Pour ce chapitre, je me suis inspirée du super travail de Loten dans Chasing the sun (et indirectement de Sovimo qui a traduit son histoire) je vous laisse aller la lire.

Bizette


Severus n'est pas une buse, non, pas un oiseau de la dernière pluie. Il a roulé sa bosse, même si ses relations ont été rares, voire des actes subis, non encadrés par la romance et la légalité. Il n'est pas spécialiste des relations amoureuses, il s'en désintéresse largement.

Quand il tombe amoureux, la femme ne l'aime pas en retour, et personne ne l'a jamais aimé. Vaguement désiré, peut-être. Désiré en tant qu'Homme, pas en tant que fils.

La naissance de Severus est un accident, le reste de sa vie aussi.

Il se souvient de ces coups d'un soir dans sa prime jeunesse, des étreintes rapides et sans lendemain. Après la guerre, il a connu une femme, mais là encore, ce n'était qu'une parenthèse dans la solitude. Il sait qu'il peut provoquer l'excitation chez certaines femmes, il se dit que ça doit être le côté Gainsbourg en lui, pas beau mais un drôle de nez. Après tout, il y a bien des hommes qui ont des goûts variés en femmes, alors pourquoi l'inverse ne serait-il pas vrai ?

Le fait d'être laid ne lui pose pas de souci, Severus. Il a fait la paix avec ce visage austère, ces traits marqués par le temps et les épreuves. Chaque cicatrice raconte une histoire qu'il ne partage pas. Le sexe, ça n'a jamais été son fort, ni une nécessité. Peut-être est-ce dû à l'occlumancie, ou à sa misanthropie, son dégoût latent pour l'humanité. Ou peut-être est-ce à cause de son père.

Ce qui le tracasse vraiment, ce n'est pas son apparence. Il sait qu'il n'est pas aimable. Pas aimable comme on le dirait aujourd'hui. Il sait dire bonjour au revoir merci. Non, ici il est question du premier sens d'aimable. Si l'on en croit le dictionnaire de 1718* : Qui est digne d'estre aimé. Qui merite d'estre aimé.

Il en est conscient, comme une vérité froide et implacable. Des gens le respectent, oui, il a appris à vivre avec ça depuis la guerre. Il leur trouve une mémoire sélective, ces gens-là, capables d'oublier ses actes dès lors qu'il leur est utile. Mais tant qu'on n'essaie pas de le remettre à Azkaban, il ne s'en plaint pas.

Il a vu trop de laideur dans le monde pour se soucier de la sienne propre. La guerre, les trahisons, les pertes – tout cela a forgé en lui une armure. Mais cette armure, elle l'isole aussi, le coupe de tout lien véritable. Respecté, mais jamais aimé. Toléré, mais jamais accepté.

Non, il le sait, les gens ne l'aiment pas. Severus a fait la paix avec cette réalité. Il n'est plus haineux, car les gens ont cessé d'essayer de se payer sa peau, et ça, c'est assez reposant. La guerre est finie, les rancœurs se sont estompées, et il a trouvé une sorte de paix dans cette solitude acceptée.

Il a de la camaraderie, oui, qui s'est construite avec le temps, surtout avec Remus. Leur relation s'est forgée dans le feu et le sang, surtout le sien.

Le loup-garou lui a sauvé la peau dans la cabane hurlante. Remus, avec sa patience infinie, lui a collé aux basques pendant toute sa période de deuil. Il faut bien l'avouer, hors période de guerre et sans les autres Maraudeurs, Lupin peut être divertissant.

Mais cette camaraderie est teintée de nécessité. Remus a besoin de compagnie, de quelqu'un qui a vécu les mêmes épreuves, la même génération, cette génération brisée. Une génération qui est quasiment totalement morte, elle a été de la chair à canon, manipulée durant la première guerre, manipulable durant la seconde. Après tout cela, il ne reste que des survivants.

