Résumé: Tiraillé entre les instincts qui le poussent vers son vampire et les souvenirs douloureux qui l'en éloignent, Harry est parti quelques jours pour faire le point et tenter de comprendre ce qu'il est. Bien qu'à contrecoeur, Severus a accepté de le laisser partir et de lui faire confiance. Juste avant ce départ, Harry s'est "réconcilié" avec lui en lui amenant Aria à la Librairie, et est même allé jusqu'à réclamer une morsure dans le cou la nuit avant son départ... proposition que Severus a décliné tant que Harry ne serait pas plus en accord avec sa nature de calice.
.
Un chapitre un peu particulier aujourd'hui, puisqu'en l'absence de Harry, Lucius et Severus sont seuls tous les deux au Manoir, et c'est l'occasion pour eux de renouer et de retrouver quelque chose de leur vie et de leur relation passées... Bonne lecture!
(Le site bugue (encore) un peu depuis quelques jours; certaines histoires sont inaccessibles ou bien l'appli ne fonctionne pas (pour ma part, je ne peux plus m'y connecter)... Je publie malgré tout, pour ne pas priver ceux pour qui tout est normal, et j'espère que vous aurez tous accès au chapitre via le site ou l'appli... )
.
.
Les images défilaient sur l'écran mais Severus ne distinguait que des flashs de lumière qui se succédaient sans réelle signification. De temps à autre, une scène, un mot, une silhouette faisaient sens et puis l'impression se dissipait aussitôt, ne lui laissant qu'une sensation de flou étrange.
Sur ses cuisses, les chevilles croisées de Lucius lui apportaient une chaleur bienvenue. Machinalement, Severus reprit ses caresses, la main glissée sous le tissu du pantalon pour toucher sa peau tiède. Il avait même baissé la chaussette de son mari pour avoir plus d'accès à sa peau. Il savait pourtant que Lucius avait horreur de ça, qu'il détestait, en se relevant, avoir les chaussettes entortillées sur les chevilles, mais il s'en fichait. Ce soir, il avait besoin de ce contact peau à peau, de cette vieille habitude rassurante qui lui manquait.
Devenir un vampire les avait considérablement éloignés : ils ne dormaient plus ensemble, n'avaient plus que de rares rapports sexuels pas vraiment satisfaisants ni pour l'un ni pour l'autre, ils n'avaient presque plus de contacts physiques. Ils se contentaient de vivre côte à côte, de partager ensemble quelques moments du quotidien, quelques conversations, des repas, une tasse de thé dans le Petit Salon, un film dans la Salle de Cinéma... Comme auraient pu le faire des amis.
Bien sûr, les sentiments étaient encore là, comme depuis quarante ans, mais les matérialiser était difficile.
Severus soupira puis fixa l'écran quelques minutes.
.
– Où crois-tu qu'il soit ?
Sa voix n'avait été qu'un murmure, presque pour lui-même, mais Lucius l'avait très bien entendue. Il tourna la tête vers lui et le regarda fixement pendant de longues secondes. Severus reprit sa caresse machinale sur la cheville de son mari, comme si cela pouvait effacer ce qu'il venait de dire.
– Je ne sais pas. Il ne m'a rien dit de particulier. Rien de plus qu'à toi...
Un bruit inopportun venu de l'écran leur fit froncer les sourcils avant de reporter leur attention l'un sur l'autre. Le sourire de Lucius était revenu, chaud et réconfortant.
– Je suis sûr que ça se passe très bien, Sev... Harry est un grand garçon et un sorcier puissant. Et puis ça a été sa vie pendant des années... Je ne me fais aucun souci pour lui.
Severus se contenta de grogner et de tourner la tête vers l'écran.
– Toi si ? dit Lucius après un instant de silence.
Severus grimaça en fermant les yeux une brève seconde puis finit par répondre :
– Évidemment.
Lucius sourit à nouveau et du bout du pied caressa doucement son ventre.
– Il reviendra, ne t'en fais pas...
– Si tu le dis, fit Severus en renversant la tête sur le dossier du canapé.
Dans la pénombre de la pièce, le plafond formait une surface plus claire dont les reliefs des moulures ressortaient étrangement selon la lumière diffusée par l'écran. Il n'avait jamais vraiment apprécié toutes ces fioritures inutiles mais ce soir, ces rondeurs familières et gracieuses étaient agréables à regarder. Rassurantes.
– Il te manque déjà ? le taquina Lucius.
Severus grogna à nouveau et se renfrogna un peu plus, abandonnant la cheville de son mari pour croiser les bras sur son torse.
– Ou bien c'est parce que tu as faim et que tu n'as pas eu ta ration quotidienne ?
– Ça n'a rien à voir avec ça, protesta-t-il vivement. Même si Harry me laisse boire régulièrement, je n'ai pas besoin de le faire tous les jours. Je peux m'en passer. C'est juste... plus confortable. Pour lui et pour moi.
La plaisanterie l'avait crispé, involontairement, et Lucius s'en était bien rendu compte. Il retira ses jambes et se redressa, quittant sa position à demi-allongée pour s'asseoir à ses côtés, tourné vers lui. Une main aux longs doigts fins vint effleurer ses cheveux, retraçant les mèches autrefois blanches et redevenues sombres.
– Je sais. Excuse-moi... Et je sais aussi que tu n'aimes pas parler de cette relation de sang entre vous. C'est parce que tu crains qu'il fasse une sorte de... trop-plein que tu es si inquiet ? Comme il avait fait pendant notre week-end à Bruxelles ?
– Non. Contrairement aux jeunes calices, Harry ne court plus aucun risque d'engorgement. De ce côté-là, il a atteint une « production de sang » très harmonieuse. Presque parfaite.
– Alors qu'est-ce qui te mine autant ?
Severus fixa à nouveau l'écran qui s'animait sans presque plus aucun bruit. À un moment donné, Lucius avait dû baisser le son du film pour qu'ils puissent parler librement et il ne s'en était même pas aperçu.
– Harry est mon calice, répondit-il après un silence. Et ce n'est pas seulement une question de faim et de sang... Il est de mon rôle, de ma responsabilité, de m'assurer qu'il va bien et de le protéger si c'est nécessaire. C'est un besoin primaire de mes instincts de vampire. Je dois veiller sur lui et le garder en sécurité, et... je ne sais même pas où il est.
Severus décroisa les bras et passa une main lasse sur son visage, bien conscient que ses yeux devaient être rouges, et pas parce qu'il avait faim.
– Je tiens à lui laisser une certaine liberté, mais là, il est bien trop loin pour que je ressente quoi que ce soit venant de lui. Je ne peux même pas savoir s'il est simplement vivant ! Il pourrait mourir au fond de cette jungle que je serais incapable de le protéger et que je n'en saurais rien.
– Il ne va pas mourir, Severus, fit Lucius en posant une main sur sa cuisse. Et s'il lui arrivait quelque chose de grave, je suis certain que sa magie le ramènerait ici, ou quelque part en sécurité, comme elle l'a fait quand il était prisonnier de Vladimir.
Severus soupira. Lucius avait sans doute raison mais cela n'empêchait pas ses instincts de protection de se rebeller contre cet éloignement. S'il arrivait quelque chose à Harry, il ne s'en remettrait jamais, et il craignait même que le vampire ne prenne le dessus sur sa partie humaine. Il avait en quelque sorte apaisé sa relation avec son calice avant son départ, mais il sentait bien que l'équilibre en lui était fragilisé par son absence.
– Luce... Jusqu'à ce qu'il revienne, je risque d'être... désagréable.
– Pire que d'habitude ? gloussa Lucius en atténuant ses mots d'une caresse sur sa cuisse.
Severus tourna la tête vers lui et le fusilla d'un regard plus rouge que noir. Que ce soit l'obscurité ou l'inconscience, Lucius ne fut pas du tout impressionné et il glissa un baiser sur ses lèvres avant de se remettre à sourire.
– Très bien. J'accepte de supporter tes inquiétudes et ta mauvaise humeur, je pardonnerai tes sarcasmes, ton ironie et ton amertume, mais à une condition.
Severus grogna un son interrogateur et méfiant.
– Que tu viennes dormir toutes les nuits avec moi jusqu'à son retour, jubila Lucius. Je sais que tu n'as pas besoin de dormir réellement, tu peux te relever un moment si tu veux aller nager ou faire je ne sais quoi, tu peux même travailler ou lire dans le lit, mais je voudrais t'avoir avec moi chaque soir pour m'endormir, chaque fois que je me réveille la nuit et chaque matin avant de me lever.
Si ça n'avait pas été Lucius, Severus aurait trouvé cela incroyablement sentimental, et presque fleur-bleue. Ça l'était peut-être en réalité, mais il savait aussi tout ce qu'il y avait derrière cette demande comme regrets sur la distance entre eux, sur ce fossé implicite que sa transformation avait causé, sur ce manque que Lucius ressentait et qu'il ressentait aussi. C'était sans doute une occasion unique de se rapprocher, de renouer quelque chose et ils en avaient tous les deux besoin.
Il grogna son assentiment comme si cela lui coûtait mais au vu de son petit sourire, Lucius n'y croyait pas une seconde.
.
Ils se tournèrent à nouveau vers le film, la main de Lucius jouant dans les cheveux sur la nuque de Severus, mais ils avaient perdu le fil de l'histoire depuis trop longtemps pour s'y remettre maintenant. Et puis leurs pensées étaient ailleurs.
Vers celui qui était absent, vers les nuits à venir à dormir ensemble, vers des envies beaucoup moins chastes... Lucius finit par éteindre l'écran d'un geste de baguette et par se lever en le tirant par la main.
– Allez, au lit ! fit-il avec un sourire ravi.
– Je vais prendre de quoi lire et travailler, bougonna Severus en se dirigeant vers la Bibliothèque. Je te rejoins là-haut.
Sur la grande table de travail, il ramassa sa traduction en cours, un dictionnaire de runes et son nécessaire pour écrire, avant d'ajouter un ou deux magazines à bouquiner si le temps passait trop lentement. S'il s'ennuyait vraiment trop, il pourrait toujours redescendre pour chercher un peu plus de lecture.
Devant la porte de la Bibliothèque, Lucius l'attendait, observant son manège et ses gestes ostensiblement contrariés.
– Tu as peur que je me défiles ou quoi ?! grogna Severus en le rejoignant.
Lucius se contenta d'un sourire amusé avant de le précéder vers l'escalier.
.
– Je..., hésita Severus d'une voix troublée. Luce... ça ne va pas être possible. Je ne peux pas...
Lucius s'immobilisa et se retourna vers lui en haussant un sourcil. Severus s'était arrêté au beau milieu du couloir, figé dans une réticence soudaine.
– Qu'est-ce que tu ne peux pas ?
– … Votre chambre, murmura Severus. Je ne peux pas rester là. C'est votre lit. Je ne crois pas que Harry apprécierait de savoir que j'ai « dormi » dedans.
Et ils n'allaient sans doute pas faire que dormir... Cela lui paraissait le comble de l'indécence.
Harry savait qu'ils s'aimaient et qu'ils avaient encore des relations sexuelles, mais profiter de son absence pour le faire dans le lit-même où son calice dormait avec Lucius... il ne pouvait pas. C'était indigne.
– Bon sang, Sev ! Ça a été ta chambre, notre chambre depuis des années ! s'agaça Lucius. Bien avant que Harry n'apparaisse dans notre vie !
– Je suis désolé mais pas ici, fit Severus en secouant la tête tandis que son mari soupirait.
– Tu préfères qu'on aille dans ta chambre ?
