À la plage, Antoine supervisait la baignade de sa fille depuis une petite table en bois de la cafétéria locale. Les enfants l'aperçurent au loin, alternant lecture rapide et coup d'œil sur Suzanne qui semblait s'amuser au bord de l'eau. Ils se regardèrent tour à tour, comme pour se charger du courage de l'autre et osèrent fouler le sable avec leurs claquettes. Rongé par la culpabilité depuis la veille, Léo prit les devants et débarqua rapidement devant son beau-père qui perdit son sourire en le fixant.
« Antoine ? osa difficilement Léo.
- Hum… répondit-il laconique.
- On est désolés pour hier soir. On s'est comportés comme des cons et on a pensé qu'à nous…
- C'est bien de l'admettre… Mais c'est plutôt auprès d'elle qu'il faut s'excuser. Elle a plus envie de vous parler depuis hier… Elle dit que vous l'avez abandonnée...
- J'te jure qu'on pensait pas que ça irait jusque-là… On a décidé d'aller dehors mais on voulait pas la réveiller… Ça partait pas d'une mauvaise intention…
- Je sais. Mais il faut parfois réfléchir à la portée de ses actes… Ça aurait pu être bien plus grave… Vous imaginez si elle était tombée sur quelqu'un de malveillant ? Ou si elle s'était retrouvée en plein centre-ville ?
- Ouais… On a déconné…
- Je sais que c'est pas votre sœur mais…
- Ah nan mais ça n'a rien à voir ! le coupa Léo. Sœur ou pas sœur, elle fait partie de la famille et on aurait pas dû la laisser toute seule, c'est tout.
- Viens mec, on y va… lança Martin pour entraîner son frère près de leur demi-sœur.
- Attendez, j'viens avec vous, j'ai une idée ! clama Jules en les suivant d'un pas rapide. »
Emma les observa partir, désormais seule face à son beau-père qui ne pouvait que lui en vouloir. Il lui jeta un bref regard et la brune baissa la tête avant d'oser s'asseoir face à lui. Regard fermé, Antoine ne quitta pas son livre des yeux, attendant quelques mots de sa part.
« Pardon… se contenta-t-elle de murmurer. C'était nul ce qu'on a fait… Et j'me dis que… je comprends ce que tu ressens… si c'était arrivé à Éloïse je…
- Tu vois Emma, la coupa-t-il durement, j'ai beaucoup réfléchi à votre connerie et… je me suis demandé comment t'avais pu faire ça alors que t'es toi-même mère…
- Je sais je… c'est n'importe quoi ! Mais c'est les garçons, ils m'ont entraîné et… j'avais l'impression de retrouver ma jeunesse. J'ai pas réfléchi… J'ai suivi bêtement. J'aurais dû rester avec elle, c'est tout…
- Ouais…
- Et je suis contente que tout se soit bien terminé je… j'ai vraiment eu peur…
- Et moi donc !
- Comme disent les jumeaux, c'est pas notre sœur mais, on l'aime quand même… On voulait pas ça…
- Je sais. C'est juste que Suzanne veut vous suivre mais, elle se rend pas compte du grand écart d'âge qu'il y a entre vous… Et je me dis que vous devez peut-être trouver ça chiant d'avoir une enfant dans vos pattes quoi...
- Mais pas du tout ! Au contraire, on l'adore et ça nous fait trop plaisir d'être tous réunis comme ça...
- Hum…
- Maman m'a dit que vous vous étiez disputés… Mais elle a rien à voir avec tout ça. C'est peut-être notre mère mais, c'est nous qu'avons merdé, pas elle…
- Dison qu'hier soir tout le monde était un peu tendu…
- Normal… Vu la situation… Mais j'ai pas envie que cette histoire gâche la suite des vacances… Fin' c'est pas juste que vous vous disputiez à cause de nous…
- Elle est à la maison ?
- Elle est sortie prendre son café, je crois. Mais tu peux aller la retrouver si tu veux, on peut s'occuper de Suzanne en attendant…
- J'suis pas sûr que ce soit une bonne idée…
- Crois-moi, avec ce qu'il s'est passé hier… On est pas prêts de refaire la même connerie…
- Hum…
- Et maman est super mal… »
Hésitant, Antoine fixa sa fille au loin. Et bien loin de l'ambiance maussade de ce début de matinée, la petite semblait enfin avoir retrouvé le sourire. Faut dire que les jumeaux n'y allaient pas de mains mortes et l'entraînaient volontiers à perfectionner sa technique de football. La petite chuta sur le sol avant de se relever, hilare, provoquant un petit sourire sur la face du commissaire. Emma l'observa finalement se relever et interpeller sa fille qui ne tarda pas à courir jusqu'à lui à vitesse grand V.