Severus pense souvent à cette génération sacrifiée. Ils étaient jeunes, pleins de rêves et d'espoirs —enfin les autres pas lui. Avant que la guerre ne les broie — bon là, lui aussi. Ils ont été des pions sur un échiquier trop grand pour eux, manipulés par des forces qu'ils ne pouvaient comprendre. Albus, Voldemort, ces titans qui ont joué avec leurs vies. Comme on joue aux échecs. Et maintenant, ils sont les vestiges de cette folie, des souvenirs douloureux marqués dans leur chair et leur tête.

Severus se sent fatigué, parfois. Fatigué de porter le poids de ces souvenirs, de cette histoire. Il a vécu mille vies, affronté mille tempêtes, mais n'a pas l'impression d'en avoir bâti une seule. Il a surtout combattu, constamment. Battu beaucoup. C'est une lutte incessante, une guerre sans fin contre ses propres démons et ceux du monde.

Il se console avec ses diplômes, ses distinctions, ses titres. Boleyn, ordre de Merlin, et autres honneurs. Là, au moins, il y a écrit qu'il a fait quelque chose de bien, qu'il a laissé une marque, aussi minime soit-elle. À défaut de le croire lui-même, il peut se raccrocher à ces morceaux de papier, à ces médailles vides. Elles sont les témoins muets de ses accomplissements, des échos de ses victoires creuses.

Sa mère ne l'aime pas. Pas comme une mère devrait aimer son fils, non. Elle lui en veut encore énormément et elle le fera à jamais. Mais pour lui, cela n'a pas d'importance. Parce qu'avant, avant tout ça, elle ne l'aimait pas non plus. Ce qu'il a fait n'a rien changé fondamentalement. Sa mère ne veut pas de lui, c'est une chose d'avoir un enfant indésirable, c'en est une autre de le traiter comme tel.

Elle a fait le minimum, le strict minimum qu'elle a appris étant enfant. Son fils a été nourri, oui, mais pas toujours. Logé, parfois au grenier, comme un rat. Blanchi, l'hygiène n'étant jamais une priorité. Ils ont vécu ensemble jusqu'à ses dix-sept ans, puis elle l'a jeté dehors sans un regard en arrière. Il a loué une chambre de bonne, jusqu'à ce qu'il atterrisse à Poudlard, puis à Azkaban, où il ne payait pas de loyer. Manquerait plus que ça.

Quand Voldemort est revenu, il a envoyé sa mère en Irlande, séance tenante. Déjà être responsable de la mort d'un de ses parents, c'est une chose. De deux, c'est un peu too much, même pour lui.

Depuis la fin de la guerre, elle a appris ce qu'il a fait dans les journaux, et là, elle a commencé à faire des efforts. Veuve, elle n'allait pas abandonner son fils, héros de guerre. Qu'est-ce que les journaux auraient dit ? Un fils de quarante ans qui vivait très bien sans elle, voilà ce qu'il dit lui. Et depuis, il la visite, le dimanche de temps en temps. Pas par amour, non. Plus par devoir, par habitude. Une routine désabusée, une obligation qu'il se sent contraint d'honorer. Leur relation est une mascarade, un théâtre de l'absurde où chacun joue son rôle assez mal.

Severus, lui, a appris à ne rien attendre d'elle. Pas d'amour, pas de tendresse. Juste cette froide indifférence qui avait marqué son enfance. Il se souvient de ces nuits dans le grenier. Il est rancunier Severus.

Il y avait eu des moments où il avait espéré, des éclats fugaces où il avait cru qu'elle pouvait changer. Mais ces illusions ont rapidement été dissipées par la dure réalité. Elle est incapable de l'aimer, tout comme il est incapable de pardonner. Leur lien est fait de non-dits, de rancœurs accumulées, de silences pesants.

Alors, il continu à la voir, par devoir. Un devoir froid, sans passion. Il écoute ses histoires, ses plaintes, ses récriminations. Il reste assis là, dans ce salon lugubre, ses pensées dérivant loin, très loin de cette maison. Il pense à ses élèves, à ses potions, à Hermione.

