Résumé du chapitre précédent : Le monde continue de tourner et la vie reprend son cours. Le couple retrouve son équilibre, mais l'inquiétude de Draco au sujet du travail de Harry et des tensions dans la société sorcière ne font que croître. Il passe ses examens de mi-année avec succès, et profite de rares jours de repos de Harry avec lui à la réserve de dragons de Killarney. Harry lui annonce alors qu'il compte devenir un Animagus, et Draco comprend qu'il ne s'enregistrera pas en cas de succès. La situation au bureau des Aurors est vraisemblablement encore plus tendue qu'il ne le croit.

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Février 2004

Un coup frappé à la porte de la chambre fit ouvrir un œil à Draco avant qu'il n'ait pleinement enregistré qu'il était réveillé. Il grogna un assentiment, le regard tourné vers le côté vide du lit. Harry était parti travailler depuis longtemps et il se souvenait vaguement d'un baiser sur sa tempe avant son départ. Ou peut-être était-ce la veille.

La porte s'ouvrit et Draco se tourna sur le côté pour se redresser sur un coude et voir Andromeda passer sa tête dans l'encadrement. Elle ouvrit la bouche, puis pouffa de rire.

« Je te couperai les cheveux ce soir. » rigola-t-elle.

Draco plissa les yeux dans sa direction puis s'assit dans le lit en passant la main dans ses cheveux ébouriffés. Il les aplatit sur son crâne sans trouver la force de répondre.

« Désolée de te réveiller, mais je pars dans dix minutes. »

« Oh, ok. Je me lève. » murmura-t-il avant de s'éclaircir la gorge. « Teddy ? »

« Déjà réveillé, lavé, habillé, et nourri. Il t'attend en bas. » le renseigna Andromeda. Elle lui sourit avec affection puis referma la porte.

Draco se frotta un œil avant de regarder sa montre sur la table de nuit. Huit heures vingt. C'était une bonne performance pour une grasse matinée. Teddy le laissait rarement autant dormir, ses jours de repos.

Draco s'extirpa des couvertures et sa sortie du lit le fit frissonner dans l'air frais de la chambre. Sa baguette à la main, il passa dans la salle de bain et prit une douche rapide avant de se planter devant le lavabo pour se brosser les dents tout en fixant les mèches blondes de sa chevelure qu'il commençait effectivement à avoir du mal à coiffer. Il cracha dans l'évier, rinça sa bouche et sa brosse à dents, puis s'arma de sa baguette pour accomplir un rituel quasi quotidien depuis quelques mois.

L'enchantement de détection de grossesse était rarement très efficace dans les premières semaines de gestation, mais il lui évitait au moins d'acheter les potions dans lesquelles il devrait ajouter un peu de son sang. Il aurait du mal à cacher un tel stock de fioles dans la maison. Il savait que Harry ne le blâmerait pas pour sa paranoïa, mais il en avait tout de même un peu honte. Il lançait toujours le sort avec un mélange d'anxiété et de culpabilité, et ce n'était pas quelque chose qu'il se sentait prêt à partager. S'il lui avait admis l'utiliser de temps en temps, il avait néanmoins omis de préciser que ça signifiait presque tous les jours.

Comme d'habitude, le résultat négatif lui procura à la fois soulagement et tristesse, et il baissa sa baguette avec une expiration profonde.

« Dada ? » l'appela Teddy en bas des escaliers. Draco se secoua et resserra sa serviette autour de ses hanches avant de sortir de la salle de bain.

« Je m'habille et j'arrive ! » l'alerta-t-il en se dirigeant vers sa chambre.

Une fois à l'intérieur, il acheva de se sécher et enfila sous-vêtements, chemise, pantalon et pull, puis ouvrit les rideaux en frottant ses cheveux pour les débarrasser du reste d'humidité.

Il avait neigé au cours de la nuit et le tapis blanc qui couvrait le jardin avait doublé de volume. Les branches fines et nues de l'arbre de Rowan étaient agitées par une faible brise. Draco baissa la serviette avec un sourire douloureux puis se détourna de la fenêtre en entendant des pas dans l'escalier.

Il se coiffa sommairement avec les doigts en face du miroir près de la porte, et cette dernière s'ouvrit sur la tête de Teddy qui lui sourit de toutes ses belles petites dents.

« Frappe à la porte avant d'entrer. Pitié. » supplia Draco avec un soupir.

Bloquer l'accès à la chambre d'un verrou ou d'un sortilège lui paraissait impensable, au cas où son petit-cousin aurait besoin d'eux, mais sa manie d'entrer comme bon lui semblait risquait d'être un jour dommageable pour son innocence.

« Il a neigé, tu as vu ? » l'ignora Teddy.

« Oui, j'ai vu. » sourit Draco. Il sécha sa serviette d'un coup de baguette.

« On peut aller faire de la luge ? »

« D'accord, mais après mon petit-déjeuner. »

« Ok ! » s'enthousiasma son cousin avant de disparaître de l'encadrement.

« Les garçons, je m'en vais ! A ce soir ! » appela la voix d'Andromeda au rez-de-chaussée, et Draco suivit Teddy dans les escaliers pour le voir se jeter sur sa grand-mère, qui lui rendit son étreinte avec un rire. « A ce soir mon cœur. Passe une bonne journée. »

« Toi aussi Mamie. » lui souhaita Teddy.

Il s'écarta d'elle pour lui planter un bruyant baiser sur la joue. Andromeda tapota ses cheveux indigo avec un rire, salua Draco d'un sourire chaleureux puis quitta la maison.

Draco s'attabla devant un thé, des toasts et la Gazette du Sorcier, mais n'eut guère le temps de s'attarder sur le journal avec Teddy installé en face de lui pour babiller avec excitation.

« Et peut-être que le lac est gelé ! Est-ce qu'on a des patins ? Victoire a fait du patin avec Fleur il n'y a pas longtemps ! » s'enthousiasma-t-il, à genoux sur sa chaise et les poings serrés sur la table de la cuisine.

Considérant que Fleur était enceinte jusqu'aux yeux, Draco doutait de la véracité de ses propos, mais Teddy n'avait pas encore une parfaite notion du temps. Il n'y a pas longtemps pouvait signifier l'année dernière pour lui.

« Hm, désolé, même si on avait des patins, je doute que le lac soit gelé. » dit-il en baissant sa tasse de thé. « Il a neigé mais il ne fait pas si froid. »

Un petit lac avec un ponton de bois vermoulu se trouvait à une vingtaine de minutes de marche dans la campagne boisée entourant la maison d'Andromeda, et ils y avaient souvent emmené Teddy pendant les beaux jours. Mais l'idée de se traîner là-bas avec de la neige jusqu'aux tibias lui donna un violent frisson.

Teddy se rassit sur ses talons avec une mine abattue et Draco lui adressa un sourire désolé.

« Mais il y a assez de neige pour la luge. » rappela-t-il. « Je vais te faire des pentes et des petits tremplins. »

« Des grands tremplins ! » négocia Teddy, qui retrouvait le sourire.

« Ok, je vais mettre les luges sur le toit. » plaisanta Draco. « Celui qui atterrit dans les Plumeaux Malicieux a gagné. »

« N'importe quoi ! » pouffa le petit garçon malgré son regard intéressé. « C'est possible ? »

« Sans doute pas sans se casser quelque chose. » rigola-t-il.

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Ce fut un Teddy épuisé par deux heures de luge et de fous rires dans le froid que Draco déposa chez les Weasley avant de retourner chez Andromeda. Armé d'une théière et de ses cours, il s'installa dans la salle à manger, assez proche du feu ronflant dans la cheminée pour sentir sa chaleur rayonner sur le côté gauche de son corps.

Comme d'habitude, Teddy avait tenté de négocier de rester avec lui pendant ses révisions, promettant d'être sage comme une image et de ne pas faire un seul bruit. Mais Draco avait réussi à le convaincre qu'il s'amuserait beaucoup plus avec Victoire et Fred II qu'en restant sagement assis sur le tapis du salon de sa grand-mère. Draco avait beau vouloir le croire, il savait que Teddy ne tiendrait pas cinq minutes sans l'interrompre pour lui montrer un dessin ou se plaindre qu'il s'ennuyait.

Il réussit à se concentrer une bonne heure sur les enchantements de diagnostics poussés qui permettaient de détecter les malédictions les plus rares, puis sur les contre-sorts aux sortilèges d'afflictions complexes, chantonnant dans sa barbe et remuant l'index comme s'il s'agissait d'une baguette. Il remit une bûche dans la cheminée pendant sa pause, puis mangea un sandwich pendant sa relecture des applications, interactions et contre-indications des différentes potions de régénération cellulaire ciblées.

Il tapotait la tranche de son manuel sur la table du salon pour déloger des miettes qui s'étaient coincées dans la rainure lorsque la porte de la maison s'ouvrit à la volée. Alerte mais pas inquiet de voir débarquer un inconnu grâce au Fidélius, il ne fit que froncer les sourcils, mais il se leva brutalement lorsque Harry entra dans le salon en uniforme, la moitié du visage en sang.

