Mes petits chats,

Aujourd'hui, le Nagflari accoste à Miami et... suspense, je n'en dis pas plus et vous laisse l'attendre sur le quai :)

Chère Marry, un grand merci pour tes retours sur les dernières parties de ALC, sur la progression de mon histoire ou mon style. Comme toujours, c'est un plaisir de te lire et d'avoir ton ressenti. Cela m'aide à carburer comme toutes les reviews que l'on a la gentillesse de me laisser :)

Je vous laisse en compagnie de Thor et Loki, ils ont encore des choses à se dire :)

Bonne lecture,

ChatonLakmé


Butterfly World, installé à Coconut Creek à côté de Miami, est un parc dédié aux papillons abrités sous serre. C'est la plus grande installation de ce type au monde.

David Chocarro est un mannequin et acteur argentin, très connu dans le monde des telenovelas.

La gender reveal party est une fête venue des États-Unis, organisée pendant la grossesse pour dévoiler en public le sexe du bébé souvent dans des mises en scène spectaculaire.

Argus est un personnage de la mythologie grecque, né de la Terre et doué d'une force prodigieuse. Il est également appelé Argus aux cent yeux car il en possède de très nombreux sur la tête et le corps. Il est tué par le dieu Hermès, la déesse Héra sema alors ses yeux sur la queue du paon.

Asgard Luxury Cruises

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Seizième partie


Thor écarte lentement les cintres de la penderie pour mieux observer le fond du placard. Il a retiré toutes ses affaires – il en est certain – mais un dernier regard pour en être sûr ne fera de mal à personne et surtout pas à lui oublier sa paire de lunettes de soleil préférée ou un boxer est sa hantise.

Ses vêtements sont soigneusement pliés sur le lit, organisés en piles bien composées. Il n'a plus qu'à ranger le tout dans son sac de voyage avec pragmatisme et méthode. Thor n'aime pas non plus retrouver ses affaires froissées quand il les sort d'une valise.

Il s'accroupit, vérifie aussi le fond des tiroirs et l'espace en bas, celui à côté du coffre-fort. Thor l'ouvre machinalement. Il n'a eu aucun objet de valeur à y enfermer mais le coffre est tellement gros, la porte tellement épaisse, que cela le fascine un peu. Il imagine ce que les gens riches – vraiment très riches – peuvent y garder et cela lui donne des sueurs froides.

Il se penche en avant, plisse les yeux. Non, rien. Plus rien de lui nulle part.

Il ne sait pas trop pourquoi mais il a soigneusement rangé les peignoirs dans la penderie et les chaussons brodés en dessous. Effort probablement inutile, l'ensemble sera emmené à la blanchisserie du Naglfari alors qu'il est encore à bord, comme ses serviettes, ses draps et ses taies d'oreiller. Tous soigneusement lavés, séchés et repassés pour effacer toute trace de sa présence à bord.

Thor ferme lentement les portes de la penderie, comme un au revoir informulé.

Le jeune homme se tourne vers son lit et observe ses vêtements, son sac de voyage ouvert à côté. Il commence par y glisser ses trois pantalons, ceux qui prennent le plus de place, puis ses hauts. Sa chemise blanche a été rapportée le matin même de la blanchisserie, soigneusement repassé et encore sous housse. Thor a décidé de l'emporter comme ça, dans l'emballage en papier de soie estampé au logo de la compagnie comme un souvenir un peu sentimental. Donc, ses polos et ses chemises puis ses sous-vêtements. Son bermuda, bien plié en trois, et sa serviette de plage sur le côté. Elle sent encore un peu l'eau salée et le coton est rêche. Thor la lavera à son retour à Fort Lauderdale probablement pas tout de suite.

Il se redresse. Parfait. L'ensemble est bien empilé, bien calé.

Il achève son jeu de construction en glissant le long de la poche latérale ses chaussures bateau. Le blond sait qu'il y a encore un peu de sable dedans, coincé sous la semelle de propreté. Il ne les a pas secouées non plus. Sentimental. Thor a remis ses chaussures de ville, les mêmes que celles de son départ de Miami. Il a l'impression qu'elles les serrent un peu, il se sent moins libre.

Thor se tourne et entre dans la salle d'eau pour récupérer sa trousse de toilette. Le rebord de la vasque en porcelaine est un peu humide, il regrette de ne pas avoir d'éponge pour laisser les choses propres et nettes derrière lui.

Il jette un dernier regard alentour, au vaste miroir à l'éclairage effet lumière du jour si parfait qu'il s'est promis de changer celui de sa propre salle de bain à Fort Lauderdale dès son retour.

La douche va lui manquer aussi, vaste comme le salon de son tout premier appartement son revêtement de galets qui lui massait agréablement la voûte plantaire quand il se lavait. Et les serviettes – oh ces serviettes, si épaisses et douces comme une couverture en molleton pour bébé – il aimait tant s'enrouler dedans en sortant de la douche, la peau humide et chaude, avant d'aller s'allonger à demi-nu sur son lit.

Vacances délicieuses et hédonistes.

Thor esquisse un sourire.

Il éteint soigneusement la lumière, retourne dans la chambre et glisse sa trousse de toilette dans son sac. Il vérifie une dernière fois – juste pour être parfaitement sûr – puis tire la fermeture éclair avec soin.

Le blond s'assoit sur le bord du matelas, les mains croisées devant lui et les coudes sur les genoux.

La cabine 632 est à nouveau prête à accueillir de nouveaux clients plus aucun élément personnel en vue si ce n'est son costume en lin grège sur cintre et sous housse, accroché au claustra séparant sa chambre du salon. Table de chevet et bureau vides, la chaise rangée en dessous et les coussins du canapé bien tapés. Thor n'est pas un sagouin, il ne laisse pas les autres ranger derrière lui quand il peut le faire lui-même. Il est un homme respectueux et pas impotent, merci bien.

Il passe une main dans sa nuque et la presse légèrement du bout des doigts. Il est aussi un peu matérialiste et sentimental il aimerait pouvoir emporter quelque chose du Naglfari avec lui. Ça n'a pas besoin d'être très gros ni d'avoir de la valeur – cette idée le met mal à l'aise, il n'est pas non plus un voleur – juste, d'être quand il ouvrira son sac de voyage sur son lit à la maison. Et Thor le gardera précieusement, jusqu'à ce que les souvenirs s'effacent un peu.

