Résumé: Après le mariage de Harry et Lucius, la vie suit son cours au Manoir. Severus et Harry parviennent à une relation plus tendre et plus paisible, Blaise semble avoir des envies de paternité et Draco projette de réunir des vétérans du quidditch pour une oeuvre de charité...
Aujourd'hui, Severus va confier ses inquiétudes à son mari, Harry va aller se promener avec Lucius, avant qu'ils ne partent tous les trois pour un week-end à Paris. Un long chapitre, avec le retour d'une certaine légèreté malgré une tension sous-jacente... Bonne lecture!
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Lucius redressa la tête quand les flammes vertes se mirent à danser dans la cheminée de son bureau puis haussa un peu plus les yeux en reconnaissant la silhouette sombre de Severus se matérialiser dans l'âtre. La petite pendule sur le manteau de la cheminée n'indiquait que dix-sept heures trente et il s'étonna de voir son mari rentrer si tôt. Depuis quelques temps, il était plutôt coutumier des fermetures tardives ou des « clients de dernière minute »...
Ce soir, il rentrait même avant Harry... ce qui était peut-être une occasion à saisir.
Après un « Bonsoir » à la cantonade, Severus retira son manteau et le capuchon qui couvrait sa tête et s'approcha pour l'embrasser rapidement.
– Assieds-toi, fit Lucius en désignant du menton les fauteuils qui lui faisaient face, de l'autre côté de son bureau. Je voudrais te parler un moment.
La vampire haussa les sourcils de surprise puis les fronça, brusquement suspicieux et inquiet.
– Qu'est-ce qui se passe ?
Lucius se contenta d'un signe de la main pour temporiser puis s'adressa à Mark, plongé dans un quelconque rapport d'activité à sa table de travail :
– Mark ? Je suis désolé mais... Est-ce que tu pourrais...
Le jeune homme les regarda tour à tour, lui un peu gêné derrière son bureau et Severus qui venait de poser son manteau sur le dossier d'un fauteuil et s'y asseyait sombrement... Puis il comprit, referma son dossier et se leva d'un bond.
– Pas de soucis. Je vais finir ça à la maison...
– Mark, tu n'es pas obligé... Ça peut parfaitement attendre demain.
– Tant que c'est encore frais dans ma tête, je préfère terminer ça tout de suite. Et puis Håkon n'a sans doute pas encore fini sa journée. Bonne soirée ! Et faites un bisou à Harry de ma part.
– Je n'y manquerai pas, assura Lucius en souriant tandis que le jeune homme attrapait la boîte de poudre de cheminette.
– Harry n'est pas là ? s'alarma brusquement Severus. Où est-il ?!
– À Sainte-Mangouste. Bonne soirée, Mark. À demain...
Les flammes disparurent aussi vite qu'il avait chassé Mark de son bureau. L'idée le chagrinait; il s'excuserait à nouveau demain...
– Avec Aria ?! Pourquoi il n'est pas venu à la Librairie me la confier ? Ou à la rigueur, pourquoi il ne te l'a pas laissée ?
Tout en conservant un visage impassible, Lucius grimaça intérieurement de cette façon qu'avait Severus de le faire passer systématiquement au second plan en ce qui concernait Aria. En toute honnêteté, il devait bien reconnaître que son mari s'en était davantage occupé que lui depuis sa naissance, mais être un choix par défaut n'était jamais très agréable.
– Parce qu'il n'y allait pas pour faire des potions, juste pour voir un patient... Et peut-être parce que tu n'as pas eu l'air très réceptif quand il t'a demandé s'il pourrait te la laisser pour les entraînements de quidditch.
– Ça n'a rien à voir ! se renfrogna Severus. Bien sûr que je la garderai, je l'ai toujours fait ! J'espérais juste que ça le freine un peu pour y participer...
– C'est exactement de ça que je voulais te parler, pointa Lucius en s'appuyant contre le dossier de son fauteuil. Quel est le problème avec ce match caritatif et ces entraînements ?! J'ai bien compris que tu y étais réticent. Et j'ai bien remarqué également à quel point tu as cuisiné Draco dimanche pour savoir où ils allaient jouer, et dans quelles conditions et avec qui... Severus, j'aimerais que tu me dises ce qui se passe.
– Rien, fit le vampire en éludant la question d'un geste négligent. Tu sais bien que je suis toujours inquiet quand il remonte sur un balai... En particulier quand ce n'est pas ici, au Manoir. S'il a la moindre réminiscence ou la moindre crise d'angoisse, je ne veux pas qu'il ait besoin d'expliquer...
– Foutaises ! trancha Lucius avec une grimace agacée. Ne me prends pas pour un lapin de six semaines, Severus ! Bon sang ! Je suis ton mari et je te connais depuis assez longtemps pour savoir quand tu me caches quelque chose ! Cette histoire de quidditch n'est qu'un prétexte ! Tu rentres de plus en plus tard, avec des excuses qui ne sont que des mensonges éhontés; tu n'es pas à la Librairie alors que tu prétends y avoir passé la journée; tu es de plus en plus inquiet et tendu; tu te remets à couver Harry et à t'affoler de ses moindres faits et gestes… Alors je te repose la question : qu'est-ce qui se passe ?!
– Comment ça je n'étais pas à la Librairie ? se défendit Severus. Aujourd'hui, j'ai…
Lucius respira profondément pour se maîtriser et s'obligea à garder les bras posés sur les accoudoirs de son fauteuil, même si ses doigts commençaient à pianoter impatiemment devant l'attitude de son mari.
– L'autre jour, je suis passé à la Librairie, fit-il d'une voix sourde. Tu avais mis une affiche « Fermé pour la journée », alors que le soir, tu n'as pas arrêté de te plaindre de tes clients. Et ce n'est pas seulement ça, Severus… C'est tout un ensemble de petits détails et tu ne me feras pas démordre de cette impression que tu me caches quelque chose.
Un silence obstiné lui tenait tête.
– Dis-moi la vérité, bon sang ! s'emporta-t-il.
Face à lui, les yeux de Severus rougeoyèrent brusquement tandis qu'une aura épaisse et impatiente s'écrasait dans le bureau. Ils s'affrontèrent du regard quelques instants, chacun campé sur ses positions, et Lucius sentait bien tout ce qui se jouait entre eux pendant ces longues secondes.
Et puis, étonnamment, ce fut Severus qui détourna le regard le premier et Lucius en soupira intérieurement. Sur ce coup-là, il n'avait pas été certain d'avoir le dernier mot.
Aussi vite qu'elle était apparue, l'aura du vampire s'était dissipée et à présent, il soupirait, les yeux fermés et les doigts pincés sur l'arête de son nez, dans un geste qu'il ne faisait plus depuis des années.
– Écoute… Je ne t'ai rien dit parce que je ne suis sûr de rien, finit-il par lâcher. Ce ne sont que des impressions, des soupçons… de la paranoïa peut-être, mais certainement rien de tangible.
– De quoi s'agit-il ? fit Lucius d'un ton froid.
– Je… Vladimir se tient tranquille depuis trop longtemps.
La phrase résonna quelques instants dans le silence, le temps que Lucius en prenne vraiment conscience. À vrai dire, il s'attendait à tout autre chose, à la confiance entre Harry et Severus qui se dégradait, à un effet particulier de leur lien, à la jalousie du vampire qui se réveillait… et même à un autre homme qui serait entré dans la vie ou le cœur de Severus.
– Précise ta pensée.
Severus le regarda un moment de ses yeux sombres et denses, puis il se résigna à parler :
– Je ne sais pas si tu y as vraiment prêté attention, mais depuis ma morsure, et même avant, Vladimir s'est complètement désintéressé de la scène politique internationale. Les attentats se sont calmés, la Coalition ne fait plus parler d'elle, ses revendications ont disparu des médias, il ne se passe plus rien… Ça ne l'intéresse plus. Son nouveau petit jeu, comme il me l'a si bien dit le jour où il m'a mordu… c'est nous. Toi, moi et Harry. Nous regarder vivre, nous observer. Nous sommes des marionnettes dans son petit théâtre personnel. Et de temps en temps, pour corser un peu le jeu ou pour nous faire réagir, il met un petit grain de sable entre nous. Ça a été la captivité de Harry, et puis comme il s'en est remis trop vite, ça a été les attentats sur le Chemin de Traverse pour te déstabiliser en tant que Ministre, et puis la tentative d'enlèvement de Scorpius, et ensuite ma transformation qui a obligé Harry à devenir mon calice et toi à démissionner. Un grain de sable régulier, tous les deux-trois mois. À chaque fois que l'effet du grain de sable précédent s'est dissipé… Et là, depuis ma transformation, il ne s'est rien passé.
Severus s'était levé et se tenait debout devant la fenêtre, le regard rivé sur la nuit qui obscurcissait les jardins.
– Il m'a mordu et nous nous en sommes relevés. Il y a eu des photos de nous partout dans les journaux pour ton mariage avec Harry, pour bon nombre de sorties publiques que nous avons faites, et le fait que nous nous entendions bien tous les trois est évident pour tout le monde... Et ça fait plus de quatre mois qu'il n'a pas mis un grain de sable supplémentaire. Et ça fait un peu plus d'un an que Harry est revenu de sa captivité.
Lucius ne pouvait pas nier une certaine cohérence à l'exposé de Severus; quant à savoir s'il y avait une vraie volonté de la part de Vladimir à cet enchaînement de faits, c'était autre chose… Et surtout s'il y avait une volonté de leur nuire.
– C'est pour cette raison que tu es allé voir d'Alagnac ?
– Oui, acquiesça Severus en revenant s'asseoir. En tant que vampire, il entend des bruits du monde de la nuit tout autant que du monde sorcier… Et il a son propre réseau d'informateurs un peu partout en Europe.
– Et il t'a dit quelque chose de particulier ?
– Non, rien encore. Mais il me tiendra informé de ce qu'il entend.
– Et tu en as parlé à Håkon ? Je ne fais plus partie de la Commission, mais il a peut-être des informations qui pourraient t'être utiles…
– Bien sûr, je lui en ai parlé, confirma Severus en dégrafant le bouton de sa veste pour être plus à l'aise. Depuis plusieurs semaines… Mais je ne vais pas te l'apprendre, la Commission se focalise surtout sur les enquêtes et les recoupements d'informations pour remonter les filières qui ont déjà agi… Pour pouvoir les démanteler et les traduire en justice. Ils sont moins axés sur le renseignement immédiat, qui dépend davantage de chaque état. Mais il me tiendra au courant si quoi que ce soit lui paraît anormal.
– Bien, soupira Lucius.
Il se pencha légèrement en avant, les coudes posés sur son bureau et joignit les doigts devant son menton. Tout cela le laissait pensif et quelque peu morose. Pas plus que Severus ou Harry, il n'avait envie de replonger dans des inquiétudes et des angoisses qu'il croyait derrière lui. Ils avaient assez donné, assez souffert, et aujourd'hui, ils n'aspiraient qu'à la tranquillité. Mais repousser les évidences était le meilleur moyen de se mettre des œillères…
Lucius se leva un instant pour aller se servir un verre de whisky avant de revenir s'asseoir à son bureau. Tout cela était plausible, si l'on en croyait Severus, mais était-ce réel ? La situation était calme sur tous les fronts, dans tous les pays… Ils avaient beau parcourir l'un et l'autre la presse internationale, aucun signe ne venait troubler la quiétude apparente. Est-ce que cela valait bien la peine de se mettre à s'inquiéter sans autre raison qu'un vague soupçon ? Severus en avait l'air persuadé mais qu'est-ce qui tenait d'une inquiétude légitime ou bien de sa condition particulière de vampire ?
– Tu en as parlé à Harry ? fit-il au bout d'un moment. S'il se rend compte que tu le surveilles sans lui avoir expliqué tes raisons, il va très mal le prendre.
– Pas encore, mais je le ferai, assura Severus. Je ne peux rien lui dire tant que je n'ai pas quelque chose de tangible, et pour l'instant, je n'ai rien. Rien que des soupçons, des impressions et le vague sentiment que le calme ne va pas durer.
Ce fut cela, plus que tout le reste, qui alarma Lucius. Cela et de vagues souvenirs de la guerre, pendant laquelle Severus avait toujours eu un sixième sens pour savoir quand une situation allait bientôt basculer ou leur exploser à la figure.