« Teddy est au Terrier ? » interrogea l'Auror sans préambule et d'un ton stressé pendant que Draco attrapait maladroitement sa baguette tout en essayant de contourner la table de la salle à manger.

« Oui. Qu'est-ce qui se passe ? » demanda-t-il alors qu'il approchait de lui, le cœur battant la chamade et les yeux rivés sur les lacérations ensanglantées qui partaient de sa tempe pour courir jusqu'à son menton.

« Plus tard. » exigea presque sèchement Harry, un doigt sur la baguette que Draco avait levée vers son visage pour l'abaisser. « Est-ce que tu sais sortir un Animagus de sa forme animale ? »

Draco ouvrit la bouche puis, en voyant la tension et l'urgence qui émanaient de la posture et du regard de Harry, il accepta de reléguer ses questions à plus tard.

« Oui. En théorie. »

Harry hocha la tête avec raideur puis détourna le regard, les lèvres pincées. De minces filets de sang s'écoulaient de son visage jusqu'à sa gorge.

« J'ai besoin de ton aide mais je vais devoir te lancer un sortilège de mémoire après. » dit-il avec une expression douloureuse.

Le cœur de Draco s'enfonça. Ô qu'il était fatigué par tous ces secrets et son incapacité à savoir ce qui se passait chez les Aurors et dans l'enquête autour de Lucius. Mais… C'était la première fois en cinq ans que Harry l'appelait à l'aide. Et il savait que le sortilège d'amnésie était là pour le protéger et protéger l'investigation. Il déglutit. Il avait une confiance totale en Harry, et la situation devait être extrêmement urgente et confidentielle pour qu'il s'adresse directement à lui plutôt qu'à Ste Mangouste. Mais un Oubliette

Draco se secoua et carra les épaules. Il n'y avait aucune hésitation à avoir. Harry ne lui demanderait jamais une telle chose s'il n'en avait pas absolument besoin.

« Est-ce que ça va t'aider à récupérer Scorpius ? » demanda-t-il en le contournant pour rejoindre l'entrée.

« J'espère. » répondit gravement Harry derrière lui.

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Draco n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait, si ce n'était qu'il s'agissait d'un bâtiment délabré suintant d'humidité. Les fenêtres aux vitres brisées étaient barrées de planches mangées par les insectes, le parquet était poussiéreux et les murs étaient lacérés d'énormes coups de griffes semblant provenir d'un monstre. L'atmosphère glaciale sentait le renfermé et l'abandon. Draco frissonna, autant de crainte que de froid. Ces traces profondes ressemblaient à celles produites par un Loup-Garou.

Il suivit Harry qui s'engageait dans un escalier à moitié délabré, et ils se dirigèrent vers des éclats de voix et des cris inhumains qui lui soulevaient l'estomac.

Il avait eu son lot de moments stressants, voire terrifiants dans sa vie. Adolescent, il avait été témoin de meurtres, vécu dans la même demeure que Voldemort. Il avait été menacé, poussé au crime, torturé par magie. Ses études l'avaient amené à voir des personnes mourir de leurs blessures, à disséquer des cadavres, à voir qu'il y avait bien pire que de décéder d'un Avada Kedavra.

Il était certes entraîné à réagir, à se mettre en action, à recoller les morceaux, à maintenir les gens en vie le temps qu'il fallait pour qu'un contre-sort puisse faire effet. Mais à Ste Mangouste, il avait le filet de sécurité de ses pairs et surtout de ses aînés, prêts à prendre le relais s'il risquait d'échouer.

Ici, dans cette maison ressemblant au refuge d'une créature maléfique, il avait Harry, la baguette à la main et prêt à en découdre, mais aucune explication sur ce qui l'attendait, aucun autre indice qu'un Animagus à tirer de sa forme animale pour se préparer. Il ne doutait pas que Harry le protégerait de sa vie, mais ça ne l'empêchait pas de souhaiter être n'importe où plutôt que dans cette situation.

« Nom de dieu, Ron, tiens-le mieux que ça ! » cria une voix féminine, à la fois effrayée et en colère.

« Essaie si tu crois pouvoir mieux faire ! » grogna Weasley. « Il a une de ces forces ! »

Un feulement effroyable fut suivi d'un chapelet de jurons alors que Harry et Draco remontaient un couloir où le parquet craquait dangereusement sous leurs pas rapides. Puis ils entrèrent dans une petite pièce vide, où Katie Bell et Ron étaient à moitié couchés sur un petit animal noir d'où s'échappait des cris qui ressemblaient à un mélange entre des miaulements et des hurlements d'enfants.

« Quinn ! Mais calme-toi bordel ! » rugit Ron alors que ce qui semblait être un chat, aussi noir que l'espace entre les étoiles, tentait d'échapper d'entre ses mains en se tortillant comme une anguille.

Quinn ?

« Draco ! » urgea alors Harry à côté de lui, et sans plus réfléchir, il dirigea sa baguette vers l'animal et prononça le sortilège de réversion d'Animagus.

Cela n'eut aucun effet. Weasley leva son visage ensanglanté vers lui avec un mélange d'effarement et de colère.

« Tu as autre chose ? » demanda Harry.

« Je… » hésita Draco. « Vous êtes sûr que c'est un Animagus ? » interrogea-t-il en baissant sa baguette.

« Certain ! » assura Ron avec urgence alors qu'il luttait pour le maintenir par terre. « Grouille-toi, je vais lâcher ! »

Draco avisa son environnement et n'y trouva absolument rien qu'il puisse transfigurer pour enfermer le chat. Il retourna alors à la porte et la ferma du mieux qu'il le put dans un affreux grincement. Harry semblant comprendre ce qu'il cherchait à faire et la bloqua d'un sort.

« Lâchez-le, vous lui faites mal. » ordonna alors Draco, tourné vers Bell et Weasley qui lui envoyèrent un identique regard ahuri. « Les Animagus ne peuvent pas transplaner et il ne peut pas sortir d'ici, lâchez-le. »

Les trois Aurors échangèrent un regard avant que ceux qui maintenaient le chat par terre ne lèvent finalement les mains. L'animal fusa comme un feu d'artifice. Il parcourut la pièce en long, en large et en travers, et bondit sur les murs pendant plusieurs minutes alors qu'ils se rassemblaient près de la porte.

Après un long moment de frénésie, il finit par se tapir dans un coin. Un grondement félin sortit de sa bouche et il feula dans leur direction, ses yeux d'ambre luisant dans la faible luminosité.

« Et maintenant ? » demanda Harry.

Draco sortit une plume auto-encreuse et un parchemin vierge de sa poche, puis enchanta le tout pour qu'ils lévitent à côté de lui.

Plutôt que de répondre et d'alerter l'Animagus, il le visa immédiatement d'une série de sortilèges de diagnostic. L'animal cracha puis gronda à nouveau, mais les sorts étaient indolores et il ne bougea pas. La plume s'activa sur le parchemin.

« Diagnostics. » expliqua Draco en se tournant vers les trois Aurors. Mû par l'habitude, son regard s'attarda plus sur leurs blessures apparentes que sur les différents degrés de perplexité, d'irritation et de fatigue qu'il pouvait lire sur leurs visages. « Bell, je peux voir ton bras ? »

La sorcière lui adressa un regard peu avenant mais elle remonta néanmoins la manche de son uniforme pour révéler de profondes entailles et une sanglante morsure sur son avant-bras.

« C'est lui qui a fait ça ? » supposa-t-il. Il obtint un grognement d'assentiment.

Draco nettoya ses plaies et accéléra la régénération, puis remercia Harry qui lui tendait de l'essence de Dictame en silence. Il anesthésia légèrement la zone puis appliqua la potion avant de répéter l'opération sur le visage de la sorcière. Celle-ci le fixait avec une déconcertante neutralité, mais Draco ne manqua pas l'éclair de méfiance qu'elle avait dans les yeux. Il ne la blâmait pas, considérant tout ce qu'il lui avait fait même si elle n'avait pas été sa cible.

Il jeta un coup d'œil au parchemin sur lequel la plume gribouillait toujours, puis se tourna vers Ron et Harry pour tenter de déterminer lequel soigner en premier. Mais leurs blessures n'étaient pas suffisamment sérieuses pour que cela fasse une différence.

« Soigne Ron. » décida Harry. « Il faut que tu y ailles. » rappela-t-il à son meilleur ami, qui jeta un coup d'œil à sa montre avec une grimace.

« Bordel. Est-ce que ça va laisser une cicatrice ? Je vais avoir du mal à l'expliquer. » soupira l'Auror en levant une main hésitante vers son visage. « Dire qu'on faisait de notre mieux pour ne pas le blesser. Je retiens, Quinn ! » ajouta-t-il en direction du chat qui cracha dans sa direction, les poils hérissés.

« Soit on lance tous très mal le sortilège de réversion, soit il a été ensorcelé. » intervint Bell, qui lui apprit alors qu'il n'avait pas été le seul à échouer à redonner forme humaine à l'Animagus.

