Résumé: Lors de leur séjour à Colibita, la relation entre Harry et Severus fait un bond en avant: Severus avoue à son calice qu'il n'a jamais cessé de l'aimer, les morsures prennent un aspect de plus en plus physique, voire charnel, et la tendresse leur fait même passer du temps ensemble dans un lit. Parallèlement, Severus demande à Harry de lui donner un peu de sang qu'il offre à Mihai en échange d'un service dont on ne sait rien. Mihai accepte, retrouve son apparence et son espièglerie habituelles, et promet à Harry de venir un jour au Manoir...
On va enchaîner quelques chapitres plus courts, à présent, avec aujourd'hui, un difficile retour à la réalité. Bonne lecture!
(ça faisait longtemps que le site n'était pas tombé en panne! ^^ J'espère que vous aurez accès à ce chapitre avant la fin du week-end!)
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Severus ferma les yeux une seconde pour mieux s'imprégner des bruits et des odeurs qui l'assaillaient. Le Manoir… Tout un univers de sons, de craquements de bois, de grincements de parquet, du chuintement feutré des rideaux et des tentures, du claquement sonore des chaussures sur le marbre des sols… Les murmures toujours inquiets des elfes, le sifflement du vent dans les cheminées et quelque part, les battements de cœur de son mari. Et son parfum.
Merlin. Comme Lucius lui avait manqué, à lui aussi… L'odeur de sa peau, l'éclat d'or de ses cheveux et son regard perçant. Cet esprit vif, acéré avec lequel il partageait sa vie depuis tant d'années. Vivre avec Lucius était comme une seconde peau, quelque chose de si naturel que l'assurance précieuse et la solidité de son mari faisaient partie de lui…
Mais ils s'étaient quittés sur des mots durs, amers, et son sixième sens lui disait que leur absence n'avait rien réglé.
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À ses côtés, Harry, lui, transpirait l'insouciance et la légèreté. Il avait joyeusement salué l'elfe de maison en faction dans le vestibule du Hall d'entrée et il suspendait maintenant son manteau à une patère tandis que l'elfe lui ramenait une paire de chaussures d'intérieur. Un échange de mots futiles, un gloussement, les bruits étouffés de son calice qui ôtait ses bottes, puis son écharpe, qu'il avait oubliée et qui lui laissa les cheveux en pagaille… Et puis un rire et une pression de la main sur son bras, qui réveilla Severus de ses pensées sombres.
– Eh bien ?! Tu ne vas pas garder ta cape dans la maison, quand même ?!
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D'un pas joyeux pour Harry et lourd pour lui, ils remontaient le Hall puis le couloir en direction du Petit Salon où, selon l'elfe de maison, se trouvait Lucius. Severus fronça les sourcils et soupira. Bon sang, il avait l'impression de monter à l'échafaud. Il était tout aussi impatient que réticent à l'idée de retrouver son mari et il se méprisait de ressentir cela.
Il aurait voulu être comme Harry, pressé, enthousiaste, sans arrière-pensées et sans craintes. Il aurait voulu retrouver un Lucius calme et souriant, mesuré… silencieux mais il pressentait que ce ne serait pas le cas. Il anticipait déjà le premier regard sombre, les premiers mots durs et sans concession, il était résigné aux tensions qui allaient jaillir dès leurs retrouvailles… et il enviait la confiance solaire de Harry.
« Parle-lui ! » avaient été les derniers mots secs et tranchants que Lucius lui avait adressés juste avant leur départ. Et Severus ne l'avait pas fait.
Et il revenait même avec une situation encore plus ambivalente avec son calice et qu'il ne savait pas par quel bout prendre.
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Lucius avait dû les entendre arriver car il reposait son livre et il était à moitié debout quand ils entrèrent dans le Petit Salon. Avant que Harry ne lui saute dans les bras, Severus eut un bref aperçu de son visage et son expression ne pouvait mentir : surprise de leur retour inopiné, mais surtout une joie immense et un sourire sans bornes.
Ce fut d'autant plus dur de voir son visage se refermer quand leurs regards se croisèrent brièvement.
Et quand Harry, après une étreinte éperdue et un baiser époustouflant, se recula enfin pour le laisser à son tour approcher, Severus savait déjà que la partie était perdue et il se retint avec peine de grimacer de dépit. Le regard de Lucius était lourd de reproches et d'avertissements et, alors qu'il s'avançait malgré tout vers son mari, Severus sentit.
Il sentit cette puissante odeur, un peu âcre, de vin rouge, et il vit, sur la table basse, le verre de Lucius quasiment vide.
Ce qui aurait dû être leurs retrouvailles ne fut plus qu'une vague esquisse de baiser, à peine effleuré, du bout des lèvres, auquel Severus s'obligea malgré la brûlure de l'alcool et une envie immédiate de s'essuyer la bouche. Un geste raide et maladroit pour presser son bras et une sensation de gâchis effarante. Il ne pouvait tout de même pas enlacer, faire un… câlin à son mari alors qu'il était incapable de l'embrasser. Ils n'avaient jamais eu ces gestes qui paraissaient si naturels et spontanés venant de Harry et qui auraient paru ridicules entre eux.
Harry… qui faisait mine de ne rien remarquer – ou qui ne remarquait vraiment rien –, et qui babillait déjà, s'extasiant, plaisantant, racontant leur séjour à Colibita par le menu dans un flot de paroles joyeuses et bon enfant.
Severus s'assit dans un fauteuil et se perdit dans ses sombres pensées.
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Le regard vague posé sur la tasse de thé qui refroidissait entre ses mains, Severus était si bien perdu dans ses pensées qu'il remarqua à peine quand Harry se leva en disant qu'il allait ranger ses bagages et se changer. Et son absence de réaction fut telle que dans le même mouvement, Lucius se leva à son tour pour l'accompagner, laissant Severus seul. Désœuvré. Et perplexe…
Quand leurs pas se furent éloignés dans l'escalier en colimaçon et que le silence retomba dans le Petit Salon, il finit par se lever pour rejoindre son bureau et referma la porte derrière lui.