Son père, c'est encore autre chose. Quand on fait ce qu'il a fait à son fils, Severus en déduit assez facilement qu'il ne l'aimait pas. C'était étrangement réciproque, cette détestation. Pas de faux-semblants, pas de masques. Juste une froideur brutale, une vérité crue. Severus, encore jeune, comprend très tôt qu'il ne pourra jamais compter sur cet homme. Sa mère lui dit à ses sept ans, que ce que fait son père ; c'est de l'amour. Que de l'amour paternel, c'est une fable pour les autres, pas pour lui. Une enfance broyée sous le poids de la violence et du mépris. Eux deux, c'est la guerre permanente, et Severus a gagné.

Lily, elle avait de la pitié. Severus déteste ça, cette condescendance déguisée en compassion. Ils se sont éloignés à Poudlard, il le sait bien. Il a été un foutu mélodramatique obsessionnel, incapable de voir au-delà de ses propres souffrances. Elle ne l'aimait pas, pas vraiment. Pas comme il l'aimait, avec cette intensité désespérée, cette dévotion maladive. Elle a vu en lui une âme égarée, un ami d'enfance perdu dans ses ténèbres. Mais l'amour, ce vrai amour qu'il aurait voulu, ça, elle ne pouvait pas lui donner. Elle était attirée par la « lumière », par cette énergie vive et flamboyante qu'incarnait James Potter. Severus est trop sombre, trop complexe, une énigme qu'elle ne pouvait plus déchiffrer. Alors elle s'est éloignée, et lui, il s'est noyé dans son désespoir, dans cette douleur lancinante de la voir s'éloigner de plus en plus.

Ah, Albus, ce vieux matou futé, l'artiste du trompe-l'œil, du tour de passe-passe, du mensonge bien tissé ! Ce sacré personnage, sous ses dehors de grand sage au cœur pur, avait emprisonné Severus, oui, sans une once de scrupule, l'avait fichu droit dans un costume bien trop grand et bien trop sombre pour lui, un rôle qu'il n'avait jamais, oh grand jamais, rêvé de porter. L'utilisation sans vergogne, la grande machine des idéaux supérieurs broyant l'homme, la chair, l'âme en miettes sous les rouages implacables de la noble cause. Toujours à presser le citron là où ça brûle, là où ça crie en silence, jouer les virtuoses sur l'orchestre des remords, des culpabilités torturées.

Et voilà Severus transformé, ni plus ni moins, en pion sur l'échiquier d'Albus, un instrument, oui, une petite flûte dont on joue une mélodie triste pour les plans obscurs d'un vieux sage aux yeux qui pétillent de malice sous les rides de l'âge. Ah, l'artiste de la manipulation, un vrai chef d'orchestre ! Forçant Severus à couver ce petit prince, ce fils de Lily, rappel constant, douloureux, incessant de l'amour perdu, de la fleur fanée avant l'heure, ah la douleur, la douleur toujours fraîche. Ce filou, savait jouer des sentiments de Severus comme on joue des touches d'un piano dans le noir, chaque note une douleur, une manipulation fine, une précision d'horloger. Et le pauvre Severus, malgré son flair, malgré ses défenses, pris au piège à dix-neuf ans, entraîné, emporté dans ce tourbillon, cette danse macabre de sacrifices, de mensonges qui s'enroulent, qui étouffent.

Severus, espion malgré lui, écartelé entre deux feux, vivant une double vie truffée de dangers, chaque parole un fil sur lequel il danse, au-dessus du vide, chaque geste pouvait-être le dernier. Et Albus, toujours de marbre, lançant d'un ton détaché, « C'est son choix, Poppy », comme on lance une pièce en l'air, sans se soucier où elle retombe. Mais quel choix ? Aucun choix, Severus n'en avait jamais eu, prisonnier des filets, des fils d'une toile immense, chaque maille un piège, chaque croisement un calcul d'Albus.

