Résumé: Les fêtes de Noël s'installent au Manoir, Aria déballe ses premiers cadeaux en famille, Harry concocte une potion pour les gobelins et offre un présent précieux à son vampire... Lassé de voir Severus tourner autour du pot avec Harry, Lucius le provoque de manière à lui prouver qu'il est capable de se maîtriser quelles que soient les circonstances. C'est une révélation pour Severus, qui reste un peu sous le choc, puis Lucius s'offre à lui d'une manière impensable auparavant. Harry retrouve son vampire encore bouleversé quelques heures plus tard et l'incite à une morsure pour l'apaiser...
Le site semble fonctionner un peu mieux, j'espère que vous aurez tous le mail pour vous prévenir de la parution de ce chapitre! On retrouve tout de suite Harry pour le dernier jour de cette année mouvementée... ^^ Bonne lecture!
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Harry porta machinalement son verre à ses lèvres pour occuper ses mains, pour se donner une contenance, pour passer le temps… L'acidité du jus de fruits envahit brusquement sa bouche et réveilla ses papilles, irradiant un plaisir électrique le long de sa nuque et jusqu'aux petits cheveux qui frottaient contre le col de sa veste. Un coup de fouet piquant et agréable, et Merlin savait qu'il en avait bien besoin s'il voulait survivre à cette soirée.
Autour de lui, il entendait d'une oreille distraite des babillages sans intérêt et des rires convenus, le brouhaha des conversations qui étouffait une musique dont ne surnageaient que quelques notes de temps à autre. Même les trois ou quatre personnes qui se pressaient à ses côtés n'échangeaient que des paroles sans intérêt, des flatteries ou des commentaires fades au sujet des dernières rumeurs du moment. Et tant mieux. Ce genre de conversation superficielle lui convenait parfaitement. Il se contentait d'un hochement de tête ou d'un sourire tiède de temps en temps, pour marquer la fin d'une tirade, et ça lui donnait l'air de s'intéresser à ce qui se passait autour de lui alors que ses pensées étaient ailleurs.
Pas bien loin, cependant. À peine à quelques mètres… Vers son mari, en premier lieu, resplendissant dans son costume ivoire rehaussé de broderies dorées. Avec ses longs cheveux blonds et son sourire étincelant, il donnait presque l'impression d'être en costume de jeune marié, de se diriger vers un autel pour une cérémonie, fier et lumineux. Il avait toujours la même prestance, la même élégance, mais depuis qu'il n'était plus Ministre, elles paraissaient moins hautaines, à la fois plus évidentes et à la fois désarmantes de simplicité, de naturel. Il était radieux, et cette image de bonheur qu'il renvoyait donnait presque envie de sourire. On le sentait dans son élément : une soirée mondaine comme Lucius en avait fréquenté des milliers, mais aujourd'hui, les enjeux de pouvoir et de politique n'existaient plus, pas davantage que les secrets autour de son homosexualité ou de leur couple à trois. Une certaine liberté dont il jouissait de manière affolante, sans souci du qu'en-dira-t-on ou de l'opinion des gens.
Et puis, à l'autre bout de la vaste salle, aussi bien installé dans un recoin sombre que Lucius brillait en pleine lumière, se tenait l'autre homme qui envahissait ses pensées. Drapé dans une cape noire de jais près des immenses tentures rouge grenat, on ne voyait de Severus que le bas de son visage si pâle et ses lèvres carmins qui s'étiraient en un sourire dangereux. Et sur son torse, la même teinte rouge sang luisait doucement sur le revers de son costume noir.
Même à demi caché par son capuchon, il irradiait de puissance et d'un charisme sauvage qui le faisaient vibrer d'aussi loin qu'il était. Harry inspira profondément, comme pour s'imprégner de cette aura; comme s'il pouvait la boire, la respirer, l'emmagasiner en lui, la faire sienne. Il aimait ça : ce sentiment de puissance exaltée, tout ce que son vampire pouvait faire frémir au fond de lui. La tendresse, l'amitié, l'amour, l'impression de symbiose et une farouche volonté de le protéger…
Et puis, quelqu'un parla à Severus, un qui n'était pas assez dérangé ou repoussé par cette aura qu'il déployait autour de lui pour sa tranquillité, il leva les mains pour rabattre lentement son capuchon sur sa nuque, et leurs regards se croisèrent, par-delà la distance qui les séparait, par-delà la multitude de visages et de silhouettes inconnues. Un regard noir, intense, rivé dans son regard à lui; un regard que Harry aurait juré voir rougeoyer une fraction de seconde. Ils se sourirent d'un bout à l'autre de la salle, presque seuls au monde, et il frémit à nouveau sous la sensation avant que Severus ne se détourne pour répondre à son interlocuteur.
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Du regard, Harry chercha à nouveau son mari et le trouva près du buffet, une coupe de champagne à la main et le sourire aux lèvres, en grande conversation avec une lady de l'aristocratie sorcière qui fréquentait les soirées mondaines de loin en loin. Et c'était drôle, d'ailleurs, comme ces femmes étaient passées de la courtisane intéressée par sa position sociale à une compagnie plus simple et amicale, maintenant que son homosexualité était publique et avérée. À la fois comme s'il n'y avait plus d'enjeu et comme si elles n'avaient plus rien à craindre, elles étaient nombreuses à venir lui parler de façon tout à fait spontanée, libres d'une conversation cultivée ou même de rire avec lui sans que personne n'y trouve à redire. Et Lucius, qui aimait toujours plaire même s'il savait où était son cœur, ne se privait jamais d'en profiter.