La pénombre régnait dans la petite pièce encombrée de meubles et de bibliothèques. Il n'était pourtant pas si tard mais la nuit s'invitait déjà entre les murs du Manoir et la grisaille au dehors n'aidait en rien. Il avait commencé à neiger quand ils étaient partis de Colibita : une finie couche blanche et précieuse qui avait nappé les toits des maisons et les branches des arbres, et qui crissait sous leurs pas… Harry avait ouvert les yeux émerveillés d'un enfant.
Le contraste était saisissant.
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Sur son bureau encombré de plumes, de papiers et de bibelots, quelques lettres étaient sagement posées sur le sous-main, attendant sa lecture, mais Severus n'avait même pas envie de s'y mettre. Il se sentait étrange, frustré. Ce retour ne lui plaisait pas. Ces retrouvailles ratées avec Lucius étaient un gâchis sans nom et au final, il n'avait jamais souhaité quitter la Roumanie.
Il aimait bien Colibita. Cette vallée nichée au pied d'un lac scintillant, ce Palais aussi vaste et labyrinthique que Poudlard, ses bibliothèques sombre et riches, et les quelques vampires qu'il appréciait et qu'il regrettait d'avoir quittés.
S'il avait voulu rentrer, ce n'était que pour Harry. Pour qu'il puisse retrouver Lucius et enfin s'envoyer en l'air avec lui – et d'ailleurs, il les entendait déjà –, pour qu'il puisse retrouver sa fille, ses potions, ses entraînements de quidditch…, et aussi – surtout – pour fuir cette ambiguïté entre eux dont Severus n'était pas fier.
À Colibita, il avait tendance à agir davantage comme un vampire que comme un homme. Il avait mis de côté les limites qu'il s'était fixé avec Harry, il s'était laissé aller à ce tête-à-tête délicieux, il avait eu des gestes déplacés, des comportements inappropriés, il avait outrepassé les règles. Et Harry, pris par ses désirs charnels et l'absence de Lucius, exalté par son don de sang à Mihai et par la présence permanente de tous ces vampires qui faisaient réagir ses instincts de calice, Harry n'avait pas su dire non.
C'était pour cela que Severus avait voulu rentrer plus rapidement que prévu : pour remettre son calice dans les bras de Lucius et pour prendre de la distance avec lui. Pour mettre fin à tous ces gestes ahurissants. Pour retrouver une situation normale.
Aussi douloureux que ce soit.
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Lentement, Severus s'approcha du sortilège d'argent qui luisait faiblement sur la fenêtre au fond de son bureau. Le picotement était délicieux. Une douleur vive, mordante, acérée comme un sortilège cuisant. Le rappel de sa mortalité, de ses limites, de ce qui s'était produit dans le pavillon chinois et qu'il ne laisserait plus jamais se produire… Un garde-fou.
Le reflet argenté ondulait sous ses doigts, sous la pression douce de sa main, souple et ferme à la fois. Comme un filet de sécurité qui ployait sous son poids mais ne cédait pas. La sécurité… c'était bien le sentiment que lui inspirait cet enchantement des gobelins. Quelque chose de rassurant. La certitude qu'il ne pouvait faire de mal à personne, et en particulier à son calice… Et si la distance volontaire n'était pas suffisante pour l'obliger à respecter les règles avec Harry, il restait l'enfermement et le sortilège d'argent. Il trouverait bien un endroit un peu plus grand que le pavillon chinois, le cottage de Llewellyn pourquoi pas, et au vu des services qu'il leur avait rendus dans leurs transactions avec Colibita, les gobelins ne refuseraient pas de poser leur sortilège d'argent sur la maison.
Là-haut, les soupirs et les gémissements prenaient de l'ampleur. Lucius avait dû oublier le Silencio – en espérant qu'il ne l'ait pas fait exprès –, et Severus soupira à son tour. Il allait les laisser seuls… Il avait besoin de prendre l'air et dehors, il faisait presque nuit. Il avait des choses à faire, des personnes à voir… Quelques heures de solitude après ces moments trop fusionnels avec son calice. Il reviendrait… plus tard.
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– Oh. Merlin ! soupira Harry.
Il n'avait pas pu attendre. Lucius l'avait suivi pour monter dans la chambre et il n'avait pas pu résister : à peine la porte fermée, Harry l'avait plaqué contre le mur pour l'embrasser à pleine bouche, le dévorer, se coller contre lui. Et il n'avait fallu que quelques minutes de baisers enfiévrés et de gestes impatients pour qu'il finisse à genoux à défaire les boutons du pantalon de son mari. Et Lucius n'avait pas mis beaucoup plus de temps à réagir sous ses lèvres pour se retrouver dur, droit et dressé.
– Oh, bon sang ! Ce que tu m'as manqué !
– Moi ou le sexe ? ironisa Lucius en posant sa tête en arrière contre le mur.
– Les deux ! gloussa Harry en se redressant. Toi et le sexe avec toi !
Tout en embrassant Lucius et en continuant à le masturber d'une main, il s'acharnait de l'autre sur les boutons de son propre pantalon, trop impatient pour être autre chose que maladroit.
– Attends. Viens…
Lucius voulait l'entraîner vers le lit mais c'était trop loin, trop long. Il ne voulait pas attendre.
Harry délaissa un instant le sexe de son mari pour se débattre avec son pantalon et quand il fut enfin libéré, il s'appuya de ses bras tendus sur le mur.
– Dépêche-toi. Viens. Maintenant…
– Harry, on ne va pas faire ça…
– Oh si ! ricana-t-il en rejetant les fesses et la tête en arrière sous les mains chaudes et délicieuses de Lucius. On va faire ça comme ça !
Comme des adolescents, contre un mur, le pantalon aux chevilles. Un petit coup vite fait, comme avant, une partie de jambes en l'air impromptue… un quickie, aurait dit Severus.