Ah, il vivait là, Severus, dans cet échafaudage de manipulations, de faux-semblants, camouflé sous la haine, sous le mépris, armure, bouclier contre le monde. Mais sous le métal, sous la froideur, là, le cœur en morceaux, brisé, piétiné par les jeux, les stratagèmes d'un vieux magicien trop habile à tirer les cordes des cœurs pour ne pas les briser. Spectateur de ses années qui filent comme le sable entre les doigts, sa jeunesse qui se flétrit, ses espoirs qui s'éteignent lentement, éteints sous le poids des guerres, des combats non choisis. Cette bataille qui ne voulait pas de lui mais dont il ne pouvait s'échapper. Albus, oh ce grand saint, avec son halo de bonté, dissimulait, derrière ses airs faussement doux, un cœur dur comme la pierre, une âme glacée par l'indifférence.

Severus, pauvre outil usé jusqu'à la corde, simple moyen pour une fin cruelle : la victoire d'Albus, l'accomplissement de ses rêves grandioses. Qu'importaient les coûts, les sacrifices de ceux qui tombaient, broyés sous le poids de ses ambitions ? Severus savait, oh combien il savait, conscient de chaque douleur, portant sa croix par un devoir tordu, une loyauté perverse le liant à cet homme qu'il haïssait profondément.

Depuis ses quinze ans, il savait qu'Albus se fichait bien de lui. Souvenir amer de sa cinquième année, l'aventure folle, le piège mortel de Black, traquant Remus à la veille de sa transformation. Un piège qui aurait pu le tuer, si ce n'était pour l'intervention de Potter, ce prétendu chevalier, sauvant tout le monde, même les Serpentards méprisés.

L'acte aurait dû coûter cher à Black, une tentative de meurtre claire et nette. Mais Albus, avec sa légèreté troublante, opta pour un châtiment risible : une heure de colle pour Sirius, rien de plus. Pas de vraie sanction, non, juste un balayage discret sous le tapis, préservant l'unité de ses chers Gryffondor, évitant de tacher leur blason par une affaire sombre.

Pire encore, quand Severus réclama justice, c'est lui qui se vit menacé. Avertissement glacial : révéler la lycanthropie de Remus, c'était risquer l'exclusion de Poudlard, l'annulation de ses diplômes, l'exil du monde magique. La vie de Severus, sa magie, réduites à rien, moins qu'une heure de colle pour Black.

C'est là, à ce moment précis, que Severus mesura l'ampleur de l'hypocrisie d'Albus : derrière les discours sur l'amour et la tolérance, se cachait un manipulateur sans éthique, prêt à tout sacrifier sur l'autel de ses ambitions. La justice, l'équité, n'étaient pour lui que des mots creux, des outils à brandir quand cela lui convenait. La vie de Severus, son futur, tout pouvait être balayé en un instant, sacrifié sans remords pour satisfaire les plans d'Albus.

Si Severus s'est attardé à Poudlard, entre les deux grandes guerres, c'était sous le joug, sous la pression sournoise du directeur, oh oui. Sa récompense pendante, le fameux poste de professeur de défense contre les forces du Mal, n'arriva dans ses mains que lorsque Albus, sut qu'il ne lui restait qu'un an de vie. Quant au bâton, oh le bâton, c'était la menace constante, sinistre de retour à Azkaban. Peu importait à Albus si Severus y rentrait à Poudlard debout, à moitié ou en steak haché, si Voldemort venait à douter de sa loyauté.

Il le poussait ouvertement dans les bras sombres de la magie noire, pour garder sa couverture, pour jouer son rôle auprès de Voldemort. Chaque sortilège noir grignotait un peu plus de son âme, mais après tout, qu'importait pour Albus ? Severus n'était plus qu'un outil, cassé certes, mais oh combien utile. Et le secret, toujours le secret, Albus lui avait soufflé seulement une bribe de la prophétie, cette histoire de Voldemort et Harry, le laissant dans le danger le plus total, sans possibilité de manœuvre, d'ajustement.

Oh, il jouait Albus, jouait sur les cordes sensibles de Severus – l'amour, la culpabilité, les regrets – comme un violoniste sur son Stradivarius, chaque mouvement de l'âme torturée de Severus pour se plier à ses désirs, sans un souci pour les sacrifices demandés, pour les coûts d'une vie. Le grand sacrifice, oh le grand coup de théâtre : demander à Severus de l'assassiner, Il scellait à jamais le destin solitaire et dangereux de Severus contre l'ordre.