– Je ne suis sûr de rien, ajouta le vampire. Mais soyez prudents…
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Severus observa son mari qui restait songeur, les sourcils froncés et les lèvres pincées par la réflexion. Cela s'était mieux passé qu'il ne l'aurait cru. Bien sûr, Lucius ne prenait pas ses paroles pour argent comptant; il gardait une réserve évidente, il allait certainement se renseigner de son côté, interroger ses informateurs, faire jouer ses réseaux pour glaner quelques nouvelles fraîches, mais de toute évidence, il l'avait tout de même pris au sérieux. Et si jamais Harry s'agaçait de son comportement trop inquiet ou de sa façon de le surveiller de trop près, Lucius abonderait dans son sens et calmerait les protestations du jeune homme.
Il n'était pas fier de lui, cependant. Il n'aimait pas l'idée de leur cacher la vérité, ni cette façon de les manipuler pour qu'ils fassent davantage attention à leur sécurité. Mais cela restait un mal nécessaire, et dans le cas présent, la fin importait plus que les moyens.
Malgré tout, il devait faire attention à les ménager et à préserver leur confiance, que ce soit Lucius en tant que compagnon ou Harry en tant que calice. Il ne devait pas sacrifier la quiétude de leur vie, la sérénité qu'ils avaient tous retrouvée, pour ses préoccupations au sujet de Vladimir. Il devait les protéger sans que ce ne soit trop visible, s'assurer de leur sécurité, mais de façon discrète et silencieuse. Un équilibre précaire qu'il allait devoir maintenir jusqu'à ce qu'il ait des preuves… ou jusqu'à ce que Vladimir ne se manifeste à nouveau.
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– Coucou !
Dans un ensemble admirable, ils tournèrent tous les deux la tête vers Harry qui entrait brusquement dans le bureau, Aria dans ses bras.
– Hey ! J'interromps quelque chose? s'inquiéta-t-il en ricanant. C'est à se demander si vous allez vous sauter à la gorge ou vous sauter dessus !
Lucius retrouva dans la seconde un visage souriant, loin du pli soucieux qui barrait son front un instant plus tôt, mais Severus eut plus de mal à faire une pareille volte-face. Toutes ces préoccupations et cette conversation tendue avec son mari lui avaient laissé une humeur plus sombre qu'autre chose.
Mais Harry, aussi insouciant et espiègle qu'à l'ordinaire, ne s'était aperçu de rien et il s'était d'abord approché de Lucius pour l'embrasser rapidement.
– Fais un bisou à Blondie ! gloussa-t-il à sa fille.
Dans les bras de son père, Aria se pencha jusqu'à pouvoir poser sa bouche grande ouverte sur la joue de Lucius. Puis Harry se dirigea vers lui et Severus n'eut plus aucun mal à sourire devant l'air légèrement pincé de son mari qui résistait à l'envie d'essuyer sa joue quelque peu baveuse.
– Et un bisou à Sévie !
La bouche d'Aria s'approcha de sa propre joue et Severus tendit les bras pour la serrer contre lui avant de l'embrasser et de la rendre à son père. Lui, il n'eut pas droit à un baiser de la part de son calice, mais à un geste furtif, une main posée, pressée sur son épaule, un regard doux et un sourire lumineux. Et c'était déjà tout un monde...
– Allez, on file au bain et je vous rejoins à table… Je meurs de faim !
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– Tout le monde est entier ? gloussa Harry tandis que les enfants se détachaient de lui en s'éparpillant comme des moineaux dans l'entrée de la maison.
– Évidemment ! fit Minerva en levant les yeux au ciel. Comme si tu pouvais rater un transplanage et perdre des morceaux de nous !
Amusé par son aplomb, Lucius se contenta de sourire largement mais il vérifia malgré tout du regard que chacun de ses trois petits-enfants soit bien intact. Dans les bras de son père, Aria était sans doute celle qui avait le moins à craindre… Puis ses yeux se levèrent sur les murs blancs et crème qui les entouraient, le vaste salon à quelques pas avec ses fenêtres lumineuses et l'escalier raide au fond de l'entrée que Scorpius essayait déjà de grimper en tenant aux montants de bois clairs.
– Où sommes-nous ?
– Square Grimmaurd, répondit Harry en rajustant sur sa hanche Aria qui se penchait en cherchant à descendre de ses bras. L'ancienne maison de Sirius dont j'avais hérité…
– Tu veux dire square Grimmaurd, la maison ancestrale des Black ?! s'étonna Lucius en écarquillant les yeux.
Rapidement avant qu'il ne grimpe plus haut, il récupéra Scorpius dans ses bras et en profita pour jeter un regard plus approfondi au salon. Ça n'avait plus rien à voir avec la maison dont il se souvenait, des années plus tôt.
– Eh bien ! Tu y as fait quelques changements !
– Oui, gloussa Harry en ouvrant la porte de la maison. J'ai abattu quelques murs, ajouté quelques fenêtres, tout repeint et changé la déco… Tu y étais déjà venu ?
– Il y a un siècle ou deux, oui, ironisa-t-il, encore stupéfait. Walburga était la sœur de mon beau-père… J'avais en tête un intérieur un peu plus sombre et ancien !
Et c'était un euphémisme pour décrire la noirceur de cette maison dont Harry devait se souvenir aussi bien que lui. Le changement avait été radical et elle semblait aujourd'hui presque accueillante.
– Allez, amène-toi, gloussa Harry qui patientait sur le perron avec Minerva et Iris. De toute façon, j'ai donné la maison à Luna et Padma pour qu'elles aient un pied-à-terre avec Aria en dehors de Poudlard. Je n'en avais plus vraiment l'utilité puisque tu m'héberges gracieusement !
Harry tourna son sourire lumineux vers lui, glissa un baiser sur ses lèvres puis il descendit les marches du perron en tenant Iris par la main. Derrière son dos, Lucius entendit la porte se refermer dans un bruit de succion tandis qu'une volute de magie l'effleurait avant de se dissiper.
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Tout à l'heure, Harry avait voulu sortir les enfants qui ne tenaient plus en place dans le Manoir et brusquement, il s'était souvenu d'un parc de jeux pour qu'ils puissent se défouler. Il lui avait suffi d'émettre cette idée pour que Lucius se trouve assailli par ses petits-enfants – et même par les cris enthousiastes d'Aria – et il dut se résoudre à céder pour obtenir le calme. Et la mort dans l'âme, il avait même accepté de les accompagner, pétri par sa culpabilité de laisser Harry se débrouiller seul avec les quatre enfants.
Après tout, quand Draco lui avait demandé de garder les fillettes et Scorpius pendant son déplacement en Irlande avec son équipe, Lucius avait acquiescé avec une moue condescendante comme s'il s'agissait d'une évidence. Daphnée était partie en formation pour son travail pendant trois jours à l'autre bout du pays, il était indiscutable qu'ils prennent les enfants au Manoir. Mais en réalité, il avait un peu compté sur les elfes de maison, les dessins animés, Severus et Harry pour les occuper… Or, Draco avait exigé que les dessins animés soient limités à trente minutes par jour et Severus semblait débordé à la Librairie… Et les enfants préféraient largement venir les accaparer plutôt que de voir les elfes jouer les baby-sitters.
– Et alors ? ricana Harry tandis que Lucius traînait à l'arrière de leur petite troupe. Tu n'es pas content de passer un peu de temps avec moi ? Ce n'est pas tous les jours que l'on peut se promener tous les deux !
Lucius pressa le pas pour se mettre à la hauteur de son jeune mari pour traverser la rue. Peu rassuré par la voiture qui freina à contrecœur pour les laisser passer, il attrapa la main de Scorpius d'un geste vif et s'engagea prudemment sur le passage piéton. Il n'avouerait pas qu'il avait dans le creux de son autre main le manche de sa baguette, prête à l'emploi en cas de nécessité. La présence des enfants – et peut-être un peu ce que lui avait confié Severus l'autre jour – le rendait plus vigilant qu'à l'ordinaire.
– J'adore me promener avec toi mais j'avoue qu'avec le froid qu'il fait, je serais bien resté au chaud au Manoir.
– Ils n'ont pas l'air gênés, eux ! gloussa Harry tandis que les fillettes et Scorpius, ayant franchi la grille d'entrée du parc, s'égayaient déjà dans les allées gravillonnées.
– C'est où les jeux, Harry ?
– De ce côté-là, ma puce. Vous pouvez partir devant mais ne vous éloignez pas trop. Aria marche moins vite que vous, fit-il en déposant sa fille au sol.
Accrochée à sa main, ravie, Aria trottinait aussi vite qu'elle le pouvait, mais Lucius ne put s'empêcher de sourire devant son allure d'escargot et la mine déconfite d'Iris. Minerva, elle, revint sur ses pas pour prendre l'autre main d'Aria qui poussa un cri de joie et se dandina avec entrain entre son père et sa grande « cousine ». Le tableau était charmant, rapidement complété par Scorpius qui vint s'accrocher à la main de Harry, et les quatre silhouettes, emmitouflées de manteaux et d'écharpes et qui occupaient de front toute la largeur de l'allée, le firent sourire encore davantage.
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Il fallut surveiller, tendre une main pour prévenir une chute, aider à grimper, interrompre une dispute naissante, mais à présent que les enfants s'étaient bien épuisés sur les constructions et que Aria et Scorpius étaient revenus à des jeux plus calmes non loin d'eux, Lucius avait conservé le sourire aux lèvres qu'il arborait depuis un moment.
À vrai dire, il était content d'être là – et au final, très satisfait d'être venu. Ils avaient beaucoup ri, les enfants étaient joyeux et Harry semblait radieux avec cette ribambelle de bambins autour de lui. Le froid était oublié, même s'ils étaient à présent tranquillement assis sur un banc, le grand air avait fait du bien à tout le monde et Lucius se prenait à savourer ce moment en famille comme rarement auparavant.
Et Harry, avec ses pommettes roses, ses cheveux mi-longs soulevés par sa grosse écharpe et qui retombaient sans cesse autour de son visage, et le bout de son nez rougi par le froid... Harry était charmant.
– Arrête de me reluquer comme ça, je vais finir par rougir ! gloussa-t-il en se penchant vers lui pour un baiser fugace.
– Et avec ce genre de geste en public, tu vas choquer les mères de famille qui nous observent, fit-Lucius en souriant. Jusqu'à présent, elles te prenaient pour un père modèle et dévoué, et moi pour ton père ou ton beau-père, mais je crois que nous venons de baisser dans leur estime !
Harry éclata de rire, laissant échapper dans l'air glacial un panache de fumée blanche et une insouciance rafraîchissante.
– Ce n'est pas aujourd'hui que je vais me soucier de l'opinion des gens ! ricana-t-il en venant se coller un peu plus près de lui. Même si je suis effectivement un père modèle !
– Tu es un père parfait.
Pour appuyer ces mots sortis plus vite qu'il ne les avait pensés, Lucius glissa son bras replié derrières les épaules de Harry, sa main dans ses cheveux et lui fit tourner la tête pour l'embrasser plus profondément.
Il le pensait très sincèrement, mais le regard offusqué de la vieille bourgeoise de l'autre côté des jeux valait son pesant d'or et il se permit son sourire le plus hautain et le plus suffisant. Sa réaction était peut-être un peu puérile, mais maintenant qu'il n'avait plus à se cacher, il n'était plus question de réfréner sa moindre envie de tendresse, fût-ce en public.
– Comment se fait-il que tu connaissais ces jeux pour enfants ? demanda-t-il pour détourner l'attention de Harry.
– Après la Dernière Bataille, j'ai passé l'été ici, dans la maison de Sirius. À faire des travaux mais surtout à déprimer… Quand j'arrivais à me sortir du fond de mon lit et à tituber un minimum, je venais là, un peu plus loin, sur ce banc, fit-il en levant le menton pour désigner un banc sur une petite hauteur. Les enfants… ils étaient tellement pleins de vie. Je venais là comme au spectacle; ça m'a sorti la tête de l'eau…
Lucius hocha la tête en pinçant les lèvres, désolé d'avoir soulevé un souvenir amer. Ses doigts, dans les cheveux de Harry, vinrent caresser sa nuque tout en douceur, pour se faire pardonner, effleurant sans le vouloir l'endroit où Severus le mordait. La réaction fut instinctive : Harry frissonna violemment et porta une main réflexe sur son cou avant de se mettre à sourire presque béatement.