Le blond esquisse un rictus.

Il y a des choses qu'il n'oubliera jamais.

Ses retrouvailles avec Natasha et le mariage de Steve et Bucky.

Loki et leurs deux nuits d'amour.

Alors que l'aube pointait paresseusement à travers les voilages de la cabine du brun, Thor le regardait dormir. Il s'était réveillé un peu tôt, taraudé par sa gorge trop sèche et son corps trop chaud. Loki le tenait serré contre lui, très fort, son visage enfoui dans son cou et sa main posée juste à côté de son sexe. Le bout de ses doigts effleurait son pubis, il sentait son souffle qui lui chatouillait le cou et Thor a eu une bouffée de chaleur dans les reins. Il s'est dégagé de l'étreinte de ses bras sans le réveiller Loki a adorablement marmonné dans son sommeil et a semblé le chercher en tâtonnant vaguement le matelas.

Le blond aurait voulu ne jamais faire ça et rester ainsi, lové contre lui en petite cuillère. Il n'est pas la petite cuillère – jamais – mais c'était bon et naturel avec son amant.

Thor a bu un grand verre d'eau dans la salle de bain avant de retourner s'allonger contre lui. Il l'a regardé dormir, longuement.

Le blond songeait à leur arrivée prochaine à Miami – s'il se souvient bien, le Naglfari croisera au large de la Floride dans une heure – et à la suite.

Il veut inviter le brun à sortir.

Il veut leur organiser un vrai rendez-vous quand l'emploi du temps de Loki le lui permettra Thor est un homme patient. Il fera ce que le brun souhaite mais il projette un déjeuner dans un excellent restaurant peut-être une visite à Butterfly World juste pour rire et parce qu'il a envie de voir son amant observer d'un air mauvais les papillons trop grands. Si ça fonctionne entre eux, il aimerait bien lui préparer à dîner dans sa maison à Fort Lauderdale, dans la cuisine d'été ouverte sur la piscine. Et après tout ça, le brun pourrait rester pour la nuit, pas tant pour faire l'amour – même si ce serait délicieux – mais juste de se dire de manière informulée qu'ils se donnent une chance.

Thor a projeté tout ça alors qu'il contemplait le sommeil paisible de son amant.

Il voulait faire la même chose la première fois que Loki se réveillerait dans son lit à Fort Lauderdale. Sans doute, son amant marmonnerait quelque chose comme : « Arrête de me regarder, ça me dérange. Si tu veux me voir nu, soulève plutôt la couette. » Le blond avait hâte que ça arrive alors quand Loki a papillonné des yeux devant lui, il a caressé tendrement son flanc pour le guider vers lui, les mots déjà sur ses lèvres. C'était doux, chaud et affectueux.

C'était ce que Thor imaginait mais la fin a été un peu différente.

Tony est venu toquer bruyamment à la porte de la cabine.

Loki s'est réveillé en sursaut avant de sauter hors du lit. Ils ont oublié de mettre le réveil après avoir fait l'amour, le brun était terriblement en retard. Interdit, Thor l'a regardé s'enfermer dans la salle de bain, se rafraîchir en quelques minutes avant d'enfiler son uniforme dans un grand désordre de membres.

« Je peux entrer Loki ? »

« Non ! J'arrive ! »

« J'aimerais te parler de quelque chose d'important. »

« Je suis là dans une minute Tony, sois patient pour l'amour de Dieu ! »

Loki s'est énervé sur le nœud de sa cravate, sur ses cheveux en désordre Thor n'a pas osé lui dire qu'il pouvait l'aider s'il se rapprochait du lit. Il n'a pas osé non plus le retenir, que ce soit pour un baiser ou pour une promesse de plus tard. Son amant a quitté sa cabine d'un pas de tempête en lui jetant à peine un regard. Il semblait juste paniqué, horrifié, par la situation.

C'est arrivé il y a une heure et le blond en a le cœur vraiment gros.

Après le petit-déjeuner, il a erré dans le Naflgari en espérant apercevoir Loki pour parler avec lui le brun est resté invisible, comme si les entrailles de son navire l'avaient avalé. Du pont supérieur, il a aperçu le dessin des côtes de la Floride. Le blond est retourné dans sa cabine pour terminer ses bagages, sans oser non plus s'aventurer du côté de celle de son amant.

Thor soupire.

Il est un peu perdu, frustré, peiné et déçu. Tout ça à la fois et plus encore.

Le départ de Loki – comme s'il n'avait pas dormi à ses côtés pendant une partie de la nuit après l'avoir laissé jouir en lui et lui avoir offert un orgasme qui lui avait donné les larmes aux yeux de plaisir – a un goût amer. Thor ne lui en veut pas, il aurait juste aimé que les choses soient différentes. Il y a cru, farouchement, dans la cabine baignée par la lumière pâle de l'aube. Tout aurait été plus simple aussi, même si la réponse de son amant à son invitation n'aurait été qu'un borborygme lourd de sommeil.

Thor étouffe un grognement dans sa main droite. Merde ! Ce n'était pas censé se passer comme ça !

On toque à la porte de sa cabine et il pince durement les lèvres.

— « Entrez. »

Le blond reconnaît les pas de Joseph sur la moquette, ceux qui le suivent lui sont inconnus. Il salue son majordome d'un sourire amical et l'autre homme d'un signe de tête poli. Thor ne le reconnaît pas mais il porte le même uniforme.

— « Mr. Odinson ? Vous n'êtes pas sur le pont extérieur ? Nous n'allons pas tarder à accoster à Miami », dit gentiment Joseph.

— « Aussi rapidement ? »

— « Le Naglfari a réduit sa vitesse, nous approchons d'une zone portuaire plus dense. Toutes les bonnes choses ont une fin, Monsieur. »

Thor esquisse une grimace. Joseph hausse un sourcil, se penche vers son homologue avant de lui chuchoter quelques mots. L'homme incline légèrement la tête en direction du blond puis s'éclipse avec discrétion. Thor cligne des yeux.

— « Je suis désolé. Vous devez avoir du travail et je reste ici à vous gêner. Je vais m'en aller », dit-il en se levant lentement.

— « Non, je vous en prie. … Vous semblez plongé dans vos pensées. »

Le jeune homme esquisse un léger sourire. Si Joseph savait. Il lisse distraitement le couvre-lit du plat de la main et hausse les épaules.

