Résumé: A peine revenu de Colibita, Severus reprend ses distances avec Harry qui finit par craquer et exiger une conversation-explication...
Bonne lecture!
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– Où sommes-nous ? fit Harry en regardant en tous sens autour de lui.
L'endroit ne lui disait rien; il s'agissait visiblement d'un salon et d'une chambre attenante, un petit appartement un peu comme ceux de Colibita, mais joliment décorés dans un style anglais classique revisité au goût du jour. Une tapisserie ancienne, verte avec des motifs ornementaux qui ressemblaient aux arabesques sur sa peau, mais des tapis modernes, un lustre de cristal mais un canapé d'angle immense et rempli de coussins. Pas désagréable du tout.
– Une quelconque chambre d'hôtel, répondit Severus en ôtant sa cape et en la posant sur une chaise dans l'entrée.
– J'aime bien tes chambres d'hôtel quelconques ! gloussa Harry.
– J'avais pensé à aller en Provence, mais je voulais un endroit neutre, où on n'ait pas de souvenirs ni l'un ni l'autre… Et un endroit qu'on puisse oublier si on se dit des choses trop difficiles.
– C'est engageant ! ironisa-t-il avec une pointe d'appréhension.
Pendant quelques secondes, Harry déambula dans le salon, incertain, puis finit par ricaner de sa propre hésitation.
– C'est un peu artificiel, non ? murmura-t-il. De vouloir discuter comme ça, sans contexte, sans point de départ… On aurait mieux fait d'en parler hier soir…
Severus secoua la tête puis lui tendit une main qu'il s'empressa de prendre et l'attira vers le canapé. Ils s'installèrent comme à leur habitude, lui entre les cuisses de son vampire, et Severus le mordit très délicatement, juste ce qu'il fallait pour l'apaiser sans éveiller son excitation. Et lorsqu'il retira ses crocs, Harry se sentait divinement bien entre ses bras.
– On est en plein dans le contexte, murmura Severus. Dis-moi tout ce que tu as à me reprocher…
– J'aime ça, sourit Harry. J'aime toujours quand tu me mords, mais pas seulement quand tu te nourris de moi. J'aime aussi toutes ces petites morsures qui sont juste un lien, juste une façon d'être plus en communion l'un avec l'autre…
– … ou qui sont juste une façon de t'apaiser, fit remarquer Severus avec un sourire dans la voix.
– Peut-être, concéda Harry. Je dirais plus… que tu absorbes mon trop-plein d'émotions. Que ça permet de nous équilibrer mutuellement.
– Et ça, c'est un reproche ?
– Non, ça c'est plutôt très bien, gloussa Harry.
– Alors, dis-moi le reste…
Harry respira profondément avant de soupirer. Ils étaient là pour ça, pour se dire tout jusqu'au fond des choses, pour ne laisser aucun élément en suspens, rien qui puisse les éloigner ou les séparer. Il fallait saisir cette occasion…
– Je ne veux pas que tu me fuies, se lança-t-il. Jamais. Pour aucune raison. Je suis ton calice, et ça ne veut pas seulement dire te nourrir… Ça veut aussi dire que j'ai besoin de toi. De te voir, tous les jours, de te parler, de passer du temps avec toi, et même d'avoir des contacts physiques avec toi. C'est aussi important, aussi essentiel que si tu ne me prenais pas de sang et que je finissais avec un engorgement… Tu ne te rends pas compte ce que c'est que d'avoir passé trois jours complètement fusionnels avec toi à Colibita, d'avoir été ensemble presque jour et nuit, d'avoir été aussi… proches physiquement, d'avoir vécu les plus belles morsures de ma vie de calice, et tout d'un coup, au retour, de te voir me fuir comme si tu ne voulais plus de moi…
Harry entrelaça ses doigts avec ceux de son vampire et tourna légèrement la tête pour frotter son visage contre son torse.
– … Comme si ça n'avait pas compté, comme si tu me chassais… C'est douloureux. Je ne peux pas faire ça. Moi, j'ai besoin de toi tous les jours, au moins un peu…
– Je suis désolé, murmura Severus dans ses cheveux. Je n'ai pas voulu ça, je voulais juste te rendre ta liberté…
– Ma liberté, c'est aussi d'être avec toi… Ça fait partie de ma vie de calice.
Severus effleura quelques instants ses cheveux du bout de son nez avant de répondre enfin.
– Je comprends… Je n'imaginais pas que tu puisses avoir besoin de passer du temps avec moi. Je pensais que tu le faisais par obligation, par… pitié, par mauvaise conscience…
– Sev… ce n'est pas juste un besoin. J'aime passer du temps avec toi. La plupart du temps, je le fais simplement parce que je me sens bien avec toi ! Ni par pitié, ni par mauvaise conscience mais parce que je t'apprécie… Mais il est vrai aussi que j'ai besoin d'un minimum et que des morsures bâclées et à la va-vite une fois de temps en temps, ça ne me suffit pas. Je peux comprendre que tu aies des occupations et que tu sois parfois pris quand j'ai envie de toi, mais ne fais pas exprès de me fuir…
– Je ne te fuirai plus, je te le promets, assura Severus en embrassant son cou comme pour sceller un serment. En contrepartie, je ne veux pas que tu restes avec moi par obligation, et je veux aussi que tu me dises, au contraire, quand tu en as vraiment besoin. Sans attendre le dernier moment comme hier soir.
Harry hocha la tête en souriant, conscient qu'il s'était un peu laissé emporter la veille. Comme à chaque fois que sa relation avec son vampire buttait sur une anicroche, ses émotions devenaient trop labiles, il se laissait embarquer, il passait en quelques secondes de la colère à la détresse et ses réactions, en plus de l'épuiser, étaient parfois disproportionnées.
– Parfois, tu me manques, murmura-t-il. C'est douloureux. Et je voudrais pouvoir être libre avec toi…
Il sentit le temps d'arrêt de Severus derrière lui.
– Comment ça, libre ?
Harry inspira lentement tandis que son cœur s'accélérait malgré lui. Le saut dans le vide qui effrayait tant Severus, c'était maintenant.
