Chapitre 1

La suite de la croisière se poursuit, et j'alternais entre la salle de squash, où je prends une grande satisfaction à humilier mes adversaires lors de parties soporifiques. Quand ma chemise collait à ma peau, cela signifiait, qu'il était temps de piquer une tête dans l'eau glaciale de la piscine. Peu de gens osaient y tremper plus qu'un orteil au risque de boire la tasse. Hors de l'eau, un jeune steward accourut pour m'apporter une serviette chaude. Une bande de jeunes demoiselles, parées de leurs plus beaux chapeaux m'observaient longuement de la tête aux pieds, les yeux animés d'une lueur de gourmandise. Ça m'agaçait d'être vu comme la dernière des friandises.

- Vous ne laissez pas les jeunes demoiselles indifférentes, jeune maître, plaisantait Philippe de sa voix rocailleuse. Un Apollon brillant de mille feux.

Philipe m'a retrouvé de temps en temps à la sortie de mes séances de sport. Il m'assistait pour que je mette les gants contre lui, ainsi lors de nos échanges de coups, il revivait sa gloire passée. Ensuite, nous passions une vingtaine de minutes dans les bains orientaux. Puis il m'emmenait boire un ou deux blocs au bar destiné aux passagers de seconde classe.

- Sottise ! Elle avait plutôt l'air de se moquer de ce maillot ridicule, grognais-je mon verre à la main.

- Baliverne, jeune maître, insista-t-il faisant signe au serveur de nous ramener deux bocks supplémentaires. Prenez le temps et vous verrez bien, elles n'ont d'yeux que pour vous.

- Evidemment, habillé comme je suis, on me remarque facilement, évoquais-je contrarié d'être le centre de l'attention alors que je me saisissais d'un simple sandwich. Arrêtez de m'appeler jeune maître, c'est Félix.

- Vous resterez toujours le jeune maître à mes yeux, s'en amusa-t-il une main sur mon épaule. Faite leur un petit signe : un clin d'œil montrez leur de l'intérêt, un sourire, ça n'engage à rien mais tu rempliras leur cœur de bonheur. Une femme heureuse égale un homme complet.

S'il disait vrai pourquoi pas essayer, une jeune femme à seulement deux tables de la mienne n'arrêtait pas depuis mon arrivée de me jeter des coups d'œil furtif. Un sourire d'arrogance sur les lèvres. Je lui rends son attention par mon plus beau clin d'œil. Le rouge lui monte immédiatement aux joues, honteuses elle s'enfonça dans son fauteuil.

Le serveur apporte nos nouvelles boissons, et le visage de Philippe s'illumine de bonheur à la vue des nectars des dieux. D'une traite, il vida son verre, il interpela un autre serveur : « La même chose s'il vous plait », exigeant-il un sourire à lèvre. Lui, qui ordinaire touchait à peine un verre de vin. Le voir à enchaîner les verres aussi naturellement me glaçait le sang.

Le bar annonçait sa fermeture et Philippe, qui ne tenait plus droit, commençait à importuner les femmes chargées de remettre de l'ordre dans la salle pour la messe de demain. Il ne marchait plus droit, n'avait plus les yeux en face des pantalons, une de ses bretelles s'était détachée et la moitié de sa chemise sortant de son pantalon. Était-ce dont cela la déchéance d'un homme ?

Pendant que j'indiquais à un maître d'hôtel où faire parvenir la note de ce soir, Philippe se tenait de toutes ses forces contre le parapet, luttant contre un violent mal de mer combiné à un excès d'alcool.

- Voulez-vous voir le médecin de bord ? proposais-je, inquiet de son état.

- Non, ramène moi juste à ma cabine, bredouilla-t-il.

- Souvenez-vous au moins de sa localisation ? questionnais-je partiellement irrité de sa future réponse. Non je présume

- Tout juste, jeune maître, ricanait-il avant de retenir un haut le cœur. Putain, je sens que je vais dégobiller.

A toute vitesse, il se précipita non sans mal vers les armoires réservées au promeneur du pont, essuyant quelques chutes du tangage du navire et son ivresse. J'attendais, bras croisés luttant contre le froid, adossé un mur sifflotant pendant que des matelots prenaient leur quart. Mère devait être morte inquiétude de pas me voir revenir. Si je le laissais deux minutes, le temps de faire un aller-retour vers le restaurant de prendre une collation, mon estomac criait famine. De toute façon, Philippe n'allait pas aller très loin. Par acquis de conscience, je jetai un rapide coup d'œil : il comatait la bouche entrouverte contre l'une des palissades des cabinets, sa chemise recouverte de bile.