— « J'aimerais conserver un souvenir du Naglfari mais je ne sais pas comment faire », avoue-t-il après un court silence.

Joseph le regarde d'un drôle d'air avant de rire chaleureusement. Il secoue la tête.

— « Votre délicatesse est tout à votre honneur Monsieur, certains des clients de ALC n'ont pas les mêmes scrupules. On a déjà volé un tableau et la télévision d'une suite du pont cinq lors de la même croisière il y a deux ans. C'était un très grand écran plat… »

Thor jette un coup d'œil à l'œuvre encadrée la plus proche de lui, une peinture contemporaine à l'huile sur toile dans un cadre en bois clair. Elle mesure un bon un mètre cinquante par un mètre, comment est-ce possible ? Joseph hausse imperceptiblement les épaules, l'air de dire que Dieu seul le sait. Le blond n'y aurait jamais pensé au mieux il se serait enhardi à prendre un des deux peignoirs tout en ayant l'impression de commettre un acte vraiment répréhensible. Le vêtement est aussi luxueusement épais que les serviettes de bain.

— « Si vous le souhaitez, je peux vous trouver un petit quelque chose dans le chariot de réapprovisionnement des cabines. Est-ce que vous préférez un savon solide à la fleur d'oranger ou un flacon de shampoing au jasmin et huile d'argan ? »

Thor éclate de rire.

— « C'est gentil de votre part mais je crains de ne pas pouvoir accepter. Je vais plutôt conserver précieusement mon billet et mon bracelet bleu de client un peu privilégié. »

— « Je suis persuadé que nous pouvons faire mieux, vous êtes un de mes précieux clients. » Joseph fronce les sourcils et entre dans la salle d'eau avant d'apparaître à nouveau dans l'embrasure. « Le peignoir et les chaussons ne sont plus là ? Ce sont déjà de beaux souvenirs que vous avez pris. »

Son sourire est taquin mais Thor le remarque à peine. Il secoue vigoureusement la tête.

— « Ils sont rangés dans le dressing, je ne peux pas partir avec », proteste-t-il.

Joseph le regarde d'un drôle d'air avant de s'esclaffer joyeusement. Il ouvre la penderie, observe les deux peignoirs avant de sortir celui de gauche et ses chaussons. Interdit, Thor l'observe plier avec soin le vêtement puis poser les chaussons dessus avant de lui tendre l'ensemble. Le blond cligne des yeux.

— « … Vous n'aviez pas remarqué qu'ils étaient brodés à votre nom ? La compagnie vous les offre, Monsieur. »

— « Vous vous moquez de moi… »

Thor observe le haut du peignoir d'un air un peu incrédule. Bon sang, c'est vrai. Il a rangé un des deux peignoirs dès son installation sans même lui jeter un regard, c'était celui qu'aurait dû porter Aidan. Malgré ses bonnes résolutions, il a ensuite peu porté le sien son séjour. Il préférait aussi marcher pieds nus sur la luxueuse moquette de sa cabine.

Son nom est brodé devant, à hauteur d'une petite poche pectorale, dans une élégante calligraphie. Le logo de ALC figure juste au-dessus, discret et de bon goût. Thor sourit largement. Il n'en espérait pas tant.

— « Vous faites de moi un homme vraiment heureux, Joseph. »

Le majordome éclate de rire, de ce bon gros rire plein de chaleur et de gentillesse. Le blond pose le vêtement et les chaussons sur ses genoux, il l'observe en silence.

— « … Votre présence et votre bienveillance vont me manquer, vous avez rendu cette croisière vraiment idyllique », reprend-il amicalement.

— « Vos compliments me touchent, Monsieur. Je suis ravi que votre séjour parmi nous vous ait comblé. »

Joseph incline légèrement la tête vers lui, une main sur son torse. Thor a l'impression qu'il rougit un peu de joie. Il se lève, range soigneusement le peignoir et les chaussons dans son sac de voyage.

— « Est-ce que vous reprenez bientôt la mer ? », demande-t-il en tirant la fermeture éclair.

— « Le Naglfari va rester à quai vingt-quatre heures le temps de faire le grand ménage de fin de croisière puis nous embarquerons de nouveaux clients avant de repartir dans les Caraïbes. C'est ce que nous allons faire jusqu'à l'automne avant de faire relâche pendant un mois. Le navire restera à Miami pour sa maintenance technique puis nous repartirons pour les croisières de fin d'année à partir de Thanksgiving. C'est comme cela chaque année, Monsieur Odinson. »

— « Votre famille doit vous manquer. »

— « Je navigue en famille », lui rappelle Joseph d'un ton taquin.

Thor rit, il se souvient des deux cousins et du petit neveu qui travaillent à bord. Il s'assoit à nouveau sur le bord du lit et croise les mains devant lui.

— « Je sais ce que vous voulez dire mais je suis sûr que vous savez aussi de quoi je vous parle. Je crois que vous avez à peine eu le temps d'aller saluer votre grand-tante Alphonsine pendant notre escale à Georges Town. » L'homme hausse un sourcil intrigué et le blond sourit. « Elle s'est plainte de ne pas vous avoir encore vu quand je suis allé acheter des beignets. »

— « Je suis désolé », grimace légèrement Joseph.

— « Votre grand-tante est une femme charmante et ses beignets sont délicieux, je pense qu'elle aurait aimé vous en faire parvenir en me donnant un gros sac à votre intention. »

— « Seigneur, les choses n'étaient pas censées se passer comme ça… Je suis vraiment navré. »

Le majordome passe une main gênée dans sa nuque et Thor secoue lentement la tête. Ce moment dans la boutique de Earstern Avenue avait été un peu improbable mais agréable. Si Alphonsine Sótto avait osé lui confier des beignets pour son petit-neveu préféré, le blond se serait probablement aussi enhardi à en acheter quelques-uns pour Loki. Il aurait blagué, il aurait taquiné le brun pour lui faire accepter son cadeau. Qui sait, les deux hommes auraient peut-être pu se trouver plus tôt et passer plus de délicieuses nuits de tendresse ensemble.

Thor se mord les joues et enlace durement ses doigts. Il vaut mieux cesser de penser à ça, ça fait mal.