– Libre… de mes gestes, de mes envies. Sev… tu as vu ce qui s'est passé entre nous à Colibita et… c'était magique. Il faut bien être conscient qu'un jour, je ne sais pas quand, je ne sais pas dans combien de temps, mais nous finirons par refaire l'amour ensemble. Et par là, j'entends avec une pénétration, et pas seulement en se tripotant, même si j'adore ça.
À ces simples mots, Harry sentait déjà la crispation de désir qui contractait son ventre, mais derrière lui, Severus avait fermé les yeux et secouait doucement la tête, comme pour réfuter ses propos.
– Si, ça arrivera, Sev. Parce que j'en ai de plus en plus envie. Et toi aussi, même si ça franchit les limites que tu t'imposes. Ça prendra le temps qu'il faudra mais ça arrivera un jour. Comme tu n'aurais jamais pensé m'embrasser plusieurs semaines en arrière, et pourtant tu l'as fait. Comme tu n'aurais jamais pensé me dire que tu m'aimais encore, et pourtant tu l'as fait… Et je ne t'en veux pas, bien au contraire. J'ai adoré ces moments… c'était merveilleux. J'ai aimé qu'on puisse se toucher, librement, j'ai aimé qu'on puisse être nus ensemble comme avant, j'ai aimé pouvoir m'endormir entre tes bras, j'ai aimé ton baiser et même la crainte de mal faire dans tes yeux, et j'ai aimé tout ce plaisir inouï qu'on s'est donnés.
Devant lui, sur le mur au fond de la pièce, Harry voyait un tableau bucolique représentant un homme, assis au bord d'un chemin, et trois chevaux penchés vers lui (1). Et il savait à l'avance qu'il se souviendrait de ce tableau toute sa vie, parce que c'était l'image qu'il avait devant les yeux pendant ce moment très apaisé où il pouvait dire à son vampire tout ce qu'il aimait de lui, et toutes les attentes et les espoirs qu'il avait pour leur futur.
– Je voudrais aussi, reprit-il doucement, pouvoir te toucher librement, si j'en ai envie et même devant du monde. Pouvoir venir dans tes bras ou m'asseoir à côté de toi, pouvoir venir chercher un contact ou un peu de douceur… Si tu es d'accord, bien entendu…
– … D'accord, murmura Severus.
– Je voudrais que tu arrêtes de te servir de Luce et du tabou de la morsure pour m'empêcher de faire les gestes dont j'ai envie… Je voudrais que pour l'instant, les morsures restent entre nous, qu'on aille au bout de ce qu'on a envie de faire, et que celles qu'on a parfois devant lui soient de vrais moments de partage tous les trois, et pas une morsure dans le but de me mettre mal à l'aise.
– D'accord. Et… je suis désolé d'avoir utilisé ces morsures dans ce sens-là. Je sais que c'est important pour toi de pouvoir partager ça avec Lucius et je regrette d'avoir gâché ces moments qui auraient dû rester précieux.
Harry hocha obligeamment la tête, sincèrement heureux des excuses de son vampire.
– Je voudrais… que tu oses me toucher quand tu en as envie, et de la façon dont tu as envie. Pendant les morsures et en dehors. Si tu as envie de me prendre dans tes bras, de m'embrasser, de me caresser ou d'autres gestes plus intimes encore… Si ça va trop loin pour moi, ou si je ne suis pas prêt, je promets de te le dire. Mais je ne veux pas que tu te réfrènes parce que tu supposes que je ne veux pas.
– Je ne peux pas. Je ne sais pas si je pourrais, corrigea Severus en secouant la tête. Si ces limites existent, c'est pour que je ne puisse pas te faire de mal. Je ne peux pas… risquer de les franchir.
Harry sourit et soupira en même temps, puis renversa la tête en arrière contre l'épaule de son vampire. Il devait le convaincre une fois pour toutes.
– Bon sang, Sev, il ne s'agit pas de me faire du mal mais de me faire du bien ! Nous n'en sommes plus là où nous en étions il y a six mois. Aujourd'hui, j'ai envie de ça moi aussi, et je suis assez conscient pour savoir t'arrêter si je le veux. Et toi, tu t'es imposé tellement de limites que tu auras plus de mal à les franchir que de risques de me faire du mal…
Harry resserra les bras de son vampire autour de son ventre dans un geste possessif et farouche.
– Nous avons encore du chemin à parcourir, Severus, et ce chemin se terminera quand nous serons à nouveau capables de faire l'amour ensemble. Et peu importe combien de temps ça mettra, peu importe à quel point tu nous feras languir et tergiverser, ça se terminera de cette façon-là. Parce que j'en rêve inconsciemment depuis des semaines, parce qu'à chaque fois que je fais l'amour avec Lucius, il me manque une morsure au bout de l'orgasme, parce que j'ai envie de ça…
Harry gloussa discrètement. Heureusement qu'ils n'étaient pas face à face parce qu'il aurait eu du mal à dire certaines choses en regardant son vampire dans les yeux.
– … J'ai toujours aimé ta sensualité et ta rudesse mêlées, et je les aime encore plus en tant que vampire. J'aime tes mains sur ma peau et sur mon corps, j'aime quand tu me branles en même temps que tu me mords, j'ai adoré sentir le poids de ton corps sur moi et que tu oses te frotter sur moi… Merlin ! On a joui comme des adolescents, Sev, fit-il en riant, et c'était génial.
Dans son dos, il sentit le torse de Severus s'affaisser dans un soupir puissant comme s'il lâchait enfin prise.
– D'accord. Je ne te promets rien, mais j'essaierai d'aller… un peu plus loin. De temps en temps.
Mais dans la voix de son vampire perçait aussi un sourire et Harry sut qu'il avait abattu quelques unes de ses réticences. Il n'osait pas dire jusqu'où il avait envie d'aller en réalité, mais quelque part, il savait qu'ils étaient sur le bon chemin.
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– Je voudrais…
– Encore ? ironisa Severus.
– Je voudrais m'excuser, sourit Harry, de t'avoir menacé de devenir le calice d'un autre vampire. Je ne…
– Tu m'as menacé de quoi ?! l'interrompit Severus d'une voix incrédule.