Ils avaient déjà passé quelques moments là, tous les deux, pour s'envoyer en l'air en profitant d'une absence de Harry, mais au fil des jours, sa chambre était devenu l'endroit où il mordait son calice tous les soirs, l'endroit de cette espèce d'intimité qui s'établissait peu à peu entre eux et il ne pouvait pas non plus lui faire ça.
– Et si on profitait plutôt d'une des suites de l'aile Nord que tu réserves aux invités ? suggéra Severus. Une chambre neutre, impersonnelle. Un peu plus de luxe, comme à l'hôtel, et on passe tout notre temps au lit...
Un programme qui lui rappelait des souvenirs anciens, des week-ends à l'étranger, quand ils étaient plus jeunes, et qui ne sembla pas déplaire à Lucius. Ils échangèrent un sourire complice, puis Lucius se détourna.
– Je te laisse choisir la chambre. Je vais me préparer et je te rejoins.
.
Severus ouvrit une ou deux portes dans l'aile Nord, parmi les plus éloignées de l'escalier à impériale, avant de jeter son dévolu sur une grande suite de style victorien. Le salon était un peu chargé, bien plus que leurs chambres habituelles ou que le Grand Salon, mais il lui tapa dans l'œil immédiatement.
Peut-être les couleurs un peu sombres, les boiseries, les meubles de bois précieux... ou bien l'immense tapis rouge-brun qui couvrait le parquet et la multitude de coussins qui garnissaient les canapés de velours carmin. Lucius, lui, allait davantage apprécier la quantité de tableaux sur les murs et le luxe évident de la pièce.
Un sourire appréciateur aux lèvres, Severus se dirigea vers la chambre, séparée du salon par une arche drapée de tentures sombres. Cette pièce-là était plus claire, plus douce et au lieu du traditionnel lit à baldaquin auquel il s'attendait, il ne trouva qu'un immense lit comme dans les hôtels, au matelas très haut et avec une banquette en guise de pied de lit. Un endroit très propice à faire des folies de leurs corps dans toutes les positions ! Si seulement ils n'étaient pas si limités par sa condition...
Severus s'avança pour poser ses affaires sur sa table de chevet et se mit à sourire. Spontanément, il avait repris ses anciennes habitudes quand il dormait autrefois avec son mari, lui à gauche, Lucius à droite... et cela avait quelque chose de réconfortant. Ils avaient vraiment besoin de se retrouver. Finalement, ces quelques nuits qu'ils allait passer ensemble lui faisaient envie. Ils auraient pu aller à l'hôtel et en profiter aussi pour se dépayser, mais l'un comme l'autre voulait être là quand Harry reviendrait. Cette suite ferait parfaitement bien l'affaire.
En dénouant les deux premiers boutons du col de sa chemise, Severus revint tranquillement vers le salon avant de s'arrêter sur le seuil, frappé par une évidence. Si cette pièce lui avait plu au premier coup d'œil, c'était sans doute pour deux raisons : cette abondance de couleurs bordeaux, carmin, rouge foncé tirant sur le brun, et qui lui rappelaient férocement le velouté du sang... et cette immense plante verte près de la fenêtre, une sorte de palmier dont les longues feuilles fines s'étiraient comme des éventails et dont la couleur lui rappelait furieusement les yeux de Harry.
.
– Tu n'as pas choisi la pire, apprécia Lucius en pénétrant lentement dans le salon.
Severus le suivit du regard tandis qu'il s'approchait, savourant l'effet que son mari produisait toujours sur lui. Lucius était vêtu en tout et pour tout d'un kimono de soie noire qu'il avait dû lui emprunter et qui faisait ressortir la pâleur de sa peau et la lumière de ses cheveux. Les mains glissées dans les poches, un sourire fier sur le visage... Severus sentit l'excitation gronder doucement au fond de lui. Lucius n'était pas son calice, mais le vampire en lui l'appréciait d'une autre manière.
– On ne vient jamais dans ces pièces, regretta Severus en s'installant confortablement sur un des canapés, un bras passé sur le dossier. C'est peut-être un tort... On en vient à oublier qu'elles sont plutôt grandioses. Presque... excitantes.
Debout à trois pas du canapé, Lucius le contemplait, un sourire amusé sur les lèvres.
– N'étions-nous pas censés aller dormir ?
– Tu sais bien que je ne dors pas...
– Mais tu as promis de partager mes nuits. Dans un lit.
Dans la pénombre du salon à peine troublée par la lampe qu'il avait allumée en entrant, Severus sentait ses yeux rougeoyer. Il était d'une humeur joueuse, dangereuse. Et la peau pâle du torse de Lucius, dévoilée par l'échancrure du kimono, creusait dans son ventre une sensation de faim intense.
– J'aurai bien envie de t'entendre supplier pour que je te rejoigne dans ce lit, mais je ne suis pas si cruel, ricana-t-il en dégrafant un bouton supplémentaire de sa chemise. Ceci dit, j'ai besoin d'un peu de motivation pour m'inciter à quitter ce canapé confortable...
Lucius haussa dignement un sourcil tandis que le coin de ses lèvres remontait doucement pour agrandir son sourire. Un à un, il fit les trois pas qui le séparaient du canapé, avant de s'installer un pied de part et d'autre des jambes de Severus.
Il se tenait là, debout, juste devant lui et le kimono dissimulait encore l'essentiel. De toute évidence, Lucius se débrouillait pour que les pans croisés du tissu dissimulent son sexe, malgré sa longueur généreuse. Un instant, Severus se demanda s'il n'avait pas gardé un sous-vêtement dessous, pour qu'aucun morceau de sa peau nacrée ne soit ainsi visible, mais Harry les avait habitués à dormir nus, et cela paraissait peu probable. Lucius prenait juste un malin plaisir à le faire languir, jusqu'à ce qu'il craque et qu'il glisse sa main sous le tissu soyeux.
Et Severus craqua avec bonheur. Il se redressa et d'un bras autour de ses reins, il attira brusquement Lucius vers lui. Le désir fusa dans son corps et palpita entre ses cuisses. Il enfouit son visage entre les pans du kimono, surpris de découvrir un sexe déjà complètement dur et dressé contre le ventre plat de Lucius. Il avait juste regardé trop bas.
.
oooooo
.
Severus sentit une main le chercher à tâtons, puis un bras s'enroula autour de sa cuisse avec un grognement satisfait. Il nota mentalement le numéro de sa page et laissa son livre se refermer de lui-même. Tout près de lui, Lucius frottait son nez sur son oreiller, puis, sans doute gêné par la lumière, il tourna la tête de l'autre côté, pivotant pour coller son dos contre sa cuisse.
Pour éviter de trop déranger son mari, Severus avait pourtant posé sa lampe de chevet sur le tapis moelleux pour qu'elle ne diffuse qu'une lumière rase. Il voyait très bien dans la pénombre; l'obscurité complète ne le gênait pas pour se déplacer, mais pour lire ou travailler, il avait tout de même besoin d'un minimum d'éclairage. Lucius avait accepté ce léger inconfort et il finirait de toute évidence par se rendormir complètement. Il n'avait dormi qu'un peu plus d'une heure pour l'instant, ce qui était loin de son quota de sommeil indispensable.
Tout à l'heure, ils s'étaient envoyés en l'air, bien évidemment, ce qui avait quelque peu retardé le début de sa nuit, mais Severus était certain que son mari ne le regrettait pas le moins du monde. Pour la première fois depuis des semaines, ils avaient pu prendre vraiment leur temps, sans crainte d'être interrompus, sans se dire que Harry allait les surprendre, sans faire ça à la va-vite, entre deux portes.
Ils avaient pourtant commencé dans une ambiance très électrique, impatiente... Puis Lucius avait ralenti le rythme. Il avait eu besoin de le toucher, beaucoup, malgré sa peau fraîche, de le caresser, de s'enivrer de baisers, de contacts, d'étaler son long corps contre le sien, de se frotter contre lui, comme pour s'imprégner de sa présence. S'assurer qu'il était bien là et que leurs corps se souviendraient l'un de l'autre. Puis le désir s'était à nouveau enflammé et ils avaient fini tête bêche, chacun s'enfonçant dans la gorge de l'autre avec une énergie ultime.
À dire vrai, Severus avait bloqué les hanches de son mari d'une poigne puissante pour maîtriser toute intrusion trop virulente, mais Lucius, lui, s'était laissé faire. Lui accordant plus de contrôle qu'il ne l'avait jamais fait ces dernières années.
Severus tendit une main pour caresser les cheveux brillants dans la pénombre puis se ravisa de peur de réveiller son mari qui semblait s'être rendormi profondément. Il l'observa un moment, ses cheveux étalés sur sa peau claire et si pure, la ligne sèche, un peu anguleuse, de son épaule, une fine cicatrice de quelques centimètres qui témoignait d'un sort reçu pendant la guerre et que Severus avait soigné maladroitement. C'était il y a bien longtemps...
Lucius avait changé depuis. Et il avait encore considérablement changé depuis les quelques semaines de son retour de Colibita. Mieux que personne, mieux que Harry sans doute, il comprenait ce que Severus était devenu. Il comprenait et il acceptait. Son besoin de domination, sa fierté, sa puissance... Tout ce que Severus s'obligeait à ne pas montrer devant Harry, Lucius le prenait de plein fouet et il ne s'en offusquait pas. Il semblait même en jouer, ravi de ce répondant, y compris dans le sexe. Il le provoquait sciemment, il cherchait la confrontation avec un alter ego qui ne lâcherait rien, il s'amusait avec l'ascendant que Severus voulait imposer. Lucius semblait adorer cette émulation réciproque, même s'il finissait par céder de temps en temps.
Accepter de ne pas avoir le dernier mot dans une conversation tendue, reconnaître ses torts et s'excuser, tolérer son irritation qui s'exprimait parfois par une puissance brute, écrasante, admettre des fellations virulentes dont il n'avait pas le contrôle... autant de petites choses que Severus n'aurait jamais cru possibles.
Et malgré tout, Lucius était encore là pour écouter ses états d'âme et comprendre ses tourments. Il n'avait rien dit lorsqu'il l'avait vu taire son orgueil pour céder aux caprices de Harry au sujet des morsures. Il n'avait rien dit non plus lorsque Harry avait empêché sa fille de l'approcher et que Severus s'était senti humilié et mutilé par cette séparation. Il les avait laissés faire, il les avait laissés se débrouiller, quoi qu'il en pense, mais toujours présent pour écouter ses difficultés avec son calice.
Tout ce que Lucius demandait en retour, c'était un peu de temps. Faire l'effort de maintenir leur relation, même si toute l'attention et les pensées de Severus se tournaient instinctivement vers son calice. Quelques nuits ensemble grappillées aux tensions qui régnaient encore dans le Manoir et qui les empêchaient de vivre tous les trois ensemble. Continuer à s'aimer, de toutes les manières possibles.
Et à son corps défendant, contrairement à ce qu'il aurait pu penser au départ, Severus était ravi d'être là, aux côtés de son mari endormi en toute confiance. Sa respiration tranquille lui faisait l'effet d'un ressac apaisant, il percevait les battements lents et réguliers de son cœur, sa chaleur lui donnait l'impression d'être un peu plus vivant. Depuis sa transformation, ils n'avaient pas passé beaucoup de moments si proches l'un de l'autre en dehors du sexe, des moments paisibles, alanguis, des moments à être simplement présents l'un à l'autre. De la tendresse peut-être... Et cela lui faisait un bien fou.
.
.
– Mmh... Tu es glacé, grogna Lucius d'une voix contrariée malgré son demi-sommeil.
