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CHAPITRE 8
Stiles cligne juste des yeux, et il se retrouve à regarder une série de panneaux de plafond beiges. Il ressent sa peur habituelle d'être dans un endroit inconnu, et il essaie de bouger. Le métal tinte et son bras s'accroche. Stiles tourne la tête, pour découvrir qu'il est menotté à un lit.
Il cligne à nouveau des yeux.
Il est dans une chambre d'hôpital. L'air est froid et sent l'antiseptique. Il y a des languettes adhésives sur sa poitrine, et une de ces espèces de pinces au bout de son doigt. Le moniteur cardiaque à côté du lit commence à vibrer avec excitation, alors que la peur de Stiles augmente.
Il porte toujours son jean et ses chaussettes, mais où sont sa chemise et son sweat à capuche ? Et ses chaussures ? Et son couteau ? Et...
Et son chien.
Stiles plaque sa main libre sur sa bouche, pour étouffer le sanglot qui tente de lui échapper. Il se tord lorsque la porte de la chambre s'ouvre, et les menottes cliquettent le long de la barrière du lit.
C'est la mère de Scott.
Elle lui fait un petit sourire alors qu'elle se dirige vers son lit, et c'est assez pour qu'il s'effondre. Ses sanglots deviennent de plus en plus forts, et il essaie de se rouler sur le côté et de relever ses genoux. Pour préserver le peu de dignité qui lui reste, ou quelque chose comme ça.
Mme McCall ne se laisse pas démonter. Elle se penche sur lui, et met ses bras autour de lui.
« Tout va bien, Stiles. Tu as eu une crise de panique et tu as été dans le coltar pendant un moment, mais tu es en sécurité ici, et tout ira bien. »
Elle sent un peu l'hôpital, mais surtout la chaleur et la sécurité, et le gel douche que Stiles a utilisé dans la douche des McCall. Stiles retourne l'étreinte avec son seul bras libre, et pleure contre son épaule.
« Elle a tué mon chien ! »
Mme McCall tressaille, et Stiles se rappelle que l'interaction de la femme avec le chien n'avait pas été exactement positive. Elle est trop gentille pour le mentionner.
« Oh, chéri, je suis vraiment désolé. »
« Il me protégeait. » pleure Stiles. « Il me sauvait. Quand j'étais malade, il m'a apporté de la nourriture. »
« Oh. » Elle resserre sa prise sur lui. « Oh, Stiles. »
Derrière elle, la porte s'ouvre à nouveau.
Mme McCall se redresse, son expression se durcit pendant qu'elle se tourne vers l'homme qui entre dans la pièce. « Vous avez intérêt à être ici pour enlever les menottes de cet enfant, Jordan. »
Sa soudaine protection féroce amplifie la douleur dans la poitrine de Stiles. C'est comme un écho à l'intérieur d'une caverne en réalité vide, tout cet espace creux là où se trouvaient les gens qu'il aimait. Sa mère. Son père. Le chien.
Parrish s'avance, en cherchant ses clés. « J'ai dû aller aux toilettes, Melissa, et je ne voulais pas qu'il me fausse compagnie. »
« Je suis en état d'arrestation ? » demande Stiles.
Parrish hésite, puis se tient à côté de Melissa et déverrouille la menotte du poignet de Stiles. « Oui. »
Melissa avance le menton. « Pourquoi ? »
« Agression avec une arme mortelle. » déclare Parrish.
« Mais je n'ai pas... » Stiles pense à son couteau, mais bien sûr ce n'est pas ce que Parrish veut dire. « Je n'ai pas dit au chien d'attaquer. »
« Ce n'est pas ce que dit l'Adjointe Argent. » lui répond Parrish.
Bien sûr que non, car Kate Argent est une putain de menteuse.
Parrish reprend les menottes et les remet à sa ceinture. Il soupire. « Écoute, je suis presque sûr qu'elle sera heureuse de ne pas porter plainte si tu nous aides. »
« Elle a tiré sur mon chien. » rétorque Stiles. « Pourquoi je devrais l'aider ? »
« Tu veux adopter cette attitude jusqu'au Juvie ?(*) » demande Parrish, avec une expression plus inquiète que furieuse. « Car ce serait le Juvie(*), n'est-ce pas ? Tu es mineur. Alors pourquoi ne pas commencer par me dire ton nom, afin que nous puissions te ramener chez toi, là où tu habites ? »
[(*) NDT : "Juvie" est le surnom familier pour les centres de détention pour mineurs.]
« Jamie Williams. » répond Stiles.
C'est un nom courant. Probablement aussi courant que John Smith, mais pas aussi manifestement un mensonge. Stiles parie qu'il y a une foutue tonne d'adolescents appelés James Williams dans le système, et il est prêt à laisser les flics parcourir tous les dossiers.
Il croise le regard de Mme McCall. La bouche de la femme est une ligne mince, mais elle ne parle pas.
« D'où viens-tu, Jamie ? » demande Parrish.
Stiles se contente de hausser les épaules.