Si Remus n'avait pas été là, dans la cabane hurlante pour le sauver, Severus serait mort en paria, jeté comme un détritus sans aucune pompe. Non, Albus ne l'a jamais aimé, jamais considéré autrement que comme des muscles et des os insensibles, à son service. Albus n'avait jamais eu de compassion, juste un agenda. Un agenda où les pions comme Severus étaient sacrifiables, remplaçables. Oui, sur tous les plans, Albus avait fait plus de mal à Severus que Voldemort lui-même. Plus subtil, plus insidieux. Albus avait été comme son père. Tobias incestueux alcoolique et violent. Albus manipulateur destructeur et négligent. Il avait tué les deux.

Et Minerva ? Oh elle, s'en voulait de l'avoir traité comme un damné durant la seconde guerre. Elle essayait de faire amende honorable maintenant, avec des gestes maladroits, des paroles de réconciliation. Elle avait vu en lui le mangemort, l'ennemi, sans jamais chercher à comprendre l'homme derrière le masque.

Mais Severus, il n'oublie pas. Il a du mal à pardonner, même à ceux qui essaient de réparer les torts passés. La rancœur est une vieille compagne, tenace et résistante. Il apprécie les efforts de Minerva, mais au fond de lui, il reste méfiant. Il sait trop bien que dans son cas tout bascule trop vite.

Ce matin-là, il ouvre les yeux, la tête bourdonnante, bourrée de ces pensées qui tournent, virevoltent, un vrai carrousel infernal. Et puis Hermione, ah ! Hermione et la nuit passée qui déferle sur lui en vagues énormes, en raz-de-marée. Ses mains, ses yeux, ce baiser, oh ce baiser ! Il se demande, un court instant, si tout ça n'était qu'un rêve, mais non, non, tout était bien réel, chaque infime seconde. Il se lève, se passe une main dans les cheveux, essaie de remettre un peu d'ordre dans ce chaos. Une confusion, une étrange chaleur qui persiste, qui le colle à la peau malgré le froid mordant du matin.

Il avance, un peu chancelant, les souvenirs encore bien lourds sur les épaules. Se dirige vers le miroir, se regarde. Ce visage, oui c'est le sien, pour le meilleur et pour le pire. Les traits tirés, il plonge son regard dans ses propres yeux, cherche des réponses.

Hermione. Elle est là, elle imprègne l'air, envahit l'espace ce matin, alors que pendant des mois, il s'était échiné, ah comme il s'était échiné pour qu'elle soit nulle part. Il pense à ses mains douces, à ce sourire timide mais oh combien sincère. À ce moment précis, leurs lèvres qui se touchent, le monde qui semble suspendre sa course folle. Lui, pas habitué à ces éclats de tendresse, à cette vulnérabilité qu'elle a réveillée en lui.

Il passe une main sur son visage, sent la rugosité de sa barbe naissante. Tout paraît différent aujourd'hui, il est là, propriétaire et Hermione l'a embrassé. Tout pourrait changer, mais il sait, au fond, que ça ne sera pas le cas.

Il s'habille lentement, chaque geste chargé de pensées, de réflexions. La journée d'hier, une anomalie, une brèche dans le tissu de son quotidien. Une soirée qui pourrait, peut-être, lui offrir un semblant d'espoir. Mais il est pragmatique, notre Severus, il sait que les choses ne sont jamais aussi simples. Surtout pas quand une belle femme embrasse son laid collègue après une sortie au bar. Elle avait bu, et lui, manquant de présence d'esprit, ou peut-être de volonté, n'a pas su s'arrêter quand il l'a embrassée.