– Je suis allé nager, murmura Severus en s'allongeant sur le côté, collé contre le corps chaud de son mari.
Lucius frissonna violemment avant de murmurer un sortilège de chaleur qui transforma l'espace sous la couette en une délicieuse étuve. Severus réprima un ronronnement de plaisir tandis qu'il sentait Lucius se détendre peu à peu entre ses bras. Le sortilège n'agissait pas directement sur son corps de vampire mais la chaleur de son mari, en revanche, le réchauffait merveilleusement bien. Presque aussi bien que quelques gorgées du sang savoureux de Harry.
Pliant les jambes pour épouser celles de Lucius, Severus ajusta son corps tout le long de celui de son mari. Son dos était plaqué contre son torse, sa taille ceinturée par un de ses bras, ses fesses collées contre son entrejambe... Severus ferma les yeux, submergé par un désir puissant. Il suffisait de pas grand-chose... Une érection qu'il combattait de toutes ses forces, un peu de lubrifiant... S'il usait de son influence, il était même certain que Lucius se laisserait faire.
Au lieu de ça, il mordilla doucement l'épaule de son mari pour l'inciter à ne pas se rendormir trop vite. Voire même à se réveiller complètement pour épuiser le désir qui le tenaillait.
– Espèce de sangsue ! marmonna Lucius. Garde tes crocs pour Harry !
.
oooooo
.
Severus tourna la tête et s'aperçut qu'il avait oublié d'éteindre sa lampe de chevet. Il tendit un bras vers le sol, tâtonna sur les poils doux du tapis avant de trouver l'interrupteur et d'appuyer dessus. Il n'en avait plus besoin, étant donné la quantité de lumière qui filtrait par la fenêtre.
En remontant de la piscine dans la nuit, il avait pourtant soigneusement tiré les rideaux en prévision de ce désagrément mais ce n'était guère suffisant, même en y ajoutant un ou deux sortilèges. Il n'avait pas songé la veille, en proposant cette chambre à Lucius, qu'elle n'était pas protégée par le sortilège de Harry, ni qu'il traînerait aussi tard au lit avec son mari, mais qu'importe ! Le plaisir d'être là et d'attendre que Lucius se réveille à ses côtés valait bien cet inconfort.
Il grogna malgré tout pour la forme avant de se réinstaller confortablement, un bras replié sous la tête, savourant la tiédeur des draps comme il aurait savouré une douche bien chaude : quelque chose de moelleux et de confortable dans lequel il se sentait divinement bien. Sans compter la présence délicieuse de son mari tout près de lui, son parfum qui avait imprégné les draps et qui lui retournait les sens, et la perspective, peut-être, de s'aimer à nouveau à son réveil...
.
Severus n'en avait jamais vraiment pris conscience, trop plongé dans sa nouvelle condition et ses exigences pour s'appesantir sur le passé, mais cela lui avait manqué. Passer du temps, nu, dans un lit. Se délasser, se prélasser... Ne serait-ce qu'être en position allongée était quelque chose dont il avait perdu l'habitude. Pour lui, qui était éveillé en permanence, qui passait son temps debout à la Librairie ou assis derrière un bureau, dans un fauteuil, sur un canapé... le monde n'existait plus qu'en mode vertical. Là, il redécouvrait le plaisir de paresser allongé dans un lit, sans chercher à s'occuper par tous les moyens afin de ne pas voir les heures s'étirer à l'infini.
Au contraire, depuis hier, il prenait le temps de savourer, de contempler le visage de son mari plongé dans l'abandon du sommeil, d'écouter sa respiration en regardant le fin rayon de soleil qui progressait lentement le long du mur. Il reprenait conscience de son propre corps, des draps soyeux qui glissaient sur sa peau nue, de ses muscles sollicités par une séance de natation prolongée et qui goûtaient un repos bien mérité, du confort paisible que pouvaient offrir un lit, un oreiller, la présence de celui qu'on aime...
Et puis il percevait avec satisfaction la magie qui courait en lui. La magie que le sang de Harry lui apportait et qui suppléait à ses fonctions vitales, qui lui était essentielle et indispensable. Et puis celle qu'il possédait de lui-même, une symbiose étonnante et complexe entre sa magie de sorcier et celle de vampire. Cette puissance brute, démesurée mais maîtrisée par la civilisation, la culture et l'éducation, le faisait exulter au fond de lui-même. Il se sentait fort et puissant, et délicieusement en position de contrôle. Et contrairement à beaucoup de vampires qui les jugeaient bestiaux, il appréciait ses instincts sauvages et primaires qui tenaient davantage de la créature que de l'humain. Il n'en avait pas peur, il ne cherchait pas à les fuir, ni à les neutraliser à tout prix. Parfois il les laissait même s'exprimer dans la virulence du sexe ou dans sa façon de toucher Lucius, dans sa ténacité à nager... Il n'y avait que devant Harry que cette symbiose explosait et qu'il fuyait ses instincts de vampire.
En sa présence, il étouffait, il écrasait ses envies, ses désirs, et jusqu'à ses besoins. Severus savait trop bien qu'il n'avait pas droit à l'erreur, que le moindre geste serait jugé, que le moindre emportement serait craint, même s'il n'était pas dirigé contre son calice, même s'il était légitime. Harry ne lui pardonnerait rien. Et après ce qui s'était passé dans le pavillon chinois, c'était bien normal. Mais au final, Severus se trouvait plus mal à l'aise devant son propre calice que devant n'importe qui d'autre.
Il avait tout accepté : les morsures au poignet, l'absence de contact, de relation sexuelle, la distance imposée, l'éloignement d'Aria, la méfiance... Pour Harry, il acceptait de n'être qu'un humain, un demi-vampire, effacé, résigné, presque soumis, quel que soit le mal-être qu'il ressentait à fuir sa vraie nature. Severus savait bien que ce n'était pas une solution, mais il n'en avait pas d'autre pour essayer de regagner lentement la confiance de son calice. Et cela semblait payer...
Harry l'avait laissé approcher d'Aria au bout de quelques jours, il l'avait laissé s'en occuper. Il lui avait proposé son sang plus souvent que ce qui était convenu. Il lui avait même proposé de le mordre dans le cou... Mais le plus significatif à ses yeux – et surtout à son cœur –, c'était cette étreinte qu'ils avaient partagée dans la Bibliothèque, la nuit juste avant son départ. Harry avait bu à nouveau son sang, mais surtout, il s'était abandonné entre ses bras, il s'était laissé toucher, câliner, cajoler... En toute conscience, il s'était spontanément laissé aller contre lui et il en avait eu envie. Ses instincts de calice l'avaient incité à réclamer une morsure, mais le désir de cette étreinte venait de lui. Et pour Severus, cela signifiait bien plus que toutes les morsures du monde.
.
Lucius remua légèrement dans le lit puis étira longuement ses jambes et son dos avant de se repositionner sur le ventre, la tête tournée vers lui. Il ouvrit ensuite les yeux, un sourire satisfait sur le visage en constatant sa présence.
– Je suis content que tu sois là, murmura-t-il en refermant les yeux.
– Et je suis content d'être là, affirma Severus. Ça m'avait manqué...
En signe de gratitude, Lucius glissa sa main entre les draps jusque sur son ventre et le caressa doucement. Severus sourit à son tour, admirant le visage reposé et détendu de son mari. Il se sentait pourtant loin du compte... Jamais avec de simples mots, il n'aurait pu exprimer son plaisir d'être là et de voir Lucius se réveiller doucement à ses côtés, de partager les premiers regards, les premières caresses, les premiers mots d'une journée...
Et dire que pendant des années, il était passé à côté de ce bonheur tout simple. Pendant des années, il avait laissé Lucius se réveiller seul dans leur grand lit tandis qu'il était debout depuis longtemps, parti nager, travailler, prendre sa douche ou son petit-déjeuner. Il avait toujours été bien plus matinal que son mari – bien trop matinal – et il détestait se remettre au lit une fois réveillé. Il ne tolérait que de rares exceptions, le week-end, pour s'envoyer en l'air... mais il ne restait jamais bien longtemps après, pour paresser ou échanger un peu de tendresse.
Depuis deux ans, Harry avait changé tout cela, en les incitant à traîner un peu, à partager des moments au lit le matin, pour rien, pour le plaisir d'être ensemble et de se câliner. Tous les trois. Et puis tous les quatre, parfois, avec Aria qui crapahutait sur leurs corps entrelacés comme sur des montagnes russes.
À présent qu'il n'avait plus besoin de dormir, qu'il ne partageait plus aucune nuit ni avec son mari, ni avec son calice, Severus s'apercevait à retardement que ces moments lui manquaient cruellement. Comme tous ces petits plaisirs dont on ne réalise la valeur que lorsqu'ils ont disparu : le goût des aliments, savourer la chaleur du soleil sur sa peau, la douce léthargie qui précède ou qui suit le sommeil, la volupté d'un verre d'alcool, sentir son cœur palpiter d'une vive émotion... Profiter et ressentir, tout simplement.
Alors, ce matin, et même pendant les quelques jours de l'absence de Harry, Severus allait profiter de son mari et passer du temps avec lui comme il ne l'avait pas fait depuis trop longtemps.
.
– Il est tard ? sourit Lucius depuis son oreiller.
– Tard pour qui ? ricana doucement Severus. Pour toi ou pour moi ?
Lucius gloussa sans répondre. Ils n'avaient jamais eu les mêmes horaires, la même façon de vivre et cela faisait si longtemps qu'ils essayaient péniblement de s'en accommoder. Severus qui, au moment où Lucius se levait habituellement, avait déjà nagé pendant au moins une heure, pris sa douche et souvent son petit-déjeuner... Et qui, aujourd'hui, ne prévoyait plus ses activités qu'en fonction du lever et du coucher du soleil.
– Quelque chose comme huit heures du matin...
– Tard, donc ! rit Lucius en reprenant ses caresses sur son ventre. Tu ne bouillonnes pas trop de rester sans rien faire ?
– Non. Je profite, pour une fois, de pouvoir prendre mon temps... de te regarder dormir... Et puis je suis allé nager cette nuit, pour évacuer mon énergie. Et je comptais bien, ce matin, l'évacuer autrement.
Un sourire lumineux fendit le visage de Lucius, sans que Severus ne sache s'il concernait son allusion presque romantique ou sa proposition licencieuse. Les deux, peut-être. En remuant légèrement, il glissa entre les draps pour s'allonger complètement tandis que la main de son mari suivait le mouvement en glissant de son ventre à son torse. Leurs regards s'accrochèrent longtemps. Lucius finit par se tourner sur le côté, vers lui, et dégagea d'une main les cheveux qui ruisselaient sur son cou avant de la reposer sur le torse de Severus. Trop chastement à son goût.
– Il a l'air de faire beau. On pourrait...
Lucius s'interrompit brusquement en fronçant les sourcils. La maladresse avait failli lui échapper, mais Severus ne lui en voulait pas. Lui-même avait déjà du mal à se faire à sa nouvelle condition, il ne pouvait pas demander aux autres d'y penser systématiquement. Seul Harry semblait l'avoir pleinement intégrée et ne commettait jamais aucun impair.
– Tu n'es pas trop gêné par la lumière ? demanda Lucius d'un ton soucieux.
– Non. Ça va. Je n'aime pas la lumière, se justifia Severus, mais je suis capable de la supporter un peu, surtout depuis que Harry me nourrit régulièrement. Ce n'est juste pas très confortable. Là, il y a quand même les voilages et les rideaux...