– On fera ça mieux ce soir mais là, j'ai trop envie !
Lucius gloussa puis abandonna l'idée de protester devant son propre désir trop envahissant. Harry sentit le sexe humide de son mari se presser un instant contre ses fesses, puis deux mains fermes vinrent les écarter et après un sortilège de lubrification, il se sentit enfin rempli et comblé.
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Les yeux grands ouverts sur le baldaquin du lit, le sourire aux lèvres et le cœur encore un peu affolé, Harry se passa une main dans les cheveux. Ça avait été rapide – surtout pour lui ! –, intense et un peu acrobatique. Il avait fini avec un pied sur un fauteuil, cramponné à l'accoudoir et au dossier, et il aurait sûrement la trace des doigts de Lucius sur son épaule et sa hanche. Mais ça avait été fabuleusement bon. Et épuisant.
Au point qu'après un sortilège de nettoyage et avoir remonté leurs pantalons, ils se retrouvaient tous les deux allongés sur le dos sur le lit à reprendre leur souffle.
Mais une fois soulagé de son désir obsédant, il restait bien des questions en suspens et le moment n'était pas pire qu'un autre. En guise de prélude à ce qui allait suivre, Harry posa sa main sur celle de Lucius et entrelaça leurs doigts.
– Qu'est-ce qui se passe avec Severus ? fit-il en tournant la tête sur le côté vers son mari.
– Comment ça ?
– Luce… ne joue pas à ce jeu-là avec moi. C'était déjà tendu entre vous la semaine dernière… Je pensais que ça allait mieux juste avant notre départ quand il m'a mordu alors que tu étais là, mais on revient après trois jours d'absence, et vous ne vous parlez pas. Je m'éloigne pour vous laisser discuter, et tu préfères le fuir pour me rejoindre…
Lucius gardait le regard fixé sur le baldaquin, mais Harry avait noté la légère crispation des mâchoires et le pli un peu plus dur au coin de sa bouche.
– Je lui ai demandé de faire quelque chose avant votre départ et visiblement, il ne l'a pas fait.
Le ton était sévère, agacé, et il caressa la main de Lucius pour tenter de l'adoucir.
– C'est quelque chose qui me concerne ?
– C'est toujours quelque chose qui te concerne. Sinon, ça ne me contrarierait pas autant.
Harry tourna la tête pour fixer à nouveau le ciel de lit et soupira.
– Écoute… Je sais que tu as sans doute bien des reproches à lui faire, et qui sont sûrement justifiés, mais… je pense que c'est une période compliquée pour lui. Et qu'il est sans doute plus fragile que tu ne le croies. Plus incertain, plus… vulnérable.
Ces mots sonnaient de façon très étrange pour parler de Severus en tant que vampire – et qui plus est, l'un des plus puissants de Colibita – mais ils ne faisaient que décrire une réalité bien cachée dont Harry avait de plus en plus conscience : avoir un calice rendait Severus plus fragile…
Il était la faiblesse de son vampire et il se doutait bien que Severus n'était pas tranquille avec ça.
– Notre relation est très belle et très harmonieuse, reprit Harry, mais elle n'est pas encore stable. Il se cherche, il hésite, il n'ose pas… Nous avons encore beaucoup de choses à discuter tous les deux et à mettre à plat, et ce que tu veux qu'il me dise en fait sans doute partie, mais il a besoin de temps. Partir à Colibita nous a fait beaucoup de bien : à moi, à lui et à nous deux… Mais il nous reste encore du chemin à parcourir…
Harry se tourna sur le côté vers son mari et croisa enfin son regard gris trop intransigeant à son goût.
– S'il-te-plaît… essaye d'être un peu plus indulgent avec lui. Et essayez de vous retrouver. Vous existez tous les deux par rapport à moi, mais vous n'existez plus assez l'un pour l'autre. Vous avez besoin de passer plus de temps ensemble, de vous parler vraiment. Je ne veux pas que votre relation pâtisse du fait qu'il est un vampire et moi son calice…
Lucius soupira puis se redressa et se recoiffa rapidement d'une main dans les cheveux.
– Tu as sans doute raison. Severus et moi avons pris un peu trop de distance…
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Lucius considéra le mur en face de lui, la porte de cette chambre que Severus ne franchissait plus que rarement, ce Manoir où ils ne partageaient plus ensemble que quelques repas et quelques soirées dérisoires…
Et pourtant. Ils avaient su se retrouver depuis que Severus était devenu un vampire… Des soirées où Harry était absent, parti à son entraînement ou de sortie avec des amis la nuit de son mariage, ou bien ces quelques jours juste avant la noce, quand Harry s'était éloigné dans sa forêt pour trouver des réponses à ses dilemmes… Ils avaient passé trois jours en tête à tête, presque jour et nuit, dans une des suites des invités. Ils avaient « dormi » ensemble, ils avaient fait l'amour, ils s'étaient parlé, ils s'étaient confié…
Ils avaient su être plus proches et en ce moment, ils ne l'étaient pas.
Et Harry avait sans doute raison aussi sur le fait qu'il était un pivot entre eux. Lucius se sentait très proche de son jeune mari, ils s'aimaient passionnément, ils étaient très complices, ils s'envoyaient en l'air dès que l'occasion se présentait – comme à l'instant –, et leur façon d'être l'un à l'autre était très joyeuse…
Mais la relation entre Harry et Severus était autre chose. Un lien indicible, inaltérable, différent. Qui dépassait l'entendement. Et qui semblait encore renforcé par leur séjour à Colibita… Du moins, pour Harry, car Severus avait paru un peu plus fuyant – ou craintif.