– Excuse-moi…
– C'est rien. Ce n'est même pas sensible. C'est juste…
– Juste une zone érogène qui te rappelle de bons souvenirs ? ricana-t-il.
Harry ne chercha même pas à nier ou à minimiser sa réaction; il se contenta de glousser tout en détournant le regard pour surveiller les enfants.
– C'est plutôt une bonne définition.
– Ça se passe toujours bien avec Severus ?
– Oui, très bien. C'est vraiment… bien, acquiesça-t-il, et son sourire valait toutes les confirmations du monde. Je regrette juste… qu'on arrive pas à être plus libres devant toi. Ça viendra sûrement un jour mais… Pour l'instant, j'ai plutôt l'impression de te chasser pour qu'il puisse boire.
Harry grimaça en tournant la tête pour le regarder, l'air profondément ennuyé par ce qu'il venait d'avouer.
– Ne t'en fais pas, fit Lucius d'un ton apaisant. Je sais bien que vous n'y pouvez rien et que les morsures s'imposent à vous comme ça, sans témoins, en toute intimité… Même si je suis ton mari et également celui de Severus, j'ai bien conscience que votre lien existe en dehors de moi. Mais j'avoue que si un jour vous parvenez à faire ça devant moi, ce sera le couronnement de bon nombre de mes fantasmes !
Il venait de murmurer à l'oreille de Harry, le ton suave, son souffle sur sa peau, mais la brusque volte-face de son amant le fit éclater de rire.
– Quoi ?! Comment ça, tes fantasmes ?!
– Moins fort, trésor… Je ne suis pas sûr que tu apprécierais de voir Scorpius venir te demander ce que c'est qu'un « fantasme » !
De toute évidence, Harry hésitait entre un regard offusqué et un sourire gourmand, et puis ce fut la curiosité qui l'emporta et il murmura à son tour, les yeux pétillants :
– Qu'est-ce que c'est que cette histoire de fantasme ?!
– Je trouve ça tellement érotique, ces morsures entre vous, tellement sensuel, susurra Lucius à l'oreille de son amant tout en enfouissant sa main dans ses cheveux. Je serais très curieux de voir ça, et même de le partager avec vous… Je sais que vous éprouvez du plaisir l'un et l'autre pendant ces moments; qu'est-ce que ce serait si je te suçais pendant qu'il te mord… ? S'il te mordait pendant que je te fais l'amour… ?
– Oh bon sang ! s'étrangla Harry en frissonnant tandis que Lucius lui mordillait le lobe de l'oreille. Arrête ça ! Ce serait en tout cas très malvenu de me faire avoir une érection au parc avec les enfants !
Lucius ricana en s'éloignant à peine, tandis que Harry cachait son sourire alléché dans sa grosse écharpe qui lui montait presqu'au dessus du nez. Puis le jeune homme se pencha pour ramasser un jouet qui avait roulé sous leur banc et le lança doucement vers Scorpius et Aria. Mais lorsqu'il se redressa, Lucius remarqua sa façon de se tortiller comme s'il était gêné par les coutures de son pantalon. Manifestement, l'idée ne le laissait pas de marbre.
Il se permit de savourer un instant l'effet qu'il arrivait à produire sur Harry, alors même qu'ils étaient en public et en compagnie des enfants, puis il redevint sérieux.
– J'aimerais beaucoup que vous vous sentiez plus libres devant moi, fit-il en caressant doucement la nuque de son mari. Mais je ne veux pas que tu te fasses violence pour autant ou que tu ailles contre ce que te dicte ta nature de calice… Si vous préférez être seuls pour les morsures, restez seuls. Pour moi, le fait que tout se passe bien entre Severus et toi est bien plus essentiel que d'être témoin d'une morsure… Je suis tellement soulagé que vous ayez retrouvé une relation harmonieuse…
Harry tourna brusquement la tête vers lui, le regard grave. Lucius grimaça intérieurement, maudissant sa voix de s'être voilée d'émotion au mauvais moment; ce qui, bien évidemment, n'avait pas échappé à son amant.
Une main se posa sur sa cuisse, concernée, rassurante, puis Harry tourna le regard vers les enfants tout en se lovant un peu plus contre lui, dans l'étreinte de son bras.
– Severus et moi avons beaucoup parlé ces derniers temps…, murmura-t-il. De nous. De nos attentes, de la façon dont on voit notre lien, de ce que l'on ressent l'un et l'autre… Je crois… Tu sais, je crois qu'on n'a jamais partagé autant depuis le début, depuis qu'on est ensemble. On n'a jamais été aussi ouverts l'un à l'autre, aussi… sincères. On peut dire ce qu'on veut, Severus n'est pas un modèle de communication, et moi non plus sans doute. Mais ces derniers jours, on a vraiment échangé comme on n'y a jamais réussi auparavant… Je ne crois pas qu'on laissera ça se perdre. Quoi qu'il se passe, et les morsures ne sont qu'un détail infime, on fera tout ce qu'on peut pour préserver cette « relation harmonieuse ». Et on fera aussi tout ce qu'on peut pour partager le plus de choses possibles avec toi…
Lucius glissa son bras en travers du torse de Harry et le serra un peu plus contre lui tout en penchant la tête pour enfouir son nez dans ses cheveux. La promesse renouvelée de Harry de le mettre le moins possible à l'écart de leur lien lui faisait toujours chaud au cœur. Il espérait juste que Severus ne tarde pas trop à faire part de ses craintes au sujet de Vladimir à son calice. Du moins, avant que Harry ne s'aperçoive de ses inquiétudes et de sa surveillance attentive.
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Harry plongea son visage dans le cou tout chaud de sa fille et respira profondément son odeur de bébé, une odeur délicieuse et tendre qui, quelque part, l'émouvait toujours un peu. Puis il l'embrassa sur le front et la posa dans son lit, avant de refermer la gigoteuse sur elle. Aussitôt allongée, Aria tendit le bras pour attraper le foulard de sa mère qui lui servait de doudou et comme chaque soir, elle s'en frotta longuement le nez avec un bonheur évident.
Et comme chaque soir, Harry sourit puis leva les yeux vers la photo encadrée qui trônait au-dessus du lit de sa fille. La photo que Severus lui avait offerte pour son anniversaire, leurs trois mains réunies et celle d'Aria posée au milieu comme un oisillon dans son nid… le symbole de leur « famille ». Atypique, particulière, mais une famille malgré tout.
Longtemps, il n'avait pas pu la regarder; elle était trop dérangeante, trop émouvante, aussi vertigineuse que tout ce qu'ils avaient perdu… Mais depuis que son lien avec Severus était devenu aussi puissant et sain qu'il l'était aujourd'hui, il contemplait cette photo à chaque fois qu'il couchait sa fille avec la même fierté et la même ferveur que lorsqu'il regardait les alliances à ses mains : un immense élan d'amour qui le traversait et le laissait plein de force et d'énergie.
Il sourit à la photo, puis à sa fille qui avait déjà les yeux fermés, son doudou à moitié sur la figure, et sortit de sa chambre sans faire de bruit.
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En bas, Lucius et Severus s'étaient installés de manière très étonnante dans la Bibliothèque et il lui fallut quelques instants pour les dénicher là.
Ils l'attendaient, pourtant, comme en témoignaient la tasse de champurrado sur la table basse et l'assiette de shortbreads qui patientait juste à côté. Son vampire était assis à la grande table de travail, livres et parchemins étalés tout autour de lui, tandis que Lucius lisait tranquillement dans un des fauteuils de cuir. Au centre de la pièce, un petit feu ronflait bruyamment, projetant des ombres vives sur les tentures et les fenêtres perlées d'humidité, mais le plus surprenant était la mélodie qui s'élevait doucement dans le silence : des cordes qui s'enroulaient sur elles-mêmes, parfois un piano, un air suave et feutré, presque répétitif, hypnotique, qui lui plut à la première note. (1)
– Qu'est-ce que c'est ? fit-il en désignant la chaîne hifi.
– Philip Glass, répondit Lucius en levant brièvement la tête.
Harry le rejoignit et s'installa dans le canapé, renversé contre le dossier et les jambes croisées au niveau des chevilles. Il se serait bien allongé de tout son long, appuyé contre l'accoudoir comme le faisait Severus pour les morsures, mais Orion était roulé en boule au beau milieu des coussins et il ne voulut pas le déranger. Malgré tout, il dut le réveiller car le chat leva la tête, bâilla avec distinction, s'étira puissamment en dévoilant ses griffes acérées puis se réinstalla pour poursuivre sa sieste. Harry profita de son bref éveil pour plonger la main dans sa fourrure puis il ferma les yeux pour savourer la musique.
Il se sentait divinement bien. La bonne fatigue d'avoir passé l'après-midi dehors avec les enfants, et à présent qu'ils étaient tous couchés, la chaleur agréable du feu, la pénombre de la pièce, la douceur aérienne de la fourrure d'Orion sous ses doigts, et puis leur présence… Il aurait juste voulu qu'ils soient l'un et l'autre plus près de lui.
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Il resta un long moment tranquille, à boire son champurrado à petite gorgées en écoutant la musique. Les ronronnements d'Orion vibraient contre sa cuisse et le feu réchauffait ses pieds avec ravissement. Et puis ces shortbreads…
– Tu serais gentil de m'en laisser un ou deux !
Le commentaire réprobateur de Lucius, dont c'était la gourmandise préférée, le fit glousser. Le livre sur ses genoux semblait abandonné depuis longtemps, au profit d'une observation discrète et attentive tandis qu'il le surveillait du coin de l'œil, son verre de cognac à la main. Lucius en avala la dernière gorgée puis le reposa sur la table basse en attrapant par là-même un petit gâteau qui disparut élégamment entre ses lèvres.
Et comme si ce commentaire avait interrompu le calme et le presque recueillement de la musique, ils se mirent à parler et à plaisanter sur tout et n'importe quoi, sur la vieille mégère du parc qui les avait foudroyés du regard après leur baiser, sur les nez rougis des enfants, sur la façon dont il était revenu trempé de leur bain avant le dîner, sur ses érections intempestives lorsque Lucius savait trop bien le chatouiller avec des mots…
Une longue forme sombre apparut à leur côté tandis qu'ils s'interrompaient brusquement.
– On te dérange, peut-être ?
– Je n'arrive pas à me concentrer avec vos bavardages, grogna Severus.
– Tu préfères qu'on s'en aille ailleurs ? suggéra Lucius avec une pointe d'ironie.
Severus grogna à nouveau sans même prendre la peine de répondre. Ils savaient tous les trois, sans avoir besoin de l'exprimer ouvertement, que le vampire chérissait au contraire tous les moments qu'ils passaient ensemble et que le manque de concentration n'était sans doute qu'un prétexte pour les rejoindre. Il avait tout le reste de la nuit, quand ils dormiraient, et même toute une éternité de vie pour poursuivre ses travaux et ses traductions.
– Embrasse-moi, au lieu de râler ! gloussa Lucius.
Severus obtempéra et se pencha sur son mari pour l'entraîner dans un baiser exigeant et dominateur, dont il se releva soudain avec une grimace.
– Bon sang ! Tu as bu de l'alcool…
– Oui ? fit Lucius sans comprendre. Et c'est interdit ?
Agacé – davantage contre lui-même que contre son mari –, Severus roula des yeux tandis que Harry se redressait brusquement dans le canapé, inquiet et la main tendue vers son vampire.
– Ça va ?! Comment tu te sens ? Ça va aller ?
– Ça va, soupira-t-il devant la sollicitude démesurée de son calice. J'ai juste la bouche en feu comme si je venais de croquer un piment.
Harry agrippait sa manche pour le retenir, fouillant la pénombre pour trouver son regard, clairement anxieux et les sourcils froncés. Pour lui, l'alcool était un tel interdit, un tel tabou, qu'il craignait des effets disproportionnés par rapport à l'infime quantité avec laquelle Severus venait d'être en contact. Ceci dit, vu la brûlure intense qu'il ressentait à avoir simplement embrassé Lucius, il était bien content que Harry se soit mis en tête de ne plus jamais boire d'alcool.