– Le dernier jour à Colibita, en allant voir Mihai… Tu as dit que tu pouvais prendre un autre calice, qu'il suffisait de refaire le rituel, et je t'ai dit que je pouvais faire pareil pour prendre un nouveau vampire, qu'il me suffisait de faire le rituel avec un autre... mais je ne voulais pas que ça sonne comme une menace de te quitter ou de te tromper. Je suis…
– Je ne me souvenais même plus de cette bêtise, éluda Severus. Mais j'imagine bien que toi, tu as pris ça très au sérieux et que tu n'as pas arrêté d'y penser !
Sa voix contenait cette petite touche de moquerie qui fit sourire Harry et qui le mit aux anges quand son vampire ajouta :
– Tu as dit que tu n'appartenais qu'à moi… je t'ai cru sur parole.
Après avoir frissonné de plaisir, Harry reprit d'une voix plus sereine :
– Je voudrais… que tu me préviennes si tu veux décaler la morsure du soir, si tu sors ou si tu prévois de ne pas être là… Je voudrais que tu viennes plus souvent dans notre chambre, le soir ou le matin… Je voudrais retourner un jour à Colibita…
À chaque fois, Severus acquiesçait dans ses cheveux et murmurait « D'accord » avec un ton amusé.
– Je voudrais te remercier de m'y avoir emmener… La seule chose que je regrette, c'est qu'on n'y soit pas allés plus tôt. Et je voudrais te remercier aussi de m'avoir permis de donner du sang à Mihai.
– C'est moi qui te l'ai demandé, fit Severus en haussant les épaules.
– Je sais… Mais je sais aussi qu'en étant mon vampire, ce n'était pas une chose facile pour toi…
Doucement, Harry se réinstalla contre lui, étroitement lové dans l'étreinte de ses bras, et Severus bougea à son tour, repliant une jambe contre les coussins et le dossier du canapé. Et celui-ci était si vaste, et ils étaient si bien pelotonnés l'un contre l'autre qu'on aurait pu encore asseoir une demie douzaine de personnes.
– Et tu ne m'as pas vraiment dit pourquoi tu avais accepté que je le fasse, avança-t-il en pressant légèrement les mains de son vampire.
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Severus laissa filer un silence, sans doute conscient que c'était à son tour de parler, de se confier et d'oser enfin des paroles trop longtemps retenues. Cela ne semblait pas facile pour autant car il resta un long moment à jouer de son visage dans ses cheveux, effleurant l'arrière de son crâne, la base de sa nuque et de temps en temps, le côté gauche de son cou et l'endroit de la morsure.
Une caresse fragile mais délicieuse que Harry savourait les yeux fermés, parcouru de légers frissons qui dressaient les petits cheveux sur sa nuque et les poils de ses bras. Pour un peu, il en aurait oublié sa question, oublié les réponses qu'il cherchait et les confidences que Severus lui devait.
Et puis, tout aussi délicatement, sans cesser ses petits gestes délicieux, son vampire se mit à parler :
– Tu ne devrais pas me prêter des intentions trop honorables parce qu'elles ne le sont pas… Je sais que pour toi, c'était important, mais pour moi, le choix était purement égoïste : j'ai demandé à Mihai de m'aider.
– De t'aider à quoi ? murmura Harry.
Severus soupira, sembla puiser sa volonté de parler dans le parfum de ses cheveux et se résolut à expliquer :
– En fait… je pense que nous sommes encore menacés…
Pendant de longues minutes, Severus expliqua ses soupçons, ses hypothèses, ses conclusions, le silence surprenant de Vladimir, son désintérêt pour la scène médiatique internationale et sa volonté de se concentrer sur son petit théâtre de marionnettes : eux, sa théorie des grains de sable régulièrement jetés dans leur vie tranquille pour les faire s'agiter, son absence suspecte de réaction ou de geste d'envergure depuis des mois et en particulier depuis le mariage, et le sentiment bien ancré de Severus que le calme n'allait pas durer.
Harry caressait doucement les bras de son vampire, songeur. Quelque part, il n'était pas surpris. Et il était certain que Severus avait raison. Il n'avait jamais voulu y réfléchir vraiment, pour ne pas briser la petite bulle dorée de sa vie entre sa fille, son mari et son vampire, mais inconsciemment, il avait sans doute toujours su que le calme et le silence n'étaient pas naturels et qu'un nouvel orage allait se profiler à l'horizon. Et encore une fois, bien trop nombreuses à son goût, le nom de Vladimir le fit grimacer de rancœur et d'épuisement. Jusqu'au bout, ce maudit vampire allait leur pourrir la vie.
– Et c'est ça que Lucius voulait absolument que tu me dises ? avança-t-il avec un sourire amusé.
Malgré tout le reste, les cachotteries de son vampire et tout ce qu'elles suggéraient comme volonté de le protéger, de le préserver, de maintenir autour de lui ce cocon douillet et tendre, lui réchauffaient le cœur.
Mais Severus semblait plus crispé que jamais et sa voix n'était plus qu'un murmure lorsqu'il avoua :
– Ça. Et le fait que… ma nature de vampire m'oblige à te protéger. À garder un œil sur toi. À vérifier que tu ailles bien.
– Tu me surveilles ? gloussa Harry.
Severus appuya son front à l'arrière de sa tête et soupira.
– En quelque sorte… Pas tout le temps, s'empressa-t-il de préciser. Mais de temps en temps, quand je suis trop inquiet…
– Est-ce que c'est toi que j'avais aperçu dans la foule quand j'étais allé danser avec Mark, à Paris ?
Ce jour là, l'espace d'un instant, il avait fugacement eu l'impression de voir le visage de son vampire, mais au milieu des dizaines de danseurs et dans une ambiance à la fois sombre et baignée de lumières stroboscopiques, il avait cru à une illusion ou à une vague ressemblance. Mais Severus grogna son assentiment sur sa nuque.
– Et comment Lucius s'en est rendu compte ?
– À force de me voir disparaître quand tu as entraînement de quidditch et de me voir rentrer juste avant toi.