Parrish a le même air patient que son père avait toujours, lorsqu'il avait affaire à ceux qu'il appelait des "clients difficiles". Papa disait toujours que l'un des signes d'un bon flic, c'était qu'il ne le prenait pas personnellement quand quelqu'un tirait sur sa chaîne.
Parrish ressemble à ce genre de flic. Équitable et lent à la colère.
« Une raison pour laquelle tu ne veux pas répondre à cette question ? » demande-t-il. Son regard est perspicace. « Un problème à la maison ? »
« Nan. » répond Stiles.
Parrish hoche lentement la tête. « Parce que si c'était le cas, je pourrais te mettre en contact avec des gens qui pourraient t'aider. »
Ouais, non. Les Services à l'enfance aident Stiles depuis quatre ans, merci. Il ne sera jamais l'une de leurs réussites.
Et il sait qu'il existe de bonnes familles d'accueil. Bien sûr qu'il y en a. C'est juste que Stiles a toujours eu une chance de merde, n'est-ce pas ?
Il n'est le nouveau fils brillant de personne. Pas avec tous les bagages qu'il traîne derrière lui comme un membre infirme.
« Non. » répond-il.
« Okay. » conclut Parrish. « Alors je suppose que nous allons en parler à la Station. »
« Je suppose que nous le ferons. » lui répond Stiles.
« Jordan ! » s'interpose Mme McCall. « Il est clairement déshydraté et mal nourri. Le médecin veut le garder ici en observation jusqu'au matin, au moins. Je m'en fiche si vous avez une chaise et que vous vous asseyez dehors, mais je veux que vous le laissiez dormir seul, compris ? »
Parrish soupire à nouveau.
« Dégagez. » lui jette Mme McCall. « Dehors. Assis. »
Il recule, et la porte se ferme derrière lui.
« Vous harcelez souvent les flics ? » lui demande doucement Stiles.
« Seulement quand ils le méritent. » Elle fronce les sourcils. « Donne-moi une bonne raison pour que je ne lui dise pas ton nom, Stiles. »
« S'ils me renvoient aux Services, ils me mentiront à nouveau. » répond-il. La machine près du lit émet un bip plus rapide, à mesure que sa fréquence cardiaque augmente.
« Ils me remettront dans un endroit merdique, où un mec merdique se tient à la porte de ma chambre, et me regarde pendant qu'il se branle. »
Il baisse son regard pour ne pas voir l'horreur et le dégoût sur le visage de l'infirmière. « Et vous savez le comble du comble ? C'est que je me serais foutu de ce qui se serait passé, tant qu'ils m'auraient laissé rendre visite à mon père. »
Mme McCall enroule leurs doigts ensemble.
« J'aurais été le gamin le plus obéissant du monde, s'ils m'avaient laissé voir mon père. » renchérit-il.
C'est la vérité. Il aurait laissé le petit-ami de sa mère adoptive lui foutre tout ce qu'il voulait, si la bonne récompense avait été offerte.
« Mais voilà : soit ils me punissent, soit ils le punissent, mais ils ont toujours trouvé une bonne raison pour que je ne puisse pas y aller. »
Il déglutit autour de la boule dans sa gorge. « Je suis allé jusqu'à Fresno une fois, avant qu'ils me disent que la visite avait été annulée. »
Il voit la réalisation comme un flash dans les yeux de Mme McCall, avant même qu'elle ne pose la question. « Stiles, où est ton père ? »
« Mendota(*). » Stiles déglutit à nouveau. « Pour faire trente-huit à quarante-trois ans. »
[(*) NDT : L'Établissement correctionnel fédéral de Mendota est une prison fédérale des États-Unis à sécurité moyenne, pour les détenus de sexe masculin en Californie. (traduction de Wikipedia anglais)]
« Oh, mon dieu. » répond Mme McCall, et une main vole vers sa bouche. Non, ce n'était pas la réalisation. C'était la reconnaissance.
« Oh, mon Dieu. Ton vrai nom n'est pas Stiles, n'est-ce pas ? Tu es le petit garçon de Claudia Stilinski ! Tu es son Mischief ! »
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Il fut un temps où le visage de Stiles était connu de la plupart des infirmières de l'hôpital Beacon Hills Memorial. Il avait alors huit ans. Malice par nom, disaient-elles, et Malice par nature(*).
[(*) NDT : Je rappelle qu'en anglais, "Mischief" signifie "malice, méfait, espièglerie..."]
La mémoire est quelque chose de drôle.
Ça prend des souvenirs au compte-goutte, et ça les secoue, et ça les coud ensemble, et ça recherche les motifs qu'ils crééent.
À un moment donné, Mieczysław Stilinski a dû faire quelque chose pour rester dans la mémoire de Melissa McCall. Il a fait partie de l'hôpital pendant quelques mois, puis il est devenu une note de bas de page - ce pauvre garçon : perdre sa mère d'abord, et maintenant son père -, mais encore assez fort pour s'accrocher à l'esprit de la femme.
Et désormais, les pièces se sont remises en place.