– Tu es sûr ?! Tu veux… boire ? Peut-être que ça calmera…
Et encore une fois, sans même l'avoir lu quelque part ou en avoir entendu parler par d'autres calices, Harry devinait exactement ce qu'il lui fallait, comme un sixième sens qui lui permettait d'agir au mieux, au plus près de ses besoins… Severus le regarda longuement avec une sensation dansante au fond du ventre.
La main agrippée sur sa manche l'attirait toujours vers le bas, insistante, et il hésita à se laisser aller. Et puis il mesura la lueur d'inquiétude dans les yeux de son calice, cette angoisse qui ne disparaîtrait pas tant qu'il ne serait pas sûr et certain d'avoir fait tout ce qu'il fallait pour son vampire, cette sensation de ne pas remplir son rôle qui le poursuivrait tant qu'il n'aurait pas été mordu… Malgré la présence de Lucius. Malgré la violence que pouvait représenter le fait d'avoir un spectateur...
– Juste une goutte alors…, murmura Severus pour que seul Harry l'entende.
Tandis qu'Orion s'échappait en crachant, il se pencha lentement, les genoux appuyés contre le rebord du canapé, un bras tendu contre le dossier, et il vint nicher son visage dans le cou tout chaud et tendre de son calice. Il ne voulait pas jouer ni le faire languir, il ne voulait même pas le mordre, il se contenta de poser ses lèvres sur la peau fine et d'aspirer doucement. Le sang perla aussitôt, une ou deux gouttes épaisses, sucrées et délectables qui apaisèrent immédiatement le feu de sa bouche.
Cela suffisait à la fois à calmer la brûlure de l'alcool, et à la fois à rassurer son calice… Et c'était plus respectueux que le baiser dans le cou qu'il lui avait volé l'autre soir dans la Salle de Cinéma. Harry dut y songer aussi car il le contempla avec un regard calme et souriant, serein, reconnaissant de sa douceur qui lui épargnait une excitation malvenue alors qu'il savait très bien que Lucius les observait.
– Je me demande…
Ils se tournèrent tous les deux brusquement vers Lucius qui considérait le verre de cognac vide dans sa main.
– Je me demande ce que ça donnerait si je te suçais après avoir bu un verre d'alcool…
Harry hoqueta et ferma brutalement les yeux. Il se prenait de plein fouet l'aura de son vampire, une aura sombre, dense et lourde, pleine de désir et de luxure. Visiblement, l'idée de Lucius ne laissait pas Severus indifférent, rejoignant ses penchants anciens pour le masochisme et une certaine forme de douleur-plaisir.
– Merlin ! grogna-t-il en secouant la tête.
Severus respira profondément pour se maîtriser et rabattre son aura si imposante.
– Désolé, soupira-t-il en posant fugacement ses lèvres sur le front de son calice.
Malgré tout, il restait penché sur lui, comme si se relever, s'éloigner de lui était aussi éprouvant que de faire face à son mari et ses envies charnelles sans lui sauter dessus.
– Tu sais qu'il le fait exprès, cet animal, murmura-t-il à quelques centimètres du visage de son calice. Jouer avec tes désirs et avec les miens le fait jubiler…
– Je sais, fit Harry avec un sourire indulgent. Il a fait la même chose au parc cette après-midi… Va donc trouver un canapé ou un lit pour vous envoyer en l'air. Je vais me baigner dans la rotonde et tu me rejoindras quand tu voudras boire…
Severus hésitait, tiraillé entre son désir et son respect pour la présence de son calice, pour la générosité dont il venait de faire preuve en le laissant boire quelques gouttes de son sang pour apaiser le feu de sa bouche, et pour son abnégation en proposant de le laisser seul avec Lucius pour apaiser le feu de ses reins.
– Allez, ouste ! sourit Harry en faisant mine de se relever. Et amusez-vous bien !
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Et Harry souriait encore lorsqu'il sentit, plus qu'il n'entendit, son vampire traverser le rideau de magie à l'entrée de la rotonde. Il n'y avait pas d'horloge ici, et il avait la flemme de lancer un Tempus. À vrai dire, il se fichait un peu de savoir combien de temps avait duré ce petit interlude entre son mari et son vampire, il espérait juste que ça avait été bon et qu'ils ne s'étaient pas précipités en sachant qu'il attendait la fin de leurs ébats pour nourrir Severus. Et quelque part, il espérait vaguement qu'il reste à Lucius quelques miettes d'énergie pour le combler à son tour.
Severus devait être en train de se déshabiller, derrière lui; du moins, il entendait le chuintement des vêtements qui tombaient au sol. Lui, il était dans sa position habituelle : accoudé au rebord de la piscine, le menton posé sur ses bras croisés et le corps collé à la paroi. La chaleur de l'eau le berçait, délicieuse, enveloppante et il était détendu au point qu'il se serait endormi là si le petit intermède de ses « conjoints » avait duré plus longtemps.
Severus se glissa dans l'eau sans faire de vagues et il traversa doucement la piscine pour le rejoindre. Devant eux, les baies vitrées donnaient sur la nuit et les jardins baignés par la blancheur de la pleine lune. La lumière était féerique, irréelle, scintillante de reflets argentés sur l'herbe givrée par le froid. Et dedans, il faisait si chaud, une chaleur moite et luxuriante… Divine.
– Est-ce que tu veux aller tout de suite dans la Bibliothèque ou dans ma chambre pour la morsure ? fit doucement Severus. Ou j'ai cinq minutes pour me détendre dans la piscine ?
– Il y a des douches pour se laver après le sexe ! gloussa Harry. Après on va voir flotter plein de petits spermatozoïdes de Lucius dans l'eau de la piscine !
Du coin de l'œil, il aperçut le sourire amusé de son vampire qui répondit à sa provocation par une autre provocation :
– Aucune chance, j'ai tout avalé.
Harry éclata de rire et le son résonna dans la rotonde comme un feu d'artifice léger et pétillant.
– Et ça te nourrit aussi bien que mon sang ?
– Rien ne sera jamais aussi nourrissant et délicieux que ton sang…
Et il savait, à cet instant, toute la sincérité de ces mots.
– Sans vouloir te vexer, je préférerais que tu me mordes maintenant… Je suis un peu fatigué et j'aimerais bien rejoindre Luce avant qu'il s'endorme.
Si Severus devinait ses intentions en montant se coucher si rapidement, ce ne fut pas sur cela qu'il réagit.
– Tu veux que je te mordes ici ?!
– Pourquoi pas ? J'ai un peu la flemme de me rhabiller et d'aller ailleurs.
– Je.
Severus se tut, sans doute ébahi par sa proposition. Puis, au bout de quelques secondes, il s'approcha un peu plus de lui, dans son dos, et posa une main sur son épaule. À ce geste, Harry fut parcouru d'un long frisson qui remonta jusqu'à la racine de ses cheveux. Sur sa nuque, sur ses bras, ses poils se hérissèrent, et ce n'était pas le froid.
Lentement, il pencha la tête sur le côté, dévoilant son cou, et il patienta ainsi jusqu'à ce que son vampire ne vienne se coller contre son dos, nichant son visage contre sa gorge offerte. Clairement, il sentait Severus hésitant, non pas de la morsure, mais de tous les autres petits gestes qui allaient de pair habituellement : sa façon de jouer et de le faire languir, ses bras autour de lui, enveloppant son ventre, leur proximité physique, protégée par des couches et des couches de tissu…
Là, ils étaient presque nus, la peau de son torse contre la peau de son dos, la fraîcheur de son corps contre la chaleur du sien, et Severus n'osait pas le toucher davantage. Il avait retiré sa main de son épaule et ses bras flottaient dans l'eau, loin de lui, rechignant presque à plus de contact entre eux. Il fallut que Harry aille chercher ces bras avec ses mains pour les enrouler autour de son ventre et qu'il lui murmure « Vas-y », pour que son vampire ne consente enfin à dévoiler ses dents et à s'approcher de sa carotide. Et avant même de l'avoir mordu, et malgré le désir qu'il venait d'assouvir avec Lucius, Harry sentait, sous les seules épaisseurs de tissu qui couvraient leurs corps, l'érection de Severus contre ses fesses.
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La morsure fut douce, plus tendre qu'il ne l'aurait cru en pareilles circonstances, et Severus ne se permit aucun geste ambigu. Ses bras restèrent lovés autour de son ventre, là où Harry les avait posés; il n'y eut aucun mouvement de bassin, aucun frottement malvenu, aucune main baladeuse, rien que leurs corps l'un contre l'autre et la peau de son vampire qui irradiait une chaleur plus importante à mesure qu'il buvait son sang.
Pourtant Severus l'avait déjà touché plus intimement. Il avait déjà caressé son sexe au travers d'un pantalon ou d'un boxer, il l'avait déjà fait jouir en le masturbant pendant une morsure, protégés par des couches et des couches de tissu… Et aujourd'hui qu'ils étaient plus nus, plus dévoilés qu'ils ne l'avaient été l'un avec l'autre depuis bien longtemps, son vampire restait fidèle à sa ligne de conduite, à sa parole donnée, et aucun de ses gestes n'était équivoque. Et Harry s'abandonna entre ses bras en toute confiance.
Quand Severus fut rassasié et qu'il relâcha avec un soupir de satiété la peau de sa gorge, son visage simplement niché dans le creux de son cou, Harry le laissa savourer quelques instants sa satisfaction repue. Puis, d'une pression de la main sur les bras croisés autour de son ventre, il signifia doucement son intention de partir. Severus embrassa une dernière fois les marques qu'il avait laissées sur sa peau et ouvrit les bras pour relâcher son corps.
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Dès qu'il eut transplané dans la chambre, Harry remarqua la lumière discrète de la lampe de chevet qui éclairait la pièce. Lucius était encore réveillé, assis dans le lit, un livre entre les mains… et le sourire craquant qui illumina son visage à son apparition le fit sourire à son tour.
– J'espère que tu as encore un peu d'énergie ?!
– Et que toi, tu n'as pas été comblé par la morsure de Severus… !
Harry baissa les yeux sur son maillot de bains à peine déformé. Severus avait été trop doux, trop hésitant dans son attitude pour que la morsure le fasse jouir comme cela arrivait régulièrement. Il était à peine un peu plus épais que d'habitude… En revanche, la vision du torse nu de son mari et de ses cheveux longs qui tombaient en cascade, rassemblés sur une épaule, le faisait durcir de seconde en seconde.
– Quitte à laisser la lumière…, fit-il d'une voix enjôleuse. Y avait pas une histoire de miroirs magiques sur les murs et dans le baldaquin du lit ?
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ooOOoo
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Penché sur Lucius, Harry ferma un instant les yeux avec un sourire lubrique. Leur position était plus qu'équivoque, presque indécente, et tout ce qu'elle pouvait suggérer de plaisir et de luxure lui chatouillait férocement le ventre.
Avec délicatesse, il modifia légèrement la position de la main de Lucius sur la queue de billard et la fit coulisser entre ses doigts. Contre son ventre, il sentait les reins creusés de l'aristocrate et son sexe appuyait exactement sur la courbe affolante de ses fesses. Suffisamment affolante pour le faire durcir un peu et sourire beaucoup.
Ce genre de position n'adviendrait jamais entre eux pour du sexe mais la tentation était grande de se frotter légèrement contre son mari pour souligner l'originalité délicieuse de ce moment.
– Vous êtes prêts ? fit la voix enjouée de Mark à l'entrée de la salle de billard.
Harry sursauta comme s'il avait été surpris en plein milieu d'une partie de jambes en l'air et grogna de dépit.
– Oups ! Je ne voulais pas vous déranger au mauvais moment, gloussa Mark avant d'ajouter suavement : Je m'en voudrais si tes doigts glissaient le long de cette queue et que tu ratais ton coup...
– Me crois-tu incapable de viser correctement pour ne pas atteindre un trou ou un autre ? fit Lucius d'une voix traînante.
Tout en ricanant, Harry se redressa pour lui permettre de faire face au jeune homme avec un regard flamboyant.