Aujourd'hui, si elle est aussi sage qu'intelligente, elle aura le bon goût de ne rien dire, de faire comme si de rien n'était. Après tout, elle a trente ans, et lui, ah lui, il en sait si peu sur les affaires sentimentales. Mais il a déjà entendu ces histoires, les badinages, les errances sexuelles des trentenaires célibataires. Il n'est pas assez stupide, ni assez naïf pour croire qu'Hermione puisse vouloir de lui. Il se connaît, il sait ce qu'il est.

Il descend dans les cachots, ses pas résonnent dans le silence froid. Les élèves ne sont pas encore réveillés, le château est encore endormi. Il aime ces moments de calme, avant que la journée ne commence, avant que les responsabilités ne viennent l'accabler. C'est dans ce silence qu'il trouve une sorte de paix, éphémère, fragile.

Il se rend dans son bureau, il s'y assoit, observe les piles de parchemins devant lui. Le travail l'appelle, mais son esprit vagabonde. Il pense à Hermione, à ce moment volé dans la nuit, à ce baiser qui lui a semblé si irréel, si hors du temps. Il se demande si elle y pense aussi, si elle se souvient, ou si elle a déjà relégué cela au rang des erreurs d'un soir, des choses qu'on oublie vite.

Il sait que pour lui, ce n'est pas si simple. Ce n'est jamais simple. Chaque émotion, chaque sentiment, il les vit intensément, profondément. Et ce baiser, c'était peut-être plus qu'un simple moment de faiblesse ?

Mais il se reprend, chasse ces pensées. Il doit rester réaliste, ne pas se laisser emporter par des rêves qui n'ont pas leur place dans sa vie. Il est Severus Snape, après tout. L'homme que tout le monde craint, que personne n'aime vraiment. L'idée qu'Hermione puisse voir quelque chose en lui, quelque chose de valable, c'est presque risible.

Il se penche sur ses parchemins, essaie de se concentrer. Les potions, les devoirs des élèves, le discours pour le Boleyn, tout cela devrait occuper son esprit, le détourner de ses pensées. Mais même là, Hermione s'insinue. Tout cela le hante, ça le poursuit.

Il soupire, prend une plume, commence à écrire. Les mots viennent difficilement, son esprit toujours ailleurs. Il sait qu'il devra affronter Hermione, qu'il devra faire face à ce qui s'est passé. Mais pour l'instant, il se contente de ce silence, de ce moment de répit avant que la tempête ne recommence. Parce qu'au fond, il sait que rien n'est jamais vraiment calme, que la paix n'est qu'une illusion.


Il n'arrivait plus à travailler, de toute façon. Il avait essayé de se dire productif, mais l'envie n'y était pas. Pas le goût, pas la motivation, rien. Il a pris ses clics et ses clacs, a envoyé un mot à Remus pour lui dire qu'il partait plus tôt. Une fuite en avant, une évasion nécessaire.

Il a déposé l'acte signé par Draco et Narcissa à Gringotts. La banque des gobelins, froide et imposante, l'a accueilli avec la même indifférence glaciale. Severus avance, dépose les documents, signe ce qu'il faut signer. Une formalité parmi tant d'autres. Le tout se faisait mécaniquement, sans y penser, sans vraiment s'impliquer. Parce qu'au fond, son esprit était ailleurs.

Et puis ça y est. Il est devant la maison. Là, il est devant le Square Grimmaurd. Elle est en piteux état. Mais c'est ce qu'il aime. Vous devez vous demander pourquoi diable a-t-il acheté cette maison ? La maison des Black, non, ça ne l'a jamais été pour Black. C'était la maison des Black, pas de Black. Il le disait lui-même. Il avait bien essayé de racheter celle des Prince, mais son grand-père Alaric avait interdit qu'il puisse la récupérer. De toute façon, il ne veut pas grand-chose de la famille de sa mère. Bon, même si techniquement, il descend lui aussi des Black par sa mère. C'est ce qui lui a permis en partie de récupérer cette maison. Mais pourquoi le Square Grimmaurd ? Oh, c'est simple. Il se reconnaît en elle. Longue, étroite, poussiéreuse, ayant subi Albus et Voldemort. Usée et abusée. Remplie de magie noire avec une superbe bibliothèque. Détestée de Black. Non, le Square lui plaît, enfin quand il l'aura retapée. La bâtisse nécessite des travaux. Pas trop grave, il a mis de côté un peu d'argent et il y a une pension pour retirer et rendre inoffensif, ou au ministère, tout ce qui peut être dangereux. L'avantage avec Potter, c'est qu'il a demandé une bouchée de pain, juste histoire que ça paraisse à peu près légal et au-dessus de tout soupçon.