« Il est ensorcelé. » acquiesça Draco pendant son nettoyage des plaies aux mains et au visage de Ron. « Je ne sais pas encore comment, mais je doute qu'il soit en contrôle de lui-même. »

« Est-ce que tu vas pouvoir faire quelque chose ? » interrogea Harry avec inquiétude.

« Aucune idée pour l'instant, désolé. » admit-il.

Weasley s'éclipsa une fois ses blessures traitées, et Draco passa à celles de Harry. Il intensifia son anesthésie pour ménager sa sensibilité à l'essence de Dictame et son conjoint lui offrit un petit sourire une fois soigné, légèrement tordu à cause de l'endormissement de sa joue. Draco se retint de rire en levant l'analgésie.

Il réalisa alors que les gestes mécaniques et les sorts familiers l'avaient tiré de l'état de quasi panique dans lequel il était arrivé, et ce fut plus calme qu'il récupéra sa plume et son parchemin pour analyser le travail de son enchantement.

« Ok, on a… Un très puissant Confundus. » conclut-il d'un ton soupçonneux en relevant les yeux vers le chat qui le fixait intensément. Ça ne collait pas tellement avec son comportement, mais peut-être que son cerveau animal avait pris le dessus sur sa conscience humaine une fois le sort jeté sur lui. Peut-être que cette déconnection expliquait aussi l'échec du sortilège de réversion, qui appelait le sorcier dans l'animal pour lui faire reprendre sa forme.

« Est-ce que tu peux l'enlever ? » demanda Harry.

« Ça tombe bien, j'ai révisé le contre-sort ce matin. » réalisa Draco avec un sourire étroit dans sa direction avant de viser le chat de sa baguette.

Le sortilège percuta l'Animagus qui feula puis s'aplatit sur le sol, et ses paupières internes blanches couvrirent momentanément ses yeux avant de disparaître. Il se coucha sur le côté avec un halètement et sa langue rose dépassa légèrement de sa gueule. N'aimant absolument pas ce qu'il voyait, Draco lui lança alors le sortilège de réversion.

Son corps s'étira de façon grotesque, s'élargit et gonfla jusqu'à ce qu'un homme vêtu des robes noires des Langue-de-Plombs se retrouve prostré et gémissant sur le sol crasseux.

Draco se précipita en avant pour le rejoindre. Mais il n'eut pas le temps de s'accroupir près de lui que l'homme se redressait et reculait précipitamment sur ses mains jusqu'à ce que son dos rencontre la tapisserie décollée derrière lui. Sa respiration paniquée soulevait ses épaules étroites et les longues mèches châtain de ses cheveux ondulés étaient complètement ébouriffées autour de sa tête.

Ses yeux ambrés aux pupilles complètement rétractées se dardèrent de droite à gauche avant de s'arrêter sur Draco, qu'il fixa comme un démon prêt à lui bondir dessus. Son visage avait légèrement pris en maturité depuis la dernière fois qu'il l'avait croisé, probablement dans leur salle commune presque dix ans plus tôt, mais ces traits androgynes et cet étrange regard presque orange étaient sans conteste ceux de Cepheus Quinn. Harry lui avait mentionné quelques mois plus tôt qu'il était à présent Langue-de-Plomb, mais il avait omis de préciser qu'il était un Animagus non enregistré. Draco se serait définitivement souvenu d'avoir lu son nom sur la liste disponible à Ste Mangouste.

Harry avait-il déjà réussi sa propre transformation ? C'était peu probable, cela faisait à peine deux mois qu'il avait démarré le processus, et moins d'un mois depuis qu'il avait retiré la feuille de Mandragore de sa bouche. Mais devait-il comprendre qu'il s'agissait d'un effort commun plutôt que personnel ? Et devait-il être rassuré par cette idée ?

« Cepheus. » appela Harry en rejoignant Draco, ce qui attira le regard du sorcier sur lui. « C'est nous. Tout va bien. »

« M-..M- » lutta le Langue-de-plomb, ses doigts ensanglantés crispés sur le parquet.

« Tonks. » corrigea Draco par habitude. « Je vais te lancer quelques sorts de diagnostic, d'accord ? Tu ne vas rien sentir, c'est juste pour voir si tu es blessé. » prévint-il en sortant sa plume et un nouveau parchemin de sa cape.

Les enchantements de Draco n'avaient rien montré d'autre que quelques ecchymoses chez le félin, mais ils étaient spécialisés dans l'analyse de corps humains, et il était fort probable que des éléments leur aient échappé.

« Anders. » prononça alors Quinn en direction de Harry, la respiration difficile. « Piège. »

« Merde. » siffla Bell derrière eux.

« Est-ce qu'il t'a vu ? » demanda Harry, et le sorcier secoua légèrement la tête.

« Il a des côtes fêlées. » intervint Draco avec l'œil sur son parchemin. « Et quelques bleus, mais c'est tout. Un peu de Poussos cette nuit et il sera comme neuf. »

« Ok. Katie, ramène-le au QG. » déclara alors Harry qui se redressait.

« Attendez. » l'arrêta Draco en l'imitant. « Est-ce que vous avez au moins une potion calmante légère à lui donner ? »

« Ça va. » protesta Quinn. Il s'aida du mur pour se lever alors que Harry fouillait frénétiquement les poches intérieures de sa robe ouverte.

Draco jeta un regard dubitatif à l'ancien Serpentard, qui, adossé à la tapisserie, grimaçait légèrement en se tenant les côtes. Il ne pouvait pas l'anesthésier. Effacer sa douleur lui ferait oublier ses blessures et risquer de les aggraver. Mais après un tel épisode, un patient de Ste Mangouste aurait sans aucun doute obtenu quelque chose pour au moins apaiser son esprit.

« Tiens. » fit durement Bell en tendant une fiole à Quinn, qui l'accepta avec hésitation. « Désolée pour les côtes, c'est sans doute de ma faute. » ajouta-t-elle sincèrement malgré son expression revêche.

« Merci. » murmura le Langue-de-Plomb. Il déboucha la potion d'une main pâle et légèrement tremblante.

« Draco, il faut qu'on y aille. » intervint Harry, la main tendue vers lui. Il l'accepta mais tourna tout de même la tête vers Quinn.

« Une demi-fiole de Poussos une fois allongé ce soir. » lui prescrivit-il.

Le sorcier vida la potion calmante, hocha légèrement la tête, puis la magie de Harry enveloppa Draco et l'arracha à la maison délabrée.

Il toussota en arrivant devant la maison d'Andromeda pour évacuer les crépitements électriques qui lui avaient envahi les poumons, et sourit étroitement à l'expression inquiète de Harry à côté de lui.

« Est-ce que ça va ? »

« Oui. » assura-t-il après une profonde inspiration. « Où est-ce qu'on était ? »

Il allait tout oublier, de toute manière, mais ça ne l'empêchait pas d'être anxieux de comprendre ce qui venait de se passer.

« La cabane hurlante. » répondit Harry avec un maigre sourire avant de tirer légèrement sur sa main pour l'entraîner vers la maison.

« Oh… Oh, Merlin, les traces de griffes c'était… Remus ? » souffla-t-il en le suivant sur le chemin enneigé.

« Oui… »

Le cœur de Draco se serra pour Teddy, et il jeta un coup d'œil interrogatif au profil grave de Harry.

« Qu'est-ce que vous fichiez là ? Ça ne peut pas être sain, de traîner là-dedans. »

« C'est juste… Le premier endroit auquel Ron a pensé en ayant un Animagus entre les mains. Longue histoire… » soupira-t-il alors qu'il ouvrait la porte d'entrée.

La différence de température de la maison avec l'extérieur était saisissante, et Draco ne réalisa qu'à cet instant à quel point il avait eu froid. Frissonnant légèrement, il quitta chaussures et cape dans l'entrée puis suivit Harry dans le salon.

« Donc… Quinn est un Animagus. Et il s'est fait piéger par… Callum Anders ? Qui est son chef... Il est une sorte d'espion ? » interrogea-t-il.

Il n'était pas surpris que le sous-directeur du Département des Mystères soit un Mangemort, ou au moins un de leurs associés. Harry s'était suffisamment plaint de son ingérence dans les affaires du Département de la Justice Magique pour faire de lui un suspect dans son esprit.

Harry eut un rire désabusé, adossé contre l'arrière du canapé, et il croisa les bras sur son uniforme ouvert et ensanglanté.

« Même si je te raconte tout, tu ne vas plus t'en souvenir dans quelques minutes. » remarqua-t-il avec une expression désolée.

« Certes… Est-ce que tu peux au moins me dire où vous en êtes ? » demanda Draco en s'arrêtant devant lui.

Harry décroisa les bras et lui attrapa délicatement la taille avec un sourire douloureux.

« Je préfère pouvoir dire sans mentir que je n'ai rien divulgué… Histoire de ne pas devoir préciser que je t'ai effacé la mémoire après t'avoir fait faire une intervention Médicomagique illégale sur une personne risquant Azkaban si elle est découverte. »

« Vous en êtes là ? A… friser avec l'illégalité ? »

Harry le lâcha pour passer sa main sur le bas de son visage qui affichait un complexe mélange de honte, de fatigue et d'anxiété.