Ce qui n'était pas simplement de temps en temps, mais si Harry s'en amusa, il ne voulut pas le relever.
– Alors à chaque fois que je pensais vous laisser en tête à tête tous les deux, bien au chaud au fond d'un lit, tu me suivais dans la pluie et le froid pour venir me surveiller ?! gloussa Harry. Quel gâchis !
– Il m'en veut un peu pour ça aussi, grimaça Severus en penchant la tête.
Tranquillement, tendrement, Harry n'avait pas cessé de caresser les bras de son vampire serrés autour de son ventre. Pour le rassurer. Pour lui montrer qu'il ne lui en voulait pas… Parce qu'il devinait aujourd'hui, à travers ce qu'il avait lu, ce que Mihai lui avait expliqué et ce qu'il connaissait de Severus, que celui-ci n'avait pas vraiment le choix. Il était une telle « faiblesse » pour son vampire que sa protection importait plus que tout le reste, plus que sa fierté ou des parties de jambes en l'air avec leur mari… Severus s'en serait sans doute passé bien volontiers, mais il avait besoin de s'assurer qu'il était en sécurité.
– Lucius me reproche de vouloir t'étouffer, reprit le vampire d'une voix basse et vibrante, maintenant que la barrière avait lâché. De ne pas te faire confiance, de vouloir t'enfermer dans une cage dorée comme pendant notre union… Que j'en vienne à t'empêcher de sortir, à te cloîtrer au Manoir, à devenir… despotique. Il a peur que tout ça recommence.
Cela avait été une période sombre, juste avant la transformation de son vampire… Harry se souvenait de leurs disputes mémorables et leur union déséquilibrée; de cette façon dont Severus pouvait lui imposer sa volonté; de cette fois où il avait fini à genoux sur le tapis du Petit Salon, privé de son libre arbitre et de sa liberté.
– Ça ne recommencera pas, sourit doucement Harry, parce qu'aujourd'hui, plus rien n'est pareil, et surtout parce que notre relation est plus saine. Tu me surveilles parce que ça répond à tes instincts de vampire, mais tu ne m'interdis pas. Tu te contentes de rester dans l'ombre et de garder un œil sur moi… Tu ne m'imposes pas tes propres désirs, quoi que ça te coûte…
Comme toujours, le respect avant tout et il en remerciait son vampire du fond du cœur.
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– Tu ne m'en veux pas ? murmura Severus d'une voix inquiète et presque craintive.
– Non, répondit Harry en souriant.
Il s'était attendu à la question, ou au moins à quelque chose d'approchant, et il avait déjà démêlé ses sentiments à ce sujet.
– Non, reprit-il, parce que je sais que ça part d'une bonne intention, que tu ne peux pas forcément tout maîtriser, et que d'un autre côté, tu n'as jamais cherché à m'empêcher de quoi que ce soit… Mais j'aurais préféré que tu m'en parles quand même.
Severus resserra ses bras sur ses côtes, le soulevant presque pour le tenir plus près de lui, et il embrassa la peau de son cou en soupirant longuement.
– Puisqu'on en est aux « je voudrais »…, fit-il quand il fut un peu rasséréné. Je voudrais que tu fasses attention… Vraiment. Lucius a accepté d'avoir en permanence sur lui deux portoloins d'urgence, dont un qui est indécelable et qu'il ne peut même pas retirer… Je pense que vous êtes encore menacés. Tous les deux. Lucius parce qu'il est mon mari, et toi parce que le fait que tu sois mon calice fait de toi une cible de choix pour m'atteindre… Je ne veux pas qu'il t'arrive la même chose qu'à Tobias, acheva Severus d'une voix légèrement voilée.
L'image de Tobias, saigné à blanc sous les yeux impuissants de Mihai, lui sauta brusquement à l'esprit et Harry sentit son cœur se crisper d'effroi et de douleur. Lors de ses conversations anciennes au creux de la nuit avec le vampire, il n'avait que trop bien senti son chagrin incommensurable et son déchirement à la perte de son calice. Et non seulement il n'avait pas l'intention de mourir mais il refusait viscéralement que Severus connaisse cette douleur-là.
– D'accord, affirma Harry. Je ferai attention et je porterai un portoloin d'urgence.
Severus avait bien accepté toutes ses précédentes requêtes… Severus avait accepté de regarder en face ses propres désirs, de reconnaître les gestes qu'il réfrénait et qui le rongeaient d'envie. Il avait accepté l'idée que peut-être, un jour, ils iraient plus loin, même s'il ne se sentait pas encore prêt… Harry pouvait bien accepter une contrepartie minime à ces progrès.
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Un long moment, ils restèrent simplement enlacés sur le canapé, confortables, apaisés. Le silence qui régnait dans le salon de la chambre d'hôtel pulsait doucement au son lent des battements de son cœur et au souffle de leurs respirations. De temps à autre, un simple froissement de tissu quand sa main caressait tendrement le bras de son vampire, ou quand Severus venait fureter de son nez dans ses cheveux ou quand il embrassait l'endroit de la morsure.
Harry se sentait merveilleusement bien et il se serait bien endormi là, en savourant cet instant hors du temps. Avoir mis les choses à plat avec Severus, avoir évacué toutes les tensions résiduelles entre eux, et même avoir envisagé celles à venir, le laissait avec une impression de quiétude extraordinaire. Mais à mesure que les minutes passaient dans ce silence paisible, il sentait encore une aspérité qu'ils n'avaient pas évoquée et qui le chiffonnait de plus en plus. Il avait beau se dire que ce n'était pas essentiel, qu'il n'avait pas besoin de réponses sur ce sujet, ou qu'il pouvait attendre de les trouver par ses propres moyens, ou plus tard, le fait de sentir cette anicroche en suspens dans son esprit gâchait la quiétude de ce moment avec son vampire.
Il soupira en fermant les yeux puis écarta doucement les bras qui ceinturaient son ventre. Lentement, avec des gestes mesurés qui montraient bien son regret de faire cesser cette étreinte, il se redressa et se retourna. Il gigota quelques secondes pour s'asseoir en tailleur, juste en face de son vampire, presque entre ses cuisses, puis il leva un regard grave vers lui. Pour cette question-là, les mots, les explications, ne suffisaient pas; il voulait lire cette réponse dans les yeux de Severus, qui pour l'instant restait surpris de cette mise à distance.