Mais ce soir, plus que ce bavardage distingué avec une hypothétique rivale, c'était la distance entre ses deux conjoints qui chagrinait Harry… Ils étaient venus tous les trois ensemble, bien entendu, pour cette soirée du Bout de l'An du Ministère; il avait transplané au bras de Lucius, et Severus était arrivé par ses propres moyens en même temps qu'eux, faisant aussitôt place nette au milieu des aires de transplanage, sous les yeux ébahis des invités devant cette forme sombre qui se rematérialisait peu à peu avec un sourire narquois.
Dans l'après-midi, il savait que Lucius et Severus avaient assisté à une cérémonie en commémoration de l'attentat du Boxing Day de l'année précédente. Pour des raisons très personnelles, Harry n'avait pas souhaité s'y rendre et aucun des deux n'avait insisté en ce sens. Ils étaient rentrés en fin de journée, le temps de se changer, d'avaler un dîner sommaire pour Lucius et pour lui, avant de repartir pour cette soirée ennuyeuse à mourir mais qui ne semblait déplaire, pour une fois, ni à l'un, ni à l'autre. Harry, lui, avait convenu avec ses conjoints de ne rester qu'une heure ou deux pour faire de la figuration avant de s'éclipser pour rejoindre ses amis, mais il trouvait tout de même le temps long.
Cependant, il sentait bien que cette « distance » entre ses conjoints, discrète et mesurée, ne datait pas de cette cérémonie quelques heures plus tôt. Elle s'était glissée insidieusement entre eux depuis trois ou quatre jours, de façon étrange et impalpable. Et à vrai dire, il ne s'agissait pas réellement d'une distance, mais d'une… hésitation. Quelque chose d'intangible, fait de regards incertains, de silences, de gestes retenus, d'une réticence nouvelle à ce qui était évident auparavant. Et pour aller même au bout des choses, cette hésitation ne provenait que d'un seul des deux hommes : son vampire.
Lucius n'avait pas changé d'un iota : en public, aussi suffisant qu'à l'accoutumée, avec cette petite touche de désinvolture joyeuse qui était devenue son apanage depuis sa démission; et en privé, aussi tendre, lubrique et espiègle qu'il l'avait toujours été… Mais Severus, lui… Harry ne savait pas ce qui s'était passé entre les deux hommes – ni quand, bien qu'il ait sa petite idée –, mais il voyait les résultats : un Severus hésitant dans son comportement avec Lucius, un peu précautionneux, réfléchissant à deux fois à chaque geste, à chaque parole, comme s'il se sentait obligé de le prendre avec des pincettes. Ou bien comme s'il ne savait plus de quelle façon se comporter avec lui. Lucius faisait mine de ne pas s'en apercevoir, sans doute pour ne pas le mettre davantage mal à l'aise, mais la différence de comportement de Severus était patente. Et Harry en était quelque peu agacé.
Jusqu'à présent, cela ne l'avait jamais dérangé que ses conjoints aient une vie privée dont il soit exclu, qu'ils aient des moments rien qu'à eux, des conversations et des confidences qui leur appartiennent, qu'ils partagent une intimité dont il n'avait longtemps plus voulu avec Severus… C'était sans doute salutaire pour leur équilibre à tous les trois qu'ils puissent aussi exister deux par deux : lui avec Lucius, tout autant que lui avec son vampire, ou que ses deux conjoints ensemble. Seulement cette fois, cet événement dont personne ne lui avait parlé mais qu'il savait avoir existé, avait trop d'incidence sur leur relation pour le laisser indifférent. Severus était déjà assez réticent comme ça avec lui, à refuser certains contacts ou une certaine intimité de corps et de sentiments, pour qu'il se permette de commencer à faire la même chose avec Lucius.
Bien sûr, Harry n'avait pas voulu poser de questions. En théorie, cela ne le regardait pas et il ne voulait pas paraître curieux ou intrusif. Mais il avait été le premier témoin du désarroi de Severus, cette nuit-là, dans la Bibliothèque, en revenant de danser aux petites heures du matin. Cette impression que son vampire avait le souffle coupé, qu'il ne savait plus ni quoi penser, ni quoi dire, ni quoi faire, cette hébétude… Il avait été celui qui lui avait proposé de boire, tellement il l'avait senti dépassé et presque abattu. Pouvoir le mordre pour retrouver sa place et sa légitimité, asseoir son aura, renouveler leur lien… Au final, tout ça s'était soldé par un grand moment de plaisir, intime et complice, sur le tapis devant la cheminée, et qu'il ne regrettait pas le moins du monde, mais cela n'avait rien résolu. Et la permanence de cette hésitation de Severus envers Lucius le chagrinait.
Bien sûr, en public, Severus avait toujours cette stature de vampire, immense, inquiétante, ténébreuse; une aura d'une puissance veloutée et écrasante à la fois, qui fascinait les gens autant qu'elle les dérangeait d'une façon insidieuse. Ils s'approchaient comme des papillons de nuit attirés par la lumière tout en redoutant cette proximité, mal-à-l'aise et effrayés dès que le vampire tournait son attention vers eux. Une attirance troublante pour ses pouvoirs, pour son étrangeté, pour sa dangerosité…
Lui aussi aimait cette envergure épaisse de puissance que pouvait prendre son vampire; il était le premier à la ressentir et à frissonner à son contact, il se serait roulé dedans s'il l'avait pu, il adorait se sentir vibrer à l'unisson avec lui, avec une passion presque aussi violente qu'un orgasme…
Mais quelque part, il aimait encore davantage son vampire quand il était plus « humain ». Quand il dévoilait ses failles et ses faiblesses, quand il se montrait incertain, presque fragile, quand il n'avait pas honte de son désarroi, ni de douter, quand il exprimait avec une sincérité désarmante ses sentiments et son besoin de lui… Ce que Severus ne montrait à personne, cette facette, loin de la toute-puissance du vampire, qu'il avait toujours gardée secrète, il lui arrivait de la dévoiler, parfois, pudiquement, délicatement, avec toujours dans son attitude la crainte muette du rejet. Dans une économie de mots qui lui correspondait si bien, à travers des regards, des hésitations, des gestes presque timides, il esquissait son envie, il l'attirait vers lui, il le prenait dans ses bras, il venait nicher son visage dans son cou comme pour se rassurer, il venait quémander une morsure, juste le besoin de le mordre, d'un peu de sang ou de lui laisser ses marques…
Avec lui, Severus savait se montrer vulnérable… et c'était un cadeau plus précieux que toutes les promesses de rédemption du monde. Alors qu'il commence à se montrer un peu comme ça devant Lucius… Harry gloussa brusquement, à la surprise de ceux qui discutaient autour de lui. Sans doute qu'il ressentait une certaine jalousie à ce comportement de Severus et cette idée le fit sourire une seconde. Il aimait l'idée d'avoir l'exclusivité de cette facette de sa personnalité, de ne la partager avec personne, et ce n'était pas très juste pour Lucius !