« On en est là. » admit-il à voix basse.

« Mais- »

« Draco… » soupira Harry.

L'interpellé pinça les lèvres et serra les dents. Il ne souhaitait pas le mettre dans une position plus inconfortable que celle dans laquelle il semblait déjà se trouver, mais son esprit et son cœur étaient pris dans un chaos de confusion, d'inquiétude et de tension qui lui serrait la gorge et faisait trembler ses épaules. Est-ce que la situation était encore plus grave que ce qu'il avait imaginé ? L'emprisonnement d'un Animagus non déclaré n'était que de quelques mois, il s'était discrètement renseigné, mais si ses actes sous sa forme animale étaient eux-aussi illégaux…

« Est-ce que… Est-ce que Robards est au courant ? Shaklebolt ? » interrogea-t-il avec urgence. Il avait presque envie de lui dire de laisser tomber, que mettre son père en prison ne valait pas le coup si le prix à payer était sa liberté. Mais il y avait Scorpius. Et… Merlin, devait-il choisir entre Harry et Scorpius ? « Pourquoi est-ce que ça serait encore à toi de te sacrifier ? » s'énerva-t-il lorsqu'il ne lui répondit pas.

« Ce n'est pas que moi. C'est tout le département. »

« Et alors ?! C'est juste… Un homme ! Et tu en as déjà assez fait ! Il ne vaut pas le coup que tu risques la prison ! » s'emporta-t-il, le corps raide et les yeux brûlants. L'affreuse sensation d'être de retour en haut de la tour d'astronomie lui souleva l'estomac.

« Il n'y a pas que lui ! Ils sont- » Harry s'interrompit de lui-même avec une grimace avant de reprendre. « Il tue des gens, Draco. Il essaye de prendre le contrôle du Magenmagot, et Merlin sait ce qui se passera s'il y arrive ! »

Draco réussit à s'empêcher de lui dire qu'il s'en fichait. Que le reste du monde pouvait bien brûler tant qu'il l'avait lui, Andy, Teddy et Scorpius. Son propre égoïsme le révolta, mais c'était la vérité. Il n'était pas comme lui. Il n'était pas capable d'échanger sa vie contre celle des autres.

« Je préfère… risquer quelques années à Azkaban et réussir à l'arrêter plutôt que de le laisser gagner et d'être le premier sur sa liste de gêneurs à éliminer. » poursuivit Harry. « Il trouvera le moyen de se débarrasser de moi s'il prend le pouvoir. En m'arrêtant ou en me faisant tuer. Et toi aussi, Draco. »

Ses yeux embués s'écarquillèrent et son souffle se coinça dans sa poitrine. Les mains de Harry se serrèrent sur ses hanches.

« J'essaye de trouver la voie la moins dangereuse… » continua-t-il. « Elle n'est pas parfaite mais… Les alternatives sont pires. »

« Tuez-le. »

Draco réalisa à peine qu'il était celui qui avait prononcé ces mots. Il déglutit et lâcha le bord de la table auquel il s'était agrippé pour s'essuyer les joues sans lâcher le regard grave de Harry des yeux.

« Tuez-le. » répéta-t-il. « Vous pouvez vous couvrir les uns les autres. Mettez fin à tout ça une bonne fois pour toute. Il ne manquera à personne. » ajouta-t-il d'une voix étranglée.

Harry lui sourit tristement et enlaça son corps raide pour soupirer contre son épaule.

« Je mentirais si je disais que ça ne m'a pas souvent traversé l'esprit. » avoua-t-il dans un murmure. « Et je suis loin d'être le seul à être tenté. Mais la complicité d'assassinat se paye bizarrement plus cher que l'espionnage… » ironisa-t-il, ce qui lui arracha un rire humide.

« Je le fais, si tu veux. »

« Non. » prononça durement Harry en s'écartant de lui. « Ne plaisante même pas là-dessus. Qu'est-ce que tu crois que j'essaye de faire depuis cinq ans ? »

« De me convaincre que je ferais un bon espion. » lâcha Draco avec cynisme.

« Arrête. » lui demanda-t-il sévèrement.

Draco déglutit et ferma les yeux alors que son corps s'affaissait contre son appui sur la table. Il leva les deux mains et se frotta le visage puis les laissa posées sur ses yeux avec un soupir douloureux.

« Je suis désolé… » murmura Harry en le serrant à nouveau contre lui. Draco eut un soupir tremblant et appuya son front contre sa clavicule, les mains accrochées aux pans ouverts de sa robe pourpre.

« Ne m'efface pas la mémoire s'il-te-plaît. » plaida-t-il.

Il ne pouvait pas vivre sans détenir cette information capitale, sans savoir à quel point ils étaient au bord du désastre. S'imaginer poursuivre normalement, étudier, travailler, passer du temps avec Teddy sans se douter de ce qui se tramait au Bureau des Aurors et de ce que risquait Harry lui était insupportable.

« Merlin, ne me dis pas ça... » gémit ce dernier contre ses cheveux alors que ses bras se resserraient autour de lui. « Je me sens déjà tellement coupable. »

« Mais je ne vais rien dire, je ne- »

« Je sais que tu ne vas rien dire. » l'interrompit vivement Harry. « Mais c'est autant pour te protéger que pour protéger l'enquête. Et qu'est-ce que ça va t'apporter d'autre que du stress ? Il n'y a rien que tu puisses faire et j'ai… Et j'ai besoin de pouvoir rentrer chez moi et de… d'oublier un peu ce qui se passe… de savoir que vous allez bien et que vous êtes en sécurité… » implora-t-il d'une voix nouée.

Le visage de Draco se crispa et il enfonça son nez dans le tissu épais du col de sa robe d'Auror. Ses mains tremblaient dans l'étoffe alors que son cœur déjà malmené s'enfonçait comme du plomb dans sa cage thoracique. Harry ne lui demandait jamais rien. Lui refuser ce semblant de tranquillité d'esprit lui parut plus insupportable que de ne pas savoir ce qui se tramait. Il inspira fébrilement son odeur d'orage, de sang et de sueur, mais il n'en tira qu'une impression supplémentaire d'horreur imminente.

« Tu as déjà dû faire ça ? M'appeler à l'aide et me faire oublier ? » demanda-t-il en s'écartant de lui pour croiser son regard voilé de larmes.

« Non. » répondit-il dans un souffle. « Mais- »

« Refais-le. Si tu as besoin, si n'importe lequel d'entre vous en a besoin. Promets-moi que tu le referas. Même si… Même si je te pose trop de questions, même si je réagis encore comme ça. Promets-le-moi. » supplia-t-il.

Harry serra les dents mais Draco l'épingla d'un regard farouche jusqu'à ce qu'il hoche difficilement la tête.

« Merci… pour aujourd'hui. Tu as été parfait. » assura-t-il malgré la grimace sardonique de Draco avant de caresser son visage et de déposer un chaste baiser sur ses lèvres. « Désolé, il faut que j'y aille, ils doivent m'attendre pour débriefer. »

Draco déglutit à nouveau puis, avec une respiration tremblante, se redressa et décrispa ses doigts des pans de son uniforme qu'il ajusta avec une expression tendue.

« Les parchemins de diagnostic sont dans ta cape ? » interrogea Harry à voix basse.

« Oui… »

Harry sourit avec tristesse et l'embrassa à nouveau, puis Draco reprit place à la table de la salle à manger. Il avisa ses livres, ses parchemins, et récupéra sa baguette pour la reposer à sa gauche et la troquer contre sa plume. Il expira lentement, une boule dans la gorge. Avait-il déjà reçu un sortilège d'Oubliette ? Est-ce que ses parents lui en avaient lancé un après avoir gravé les runes sur son crâne ? Ses yeux se remirent à brûler et il s'efforça de contrôler ses larmes en les relevant vers Harry qui semblait aussi lutter contre les siennes.

« Vas-y. » l'encouragea-t-il avec un hochement de tête décidé.

Harry leva lentement sa baguette. Draco n'eut pas peur lorsqu'il visa sa tête, mais la douleur qu'il pouvait voir sur son visage lui fit mal.

« Je suis désolé… » l'entendit-il murmurer.

Quelques minutes plus tard, Draco leva une main pour essuyer ses yeux humides avec un froncement de sourcils, puis reprit ses révisions.

/

Mars 2004

Draco posa un peu trop brutalement son plateau sur la table de la cantine à laquelle était installé Lazare et faillit renverser son verre d'eau. Il le rééquilibra précipitamment et leva une grimace vers son camarade qui esquissait un sourire moqueur.

« On perd l'usage de ses bras ? » ricana-t-il en piochant dans son assiette déjà quasiment terminée.

« Je me fais exploiter. » grogna Draco. Il venait de passer deux heures les bras levés à maintenir un enchantement de stase pour remplacer un artefact censé faire ce travail inintéressant, mais qui était tombé en panne.

« Tant que ce n'est que toi. »

« Tu es au SUM cet après-midi, non ? » demanda sournoisement Draco qui massait son avant-bras gauche après s'être assis en face de lui. « Tu me diras combien de temps tu as tenu. »

« Ne me porte pas la poisse. » souffla Lazare avec amusement.