Mark se tenait devant eux, taquin, les yeux pétillants, ses doigts glissant langoureusement sur le bois précieux de la table de billard
– Oh, je t'ai assez fréquenté pour savoir que tu es très doué à ça. J'ignorais que tu avais des affinités pour ce genre de jeu de boules, cependant…
– C'est pourquoi je m'entraîne sur Harry… Avec Harry, pardon, fit Lucius avec un sourire ironique à son encontre. D'ailleurs, il reste une petite tache, là… qui n'a jamais voulu partir. Le frottement d'une queue, très certainement…, ajouta-t-il en grattant négligemment le tapis du bout de l'ongle.
Tandis que Mark éclatait de rire, Harry ne put s'empêcher de prendre quelques couleurs devant les souvenirs anciens qui ressurgissaient brutalement dans sa mémoire. Et ce fut cela, en plus de son air vaguement gêné, qui démontrait plus que tout la véracité des propos de Lucius.
– Ça suffit tous les deux ! gloussa-t-il. Vous êtes une vraie bande de satyres !
– Je prends ça comme un compliment ! sourit Lucius. Pas toi ?
Il reposa la queue de billard sur la table et se tourna vers son ancien mignon avec un regard espiègle.
– Moi, je suis sage ! protesta Mark. Je suis un homme marié, maintenant !
– Sage, toi ?! ironisa Lucius en acculant le jeune homme contre le bord du billard. Comment quelqu'un qui aime autant le sexe que toi pourrait-il un jour devenir sage ?!
Harry avait, en les observant, un sourire tout à fait jubilatoire : Mark avait les fesses presque posées sur le rebord de la table et il se tenait si penché en arrière pour fuir la présence imposante de Lucius entre ses cuisses ouvertes qu'il semblait prêt à rompre et à s'allonger sur le tapis vert.
– Ce n'est pas moi qui aie une pièce spéciale remplie de cordes, de fouets et de menottes ! ricana-t-il d'une voix étranglée.
Cette fois, ce fut Harry qui éclata de rire devant la répartie du jeune homme tandis que Lucius se tournait brusquement vers lui avec un regard noir.
– Par Salazar, tu n'as pas été jusqu'à lui faire visiter l'entièreté du Manoir, n'est-ce pas ?!
Harry n'en finissait plus de rire mais il se précipita au secours de son ami et prit Lucius entre ses bras pour apaiser son humeur et le remettre dans de bonnes dispositions.
– On n'était pas censés y aller, chéri ? Je crois que je viens d'entendre Severus rentrer…
– Je crois surtout que tu ne perds rien pour attendre ! fit Lucius d'une voix grinçante. Ça fait bien longtemps qu'on n'a pas été tous les deux dans l'antichambre, et dès qu'on sera rentrés de Paris, tu vas goûter une petite vengeance de mon cru !
– Oups ! laissa échapper Mark, la main devant la bouche avec un sourire innocent.
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Puisque Severus était rentré, ils achevèrent de se préparer, enfilèrent chaussures et manteaux en s'échangeant des regards piquants, puis empruntèrent la cheminée du bureau de Lucius.
Aussitôt qu'ils arrivèrent à l'ambassade, le dépaysement fut délicieux : l'architecture de la pièce de réception, un parfum différent, les boiseries sculptées du sol au plafond, un parquet à la française, et surtout le bain de langage dans lequel les immergèrent tous les employés qui quittaient leur lieu de travail pour rentrer chez eux.
Håkon apparut quelques secondes après, vêtu d'un costume bleu roi qui soulignait le bleu glacé de ses yeux, un sourire assuré sur une mâchoire carrée et ce petit quelque chose dans l'œil qui brillait toujours quand il apercevait les boucles blondes de son mari. Il vint les saluer et leur serrer la main tour à tour, embrassa Mark en glissant un bras autour de sa taille, puis il enfila le long manteau noir qu'il portait sur son bras et les guida vers la sortie.
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L'atmosphère de la nuit au-dehors était magique. Les immeubles haussmanniens dressaient leur blancheur ouvragée vers le ciel, régulièrement ponctués par les devantures illuminées des magasins qui n'avaient pas encore fermé boutique. Dans la rue embouteillée, un cortège de voitures circulait à allure réduite, leurs phares allumés comme des guirlandes multicolores. Au loin, la pleine lune se levait au-dessus des toits sombres et le froid vif faisait danser des volutes de fumée blanchâtre devant leurs visages.
Depuis le temps qu'ils avaient repoussé ce petit week-end à Paris chez Mark et Håkon, Harry était parfaitement ravi. Severus avait bien un peu rechigné à ce changement dans ses habitudes et à la perspective de devoir sortir en plein jour, mais pour l'instant il faisait nuit et la journée du lendemain promettait d'être grise et sombre à souhait.
– Le restaurant est à deux pas, annonça Håkon en frottant ses mains l'une contre l'autre pour les réchauffer. C'est un endroit moldu mais les serveurs sont très discrets et ils ne poseront aucune question. J'y emmène quelquefois les invités de marque de l'ambassade… et Mark pour son anniversaire.
Harry enfourna ses poings au fond des poches de son manteau et son nez dans sa grosse écharpe et il pressa le pas pour les rejoindre. Devant lui, Mark et son ambassadeur se tenaient par la main de façon tout à fait adorable et évidente, et cela le fit sourire un peu plus.
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Le Clarence avait une belle façade illuminée et prestigieuse, ornée de drapeaux français comme le fleuron de la gastronomie française qu'il était, et ils furent reçus avec courtoisie et respect, malgré l'allure particulière de Severus. Il lui fallut quelques instants sous les lustres dorés et un coup de coude de Harry pour consentir à baisser enfin le capuchon de son manteau qui cachait entièrement son visage mais les regards sur sa pâleur étonnante et ses lèvres qui paraissaient maquillées furent aussitôt détournés.
On les conduisit dans une pièce qui ressemblait davantage à un vaste salon ou une bibliothèque qu'à une salle de restaurant, mais l'endroit était précieux et accueillant, des boiseries miel jusqu'aux rideaux fleuris, de l'immense tapis qu'ils foulaient jusqu'aux petites tables rondes dressées de nappes blanches. La leur était située près d'une immense fenêtre qui donnait sur la vue magnifique des verrières éclairées du Grand Palais, mais ils sourirent tous les quatre en voyant Severus tomber plutôt en arrêt devant les rayonnages de livres qui couvraient l'un des murs du sol au plafond.
Le dîner fut somptueux. Lucius avait décrété d'emblée que Harry et Severus prendraient le menu en sept plats et dès que Harry avait fini sa propre assiette, il l'échangeait discrètement avec celle que son vampire n'avait pas touchée. Si les serveurs remarquèrent quelque chose de leur petit manège, ils n'en montrèrent rien; de toute façon, ils passaient déjà pour des excentriques, lui à ne boire que des jus de fruits ensoleillés et Severus à demander une nouvelle théière de thé bien fort.
– C'est moi qui vous invite, affirma Lucius d'un ton péremptoire au moment de payer. Vous nous offrez déjà l'hospitalité pour le week-end…
Håkon protesta bien pour la forme, mais ils savaient tous que c'était illusoire et Harry et Mark échangèrent un regard en ricanant. Il ne savait pas depuis quand Lucius était aussi à l'aise dans le monde moldu, mais à force de fréquenter hôtels de luxe, restaurants gastronomiques et lieux de culture, l'aristocrate connaissait parfaitement les codes de ce milieu-là. Et cette petite carte noire avec une tête dorée de centurion leur garantissait toujours un service irréprochable.
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Le froid était encore plus vif lorsqu'ils sortirent du restaurant mais à présent qu'ils avaient bien mangé et qu'ils étaient repus et réchauffés, il semblait plus facile à supporter.
– On fait le tour pour rentrer ? proposa Mark en prenant le bras de son mari.
Harry ne savait pas ce qu'ils appelaient « le tour », mais le retour à l'ambassade prit le chemin d'une promenade dans la ville à la fois plongée dans la nuit et éclatante de lumière. La seine ressemblait à un immense serpent sombre et tranquille, les sculptures du pont Alexandre III brillaient dans l'éclat des réverbères et le Grand Palais trônait avec majesté face au Petit Palais. Ce coin de Paris était sans doute un de ses préférés et cela faisait du bien d'être là à nouveau. Cette ville avait toujours le don de le rendre un peu romantique et nostalgique. Mièvre, aurait dit Severus et l'idée le fit ricaner dans son écharpe.
La promenade avait été agréable mais rentrer au chaud dans les appartements privés de Håkon était un vrai bonheur. À peine avaient-ils pénétré dans l'entrée que deux grosses boules de poil leur foncèrent dans les jambes, miaulant à la recherche de câlins et réclamant sans doute aussi à manger.
– Bon sang ! Qu'est-ce qu'ils ont grossi ! s'exclama Harry. Ils sont plus gros qu'Orion !
– Ils profitent bien, gloussa Mark.
Une fois débarrassés de leurs manteaux, écharpes et autres gants – et des deux gros chatons partis mendier de la nourriture dans la cuisine –, ils s'installèrent au salon, Severus et Lucius dans un canapé, et Mark et Harry par terre sur le tapis aux longs poils épais et une montagne de coussins.
L'endroit était toujours aussi chaleureux que dans son souvenir et rien n'avait changé, hormis une plante par-ci, une bougie par-là et une ou deux photos plus récentes dans les cadres.
– Vous étiez beaux le jour de votre mariage ! fit Harry d'une voix rêveuse en reposant un petit cadre argenté.
– Tu n'étais pas mal non plus pour le tien ! gloussa Mark. Même avec les marques de Severus...
Harry sourit au souvenir de ces marques qui lui avaient paru si sulfureuses ce jour-là. Aujourd'hui, il s'était habitué à ce symbole de la possessivité de son vampire et dans un cadre familial ou amical, ça ne le gênait plus… Et de toute façon, Severus ne lui laissait jamais les marques de la morsure lorsqu'il devait sortir en public.
– Il aime bien marquer son territoire ! gloussa Harry en observant son vampire sur le canapé.
Severus se tenait droit et stoïque mais il avait faim. Harry le sentait depuis un moment et la sensation commençait à devenir désagréable mais ils n'étaient pas chez eux.
– Tant qu'il ne pisse pas partout !
Harry tourna brusquement la tête vers Mark, surpris de son audace, et ils éclatèrent de rire ensemble.
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– Un cognac ou un aquavit ? proposa Håkon à Lucius.
– Merci. Je crois que j'ai bu assez de vin au restaurant…
– Quelque chose de plus léger, alors ? Un peu de champagne ?
Le sourire gourmand de Lucius était déjà une réponse en soi et Mark se leva pour aller chercher des coupes à champagne dans la cuisine. Il revint un instant plus tard, accompagné des deux gros chatons qui se poursuivaient dans ses pieds en menaçant de le faire tomber à chaque pas.
– Harry, tu veux quelque chose ?
– Je veux bien du thé, fit-il tandis que Håkon débouchait la bouteille et faisait le service. Et si tu as des biscuits à grignoter… C'est pas que j'ai faim, hein ! Le repas était délicieux, mais je préfère prévoir.
Mark leva les yeux au ciel avec un sourire entendu.
– Severus ?
– Rien, merci.
Une fois tout le monde servi et réinstallé, ils trinquèrent en souriant, lui avec sa tasse de thé et les trois autres avec leur coupe de champagne. Seul Severus gardait les mains vides et un silence âpre, sans que Harry ne sache pourquoi.
– Mmmhh… Excellent ! fit Lucius après une première gorgée.
– Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour une petite coupe de champagne, n'est-ce pas, Lucius ? gloussa Mark.
– Je crois que Luce aime le champagne autant que Severus aime mon sang !
Si Harry avait espéré que la plaisanterie détende son vampire, ce ne fut pas le cas; il parut même un peu plus sévère et amer alors que tout le monde souriait. Et ce n'était même pas la faim qui pouvait le mettre dans cet état-là.
Désolé, Harry piqua un biscuit dans l'assiette que Mark lui avait apportée et se remit à discuter joyeusement avec lui. Mais du coin de l'œil, il vit la main de l'aristocrate se poser sur la cuisse du vampire et la caresser doucement. Lucius se permettait rarement des gestes de tendresse en public – encore moins avec Severus qu'avec lui – mais il semblait avoir perçu lui aussi sa tension larvée et tentait de l'apaiser comme il le pouvait. Severus secoua la tête comme pour chasser ses idées noires, pivota légèrement sur le côté et passa son bras sur le dossier du canapé pour aller jouer distraitement avec les cheveux de Lucius. Et ce geste-là, plus que tout, était étonnant.