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Harry chercha à nouveau son vampire des yeux et il le trouva dans un autre recoin de la salle, en grande conversation avec Sebastiaan. Son regard riait, ses lèvres s'étiraient en un sourire jouissif qui découvrait deux canines un peu longues, il semblait pétillant…
Il sourit et fit un pas en avant pour aller le rejoindre et saluer Sebastiaan quand une voix féminine l'interrompit dans son élan.
– Monsieur Potter…
Harry tourna brusquement la tête alors qu'une main ornée de bagues se posait sur son bras.
– Lady Parkinson…, la salua-t-il avec un hochement de tête.
– Oh, excusez-moi. Je vous dérange… Je n'avais pas compris que vous alliez le retrouver.
Son sourire faux et convenu s'effaça en un instant à mesure qu'elle tournait la tête pour observer à son tour Severus à l'autre bout de la salle, mais sa main, elle, n'avait pas relâché son bras. Harry fronça discrètement les sourcils. Il connaissait peu la mère de Pansy Parkinson. Ils s'étaient trouvés à de nombreuses soirées officielles ensemble, elle avait été présente à son mariage et à celui de son vampire parce qu'elle faisait partie de l'aristocratie sorcière et des relations proches de Lucius, elle avait même été invitée quelquefois à dîner au Manoir, mais ils n'avaient jamais échangé plus de quelques mots polis et de circonstance. Alors, qu'elle accapare son attention avec l'intention manifeste de lui parler était pour le moins surprenant.
– Il est magnifique, n'est-ce pas ?
L'expression presque cupide de son visage, son sourire calculateur, son regard qui lui donnait l'impression de peser la valeur de Severus comme une marchandise… tout cela mettait Harry profondément mal à l'aise. Sans compter le farouche sentiment de possession qui naissait dans son ventre et qui lui donnait envie de s'interposer entre cette femme et son vampire.
– Depuis sa transformation, reprit-elle devant son silence, il dégage cette espèce de magnétisme envoûtant qui fait tourner toutes les têtes. Il est d'une prestance folle ! ajouta-t-elle avec un petit rire aigu.
Harry fourra sa main dans sa poche de pantalon pour se défaire de son emprise sur son bras tout en se retenant de grogner d'agacement. Il ne savait pas si elle exprimait seulement son opinion ou si elle excitait à dessein sa jalousie, mais les deux l'irritaient.
– … Vous formez un « couple » si particulier avec Severus, Monsieur Potter…
Le nombre de guillemets qu'elle avait mis sur le mot couple lui fit serrer les dents et il se tourna franchement vers elle pour mettre un terme à cette conversation à sens unique.
– … Il serait si facile de l'atteindre à travers vous.
Cette fois, Harry se figea brusquement et une dureté peu commune envahit son visage et son regard. Elle aurait été n'importe qui d'autre, il l'aurait déjà chassée d'un mot cinglant ou d'un revers de magie, mais elle était une relation proche de Lucius et aux dernières nouvelles, elle avait toute sa confiance.
– C'est une menace, Lady Parkinson ? gronda-t-il d'un ton glacial.
Elle lui adressa un sourire faux, destiné à la galerie, mais sa voix était on ne peut plus sérieuse quand elle répondit :
– Non. C'est un conseil, Monsieur Potter.
Il frissonna mais davantage que la fraîcheur de la conversation, il avait perçu le contact froid du sortilège de silence qui venait de se couler autour d'eux. Elle n'avait pas sorti de baguette, elle avait simplement levé la main pour rajuster une mèche de cheveux sur son chignon sophistiqué, elle n'avait pas prononcé un mot de plus mais le charme était là, parfaitement ajusté autour d'eux malgré les petits groupes qui s'agglutinaient dans la salle et qui les bousculaient de temps à autre. À bien y réfléchir, la baguette devait se trouver dans sa manche un peu bouffante et son geste élégant n'avait pas eu d'autre intention que de lancer le sortilège.
– Vous êtes un homme trop exposé, Harry, reprit-elle rapidement d'une voix plus pressante. Faites attention à vous.
– Je ne suis pas plus exposé que Lucius ou Severus, répliqua-t-il en fronçant les sourcils.
– Détrompez-vous. Severus se suffit à lui-même. Et Lucius, même s'il est un homme public, prend toujours soin de se montrer dans des endroits où il n'est jamais seul, ou bien là où la sécurité est renforcée en raison du public qui s'y trouve. Il ne se promène pas seul sur le Chemin de Traverse, ou avec sa fille dans le Londres moldu... Il ne se rend pas à des entraînements de quidditch sur des terrains déserts à la nuit tombée ou dans des boutiques d'ingrédients sordides de l'Allée des Embrumes... Il est trop facile de s'en prendre à vous; surveillez vos arrières.