À Colibita, il lui arrivait même de se promener dans la ville à la tombée de la nuit ou si le temps était gris... bien couvert, avec cape, gants et capuchon. Ici, il préférait attendre la nuit, mais il pouvait faire davantage. Il le devrait, s'il voulait encore partager un minimum la vie de son mari et de son calice... Et d'Aria.
– Tu crois qu'un jour, tu pourras à nouveau... sortir un peu ?
– Si Harry continue à me laisser boire son sang, oui, fit Severus. Un jour sombre d'hiver, en pleine tempête, quand tu as l'impression qu'il fait nuit en pleine journée et que tes cheveux te fouettent le visage à cause du vent !
– Une sortie qui fait envie ! gloussa Lucius.
– Ou alors on se tiendra bien au chaud sous la couette...
Sa suggestion lascive fit une nouvelle fois sourire Lucius mais il ne réagit pas davantage.
– C'est pour ça aussi que ta peau est moins froide qu'au début ? poursuivit-il sur sa lancée. Parce qu'il te laisse boire régulièrement ?
– Oui. Sauf si je viens d'aller nager !
Lucius frissonna rien qu'au souvenir de leur étreinte nocturne.
– Tu étais glacé ! reprocha-t-il.
– Tu ne m'as pas laissé te réchauffer comme je l'entendais...
Lucius haussa un sourcil puis leva les yeux au ciel.
– Être un vampire joue aussi sur tes appétits sexuels ? s'amusa-t-il.
– Pas que je sache, répondit Severus avec un sourire lubrique. Mais tu es le seul à en faire les frais... Et tu ne vas pas me dire qu'une fois hier soir suffit à combler les tiens ?! Serais-tu devenu à ce point... ?
– Ne finis pas cette phrase ! l'avertit Lucius, amusé.
– Sinon quoi ?...
Une main plus rapide que lui glissa sur son torse jusqu'à un de ses tétons et le pinça violemment. Severus se crispa sous la douleur et gémit outrageusement avant que sa propre main ne vienne s'enrouler autour du poignet de son mari.
– Et n'essaie pas de m'effrayer avec tes yeux rouges, ça ne prend pas avec moi ! ricana Lucius.
Ses yeux n'avaient pas été la seule partie de son corps qui avait réagi au geste de son mari et Severus en grogna d'excitation. Lucius le provoquait à dessein, utilisant la douleur pour réveiller son réflexe de domination. Et il y parvenait très bien. Severus n'avait même pas eu besoin de magie, ni de vouloir être en érection pour sentir son sexe durcir immédiatement et se dresser sous les draps.
– Ne me pousse pas trop loin, prévint-il malgré tout. Tu sais de quelle façon ça peut se terminer.
– Par un orgasme ? ricana Lucius tandis que sa main baladeuse menaçait à nouveau ses tétons.
.
.
Severus fixait le mur où se découpaient les ombres chinoises d'un guéridon et d'un vase dont la forme ainsi projetée semblait si allongée qu'on aurait dit un col de cygne. La lumière se voila peu à peu, sans doute en raison d'un nuage passager, puis au bout de quelques minutes, elle retrouva toute sa vivacité, au point qu'il pouvait voir la poussière voler dans le rayon de soleil. Il grogna, ses yeux sensibles douloureusement gênés par l'intensité de la lumière, et tourna la tête de l'autre côté, vers les draps froissés là où Lucius avait dormi.
Pour l'heure, il était dans la salle de bains attenante à la chambre et Severus pouvait entendre couler l'eau de la douche depuis un petit moment. Un long moment, lui semblait-il, et il ne savait qu'en penser.
De caresses en provocations, de pincements en gémissements, ils avaient fini par se laisser emporter par le désir. Des mains enfiévrées, des baisers voraces, ses yeux rouges et son corps frais allongé sur le corps chaud de son mari. Et Lucius qui continuait de le provoquer sans se soumettre, avec un regard de défi, un sourire moqueur et une langue trop bien pendue.
Severus l'avait plaqué sur le ventre, en le maintenant par le poids de son corps. Ses instincts de vampire, exacerbés par l'attitude de Lucius, appelaient autant à la domination qu'à l'assouvissement, mais il ne pouvait décemment pas aller trop loin. Et pourtant le désir de posséder le corps sous lui avait été plus vif que jamais et il en avait frémi d'impatience.
Délicatement, pourtant, il avait écarté les fesses de son mari avant de plaquer son sexe tendu le long de ce sillon chaud et prohibé. À l'aide de ses mains, il les avait ensuite rapprochées en maintenant son érection en place de ses deux pouces tendus. Il avait jeté un sortilège de lubrification, s'attendant à tout moment à ce que Lucius proteste ou le chasse d'un coup de hanche, mais il n'avait rien dit tandis que Severus commençait de lents va-et-vient.
L'enveloppe de chair n'était pas tout à fait celle qu'il souhaitait, le simulacre de pénétration ne le satisfaisait pas complètement, mais c'était bien plus que Lucius n'avait jamais admis. Un acte si symbolique que ses instincts en étaient presque assouvis.
Longuement, Severus s'était masturbé ainsi, entre les fesses pâles et contractées sur lesquelles reposaient ses mains crispées. Peu à peu, elles avaient glissées sur les hanches de son mari, imprimant sur la peau blanche la marque de ses doigts tandis qu'il sentait monter son plaisir, et Lucius n'avait jamais rien dit. Severus avait tremblé et grogné dans l'orgasme ravageur qui l'avait traversé.
Il lui avait fallu un moment de plus pour rouvrir les yeux et apercevoir ces traces d'un liquide épais et rougeâtre, étalé sur les reins de Lucius. Stupéfait, il avait contemplé ces quelques gouttes de longues secondes. Il n'avait plus éjaculé depuis des semaines, depuis le pavillon chinois... Ce qu'il restait de semence dans son corps s'était épuisé, tari, et le vampire qu'il était, ce corps mort et sans activité physiologique, n'en produisait plus.
Il savait que c'était possible, cependant. De la même façon que, sous le coup d'une forte émotion, il pouvait verser des larmes de sang, son sexe pouvait expulser une sorte de sperme issu du sang et de la magie. De façon très exceptionnelle, certains vampires parvenaient même à déclencher une grossesse chez leurs calices féminins, si leur lien était très puissant. Mais là, il s'agissait de Lucius, qui n'était même pas son calice.
Sans réfléchir, poussé par un désir de possession et de revendication, Severus avait ramassé sa semence rougeâtre du bout des doigts et les avait portés jusqu'à la bouche de Lucius.
.
Severus ferma les yeux et soupira tandis que l'eau de la douche cessait enfin de couler. Si seulement il s'en était tenu là !... Il avait déjà été bien plus loin qu'il ne l'avait souhaité, mais il avait fallu qu'il continue.
Une fois remis de son orgasme, une fois ses doigts parfaitement propres et consciencieusement léchés par son mari, il avait incité Lucius à se remettre sur le dos. Son érection négligée n'avait pas faibli et Severus tenait également à lui donner du plaisir. Parsemant son torse et son ventre de baisers et de légères morsures, il était descendu entre les draps jusqu'à pouvoir prendre le sexe long et rougi entre ses lèvres.
En « contrepartie » de son comportement, il avait voulu faire plaisir à Lucius et lui offrir son péché mignon en matière de sexe : pouvoir baiser sa bouche comme il l'entendait, sans restrictions, sans faire attention, juste à la recherche de cet orgasme particulier qui l'affolait toujours. Mais encore une fois, Severus n'avait pas réussi.
Ses instincts avaient repris le dessus, il avait maintenu les hanches de son mari pour le sucer comme lui il l'entendait, sans lui laisser aucune liberté de mouvement. Et comme si cela ne suffisait pas, sa main s'était égarée pour caresser les bourses de Lucius, remontant loin vers l'arrière, vers ce sillon entre ses fesses encore lubrifié de leur activité précédente et un de ses doigts trop aventureux avait fini par s'écraser sur cette intimité inviolée que son mari n'avait jamais voulu lui concéder.
Lucius avait fini par jouir, bien sûr, arc-bouté et crispé dans le plaisir. Mais rapidement et sans avoir dit un mot, il s'était levé pour aller dans la salle de bains. Severus s'était mordu la lèvre en ayant le sentiment d'avoir été beaucoup trop loin. Cette scène lui rappelait douloureusement le deuxième rituel qu'il avait fait subir à Harry et sa fuite dans la salle de bains juste après.
À présent, il attendait, nu et seul dans ce grand lit – et terriblement mal à l'aise – que Lucius veuille bien sortir après avoir passé un temps bien trop long à se laver. Il regrettait. Et il se maudissait d'avoir gâché la douceur de ce réveil ensemble par la brutalité de ses instincts. Parfois, il haïssait vraiment ce qu'il était devenu !
.
.
– Moi qui pensais que tu allais me rejoindre sous la douche !
La silhouette longiligne de Lucius s'avança dans la pénombre de la chambre, pieds nus sur le tapis et drapé dans un peignoir de bain gris perle. Ses cheveux longs étaient soigneusement démêlés mais encore ruisselants d'eau et il vint prendre sa baguette sur la table de nuit pour leur jeter un sortilège de séchage et de lissage. Il lui jeta ensuite un regard qui fit frémir Severus des pieds à la tête.
– Te rejoindre ? hésita-t-il.
– Pourquoi pas ? fit Lucius en allant jeter un œil à travers les rideaux pour voir le temps qu'il faisait. Ça n'est pas arrivé depuis à peu près aussi longtemps qu'on n'a pas dormi ensemble : des lustres ! Mais maintenant, c'est trop tard, je meurs de faim !
Le sourire au bord des lèvres, Severus ressentit un immense soulagement tandis que Lucius revenait s'asseoir dans le lit, adossé aux oreillers. Il ne semblait pas lui garder rancune de son geste déplacé, ni lui en vouloir de quelque manière que ce soit. Il était même souriant et s'il avait gardé son peignoir, c'était sans doute pour se préserver de la fraîcheur de la chambre après sa douche plus que pour maintenir une barrière entre eux. Parce que, de toute évidence, il n'avait aucune intention de se rhabiller et de partir.
– Clay ! Sers-moi un petit-déjeuner, s'il-te-plaît, demanda Lucius à l'elfe à peine apparu.
– Bien, Maître. Du thé ? fit la créature en tournant son regard vers Severus qui hocha la tête, trop surpris pour réagir autrement que par :
– Ici ?!
– Et bien oui, ici, ricana Lucius devant son air ébahi. Ce n'est pas toi qui suggérais de considérer cette suite comme une chambre d'hôtel ? Alors, pourquoi pas un petit-déjeuner au lit !
Muet, Severus se redressa sur un coude pour le regarder tandis que Lucius, avec un sourire hautement satisfait de lui avoir cloué le bec, s'installait confortablement en drapant les draps autour de lui.
.
Severus avait fini par s'asseoir à son tour, nu et indifférent à la fraîcheur, et il savourait une tasse de thé brûlant, tandis que Lucius parcourait rapidement son courrier en avalant ses œufs brouillés avec appétit.
– Les Nott ne seront pas au mariage, fit-il en reposant sur le lit un bristol crème portant leurs armoiries. Ils m'avaient déjà prévenus personnellement mais ils ont eu la délicatesse d'envoyer une réponse officielle pour Harry...
– Un souci ? demanda Severus en fronçant les sourcils.
– Non. Ils avaient déjà un mariage prévu dans leur propre famille. Une nièce ou un cousin... Ils n'allaient pas annuler pour venir au nôtre.
Les invitations avaient été envoyées tardivement, mais comme ils ne souhaitaient pas faire une grande réception, le délai importait peu à ceux qui comptaient vraiment. Et ceux qui comptaient moins importaient peu.