« C'est exactement ce que j'essaye de faire. » admit Draco d'un ton narquois. Il secoua ses bras sur le côté dans l'espoir d'en retrouver un minimum d'usage avant de s'attaquer à son plateau. « Tu as vu Hannah ? »

« Non, mais elle était à l'empoisonnement, et… Il y a du monde, là-haut. »

« Merde. » émit Draco en relevant les yeux vers lui alors qu'un éclair d'angoisse le foudroyait. « Tu sais qui ? »

« Pas d'Aurors. » répondit Lazare qui n'avait pas besoin qu'il explicite sa crainte.

Draco soupira de soulagement et prit momentanément appui contre son dossier avant de se remettre à manger.

« Tu viens au Bad Gekko ce soir ? » interrogea son camarade après un instant de silence.

« Non, je garde Teddy. » répondit-il. « Pourquoi ? »

« Hmm… » sembla hésiter Lazare, occupé à martyriser son flan de sa petite cuillère. « Je voulais vous dire un truc. »

« Oh ? Une annonce ? Intéressant. »

« Oui, dommage, tu vas devoir attendre que Michael veuille bien te dire ce que c'est demain, Hannah et moi sommes de repos. »

« Non, enfoiré ! » rigola Draco. « Comment veux-tu que je croie quoique ce soit sortant de sa bouche ? Dis-moi maintenant ! » exigea-t-il en se retenant de lui balancer un coup de pied sous la table.

Lazare eut un agaçant sourire en coin et leva lentement son verre d'eau pour en boire une petite gorgée. Puis une seconde. Puis une troisième.

« Très bien, je m'en fous. » déclara Draco avant de piquer négligemment dans une branche de brocoli.

« Très bien, je te le dirai lundi. » rétorqua Lazare avec un désinvolte haussement d'épaules.

« Parfait. »

« Excellent. »

« J'espère que tu resteras coincé à l'arc de stase pendant quatre heures, connard. » grogna Draco.

/

Draco participait très rarement aux déjeuners dominicaux des Weasley. Il avait beau s'y savoir relativement bienvenu, il ne s'y sentait pas très à l'aise, surtout en l'absence d'Andromeda. Les années et Teddy aidant, il lui était de plus en plus facile de parler à Molly, et il supposait que discuter avec Ron et Hermione n'était pas si difficile malgré leur peu d'atomes crochus. Bizarrement, c'était avec Granger que c'était le plus simple, mais seulement parce qu'elle semblait passionnée par ses études et qu'il n'avait, à vrai dire, pas grand-chose d'autre à raconter.

George Weasley était assez effrayant, drôle mais prompt à faire de lui le dindon de la farce avec l'active participation de Ginny, dont l'humour acerbe aurait pu le faire rire s'il n'était pas dirigé vers lui. Bill n'était pas désagréable mais ni lui ni Draco ne faisaient particulièrement d'efforts pour discuter. Il n'avait jamais vu Percy, et il n'avait pas eu besoin de poser la question pour comprendre que c'était sa présence qui le faisait fuir. Il ne semblait venir chez ses parents que lorsque Draco n'était pas présent. Il aimait bien Charlie, qui, avec un métier semblable au sien mais pour une patientèle de dragons, avait toujours des histoires passionnantes à partager mais qui venait rarement en dehors des fêtes. Et Arthur… Arthur était agréable. Curieux et bienveillant. Mais complètement avalé par les fortes personnalités qui l'entouraient.

Quant à Fleur et Angelina… Elles étaient courtoises mais distantes. Draco se retrouvait donc entre la famille et les pièces rapportées. Une pièce rapportée de pièce rapportée. C'était incroyablement inconfortable. Il trouvait souvent de bonnes excuses pour ne pas s'infliger d'errer de Harry à Teddy puis de Teddy à Harry tout un rare dimanche après-midi de repos, et personne ne semblait le blâmer.

Il ne les blâmait pas non plus. Sa propre famille lui suffisait. Il n'avait ni l'énergie ni la volonté de s'imposer là où il n'était pas entièrement souhaité. Tous ses efforts, il les concentrait à l'hôpital, en quête de ce qu'il voulait vraiment. Et la famille Weasley, aussi bienfaitrice fût-elle pour Harry et Teddy, n'était pas ce qu'il désirait.

Mais il lui arrivait de céder à leur demande de les accompagner au Terrier. Il fallait bien qu'il fasse le déplacement quelques fois pour justifier de s'esquiver le reste du temps. Lorsque Teddy lui échappa des mains à peine passé la porte d'entrée pour rejoindre sa cousine, il plaqua un sourire poli sur son visage et fit le tour de la cuisine et du salon avec Harry pour saluer tout le monde. Il refusa trois fois un verre d'apéritif avant que Harry ne lui mette une Bièraubeurre entre les mains. Il accepta de vérifier l'état des tympans de Dominique avec l'Otoscope qu'il avait appris à systématiquement emmener avec lui lorsqu'il venait chez les Weasley le dimanche. Il écouta, avec une patience factice, Fleur se plaindre des problèmes de digestion de son nouveau-né, sachant très bien qu'elle ne lui adressait volontairement la parole qu'au sujet de la santé de ses enfants et qu'elle n'attendait que des hochements de tête de sa part. Il réduisit l'hématome que le petit Fred avait au genou, puis fit semblant d'effacer le bobo imaginaire de Roxane qui se sentait en reste.

Il pouvait sans problème être le futur Médicomage qu'ils acceptaient d'avoir chez eux si ça pouvait les aider à oublier l'ancien Mangemort.

« Tu prendras un whisky-pur-feu, Draco ? » lui demanda poliment Molly alors qu'il s'asseyait enfin sur l'un des canapés trop mous du salon.

« Non merci. » répondit-il alors que Harry s'installait à côté de lui.

« Tu es sûr ? George vient d'en ouvrir une nouvelle bouteille, ça ne pose pas de problème. »

Draco ravala son commentaire quant à l'excessive consommation de whisky par son fils, juste au moment où celui-ci prenait la parole.

« Est-ce qu'on nous cacherait quelque chose ? Hmmm ? »

« Draco n'aime pas l'alcool. » intervint calmement Harry, pour ce qui était sans doute la centième fois depuis sa première visite au Terrier.

« Je reprendrais bien une Bièraubeurre, par contre, s'il-vous-plaît. » dit-il en direction de Molly pour apaiser son besoin d'être une bonne hôtesse, bien qu'il soit loin d'avoir fini sa première bouteille.

« Dada ! » s'interposa Teddy avant que Molly n'ait eu le temps de réagir. « Tu veux jouer à Monsieur Moutarde avec nous ? » demanda-t-il en lui agrippant les genoux.

« Heu, c'est le jeu où le bonhomme explose et où la fumée fait pleurer ? » interrogea-t-il avec méfiance pour récolter un ricanement de George et un hochement de tête excité de la part de Teddy. « Non merci. Tu peux aller tester les jeux de ton oncle avec tes cousins, mais je n'ai pas envie de pleurer, merci. »

« Mais c'est un jeu de Médicomagie ! » réagit Teddy avec incompréhension.

« Justement, ça serait de la triche si je jouais. » fit-il remarquer. Harry rit discrètement à côté de lui.

« Parce que tu ne triches jamais. »

« Pas contre des enfants, voyons. Pas besoin. » lâcha Draco avec un sourire innocent en direction de Teddy, qui étrécit ses yeux mauves dans sa direction avant de regarder son parrain.

« Tu veux jouer Harry ? »

« Pas tout de suite, non. Je n'ai pas vu tes oncles et tantes depuis un moment, je vais discuter un peu d'abord, ok ? »

« Okaaaaay… » ronchonna Teddy avant de s'éloigner.

Armé de deux bouteilles de Bièraubeurre, Draco passa les quelques minutes suivantes à discuter avec Hermione, qui se retrouva soudainement avec Louis dans les bras. Elle lui envoya une expression alarmée avant de suivre Fleur du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la cuisine.

« Merlin, qu'est-ce que… » murmura-t-elle avec une grimace en baissant le nez vers le bébé. « Salut toi, tu as… l'air de t'en moquer, très bien, ne bougeons pas. » fit-elle pour elle-même. Draco rit doucement.

« Tu es phobique des bébés ? » interrogea-t-il.

« Non ! » s'exclama-t-elle avec les yeux écarquillés dans sa direction. « Non, c'est juste… » poursuivit-elle plus doucement. « Je ne sais pas quoi en faire et… Je ne sais pas comment les tenir, et j'ai toujours honte quand ils se mettent à pleurer et… Peut-être que je suis un peu phobique. » admit-elle avec embarras.

« Désolé, je ne peux pas t'aider. » dit-il en levant les bouteilles qu'il avait dans les mains. Il était de toute façon hors de question qu'il touche à Louis sans l'explicite demande de Fleur. Il la soupçonnait capable de pouvoir assassiner quelqu'un d'un regard.

Hermione lui envoya un sourire gêné, complètement raide sur sa chaise, et Harry la prit de pitié en abandonnant momentanément sa discussion avec George et Arthur.