Mais son mouvement avait attiré l'attention des deux gros chatons de Mark qui se roulaient à leurs pieds en cherchant les caresses et ils s'approchèrent des jambes croisées de Severus avec circonspection. Aussitôt, celui-ci se tendit à nouveau, presque contracté dans l'attente de leur réaction, alors qu'ils ne faisaient que remuer la queue dans des circonvolutions de fourrure et pencher la tête pour sentir ses chaussures et son pantalon. L'un des deux se désintéressa rapidement de la question et repartit se rouler sur le tapis, mais l'autre, plus curieux – ou courageux –, sauta sur le canapé avec légèreté.
Tout le monde discutait et personne n'observait la scène, mais du coin de l'œil, Harry aperçut son vampire tendre imperceptiblement les doigts vers le chaton pour se laisser sentir. Les moustaches frémissantes et les oreilles droites, le chat, plus intrigué qu'effrayé, huma longuement l'odeur de Severus qui restait figé comme dans l'attente d'un verdict. Et Harry fut frappé par l'évidence que ce moment était important pour son vampire.
Depuis sa transformation, Orion le fuyait comme la peste, s'éloignant dès qu'il s'approchait, lui crachant dessus dès qu'il faisait mine d'insister. Severus n'en disait rien de plus que de le traiter de « fichu chat », mais Harry savait que la défection de son animal de compagnie avait beaucoup meurtri le vampire. Un rappel de plus de sa condition, de son anormalité, et malgré son côté anecdotique ou risible, cette défiance avait été très amère pour Severus.
Mais aujourd'hui, le chaton de Mark semblait plus téméraire, ou inconscient, et il posa une patte prudente sur la cuisse du vampire pour aller sentir sa chemise, tandis que la main de Severus s'approchait avec hésitation de la fourrure brune et noire. Il y eut un moment suspendu qui sembla infiniment long, puis en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, le chaton s'enroula sur les genoux de Severus et celui-ci avait sa main plongée dans sa fourrure soyeuse. Et à voir son visage transformé, le vampire en était aussi ravi que soulagé. Il ne souriait pourtant pas, mais quelque chose dans son regard presque rougeoyant rayonnait de satisfaction. Comme une revanche sur la désertion d'Orion…
Harry sourit en aparté, envahi d'un grand élan de tendresse pour son vampire, et Lucius pressa doucement la cuisse de son mari.
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La soirée se poursuivit, plus douce, plus chaleureuse, avec une impression d'intimité étonnante, puis Harry sentit venir le moment où chacun allait vouloir se coucher, se rouler dans les bras de son partenaire et s'endormir. Sauf Severus…
Délogeant le chaton à moitié couché sur lui, Harry se leva et prit la main de son vampire.
– Vous nous excuserez un moment, dit-il en l'incitant à se lever.
Il n'en fallait pas plus pour que tout le monde comprenne, en particulier Severus, et la sensation aiguë de la faim de son vampire vrilla brusquement son ventre.
Harry se souvenait de la configuration de l'appartement et il entraîna rapidement Severus vers la chambre que Mark leur avait dévolue pour la nuit. Il referma la porte derrière eux et jeta malgré tout un sortilège dessus. Que Lucius les surprenne en pleine morsure était à peine concevable… il était encore plus impensable que l'un ou l'autre de leurs hôtes ne vienne demander s'ils avaient besoin de quelque chose. Puis d'une volute de magie, il ferma les rideaux sur la fenêtre pour que personne ne les voie de l'extérieur.
Cela fait, Severus parut vouloir reprendre la main sur la situation et il poussa doucement Harry contre le mur à côté du lit.
– Je n'en ai pas pour longtemps, murmura-t-il en enfouissant déjà son visage dans son cou.
– Non, pas comme ça, protesta Harry. J'ai besoin qu'on prenne le temps… et toi aussi.
Severus se recula légèrement et plongea son regard rougeoyant dans le sien. Il était toujours un peu inquiétant ainsi, au plus près du côté sauvage et indomptable du vampire, mais Harry avait une confiance démesurée en lui.
Il le prit par la main et le tira vers le lit tout en s'allongeant. Il s'était installé sur le côté, les jambes repliées, une main sous l'oreiller… une position idéale pour que Severus vienne l'enlacer et se coller contre son dos. Et c'est ce qu'il fit, un bras en travers de son ventre pour le rapprocher de lui, dans une étreinte qui n'existait plus entre eux depuis longtemps.
– Je… C'est déjà assez bizarre de faire ça ailleurs qu'au Manoir, murmura Harry. J'ai besoin… que ce soit calme.
La main sur son ventre remonta légèrement et Severus esquissa une caresse sur son bras.
– Pourtant, je t'avais mordu en Provence…
– C'est différent. C'est aussi chez nous. Ici… je trouve ça un peu dérangeant.
Severus enfouit son nez dans les cheveux sur sa nuque mais sa bouche restait loin de son cou, loin de l'endroit de la morsure.
– Je peux attendre qu'on soit rentrés au Manoir, si tu préfères.
– Non. Tu as faim. J'ai besoin que tu me mordes et tu as besoin de le faire aussi. Je vois bien que tu n'es pas tranquille depuis qu'on est arrivés… Tu regrettes d'être venu ?
Severus se crispa un instant puis soupira en le serrant un peu plus contre lui.
– Ce n'est pas ça, je suis content de les voir et d'être ici. C'est juste… C'est compliqué de revenir et d'être ici en tant que vampire. Tout ce qui a changé, tout ce qui ne peut plus être pareil… Les murmures des gens au restaurant, ne pas pouvoir partager un repas ou une coupe de champagne avec vous, avoir besoin que tu me nourrisses… Au Manoir, je me suis habitué; l'endroit est différent, plus familier, plus réconfortant; comme tu dis, c'est chez nous. Ici… je suis comme toi, je me sens moins à l'aise.
Harry posa sa main sur le bras qui ceinturait son ventre et hocha imperceptiblement la tête. Il comprenait cette sensation d'étrangeté qui le déstabilisait un peu lui aussi. Vivre dans le cocon du Manoir, même s'ils sortaient régulièrement à des réceptions et des spectacles, était différent de revenir et de vivre dans des lieux où ils avaient été autre chose.
– Mais il y a les chats...
– Mais il y a les chats, acquiesça le vampire avec un sourire dans la voix.
– Mords-moi. Ça nous fera du bien…
Et Severus le mordit, avec une douceur singulière et appréciable.
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Quand ils revinrent dans le salon, un moment plus tard, Mark bâillait derrière sa main à s'en décrocher la mâchoire. Rapidement, tout le monde se leva, plutôt désireux d'aller se coucher, tout en évitant les regards trop insistants sur le visage transformé et les lèvres vermeilles de Severus.
– Qu'est-ce vous allez faire toute la nuit ? s'inquiéta Håkon. Vous avez bien entendu toute la bibliothèque à votre disposition mais…
– Je vais sans doute aller faire un tour, fit Severus en glissant une caresse à un des chatons. Je profite souvent de la nuit pour pouvoir me promener plus librement…
– Dans ce cas, je vais vous ajouter aux sortilèges de protection de l'appartement, que vous puissiez aller et venir à votre guise.
Une fois fait, ils se saluèrent tous les uns les autres en se souhaitant une bonne nuit. Harry avait déjà l'impression de dormir debout et en relâchant son étreinte envers Mark, il songea qu'il se serait bien endormi la tête sur son épaule.
Un peu plus loin, au fond du couloir, Lucius avait enlacé la taille de Severus et embrassait ses lèvres avec une certaine possessivité.
– Et ne fais pas l'idiot, murmura-t-il.
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oooooo
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Harry se réveilla tôt le lendemain matin, de fort bonne humeur mais avec la faim au ventre. Le jour n'était pas encore complètement levé et ce qu'il devina de l'extérieur en écartant à peine le rideau semblait humide et brumeux. Tandis que Lucius dormait encore, il partit se réchauffer sous une douche brûlante et s'habilla rapidement avant de se diriger en silence vers le salon.
À son arrivée, une boule de poils se faufila entre ses jambes à la recherche d'attention et de caresses et il entendit quelqu'un – sans doute Håkon, puisque Mark était une vraie marmotte – s'affairer dans la cuisine.
Harry glissa une caresse au chat puis une main fugace sur l'épaule de Severus qui lisait tranquillement dans le canapé, l'autre chaton lové en rond sur ses cuisses au point qu'on voyait à peine dépasser une moustache. Le vampire leva la tête pour lui sourire. Les rideaux étaient encore tirés mais à la lumière diffuse des lampes du salon, Harry lui trouva des lèvres plus pâles qu'il ne l'aurait songé.
– Alors, pas de piscine ce matin ?
– J'ai hésité à aller nager dans la Seine, ricana Severus. Mais la couleur de l'eau ne m'inspirait pas...
Harry grimaça devant cette idée saugrenue. Au-delà de la propreté toute relative de l'eau, elle devait être glaciale et cette pensée lui arracha un long frisson.
– … En revanche, j'ai ramené du pain frais et des viennoiseries.
– Oh, Merlin ! s'exclama Harry en ouvrant des yeux ronds et affamés. Tu es formidable ! Je me disais bien que je sentais une bonne odeur de pain chaud ! Pour la peine, tu auras droit à une ration de sang supplémentaire !
– Ce ne serait pas de refus, grimaça Severus à son tour. La nuit était tellement glaciale que j'ai consommé plus de magie qu'en deux ou trois jours habituellement !
Effectivement, il sentait bien la sensation de faim de son vampire, alors même qu'il l'avait mordu quelques heures auparavant. Harry fronça les sourcils et chassa rapidement de son esprit l'idée qu'il ne l'avait pas nourri correctement.
– Je croyais que tu n'étais pas sensible au froid.
– Le froid et la chaleur ne me sont pas douloureux ou pénibles comme ils peuvent l'être pour vous, mais supporter des conditions « extrêmes » me coûte davantage d'énergie et de magie que pour un temps plus clément… Et comme mon énergie et ma magie ne proviennent que d'une seule source : ton sang, j'ai déjà un peu faim…
L'euphémisme était de taille et Harry attrapa le bras de son vampire pour le tirer sans ménagement. Le chaton sur ses genoux feula de se sentir bousculé et sauta à bas du canapé.
– Va prendre ton petit-déjeuner, bougonna Severus en secouant son bras, peu ravi de se voir ainsi entraîner. Ça n'a rien d'urgent ! Tu ferais mieux d'aller profiter du pain tant qu'il est encore chaud et croustillant.
Harry ne trouva même pas utile de répondre. Severus essayait de le prendre par la gourmandise et les sentiments, mais ça ne marchait pas une seconde. En quelques instants, ils se retrouvèrent dans le couloir de l'appartement, Harry brusquement hésitant et incertain de la conduite à tenir. Ils n'étaient pas chez eux, et dans la seule pièce où ils pouvaient s'isoler, Lucius était supposé dormir.
Et puis soudain, devant la porte, il entendit couler l'eau de la douche et sa décision fut prise.
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Lucius était dans la salle de bains attenante, en train de se laver, nu comme un ver, et eux étaient là, dans la chambre, debout contre un mur, tandis que Severus buvait, les crocs plantés dans son cou. À une porte de distance. Quelques mètres et quelques dizaines de battements de cœur échevelés de distance.
Et pourtant, malgré la précipitation, malgré le petit coup vite fait et improvisé, malgré la proximité périlleuse de Lucius, Severus restait extrêmement sobre dans son comportement. Il buvait doucement, sans précipitation, sans excitation malvenue, sans gestes déplacés, un bras levé tendu contre le mur et l'autre main posée tranquillement sur la hanche de son calice. Les yeux fermés et le visage niché dans son cou. Et malgré sa propre faim, malgré le risque, malgré le tabou, Harry se sentait incroyablement détendu.
Au point de ne pas prêter attention au silence quand la douche s'arrêta de couler.
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Ce fut la porte de la salle de bains qui grinça légèrement et surtout les mots de Lucius qui les tirèrent de leur étreinte béate.
– Merde ! Désolé ! Je ne savais pas…, s'exclama-t-il avant de relâcher un souffle bruyant qui tenait presque du gémissement. Salazar ! Je vais retourner prendre une douche et si l'un de vous deux veut me rejoindre, il sera le bienvenu !