– Qui vient, au final ?
– Une cinquantaine de personnes, dit Lucius en reposant sa tasse de thé.
Severus étouffa un ricanement. Comparé aux quelques six cents invités de leur propre mariage, celui de Harry et de Lucius serait vraiment en petit comité. Son mari avait réellement fait un effort pour ne pas le transformer en réception mondaine !
– … Et je ne compte pas la dizaine d'enfants en plus. Ce sera une vraie garderie ! ajouta-t-il en levant les yeux au ciel..
Severus posa sa tasse sur le plateau de service pour la remplir à nouveau. Il faudrait aussi qu'il songe à aller vider sa vessie s'il ne voulait pas que ça lui donne envie de sauter sur son mari une fois de plus !
– Vous faites la cérémonie dans la salle de bal également ou dans un des grands salons de réception ?
– Je ne sais pas exactement, fit Lucius en parcourant des yeux un autre parchemin. C'est Harry qui s'occupe de l'organisation de la cérémonie. Je me suis chargé des invitations, du menu et des alliances.
– Tu vas vraiment lui en offrir une autre ? s'enquit Severus en levant le regard vers son mari. Mark m'a posé la question l'autre jour...
– Bien sûr ! Je sais que Harry trouve ça inutile, mais je ne vais certainement pas me priver de lui faire faire une alliance spécialement pour le mariage !
Severus sourit devant l'air décidé de son mari. Le contraire l'aurait profondément étonné. De la même manière qu'il était certain que le tailleur de Lucius travaillait d'arrache-pied sur un nouveau costume de mariage alors que Harry lui avait dit que celui de son mariage avec Severus conviendrait très bien. Comme si Lucius allait apparaître deux fois avec la même tenue sur des photos officielles.
– C'est MacNair qui fera les photos, alors ?
– Oui. Je sais qu'il fera preuve de respect et de dignité, et il ne publiera que celles pour lesquelles j'aurai donné mon accord... Et puis la photo qu'il a fait de nous trois à l'opéra est vraiment très belle.
Le visage grave, Severus acquiesça. La photo que Lucius avait encadrée dans son bureau était effectivement pleine de délicatesse et de pudeur, bien qu'elle ait capturé un instant d'une intimité absolue. Tout se lisait dans leurs regards : la complicité et l'amour, la tendresse et l'espoir du bonheur... et celui de Harry était le plus beau des trois. Si cela n'avait tenu qu'à lui, Severus aurait refusé que cette photo paraisse dans la presse. Elle était bien trop privée. Aussi intime qu'une morsure...
– Tu es certain qu'il sera là ? fit-il, soucieux. Le mariage est samedi prochain... dans une semaine.
Le temps de comprendre qu'il parlait de Harry et non plus de MacNair, Lucius eut un instant de confusion, puis il posa une main rassurante sur son genou.
– Je suis absolument certain qu'il sera là, Severus. J'ai toute confiance en Harry et je sais qu'il ne manquera ça pour rien au monde. Je suis même certain qu'il rentrera avant. Ça ne fait que vingt-quatre heures qu'il est parti, mais je pense que ça ne durera pas plus de quelques jours...
Severus grimaça, peu convaincu. Harry lui avait pourtant dit la même chose, mais il avait peine à y croire. Et puis le temps lui semblait trop long. Il avait l'impression que son calice était déjà parti depuis plusieurs jours et il attendait avec une impatience mâtinée d'angoisse de le revoir en sécurité au Manoir. Ou mieux, entre ses bras.
.
Ils avaient discuté, encore un peu, de choses et d'autres, du mariage, de l'avenir incertain de la Librairie, de savoir si Harry allait reprendre un jour son travail à Sainte-Mangouste... Ils s'étaient même rallongés un moment entre les draps, tournés l'un vers l'autre, pour parler paisiblement tout en paressant comme s'ils étaient sur des transats au bord d'une piscine... ce qu'ils ne seraient plus jamais.
Severus n'avait pas osé initié un nouveau geste vers son mari, de peur qu'il n'y voit quelque chose de trop insistant. Lucius n'avait pas reparlé de ce qui s'était passé un peu plus tôt; il n'avait pas voulu aborder le sujet non plus. Un silence tranquille qui laissait Severus légèrement décontenancé. Mais la conversation viendrait tôt ou tard, sans doute la prochaine fois qu'il serait question de sexe entre eux...
Il était presque onze heures du matin quand Severus finit par se lever pour aller aux toilettes et prendre une douche rapide. Lucius décida qu'il était également temps pour lui de s'habiller et d'aller travailler un peu dans son bureau, et ils se séparèrent au pied du lit sur un baiser rapide.
.
oooooo
.
La journée s'écoula avec une lenteur déconcertante. Peut-être parce que Severus n'avait pas grand-chose à faire et que, quelque part, il n'attendait qu'une seule chose : le retour de son calice.
Il retrouva Lucius pour le déjeuner, puis ils prirent un thé dans le Petit Salon jusqu'à ce que son mari ne se penche à nouveau sur ses dossiers. Severus travailla un peu dans la Bibliothèque, puis entreprit de ranger le fourre-tout qui lui servait de bureau avant d'abandonner devant l'ampleur de la tâche et son manque de motivation. Il serait bien aller nager de nouveau, mais les baies vitrées de la rotonde étaient trop nombreuses et le soleil trop vif aujourd'hui pour qu'il ne le supporte plus de quelques secondes.
Au final, il était remonté dans la suite et s'était installé dans le salon, laissant son regard divaguer sur les cadres qui parsemaient les murs autant que ses pensées divaguaient dans son esprit. Il aimait vraiment cette pièce. Il s'y sentait aussi bien que dans son bureau ou qu'à Llewellyn... La décoration était plus bourgeoise, plus riche que dans ces lieux-là, mais elle était aussi plus authentique que le luxe ostentatoire et la collection d'œuvres d'art qu'affectionnait Lucius. L'opulence de tapis, de coussins et de petits tableaux lui plaisait étrangement, et la dominance de couleurs entre le rouge sang et le brun foncé lui procurait un sentiment de confort voluptueux.
.
Severus resta là longtemps, sans même un livre sous les yeux, sans même un parchemin ou une plume entre les mains... Simplement immobile dans un canapé, un bras posé sur l'accoudoir et les jambes croisées. De temps à autre, il inspirait le parfum boisé qui régnait dans le salon : un mélange d'odeur de cèdre et de cire, de poussière et de temps anciens. Sur le dessus d'un secrétaire, le long du mur, une petite horloge égrenait les secondes avec une régularité hypnotisante. Il aurait eu envie de boire un verre d'alcool, comme il lui arrivait de boire lorsqu'il était seul : pour la sensation cotonneuse, pour l'âpreté et la chaleur qui glissaient jusqu'au fond de son ventre. Pour le confort et le réconfort... Mais il ne boirait plus jamais d'alcool et c'était peut-être aussi bien.
Fixement, il regardait sans le voir un très beau plateau d'échecs sur la table basse. Des pièces d'ivoire et d'ébène, finement sculptées, nobles et magnifiques. La crinière majestueuse d'un cavalier, ses naseaux écarquillés et presque fumants, la couronne altière de la reine et la croix calme et implacable du roi... Qui étaient-ils, chacun d'entre eux, sur l'échiquier de leur vie ? Qui détenait le plus de pouvoir, le plus d'emprise sur les autres ?
Lucius avait toujours eu cette espèce de position de dominance sur eux, il était celui qui prenait les décisions en dernier recours, celui qui avait le dernier mot, celui qui régissait leur monde de manière aussi tacite et évidente que son Manoir, son empire financier ou la politique étrangère de l'Angleterre... Aujourd'hui qu'il était devenu un vampire et que son mari s'était quasiment retiré de la politique, Severus sentait les choses s'équilibrer, presque s'inverser... Jusque dans leur vie sexuelle.
Sa puissance fascinait Lucius, elle l'attirait comme une mouche sur du miel et ils se regardaient différemment. Sur un pied d'égalité. Avec un respect qui avait toujours existé mais qui avait pris une profondeur particulière. Lucius jouait avec ses instincts de vampire, il le considérait avec une fierté possessive et une lueur d'amusement dans le coin de l'œil qui excitait quelque chose dans le ventre de Severus. Il avait même l'impression que cela avait en quelque sorte ravivé, réveillé leurs sentiments.
Ils s'étaient toujours aimés, parfois follement, parfois dans la crainte d'être découverts, parfois avec lassitude et amertume. Il y avait eu des hauts et des bas – souvent plus vertigineux que les hauts –, des moments d'aigreur et de doute, et la plupart du temps un calme tranquille et serein. Aujourd'hui, tout cela était plus vif, plus aigu. Le désir était plus incisif, le manque plus évident – peut-être plus réel aussi, puisqu'ils ne passaient plus leurs nuits ensemble. Mais ils se sentaient envahis par une envie mutuelle de se posséder, de se confronter, un sentiment d'appartenance renouvelé et un amour plus ardent que ce à quoi ils étaient habitués. Quelque chose d'aussi chaud et d'aussi vivant que de tenir son calice dans ses bras et de boire son sang.
Et puis, il y avait Harry. Un fou devenu reine, et qui s'affranchissait encore des règles de déplacement sur l'échiquier. Le seul qui pouvait le mettre en échec et lui faire ravaler l'intransigeance de ses instincts de vampire. Celui qui tenait sa vie entre ses mains et qui le tenait enroulé autour de son petit doigt. Et qui s'en excusait presque.
.
Harry qui n'acceptait pas d'être un calice, qui détestait cela, mais qui se pliait avec résignation à ce qu'il avait promis. Harry qui luttait contre ce qu'il était, au risque de s'en rendre malheureux... Severus soupira. Il n'avait rien dit sur ce départ, ni sur cette envie subite de morsure dans le cou, à peine quelques heures avant de partir, mais il n'en pensait pas moins. Tant que son calice essaierait de distinguer et de séparer ses deux natures, il n'arriverait à se sentir bien ni dans son rôle, ni dans ses envies. Il devait au contraire réussir à fusionner en lui l'homme et le calice, comme lui l'avait fait avec sa partie vampire. Accepter ses instincts, son statut, l'importance de ce lien dans sa vie... Admettre qu'à présent, tout cela faisait partie intégrante de lui et de son esprit, sans se sentir avili pour autant.
Mais Severus était parti un certain temps à Colibita et il avait pu bénéficier d'un recul que son calice n'avait pas eu, sans compter les enseignements précieux de ses pairs et de la bibliothèque colossale du palais seigneurial. Au final, il était, parmi les vampires, celui qui avait le mieux fusionné ses deux natures et c'était sans doute pour cela qu'il pouvait encore faire de la magie... Peut-être, si Harry revenait un jour, qu'il devrait l'emmener à Colibita, pour qu'il se plonge dans les livres ancestraux des vampires et qu'il rencontre d'autres calices, pour qu'il se sente moins seul et qu'il comprenne que leur lien était loin d'être considéré comme un esclavage. Leur relation avait certes mal commencé mais aujourd'hui, Severus ne désirait rien de plus que protéger Harry, le choyer, et surtout se faire à nouveau accepter auprès de lui.
Même boire était secondaire par rapport à cette reconnaissance de leur lien.
Severus rouvrit les yeux qu'il n'avait pas conscience d'avoir fermé pour constater que les ombres grandissaient lentement dans le salon, effaçant les couleurs des peintures et les reflets des miroirs. Sur la petite horloge, les aiguilles annonçaient dix-neuf heures trente passées, Lucius l'attendait sans doute pour dîner. Et partager ensuite une nouvelle nuit ensemble.