– Il y a autre chose que je me dois de te demander, commença Harry. Je ne veux pas que tu te sentes menacé ou quoi que ce soit, mais j'ai besoin d'avoir ta réponse et pas les suppositions et les hypothèses qui peuvent me traverser l'esprit…
Il hésita une seconde à prendre la main de son vampire pour atténuer la brutalité de ce qu'il allait dire mais il y renonça sans bien savoir pourquoi.
– Est-ce que tu crois possible, un jour, de me laisser devenir le calice de Mihai ?
Le visage de Severus se fana d'un coup, puis il détourna le regard en soupirant. Harry pinça les lèvres, profondément désolé de ce qu'il venait de faire ressentir à son vampire. Pas de la colère, de toute évidence, mais au moins de la peine, et peut-être même un peu de déception. Il avait sa réponse, sans doute, mais ils ne pouvaient pas en rester là. Cette fois, il attrapa les doigts de son vampire et de son pouce, il caressa doucement le dos de sa main.
– Réponds-moi… S'il-te-plaît.
Severus soupira à nouveau, le temps de trouver le courage de formuler le tumulte de ses sentiments.
– Je ne crois pas… Tu sais ce qu'implique un rituel d'union, en dehors de l'échange de sang. Je… Malgré les apparences civilisées et courtoises, Mihai et moi sommes en conflit latent à ton sujet depuis le pavillon chinois. Je l'apprécie et l'inverse est sûrement tout aussi vrai, mais il existe une forte rivalité entre nous. Il s'était engagé à me tuer si je dérapais à nouveau; à te protéger et faire de toi son nouveau calice… ce qui fut sans doute une excellente motivation pour moi, ajouta-t-il pensivement. Mais je connais ses intentions à ton égard, et même en dehors de l'aspect sexuel du rituel d'union, je risque de me sentir menacé si tu devenais son calice, et les conséquences pourraient être… désastreuses. Sans doute que l'un de nous deux n'y survivrait pas.
– Je comprends, murmura Harry en baissant le regard sur leurs mains jointes.
Et il comprenait, vraiment. En dehors de sa fascination un peu trouble pour Mihai, il savait bien que ses instincts de calice réprouvaient une telle éventualité. Il ressentait le danger de cette situation; danger qui n'existait pas s'il devenait un jour le calice de Lucius, par exemple, parce que Lucius et Severus s'aimaient depuis des années et en quelque sorte, il se partageait déjà entre ses deux conjoints…
Mais Severus et Mihai s'opposaient depuis le pavillon chinois. De manière plus feutrée aujourd'hui, mais le conflit entre eux restait latent, juste sous la surface, ne demandant qu'un terreau fertile pour germer. Ce n'était pas pour rien que Severus, tout en reconnaissant le rôle particulier de Mihai, était plus proche de Nicolæ.
– Est-ce que tu accepterais, malgré tout, que je le nourrisse de temps en temps ? fit Harry en relevant vers son vampire un regard incertain.
– Je ne sais pas… Je ne crois pas, avoua Severus. Cette fois-ci était exceptionnelle, et Mihai peut tenir plusieurs semaines sans boire. Ton sang est assez extraordinaire pour ça… Mais je ne peux même pas imaginer qu'il te morde. Même au poignet. Même s'il y avait des témoins. C'est juste… inconcevable.
Harry baissa les yeux, une culpabilité mordante au fond du cœur. Mihai ne l'avait pas mordu à proprement parlé, mais il avait bu une ou deux gorgées de sang à même son poignet avant de lécher sa plaie pour la faire cicatriser. Et c'était sans doute bien plus que Severus ne pouvait accepter.
– Je lui ai redonné du sang, confessa-t-il, profondément mal-à-l'aise. Le dernier jour, quand on a passé plusieurs heures ensemble. Il ne m'a pas mordu mais… j'ai rempli à nouveau le flacon de sang qu'il avait bu. Et il a bu quelques gorgées à mon poignet…
– Je sais, fit Severus avec un sourire. Il a été assez honnête pour me l'avouer. Et visiblement, toi aussi…
D'un geste brusque, il agrippa la main de son calice et l'attira vers lui. Surpris par son mouvement, Harry n'opposa aucune résistance et se retrouva à genoux entre ses cuisses, serré contre son torse. Le visage enfoui dans le cou tout chaud de son calice, Severus respira profondément son odeur. Un bras ceinturait sa taille, et l'autre remontait dans son dos, la main nichée sous ses cheveux.
Après un instant de résistance davantage due à la surprise qu'à autre chose, Harry se laissa rapidement aller contre son torse, ses bras cherchant à se frayer une place autour de lui, dans son dos, pour le tenir à son tour. Son souffle s'était accéléré et son cœur battait la chamade. Fébrile, impatient. Severus aurait pu relâcher son étreinte que son calice serait resté collé contre lui, le serrant dans ses bras comme si sa vie en dépendait.
Il sentait dans l'esprit de Harry cette culpabilité qui diminuait lentement au fur et à mesure de cette étreinte qui avait valeur de pardon et de réconciliation et qui se transformait en quelque chose de plus possessif de part et d'autre. Quelque chose de plus animal, de plus sauvage. Et la morsure survint sans même que Severus l'ait décidée, une morsure primitive, qui consistait à s'appartenir l'un à l'autre, à fusionner, plutôt rudement, des instincts indomptés, aussi bien les siens que ceux de son calice.
– Encore. Encore, murmurait Harry tandis qu'il buvait à son cou.
Et ses doigts, cramponnés dans ses cheveux courts, maintenaient son visage contre sa gorge, même quand il fut rassasié et qu'il cessa de boire.