Mais durant leur brève conversation pour raconter ce voyage, Lucius n'avait pas pu manquer les regards de Harry vers son vampire doux, souriants, pleins de sentiments et d'attachement. Sa manière d'être toujours attentif à lui, avec ce naturel déconcertant, avec cette tendresse qui crevait les yeux. Sa présence toujours un peu enveloppante, sa magie à fleur de peau, cette pétillance dans son attitude…
Harry et Severus partageaient un lien qu'au fond, Lucius avait peur de ne pas égaler. C'était peut-être cela aussi, qui minait ses relations avec Severus : cette espèce de jalousie, de crainte, devant un lien qui semblait plus fort que l'amour qu'il pouvait vouer à Harry, plus fort que tous les sentiments du monde et contre lequel il ne pouvait pas lutter.
Malgré tout, il était heureux que Harry et Severus soient parvenus à trouver une harmonie entre eux, et surtout à dépasser la haine et la défiance qui s'étaient installées après le supplice du pavillon chinois. Mais quand il les voyait aujourd'hui, ces morsures incroyables, cette dévotion l'un à l'autre, cet attachement… quelque part, Lucius avait l'impression que son amour ne serait jamais à la hauteur, qu'il était plus insignifiant, qu'il avait moins d'ampleur, moins de sens, moins de portée. Qu'il finirait par être mis de côté parce qu'il ne pouvait pas rivaliser avec ça. Que la lutte entre eux était inégale… et c'était une drôle d'idée que de comparer la relation qu'ils avaient l'un et l'autre avec Harry à une lutte.
Oui. Il était sans doute un peu jaloux et ce n'était pas un sentiment agréable que de réaliser qu'il pouvait ressentir cela vis à vis de Severus. De toute évidence, ils avaient besoin de se parler, et même s'ils n'arrivaient pas à se rapprocher l'un de l'autre, il fallait au moins crever cet abcès avant qu'il ne prenne plus d'ampleur.
Lucius se leva en soupirant. Il devait aller trouver Severus, l'embrasser réellement, le prendre dans ses bras si le vampire le laissait faire et trouver le moyen de se faire pardonner. Et par dessus tout, s'excuser de son comportement.
– Je vais descendre et…
Il n'avait même pas besoin de s'expliquer. Le sourire indulgent de Harry avait déjà tout compris.
– Je vais prendre une douche rapide pendant ce temps… Et ensuite, je descends et je mange !
– Déjà ?! ricana Lucius. Il n'est même pas dix-neuf heures !
– Peut-être, mais mon estomac, lui, est encore à l'heure roumaine et son dernier repas commence à dater !
Lucius se laissa aller à sourire. Certaines choses ne changeraient heureusement jamais et l'appétit de Harry en faisait partie. Il l'embrassa rapidement puis se dirigea vers la porte et son deuxième mari.
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Lucius descendit l'escalier en colimaçon dans le silence et la pénombre du Manoir. Après quelques secondes de recherche, il s'aperçut que Severus n'était ni dans le Petit Salon, ni dans son bureau, ni dans la Bibliothèque.
Brusquement, l'idée de la piscine lui sauta à l'esprit. Il ne savait pas s'il y avait une piscine dans le Palais de Colibita, mais si ce n'était pas le cas, Severus n'avait sans doute pas nagé depuis plusieurs jours et pour lui, cela avait toujours été un besoin – d'autant plus s'il lui fallait se défouler et épuiser sa frustration.
Mais dans la rotonde, il n'y avait pas davantage de traces de Severus et Lucius se résolut à se rendre dans les cuisines à proximité, où les elfes préparaient le dîner.
– L'un d'entre vous sait-il où se trouve Severus ? fit-il quelque peu agacé.
– Monsieur Severus a quitté le Manoir il y a une demi-heure, Maître. Avec sa cape de voyage.
– A-t-il dit où il allait ou bien quand il comptait rentrer ?
– Non, Maître.
Lucius grimaça de dépit. Et voilà. Severus avait préféré prendre la poudre d'escampette plutôt que de l'affronter. Alors qu'il s'était résolu à faire le premier pas et à présenter des excuses pour enfin pouvoir discuter sérieusement. Et demain, Severus allait sans doute prendre le prétexte de la Librairie pour y passer toute la journée et fuir le Manoir. Lucius soupira devant un tel gâchis.
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Harry glissa sa main sous le coussin à la recherche d'un endroit frais et son autre bras par-dessus le plaid qui le recouvrait. Il avait presque chaud. Le feu qu'il avait allumé en descendant dans la Bibliothèque avait bien réchauffé la pièce et, plongé dans les brumes du sommeil, il se sentait délicieusement bien. Le canapé était moelleux, les coussins formaient un cocon douillet et la musique faible et agréablement répétitive le berçait. (1)
Et puis il perçut une présence suave et envoûtante et il sut qu'il avait eu raison. Il avait dit à Lucius que Severus reviendrait en fin de soirée ou dans la nuit parce qu'il allait avoir envie de boire, et que c'était leur petit moment privilégié, et il ne s'était pas trompé. Severus était là, quelque part dans le Manoir, peut-être dans le Hall d'entrée et il allait enfin venir.
Harry sourit dans la pénombre, amusé que sa magie ou son instinct ou ce lien particulier qu'ils avaient, l'ait réveillé au moment même où Severus rentrait à la maison. Un frisson chaud et délicieux descendit le long de sa nuque jusque dans ses reins et il attendit avec délectation – et un soupçon d'impatience – l'arrivée de son vampire.
Lequel vampire ne mit que quelques secondes à pénétrer dans la Bibliothèque et s'arrêta net, surpris de le trouver là, allongé sur le canapé et plongé dans un demi-sommeil. Severus s'approcha lentement, sans faire de bruit, avant de comprendre qu'il émergeait doucement de ses rêves. Il posa une main fraîche sur son épaule en s'accroupissant près de lui.
– Qu'est-ce que tu fais là ? murmura-t-il.
– Je t'attends, marmonna Harry.
– Il fallait te coucher… On aurait fait ça demain.