— « … Votre grand-tante m'a aussi posé beaucoup de questions sur mon séjour et elle a semblé ravi de me savoir célibataire. Je m'attendais à tout instant à ce qu'elle me propose de rencontrer une autre de vos cousines », poursuit le blond d'un ton nonchalant.

Joseph a l'air de se décomposer un peu. Il hésite, détourne le regard, se tortille un peu sur place avant de soupirer lourdement.

— « … Il ne s'agit pas d'une de mes cousines ou de mes nièces mais d'un de mes neveux », avoue-t-il à demi-mot. « Vous êtes un de mes précieux clients et je me préoccupe de vous. Il est possible que j'aie abordé les circonstances de votre croisière à mon épouse. Luis est son neveu de côté maternel. »

— « Vous êtes marié ? », demande Thor avec intérêt.

L'homme hoche la tête, un sourire incroyablement tendre aux lèvres. Cela dure une fraction de seconde avant que toute sa personne ne se mette soudain à ressembler à une figure de la culpabilité. Il hoche la tête.

— « Maribel et moi sommes mariés depuis trois ans, nous avons une petite fille. … Elle pensait que vous auriez pu apprécier Luis, c'est un gentil garçon. Je ne comptais pas l'évoquer avec vous, ça aurait été tout à fait déplacé. » Il fronce les sourcils. « … Je suis en train de vous mentir en réalité. Je l'aurai fait mais tout à la fin de la croisière pour répondre par l'affirmative à ma femme quand elle m'aurait interrogé à ce sujet. Maribel a un tempérament volcanique et elle peut se montrer très obstinée. J'aurai pu lui dire que malheureusement, vous n'étiez pas intéressé mais que vous aviez été très poli et que vous le trouviez beau garçon. »

— « … Avez-vous une photo à me montrer ? »

Joseph pâlit encore un peu plus mais Thor lui sourit gentiment. Non, il ne se moque pas de lui, il est juste un peu curieux du tour que prend cette discussion. Il est aussi touché par la maladresse du majordome et sa gêne presque brûlante.

— « Si vous souhaitez parler à votre femme de son neveu, je vous invite fortement à faire exactement ce que vous comptiez lui raconter comme mensonge. Vous ne semblez pas être un homme très à l'aise avec la tromperie. »

— « C'est tout à fait contraire les valeurs de la famille Juarez mais sachez que je trouve cette idée vraiment mortifiante, Monsieur. »

Joseph renifle légèrement mais il plonge une main dans la poche de son pantalon pour en sortir son portable. Les yeux rivés sur l'écran, il semble hésiter encore une fois et Thor tend une main en avant, agite un peu les doigts. Le majordome sourit et lui donne l'appareil. Sans conteste, l'homme sur la photo est séduisant. Il a les cheveux et les yeux noirs comme Joseph, la peau délicatement dorée. Le blond hoche lentement la tête et rend le portable à son vis-à-vis. Ce dernier semble suspendu à ses lèvres.

— « Vous pourrez dire à votre femme qu'il est effectivement bel homme mais je ne suis effectivement pas intéressé », sourit Thor.

— « … Oserai-je vous demander pourquoi ? Maribel va vouloir savoir, elle le trouve aussi beau que David Chocarro. »

— « … Disons que j'ai fait une rencontre. »

Joseph cligne des yeux avant d'éclater d'un rire bruyant et communicatif.

— « Vraiment ? Oh, je suis si content pour vous, Monsieur ! Est-il un passager ? »

— « J'ai fait cette rencontre mais je ne sais pas encore réellement où elle va me mener. Tout est un peu flou, vous savez. »

Ça semblait pourtant très évident ce matin, dans le lit de Loki, la lueur de l'aube et sa main presque sur son sexe mais c'était il y a plus une heure. Une éternité. Thor frotte ses paumes sur ses cuisses. Oui, vraiment évident mais c'était un peu comme un rêve.

— « Est-ce que cela vous rend heureux ? »

— « … Oui, je l'ai été. Plus que je ne pourrais le dire », souffle le blond.

Le majordome a la délicatesse de ne pas insister. Il hésite un instant avant de lui montrer aussi des photos de sa précieuse famille qui attend son retour. Joseph parle avec une infinie tendresse de sa femme et avec un amour brûlant de sa petite Andrea. Il lui raconte comment ils se sont rencontrés et l'annonce de la grossesse de Maribel alors qu'il se trouvait en plein milieu de la mer des Caraïbes de l'appel qu'il avait pu passer depuis la cabine personnelle de Loki parce que le réseau de communication extérieur du Naglfari était perturbé par un incident technique. Au nom du brun, Thor soupire doucement Joseph pense que c'est parce qu'il pense que sa situation est difficile et qu'il souffre de la séparation.

— « Ce n'est pas facile tous les jours. Maribel et Andrea me manquent mais j'ai un bon salaire et j'ai droit à cinq semaines de congé par an. J'ai aussi de bonnes perspectives d'évolution professionnelle à ALS alors je ne me plains pas. J'étais moins bien traité quand je travaillais pour d'autres compagnies vous savez. »

Thor acquiesce lentement. Le sourire de Joseph est doux, pas envieux, mais le blond trouve quand même cela admirable. Lui-même n'était pas souvent disponible pour Aidan quand il était en pleins préparatifs d'un mariage ou d'une gender reveal partymais cela en durait que quelques jours, deux semaines tout au plus. Le majordome est en mer presque la totalité de l'année. Quand il rentrera chez lui, sa petite fille ne sera déjà plus vraiment un bébé. Thor n'a jamais songé à être père mais s'il l'était, il pense qu'il aurait du mal à supporter ça. Voir le temps qui passe est douloureux c'est peut-être parce qu'il a quarante-cinq ans et qu'il est plus ou moins au milieu de sa vie.

Joseph range son portable et ratisse la chambre avec soin pour retrouver le moindre objet que Thor aurait pu oublier.

— « Joseph ? »

Accroupi derrière le claustra du salon, l'homme se redresse et lui jette un regard parmi les ouvertures. Thor est un peu gêné, il ne sait pas réellement comment faire ça parce que ce qu'il a en tête est un peu exceptionnel.