Harry la dévisagea d'un regard intense, raidi d'une appréhension brutale après coup. Elle était impassible, conservant un sourire factice tandis que ses yeux survolaient l'assemblée avec amusement. Elle donnait l'impression d'une conversation enjouée, délicieusement moqueuse, une façade élégante alors que sa voix était mortellement sérieuse.
Tous ces moments avaient existé, il le savait, et ses propos faisaient douloureusement écho aux inquiétudes formulées par son vampire quelques semaines plus tôt. Il n'avait plus d'entraînements de quidditch maintenant que les matchs caritatifs étaient passés, il avait accepté de porter ce portoloin en guise d'alliance qu'il tripota machinalement pour s'assurer de sa présence, il avait achevé ses achats de Noël et il n'était pas sorti du domaine du Manoir depuis plusieurs jours… Ces avertissements paraissaient obsolètes mais il décelait dans sa voix des accents de sincérité indéniables.
– Pourquoi croyez-vous que nous sommes encore menacés ?
Elle glissa un regard soulagé vers lui, visiblement satisfaite qu'il la prenne au sérieux sans chercher à contester ses paroles.
– J'ai mon propre réseau d'informateurs, monsieur Potter. Et certains détails seraient sans doute restés anodins si Severus ne s'était pas lancé dans cette stupide vendetta.
Malgré lui, Harry écarquilla les yeux, surpris et choqué à la fois.
– Quelle vendetta ?!
– Ne me faites pas croire que vous n'aviez rien deviné… Severus s'est juré d'abattre ce vampire qui l'a transformé. Et je pense que Vladimir n'avait pas besoin de cette raison supplémentaire pour l'avoir dans sa ligne de mire.
Elle lui adressa à nouveau un sourire artificiel et sans chaleur, murmura un vague « Faites attention à vous, Monsieur Potter », puis disparut dans la foule, emportant avec elle les effluves glaciales du sortilège de silence.
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Il resta un long moment figé sur place, les mots voltigeant dans son esprit, jusqu'à ce qu'un homme ne le bouscule involontairement. L'inconnu s'excusa immédiatement, le sourire affable et désolé, Harry fit un geste de la main pour signifier que cela n'avait pas d'importance puis porta son verre à ses lèvres. L'acidité du jus de fruits le fit frissonner à nouveau et ce fut salutaire pour le reconnecter à la réalité. Il s'empressa soudain de chercher son vampire et son mari, fouillant la foule du regard, passant en revue des dizaines de silhouettes, de visages, de coiffures improbables, en quête des longs cheveux blonds de l'un ou de l'aura sombre de l'autre. Avec un soulagement qui l'effraya presque autant que le mot vendetta qui tournait en boucle dans son esprit, il les trouva l'un et l'autre, à quelques mètres de distance; Lucius ignorant de son inquiétude tandis que Severus levait au même moment les yeux vers lui, les sourcils froncés et le visage soucieux. Mais son vampire était bien le dernier auquel Harry voulait se confronter pour l'instant et il fendit plutôt la foule pour se rapprocher de son mari.
– Luce, je…
– Tu t'échappes ? sourit Lucius en se penchant pour lui parler à l'oreille. Tu es même resté plus longtemps que je ne le pensais ! Allez, sauve-toi avant que quelqu'un ne t'accapare encore !
– Tu préviendras Severus ?
– Je m'occupe de lui ! gloussa Lucius avec un clin d'œil discret. File et passe une bonne soirée !
– Je ne rentrerai pas trop tard, promit-il.
Il avait failli ajouter qu'il ferait attention à lui et les enjoindre à faire de même, mais Lucius l'avait déjà légèrement poussé vers les portes qui conduisaient hors de la salle de réception et Harry partit sans demander son reste. Il avait besoin de calme et de distance pour assimiler la conversation qu'il venait d'avoir avec cette femme.
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Sans réfléchir, l'esprit vide et le regard fixe, Harry avait rejoint les aires de transplanage, son verre à la main. Il n'avait même pas besoin de se trouver là pour transplaner, pour disparaître de cette soirée, mais la nécessité d'un but, d'une logique dans ses intentions et dans ses mouvements s'était imposée d'elle-même. Un peu de rationalité, de sens : sortir de la salle, saluer d'un hochement de tête une ou deux connaissances, récupérer son manteau et l'enfiler, laisser son verre sur le comptoir du vestiaire… parcourir les visages alentour à la recherche d'une étrangeté, d'un regard trop insistant, de quelqu'un qui l'aurait surveillé. Le retour de la méfiance.
Il entra dans une cabine privée de transplanage, jeta encore un coup d'œil autour de lui en faisant mine de se concentrer, puis disparut.
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Il arriva sur le perron de la maison de Draco avec un léger vertige, qu'une ou deux inspirations profondes firent passer en quelques secondes. L'air était glacial, presque brûlant en pénétrant au fond de ses poumons, et c'était sans doute cela qui le faisait légèrement trembler. Ça ou la dépense brusque de magie qui l'avait fait transplaner sur le Chemin de Traverse, puis à Pré-au-Lard, puis au fin fond du Sarawak et de sa forêt du Yucatan avant d'atterrir ici. Personne n'aurait été capable de le suivre sur de pareilles distances. Pas même une créature.
Harry frissonna un instant, laissant échapper une fumée blanchâtre à mesure qu'il respirait, puis se décida à sonner pour s'annoncer.
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– Attends ! Attrape une assiette dans le placard, là. Je vais te préparer un petit en-cas !
Harry gloussa devant l'enthousiasme de Daphnée qui s'empressait dans sa cuisine. Il contourna un parfait inconnu venu rapporter quelques cadavres de bouteilles vides, ouvrit la porte vitrée du placard où il glana une assiette qui ressemblait davantage à un plat de service et la tendit à sa « belle-sœur ». Depuis que Daphnée avait vraiment pris conscience de son appétit et surtout de ses besoins en nourriture, elle se faisait un devoir de le nourrir avec abondance.