Il faut qu'il renouvelle le serment de Fidelitas. Pas qu'il craigne grand-chose, non, simplement il aime bien que sa maison ne soit pas visible au premier venu. Il ne sait pas s'il doit mettre juste une barrière anti-Moldus ou pas, vu qu'il vit en ville. Il faut qu'il étudie la question.

Il entre dans la maison, elle se défend. Il faudra qu'il renouvelle vite les sorts de défense. Merci Merlin, les Malfoy ont récupéré Kreattur. Il n'aurait pas aimé le supporter plus longtemps. L'entrée est lugubre, mais pas autant que quand il est entré la première fois en 1995. Les Black auraient dû employer leur fils comme fantôme.

Il faut encore qu'il la débarrasse de ses portraits, qu'il la nettoie, qu'il l'aère, qu'il la dé-tapisse. Parce que tout ce noir, même pour lui, c'est glauque. Dans les cachots, ce sont des pierres ou des broderies, mais ici, le poids des ténèbres est palpable, presque suffocant. Il ne sait pas exactement ce qu'il va faire de la tapisserie familiale des Black. Narcissa n'en veut pas. Potter non plus. Il pensait la rouler et la donner au registre des familles de sang pur. Autant de consanguinité devrait être documentée, consignée quelque part, comme une relique d'un passé révolu.

Les murs suintent encore de la magie noire, des relents d'anciennes malédictions. La poussière danse dans les rayons de lumière filtrant à travers les rideaux épais, lourds.

Il observe les boiseries sculptées, les portraits fixant l'intrus avec des regards perçants, méprisants. Il se dit qu'il y a du travail, beaucoup de travail, mais ça ne le décourage pas. Au contraire, ça l'apaise, cette idée de transformation, de réhabilitation.

Chaque pièce, chaque recoin, devra être purgé, nettoyé, transformé. Les vestiges de la famille Black devront disparaître, remplacés par quelque chose de plus neutre, de plus pratique. Il n'est pas très déco Severus. Il aime ce qui est pratique, utilisable facilement, confortable ; le gain de temps. C'est peut-être pour ça qu'il s'habille tous les jours de la même manière et qu'il a deux fois la même cape en laine.

Il se dirige vers la bibliothèque, cette pièce qu'il considère déjà comme le cœur de la maison. Les rayonnages croulent de grimoires poussiéreux. Ici, il y a du savoir, du pouvoir. Il sent l'excitation monter en lui, cette soif de connaissance qui ne l'a jamais quitté.

Eh, rassurez-vous il ne bande pas dans la bibliothèque à cause de l'attrait la magie noire. En fait il bande même pas. Bon, il a étrangement l'eau à la bouche. Il faudrait consulter. Les livres de magie noire, ça ne se mange pas.

Severus sait qu'il va devoir travailler dur, mais il est prêt. Il voit déjà la maison transformée, purifiée de ses sombres influences. Il se laisse tomber dans un fauteuil, regarde autour de lui. Il y a tant à faire, mais il a le temps, et surtout, la volonté.

Il monte dans la cage d'escalier et là, il y a Madame Black.

« Traitre ! Batard de Sang mêlé ! Sort de chez moi ! »

Une vieille bique hurlante, une harpie de peinture. Il sait très bien comment retirer les portraits de la maison Black. Il l'a toujours su, d'ailleurs. Mais c'est assez jouissif de voir Black se faire insulter par sa propre mère. Les insultes n'étaient pas forcément méritées, mais pour une fois que quelqu'un critiquait Black, il les laissait joyeusement pendre contre le mur. Maintenant que Black est mort, il n'a aucun intérêt à laisser cette vieille bique l'insulter encore une seconde de plus.