.
oooooo
.
– Tes yeux sont rouges...
Severus sourit dans l'obscurité et tourna la tête vers Lucius, allongé sur le flanc près de lui, le bras replié et la tête appuyée sur sa main.
– Je sais. Et ils le resteront sans doute en permanence jusqu'à ce que je puisse boire à nouveau. Je pourrais les faire redevenir « normaux », mais ce que ça me coûte en magie n'en vaut pas la peine. Et je sais que ça t'excite plus qu'autre chose !
Lucius sourit à son tour sans faire de commentaire. Ils n'avaient pourtant pas fait l'amour ce soir... Après ses gestes trop intrusifs ce matin, Severus avait préféré laisser son mari en prendre l'initiative s'il le souhaitait, mais Lucius semblait davantage d'humeur tendre et sensuelle que purement lubrique.
Ils étaient montés dans la suite des invités après un dernier cognac pour son mari et ils s'étaient couchés rapidement, nus, l'un près de l'autre, agrémentant leur conversation sur l'oreiller de quelques caresses chastes pour l'instant.
– Tu as faim ? demanda Lucius en effleurant son torse d'une main aérienne.
– Un peu, évidemment, mais ça reste supportable. Je peux tout de même tenir plusieurs jours sans boire.
– Si ça se prolonge, qu'est-ce que tu ressens ?
– Je risque de devenir plus irascible que je ne le suis déjà ! gloussa Severus.
– Pour l'instant, tu ne t'en tires pas trop mal ! sourit Lucius.
– … Ma magie s'épuisera doucement et je finirai par avoir des périodes de torpeur, une espèce de sommeil sans sommeil, comme une absence, et qui durent de plus en plus longtemps... Je ne te sauterai pas dessus comme un vampire affamé, rassure-toi !
– Je ne suis pas inquiet. Et tu pourras toujours me sauter dessus pour autre chose !
Effectivement, Lucius ne paraissait pas inquiet et cette confiance touchait Severus plus qu'il n'aurait su le dire. Sans compter que son mari ne semblait pas rebuté à l'idée de s'envoyer à nouveau en l'air avec lui.
– C'est douloureux ? La faim ?
Severus se contenta de hausser les épaules. Cette dépendance faisait partie de ce qu'il avait le plus de mal à supporter dans sa nature et il n'avait pas très envie de s'étendre sur le sujet. Lucius dut le comprendre car il n'insista pas et se contenta de laisser sa main glisser vers son ventre plat en le caressant doucement du pouce.
Severus ferma les yeux pour se concentrer sur cette sensation et la savourer. Être touché lui manquait. Il n'avait presque aucun contact physique avec son calice et pas assez avec son mari. Cette main qui ondulait sur sa peau fraîche était un bonheur incroyable et il aurait rester ainsi des heures, à laisser son esprit divaguer autant que ces doigts fins et délicats sur son corps. Le sexe satisfaisait ses envies primaires, mais ça, c'était finalement presque aussi bon qu'un orgasme.
.
– Je...
Lucius s'interrompit, fronçant les sourcils. Severus tourna la tête vers lui, surpris de cette hésitation qui ne lui ressemblait pas, puis son mari reprit doucement.
– Je sais que pour toi, c'est difficile, que tu ne l'as certainement jamais voulu et que ça a sans doute été assez violent, mais... j'aime assez ce que tu es devenu. Être un vampire te va bien. Je te trouve plus étoffé, plus posé. Avant, tu étais facilement d'humeur changeante ou sur la défensive... alors qu'aujourd'hui, tu as gagné un certain équilibre, une stabilité appréciable. Comme si tu avais enfin trouvé qui tu étais et déployé tes ailes. Tu as plus de recul, tu arrives à prendre sur toi là où avant tu te serais agacé en un claquement de doigt. C'est un changement que j'apprécie.
Severus tourna son regard vers le plafond orné de moulures de la chambre et soupira. C'était vrai. Avant, il aurait cherché le piège derrière les paroles de Lucius, il aurait moqué avec une ironie acide cette espèce de déclaration trop romantique, il serait même parvenu à lui reprocher aussi bien cet épanchement presque indécent que sa rareté... Il lui aurait fallu tout salir.
Aujourd'hui, il se contentait de savourer des mots trop rares et de les apprécier à leur juste valeur. À travers les yeux de Lucius, il pourrait même arriver à s'aimer tel qu'il était. Et en tout état de cause, cette acceptation et ce soutien sans failles de son mari faisaient presque battre son cœur à nouveau. Severus glissa sa main vers la nuque de Lucius et l'obligea à se pencher légèrement vers lui pour embrasser le sourire serein qui ornait ses lèvres.
– Et je pense que je ne suis pas le seul à apprécier ce changement, reprit doucement Lucius. J'ai bien vu ce qui s'est passé avec Aria... Je sais que le comportement de Harry t'a blessé, lorsqu'il t'a empêché de t'approcher d'elle pendant plusieurs jours... Avant, tu aurais réagi de manière épidermique, tu serais monté sur tes grands chevaux, tu aurais explosé de colère. Tu aurais eu raison sur le fond, mais sur la forme, ça n'aurait fait qu'empirer les choses. Là, tu as réussi à prendre sur toi, à rester digne et irréprochable, quoi qu'il t'en coûte, et au final, Harry a fini par ouvrir les yeux et par revenir sur sa peur irrationnelle...
– Je n'ai pas eu grand choix, murmura Severus. Avec lui, je ne peux faire aucun faux pas.
– Je sais... Mais ça n'en reste pas moins admirable.
.
Admirable ou pas, il n'y avait pas qu'au sujet d'Aria que Severus avait dû faire des efforts sur son comportement. Toute sa relation à son calice était une succession de compromis et de renoncements : ne plus le toucher, ne pas le mordre au niveau du cou, ne plus partager leurs nuits, le laisser partir à l'autre bout du monde, seul, sans aide, sans pouvoir le protéger, renoncer au sexe, à la tendresse et à la douceur, garder ses distances... Refuser de profiter des moments où Harry était plus « faible », des moments où le calice avait besoin de renforcer le lien entre eux. Une abnégation qui le déchirait.
Heureusement, cette dernière nuit dans la Bibliothèque, Severus avait pu savourer un moment de tendresse avec lui, qui avait – un peu – compensé la souffrance de renoncer à profiter de la situation.
Mais il devait avouer aussi que, le reste du temps, avoir un comportement exemplaire vis à vis de son calice n'était pas aussi dur qu'il s'y était attendu. Bien sûr, parfois, ne pas le toucher ou le mordre au poignet était un vrai crève-cœur, mais la majeure partie du temps, il n'avait pas à se forcer pour être agréable avec lui ou pour que tout se passe bien entre eux. En réalité, cela lui était même plutôt naturel. Comme l'avait si justement dit Lucius, il se sentait plus posé. Plus calme, plus assuré. Il n'oscillait plus au gré des événements et des sentiments. Il n'était plus en permanence en train de réagir... Il était qui il était, un vampire doublé d'un sorcier, qui avait fait nombre d'erreurs, en particulier vis à vis de son calice, mais qui en était conscient et qui les regrettait profondément. Et aujourd'hui, une détermination apaisée le nourrissait jour après jour : se rapprocher de son calice et avoir, tous les trois avec Lucius, la relation la plus harmonieuse qu'il leur était possible.
Du bout des doigts, Severus joua à nouveau dans les cheveux d'or de son mari.
– J'aurais aimé d'autres moyens pour y parvenir, souffla-t-il, mais je dois reconnaître que devenir un vampire m'a apporté une sérénité qui n'est pas désagréable. Et c'est tellement paradoxal avec tout ce que ça représente comme renoncements et comme pertes...
Lucius laissa filer un silence dans l'obscurité tout en reprenant ses caresses sur son ventre et son torse.
– Qu'est-ce qui est le plus difficile ? Ta dépendance vis à vis de Harry ? Ou bien la relation trop mitigée qui existe entre vous... ?
– L'éternité. L'idée de devoir vous survivre.
Avec un regard douloureux, la main de Lucius migra brusquement vers son visage et Severus la sentit effleurer sa tempe, sa joue et jusqu'à l'angle de sa mâchoire. Puis Lucius se rapprocha de lui et vint poser sa tête dans le creux de son épaule, comme rarement – presque jamais.
– Je n'avais pas songé à ça, murmura-t-il. Même à Harry ?
– Harry vivra sans doute un peu plus longtemps que toi, parce qu'il a bu à plusieurs reprises un peu de mon sang, et parce que je pourrai soigner chez lui certaines affections dues à l'âge. Mais il finira par mourir à son tour.
– Et qu'est-ce que tu deviendras sans lui ?
– Je ne suis pas certain que la question se pose un jour.
Il sentit Lucius se tendre contre lui et son bras étalé sur son ventre se faire un peu plus possessif. Ou réconfortant. Et Merlin savait que Severus ne voulait de la pitié de personne. Il avait bien conscience qu'un jour viendrait où il choisirait de mourir plutôt que de continuer à vivre. Et cela ne durerait certainement pas aussi longtemps que pour Mihai. Il posa sa main sur le bras de son mari et le caressa avec tendresse. C'était ainsi et il y était tranquillement résolu.
.
Ils restèrent un long moment silencieux et immobiles. Lucius avait dû fermer les yeux car Severus ne sentait plus ses cils effleurer la peau de son torse. Il le crut même endormi, à la régularité calme de sa respiration. Les battements de son cœur étaient lents, son bras pesait sur lui avec abandon et Severus savourait de le tenir ainsi contre lui, dans une étreinte aussi paisible qu'inhabituelle.
– Il te manque ?... En dehors du sang et des morsures ?
– Bien sûr. Il est mon calice mais pas seulement.
Un pincement douloureux traversa la poitrine de Severus en songeant à ces moments dans la Bibliothèque, la nuit, qu'il chérissait plus que tout. Ces moments où il avait l'impression de partager à nouveau quelque chose avec Harry. Ne serait-ce qu'écouter un peu de musique, ensemble.
– Tu l'aimes encore ?
– Malgré ce que je lui ai fait, je n'ai jamais cessé de l'aimer. Ça a simplement été recouvert par autre chose, de la colère, de la rancœur, de l'incompréhension... Aujourd'hui, les choses sont plus simples. Plus limpides, peut-être... Il est mon calice mais pas seulement, répéta-t-il avec un léger sourire.
Et cela voulait tout dire à qui voulait bien l'entendre. Ils étaient liés par une union magique, parce qu'il était une créature et que Harry était son partenaire dans cette union, parce qu'ils ressentaient tous les deux des instincts inhérents à leur nature qui les poussaient l'un vers l'autre, qui les incitaient à se protéger mutuellement, à se soucier de l'autre, à se traiter avec respect et bienveillance, mais les sentiments de Severus allaient bien au-delà de ça.
Un vampire pouvait avoir un calice avec qui il ne partageait que cette union. Du sang, du confort et de la protection. L'amour n'était pas forcément de mise... Lui, il aimait Harry. Il l'aimait peut-être même davantage en tant que Harry qu'en tant que calice, il l'aimait depuis longtemps, depuis des années. Comme avec Lucius, cet amour avait connu des hauts et des bas, des tensions et des désaccords... mais derrière ces anicroches, les sentiments restaient intacts, tranquillement ancrés jusqu'au fond de son cœur et de son âme, et maintenant que Harry était en plus devenu son calice, rien ne les ferait plus jamais vaciller.