Tandis que les lèvres de Severus sur sa peau s'étiraient en un sourire, Harry geignit pitoyablement. Il se sentait écrasé par un violent sentiment de honte et d'humiliation, une impudeur qui semblait presque déshonorante. Alors que Severus retirait ses canines et effaçait les plaies d'un coup de langue, Harry ferma les yeux et détourna la tête. Il savait que c'était le calice en lui qui réagissait instinctivement et le faisait se sentir si misérable, mais il ne pouvait pas lutter contre ça. Il avait beau savoir que c'était Lucius, il se sentait indigne et méprisable.
Mais Severus le prit par le menton, l'obligea doucement à tourner la tête jusqu'à croiser son regard, et Harry plongea dans ces yeux rouges où brillait la flamme de la vie que venait de rallumer son sang.
– N'aie jamais honte, murmura sa voix rauque. Jamais. Malgré tout, tu as choisi de me nourrir chaque jour et à chaque fois que j'en ai envie ou besoin… Ce que tu fais est d'une générosité incroyable. Je ne vis que grâce à toi... Tu n'as certainement pas à en avoir honte.
La force de conviction du vampire était presque aussi pesante que s'il avait déployé son aura, et à cet instant, Harry avait bien conscience que c'était le côté le plus sauvage et le plus primitif de Severus qui parlait. Et pourtant… Ces mots-là vibraient en lui avec une résonance particulière.
– … Lucius fait partie de nous.
Comme une absolution à ce dont il venait d'être témoin, comme si le vampire consentait à ce geste tabou devant celui qui partageait leur vie… Harry ferma les yeux et sentit couler en lui un grand vent de fraîcheur et de soulagement.
Severus le prit quelques instants dans ses bras, dans une étreinte pleine de tendresse et de bienveillance, et quand il le relâcha, ses yeux étaient redevenus aussi noirs que de l'encre.
– Tu veux aller le rejoindre ?
Harry n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que son estomac gronda avec force et répondit à sa place. Il sourit en voyant le sourire s'étirer sur les lèvres vermeilles de son vampire.
– Je crois que je vais aller manger avant de défaillir sur place. Et toi, tu devrais te dévouer pour aller le rejoindre…
Le sourire de Severus s'élargit un peu plus et son regard transpirait d'affection et d'attachement. Une main caressa fugacement son bras puis Harry se décolla du mur et se dirigea vers la porte de la chambre.
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Lucius lissa ses cheveux en arrière pour en chasser l'eau puis passa sa main sur son visage. Son excitation s'était doucement calmée mais il n'en revenait toujours pas de ce qu'il venait de voir dans la chambre quelques instants plus tôt. Ses deux maris, enlacés dans l'étreinte d'une morsure, physiquement plus proches qu'il ne les avait vus depuis des mois, et le visage profondément apaisé et presque extatique de Harry… Une sorte de plénitude renversante sur ses traits qu'il semblait ne jamais avoir atteinte auparavant, ni dans la vie de tous les jours, ni dans le sexe, ni même dans ces moments particuliers dans l'antichambre où il planait dans les cordes. Quelque chose qu'il n'atteignait qu'avec Severus et Lucius en fut presque un peu jaloux.
Il sursauta quand deux mains le prirent au niveau de la taille et le tirèrent brutalement en arrière contre un torse ferme, puis il sourit. Les yeux fermés et face au mur, le bruit de l'eau jaillissant autour de lui, il n'avait strictement rien entendu mais il savait déjà qui était venu le rejoindre. Un peu trop grand et un peu trop brusque dans ses gestes pour être Harry, une érection un peu trop conséquente appuyée contre ses fesses, et surtout, il n'y avait que Severus pour venir nicher son visage dans son cou, égratignant sa peau de ses dents comme s'il voulait le mordre à son tour.
Lucius se tourna pour faire face à son mari et le repoussa contre le carrelage glacé du mur tout en saisissant ses lèvres d'un baiser exigeant.
– Harry serait bien venu aussi mais je crois qu'il avait trop faim pour ça, ricana Severus entre deux baisers. Alors, je me suis dévoué…
– La nourriture plus intéressante que du sexe, grimaça Lucius. Je ne suis même plus capable de rivaliser avec un croissant et un bout de pain frais.
Severus avait souri devant son ironie désabusée, puis il secoua la tête pour chasser l'eau de son visage. Avec sa peau si pâle et ses lèvres vermeilles, presque pourpres, brillantes des gouttes d'eau projetées par le jet de la douche, il était magnifique. Sa bouche avait la couleur d'une cerise bien mûre, ronde, charnue, délectable, et Lucius pencha la tête pour l'embrasser à nouveau. Son sexe comprimé entre leurs deux corps avait retrouvé du volume et il sentit la main de Severus se faufiler entre eux pour saisir leurs deux érections d'une même poigne, le faisant gémir malgré lui. La sensation était divine : la pression de sa main, le frottement de leurs deux sexes l'un contre l'autre, le mouvement de va-et-vient de ses doigts… Lucius se cambra légèrement et baissa les yeux pour profiter du spectacle.
– Bon sang ! Qu'est-ce que c'est que ça ?!
Sur le flanc gauche de Severus, de sa hanche jusqu'au milieu des côtes, s'étalait une immense auréole rosée sur sa peau blanche, parcourue de marbrures violacées qui s'étiraient en ramifications complexes vers son ventre et son dos. Tout dans son aspect strié, veiné depuis le point d'impact, désignait le résultat d'un sortilège ou d'une magie quelconque et vraisemblablement bien sombre.
– Ce n'est rien, fit Severus en glissant son bras autour de sa taille pour le rapprocher à nouveau de lui. Harry vient de me nourrir, ça va disparaître dans quelques minutes…
Si elle n'allait mettre que quelques minutes à disparaître, il n'osait imaginer l'aspect de la blessure lorsque Severus l'avait reçue et jusqu'à pouvoir mordre Harry.
– Salazar ! Mais qu'est-ce que tu as foutu cette nuit ?! gronda Lucius, toute excitation disparue.
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Lorsque Lucius pénétra dans la cuisine, il fut accueilli par une bonne odeur de pain frais et de café. Il salua chaleureusement Håkon puis se pencha pour embrasser Harry, assis à la table du petit déjeuner, qui épluchait consciencieusement une orange. Et à en juger par le tas d'épluchures devant lui et le goût légèrement acidulé de ses lèvres, il n'en était pas à sa première.
Lucius s'attarda plus que de raison sur ce premier baiser du matin, une main glissée sur la nuque de son jeune mari. Il était gêné par la présence de Håkon mais il ne voulait pas le laisser paraître, et il se sentait tout de même obligé de s'excuser auprès de Harry d'avoir été témoin de sa morsure.
– Je suis désolé pour tout à l'heure, murmura-t-il à son oreille. Je ne savais pas que vous étiez là, je ne vous avais pas entendu entrer dans la chambre et…
– Ça va, fit Harry avec un sourire serein en levant ses yeux verts vers lui. Ce n'est rien. Ça m'a un peu troublé sur le moment, mais ça va… Je devrais y survivre.
Lucius gloussa devant l'ironie et le sourire narquois du jeune homme; il pressa affectueusement sa nuque et glissa un baiser sur son front mais il n'était pas tout à fait rassuré malgré tout. L'endroit et le moment étaient peu propices à une plus longue discussion sur le sujet; il savait cependant qu'ils y reviendraient, plus tard, plus longuement, plus en détails… Pour l'heure, ces quelques mots et surtout l'attitude désinvolte de Harry suffisaient à atténuer sa légère culpabilité.
– Je vous sers un thé ? proposa Håkon tandis qu'il se redressait.
– Avec plaisir, répondit Lucius.
Il tira une chaise pour s'asseoir, dérangeant un des chatons qui y faisait visiblement sa sieste et lorgna sur la table couverte de pains frais, de viennoiseries et de fruits. Avant de rentrer de son excursion nocturne, Severus avait visiblement fait un détour par la boulangerie et le premier marché du matin pour le plus grand bonheur de son calice.
– Où est Severus ? s'enquit Harry en attrapant une nouvelle orange.
– Il est resté dans la chambre, il s'est allongé un peu avec une petite collection de livres à bouquiner…
– A-t-il besoin de quelque chose ? s'inquiéta Håkon.
– Non, rien du tout, répondit Lucius. Parfois, il apprécie simplement de pouvoir s'allonger… Et je pense qu'il a assez de lecture pour tenir la matinée, puisqu'il ne veut pas nous accompagner pour faire les boutiques ! Et Mark, d'ailleurs ? Il n'est pas encore debout ?
– Non, ricana Håkon. Mais je crois que si vous allez le réveiller avec une bonne tasse de café et en lui murmurant à l'oreille le nom des boutiques que vous allez faire, il devrait sauter du lit en quelques secondes !
– Je m'en charge ! gloussa Harry en se levant d'un bond.
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Lucius soupira d'aise en s'installant dans le canapé mis à disposition des clients pendant que Harry et Mark furetaient ensemble dans les rayonnages de vêtements. Il aimait cet univers de luxe, d'apparat et de lumière, mais aujourd'hui, il trouvait tout cela un peu trop bruyant et étourdissant. Il vieillissait, peut-être… ou bien venir un samedi, quelques semaines avant Noël, dans un grand magasin parisien n'était peut-être pas une riche idée. Mais il avait voulu faire plaisir à Mark et Harry, il semblait que c'était le cas et c'était tout ce qui importait.
– Je vous offre un café pour patienter, Monsieur ? proposa obligeamment la vendeuse principale.
– Plutôt une tasse de thé, s'il-vous-plaît.
– Bien entendu. Je vais vous trouver ça, fit-elle avec un grand sourire et dans un anglais impeccable.
C'était sans doute un peu vaniteux, mais c'était une des choses qu'il appréciait le plus dans ce genre d'univers, même du côté moldu : la reconnaissance instantanée de son rang et de ce qu'il était – celui qui détenait le portefeuille –, mais aussi ce service immédiat, parfait, irréprochable. Quelque chose qui tenait de l'excellence et d'une élégance chic, une certaine idée du prestige… Avec le temps et avec Harry, il avait appris à aimer des choses plus simples, plus dépouillées, mais ce petit retour aux sources lui faisait toujours beaucoup de bien. C'était son univers.
Pas celui de Harry, vu la façon dont il avait ouvert des yeux ronds en pénétrant dans le grand magasin clinquant de lumières et de dorures, et en découvrant l'immense sapin de Noël sous la coupole. Déjà, il avait été plus que surpris en voyant s'arrêter devant l'ambassade la voiture avec chauffeur qui les avait conduits jusqu'ici et Lucius avait roulé des yeux devant son hésitation à monter dedans. Il oubliait parfois la vie si particulière qu'avait eue Harry depuis son adolescence : ou complètement dans le monde magique, ou dans un monde moldu si loin du moderniste que le mot voiture ne faisait même pas partie du vocabulaire… Lui, il avait été élevé dans le monde traditionnel et traditionaliste des Sangs-Purs, mais rien de ce qui était lié au pouvoir et à l'argent ne lui était étranger, fût-ce dans le monde moldu.
– Bon sang, tout ça est horriblement cher ! grimaça Harry en venant s'affaler dans le canapé à côté de lui.
– Et ça n'a pas la moindre espèce d'importance, répondit Lucius en lissant son pantalon sur ses jambes croisées. Va essayer ce pantalon que tu as regardé au moins trois fois !
– Chériii, regarde cette veste ! gloussa Mark depuis un portant de vêtements. Je suis sûr que tu serais à tomber dedans !
Harry eut un sourire contrit puis se redressa pour rejoindre le jeune homme tandis que Lucius remerciait d'un signe de tête un des vendeurs qui lui apportait une tasse, une théière fumante et un sucrier sur un plateau en argent. Puis il sourit pour lui seul. Cela, c'était appréciable aussi : pouvoir passer aux yeux de tous pour un dandy qui venait couvrir de cadeaux son ou ses amants bien plus jeunes que lui sans avoir rien à faire de l'opinion des gens. Ne plus avoir à se cacher, à s'inquiéter de ce que les vendeurs, les passants, les autres clients, pouvaient comprendre ou deviner, de ce qu'ils pourraient dire sur son compte ou derrière son dos, de ce qui pourrait nuire à sa réputation et à sa position.