— « … Est-ce que ALC autorise les pourboires ? J'aimerais vous en laisser un. »

— « Vous ne devez pas vous sentir obligé, Monsieur. »

— « Cela me ferait plaisir. Je vous assure que j'ai beaucoup apprécié notre rencontre, tous vos conseils ont été très précieux pour moi Joseph. »

— « J'aime mon travail, c'est une satisfaction suffisante. »

— « Je pense aussi à votre famille. Vous acceptez d'être loin d'elles pour moi d'une certaine manière et je ne peux pas faire comme si ce n'était rien. J'insiste. »

Avant que Joseph ne puisse protester, Thor récupère son portefeuille dans la poche latérale de son sac de voyage et l'ouvre. Il lui reste quelques billets mais surtout, il trouve deux cents dollars américains en billets de vingt. ALC conseillait à sa clientèle de se doter de liquidité avant le départ afin d'éviter d'éventuels frais bancaires à l'étranger. Thor a été très prévoyant, il n'en a pas dépensé la moitié. Il effleure les billets. Ce serait fou, vraiment fou mais il a vécu douze jours de véritable plaisir alors pourquoi pas. Le blond marche jusqu'au bureau et récupère une belle enveloppe épaisse au logo de ALC dans le nécessaire d'écriture. Il glisse les deux cents dollars à l'intérieur avec une petite note. Le regard de Joseph lui brûle la nuque puis le visage quand il la lui donne. Thor sourit et tend une main vers lui.

— « Je vous souhaite beaucoup de très bonnes choses Joseph, vous êtes un homme remarquable avec une très belle famille. Je suis certain que je penserai à vous la prochaine fois que je mangerai des pancakes à la banane. »

L'homme s'esclaffe tandis qu'il lui rend vigoureusement sa poignée de main. Joseph a l'air un peu ému.

La corne de brume du Naglfari résonne soudain, plusieurs fois. Thor suppose que le navire approche du quai dévolu à Asgard Luxury Cruises dans le port de Miami. Il sourit à Joseph, regagne la chambre pour prendre son sac de voyage et la housse de son costume. Le blond jette un dernier regard alentour puis marche jusqu'à l'entrée de la cabine. Derrière lui, le majordome le regarde sans un mot, l'enveloppe serrée entre ses mains. Alors que Thor passe le seuil, Joseph se racle légèrement la gorge.

— « ALC vous remercie d'avoir choisi le Naglfari pour votre croisière et vos vacances. Je vous souhaite une bonne journée, Monsieur », dit-il en se redressant dignement.

— « Bonne journée, Joseph. »

Thor lui tend une dernière fois la main – Joseph la serre plus fort que jamais – avant de s'éloigner dans le couloir. La cabine 632 n'est plus la sienne, il le regrette mais il a le cœur un peu plus léger qu'en début de journée.

Le blond remonte la lanière de son sac sur son épaule, la housse de son costume sur l'autre et se dirige vers les ascenseurs. Thor croise de nombreux employés de ménage, déjà affairés à effacer la moindre trace des clients. Il les salue d'un signe de tête avant de s'engouffrer dans la première cabine ouverte, toujours seul. Le Naglfari semble désert mais la corne de brune résonne encore et encore.

Alors que Thor est entre les ponts trois et quatre, il ressent un léger sursaut.

Le navire vient d'accoster.

Il esquisse un sourire un peu triste. C'est fini et bien fini.

Quand il gagne le hall principal, le jeune homme remarque que les clients sont déjà en train de descendre à quai dans un flot continu, un joyeux brouhaha de conversations et de valises à roulettes. Thor devine qu'il doit y avoir de nombreux comités d'accueil à terre – peut-être des proches venus les attendre – car certains passagers semblent particulièrement avides de descendre du Naglfari. Lui n'a pas vraiment envie de partir.

Le blond balaye la foule du regard.

Des employés font une haie d'honneur de part et d'autre du hall. Il ne repère ni Loki ni Tony et ses épaules s'affaissent de déception, son front se plisse de tristesse. Comment est-il possible que les choses se terminent ainsi ? Sans un dernier mot ? … Sans un dernier baiser ? Il ne s'agit même pas de promesse, juste d'un peu de politesse et d'affection.

Thor reste figé devant les ascenseurs, les pieds collés au luxueux parquet en teck comme écrasé par la désillusion.

Il n'est pas un homme rancunier mais à cet instant, il en veut à Loki. Le brun semble le fuir. Il trouve ça laid – un peu lâche aussi – puis il se souvient de sa panique au matin, alors qu'il quittait sa cabine avec une mise presque négligée. À son air horrifié. Thor n'est pas le genre de personne qui s'impose au contraire, il a plutôt tendance à s'effacer galamment. Freya le lui a reproché quand, l'année dernière, il a cédé devant ce couple de fiancés qui tergiversait entre sa société et un prestataire concurrent. Thor voulait leur laisser libre choix, Wedding Dreams les avait assaillis de mails et de brochures de rêves. Le couple l'avait choisi sans un mot de regret envers le blond. Tant pis, il avait sa conscience et son honnêteté pour lui.

Thor esquisse un rictus. Les choses sont très simples quand on va droit au but c'est ce que Bucky a dit pour encourager Steve à le demander d'être son témoin. Le jeune homme aurait pu faire tout ce dont il avait envie, ce dont il rêvait ce matin. Il a manqué son créneau.

Le blond sent qu'on le bouscule légèrement, il tourne la tête. Greffé au flanc de son mari, Bucky lui sourit d'un air taquin.

— « Tu as l'air de porter le poids du monde sur tes épaules. Natasha était sur le point de t'appeler, elle se demandait où tu étais passé. Je te rappelle qu'on a prévu de débarquer tous ensemble. »

— « Je me souviens, je discutais avec le majordome de ma cabine et notre conversation s'est éternisée », s'excuse Thor.

— « Tu lui as dit à quel point tu allais regretter qu'il t'aide à t'habiller et à te déshabiller chaque jour ? », réplique le brun en haussant un sourcil.

— « … Joseph ne faisait pas ça pour moi, il me semble te l'avoir déjà dit. »

— « Je sais mais je trouve toujours complètement fou que tu aies eu un majordome pendant douze jours. »

Bucky roule les yeux et Steve rit doucement contre lui. Thor sent une main se poser sur son épaule, il croise le regard malicieux de Clint. Derrière le blond, Natasha et Bruce les rejoignent en tirant leurs valises. La rousse est un peu échevelée, le souffle court et les joues rosies.

— « J'étais remontée au pont six pour aller te chercher quand ton majordome m'a indiqué que tu venais justement de descendre. Je te déteste… », ahane-t-elle.