Il s'était couché. En même temps que Lucius et ils avaient même à nouveau fait l'amour. Mais une fois Lucius endormi, Harry s'était relevé, il avait enfilé un boxer et une chemise et il était descendu dans la Bibliothèque pour s'allonger sur le canapé et attendre son vampire… Mais il n'avait pas envie de s'expliquer sur ça et il se contenta de grogner sa désapprobation.
– Mmhh. Débrouille-toi pour boire…
Et il avait beau ne pas vouloir faire d'effort et paraître peu disposé à la morsure, il avait déjà enfoncé légèrement sa tête dans le coussin qui lui servait d'oreiller pour dégager son cou.
Même s'il avait bien compris ses intentions, Severus sembla hésiter quelques instants. Du bout des doigts, il caressait doucement son cou et le côté de son visage, écartant peu à peu les mèches de cheveux éparses. Ses gestes lents, pensifs, avaient le côté soyeux et léger d'une caresse. Et malgré ses yeux fermés depuis le début, Harry savait que son vampire ne le quittait pas du regard.
– Et la musique ? l'interrogea-t-il doucement.
– J'aime bien, marmonna Harry. Certains passages de ce morceau me mettent la chair de poule à chaque fois…
Au départ, c'était Severus qui lui avait fait écouter ce pianiste de jazz qu'il affectionnait beaucoup. Et puis, ce morceau lui avait tapé dans l'oreille avec une évidence rare. Sans doute y avait-il associé une émotion particulière, celle d'une morsure, d'un moment en tête à tête, celle d'une intimité précieuse. Il en avait encore des frissons et l'envie profonde de se fondre dans les bras de son vampire.
Harry bougea légèrement la tête, comme pour lui rappeler pourquoi il était là, et il sentit Severus s'agenouiller au bord du canapé. Il le caressa encore quelques secondes du bout des doigts, et puis tout survint en même temps : la morsure, le plaisir abrupt, les bras de son vampire qui vinrent s'enrouler autour de ses épaules et le coller contre son torse, et la sensation vertigineuse d'être enfin à sa place.
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Avec lenteur et une satisfaction évidente, Severus but jusqu'à ce que la sensation de faim ne disparaisse au profit de la satiété, de la langueur, de l'assouvissement, et Harry finit par s'endormir entre ses bras, repu de plaisir et de la présence de son vampire.
Longtemps, Severus retint contre lui le corps chaud et relâché de son calice. Sous le plaid, glissée entre les pans de la chemise restée ouverte, sa main caressait sa peau de velours. Son cœur battait sous ses doigts, son torse se soulevait doucement, à intervalles réguliers, et sa main pouvait se promener sur son ventre, effleurer les poils qui s'éparpillaient jusque sous le boxer et cette cicatrice de plus en plus discrète qui partageait son ventre en deux. Toutes ces douleurs passées qu'il aurait dû épargner à son calice…
À regret, il embrassa une dernière fois l'endroit de la morsure puis se releva en soulevant Harry entre ses bras. Un bon lit, une couette douillette et un autre homme attendaient son calice là-haut.
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– Installe-toi, je vais prendre une douche rapide et je reviens.
Harry hocha la tête tandis qu'Alicia suspendait son manteau et son écharpe sur une patère près de la porte, quittait ses chaussures puis disparaissait vers le côté chambre. Lentement, il s'approcha de l'immense baie vitrée de son appartement et d'un geste éteignit le plafonnier qu'ils avaient allumé à leur entrée, pour ne laisser que cette grosse lampe moderne posée à même le sol près du mur de briques rouges. Il savait qu'Alicia l'aimait beaucoup et lui aussi appréciait cet éclairage tamisé qui permettait si bien d'observer la vie de la ville la nuit.
Il s'assit dans un fauteuil pour l'attendre, remarquant ici ou là les signes de la présence régulière – permanente ? – de Blaise dans cet appartement. L'immense tableau qu'il avait installé sur le mur, un manteau près de celui d'Alicia, des chaussures, un énorme bouquet de fleurs sur le comptoir à côté d'une petite sculpture qui devait valoir une fortune, ou bien tous ces livres d'art et ces catalogues de ventes aux enchères posés sous la table basse. L'appartement restait celui d'Alicia, moderne et dépouillé, mais on sentait bien que Blaise l'avait imprégné de sa présence.
– Et alors ? Tu n'as même pas fait le service ? le fit sursauter Alicia en revenant dans le salon.
– Je ne voulais pas fouiller dans tes placards, gloussa Harry. Et à vrai dire, je comptais un peu sur toi pour me faire ton délicieux cocktail…
– Hum… je ne sais pas si j'ai ce qu'il faut, fit-elle en commençant à ouvrir les placards de sa cuisine.
Ils s'étaient croisés à Sainte-Mangouste, un peu par hasard. Il avait été appelé pour prendre en charge deux enfants Cracmol qui avaient fini émerveillés lorsqu'ils avaient enfin senti la magie en eux, puis le médicomage lui avait parlé d'un patient hospitalisé dans le service d'Alicia et il avait été surpris de la trouver là, finissant son service. Ils avaient discuté cinq minutes sur le chemin des vestiaires, ravis de se revoir et elle avait fini par l'inviter à boire un verre chez elle, moyennant un transplanage à domicile, bien plus pratique que de devoir traverser la moitié de l'hôpital avant de pouvoir rentrer.
– Tiens…, fit-elle en lui tendant un verre d'une délicieuse couleur jaune orangée.
– Tu n'as pas mis d'alcool, hein ? grimaça-t-il.
– Dans le mien. Pas dans le tien.
Harry la remercia d'un sourire ravi et s'empressa de trinquer avec elle et de boire quelques gorgées de soleil.
– Je ne sais pas comment tu fais, ricana-t-elle. Moi, je rajoute du rhum et du sucre liquide, mais sans ça, c'est tellement acide…
– J'adore…
Et Severus adorait aussi quand son sang prenait ce petit goût à la fois sucré et acidulé… Harry se contenta de sourire plutôt que de préciser ce détail et reprit leur conversation interrompue par leur transplanage et la douche de la jeune femme.