« Je vais me promener et chercher Candice, tu veux venir avec moi ?
- J'peux pas rester avec eux ? demanda-t-elle en montrant ses demi-frères qui jouaient au ballon.
- Ok… accepta-t-il. Mais si y a quoique ce soit…
- Promis, on t'appelle ! intervint la grande brune.
- Je garde mon téléphone cette fois… Vous faites attention hein ! ordonna-t-il en scrutant Emma qui s'éloignait avec la petite.
- Oui ! clamèrent-elles en chœur dos à lui. »
Antoine sourit doucement. Décidément les enfants avaient la solide capacité d'oublier leurs rancœurs en quelques secondes… Dommage que les adultes ne puissent en faire autant, songea-t-il en repensant à sa dispute de la veille avec Candice. Et Emma avait raison, elle n'y était pour rien mais, elle avait subi l'énervement et l'inquiétude de son amoureux. Et inévitablement, les deux s'étaient pris la tête, s'hurlant des grossièretés au visage que chacun regrettait désormais. Alors, Antoine récupéra son livre, fixa ses lunettes sur son nez et tourna les talons, espérant retrouver celle qu'il aimait rapidement.
En bord de mer, Emma s'était installée sur un transat, surveillant le jeu de ses frères et sœurs avec attention. Elle ne tarda pas à apercevoir Jules débarquer sur la plage, glace en main.
« Papa va crier, on vient juste de prendre le petit-déj…
- Ça restera notre petit secret alors…
- Hey ! cria Emma pour qu'ils s'approchent. On devrait peut-être faire un truc non ?
- Du genre ?
- J'sais pas… La supérette est juste à côté… On a de quoi organiser un pique-nique… Histoire de leur faire plaisir… Et de s'excuser quoi…
- On peut faire un gâteau au chocolat ? proposa Suzanne.
- Graaave ! confirma Léo.
- Allez go ! Ça c'est une activité qui me plaît ! clama Jules avec vigueur. »
. . . . .
Assise en terrasse, Candice observait la place s'animer à côté d'elle. Un petit marché local typique, constata-t-elle souriante. Des fruits aux couleurs clinquantes, des robes de plage éclatantes et des sourires fixés sur des mines avenantes. Voilà le combo parfait d'un environnement convivial. Candice remercia le serveur pour son café et s'attela désormais à souffler dessus pour la refroidir lorsque soudain le tableau face à elle s'assombrit. Au milieu de toute cette palette, une âme de noir vêtue contrastait. La blonde fronça les sourcils, observant avec minutie la scène qui se déroulait devant elle. Une dizaine de mètres plus bas, une femme réceptionna l'âme sombre dans ses bras. Visiblement, l'heure était grave… Et comme un coup du destin, les deux attristées s'installèrent en terrasse pour le plus grand plaisir de notre détective qui tendit l'oreille avec intrigue.
« Faut pas perdre espoir… chuchota l'une à l'autre.
- Ça fait 48h maintenant… 48…
- Et la police ? Elle dit quoi la police ?
- Elle cherche… J'ai mis des annonces dans le journal… Y a rien qui bouge…
- Salut ! laissa sortir une voix rauque à sa gauche. »
Candice sursauta de surprise avant de tourner la tête. Elle quitta le tableau de droite pour affronter un vacancier à la mine décontenancée. Elle haussa les sourcils, étonnée de le voir apparaître comme une fleur après leur dispute cinglante de la veille. Et d'un air penaud, Antoine montra la chaise pour demander la permission de s'y installer. Elle hocha la tête, peu aimable, et le laissa prendre place à côté d'elle.
« Euh… Je voulais m'excuser pour hier soir… J'aurais pas dû te parler comme ça… J'suis désolé… bredouilla-t-il.
- Écoute, si tu penses toujours que je suis responsable des DEUX disparitions de Suzanne… Je sais pas ce que tu fais encore là… D'ailleurs, elle est où ? Attention, parce que je l'ai peut-être kidnappée avant que t'arrives hein… lâcha-t-elle sarcastique avec agacement.