Le sexe ne vint qu'après, quand la magie tourbillonnante de Harry les déshabilla brusquement. Severus glissa le long des coussins jusqu'à se retrouver allongé sur le canapé, un calice fiévreux et avide au-dessus de lui. Il ondulait le long de son corps nu, il se frottait désespéramment, comprimant son bassin contre son ventre. Il haletait, il gémissait des sons fébriles et ses mains empoignaient ses épaules et ses cheveux comme une planche de salut. Severus frissonna de désir et du plaisir étourdissant que lui procuraient ces bruits et ces mouvements. Les coups de hanches anarchiques de son calice frottaient son propre sexe d'une façon terrible et prodigieuse à la fois.
De plus en plus erratique, presque possédé, Harry remuait, geignait d'impatience, il se frottait sur lui, indécent et sulfureux. Difficilement, entre deux mouvements saccadés de son calice, Severus glissa sa main entre leurs ventres, saisissant son sexe tendu, puis celui de Harry quand il comprit son intention. Sous la pression de sa main, son calice poussa un long gémissement étranglé qui lui retourna les sangs, puis il se remit à onduler des hanches pour pousser dans son poing.
Severus rejeta la tête en arrière, désespéré de ce plaisir ultime qui se refusait à eux et qu'il espérait pourtant le plus tardif possible. Un son rauque sortit de sa gorge, aussi spontané et primitif que l'avait été la morsure. Il avait l'impression de trembler de manière incontrôlable. Et Harry, les cheveux dans les yeux, le front et le dos trempé de sueur, n'était pas dans un meilleur état.
Un instant, leurs yeux se croisèrent, leurs iris assombris par leurs pupilles dilatées, et ils se figèrent. Chacun pouvait lire dans le regard de l'autre le désir, l'excitation, mais aussi l'hésitation, et presque de la crainte. Et puis Harry eut un petit sourire en coin, il poussa son sexe dans son poing et un gémissement plaintif, et il fondit sur ses lèvres.
Severus ferma aussitôt les yeux sous la sensation et ce fut sans doute à ce moment-là que l'orgasme l'emporta, bien avant son calice.
Leurs bouches se scellèrent comme elles ne l'avaient pas fait depuis si longtemps, avides, affamées, ardentes de désir. Les lèvres et la langue de son calice. Son goût unique et délicieux. Se lécher, se mordre et faire danser leurs langues ensemble. S'embrasser à en perdre la raison.
Et Severus perdit au moins toute conscience claire de ce qui se passait entre eux. Rien ne comptait plus que ces lèvres et cette langue qui jouaient avec les siennes, ces dents qui ne voulaient plus lâcher l'autre. Il devina à peine le gémissement sanglotant que poussa Harry dans sa bouche après un dernier coup de reins dans son poing. Et même une fois repus et soulagés, il continua à embrasser son calice, délicatement, précieusement, picorant ses lèvres gonflées comme des grains de raisin jusqu'à ce qu'il se rende compte que Harry s'était endormi contre lui. Épuisé et heureux.
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oooooo
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Plongé dans ses livres de compte, Lucius sursauta à l'apparition inopinée de son vampire de mari dans son bureau. D'habitude, il faisait attention; après leur avoir causé quelques frayeurs, il faisait en sorte de ne pas apparaître trop soudainement ou trop silencieusement à leurs côtés, mais cette fois, la précipitation semblait l'avoir emporté sur la précaution.
Échevelé malgré ses cheveux courts, fébrile, troublé, Severus se tenait devant lui, l'encolure de son pull un peu de travers et les mains tremblantes. Lucius fronça aussitôt les sourcils, brusquement inquiet. Mais rapidement, son regard dériva vers le visage du vampire qui racontait, lui, une toute autre histoire : presque choquantes au milieu de sa pâleur, ses lèvres pourpres, si sanguines qu'il venait de toute évidence de boire, étaient gonflées comme des fruits trop mûrs et ses yeux d'un noir d'encre, plus chauds et profonds que la nuit la plus sombre, rougeoyaient doucement sur les bords.
– Tu as cinq minutes ? fit Severus d'une voix rauque.
– Cinq ?! ricana Lucius avant de se faire happer par la main et le bras de son mari.
La suite fut un tourbillon de sensations incompréhensibles jusqu'à ce qu'il parvienne à fixer son regard plus de quelques secondes sur un plafond loin au-dessus de lui. Severus avait dû les faire transplaner à sa façon au sein du Manoir, ils étaient nus sur un lit, et il lui fallut quelques secondes de plus pour reconnaître la suite de l'aile Nord où ils avaient passé plusieurs nuits pendant la dernière absence de Harry.
Et puis un frisson extraordinaire le prit quand Severus plongea à nouveau la bouche la première sur son sexe, Lucius referma les yeux et la suite ne fut plus que sensations et plaisir.
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Bon sang, il était bon pour prendre une douche; un sortilège de nettoyage ne serait jamais suffisant. Ses cheveux longs collaient dans sa nuque, dans son dos, sur ses tempes, il se sentait moite et poisseux de sueur. Mais ça avait été… époustouflant. Et il lui fallait bien encore quelques secondes de répit pour réussir à reprendre son souffle et à calmer les battements effrénés de son cœur.
Lucius finit par ouvrir les yeux, épuisé mais satisfait. Et le sourire aux lèvres. À côté de lui, Severus était allongé sur le dos, immobile et silencieux, et pas le moins du monde essoufflé. Cela tenait à sa nature de vampire, assurément, mais en réalité, Lucius ne savait même pas s'il avait eu du plaisir ou non. De toute évidence, aujourd'hui, il ne s'agissait pas de ça; Severus avait voulu s'occuper de lui, lui faire du bien, lui donner un orgasme fabuleux – et cela avait été parfaitement réussi – et sa propre jouissance était passée au second plan, loin derrière sa volonté de lui offrir un plaisir renversant.
– Pourquoi j'ai dans l'idée qu'en réalité, ce n'est pas à moi que tu faisais l'amour ? gloussa Lucius.