« Madame »

Il décroche le tableau, le tourne contre le mur. Il s'en occupera plus tard.

Les étages sont poussiéreux, une épaisse couche de gris recouvrant chaque surface. Tout est resté dans le même jus que la veille de la mort de Black. Figé dans le temps, comme si la maison elle-même refusait d'avancer.

Il n'a pas vraiment l'impression que quoi que ce soit s'est passé dans cette maison, même si plusieurs membres de l'Ordre du Phénix y ont vécu pendant la guerre. C'est assez morbide, comme un mausolée de souvenirs, un tombeau de l'époque révolue. Les chambres, les couloirs, tout respire la désolation, l'abandon.

Cette maison, c'est un cadavre. Mais il voit aussi le potentiel, après tout, même avec la meilleure volonté du monde, il ne pourrait pas faire pire.

Il descend au laboratoire. C'est à peu près le seul endroit où il pouvait être tranquille, Black ne descendait jamais. Il avait installé un coffre où il mettait les potions de Lupin. C'était le seul endroit où il savait que personne, à part Lupin, n'irait fouiner. Il faudrait qu'il le change. Même si Remus est à peu près digne de confiance et qu'il est quasi certain qu'il a aujourd'hui oublié les clefs ou même l'existence de ce coffre, il ira tout de même en acheter un nouveau.

Il glisse la pochette qu'il avait sous le bras. Ses diplômes, moldus et sorciers. Son contrat de travail, potions et défense. Ses bulletins de paye depuis Minerva, puisqu'évidemment, Albus ne le payait pas, partant du principe qu'il le logeait et le nourrissait déjà. Il glisse quelques brevets, les plus récents, ceux qui ne sont pas encore déposés. Et quelques autres papiers administratifs comme l'acte de propriété de l'impasse du Tisseur, ses papiers de compte de Gringotts, le certificat attestant que la maison est bien sous sa tutelle, ses papiers d'identité moldus, ainsi qu'une grosse pochette avec tout un tas de papiers qu'on lui demande une fois tous les dix ans.

Il ajoute des relevés bancaires, des certificats médicaux, les copies de ses permis de port d'armes magiques, l'avis de deces de son père, ses licences de fabrication de potions, des contrats d'approvisionnement avec divers apothicaires, et même des lettres.

Dans les lettres, il y a une carte d'un copain de primaire, une lettre d'entrée à Poudlard, une carte postale de Lily, envoyée d'Italie en 1974. Il y a aussi une lettre de sa mère, lui demandant de ne pas rentrer pour les vacances de Noël, datée de 1976. Quelques lettres de Lucius ou Bartemius Jr. Une note de Regulus, écrite juste avant sa disparition. Un faire-part de naissance, celui d'Harry Potter, volé aux parents de Lily – qu'on ne le dise jamais à personne.

Il y a un journal daté du 8 novembre 1881, jour de son arrestation, des lettres de son avocat de l'époque – il en a changé depuis, bien sûr. Des lettres de Serpentard ayant fini leurs études, des missives pleines de promesses et de rêves brisés.

Il y a aussi des lettres de clients moldus, des remerciements pour des potions de guérison vendues sous le manteau. Une lettre d'Albus, pleine de cette condescendance mielleuse. Une note de Slughorn, envoyée après la bataille de Poudlard, offrant des condoléances et des encouragements. Des lettres d'anciens collègues… Et puis, une petite carte découpée dans du parchemin scolaire, les remerciements d'Hermione pour avoir préparé la potion pour les dépétrifier en 1993. Elle a été la seule à le remercier pour son travail à l'infirmerie.

Il referme le coffre, le verrouille soigneusement.


Hermione cherche Severus aujourd'hui. Ni déjeuner, ni dîner, il n'est pas là. Remus dit qu'il s'occupe d'un truc perso. Elle décide de lui laisser un peu d'espace.


*définition du dictionnaire de l'académie française pour l'année 1718, dispo en ligne si vous voulez aller jour avec.