– … Et donc, ce changement de poste, c'est définitif ?
– C'est encore à l'essai, pour voir si je m'y plais vraiment, mais ça va le devenir, oui.
– Jamais je n'aurais imaginé te voir travailler de jour, gloussa Harry. Tu es tellement un oiseau de nuit !
Alicia se contenta de hausser les épaules.
– Tout change.
Et il savait bien pourquoi elle avait changé de poste !
– Ça te plaît quand même ou tu ne le fais que pour être davantage avec Blaise ?
– Non, ça va… le boulot est le même, c'est juste un peu plus encombré de médecins et de familles.
– Et vous vous voyez vraiment davantage ?
– Ça n'a rien à voir. Même s'il s'absente de temps en temps pour aller à New-York, on mange ensemble tous les soirs et on dort ensemble toutes les nuits !
– Toutes les nuits ?! ironisa Harry avec un petit sourire en coin.
Alicia grogna en levant les yeux au ciel mais ne put s'empêcher de sourire, elle aussi.
– Ça va toujours aussi bien, entre vous ? poussa-t-il la curiosité.
– Oui. Il est un peu accaparé en ce moment par l'inauguration de la nouvelle aile du musée de ton mari, mais tout va bien. Il essaie d'obtenir un tableau que Lucius aimerait bien exposer, ils n'ont fait que parler de ça quand on est allé dîner au Manoir !
– Vous êtes venus dîner ? s'exclama Harry, surpris. Mais quand ?!
– Le week-end dernier. Le dimanche, je crois. Pendant que Severus et toi, vous étiez en voyage de noces en Roumanie.
Harry gloussa puis but une gorgée de jus de fruits pour cacher son amusement derrière son verre.
– Et alors, ce petit voyage ? attaqua aussitôt Alicia avec un sourire machiavélique.
– Très bien, répondit-il honnêtement. C'est un joli coin, un grand lac perdu au milieu des montagnes, des forêts de pins à perte de vue et une jolie petite ville. On a même eu de la neige ! Et puis, c'était très… enrichissant. J'ai rencontré d'autres vampires, j'ai ramené un tas de livres à lire et… c'était bien, vraiment.
– Pas trop perturbant d'être au milieu de dizaines de vampires ?
– Ils n'étaient pas aussi nombreux, gloussa Harry. Il y a aussi des calices et de simples humains ! Mais non, ils ont été plutôt agréables avec moi, et assez curieux de ma magie… Je crois qu'ils étaient tous un peu jaloux de Severus, ajouta-t-il en riant.
– Et avec Severus, justement ? Se retrouver en tête-à-tête pendant trois jours, sans Lucius, sans être dérangés ?
Harry prit le temps de réfléchir quelques instants avant de répondre, tout en remarquant à quel point Alicia l'observait attentivement. Les jambes croisées, son verre posé sur l'accoudoir du canapé, elle ne le quittait pas du regard, scrutant le moindre sourire, la moindre hésitation, la moindre grimace.
– C'était… particulier, répondit-il pensivement. On a pu se rapprocher, partager des moments qu'on ne partage pas habituellement. Severus n'ose pas beaucoup de choses, il reste méfiant et inquiet, mais… il a dormi avec moi, il y a eu des morsures… et… des gestes.
Il s'interrompit, plongé dans ses souvenirs : la tendresse des étreintes, le plaisir invraisemblable, Andréas et la colère de Severus, un baiser du bout des lèvres et des aveux touchants…
– Il m'a dit qu'il m'aimait… ou plus exactement, qu'il n'avait jamais cessé de m'aimer… Je le savais bien sûr, mais c'est autre chose de l'entendre…
Harry tourna la tête et regarda fixement par la baie vitrée la nuit sombre étendue sur Londres. Il avait entendu aussi les commentaires des autres vampires ou des calices dans l'immense salon, quand il avait fait face aux Anciens, il avait remarqué les sourires, les rires discrets, les coups d'œil envieux quand Severus le couvait du regard, quand ses sentiments transpiraient dans son aura de vampire, quand il ne cherchait même pas à cacher qu'il étriperait le premier qui s'en prendrait à lui.
Severus tenait à lui comme à la prunelle de ses yeux et Harry pouvait sans doute en dire autant…
– Des… gestes ? l'interrogea prudemment Alicia devant son silence.
– Oui… Les morsures ont de plus en plus un côté physique. Presque… charnel. Une espèce de corps à corps, avec des caresses, du plaisir, des… attouchements. La dernière fois à Colibita, on a fini nus tous les deux, l'un sur l'autre… Il n'y a pas de pénétration, bien sûr, ni même de baisers, mais il y a parfois des mains qui s'égarent…
Harry s'interrompit, surpris par ses propres confidences. Alicia était infirmière, spécialisée dans les blessures par créatures vivantes. Elle avait étudié les créatures magiques pendant ses études, elle connaissait le sujet des vampires et des morsures de façon plus poussée que le commun des sorciers… et puis, elle savait tellement de choses de lui. Elle avait été la première à le soigner à son retour de captivité, elle savait ce qui s'était passé dans le pavillon chinois, elle savait le chemin parcouru depuis et ce que pouvaient représenter des gestes…
– Et… est-ce que tu te sens bien par rapport à ça ? fit-elle avec précaution.
Harry tourna la tête vers elle.
– Non, fit-il abruptement. Non, parce que je crois que j'ai envie de plus.
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– Tu es sûr que tu ne veux pas rester manger ? proposa Alicia. Blaise ne devrait pas tarder…
– Non, je te remercie. Matthieu et Charlie devaient venir dîner au Manoir ce soir, et je suppose que je suis déjà en retard, gloussa-t-il en jetant un œil à la pendule.
– Et Severus va se demander ce que tu fous, ricana-t-elle.
– Il y a de grandes chances !
En riant, Harry la prit dans ses bras pour la saluer, la remercia à nouveau pour le verre et la conversation, puis attrapa son manteau et son écharpe avant de transplaner pour le Manoir.