– Les choses vont mieux entre vous, alors ? fit Lucius avec l'écho d'un sourire dans la voix.
Severus prit le temps de répondre sans précipitation. Parler de son calice semblait toujours un peu intrusif.
– Je ne dirais pas ça. Comme pour son comportement au sujet d'Aria, tout est toujours fluctuant. Harry fait trois pas en avant et deux en arrière. Il refuse de céder à ce qu'il est. Il me demande d'être avec lui de façon presque... contre-nature.
Severus ferma les yeux et soupira. Merlin ! Le tabou dans son esprit était tel qu'il n'arrivait même pas à parler des morsures à son mari. C'était trop personnel, trop intime, et Lucius ne comprendrait jamais l'importance, l'envergure de ce que cela signifiait pour lui.
– Harry a choisi de devenir mon calice, mais c'était un choix par défaut. Il déteste ce qu'il est, ce qu'il doit faire pour moi, ce qu'il ressent en tant que calice. Il déteste tout ce que cela représente. Tout ce que je représente.
Se mordre la langue ne l'aida même pas à passer outre la douleur de prononcer ces mots – et surtout de réaliser à quel point ils étaient vrais. Severus sentit en revanche les lèvres de Lucius s'étirer en un sourire sur sa peau.
– Je n'en suis pas aussi certain que toi, murmura son mari. Harry est... Je crois qu'il a juste besoin de temps. Pour accepter tout ce qu'il ressent. Pour arriver à tout gérer en même temps : ce qu'il est, toi, sa fille, l'opinion et les regards des autres...
– Et donc il préfère fuir ?
– Il ne fuit pas, sourit Lucius, il prend du recul. Exactement ce que tu as fait en partant à Colibita. Et je pense que ce voyage est pour lui une excellente chose, comme il l'a été pour toi... Harry ne te déteste pas, mais il a besoin d'y voir clair et il n'y arrive pas en t'ayant sous les yeux en permanence. Tu savais qu'il rêve de toi régulièrement, et que ce ne sont pas des cauchemars ? Il prononce ton prénom en dormant... Quand on fait l'amour, il a toujours cette façon de pencher la tête, au moment de l'orgasme, comme s'il attendait une morsure. Il frémit à la simple idée de monter tous les soirs pour te donner son sang. Il se réveille toutes les nuits même s'il ne te rejoint pas à chaque fois dans la Bibliothèque... Il ne te déteste pas, Sev, il a juste besoin de temps.
La douleur qui serrait son cœur mort s'était liquéfiée au fur et à mesure des paroles de Lucius pour se transformer en une douce chaleur qui réveillait la vie dans son corps et jusqu'aux extrémités de ses membres. C'était sublime et douloureux à la fois, mais Severus ne voulait pas prendre le risque d'y croire complètement. Pas encore.
– Si seulement tu pouvais avoir raison.
.
oooooo
.
Lucius se tourna dans son sommeil et Severus rattrapa in extremis l'encrier qu'il avait coincé entre les plis du drap. Il devait reconnaître que dans un lit, tout ça n'était guère pratique. Assis en tailleur, il avait installé le livre en runes qu'il traduisait calé sur un genou, sa liasse de parchemins sur l'autre et sa plume voyageait inlassablement de l'encrier vers le papier. Peut-être qu'il devrait se mettre aux stylos moldus pour éviter tout risque de renversement... Mais il était sans doute un peu vieux jeu et accroché à ses petites manies. Il aimait l'odeur de l'encre, tout comme il aimait l'odeur des parchemins, et il n'avait pas envie d'y renoncer.
Il aurait pu, également, sortir du lit et aller s'installer sur le guéridon où trônait un vase filiforme, ou même sur le secrétaire du salon, juste à côté, mais aussi inconfortable qu'il soit, il préférait rester là. Assez près de Lucius pour entendre sa respiration, ses battements de cœur, pour sentir la douce tiédeur qu'il maintenait dans les draps.
Et puis il aimait être là. Même si Lucius dormait profondément, Severus avait le sentiment agréable d'être avec lui. De partager un moment différent avec son mari. Il n'était pas tout à fait installé à son aise, il ne pouvait pas écouter de la musique et cela lui manquait, mais c'était un moment d'intimité plus significatif que de prendre le thé ensemble ou de partager une conversation. Lucius, nu, à côté de lui. Abandonné au sommeil malgré la faible lumière de la lampe posée sur le tapis. Une proximité délicate et tendre.
Quand Harry rentrerait, ils retrouveraient leurs distances, Severus quitterait le lit conjugal et il n'aurait plus accès au corps de son mari que de loin en loin. Il perdrait cette intimité délicieuse et si précieuse. Alors, même si l'absence de Harry lui pesait et l'inquiétait, il tenait malgré tout à profiter de chaque instant, de chaque seconde, pour se rassasier de son mari. S'imprégner de son parfum, de sa chaleur. Le toucher aussi souvent qu'il le voulait. Caresser sa peau nue jusqu'à ce qu'il se souvienne sur le bout des doigts de chaque courbe, de chaque relief, de chaque irrégularité qui n'appartenaient qu'à lui. Il voulait connaître son corps par cœur.
Une longue mèche de cheveux clairs dévala la clavicule de Lucius pour s'échouer sur son oreiller. Sans même de l'avoir réfléchi, Severus avait glissé ses doigts dedans, admirant leur souplesse et leur douceur. Puis, d'un geste fébrile, il referma son livre sur ses parchemins, attrapa l'encrier et la plume et déposa le tout sur sa table de chevet avant de s'allonger dans le lit pour se coller contre le corps de son mari. Pour coller son nez dans ses cheveux. Pour coller son sexe contre ses fesses...
.
.
Au final, par respect et par pudeur, Severus n'avait rien fait. Après un vague grognement, Lucius avait continué à dormir du sommeil du juste et il ne s'était réveillé que trois heures plus tard, attrapant son bras pour le plaquer autour de son ventre et continuer à somnoler. Severus, lui, ne connaissait plus le sommeil mais il se trouvait dans un état de langueur qu'il n'était pas pressé de quitter. Qu'il n'avait même pas quitté pour aller nager. Il se sentait parfaitement bien, allongé tout contre son mari, indolent et agréablement chaud. Toute tension l'avait quitté au point que son corps était complètement relâché, son bras enroulé autour du ventre de Lucius soulevé au gré de sa respiration ou de ses mouvements. Il n'avait envie de quitter ni le lit, ni sa position, ni ce moment étrangement agréable.
La lumière qui filtrait à travers les rideaux était plus grise, plus terne, ce matin et ne le gênait pas outre mesure. Il avait faim, un peu, mais rien ne pouvait soulager ce creux dans son estomac. Et quelque part, la confiance de Lucius envers Harry commençait à déteindre sur lui. Severus était impatient de son retour mais il était moins anxieux. Il essayait de prendre les choses avec philosophie et de penser que chaque heure qui passait le rapprochait du retour de son calice. Et les confidences de Lucius à son sujet hier soir aidaient bien à considérer leur relation sous un jour meilleur – ou du moins, avec une perspective d'amélioration.
Deux ou trois fois, Severus embrassa doucement l'épaule de son mari avant de glisser ses lèvres sous ses cheveux pour venir mordiller sa nuque. La main de Lucius qui se faufila entre eux et vint empoigner son sexe lui fit prendre conscience de son érection. Il gémit malgré lui. Lucius avait dû se rendre compte de son désir depuis un moment...
– Je ne suis pas celui que tu crois, murmura-t-il.
– Je sais parfaitement qui je tiens entre mes bras, répondit aussitôt Severus.
Il l'avait dit avec le sourire, mais il était malgré tout gêné. Il ne voulait surtout pas que Lucius croie que son excitation et ses mordillements étaient dus à l'envie de voir Harry à sa place. Severus aurait adoré pouvoir partager cette sorte d'étreinte avec son calice, mais son mari était encore capable de lui faire ce genre d'effet par sa simple présence.
– Même au bout de tant d'années, je ne me lasse pas de toi... C'est plutôt flatteur, non ? sourit Severus. Tu seras un vieillard que je viendrai encore te réveiller pour profiter de toi et de ton corps.
La seule réponse de Lucius fut de resserrer sa main autour de son sexe et de commencer à le masturber.
.
.
La sueur séchait lentement sur le corps de Lucius et sa respiration était redevenue normale depuis un moment. Mais il devait avoir froid car il tira la couette vers le haut, laissant simplement son bras passer par-dessus. Severus inspira profondément la bouffée d'air tiède qui remontait vers lui avec le mouvement des draps. Avec son odorat plus sensible qu'avant, il se délectait de cette odeur de sueur, de sexe et de corps chaud. Une odeur enivrante qui lui donnait presque envie de recommencer aussitôt.
Lucius, lui, semblait plutôt un peu fuyant. Il s'était tourné sur le côté, ne laissant voir que le haut de son dos, sa masse de cheveux dorés et ce bras pâle par-dessus la couette, le long de son corps. Ils n'avaient pourtant rien fait de particulier – Severus n'avait pas voulu réitérer ses gestes trop audacieux de la veille – et ils avaient eu du plaisir tous les deux... Presque aussi chastement que des adolescents qui découvrent mutuellement leurs corps.
Severus posa sa main sur l'épaule de son mari et la fit glisser le long de son bras, un mouvement long, lent et fluide, jusqu'à ce que leurs doigts s'entrelacent. Mais la pression des doigts de Lucius sur les siens semblait trop intense pour être insignifiante et Severus se demanda ce qui perturbait son mari ce matin.
.
– Si je... Si un jour, je te laisse faire ce dont tu meurs d'envie, est-ce que tu promets d'être doux ?
Severus se crispa aussitôt en fronçant les sourcils, relevant même sa tête de l'oreiller. Mais il avait beau fouiller du regard l'épaule immobile de son mari et ses cheveux épars sur les draps, il ne devinait rien de son visage ni de son expression.
– De quoi est-ce que tu parles ?! fit-il d'une voix plus agacée qu'il ne l'aurait voulu.
Lucius resserra sa pression sur ses doigts et fit glisser leurs mains entrelacées sur son ventre comme s'il voulait profiter un peu plus de son étreinte protectrice.
– Tu le sais très bien. On a connu autre chose et la façon dont on peut baiser aujourd'hui ne nous convient ni à l'un ni à l'autre.
Severus fronça un peu plus les sourcils en se redressant sur un coude, dérangé et légèrement choqué. Pour la première fois, la manière dont Lucius parlait de ce qui se passait entre eux lui paraissait sale. Puis il saisit toute la portée de ces paroles, cette éventualité que son mari se laisse pénétrer lorsqu'ils faisaient l'amour et il écarquilla les yeux avec stupéfaction.
– Mais tu n'as jamais voulu ?!
Lucius ne répondit pas mais son haussement d'épaules presque imperceptible, résigné, interpella Severus plus qu'un long discours ou un éclat de voix. Il reposa sa tête sur son oreiller, se colla un peu plus contre son mari et pressa leurs doigts réunis.
– Comme je l'ai déjà dit à Harry à propos des morsures, je ne ferai jamais rien dont vous n'ayez vraiment envie. Je ne veux pas que vous fassiez des choses par obligation, pour me faire plaisir ou parce que je suis devenu un vampire... Tu n'as jamais voulu faire l'amour dans ce sens-là, et je comprends que ça te fasse horreur. Je ne veux pas que tu te sentes obligé de...
– Ça ne me fait pas horreur, l'interrompit Lucius. C'est juste un mauvais souvenir.