Bucky ricane, son mari le fait taire d'un baiser. Thor s'excuse encore une fois.

Le groupe reste discuter en arrière, préférant attendre que la foule commence à se dissiper pour s'avancer à son tour. Le blond espère apercevoir Loki, comme un dernier cadeau offert par le destin.

Cela n'arrive pas mais Fortune a le sens de l'ironie.

Alors qu'il discute sport avec Steve, Thor remarque Jacob non loin de lui. L'étudiant porte ses lunettes de soleil à la mode sur son crâne et des habits de ville il tire une valise à roulette derrière lui, constellée d'autocollants de différentes escales du Naglfari dans les Caraïbes. C'est un peu enfantin et Thor sent sa poitrine se pincer légèrement. Si jeune. Malgré la présence de ses parents, Jacob lui adresse un beau sourire plein d'espoir. Il est charmant, l'air toujours aussi propret et gentil. Le blond se doute que d'un seul signe de sa part, le jeune homme accourrait avec ses coordonnées pour essayer quand même quelque chose avec lui.

Thor l'observe longuement, il voit ses joues rougir un peu. Jacob commence à traîner des pieds pour ne pas s'éloigner trop rapidement de lui.

Le blond esquisse un sourire à peine perceptible. Il n'est pas un salaud alors il le salue d'un très léger signe de tête avant de se détourner. Voilà, juste un au revoir poli pour un amour de vacances qui restera un fantasme inassouvi. Thor ne le regarde pas s'éloigner avec ses parents, la page se tourne.

Quand Bucky et Steve commencent à traverser le hall, le blond leur emboîte le pas en restant soigneusement derrière. Loki ne s'est toujours pas montré, il n'arrive pas à y croire.

Parmi les employés du Naglfari, Thor remarque Nadja. Il se précipite aussi dignement que possible vers elle. La blonde, aussi belle et sculpturale que d'habitude, lui adresse un sourire très doux.

— « Mr. Odinson ? »

— « Je suis heureux de vous revoir Nadja. »

— « Vraiment ? »

Thor a l'impression d'entendre dans sa voix veloutée un peu du même espoir que celui qui pointait dans celle de Jacob le soir de la Saint-Valentin. Il se racle légèrement la gorge. Il va faire quelque chose d'un peu laid mais c'est sa dernière chance.

— « Je tenais à vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour moi, vous avez rendu cette croisière vraiment très particulière. J'ai dit la même chose à Joseph mais je tenais à vous en faire part en personne. »

— « … Je vous en prie, ce fut un plaisir. »

Nadja se mordille doucement les lèvres un pli à peine perceptible, plus une onde, affleure entre ses sourcils parfaitement dessinés. Thor n'est pas fier mais il n'y a qu'un sujet qui lui importe réellement à cet instant.

— « Je suis surpris de ne pas voir le capitaine Laufeyson dans le hall. Savez-vous où il se trouve ? J'aimerais aussi le saluer », demande-t-il l'air de rien.

— « Le capitaine et le capitaine en second ont été appelés dans une des suites premium du pont sept. Il semble que les occupants se soient montrés très indélicats… Je crains qu'il ne puisse être parmi nous au débarquement mais il vous remercie chaleureusement d'avoir choisi ALC pour votre croisière », répond poliment la blonde.

Thor esquisse un rictus. Ouais, il connaît déjà ce petit discours ce n'est juste pas ce qu'il a envie d'entendre.

Il adresse un dernier sourire à la blonde, lui souhaite une bonne continuation et rejoint ses amis. Ses pas sont plus traînants que jamais mais le hall n'est pas assez vaste et il se retrouve devant la passerelle trop tôt à son goût. Il hésite un bref instant avant de descendre à son tour. Ses amis lui sourient depuis le quai, Clint siffle bruyamment entre ses doigts tandis que Bucky et Steve applaudissent exagérément.

Thor sourit.

Il emporte finalement plus de souvenirs précieux de sa croisière sur le Naglfari qu'un peignoir brodé à son nom et des chaussons. Il sait qu'il reverra le couple, ils ont déjà convenu d'une visite au printemps quand les berges de Lake Norman commenceront à fleurir au printemps.

Il chérira précieusement tous les autres souvenirs qu'il gardera du beau capitaine aux yeux verts.


Exaspéré, Loki entre dans son bureau au pont neuf et jette sa casquette sur le canapé. Il passe une main fébrile dans ses cheveux, entortille ses doigts dans les longues mèches noires.

Derrière lui, Tony et Samuel Hockney, le responsable de la sécurité du Naflgari, gardent un silence prudent.

Son ami marche jusqu'au canapé, pose soigneusement sa casquette sur la table basse et tire le goban à lui. Il joue une pierre blanche. Ce simple geste ne fait qu'augmenter la fureur de Loki. Il le rejoint en quelques grandes enjambées et le fusille du regard. Si Samuel n'était pas avec eux, il aurait probablement déjà envoyé le goban dans les airs et il éprouverait une immense satisfaction à voir les pierres blanches et noires s'éparpiller dans la pièce. Même s'il devrait ensuite les ramasser une à une à quatre patte sous les meubles.

— « Tony, arrête ça tout de suite », siffle-t-il.

— « Que veux-tu que je fasse alors ? Les clients de la 746 ont presque pillé leur cabine et tu ne fais que vitupérer depuis qu'on nous a appelé pour constater le vol. »

— « Et quoi ?! Tu aimerais que j'envoie la police de Miami à leurs trousses ? », grimace Loki d'un air assez laid.

— « … Nous pourrions appeler le gardien du parking privé d'ALC pour leur demander si leur voiture est toujours là ? Le numéro de leur plaque d'immatriculation est inscrit dans leur dossier client, nous en avons besoin pour leur faire accéder au parking réservé aux clients premium », propose un peu timidement Samuel.

— « Voilà un homme qui propose de véritables solutions », dit Tony en étendant ses bras sur le dossier du canapé.

Loki le fusille du regard tandis que le responsable de la sécurité enfonce légèrement sa tête entre ses épaules. Samuel se sent un peu sur la brèche, il n'a rien vu malgré le réseau de caméras de surveillance qui quadrille le Naglfari alors il est aussi un peu coupable.

Le brun passe encore une fois une main dans ses cheveux, il tire douloureusement sur une mèche.