Il ne savait pas si Alicia s'en était vraiment rendue compte, mais la discussion lui avait sans doute ouvert les yeux. Expliquer ce qu'il avait ressenti, mettre des mots, prendre du recul pour partager tout ça avec quelqu'un… et finalement comprendre ce qui le chiffonnait dans cette évolution de sa relation avec Severus : le fait que dans ces moments-là, il avait envie de plus mais qu'il n'osait pas encore se laisser aller parce que son vampire semblait si mal à l'aise et si coupable.
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oooooo
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Il venait d'arriver dans le Hall d'entrée pour poser ses affaires et changer de chaussures quand Harry entendit le son d'un rire qu'il reconnut aussitôt comme celui de Matthieu et qui lui réchauffa le cœur. Puis le murmure de voix lointaines reprit et il se dirigea vers le Petit Salon tout sourire.
Ils étaient là tous les deux, Charlie et Matthieu, confortablement installés côte à côte dans le canapé et Harry les salua chaleureusement. Il était ravi de les revoir mais à peine les avait-il embrassés que Lucius les invita tous à passer à table où, vu l'heure, le dîner devait patienter depuis un moment. Harry s'excusa en riant, embrassa son mari pour se faire pardonner et glissa un sourire tendre à son vampire.
Comme souvent, le dîner fut joyeux et très détendu. Matthieu se tenait à ses côtés, visiblement de très bonne humeur, et ils purent discuter un long moment de potions, de Poudlard et de ses petits protégés. En face d'eux, Severus et Charlie parlaient avec Lucius de Colibita, de la Roumanie et des nombreux souvenirs du dragonnier.
De temps à autres, Harry échangeait un regard heureux avec lui : ils n'avaient pas encore eu l'occasion de discuter en tête à tête, mais en l'étreignant pour le saluer, il lui avait glissé à l'oreille que Mihai allait très bien et qu'il viendrait lui rendre ses lettres en personne. Le visage de Charlie avait aussitôt exprimé l'incompréhension la plus totale avant de basculer vers un sourire de remerciement et de joie immense.
Et puis le repas était chaleureux parce que Lucius et Severus se parlaient enfin. De façon encore prudente, presque du bout des lèvres, mais poliment et de temps en temps, un sourire, un regard complice leur échappaient et Harry était profondément soulagé de ce retour à la normale. Il ne savait pas ce qu'ils s'étaient dit, ni même quand à vrai dire, mais de toute évidence ses « conjoints » s'étaient expliqués et réconciliés.
Après un cognac dans la Salle de Billard, Charlie et Matthieu prirent congé à une heure raisonnable pour pouvoir assurer leurs cours du lendemain. Harry hésita un instant, peu désireux de voir Severus se défiler pendant son absence, mais, rattrapé par sa bonne conscience, il proposa finalement aux deux hommes de les ramener à Poudlard. « Un aller-retour express ! » précisa-t-il en riant pour être sûr d'échapper à un dernier verre. Et, de fait, Charlie lui offrit bien de rester un peu plus longtemps pour qu'il puisse lui raconter son voyage à Colibita et surtout ses impressions sur Mihai, mais Harry déclina poliment en promettant de les revoir très vite. Ce soir, il ne voulait pas que Severus lui échappe.
Car depuis leur retour de Colibita, Severus semblait se faire un devoir de l'éviter ou de ne pas se retrouver en tête à tête avec lui pour fuir toute tentative de conversation ou d'explication. Il n'était présent que lorsque Lucius était là aussi, et même lors des morsures, il se débrouillait pour qu'il y ait le moins de risque de dérapages possible.
Le premier soir, il était rentré si tard que Harry dormait à moitié sur le canapé de la Bibliothèque; le soir suivant, arguant qu'il avait faim, Severus avait insisté – et c'était bien la première fois qu'il voyait son vampire réclamer une morsure – pour le mordre dans la Salle de Cinéma, pendant qu'ils regardaient un film tous les trois. Et de toute évidence, il avait compté sur sa gêne devant Lucius, sur le tabou de la morsure, pour freiner ses ardeurs et ses gestes. Et le troisième soir depuis leur retour, la veille, Severus était absent lorsqu'il était rentré de son entraînement de quidditch et Harry s'était endormi comme une masse, épuisé et comptant sur son vampire pour venir le rejoindre et se nourrir, même dans un demi-sommeil. Seulement Severus n'était pas venu et il avait dû se lever au petit matin pour aller le retrouver dans la rotonde après sa séance de natation et se faire mordre. Et là encore, Severus les avait fait transplaner dans la chambre de Lucius pour que le tabou les empêche d'aller trop loin.
Mais cette fois, Harry en avait vraiment assez, le manque de contact avec son vampire devenait presque douloureux, et ce soir, il voulait une morsure en bonne et due forme.
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À son retour dans la Salle de Billard et malgré sa rapidité, la pièce était déjà vide, excepté la présence de Clay qui débarrassait les verres et la bouteille de cognac.
– Sais-tu où ils sont ? demanda Harry après l'avoir salué.
– Le Maître est monté se coucher et Monsieur Severus est dans la Bibliothèque… après avoir cherché un moment sa cape et ses gants.
L'elfe avait ce petit sourire narquois et calculateur qui lui fit aussitôt songer qu'il n'était pas innocent dans l'histoire. Voire même qu'il avait fait en sorte de retarder de quelques minutes le départ de Severus.
– Merci, gloussa Harry, et le hochement de tête obligeant de Clay le conforta dans son idée et le fit sourire un peu plus.
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– N'y songe même pas, prévint Harry en pénétrant dans la Bibliothèque où Severus achevait d'enfiler ses gants. Ne t'imagine pas que je vais te laisser disparaître pendant des heures sans m'avoir prévenu, ni m'avoir mordu.