L'amusement devait s'entendre dans sa voix, et il l'avait fait sciemment, pour montrer qu'il n'était pas dupe, mais qu'au fond, il n'en voulait pas à Severus. Il avait bien conscience de la frustration de son mari avec son calice et du fait que, parfois, il était le seul disponible pour assouvir ses désirs charnels. Et à d'autres moments, il était le vrai destinataire de ses envies…
Lucius en avait pris son parti, sans rancœur ni dépit. Leur situation à tous les trois était complexe, encore en évolution, et chacun faisait du mieux qu'il pouvait…
Mais cette petite phrase destinée à rassurer son mari et à lui permettre d'en parler s'il le souhaitait, eut exactement l'effet inverse. Severus se redressa brusquement, assis dans le lit les jambes repliées, les coudes sur ses genoux écartés, et il se prit la tête entre les mains.
– Je suis désolé, fit-il d'une voix étouffée.
Severus resta figé quelques secondes puis il se passa longuement les mains sur le visage, comme s'il cherchait à se réveiller.
– Je suis désolé, répéta-t-il sourdement.
Lucius leva la main pour caresser doucement le dos de son mari.
– Hé… tout va bien. Je ne vais pas me plaindre de ce que tu viens de me faire ! Même si tu pensais peut-être plus à Harry qu'à moi…
Severus restait silencieux, la tête basse et les épaules voûtées. S'il n'avait pas été un vampire avec tout ce que ça supposait de puissance et d'intransigeance, Lucius aurait même dit qu'il était abattu…
– Sev… Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui s'est passé avec Harry ?
Car il se doutait, et avec une quasi-certitude d'avoir raison, qu'il devait ce moment épique et sulfureux à la relation compliquée entre le vampire et son calice. Lucius savait que les deux hommes devaient se parler et qu'ils s'étaient isolés cette après-midi, il ne savait même pas où, pour le faire. Il espérait en particulier que Severus avait fini par faire part à Harry de ses craintes au sujet de Vladimir, et qu'il lui avait plus ou moins avoué qu'il le surveillait lors de ses déplacements.
Était-ce cela qui avait conduit à ce moment de sexe effréné ? Est-ce que Harry s'était énervé, l'avait rejeté, ou bien avait refusé de le nourrir ? Est-ce que Severus s'était senti abandonné ? trop frustré par son calice qu'il avait eu besoin de venir le trouver pour assouvir ses pulsions ?
– Vous vous êtes disputés ? insista-t-il devant le mutisme de son compagnon.
– Non, concéda Severus, presque surpris de sa propre réponse. Non, on s'est… parlé. Je lui ai tout dit.
– Tout ? releva Lucius. Et comment il a réagi ?
– Bien… Je crois qu'au fond, il s'en doutait. Pour Vladimir. Et pour moi aussi.
Severus parlait d'une voix morne, presque atone, et il restait prostré, assis, les coudes sur les genoux et la tête basse. Lucius s'était redressé à son tour et il continuait à caresser l'arrondi de son dos et ses épaules nouées.
– Alors qu'est-ce qui t'a mis dans cet état-là… ?
– Je…, commença Severus avant de soupirer en cherchant son courage. On s'est embrassés.
La main de Lucius s'immobilisa brusquement et il ouvrit des yeux ronds.
– Et comment Harry a réagi ?
– C'est lui qui m'a embrassé.
De surprise, Lucius gloussa. Une fois. Le plus discrètement possible. Mais le contraste entre cette plutôt bonne nouvelle et l'abattement de Severus était si incongru, si saisissant, qu'il ne réussit pas à s'en empêcher.
Bien sûr, lui il savait que Harry murmurait parfois le prénom de son vampire dans son sommeil, il savait qu'il rêvait de lui, qu'il cherchait toujours une morsure au moment de l'orgasme quand ils s'envoyaient en l'air tous les deux. Il savait que les désirs inconscients de Harry allaient plus loin que ce qu'il voulait bien avouer… Mais pour Severus, c'était sans doute un séisme dans sa relation avec son calice. Et lui qui luttait depuis des mois pour être irréprochable, pour ne pas se permettre un mot ou surtout un geste de trop, se retrouvait brusquement désemparé devant les envies de Harry.
En essayant de camoufler du mieux qu'il pouvait le sourire sur ses lèvres, Lucius s'assit un peu plus correctement à côté de son mari et passa un bras autour de ses épaules. Il l'attira légèrement vers lui et fut surpris de le voir presque s'abandonner contre lui, avec une passivité que Severus n'avait plus depuis qu'il était un vampire. Il paraissait si vulnérable que Lucius en fut un peu décontenancé.
– Donc, vous vous êtes embrassés, reprit Lucius pour faire le point. Harry t'a embrassé. Du bout des lèvres ou…
– Un vrai baiser, coupa Severus en grimaçant.
Lucius sourit discrètement, avec une sensation piquante au fond du ventre en imaginant ses deux maris s'embrasser. Il y avait si longtemps que ce n'était plus arrivé que cette vision aurait pu raviver ses envies de luxure alors même qu'il venait d'avoir du plaisir.
– Et tu n'en avais pas envie ? Tu n'as pas apprécié ?
– J'ai eu un orgasme, marmonna Severus. Quand il m'a embrassé, j'ai eu un orgasme…
– Comme ça ?! Spontanément ? s'étonna Lucius en écarquillant les yeux.
– On était… C'était…
À voir la gêne de Severus, le malaise entre eux était plus profond qu'un baiser extravagant et assez sensationnel pour lui faire avoir un orgasme.
– Raconte-moi ce qui se passe entre vous. Tu n'arriveras pas à faire la part des choses si tu n'évacues pas ce qui te trouble autant.
Severus frissonna puis cacha son visage entre ses mains. Il semblait hésiter et puis le besoin de se confier fit voler en éclat ses réticences.
– Pendant longtemps, les morsures ont été des moments calmes et tranquilles, pleins de tendresse et de douceur. De temps en temps, Harry avait des orgasmes, mais ce n'était pas systématique; et de temps en temps, les morsures étaient un peu plus… sulfureuses. Mais depuis qu'on est allé à Colibita, ça s'est démultiplié. C'est devenu… indécent.
Lucius pinça les lèvres pour ne pas sourire ou ne pas interrompre Severus. Son embarras était palpable, mais il paraissait tellement ridicule par rapport à l'évidence du désir qui émergeait à nouveau entre le vampire et son calice.
– Qu'est-ce qui se passe entre vous pour que ce soit si indécent ?