– Hey ! Mais doucement ! Je ne vais jamais manger tout ça !
Tandis qu'il attrapait des couverts, l'assiette se remplissait à vue d'œil d'au moins trois sortes de viande, de pommes de terre, de riz et de légumes.
– Oh, je sais bien comment ça se passe dans ces soirées mondaines, s'amusa Daphnée, le nez dans son frigo. On grignote deux-trois petits fours, on boit plus qu'on ne mange et on ressort à moitié ivre et l'estomac dans les talons !
– Mais j'ai mangé avant d'y aller ! protesta Harry pour la forme.
À dire vrai, et même s'il avait réellement pris un dîner léger avant la réception, cette assiette de nourriture le faisait déjà saliver et il n'allait certainement pas refuser d'y goûter, – ni sans doute en laisser la moindre miette !
– Allez, ça devrait suffire… Mais si tu as encore faim après ça, il doit bien me rester quelques bricoles à finir.
– Eh, mais je ne suis pas une poubelle ! gloussa Harry avec un air qui se voulait offusqué et qui n'y ressemblait pas beaucoup.
– Non, mais tu me permets d'écouler une bonne partie des restes stockés dans mon frigo ! fit Daphnée en riant. Installe-toi où tu peux, je descends au sous-sol te chercher une bouteille de jus de fruits.
Harry la remercia d'un sourire plus que sincère, tira une chaise à la petite table de la cuisine et s'y assit avec plaisir, entre les bouteilles vides et une petite pile de vaisselle sale. D'un sortilège, il réchauffa le contenu de son assiette et entreprit de manger en observant la petite foule qui avait envahi le salon de Draco. Il avait reconnu les joueuses des Harpies, Marcus Flint, Théodore Nott et les sœurs Greengrass, d'autres personnalités du monde du quidditch, Blaise bien sûr, mais sans Alicia, condamnée à travailler pour une de ses dernières nuits avant son changement de poste définitif. Il y avait là aussi deux ou trois journalistes, entraperçus à des soirées d'après-match, mais qui cette fois étaient là à titre privé, une bonne quinzaine de personnes qu'il ne connaissait ni d'Ève, ni d'Adam, et bien entendu, aucun enfant !
Et pour cause ! Les bouteilles d'alcool ou de vin traînaient en nombre, de même que les verres plus ou moins vides, la musique battait son plein, les sortilèges de lumière stroboscopique hachuraient le salon de lueurs colorées, les confettis tombaient du plafond en alternance avec de la neige artificielle et un certain nombre des invités n'avaient plus l'air tout à fait sobres. Ou du moins, ils riaient de bon cœur aux pitreries et aux plaisanteries des uns et des autres, les paupières un peu lourdes et l'allocution rêveuse ou aléatoire. Certains parvenaient à danser, dans un petit coin dont on avait retiré tapis et jouets des enfants. Il lui semblait même que la pièce avait été agrandie par un sortilège, les canapés étaient repoussés contre les murs, on avait adjoint des chaises pour pouvoir asseoir un peu tout le monde mais la plupart étaient debout, discutant et riant par petits groupes, battant la mesure d'un pied, d'un déhanché tandis que le niveau d'alcool dans leur verre oscillait dangereusement avant de laisser échapper quelques gouttes sur le sol ou les pieds d'un autre danseur.
Il n'était pourtant pas si tard, pas encore minuit de toute évidence, mais même Draco, les cheveux étonnamment zébrés de mèches bleues – ou vertes, avec cette lumière étrange, Harry n'aurait pas su dire –, ne semblait plus complètement sobre. Il dansait, les bras levés au ciel, un verre à la main, en se frottant avec un déhanché particulièrement suggestif contre Blaise. Harry gloussa tout en continuant à manger distraitement. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas vu Draco dans cet état, même lors des soirées après les victoires des Harpies. Ça remontait au moins à leur dernière année à Poudlard, quand il l'accompagnait dans ses virées dans les boîtes de nuit gays dans le monde moldu. Des endroits où Draco s'était senti extraordinairement libre, loin de l'image publique due à son nom, loin des regards pleins de jugements, loin des souvenirs d'une guerre dont les moldus ne connaissaient même pas l'existence.
Là, il avait pu danser, se saouler, parler sans faire attention à ses mots, rire à une plaisanterie sans se soucier de devoir maîtriser ses gestes, son comportement, son « masque »… Et dans ce milieu gay où sa blondeur si particulière avait fait fureur, il s'était senti regardé, convoité, et ces désirs avaient guéri certaines blessures en lui. Même s'il ne donnait jamais suite aux invitations plus ou moins explicites, Draco n'avait jamais rechigné à danser avec de parfaits inconnus, à se prendre au jeu de la sensualité ou à se laisser aller à des frottements plus qu'équivoques. Harry se souvenait même l'avoir vu embrasser des hommes deux ou trois fois, des soirs où il était particulièrement éméché. Ça n'allait jamais plus loin, et généralement Draco repartait même avec la copine hétéro venue accompagner des amis, mais il était capable d'être très suggestif quand il se lâchait un peu. Ce soir avait l'air d'être un bon soir, et Harry avait particulièrement besoin de se changer les idées ! Il avala rapidement les quelques bouchées qui lui restaient et s'empressa de rejoindre la « piste » de danse et ses amis.