Severus se mordit la lèvre en essayant de maîtriser son sursaut de stupeur. En quarante ans, celui qui était aujourd'hui son mari n'avait jamais évoqué ne serait-ce que l'ombre de cette révélation.
– Un souvenir de qui ? murmura-t-il.
– Un autre des petits cadeaux empoisonnés de Voldemort.
La voix était basse mais assurée. Sans frémissement, sans honte, sans hésitations. Severus entendait pourtant le cœur de son mari pulser sourdement et rapidement, et il percevait la tension de ses épaules. Il prit le temps de respirer profondément sans relâcher sa pression sur la main de Lucius.
– J'avais entendu des rumeurs à l'époque...
– Elles étaient vraies. Du moins, sur l'essentiel.
– Comment est-ce arrivé ?
Les secondes s'égrenèrent, lentes et assourdissantes, avant qu'il ne sente Lucius prêt à ouvrir la bouche pour lui répondre.
– Tu te souviens des cérémonies de marquage ?
– J'ai assisté à quelques unes, oui, grimaça Severus. Bien assez à mon goût.
Il se souvenait surtout à quel point Voldemort aimait marquer ses fidèles et la façon malsaine dont il était excité avant chaque cérémonie. Il se souvenait des hurlements de douleur, des gémissements tétanisés, des pleurs parfois... et certains allaient même jusqu'à s'évanouir.
– Le rituel de la marque des ténèbres n'impliquait pas seulement une cérémonie publique et le sortilège du marquage proprement dit. Le Lord exerçait aussi une sorte de... droit de cuissage sur chaque nouvel initié. Homme, femme, adolescent, peu lui importait... En fait, pendant les quelques heures qui suivaient le marquage, son emprise grâce à la marque était telle que les nouveaux Mangemorts se pliaient au moindre de ses caprices aussi efficacement qu'avec un Imperium, l'effet de « détachement » en moins. Ils pouvaient supplier, protester, marchander... Voldemort finissait par faire ce qu'il voulait. Et tout le monde y passait.
Lucius soupira puis demanda d'une voix presque sèche.
– Tu te souviens de ta propre cérémonie de marquage ?
– Je... Heu, hésita Severus en rassemblant avec difficulté des images d'une vie lointaine. Je me souviens de la salle, de Voldemort assis sur une espèce de trône, de m'être agenouillé devant lui en relevant ma manche... des murmures derrière moi... et puis de la douleur insurmontable. Je ne me souviens pas avoir crié mais je suis resté prostré jusqu'à ce que tous les autres soient partis. Pourquoi je ne me souviens de rien après ?
– Je t'ai jeté un Oubliette quand il en a eu fini avec toi, déclara Lucius d'un ton dur. Je ne voulais pas que tu te rappelles de ce qu'il t'avait fait. Je n'avais pas réussi à t'épargner ça, j'ai fait en sorte de t'épargner au moins les souvenirs. De toute façon, le sortilège d'oubli était systématique, je l'ai juste particulièrement soigné. Voldemort tenait à ce qu'aucun de ses Mangemorts ne garde en mémoire ces moments « intimes ».
– Pourquoi ?
– Parce qu'il n'était pas regardant sur le sexe de ses « partenaires », et il a toujours craint que les vieilles familles de Sang-Pur ne voient d'un mauvais œil son attrait pour les hommes. Imagine la réaction de mon père s'il avait su que le Seigneur des Ténèbres était à moitié homosexuel ! Il ne l'aurait jamais suivi, comme bon nombre d'aristocrates !
Le visage dur et intransigeant d'Abraxas Malfoy surgit dans la mémoire de Severus et il grimaça aussitôt. Lucius avait raison. Le patriarche de la famille avait battu et torturé son propre fils à coups de Doloris en le sachant homosexuel, il n'aurait jamais suivi aveuglément un sorcier qui ne crachait pas sur un corps masculin, quelle que soit sa puissance.
– Et puis, reprit Lucius, Voldemort était un piètre amant. Il était par définition quelqu'un de violent et de sadique, et il prenait son plaisir essentiellement à travers la douleur de son partenaire. Si les cris et les suppliques étaient convaincants, il ne durait pas plus de quelques secondes et il ne tenait pas vraiment à ce que ça se sache.
Légèrement sonné, Severus se passa une main sur le visage pour s'éclaircir l'esprit, avant de se rendre compte qu'il avait retiré sa main entremêlée aux doigts de Lucius et que cela pouvait passer pour un rejet pur et simple au beau milieu d'une confession délicate. Il s'empressa de glisser son bras sur le flanc de son mari et de reprendre sa main, ajoutant un baiser sur son épaule pour bien montrer qu'il n'était pas en colère.
En réalité, il l'était certainement, mais pas contre Lucius. Savoir qu'ils avaient tous servis de chair fraîche sous les griffes du Seigneur des Ténèbres hérissait ses instincts les plus farouches. Qu'il ait été lui-même abusé par Voldemort ne lui faisait en réalité ni chaud ni froid – dans sa jeunesse, Severus avait connu son lot d'hommes violents ou irrespectueux –, mais que Lucius ait dû subir les assauts de ce monstre alors que lui n'avait jamais pu le toucher de cette façon... Ses yeux étaient rouges depuis un moment, mais là, c'était toutes ses pensées et sa capacité de réflexion qui étaient emportés par ses instincts de vampire. Et encore, il avait le sentiment que Lucius ne lui avait pas tout dit.
.
Severus soupira et posa son front contre la nuque de son mari le temps de reprendre ses esprits.
– Draco ? fit-il en sursautant brusquement.
– Non, répondit aussitôt Lucius qui avait bien compris à quoi il pensait. Pendant la deuxième guerre, Voldemort n'était plus tout à fait humain et il n'avait plus ce genre d'envies. Draco n'a subi que la simple cérémonie de marquage.
– Mais toi... pourquoi... ça a duré plus que le temps d'une nuit, n'est-ce pas ?
– La première fois, lors de mon initiation, quelques années avant toi, traîné par mon père; j'étais à peine un adolescent... Au fil du temps, j'ai gagné sa confiance et je suis devenu son bras droit. J'étais celui qui voyait passer tous les nouveaux initiés et qui organisait les cérémonies. J'étais aussi celui qui les récupérait après, inconscients et ensanglantés... Voldemort n'a jamais été réputé pour sa tendresse et sa douceur, et j'étais chargé d'effacer les traces. Tu y es passé aussi et pour moi, ça ne s'était pas reproduit jusque là... Et puis un jour, il a eu pour lubie de vouloir marquer Narcissa. Ça faisait déjà plusieurs fois que j'argumentais en disant qu'elle était ma femme et qu'elle avait besoin de pouvoir paraître bras nus, en robe de soirée, pour maintenir mon image et mon statut social. Il a deviné que je ne voulais pas qu'il la touche autrement et il a dit qu'il pouvait aussi bien la marquer sur le ventre.
Pendant quelques secondes, Lucius se crispa, en proie à un dégoût ancien qui le prenait toujours autant aux tripes.
– Je ne pouvais même pas l'imaginer défigurée par ce monstre. Ses mains sur elle... Narcissa était vierge avant de me connaître. On n'avait pas encore d'enfants... J'imaginais son ventre s'arrondir doucement avec cette énorme marque hideuse sur sa peau blanche... J'ai fait en sorte de la protéger et Voldemort n'a pas rechigné. C'était un autre moyen de me contrôler.
Severus caressa du pouce la main de son mari. Il savait les liens qui avaient uni Lucius à sa femme, la seule qu'il eut jamais connue charnellement. Une amitié indéfectible et une confiance immense. Ils avaient été l'un pour l'autre un soutien inconditionnel. Que Lucius ait voulu la protéger envers et contre tout n'étonnait pas Severus. Le prix à payer, en revanche, lui paraissait exorbitant et écœurant.
Il ne pouvait pas en vouloir à son mari, il avait sans doute agi à l'époque au mieux de sa maigre marge de manœuvre. Severus était bien placé pour savoir à quel point se dépêtrer de la folie suspicieuse de Voldemort pouvait être compliqué. Mais cela restait difficile à appréhender, même des années plus tard. En essayant de ne rien montrer de sa rage, Severus resserra son étreinte autour du corps entre ses bras. Lucius n'était pas son calice, mais il était son mari. Tout ce qu'il y avait de vampire en lui était révulsé, horrifié que Voldemort ait pu le toucher, lui faire du mal, le marquer de sa semence, le salir... L'homme en lui était triste et désolé de ce qu'il avait subi, mais le vampire était hors de lui. Voldemort aurait été encore vivant, il n'aurait pas eu de repos jusqu'à s'être vengé au centuple, jusqu'à avoir épuisé la fureur qui bouillonnait dans son corps et son esprit.
D'ailleurs, il avait une autre vengeance à accomplir et il allait s'y employer dès que Harry serait de retour.
.
Ils restèrent un long moment ainsi, les bras de Severus serrés autour du ventre et du torse de son mari, cramponnés comme pour pouvoir le protéger, des années trop tard. Chacun était perdu dans ses pensées, ses souvenirs, et ils ne se levèrent qu'une bonne heure plus tard pour aller prendre une douche. Ensemble mais silencieux.
De toute la journée, ils s'étaient peu vus en dehors des repas. Lucius était brièvement sorti pour un vernissage, Severus avait travaillé dans la Bibliothèque puis il avait passé une bonne partie de l'après-midi dans le salon de la suite, à rêvasser et à réfléchir. Et même durant la soirée, ils s'étaient à peine parlés.
À dire vrai, depuis cette confession extraordinaire, Lucius gardait ses distances, et lors de ses brèves paroles, son ton était tranchant, ses mots secs, son attitude cassante. De toute évidence, il cherchait à le provoquer, à susciter chez lui une quelconque réaction, à vérifier que son comportement envers lui n'avait pas changé. Et Severus s'employa à le lui prouver.
Il ignora les provocations et les sarcasmes, il conserva la même attitude irréprochable qu'il avait envers Harry et il attendit que son mari s'apaise de lui-même.
Le soir venu, ils se couchèrent ensemble, dans l'immense lit de la suite des invités, mais collés l'un à l'autre. Une fois encore, Lucius chercha à pousser ses instincts de domination dans leurs retranchements, mais Severus était bien décidé à ne plus avoir envers son mari un seul geste trop ambigu. Tant que Lucius ne viendrait pas de lui-même chercher du plaisir dans cette partie de son corps profanée par Voldemort, il ne le suggérerait même pas, ni en gestes, ni en paroles.
Severus se doutait bien qu'il n'entendrait plus jamais parler de ce sujet. Si Lucius avait mis quarante ans à l'évoquer, ce n'était pas prêt d'arriver à nouveau. Mais cela lui importait peu. L'essentiel était qu'il sache et qu'il n'incite pas son mari à faire des choses contre son gré. Par respect pour lui, il se contenterait de ce qu'il avait et ça lui irait très bien.
De fait, quand Lucius fut certain qu'il maîtrisait toute son impulsivité et ses instincts de vampire, quand il fut pleinement rassuré, ils s'aimèrent en douceur, avec beaucoup de sensualité et de tendresse. Quelque part, ce chapitre-là était clos.
.
Merci à tous de votre lecture et de votre fidélité, et n'hésitez pas à laisser vos impressions en commentaire ;)
J'espère que vous n'avez pas été trop déroutés par ce chapitre dans lequel Lucius montre à la fois toute sa force, mais aussi une fragilité qu'il dévoile si rarement... Et une fois la faille refermée, elle le sera pour un bon moment! :)
La semaine prochaine, ce sera le retour de Harry après ces quelques jours d'éloignement! ^^
Au plaisir
La vieille aux chats