– Quand ça dérape, expliqua Severus d'une voix étouffée, on finit par… se toucher. Lui, ou moi; parfois les deux. Parfois des caresses, mais surtout… une espèce de masturbation mutuelle. Sa magie nous déshabille. À Colibita, ou tout à l'heure, on s'est retrouvés allongés l'un sur l'autre… À se… frotter et à se masturber. Il n'y a jamais de fellation et jamais de pénétration, mais… on a du plaisir tous les deux. Et tout à l'heure, il m'a embrassé pendant ce « simulacre », et ça a suffi à me faire jouir.
– Et lui ?
– Il lui a fallu un peu plus longtemps. Et puis il a fini par s'endormir dans mes bras.
Lucius eut un sourire attendri. Il aurait certainement donné cher pour assister à cette scène… à toute cette scène. Et encore plus cher pour pouvoir y participer ! Mais Severus, lui, avait l'air de se sentir coupable de ce baiser et de ces attouchements.
– Et qu'est-ce qui te gêne dans tout ça ? fit-il doucement. Le fait que vous soyez assez proches pour avoir du plaisir physiquement et ensemble ?
– Ce qui me gêne, c'est qu'avant les limites étaient claires : je n'avais pas le droit de le toucher et c'était très bien comme ça. Et maintenant, plus ça va et plus les limites sont floues et embrouillées et… tout ça va trop loin.
– Harry aime te donner son sang, insista Lucius avec un sourire radieux. Il aime être avec toi et aujourd'hui, il te laisse même accès à son corps pour le toucher, pour lui donner du plaisir, et il prend l'initiative de t'embrasser… Tu ne crois pas que tes sacro-saintes limites sont un peu obsolètes… ? Et franchement… s'embrasser et se tripoter comme des adolescents, on est encore loin de l'indécence, non ?!
Le regard de Severus flamboya soudain d'une lueur rougeoyante.
– Tu te fous de moi, n'est-ce pas ?!
D'un geste brusque, le vampire attrapa un oreiller et le lui lança à la figure, assez fort pour que Lucius ne se laisse aller à la renverse sur le lit en éclatant de rire. Il se moquait un peu, bien sûr, que Severus se montre si prude et si perturbé pour des gestes qui semblaient dérisoires par rapport à ce qu'ils avaient pu faire ensemble par le passé. Ou même ce qu'ils avaient pu faire tous les deux une demi-heure plus tôt…
Et Severus, tout aussi nu que lui, se retourna brusquement pour se mettre à genoux de part et d'autre de ses cuisses, le dominant de toute sa hauteur avec un air vengeur. Une étincelle de désir traversa à nouveau son regard sombre, il posa deux mains puissantes sur son torse et leurs sexes frottèrent incidemment l'un contre l'autre.
Mais leur position dut lui rappeler d'autres scènes semblables avec son calice, son sourire se figea, son visage perdit toute son expression lubrique et alléchée, et il s'écarta soudain pour se laisser retomber sur le dos, à quelques centimètres de lui et pourtant si lointain.
Lucius grimaça devant cette occasion manquée de légèreté et d'insouciance dont Severus avait tant besoin. Il savait bien que son mari était perdu dans les affres du doute, il mesurait parfaitement toute l'importance que cette « reconquête » avait pour le vampire et le chemin que cela représentait depuis le pavillon chinois. Et quelque part, il était bouleversé de le voir tiraillé entre ses envies et la réalité, de voir Harry lui lancer des appels du pied que Severus refusait de comprendre, et tout cela l'émouvait et l'attendrissait tout à la fois.
Mais son intuition, ou peut-être le fait de le connaître depuis tant d'années, lui disait que Severus était trop « sombre » pour un simple baiser et quelques attouchements.
– Qu'est-ce qu'il y a d'autre ?
Severus ne bougeait pas, ne semblait même pas respirer ou avoir entendu sa question, il resta immobile de si nombreuses secondes que Lucius interpréta son silence comme un refus de répondre. Même son aura s'était faite plus dense, plus épaisse, lourde des mille pensées tumultueuses qui tourbillonnaient dans son esprit.
Et puis une voix amère s'éleva peu à peu tandis que Severus, réfugié derrière ses paupières closes, livrait le dernier de ses tourments.
– Quand on a parlé tout à l'heure, il a dit… qu'il était certain qu'on finirait par faire l'amour un jour, tous les deux, comme avant. Que ce serait en quelque sorte… l'aboutissement de notre chemin. La suite logique de ce qui se passe aujourd'hui.
– Et tu ne veux pas…
Ses mots étaient à peine une question tant Severus paraissait résigné à renoncer à cette éventualité.
– J'en rêve. Mais j'ai peur, murmura le vampire. J'ai peur de le blesser, de lui faire mal, de lui faire du mal… De ne pas réussir à m'arrêter s'il me le demande. De ne pas savoir me maîtriser. J'ai peur de moi-même, souffla-t-il d'une voix étouffée par le bras posé en travers de son visage. J'arrive à peine à me regarder en face après ce que j'ai fait… Je ne veux pas que tout ça recommence. Je ne supporterai pas de lui faire encore le moindre mal…
Du bout des doigts, Lucius chercha la main de son mari pour la serrer dans la sienne. Que pouvait-il dire face à cette peur qui ne quitterait Severus qu'une fois qu'il aurait franchi le pas ? Quel pouvoir avaient des mots dérisoires face à ce désarroi profond et ce manque de confiance en lui-même ? Comment pouvait-il rassurer son mari et l'aider à guérir de ces blessures ?… À part en étant là, présent, jour après jour pour les accompagner du mieux qu'il pouvait sur ce chemin sinueux et escarpé de leur relation; pour leur prouver à l'un et à l'autre qu'ils méritaient ce bonheur qui se bâtissait peu à peu entre eux…
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(1) Rosa Bonheur, Le Relais de Chasse, 1887
Merci de votre lecture et de votre fidélité!
La semaine prochaine, Lucius inaugure la nouvelle aile de son musée et Severus confie un portoloin d'urgence à son calice...
Au plaisir
La vieille aux chats