Son vampire se tenait là, raide et figé, drapé dans sa cape et prêt à l'abandonner encore une fois pour aller il ne savait où. Et cette désertion, cette lâcheté l'agaçaient au plus haut point.
– Harry… j'ai rendez-vous avec…
– Je me fiche de tes rendez-vous ! s'exclama-t-il tandis que sa magie virevoltait dans la pièce pour arracher à son vampire sa cape et ses gants.
Harry ne savait pas si sa magie librement déployée pouvait retenir Severus mais sa colère et sa rancœur étaient telles qu'il se fichait des conséquences. Il se fichait de la réaction de son vampire, de sa possible colère, de sa puissance, il se fichait des paroles qu'il pouvait prononcer parce que là, il avait trop mal.
– Pour l'instant, ton rendez-vous, c'est moi ! s'étrangla-t-il en se laissant tomber sur un canapé.
Et sa voix devait être suffisamment voilée ou suppliante pour que Severus fronce les sourcils et vienne s'asseoir sur le canapé près de lui.
– Ne fais pas ça, Severus… N'essaie pas de me fuir, jour après jour, morsure après morsure…
Penché en avant, les coudes sur les genoux, Harry passa rapidement ses mains sur son visage pour chasser la douleur sourde dans son cœur. Même à lui, sa voix paraissait bien trop fébrile et pétrie d'émotions pour ne pas le remarquer. Et la grosseur insidieuse qui enflait dans sa gorge ne l'aidait pas à s'exprimer sans avoir l'air de supplier.
– Je sais très bien pourquoi tu fais ça, pourquoi tu as voulu partir de Colibita plus tôt que prévu… Tu ne veux plus te retrouver seul avec moi, tu ne veux pas affronter ce qui s'est passé entre nous là-bas, et ce qui risque de se passer encore… Parce que tu as peur.
Severus grogna un vague borborygme qui ressemblait à « Je n'ai pas peur », puis il se leva brusquement pour aller se poster devant la porte-fenêtre et le sortilège d'argent.
– Tu as peur, insista Harry malgré sa voix étranglée. Tu as peur de ce que tu as envie de faire, des gestes que tu réprimes, des mots que tu as envie de dire. Tu as peur de franchir tes sacro-saintes limites, que tu t'imposes comme un garde-fou, alors que ça ne correspond plus du tout à notre situation. Et plutôt que d'affronter la réalité en face, plutôt que de m'en parler, tu as préféré partir de Colibita pour me remettre dans les bras de Lucius et pour espérer me fuir, même si pour ça, tu dois renoncer à boire… C'est n'importe quoi, gémit-il en secouant la tête.
Et parce qu'il savait que Severus ne pouvait pas rester insensible à son désarroi, Harry se leva pour aller le rejoindre près de la fenêtre.
– Prends-moi au moins dans tes bras… S'il-te-plaît.
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Est-ce qu'il avait essuyé quelques larmes de détresse et de bonheur sur la chemise de Severus ? Harry ne savait pas, ne savait plus. Le temps s'était dilué dans l'étreinte de son vampire, son parfum et la puissance de ses bras. Être là, si près de lui, collé contre son torse, lui permettait enfin de souffler. Comme si la distance imposée par Severus l'avait empêché de respirer.
Harry n'avait eu conscience de rien, il n'avait pas remarqué de différence, mais le fait était qu'à présent qu'il se trouvait là, le front appuyé sur la clavicule de son vampire, il se sentait mieux. Infiniment mieux.
Et quand Severus enfouit son visage dans son cou pour lui faire pencher la tête et le mordre doucement, il renifla de bonheur. Ce n'était même pas une morsure pour boire, juste de celles pour calmer ses angoisses, pour renouveler leur lien, pour affirmer leur appartenance mutuelle, mais ressentir ce lien avec son vampire, c'était toute sa vie.
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Un moment plus tard, Severus entraîna son calice sur le canapé et le fit s'asseoir entre ses cuisses, à demi-allongé contre son torse, comme pour les morsures, comme pour un câlin, comme s'il allait s'endormir entre ses bras, en toute confiance.
– Ça ne peut pas durer comme ça, Severus. Il faut qu'on mette les choses à plat entre nous… Il faut qu'on se parle.
– Je sais, murmura-t-il le nez dans ses cheveux. J'ai aussi des choses à te dire. Mais pas maintenant, pas alors qu'il est si tard et que tu es fatigué… Il y a trop d'émotions à fleur de peau…
Celles de Harry, mais également les siennes. La détresse de Harry, si longtemps discrète et ignorée, l'avait bouleversé. L'avait culpabilisé, aussi. Affreusement. Avec l'impression que ce qu'il faisait pour protéger Harry lui faisait encore plus de mal… Avec l'impression de ne jamais faire ce qu'il fallait, de ne jamais faire les choses bien, de ne jamais être à la hauteur.
– Ma vie, ça ne peut pas être des montagnes russes entre des moments où on est complètement fusionnels et des moments où tu m'ignores. J'ai besoin de toi, Severus…
– Je sais. Je suis désolé… Je n'ai jamais voulu te faire souffrir.
Harry gigota et se tourna légèrement sur le côté pour se pelotonner contre lui. Son calice était littéralement recroquevillé dans l'étreinte de ses bras.
– Ça va aller… Demain, je te promets qu'on va parler de tout ça. On va s'isoler tous les deux dans un coin et on va en parler. À cœur ouvert.
Les yeux fermés, épuisé, Harry s'était endormi. Severus ne savait même pas si son calice avait entendu ses derniers mots, mais cette promesse-là, il allait de toute façon la tenir. Il avait trop longtemps retardé – ou fui – certaines choses.
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(1) Keith Jarrett, Somewhere/Everywhere, Live in Lucerne, 2009.
Merci à tous de votre lecture et de vos commentaires pour certains ;)
La semaine prochaine, Severus et Harry vont prendre le temps de s'expliquer et de faire comprendre à l'autre leurs attentes...
Au plaisir
La vieille aux chats