Je me souvenais d'une des thèses de mère : pour éviter l'étouffement des ivrognes, il fallait les mettre une position latérale, la bouche ouverte, pour permettre l'écoulement et éviter d'obstruer les voies respiratoires.

- Philippe, vous m'entendez ?

Il marmonna quelque chose d'incompréhensible. Bon sang, comment allais-je le transporteur jusqu'à la cabine que nous occupons avec mère ? Avant ça, un casse-croûte. Qu'est-ce qui pouvait lui arriver en dix minutes ? Une tentative de dépouillement par de jeunes délinquants destinés aux grandes forêts boréales canadiennes ?

- Il faut être sacrément barjo ou bourré pour s'assoupir sur le trône ! déclare un de jeunes qui fouillait les poches d'un Philippe ivre mort.

- Un véritable couillon qui se retrouvera sans un sous dans le nouveau monde, approuva un autre, les mains en plein dans la musette de Philipe.

- Dépêchez-vous, putain ! J'entends quelqu'un arriver ! aboya l'un des complices chargés de monter la garde.

Agacé par ce manque cruel de raffinement, mon poing gauche s'écrasa en plein dans son nez, le déséquilibrant totalement. Il tente de reprendre ses esprits, mais mon crochet du droit l'envoya au tapis. J'entendis sa marche se briser. Son chanta éclaboussa le bord des manches de ma chemise. Il tomba lourdement contre le carrelage en damier des sanitaires, de gueule grande ouverte s'écoulait un mélange de salive et de sang.

- Bon les pouilleux, je me sens d'humeur charitable, grognais-je. Vous remettez bien gentiment ce que vous avez dérobé et vous déguerpissez d'ici si vous voulez par finir comme votre ami.

- Tu n'es pas malin toi ! se vanta l'un des deux complices qui sortaient une sorte de matraque. Tu es seul et nous sommes deux.

- Assistez à abruti ! ordonna son comparer en le tirant vers lui. Je reconnais ces armoiries, ce type là, c'est sûrement quelqu'un d'important. Si on a le moindre problème à bord de ce putain navire, c'est direction l'Australie à péter des cailloux au fin fond de la mine.

- T'es une putain de fiotte quand tu t'y mets ! pesta son ami qui rajusta sa veste et vidant le contenu de ses poches.

La tête basse les deux quittèrent à toute vitesse les toilettes. L'un d'eux tente de me cracher au visage. Ils laissent leur ami à son sort. Les vêtements de Philippe empestaient. Hors de question de le laisser dans un état pareil, j'humidifiais mon mouchoir pour éponger son visage.

De retour à ma cabine ; l'absence de lumière me fit croire que mère était couchée. A peine avait-je refermé la porte que la lumière s'alluma brutalement, révélant le visage furieux de ma mère. En robe de chambre, sa longue chevelure d'or tombait sur ses frêles épaules, et un livre entamé reposait sur ses genoux. Quand elle remarque que l'état lamentable de Philippe sa colère se transforme en terreur.

- Félix ! Philippe ! Que s'est-il passé ? exigea-t-elle avant de sentir l'odeur âcre de souillures et la sueur mélangée à un excès d'alcool.

Quand elle sentit enfin l'odeur infecte qui imprégnait les vêtements de Philipe et les miens, elle soupira puis me fit signer de l'emmener dans une des cabines inoccupées de notre suite, un placard à balais destiné aux domestiques accompagnant leurs maîtres.

- Félix, rend-toi utile va chercher une bassine d'eau et du linge propre auprès d'un steward, ordonna-t-elle dans une colère froide palpable.

A mon retour, les bras chargés d'une dizaine de serviettes flambant neuves et d'une bassine prête, elle m'envoya au lit, non pas avant de m'avoir disputé de longues minutes sur mon comportement irresponsable et dangereux, indigne d' un Graham de Vanily mais digne d'un délinquant des rues. L'incident des toilettes était parvenu aux oreilles de l'équipage, et un officier chargé de la sécurité à bord du navire me cherchait.