Aujourd'hui, il était marié à un homme – et même à un vampire – et il n'avait plus à cacher le moindre regard, le moindre geste de tendresse qu'il pouvait avoir vis à vis de Harry, et il pouvait même l'embrasser au vu et au su de tout le monde sans rien craindre en retour. Cette liberté nouvelle d'être, sans avoir à paraître ce qu'il n'était pas, était un vrai bonheur, une vraie respiration.
Et il fut obligé de respirer profondément pour cacher son trouble quand Harry sortit de la cabine d'essayage, un peu gauche et beau à damner un saint.
La vendeuse principale s'approcha de lui, réajusta la ceinture qui bâillait un peu dans le dos, corrigea le tomber du pantalon, les épaules de la veste, les poignets de la chemise… Des gestes professionnels, fluides et connaisseurs, que Lucius appréciait également.
– La veste est parfaite. Le pantalon est très bien mais un peu lâche dans le dos, pas assez… ajusté, pas assez arrondi, commenta-t-il sans pouvoir s'empêcher de sourire devant ce qu'il suggérait.
La vendeuse sourit également et ils échangèrent un long regard puis elle prit Harry par le bras et le ramena vers la cabine d'essayage avant de revenir attraper quelques vêtements bien précis à lui faire essayer.
– Mark, tu devais regarder pour toi aussi et pas seulement pour Harry !
Mark gloussa et se rapprocha de lui tout en effleurant du bout des doigts les tissus précieux sur les portants.
– Håkon va râler si je reviens avec ce genre de choses…
– Tu lui diras que c'est une avance sur salaire, fit Lucius en se penchant pour se servir son thé.
– Tu me paies en nature, maintenant ? gloussa Mark.
Lucius leva vers lui un regard brillant et amusé. Nul doute que s'ils avaient été seuls et pas au beau milieu d'un magasin avec des clients qui passaient de part et d'autre, Mark serait venu s'asseoir sur ses genoux et flirter comme autrefois.
– Je t'ai longtemps payé en nature aussi… J'ignorais que tu n'avais pas apprécié.
– Mais je suis un homme marié, maintenant.
– Alors va te faire plaisir là-dedans, grimaça Lucius en désignant les vêtements de marque du menton. Puisque je ne peux plus le faire autrement !
– Je vous entends ! gloussa Harry en passant la tête par le rideau de la cabine d'essayage.
Lucius soupira avec un rien de frustration; il serait bien allé rejoindre Harry à l'intérieur de la cabine s'il n'avait pas aperçu le sourire piquant de la vendeuse derrière le rideau. Bon sang, c'était un vrai fantasme que de se cacher là, à proximité de tant de gens, pour se donner du plaisir mutuellement ou pour une petite fellation rapide ! Il imaginait trop bien Harry à genoux devant lui, à peine dissimulé par le rideau, et leurs soupirs camouflés par le brouhaha de la musique d'ambiance et des conversations… Ça faisait d'ailleurs bien trop longtemps que Harry n'avait pas été à genoux devant lui, quel que soit l'endroit… et pourtant cette vendeuse était celle qui le voyait à demi-nu en ce moment !
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Et pourtant, la frustration fut payante car à chaque fois que Harry sortit de la cabine entre deux de ses fantasmes, sa tenue était parfaite. D'une élégance rare, ajustée comme si les pantalons avaient été faits sur mesure, une coupe irréprochable, un style qui lui allait parfaitement bien et son désir qui allait crescendo.
Tout en savourant son thé pour se donner une contenance, Lucius fit mettre de côté tout ce que Harry venait d'essayer et envoya à son tour Mark en cabine avec la vendeuse.
– Pourquoi as-tu l'air si grognon, tout à coup ? fit Harry en venant s'asseoir à ses côtés.
– Parce que tout ça me donne plutôt envie de te déshabiller, que ce n'est ni le lieu, ni le moment, et que ce ne le sera pas avant Merlin sait quand !
Harry ricana sans pitié et se tourna vers lui, un coude replié sur le dossier du canapé et la main sous sa tête.
– Severus n'a pas suffi à te calmer, ce matin ?
Lucius chassa aussitôt de son esprit cette petite gâterie avortée et repensa plutôt à la morsure qui l'avait précédée. Il fronça les sourcils, reprenant un air sérieux, et murmura :
– Tu es sûr que tu ne m'en veux pas de vous avoir vus ? Je sais que c'est quelque chose qui te met mal-à-l'aise…
– Bien évidemment que je ne t'en veux pas ! Je ne ferai pas ça exprès tous les jours mais tu ne pouvais pas savoir, et puis c'est un peu de notre faute… Severus en avait besoin mais on ne savait pas trop où aller pour faire ça et… On dirait que je parle d'un truc cochon ! grimaça Harry en ricanant.
Lucius se laissa aller à sourire. Harry se permettait même d'en plaisanter... Et personnellement, il avait toujours eu dans l'idée que ces morsures étaient une forme de rapports charnels entre le calice et son vampire.
– En tout cas, c'était foutrement érotique, marmonna-t-il en prenant conscience du sang qui pulsait dans son bas-ventre au souvenir de ces images. Ne pas vous rejoindre était une vraie torture.
– Je ne sais pas si j'aurais apprécié que tu nous rejoignes, fit Harry pensivement. C'est encore trop… tabou dans mon esprit. En revanche, je constate que ça continue à te faire de l'effet !
Un doigt taquin avait glissé sur son entrejambe et retraçait lentement la couture de son pantalon en cherchant à se glisser toujours plus bas et Lucius fut tenté d'ouvrir les cuisses pour le laisser faire.
– Bon sang, Harry !
D'un geste brusque, il saisit la main trop aventureuse et la pressa violemment sur son sexe gonflé tout en étouffant un gémissement de désir sur les lèvres du jeune homme.
– Un peu de tenue, tous les deux ! gloussa Mark en ouvrant grand le rideau de la cabine d'essayage. Ou bien je vais chercher un seau de pop-corn et on vous regarde vous tripoter comme des ados !
Il jeta un regard complice à la vendeuse qui dissimulait mal son immense sourire mais qui tentait de garder une attitude professionnelle. Puis Mark sortit de la cabine et parada devant eux comme s'il défilait sur un podium, avec force déhanchés, mains sur les hanches ou bras en l'air, attitudes provocantes et moues délicieuses. Lucius secoua doucement la tête avec un sourire amusé et presque attendri tandis que Harry éclatait de rire.
– Tu as de la chance d'être marié, toi aussi, sinon tu aurais bien pu finir allongé sur un lit ou un canapé !
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Lucius s'approcha du comptoir où un vendeur jusque là resté discret s'occupait d'empaqueter tous les vêtements choisis par Mark et Harry. La vendeuse, elle, était en train d'établir sa note et elle prit avec un regard sobre mais appréciateur la petite carte noire et dorée pour le faire payer.
– Nous devons aller déjeuner, fit Lucius en tapant le code sur le boîtier numérique. Vous serait-il possible de faire livrer ces paquets à l'attention de Monsieur Håkon Sørensen, à l'ambassade de Norvège ? Nous y sommes de passage…
La vendeuse eut un mouvement de surprise; ce n'était certainement pas dans ses attributions mais ce n'était pas non plus la première fois qu'elle avait affaire aux exigences de clients fortunés.
– Je m'en occupe. Vous pouvez compter sur moi.
– Je n'en doute pas, sourit Lucius en posant quelques billets sur le comptoir, accompagnés de sa carte de visite. Si un jour vous cherchez du travail en Angleterre, contactez-moi…
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– Merlin ! gloussa Mark nonchalamment installé sur le canapé. Si je ne le savais pas complètement gay et amoureux de toi, je croirais qu'il s'est entiché de cette petite vendeuse !… Et maintenant, il distribue les billets comme des bouts de papier ! Tu crois que je dois l'inclure dans quelle ligne de compte, cette dépense-là ? Frais de transports ou frais vestimentaires ?
– Frais de relations publiques ? suggéra Harry avant d'éclater de rire.
– Tu as raison ! fit Mark en secouant la tête devant son oubli. Je crois qu'il y a une ligne Divers : Pourboires et dons courants… Pfff, l'argent lui brûle les doigts en ce moment. Et Håkon va vraiment m'en vouloir quand il verra ce que Lucius m'a acheté… Déjà qu'il a payé le restaurant hier soir !
– Il n'a pas apprécié ? s'inquiéta Harry en tournant la tête vers Mark qui grimaça sans répondre.
– On dîne au Manoir au moins une fois par semaine ! Pour une fois que c'est vous qui veniez..., fit-il avant de hausser les épaules. Je lui dirai que j'ai accepté pour la bonne cause, que Lucius avait besoin de se changer les idées… En tout cas, ça a marché, il a l'air de meilleure humeur que ce matin.
Cette fois, Harry fronça vraiment les sourcils.
– Pourquoi de meilleure humeur ?
– Je l'ai entendu se disputer avec Severus dans la salle de bains; ma chambre est juste derrière… Je n'ai pas compris ce qu'ils se disaient, mais Lucius avait l'air furieux.
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Les mots de Mark avaient laissé Harry songeur pendant le déjeuner, même s'il s'était efforcé de n'en rien montrer et de paraître aussi enjoué qu'à l'ordinaire. Même en sachant que quelque chose s'était produit quelques heures plus tôt entre ses deux « conjoints », il ne relevait rien de particulier dans l'attitude de Lucius, ni amertume, ni contrariété, rien qui puisse laisser croire à cette dispute matinale. Il les avait pourtant laissés dans de bonnes dispositions tous les deux, Lucius à fantasmer sur la morsure dont il venait d'être témoin, et Severus repu de sang mais avec une excitation inassouvie. Si même le sexe n'allait plus entre ces deux-là !…
Quand ils retournèrent à l'ambassade après le déjeuner, pour récupérer Severus et Håkon qui avait dû travailler pendant la matinée, le vampire ne paraissait pas plus contrarié, ni de mauvaise humeur que Lucius. Harry le trouva assis sur le lit de la chambre, les rideaux tirés et un livre ouvert entre les mains. Mais de toute évidence, il savourait bien plus la présence tranquille des deux chatons de Mark que sa lecture. L'un était enroulé sur ses cuisses et l'autre lové contre lui, deux grosses boules de poils ronronnantes dans lesquelles sa main passait à tour de rôle et avec délectation. Et quand il se leva pour les rejoindre, Severus sembla le faire avec regrets.
Mais de toute évidence, lui et Lucius s'ignoraient assez superbement. De façon assez discrète pour ne pas être perçue par Mark ou Håkon, mais Harry aurait pu parier qu'ils étaient loin de pouvoir s'enlacer et s'embrasser comme ils l'avaient fait la veille au soir dans le couloir au moment d'aller se coucher.
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L'après-midi fut pourtant agréable et l'exposition du Musée d'Orsay suffisamment attrayante pour que le conflit latent entre ses deux « conjoints » ne finisse par se dissiper devant trois tableaux et deux sculptures de nus masculins. Une légèreté bienvenue, des sourires, quelques regards intéressés et un soupçon d'effervescence et de désir. Et les commentaires de Mark, toujours à mi-voix, toujours futiles et pourtant si drôles que Harry en avait parfois les larmes aux yeux.
Ils rentrèrent à l'ambassade en fin d'après-midi, pour prendre un dernier verre et dîner tranquillement. Et tandis que Lucius, Håkon et Severus partaient de leur côté voir une pièce de théâtre, Mark et Harry transplanèrent pour rejoindre un bar gay dans le Marais avant d'aller danser.
La nuit fut longue, colorée, ivre de sueur, de lumières, de corps presque nus et de cocktails. Mais en ramenant Mark au petit matin, Harry, qui lui n'avait pas bu une goutte d'alcool, hésitait toujours à savoir si c'était bien Severus qu'il avait cru apercevoir une ou deux fois dans la foule cosmopolite.
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(1) Philip Glass: BO de The Hours (The Poet Acts) ou bien BO de Tales from the Loop (Walk to School)
Merci de votre lecture et n'hésitez pas à laisser un commentaire!
La semaine prochaine, on entendra beaucoup parler de Mihai ;)
Au plaisir
La vieille aux chats