« Tu veux que je le prenne ? » lui demanda-t-il, mais sa meilleure amie pinça les lèvres avant de secouer la tête.

« Ça va aller, merci. Il ne dit rien pour l'instant. Mais je te le lance s'il bronche. »

« Ne… » commença Harry avant de pouffer, ayant perçu la blague avec un temps de retard. « Ok, pas de problème. »

Draco leva une de ses Bièraubeurres vers sa bouche mais capta sans aucune difficulté le regard triste que leur envoya Hermione avant de se réintéresser à Louis. Il savait que Harry lui avait parlé de Rowan, et qu'elle et Ron étaient les seuls au courant. Et son inquiétude, bien que légèrement irritante pour sa fierté, le toucha un peu.

« N'hésite pas à le lui donner. Il aime bien les bébés. Ça lui rappelle Teddy. » dit-il à voix basse pour lui signifier qu'elle n'avait pas à se contenir par crainte de le blesser.

« Je… » hésita-t-elle, semblant chercher quelque chose sur son visage. « Merci. Mais elle me l'a confié à moi, et tu connais Fleur… » fit-elle avant de baisser d'un ton. « Je ne veux pas créer d'incident diplomatique. »

Draco se mordit la langue pour ne pas rire mais ne put pas contenir son sourire, qui se refléta sur le visage d'Hermione. Quelque chose en lui fut soulagé de savoir qu'il n'était pas le seul à ressentir cette étrange tension. Il leva sa Bièraubeurre la plus légère dans sa direction dans un toast à ses propos et en but une petite gorgée. Hermione eut un petit rire conspirateur.

La porte d'entrée s'ouvrit alors sur Ginny. Et Lazare.

/

L'expression de Lazare était parfaitement polie, mais Draco le connaissait assez pour voir la profonde satisfaction et l'amusement de l'avoir surpris au fond de ses yeux bleu marine.

« Draco. » le salua-t-il en lui serrant la main.

« Lazare. Tu ne travailles pas aujourd'hui ? » interrogea-t-il avec désinvolture.

« J'ai posé ma journée. » répondit son collègue sur le même ton, mais son habituelle expression moqueuse revint vite sur son visage. « Surpris ? »

« Je comprends mieux tes questions sur la vie sentimentale de Harry de ces dernières années. » rétorqua-t-il. Lazare se fichait complètement de Harry Potter. C'était Ginny Weasley qui l'avait intéressé. « Comment tu as fait ? Tu l'as attendue après un match avec les autres fans ? »

Lazare eut un souffle amusé en récupérant sa main.

« On s'est rencontré au Nouvel An. » l'informa-t-il avant de serrer la main de Harry qui se tenait à côté de Draco. « Bonjour Harry. »

« Bonjour Lazare. » lui offrit celui-ci en retour, sa surprise toujours visible sur son visage.

« Il y a deux mois ? » s'étonna Draco, qui avait décliné l'invitation de Michael au profit de passer la soirée avec Harry et Andromeda. « Chez Corner ? »

Qu'est-ce que Ginny était allée faire chez son ex-petit-ami ? Depuis quand se reparlaient-ils ? Merlin, qu'avait-il loupé d'autre ?

« Et tu es déjà là ? » interrogea Harry avant d'afficher une expression coupable. « Pas que tu ne sois pas le bienvenu, juste… C'est rapide. » échoua-t-il à se rattraper avec une grimace.

« Jaloux ? » demanda Lazare avec amusement.

« Non, bien sûr que non. » réagit néanmoins Harry, et Draco eut envie de s'enfoncer sous terre pour lui.

Lazare les quitta pour saluer le reste de la famille. Harry et Draco échangèrent un regard consterné.

« Je sais que c'est ton ami mais Godric je ne sais pas quoi penser de lui. » marmonna Harry alors que Lazare échangeait en Français avec Fleur avant qu'ils ne se fassent la bise en riant. Draco ne put contenir sa légère irritation. Merlin, Lazare allait être le gendre parfait, et malgré son désintérêt pour l'appréciation des Weasley, il était absolument jaloux.

« C'est juste son humour. Il faut un peu de temps pour s'habituer. » concéda-t-il à Harry qui haussa les sourcils avec une expression dubitative avant de soupirer.

Ils s'empressèrent de plaquer des sourires sur leurs visages pour saluer Ginny, puis se tournèrent vers Ron qui envoyait de très peu discrets regards soupçonneux en direction de l'autre Guérisseur.

« Tu connais ce bellâtre ? » demanda-t-il à Draco qui ricana un peu en hochant la tête. « Je ne sais pas si c'est parce que c'est le copain de ma sœur ou si c'est juste lui, mais je dois vous avouer que je le déteste déjà un peu. »

Draco ne put s'empêcher de rire alors que Hermione envoyait un coup de coude outré à Ron.

« Je comprends le sentiment. Mais c'est un type bien. Je crois. » termina-t-il pensivement en regardant son ami être présenté aux enfants.

« Mouais… On verra… » murmura Ron.

/

Draco en apprit beaucoup plus sur Lazare en quinze minutes de repas chez les Weasley qu'en quatre ans et demi d'études avec lui. Assailli de questions par sa nouvelle belle-famille, son collègue répondit poliment et en parfaite maîtrise de lui-même, avec l'aplomb et l'absence de timidité d'une personne sûre d'elle et persuadée de sa valeur. Un mélange d'envie et de honte envahit Draco et le rongea lentement de l'intérieur pendant qu'il mangeait en silence entre Harry et Teddy.

Ginny aurait pu ramener n'importe qui à cette table, Draco serait resté le vilain petit canard. Mais il ne pouvait pas s'empêcher de se mesurer à Lazare, qui était exactement ce qu'il aurait dû être si son père n'avait pas été un Mangemort. Et s'il n'avait pas été homosexuel.

Il avait beau connaître Lazare, avoir perçu ses discrètes périodes de doute et d'anxiété pendant leurs études, l'avoir vu épuisé et répugnant après des opérations interminables et sanglantes, avoir surpris son air hagard et ses mains tremblantes après avoir perdu un patient, il était forcé aujourd'hui de le voir à travers les yeux des Weasley. Le parfait scion d'une riche famille de Sang-purs, élégant, serviable, éloquent, drôle et curieux. Merlin, il n'avait plus qu'à remonter ses manches et à montrer son absence de marque pour l'achever. Il riait même avec George, bon sang.

Le contact de la main de Harry sur sa jambe le surprit, mais il tourna un bref sourire rassurant dans sa direction. Il cacha ensuite son émotion à sentir sa magie s'étirer vers lui pour l'envelopper en se tournant vers Teddy pour l'aider à couper sa viande.

Il savait que la famille de Lazare, même s'il ne semblait pas stratégique d'en faire l'étalage aujourd'hui, faisait partie des nombreux grands noms de l'aristocratie sorcière française. Rien de spectaculaire, pas une fortune du genre Zabini, ou… Malfoy, ni une dynastie politique, comme les Shaklebolt ou anciennement les Bones, ou… Encore une fois les Malfoy. Pas un grand nom impossible à oublier comme Potter ou Dumbledore. Mais une famille de Sang-Purs suffisamment riche pour se permettre d'envoyer leur fils étudier à l'étranger pendant des années avec deux elfes de maison et assez d'argent de poche pour ne pas avoir à travailler à côté.

Il savait aussi que sa famille vivait près de Lyon, qu'il avait fait sa scolarité à Beauxbâtons, qu'il avait été membre du club de duel et du club de course sur balai de son école, qu'il avait été délégué de classe, une sorte de préfet, pendant les quatre dernières années, et que la cantine de Beauxbâtons lui manquait affreusement. Mais il apprit aujourd'hui, avec surprise, que ses parents travaillaient et siégeaient tous les deux au gouvernement local, et surtout qu'il avait deux frères un peu plus jeunes que lui. Draco savait qu'il avait des frères, mais il les avait cru plus âgés. Il eut énormément de difficultés à réconcilier l'image de petit dernier qu'il avait de Lazare avec celle de fils aîné.

C'était étrange. Et quelque chose ne collait pas. Mais il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Le déjeuner prit fin et ils migrèrent vers le salon pour prendre le thé. Alors que Bill, Fleur et Angelina tentaient de mettre leurs enfants à la sieste, Arthur remarqua que le feu dans l'impressionnante cheminée était sur le point de mourir et qu'ils manquaient de bois. Voyant une occasion d'aller prendre l'air malgré la bruine, Draco se proposa pour aller en chercher. Il ne fut guère surpris d'entendre Lazare déclarer l'accompagner. A sa place, après plus d'une heure d'interrogatoire, il aurait eu besoin de sortir aussi.

« Alors ? Comment est-ce que je m'en suis sorti ? » lui demanda son collègue au cours de leur marche vers la réserve de bois près d'un cabanon de jardin. Draco le connaissait assez pour savoir que son ton suffisant masquait une réelle interrogation, mais il s'en irrita néanmoins légèrement.

« Bien mieux que moi, rassure-toi. » dit-il un peu sèchement.