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Minuit avait sonné depuis une heure, peut-être deux, ils s'étaient embrassés, serrés dans les bras, ils s'étaient souhaités des choses futiles et banales pour cette nouvelle année, des réussites, des victoires en championnat de quidditch, de pouvoir picoler sans avoir mal au crâne, d'obtenir la vente d'un tableau convoité, de partager des moments ensemble, du bonheur… Blaise et Draco avaient eu un regard particulièrement intense en lui souhaitant le meilleur avec son mari et son vampire, et cela avait mis Harry un peu mal à l'aise. Il les avait remerciés et il était reparti danser; il ne voulait pas penser à tout ça. Il aurait aimé pouvoir boire pour oublier un peu…
Au lieu de ça, il se tenait là, assis sur la troisième marche de l'escalier qui menait à l'étage et aux chambres. Devant lui, il percevait le léger voile trouble du sortilège qui étouffait tout bruit pour préserver le sommeil des enfants. Avec les lumières colorées qui hachaient l'espace par intermittence, cela rendait les silhouettes des danseurs un peu floues et leurs gestes saccadés, une impression d'étrangeté, d'irréalité, comme s'il avait bu, ce qui était loin d'être le cas. Il regardait juste un autre monde, plein de vie et de joie de vivre, alors que dans son esprit tournaient sans relâche des mots inquiétants : « Vendetta. Vendetta. Faites attention, Monsieur Potter. Vladimir n'avait pas besoin de cette raison supplémentaire… Stupide vendetta... »
Il ne savait même pas si c'était vrai; sur le moment, dans son esprit, il avait farouchement nié cette idée. Viscéralement. Severus n'était pas quelqu'un à se venger frontalement, il n'était pas dans le conflit, il n'aurait pas été se mettre en danger, ni risquer son existence pour une stupide vengeance… une vendetta. Et puis, dans le même temps, Harry avait pris conscience que ces mots n'étaient pas dénués de sens. Severus était à présent un vampire, avec des réflexes, des instincts, qui étaient parfois ceux d'une créature plus que d'un humain, il voulait protéger leur vie et leur sécurité, fut-ce au détriment de la sienne, il disparaissait des nuits entières sans vouloir s'étendre sur ce qu'il faisait, il avait repris contact avec d'Alagnac malgré leur conflit initial, il était capable de ça. Malgré tout, le fait que l'idée soit plausible n'en faisait pas forcément une vérité.
Quoi qu'il en soit, Harry ne pouvait pas en vouloir à son vampire; ni de le tenir dans l'ignorance, ni de chercher à se venger. Il savait que certaines choses, dans les règles qui régissaient les vampires, le dépassaient. Il savait que Severus n'était pas tranquille, qu'il craignait cette menace qui régnait dans l'ombre alors qu'il aspirait au contraire à la sérénité. Il savait que son vampire n'aurait pas de repos tant que Vladimir resterait tapi dans les coulisses à les observer et à jubiler de tout ce qu'ils avaient perdu. Il savait que Severus ne pourrait pas rester inactif, à attendre la prochaine manifestation, le prochain grain de sable en provenance de Vladimir… La volonté de le mettre hors d'état de nuire était légitime. Ce qui ne l'empêchait pas, lui, de craindre pour son vampire. « Vladimir n'avait pas besoin de cette raison supplémentaire... »
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– Eh bien ? Qu'est-ce que tu fais là, tout seul ?
Harry releva brusquement la tête, surpris de trouver Daphnée debout juste devant lui, un verre à la main et des confettis dans les cheveux. Perdu dans ses pensées, il ne l'avait même pas entendue, ni remarquée quand elle avait traversé le sortilège de silence.
– Rien…, répondit-il à mi-voix. J'avais besoin d'un peu de calme. Je suis un peu fatigué.
– Je ne peux même pas t'accuser d'avoir picolé ! gloussa-t-elle avant de lui proposer : Tu veux aller t'allonger ? Il y a toujours le canapé-lit de Blaise dans le bureau de Draco…
Elle lui souriait, d'un sourire doux et bienveillant, auréolée des lumières intermittentes et colorées en provenance du salon. Elles se reflétaient dans ses cheveux, sur sa robe noire pailletée, sur ses ongles manucurés de rouge pour l'occasion, sur le liquide orangé dans son verre… Daphnée brillait de mille feux.
– Non, je te remercie. J'avais juste besoin d'une petite pause.
Avec un sourire un peu plus grand, Daphnée se tourna et s'immisça à côté de lui, le poussant légèrement pour se faire une place sur la marche où il était assis.
– Tu peux rentrer au Manoir, si tu le souhaites… Personne ne t'en voudra si tu préfères être avec eux.
– Je sais, acquiesça-t-il sereinement. Mais ça va; je partirai un peu plus tard… De toute façon, je ne suis même pas sûr qu'ils soient déjà rentrés.
– Je n'ai jamais vu Severus traîner bien longtemps à ce genre de soirée mondaine ! ricana Daphnée.
En songeant à son vampire, Harry esquissa un petit sourire en coin.
– Ça change doucement, confia-t-il. Severus s'y sent beaucoup plus légitime depuis qu'il a épousé Lucius, et surtout, depuis qu'il est un vampire, il se sent en position de force… Les gens sont fascinés et le craignent en même temps; je crois qu'il en joue un peu. Ça rachète toutes ces années où il a dû rester dans l'ombre et faire profil bas. Il savoure sa revanche et pour ça, il est prêt à y parader des heures durant !
Daphnée gloussa discrètement et garda un sourire amusé rivé sur ses lèvres.
– Tout va bien, entre vous ?
– Oui… Oui, ça va très bien, affirma Harry en fermant les yeux.
Il manquait encore quelques petites choses entre eux pour revenir au meilleur de ce qu'ils étaient avant, mais ils n'en étaient pas loin. Et s'il n'y avait pas eu cette menace latente de Vladimir et la légère distance entre ses conjoints, il aurait pu se dire pleinement heureux.
– Et toi, comment ça va ? ajouta-t-il avec douceur.