« Mon père ne l'a pas fait. » révèle Stiles d'une voix calme. « Il ne l'a pas fait. Je suis revenu ici pour le prouver. S'il vous plaît, ne leur dites pas qui je suis. S'il vous plaît. »
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Mme McCall est silencieuse pendant un long moment. Elle garde une prise ferme sur la main de Stiles, et frotte son pouce sur les jointures du garçon. Stiles n'a aucune idée de ce qu'elle pense. Il n'a aucune idée de ce qu'elle va dire à Parrish.
Elle se penche plus près, une boucle errante de ses cheveux noirs effleurant la joue de Stiles.
« Dans vingt minutes, il va y avoir des troubles dans un autre service. Je demanderai à Parrish d'aller m'aider. Sors par la porte arrière. »
Elle se penche à nouveau, et Stiles la regarde d'un air absent.
« Est-ce que tu as compris ? » demande-t-elle.
Elle se penche encore, et ramasse un sac sur le sol. « Tes vêtements et tes chaussures. Stiles, tu comprends ce que je te dis ? »
« Ou-ouais. » répond-il, même si cela semble trop impossible pour être réel. « Je comprends. »
Elle lui serre la main. « Ne me fais pas regretter ça, Mischief. »
Stiles hoche la tête, et utilise sa main de rechange pour s'essuyer les yeux. « Je ne le ferai pas. »
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« Je ne peux pas croire que ma mère ait fait ça. » déclare Scott une heure plus tard.
Il le ressasse depuis qu'il est allé chercher Stiles sur le parking de l'hôpital, avec divers tons d'incrédulité teintés d'admiration.
Là, il trimballe un oreiller et une couette dans l'escalier du sous-sol.
Le sous-sol des McCall est un peu en désordre, mais il y a un vieux canapé-lit au milieu des piles de cartons et de détritus assortis, et il a l'air sacrément plus confortable que tout ce sur quoi Stiles a dormi pendant des mois.
« Je suis vraiment désolé pour ton chien. » continue Scott.
Stiles ne lui a pas expliqué grand-chose, sauf qu'il a eu une altercation avec la police, et que le chien a été abattu. Il ne se sent pas capable de dire grand-chose, en fait. Il est toujours sous le choc, et il sait que s'il pense une seconde à tout ce que le chien signifiait pour lui...
Il repousse la pensée. Il ne veut pas pleurer devant Scott.
Il est dans cette maison depuis assez longtemps pour avoir pris une douche, et s'être changé en vêtements chauds. Ses propres vêtements sont dans la machine à laver. Il regarde Scott faire un vrai lit dans le canapé-lit.
Stiles a remis ses chaussures. Il peut sentir le coin dur du papier plié sous la voûte plantaire de son pied. Heureusement, celui qui lui a enlevé ses chaussures à l'hôpital ne les a pas vérifiées. Ça devait être une infirmière, pas Parrish.
Son couteau, bien sûr, a disparu.
Il espère que Scott n'a pas remarqué qu'il porte toujours ses chaussures.
Parce que, putain, il veut rester ici. C'est chaud et c'est confortable, et il est à peu près foutrement certain qu'aucun des McCall ne le dénoncera, à présent qu'ils se sont tous les deux faits ses complices. Mais aussi...
Mais aussi, la police n'est pas stupide. Il ne leur faudra pas longtemps pour découvrir exactement qui était derrière la disparition de Stiles de l'hôpital. Le garçon s'attend à ce qu'on frappe à la porte, d'un instant à l'autre.
« Tu veux regarder un film, ou quelque chose comme ça ? » demande Scott, l'expression pleine d'espoir. « Nous pouvons faire du pop-corn. »
Stiles le suit dans les escaliers. « Bien sûr. » répond-il. « Du pop-corn semble bien. »
« Et aussi, » jette Scott par-dessus son épaule, « Allison a dit qu'elle a vérifié son historique sur son ordinateur portable, et elle veut savoir pourquoi tu as cherché sa tante sur Google ? »
Stiles manque presque une marche. « Quoi ? »
« Sa tante. » répond Scott. « Kate Argent. »
Le sang de Stiles se transforme en glace.
« Tu veux du pop-corn au beurre nature, ou au caramel ? »
« Hum, du beurre nature ? » Stiles n'est pas sûr de pouvoir entendre sa propre voix par-dessus le rugissement du sang dans son crâne.
« Cool. » Scott se dirige vers la cuisine. « Alors, la tante d'Allison ? »
Stiles court vers la porte d'entrée.
« Stiles ? Stiles ! »
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Il y a un parc sur Jefferson Street. C'est tranquille. Stiles n'est pas assez stupide pour dormir sur l'un des bancs. Au lieu de ça, il rampe derrière la haie de manzanitas(*), qui semble avoir été plantée dans le seul but d'embellir le hangar d'entretien, et se recroqueville dans la terre pour dormir.
[(*) NDT : "Manzanita" est un nom vernaculaire ambigu, désignant diverses espèces de plantes du genre Arctostaphylos. Il s'agit d'arbustes au feuillage persistant, présents sur la côte ouest de l'Amérique du Nord. Il existe 106 variétés de Manzanitas, dont 95 en Californie. (Wikipedia)]
Il fait froid, et Stiles se sent plus petit et plus seul qu'il ne l'a été depuis longtemps...
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