« Vraiment ? » émit son camarade avec une réelle surprise qui lui fit hausser les sourcils d'étonnement. « Tu as l'air plutôt bien intégré. »

Merlin, Lazare était l'une des rares personnes à oublier qu'il avait été un Mangemort, et c'était à la fois rafraîchissant et très frustrant. Il soupira discrètement et commença à faire léviter des bûches pour en former un tas à ramener à l'intérieur.

« Je me demande ce que Ginny peut bien raconter sur moi, du coup… » marmonna-t-il alors que Lazare plongeait les mains dans les poches de son manteau hors de prix, les yeux tournés vers les arbres fruitiers du verger qui commençaient à bourgeonner.

« Pas grand-chose. Elle ne parle pas beaucoup de Harry et toi. Et je ne pose pas de questions, considérant que c'est… son ex. »

Draco grimaça légèrement.

« Ce n'est pas un peu bizarre entre vous ? » reprit son collègue.

Merlin, il n'aurait sans doute pas trop hésité à répondre par le passé, mais maintenant qu'il savait que Lazare sortait avec Ginny, il était hors de question qu'il s'attarde sur le sujet avec lui. Il n'y avait de toute façon pas grand-chose à dire. Oui, c'était souvent bizarre. Et Ginny était très basse dans sa liste de ses Weasley préférés. Elle était encore parfois inutilement agressive avec Harry, et c'était face à elle que le sale caractère de ce dernier faisait le plus rapidement surface. Quant à son comportement avec lui, il n'était pas surprenant considérant son passif, mais il n'était pas agréable à vivre pour autant.

Il haussa les épaules et ignora le regard fixe de Lazare pour se concentrer sur ses bûches.

« Ça t'emmerde que je sois là ? » demanda brusquement celui-ci.

« Non. » répondit Draco avec étonnement. « Je suis juste surpris. Je n'aurais pas été contre un peu de préparation psychologique. » railla-t-il. « Tu ne t'es pas dit que ça serait une bonne idée de me prévenir ? »

Son camarade eut un sourire en coin et haussa les épaules à son tour.

« C'était le plan. Mais tu as dit que tu t'en fichais. Et à ma décharge, Ginny m'a dit que tu venais rarement le dimanche. »

« Lazare… » souffla Draco avec irritation. « Je pensais qu'on était amis, c'est un coup de traître. »

« Et qui a attendu presque quatre ans avant de parler de sa propre relation ? » rétorqua son collègue en roulant des yeux. « Et encore, ça aurait pu durer plus longtemps si les journaux ne l'avaient pas fait à ta place. »

« Ça n'a rien à voir. » grogna Draco. « Harry ne fait pas partie de ta belle-famille, et surtout, on parle de Harry Potter sortant avec un autre homme, qui est en plus… Moi. » termina-t-il avec une once de dégoût qu'il n'avait pas ressenti aussi vivement depuis des années.

Lazare le fixa un long moment, le visage exceptionnellement neutre, puis tourna la tête vers le Terrier.

« Moi aussi je pensais qu'on était amis. » finit-il par lâcher, et son ton avait beau ne pas être agressif, Draco eut la sensation de se prendre un coup de poing. Lazare le regarda à nouveau et cette fois-ci son regard était dur. « Ça ne fait que deux mois que je suis avec Ginny, et ça se passe extrêmement bien, mais ça n'a rien d'étrange de ne pas en parler aussi tôt. Et pourtant je m'apprêtais à le faire. Si j'avais su que tu venais aujourd'hui, je te l'aurais dit vendredi. »

Châtié, Draco baissa les yeux vers son tas de bûches qui reposait dans l'herbe humide.

« Désolé, c'est juste que… Pour Harry et moi, ce n'est pas vraiment le genre de choses qu'on peut glisser dans une conversation sans craindre de conséquences. » murmura-t-il avant de relancer un sort de lévitation sur la bûche suivante.

« Je ne savais même pas que tu étais gay, Draco. » fit remarquer l'autre Guérisseur. Draco grimaça à nouveau sans relever les yeux vers lui.

« Désolé si ça t'a mis mal à l'aise. »

« Morgane. » souffla Lazare avant de marmonner quelque chose en français qui, lui semblait-il, signifiait qu'il le trouvait extrêmement stupide. « Non. Je m'en fous. C'est juste le genre de choses qu'on aimerait bien savoir des gens qu'on apprécie, directement de leur bouche, plutôt que dans le journal. »

Draco laissa retomber sa bûche sur le tas et releva les yeux pour fixer l'expression excédée de son collègue avec surprise.

« Lazare, ton appréciation n'est pas du tout explicite. » déclara-t-il avant de lever sa main libre pour désigner la tête du Français. « Tu sais que ton visage exprime généralement l'inverse de ce que tu es en train de dire ? Tu donnes globalement l'impression d'être sur le point de te foutre de ma gueule ou de n'avoir absolument rien à faire de ce que je te raconte. »

Lazare entrouvrit la bouche, puis son expression se tordit dans un rictus moqueur alors qu'il levait le menton vers le ciel. Lorsqu'il baissa à nouveau le visage, son air ironique était teinté de colère.

« C'est juste ma tête ! Mon visage est comme ça ! Anatomiquement ! »

Draco haussa un sourcil dubitatif.

« Est-ce qu'on peut parler de ton expression de connard prétentieux, puisqu'on est sur le sujet ? » poursuivit Lazare avec une hargne qui dégonfla sitôt qu'il sortit une main de sa poche de manteau pour la placer devant lui, comme pour lui demander un temps mort.

« A la décharge de mon visage, je suis probablement un connard prétentieux. » fit remarquer Draco avec humour.

« Non. » souffla son collègue avec un rire. « Enfin, peut-être un peu un connard, mais prétentieux, non. »

« Je n'ai jamais reçu de plus beau compliment. » ricana Draco. Lazare rit un peu plus, mais il y avait un fond de fatigue dans sa voix.

« Sérieusement, ce n'est pas la première fois qu'on me dit ce genre de choses… Est-ce que je donne vraiment l'impression de me moquer de tout ? » demanda-t-il d'un ton sarcastique.

Draco le fixa avec perplexité et ses yeux passèrent de ses épaules basses à ses mains dans ses poches, pour remonter à son regard où ses paupières un peu lourdes et ses sourcils hauts donnaient vraiment la sensation qu'il était sur le point de délivrer une insulte déguisée.

« Lazare, tu es extrêmement nonchalant. » lui fit-il remarquer sans filtre.

Son collègue baissa les yeux vers sa propre posture puis releva le menton avec un sourcil haussé.

« J'ai froid aux mains. » expliqua-t-il.

« Tu avais froid aux mains à Ste Mangouste quand je t'ai dit que mon patient était en train de plonger et que je ne trouvais pas McLaggan ? » demanda sèchement Draco.

« J'ai tout le temps froid aux mains, j'ai le syndrome de Reynaud. Et j'ai trouvé McLaggan pour toi, espèce d'ingrat. » grogna son camarade.

« Est-ce que tu es secrètement une femme ? » railla Draco, qui savait parfaitement que le syndrome mentionné se déclarait uniquement chez les personnes de sexe féminin.

Lazare soupira bruyamment et sortit ses mains de ses poches pour exposer ses doigts aux phalanges d'un blanc paraissant effectivement peu naturel maintenant qu'il attirait son attention dessus.

« Reste intraitable d'un Congelo lancé par un crétin au club de duel. » déclara-t-il avant de les replonger dans ses poches avec un grognement agacé.

« Oh… » émit Draco qui grimaça légèrement en imaginant se faire congeler les doigts. Il frémit. « Ça fait mal ? »

« Oui Draco, ça fait mal, c'est pour ça que j'essaye de garder mes mains au chaud plutôt que de les agiter avec panique dès qu'il se passe quelque chose de grave à Ste Mangouste, c'est-à-dire tout le temps. »

« Tu vois, tu te fous de ma gueule. » nota-t-il pour détourner l'attention de sa question stupide. « Et ce n'est pas qu'un problème d'attitude ou de visage anatomiquement moqueur. » ironisa-t-il. « Tu es un Sang-pur, et je suis bien placé pour savoir quel genre d'éducation tu as eu. Je me traîne déjà de sacrés bagages, excuse-moi de ne pas vouloir en rajouter une couche en criant sur tous les toits que Draco Tonks anciennement Malfoy anciennement Mangemort est homo et aurait fait partie des premières victimes de son maître si ça s'était su plus tôt ! »

Lazare écarquilla légèrement les yeux, et son expression lui donna honte de s'être ainsi emporté. Il serra les dents et reprit la lévitation des bûches.

« Est-ce que c'était ton maître ou celui de ton père ? » lui demanda doucement son collègue.

« Quelle différence ? » cracha Draco.

« Je dirais… une énorme différence ? » proposa son ami. « Est-ce que tu dirais que tu as eu la même éducation que les Weasley ? »

« Non, bien sûr que non, mais ce sont les Weasley, c'est… »

« Les Abbott ? »

« Non. » admit difficilement Draco.