- Candice…
- Quoi Candice ? Ok la dernière fois c'était de ma faute, j'aurais dû la surveiller sur ce foutu marché d'halloween. Mais hier soir, c'est pas moi qu'ait demandé aux enfants de faire n'importe quoi, j'te signale ! Moi aussi, j'étais morte d'inquiétude.
- Je sais… J'ai été maladroit… tu sais très bien que dans ce genre de situation j'ai du mal à garder mon sang froid…
- Ouais…
- Les enfants sont venus s'excuser. Et visiblement, Suzanne leur a déjà pardonné…
- Et toi ?
- J'ai pas aimé le canapé… confessa-t-il tout bas en souriant.
- Arrête, j'ai pas envie de rigoler.
- Je leur en ai voulu sur le coup c'est vrai… mais comme tu l'as si bien dit hier soir, tout est bien qui finit bien. Et j'pense qu'ils ont compris…
- C'est pas des monstres…
- Mais nan, bien sûr que non… Ils ont déconné, c'est tout, ça arrive… Et… t'es en aucun cas responsable de ce qu'il s'est passé… J'suis désolé.
- Hum… acquiesça-t-elle.
- Allez on fait la paix, j'ai pas envie d'encore gâcher nos vacances…
- Ouais ! accepta-t-elle alors qu'il embrassait sa joue. On est pas partis au bout du monde pour s'engueuler…
- C'est vrai…
- Café monsieur ? lui demanda un serveur.
- Euh… Volontiers, oui. Un expresso s'il-vous-plaît.
- T'as pas petit-déjeuner ?
- Nan… Fin j'ai regardé Suzanne manger ses céréales et on est partis direct… J'avais juste envie de fuir les enfants…
- J'me suis dit que t'aurais même été capable de prendre un autre logement pour plus nous supporter.
- Ah mais j'y ai pensé hier soir… J'ai pas dormi de la nuit…
- Moi aussi…
- Hum…
- Mais tu sais le positif dans l'histoire… c'est que les enfants vont tellement culpabiliser qu'ils vont être aux petits soins pour nous toute la semaine ! Je les connais, ils savent m'amadouer pour que je leur pardonne !
- Et bah au moins on sera royal ! Ils s'en veulent vraiment je crois…
- Bien sûr qu'ils s'en veulent ! Mais ils vont se faire pardonner…
- Ouais ! sourit-il en l'observant doucement. Et pardon pour hier soir… répéta-t-il avant de l'embrasser tendrement. »
Candice accepta son baiser sans grande difficulté. Faut dire que l'air penaud d'Antoine pouvait faire chavirer de nombreux cœurs, surtout le sien. Alors elle accepta ses excuses et caressa sa barbe, avant de répondre à son baiser. Rapidement, le serveur apporta le café de monsieur et Candice présenta l'environnement à son amoureux…
« J'irai bien faire un petit tour au marché après…
- Oui t'inquiète pas, on ira acheter toutes les robes que tu veux !
- Mais j'ai pas dit ça…
- Nan, mais je te connais chérie… s'amusa-t-il en soufflant sur sa tasse.
- Oui bon… »
Candice déambulait désormais entre les différents stands du marché. Peu concentrée sur les produits vendus, la blonde scrutait davantage les réactions des uns et des autres. Et visiblement, cette histoire de disparition était dans toutes les bouches… Et évidemment, la curiosité la piqua. Alors, en fin de balade, elle entraîna Antoine au bureau de tabac du coin. Surpris, il la suivit en silence avant de la voir fouiller dans son portefeuille.
« Chéri ?! T'as pas une pièce ? demanda-t-elle avec concentration sur la fouille de son porte-monnaie.
- Tu vas quand même pas te remettre à fumer ?! pesta Antoine la main dans sa poche. C'est super mauvais pour ton cœur et…
- Mais non ! Attends-moi là ! ordonna-t-elle en entrant dans la boutique après avoir récupéré le billet qu'il lui tendait. »
Antoine souffla, l'observant fouiner dans les rayons puis se diriger vers la caisse centrale. Elle en ressortit rapidement, magazines en mains.
« Tu t'intéresses à la presse locale toi ? s'étonna-t-il en récupérant sa main pour l'entraîner vers leur maison.
- Bah oui ! Je trouve que c'est toujours bien de savoir ce qu'il se passe où on est… Ça permet de se connecter au monde qui nous entoure et…
- Nan mais ok, ok ! la coupa-t-il gentiment.
- Nan puis y a plein de recettes typiques pour Jules ! continua-t-elle de se justifier tant bien que mal. »