— « … Trouvez leur numéro et prévenez le gardien et la police de Miami pour les informer du vol. Nous venons à peine d'accoster, ils ne peuvent pas être très loin », ordonne-t-il.

— « … Tu vas vraiment le faire ? »

Tony hausse un sourcil un peu étonné. Une telle directive va clairement à l'encontre des préconisations de ALC envers leurs clients, même les plus indélicats. Il se demande d'où vient ce souffle soudain de rébellion chez son meilleur ami. Loki lui jette un regard encore peu amène et il lève les mains devant lui en signe d'apaisement.

— « Ils ont volé tout ce qui pouvait l'être, les objets décoratifs et les œuvres accrochées aux murs. … Et ils ont laissé les peignoirs et les chaussons qui leur étaient offerts. »

Le brun se laisse tomber sur le canapé en face de Tony, un rire grinçant aux lèvres.

Devant lui, Samuel danse un peu maladroitement d'un pied sur l'autre.

— « … Capitaine Laufeyson ? »

— « S'il vous plaît, faites ce que j'ai dit Samuel », répète Loki d'un ton un peu plus doux. « Il y en a pour des dizaines de milliers de dollars, je ne peux pas laisser passer une chose pareille. Faites ce qu'il faut, je vais rédiger un rapport à ALC et je m'arrangerai avec nos supérieurs. Vous ne craignez rien. »

— « … Je suis censé être les yeux du Naglfari, je ne comprends vraiment pas ce qu'il a pu se passer. Je suis sincèrement navré, capitaine », balbutie l'homme.

— « Ce n'est plus du travail d'amateur à ce niveau, ils auraient réussi à vous berner même si vous aviez été Argus aux cent yeux », le rassure gentiment Tony. « Je suppose que nous pouvons nous estimer heureux qu'aucun vol dans d'autres cabines n'ait été constaté. »

Loki acquiesce d'un air particulièrement sombre. Samuel les salue rapidement et s'empresse de quitter le bureau.

Le brun soupire lourdement tandis qu'il se renverse contre le dossier du canapé. Il passe une main lasse sur son visage. Son meilleur ami pousse doucement le goban dans sa direction, un sourire un peu forcé aux lèvres.

— « Je n'ai pas envie de jouer Tony », grogne-t-il.

— « Tu n'as même pas envie de prendre ta revanche pour notre partie de scrabble d'hier midi ? Je n'ai pas gagné, je t'ai littéralement écrasé. Je n'arrive toujours pas à croire que tu n'as pas remarqué que tu pouvais faire Whiskys avec tes lettres… »

— « La ferme », siffle le brun.

Loki lui jette un regard noir entre ses doigts et Tony ricane.

Il pousse un peu plus le goban vers lui et hausse un sourcil en guise de défi. Le brun se mord la langue. Il se penche soudain en avant, s'empare d'une pierre noire. Son coup est très offensif la pierre claque durement sur le plateau de jeu en bois. Loki a besoin de canaliser la colère qu'il sent bouillonner au fond de lui.

Son immense déception aussi.

La nuit dernière a été parfaite, le réveil aurait dû être encore meilleur. Son meilleur ami a tout gâché.

Loki esquisse un sourire particulièrement amer.

Il a tout gâché. Il a paniqué, il a perdu le contrôle et l'idée que Tony puisse le trouver en compagnie de Thor, dans son lit qui était un peu devenu le leur, l'a fait frissonner d'horreur. Il avait manqué à ses engagements professionnels, à son uniforme. Il ne regrettait rien mais il n'était pas près à ce que quiconque l'apprenne. Pas tout de suite en tout cas. Plus tard, dans quelques mois – quand les choses seraient devenues sérieuses avec Thor parce que le brun refusait qu'il en soit autrement – il en aurait parlé à son meilleur ami. Il aurait pu supporter ses taquineries et ses regards entendus parce qu'il s'y serait préparé depuis des semaines. Ce n'était pas le cas ce matin alors que Thor caressait tendrement sa hanche et que Loki respirait l'odeur de sommeil dans son cou. À peine avait-il quitté son amant que la matinée a été tourbillonnante d'activités puis cette histoire de vol de haute volée… Impossible de s'échapper pour aller retrouver Thor, s'excuser de son comportement et l'embrasser à perdre haleine en lui donnant fiévreusement rendez-vous.

Trois ans de solitude, de culpabilité avant de redécouvrir l'amour et la sensualité dans les bras d'un homme merveilleux, un peu abîmé aussi mais si respectueux et tendre.

Loki a juste tout gâché.

Le Naglfari est à quai depuis une trentaine de minutes, il reçoit sur son bipper les notifications des responsables de pont qui passent dans les cabines.

Son navire est vide.

Thor est parti et il se sent profondément misérable.

— « C'est à toi de jouer. »

Loki cligne des yeux. Le regard de Tony sur lui est brûlant.

— « Il faut que tu joues si tu veux qu'on achève notre partie avant de repartir. »

— « Nous ne levons l'ancre que dans vingt-quatre heures. »

— « C'est vrai mais tu as l'air tellement distrait que je me sens obligé de te le rappeler… »

Tony lui sourit d'un air malicieux, le brun lui répond d'une grimace crispée. Il a toujours envie d'envoyer le goban se faire voir et de regarder les pierres voler devant lui.

… Il a envie de courir à son bureau pour consulter le dossier client de Thor et lui envoyer un mail – ou l'appeler – pour s'excuser. Peu importe que son amant ne lui ait pas donné explicitement l'autorisation de le faire, Loki s'en passerait. S'excuser et l'embrasser passionnément, lui dire des choses un peu sentimentales et faire l'amour avec lui. Il était tellement en paix avec lui-même ce matin, comme si c'était évident. Domestique, maison, tendresse. Tout ce qu'il désirait à nouveau connaître et pour ne rien gâcher, Thor est beau comme le jour. Son sexe est parfait et il fait merveilleusement l'amour.

Le brun déglutit difficilement, la gorge serrée. Tony joue lentement son coup devant lui, sans le quitter des yeux.

— « Cette histoire de vol te met dans un triste état, mon ami. »

— « … J'en ai assez des gens malhonnêtes », croasse un peu le brun d'une voix rauque.

Son ami hoche lentement la tête. Son regard lui brûle le visage.