« Les… Londubat ? Il est de Sang-Pur aussi, il me semble. »

« Non… » souffla Draco avant de relever la tête, comprenant son argument. Les Malfoy ne pouvaient pas être la norme en matière d'éducation de Sang-Purs. « Lazare, ce n'était pas contre toi particulièrement, si je n'ai rien dit, c'est juste… J'en ai appris plus sur toi aujourd'hui qu'en quatre ans à te parler quasiment tous les jours. Je ne te connaissais pas assez pour te confier ce genre de choses sans craindre de le regretter. Et puis, franchement, j'ai d'autres soucis que de m'inquiéter que les gens soient au courant de ma vie privée, même ceux que j'apprécie. Je n'aurais rien dit à Hannah si elle ne l'avait pas compris d'elle-même. » avoua-t-il avec fatigue.

Puisqu'il ne pouvait apparemment pas faire confiance à l'expression de Lazare pour savoir ce qu'il pensait, il se retint d'y lire une quelconque réaction et continua d'empiler du bois.

« Ok. » lâcha finalement son collègue après un bref soupir. « Je comprends. Je crois. »

« Et tu es plutôt avare de détails, toi-même. » fit remarquer Draco avant de brutalement réaliser ce qui l'avait fait tiquer pendant son interrogatoire du déjeuner. « Tu es le fils aîné. »

« Hm, oui. » confirma Lazare avec un froncement de sourcils.

« Et tu es censé retourner en France après tes études. »

L'expression désinvolte de son collègue fut perturbée par une brève tension.

« Tu es fiancé. » conclut Draco avec un mélange d'horreur pour son ami et de totale stupéfaction.

Lazare ne répondit pas, mais son regard soudainement glacial fut tout ce dont il eut besoin.

« Oh Merlin, si tu savais comme je compatis. » ne put s'empêcher de ricaner Draco, trop concentré sur le fait de ne pas mettre ses deux mains devant sa bouche pour cacher son ébahissement pour pouvoir retenir son rire.

« Ça n'a absolument rien de drôle. » cracha froidement l'autre Médicomage, qui prouvait en une courte conversation qu'il était capable de plus qu'un ton traînant et nonchalant.

« Non, pardon. » toussota Draco pour se contrôler. « Ginny est au courant ? »

« Oui… »

« Oh. Tant mieux. Et… Qu'est-ce que tu comptes faire ? »

Lazare soupira et se tourna à nouveau vers le verger, ses épaules s'affaissant un peu plus.

« Aucune idée… »

Draco pinça les lèvres. Il était à la fois très bien et terriblement mal placé pour conseiller Lazare. Sa propre fuite avait provoqué son déshéritement total, ce n'était pas quelque chose qu'il souhaitait à son collègue. Et il en savait trop peu sur sa famille pour imaginer les conséquences que pourrait avoir le fait de refuser d'épouser la sorcière qu'on avait choisi pour lui.

« J'ai repoussé l'échéance en venant ici, et à l'époque, cinq ans ça me paraissait assez long pour… Je ne sais pas. Profiter. Ou que quelque chose change sans que j'aie besoin de faire quoi que ce soit. » reprit le Français d'un ton légèrement défait, et Draco ne pouvait pas lui blâmer cette stratégie enfantine. Il avait fait pire en pliant subitement bagage pour partir chez Andromeda sans penser à ce qu'il allait faire de lui-même après ses ASPIC. « Mais l'échéance approche dangereusement et si je refuse de rentrer, ce sont mes frères qui vont en payer les conséquences. »

« Quelles conséquences ? » s'inquiéta Draco.

« Je ne sais même pas vraiment. Devoir prendre ma place, au minimum, je suppose. Pourquoi est-ce que tu as été déshérité, toi ? »

Draco déglutit et posa sa dernière bûche en haut de son petit tas avec une grimace.

« Ma… fiancée… » Comme c'était étrange de parler de Pansy en ces termes. « …a quitté le pays, donc je pensais être tranquille. Mais ils ont remis le mariage sur le tapis, et ça a été la goutte d'eau. Je suis parti et puisque j'étais à Poudlard, mes parents ont mis du temps avant de comprendre que je ne comptais pas revenir. Quand j'ai quitté l'école, ils n'avaient aucun moyen de me contacter, ils ne savaient pas où j'étais. Et… Tu étais là quand mon père essayait de me voir à Ste Mangouste. Je suppose qu'ils en ont eu marre d'attendre et ont abandonné l'idée de m'attraper pour faire de moi un bon héritier. »

Son cœur se serra douloureusement pour Scorpius, mais il prit une inspiration fortifiante. Ils n'allaient pas le laisser éternellement entre les mains de Lucius. Ils allaient réussir à l'arracher de ses griffes. Il espérait juste que cela serait plus tôt que tard.

« Je ne pense pas que nos situations soient comparables, néanmoins. » reprit-il. « Je ne sais pas comment sont tes parents, mais je doute qu'ils soient du même acabit que les miens, ou en tout cas que celui de Lucius. »

« Est-ce qu'il est si terrible ? » demanda son collègue avec un rire dubitatif.

« Je… Je ne sais pas comment te faire comprendre… » expira Draco avec surprise et fatigue. « Lazare, les Mangemorts tuaient des gens. Et pas que pour défendre leurs idées complètement fascistes, mais pour s'amuser. J'ai vu une enseignante de Poudlard être assassinée dans ma salle à manger puis être dévorée par un serpent. Il y avait des cadavres de moldus dans la cave à vin. Harry a été torturé dans un de mes salons. Ron, Hermione aussi. Par mon père, par mes oncles et tantes. C'est ça, les Mangemorts. Je ne sais pas quelle image de la guerre tu as, mais j'ai l'impression qu'elle a été extrêmement édulcorée chez vous. Et elle continue. Tu le sais, tu as vu dans quel état arrivent les Aurors et d'autres victimes. »

Il soupira à nouveau et se mordit la langue pour ne pas mentionner ses soupçons quant à l'implication de son père dans tout cela. Il relança un puissant sort de lévitation pour soulever tout le bois qu'il avait préparé.

« Ils sont moins souvent blessés ces derniers temps que quand on a commencé nos études. » fit remarquer Lazare, et Draco ne put que grogner de sa naïveté.

« Parce qu'ils sont mieux entraînés et de plus en plus nombreux, mais la guerre s'intensifie à nouveau. Les empoisonnements de vendredi, c'était certainement les Mangemorts aussi. Les patients étaient tous, tous, né-moldus. » argumenta-t-il avec hargne. « Mais ce n'était pas le sujet. » se contint-il dans un soupir. « Tu… Est-ce que tu es proche de tes frères ? »

Lazare hocha gravement la tête.

« Est-ce que tu leur as dit que tu ne voulais pas te marier ? »

« Non. »

« Pourquoi pas ? » interrogea Draco. « Si vous êtes si proches. Peut-être… Peut-être qu'ils ont une solution à laquelle tu n'aurais pas pensé ? »

« C'est mon problème, pas le leur. C'est à moi de le gérer. » répondit stupidement Lazare.

« Ah, oui. La honte dans l'appel à l'aide. Après le mariage arrangé, voilà un autre beau point commun dans nos éducations. » marmonna sarcastiquement Draco. « Tu as dit que ça risquait de leur retomber dessus. Donne-leur au moins une chance de se préparer au fait que tu penses abandonner le navire, si tu les aimes tant. »

La moue ironique de Lazare était peut-être encore une fois trompeuse. Mais Draco n'eut pas le temps de tenter de la décrypter pour y trouver ses véritables émotions, car la porte du Terrier s'ouvrit derrière lui. Il tourna la tête pour voir Harry sortir de la maison, une vague expression suspicieuse sur son visage grave.

« Vous avez besoin d'aide ? » demanda-t-il avec la main sur la poignée.

« Draco n'avait même pas besoin de la mienne. » fit remarquer Lazare en haussant les épaules avant de passer à côté de lui pour rejoindre la maison, les mains toujours profondément enfoncées dans ses poches.

Avec un souffle amusé, Draco souleva un peu plus le tas de bûches pour l'entraîner derrière lui en direction du Terrier. Harry lui ouvrit plus grand la porte pour lui permettre de passer et lui adressa un regard interrogateur.

« Plus tard. » murmura-t-il en réponse.

Il déposa le bois à côté de la cheminée avant de retourner dans l'entrée pour se débarrasser de son manteau, et, avisant les petits groupes qui s'étaient formés dans le salon, il capta le regard soupçonneux de Ginny à côté de qui Lazare était en train de s'installer.

Merlin… Comment avait-il fait pour autant s'entourer des personnages principaux de sa vie amoureuse ? Harry, Michael, et maintenant Lazare. Il pouvait comprendre sa méfiance à son égard. Il contint un soupir et vit que Harry était parti s'installer en marge des autres adultes, assis par terre avec Teddy, Victoire et Fred pour démarrer un jeu de société sur le tapis. Sans guère d'hésitation, il le rejoignit et attrapa son épaule solide pour se mettre en tailleur à côté de lui.

« Il reste de la place pour un joueur ? »

« Ouiiii ! » s'enthousiasma Teddy, ses beaux yeux verts passant subtilement au gris.