– Bien, très bien ! En ce moment, Draco est très présent à la maison, et puis les enfants sont adorables. Même Scorpius, qui avait tendance à s'affirmer un peu trop ces dernières semaines, s'est calmé pendant les vacances… Les filles grandissent, elles sont de plus en plus autonomes…
Harry tourna légèrement la tête vers elle pour accrocher son regard et appuya :
– Comment ça va, toi ? Pas les enfants, pas Draco… toi.
– Ça va, répondit-elle avec un large sourire. Bien. J'aimerais avoir un peu plus de temps pour faire tout ce dont j'ai envie, sortir davantage, recevoir plus souvent du monde, comme ce soir, partir en voyage avec les enfants, mais… je suis heureuse, je crois. Et puis mon nouveau boulot me plaît beaucoup !
Il avait appris pendant leur séjour au Manoir à Noël que Daphnée avait finalement décidé de démissionner de son travail dans le monde moldu et de prendre un poste à Sainte-Mangouste. Lucius en avait été très satisfait, Draco immensément soulagé, mais Harry n'avait pas encore eu l'occasion d'en parler avec la principale intéressée.
– Vraiment ?
– Oui, affirma-t-elle sans l'ombre d'une hésitation. C'est un gros challenge, un boulot monstrueux, mais je suis ravie. Il y a tout à construire dans ce domaine-là. On a beau dire… les sorciers sont capables de beaucoup de choses, mais dès qu'il s'agit de parler et de se pencher sur leurs traumatismes ou leur souffrance, il n'y a plus personne !
Harry gloussa doucement dans la pénombre et hocha la tête.
– Je crois, reprit pensivement Daphnée, que vous avez tellement l'habitude de côtoyer des créatures ou des animaux effrayants, de pouvoir lancer des sortilèges qui peuvent tuer ou tout détruire en une fraction de seconde, que personne ne se penche jamais sur ce que les gens peuvent ressentir de cette violence… Et pourtant les effets psychologiques sont les mêmes. Tout le monde semble oublier que votre dernière guerre remonte à une quinzaine d'années à peine… Mais depuis la résurgence des attentats, et en particulier celui de Noël dernier sur le Chemin de Traverse, Sainte-Mangouste reçoit énormément de gens dont les traumatismes ont ressurgi… Et le monde sorcier est assez démuni face à ça.
– Je sais… Je sais que le monde moldu est plus ouvert en ce qui concerne la psychologie, reconnut Harry. Ici, on soigne des blessures, on prend des potions, on lance des sortilèges de diagnostic ou de guérison, mais quand le psychisme entre en jeu… C'est ce qui est arrivé à Lucius quand je l'ai sorti de son coma il y a trois ans… Et même moi, après ma… « captivité » l'année dernière, j'aurais sans doute eu besoin de parler à quelqu'un. De parler de ce qui s'était passé…
Daphnée pinça les lèvres en hochant doucement la tête. Il ne l'avait jamais évoqué avec elle, mais Harry se doutait que Draco lui avait partagé certains faits, certains détails, pour éviter les impairs, pour qu'elle mesure toute l'ampleur de ce qu'il avait vécu : qu'il avait failli en mourir, qu'il avait dû être opéré en urgence, qu'il avait eu le plus grand mal à remonter sur un balai… Daphnée n'était pas idiote, et de fil en aiguille…
– Tu n'aurais peut-être pas pu en parler sur le moment, avança-t-elle. Et tu as visiblement su trouver d'autres soutiens qui t'ont permis de le faire… mais tu aurais dû pouvoir trouver quelqu'un pour en parler si tu le souhaitais. Savoir que quelqu'un était disponible pour toi… C'est ce que j'essaye de mettre en place : proposer. Que chacun puisse trouver un espace de parole en cas de besoin, un professionnel formé avec lequel il puisse échanger, mettre des mots, prendre un peu de distance… Ça peut être pour des choses aussi banales qu'un deuil ou une maladie, mais dans votre monde, ça concerne souvent des conséquences de sortilèges ou de maléfices.
Pensive, elle porta son verre à ses lèvres, en but une gorgée puis le lui tendit pour lui proposer.
– Pas d'alcool ? fit-il en levant la main.
– Pas d'alcool, affirma-t-elle avec un clin d'œil.
Harry accepta alors bien volontiers et but à sa suite, doucement réchauffé par le sucre et l'acidité du jus de fruits.
– C'est bien que tu fasses ça… Et c'est vraiment dommage que ça n'existe pas depuis des années. J'ai jamais compris comment, après la guerre, on nous a laissés revenir en cours à Poudlard comme si de rien n'était… On n'était que des gosses, bon sang ! On a connu la guerre, on s'est battus, certains d'entre nous ont été torturés, certains d'entre nous ont tué… On a tous perdu des proches et vu des gens mourir sous nos yeux. Et personne ne s'est inquiété de savoir comment on allait. Tout le monde a préféré oublier… effacer la souffrance, ne pas voir à quel point on était amochés…
Perdu dans ses souvenirs, Harry esquissa un sourire triste. Devant lui, de l'autre côté du sortilège de silence, Draco dansait, auréolé d'une lumière saccadée bleue, puis verte; libre et libéré. Sans masque, sans façade, sans rôle de père, de mari ou d'entraîneur. Il paraissait avoir retrouvé une seconde jeunesse, quinze ans en arrière, quand ils n'étaient que de grands adolescents déjà éprouvés par la vie.