- Votre mère à raison jeune homme, vous avez eu un comportement inconscient ! rajouta l'officier, la mine sévère. Que serait-il passé si un de ces voyous avaient été armé ? Faite attention prochaine fois, même si c'est pour sauver un pauvre homme en difficulté.

- Oui, monsieur Ford, disais-je du bout des lèvres. Je vous promets de faire plus attention la prochaine fois.

- Bien, mon garçon, vous ne serez pas inquiété, cependant vous passerez me voir demain, un peu paperasse pour le capitaine, déclare-t-il sérieusement sur le pas de la porte de la cabine. Passez une bonne soirée.

La crainte de la suite des événements me rongeait, je n'arrêtais pas de triturer ma chevalière. Pendant que mère discutait avec l'officier Ford sur l'identité de l'homme évanouie.

- Philipe Renart, 35 ans ancien combattant, métier cuisinier, vous dit ? Vous le connaissez, Lady Amélie ? continue l'officier carnet à la main.

- Oui, c'est un ami très cher à notre famille, il a été notre cuisiner depuis la naissance de mon garçon.

- D'accord et il voyageait avec vous ?

- Non, c'est le hasard qui nous a amené à nous revoir à bord du SS Majestic. Pour tout vous dire je ne l'aurais même pas reconnu…si nous n'étions pas croiser. C'est un homme merveilleux, il a servi dans ma maison pendant une décennie sans commettre le moindre impaire, attentif au moindre de nos besoins. Debout dès l'aube en cuisine et le dernier à la quitter.

- Je vous crois, coupa l'officier visiblement gêné de la situation. C'est juste que vous avez reçu des plaintes sur son comportement, un excès d'alcool et une manie d'importer les demoiselles. Un soir un des matelots l'a retrouvé endormie recroqueviller entre les chaises longues du pont des secondes classes.

- Que risque-t-il ? questionna ma mère

L'officier ne semblait pas vouloir répondre à cette question immédiatement, il referma son carnet de note le glissant dans la poche intérieure de son épais manteau.

- Il risque d'être confiné dans sa cabine pour le reste de la traversée, voire mis aux fers, répondit l'officier.

Je sens ma mère frémir à l'évocation d'une possible arrestation de Philipe pour un simple trouble à l'ordre public.

- Si vous le laissez sous ma surveillance, mon bon monsieur, propose-t-elle.

L'officier fut choqué par cette proposition indécente : une femme mariée de la haute société britannique avec un homme célibataire, sur un navire de croisière, il y avait de quoi alimenter les prochains potins mondains.

- Lady Amélie, vous êtes enfin une femme mariée ! Songez un peu, vous ne craigniez-vous pas que la présence de cet homme puisse vous attirer quelconques ennuis ou médisances ? s'enquiéta l'officier.

- Ne vous inquiétez pas, officier Ford, insista ma mère, désireuse de conclure cette conversation. Monsieur Renart sera sous ma surveillance, et n'importera plus le personnel de bord. Et on ira vous voir à 9h pétantes, n'est-ce pas, Félix ?

- Oui mère, me contentais-je de répondre du bout des lèvres.

Monsieur Ford essaya de faire entendre raison à ma mère sur le pas de la porte, affirmant que ce n'était pas digne d'une femme de son rang de se préoccuper du sort d'un simple homme. C'était une parole déplacée selon elle. Des hommes comme Philipe, ils en existaient bien trop : partie trop jeunes et revenus trop vieux, l'esprit et le corps rongés par un mal incurable, seule la boisson ou les vapeurs d'opium présentaient les soulagement.

La porte refermée et définitivement verrouillée, elle s'approche à nouveau de moi. Je ne pouvais soutenir son regard, lourd de reproches muets et de son amour inquiet d'une mère éprouvée par les frasques de son fils adoré.

- Félix, soit plus prudent s'il te tresse, c'est tout ce que je demande, me supplia-t-elle d'une voix larmoyante, me tirant brusquement dans une étreinte chaleureuse.

Elle sentait la lavande mais aussi la camomille, c'était si apaisant. Ses doigts jouaient à défaire les nœuds de mes mèches blondes.

- Je serais plus prudente mère, je te le promettais, marmonnais-je contre elle.

Si seulement…Si seulement...Merde…Ça se terminerait ici et aujourd'hui de tout façon…