cheveux blonds parurent danser dans la nuit.

Elle poussa un glapissement de surprise, mais insista :

— Ce n'est pas toi, Peter ! Ecoute-moi, d'accord ? Je sais que tu en as bavé, que mon père et d'autres gens t'ont fait énormément de mal, que tu ne méritais pas tout ce qu'il t'est arrivé, mais… M. Stark n'y est pour rien ! Il… il veut seulement t'aider ! Tu es son fils, Peter, sa famille ! Et lui, il est la tienne… s'il y a une personne qui sera toujours là pour toi, c'est bien lui, alors s'il te plaît, Peter, ne t'en prends pas à lui…

L'adolescent s'était figé. Tony retenait son souffle, pris de court par le discours de la jeune fille. Elle parlait avec passion, les yeux brillant de larmes, et il réalisa alors que jamais il ne comprendrait l'étendue des sentiments qu'elle éprouvait pour Peter — tout comme il ne pourrait jamais quantifier la reconnaissance qu'il éprouvait à son égard.

Peter tourna lentement son visage vers lui. L'espace d'un battement de cœur, Tony crut voir une sincère confusion se dessiner sur sa physionomie — mais elle ne dura pas. Un voile de rage ombra ses prunelles, ses poings se serrèrent et il se détourna de Gwen avec mépris, ignorant le hoquet de détresse qui lui échappa.

— Quoi qu'elle dise, tu n'es pas mon père, murmura-t-il, enfonçant ses iris noires dans les siennes. Tu n'es pas mon père et si tu t'évertues à te mettre sur ma route, alors…

Sa main s'approcha de nouveau de sa gorge, menaçante.

— Alors je n'hésiterais pas à me débarrasser de…

Ce fut à cet instant que les cloches d'une église se mirent à sonner.