– Il m'a parlé un peu de cette année-là, confia Daphnée à mi-voix en observant le père de ses enfants. Au début, quand on s'est rencontrés… Il a mis beaucoup de temps à me raconter les détails, parce qu'à l'époque je ne savais même pas qu'il était un sorcier, mais il me parlait tout le temps de toi… Il disait que tu l'avais sauvé; que si tu n'avais pas été là, si vous n'aviez pas pu vous épauler l'un l'autre, il n'aurait jamais réussi à continuer. Qu'il n'aurait pas survécu…
– Il m'a sauvé aussi, avoua Harry. Comme Severus, d'une certaine manière… Leur présence, l'amitié si flamboyante qu'on a eue, Draco et moi, cette année-là, ça a tellement compté… Il me manque, parfois. Cette légèreté un peu désespérée qu'on avait à l'époque… Aujourd'hui, on a des rapports si policés, si figés dans nos rôles familiaux… Il n'y a que quand on joue au quidditch qu'on retrouve un peu de spontanéité.
Daphnée acquiesça lentement.
– Tu lui manques aussi. Il ne te le dira jamais de cette façon, mais… il regrette cette liberté entre vous. Il regrette de ne plus être assez proche de toi pour que tu lui confies certaines choses.
À son grand désarroi, Harry ne pouvait que reconnaître qu'elle avait raison. Il s'était éloigné de Draco, tout comme il s'était un peu éloigné de Matthieu à son entrée dans la famille. Pour se confier, pour se sentir vraiment libre, il avait besoin de quelqu'un comme Mark, extérieur à tout et sans liens d'attache familiaux.
Mais Draco lui manquait et il ne s'en rendait compte que maintenant, en le voyant danser joyeusement avec ses amis, dans l'insouciance fantasque et légère de la nouvelle année.
– C'est difficile pour lui, reprit Daphnée dans un murmure. Vous étiez amis mais tu es marié avec son père de qui il a eu beaucoup de mal à se rapprocher. Et tu as cette relation si particulière, que personne ne comprend totalement, avec son parrain, qui est aussi son beau-père… Il a toujours eu du mal à se positionner par rapport à tout ça.
Harry passa une main lasse sur son visage, dissimulant sa grimace chagrinée. Il avait brusquement envie de rentrer au Manoir, de se réfugier dans les bras de son mari ou de son vampire, plutôt que de faire face à tous ces petits compromis et ces regrets qui hantaient sa vie.
– Je sais que c'est compliqué pour lui, plus que ça ne l'est pour moi sans doute. Je vais… essayer de faire des efforts… de lui parler davantage…
– Hey ! fit Daphnée en le bousculant légèrement de l'épaule. Je n'ai pas dis ça pour que tu te sentes coupable et obligé de faire quelque chose ! C'est juste que… parfois il aimerait te voir en dehors de la famille… sans la présence des enfants, ou de Lucius et de Severus.
Harry hocha la tête, plein de bonnes résolutions pour cette nouvelle année.
– Et en disant tout ça, tu n'essaies pas d'exercer tes talents de psychologue sur moi, hein ? gloussa-t-il pour détendre l'atmosphère.
– Bien sûr que non ! répondit Daphnée en riant doucement. C'est à titre purement amical… C'était une de ses craintes, ça, quand on a commencé à se fréquenter… que j'essaie de le faire parler ou de lui faire prendre conscience de certaines choses comme s'il était un de mes patients… Mais je te rassure, on a réussi à se disputer très spontanément, comme tous les couples !
Harry pencha la tête et la posa brièvement sur l'épaule de sa « belle-sœur » en souriant. Il était venu sombre, triste et inquiet, et en quelques paroles et confidences, elle avait su lui rappeler qu'il faisait partie d'une famille, qu'il était aimé et qu'il avait des amis sur qui il pouvait compter, en dépit des aléas et des angoisses de la vie. Et il ressentait comme une bouffée d'oxygène toute la tendresse qu'il éprouvait pour elle, pour Draco, pour Blaise, Matthieu, Charlie ou Mark…
– Tu es précieuse, murmura-t-il.
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oooooo
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Harry rentra de la soirée du Nouvel An aux petites heures du matin; un matin blanc, glacial, dans lequel sa respiration produisait des volutes pâles qui s'éparpillaient dans un souffle d'air. Il se sentait si fatigué, si désireux d'un cocon tiède, douillet et tendre, qu'il en tremblait presque. Même à l'intérieur du Manoir, le froid le saisit et il n'aspirait qu'à se glisser sous une couette et contre un corps chaud.
Il retira son manteau qu'il confia à l'elfe de maison en faction dans le vestibule et s'enquit de ses amants à mi-voix pour ne pas troubler le silence de la nuit.
– Ils sont rentrés ?
– Oui, Monsieur. Le Maître est couché depuis trois ou quatre heures mais Monsieur Rogue est ressorti peu de temps après.
Harry grimaça. Il n'avait rien convenu avec Severus – il avait déjà bu avant d'aller à la soirée du Ministère –, et il n'était pas sûr de vouloir le voir trop vite après les révélations de Parkinson, mais il était malgré tout déçu de le savoir absent. Ou peut-être… inquiet était un mot plus juste. Maintenant qu'il savait ce que Severus faisait de ses nuits, il allait passer son temps à se faire du souci pour son vampire.
Vaguement contrarié, il transplana dans la salle de bains de leur chambre, se brossa les dents et se déshabilla sans un bruit, avant de se glisser dans le lit aux côtés de Lucius. Il plongea son nez dans ses cheveux au parfum de santal, une jambe entre les siennes, il se colla contre lui en accaparant sa taille d'un bras possessif et s'endormit en rêvant à la présence de son vampire avec eux.
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Merci à tous de votre lecture et de votre fidélité!
Contrairement à Harry qui se voilait gentiment la face, je suppose que tout le monde avait compris que Severus n'allait pas en rester là au sujet de Vladimir ^^
La prochaine fois, Harry va aller chercher la discussion qui s'impose, d'abord avec Lucius puis avec son vampire ;)
Au plaisir
La vieille aux chats