— « … Je suis content de t'entendre dire que tu préfères l'honnêteté. Tu as donc un peu avancé avec Thor Odinson ? »

Loki se fige. La boule dans sa gorge grossit tandis qu'il sent une fine sueur couvrir ses épaules. Il contient son envie de desserrer sa cravate.

— « Je ne vois pas de quoi tu parles… »

Tony fronce légèrement les sourcils. Les deux hommes s'observent, plongés dans un silence un peu tendu. Le brun ne cille pas, aussi immobile que lorsqu'il avait surpris ses ragots entre des anciens capitaines dans les bureaux d'ALC suite à sa nomination au commandement du Naglfari.

« Il ne doit sa place qu'aux relations de son père. »

« À ça ou à autre chose… Tu sais qu'il couche avec des hommes ? J'ai toujours soupçonné Craig Williams, à la direction, de jouer dans l'autre équipe. »

« … Il est marié avec une ancienne mannequin de maillot de bain. »

« Et alors ? Si tu couches avec Laufeyson de dos, la tête dans l'oreiller, je suppose que tu ne fais pas vraiment la différence… Il marche déjà comme une gonzesse. »

Ouais, Loki avait encaissé. Les deux hommes étaient dans le couloir qu'il devait emprunter, il n'y avait pas d'autre chemin pour rejoindre la salle de réunion où on l'attendait alors il était passé, droit et digne dans son uniforme qui le mettait tant en valeur. Juste un regard vers eux, insondable et profondément malaisant, sans un mot.

Tony plisse légèrement les yeux et se penche vers lui.

— « Tu vas vraiment jouer à ça ? Avec moi ? Je ne suis pas un de ces imbéciles qu'on croise au dîner annuel d'ALC avec lesquels tu te mets en mode Poker Face », grogne-t-il.

— « Je ne sais toujours pas à quoi tu fais allusion et je suis fatigué, Tony. »

Loki se frotte les yeux, se pince l'arête du nez entre deux doigts. Son meilleur ami ricane.

— « Tu as eu une nuit agitée peut-être ? »

Le brun hausse nonchalamment les épaules. Il ignore le tissu qui colle légèrement à sa peau. Tony ne peut pas savoir. Loki a été tellement prudent, tellement –

— « Je te jure que si tu me réponds par la négative, je reverse cette table basse de colère. Tu es en train de me mentir. »

— « Je ne – »

— « Tu me mens Loki et je pensais mériter un peu mieux de ta part. Je te taquine sur tes histoires de cœur parce que je tiens à toi, d'accord ? Je ne suis pas un connard qui se moque de ton célibat, je me préoccupe de toi et j'aimerai te voir à nouveau heureux. »

— « Je suis heureux. »

Tony grogne de colère et lève les yeux au plafond.

Loki observe soigneusement le plateau de jeu. Il est surpris de parvenir à prévoir la suite de la partie. Il sait que son ami va jouer ce coup, il répondra comme ça puis, après quelques passes, Loki devrait remporter le jeu. Il reprend la partie sans rien ajouter. En face de lui, il sent Tony bouillonner. Ils terminent dans un silence un peu tendu, uniquement troublé par le claquement des pierres qu'ils posent sur le goban. Son ami fronce les sourcils, vide le plateau de jeu et range brusquement les pierres. Il pose le tout entre eux et croise les mains sur ses genoux.

— « Donc, tu es heureux parce que tu as parlé à Thor ? »

— « Tony, s'il te plaît… », soupire Loki.

— « Pour l'amour de Dieu Loki ! Le Naglfari vient d'accoster à Miami, il est parti. Dis-moi que vous avez convenu de vous revoir ! », s'exclame Tony avec exaspération.

— « … Pour le revoir, il faudrait déjà que je l'aie vu », marmotte le brun.

Tony cligne des yeux et déglutit lentement. Le brun voit ses yeux noisette se voiler légèrement de tristesse – de tristesse – et Loki ne comprend pas. Qu'est-ce qu'il a fait encore ? Oui, il ment éhontément à Tony mais son meilleur ami . .savoir.

Soudain, il reçoit un coussin du canapé en pleine tête. Le brun cligne des yeux, il contemple le carreau sur ses genoux avant de regarder Tony.

— « Tu me mens encore », siffle le brun en pointant un doigt accusateur dans sa direction.

— « Il est très impoli de montrer quelqu'un du doigt, Tony. »

— « … Imbécile malheureux. »

Son ami soupire lourdement, les épaules basses et le visage baissé sur ses genoux. Loki tressaute nerveusement d'une jambe tandis qu'il arrange le coussin à côté de lui. La véhémence de Tony le désarçonne. Il a envie de lui parler mais il ne se sent pas prêt. Thor n'est même pas encore au courant de ce qu'il prévoit pour eux de ce petit moment de vie partagé qu'il fantasme de toute son âme et qui noie sa poitrine de chaleur.

Tony frotte vigoureusement ses mains sur son visage.

— « Je sais qu'il a passé la nuit avec toi. »

Le brun exhale un souffle un peu tremblant. Sa poitrine est serrée dans un étau et de la glace coule dans ses veines. Tony retire ses mains après un dernier geste vigoureux. Ses joues sont un peu rouges.

— « Il a passé la nuit dernière avec toi, je vous ai vu vous embrasser devant ta cabine hier soir. »

— « Tu nous espionnais ? »

— « N'inverse pas les rôles s'il te plaît. Tu avais oublié ton bipper au poste de commandement, j'étais venu te le rapporter. Je vous ai vu ensemble, je t'ai vu le tirer dans ta cabine alors je suis reparti pour ne pas vous déranger », proteste son ami.

Loki pâlit.

— « … Tu savais qu'il était encore avec moi quand tu as toqué à ma porte ce matin ? », croasse-t-il.

Tony a le bon ton de paraître un peu coupable tandis qu'il hoche lentement la tête. Le brun a envie de jeter le goban et les pierres par-dessus bord. Non. D'abord au visage de son ami puis par dessus bord en criant de rage si sa gorge se desserre un peu d'ici-là.

— « C'était pour te taquiner, je ne serai jamais entré », dit doucement son ami.

— « … Tu as tout fait foirer à cause d'une taquinerie ? »

Loki éclate d'un rire froid et grinçant. Il ne parvient pas à y croire, il ne parvient pas à comprendre. La Fortune l'avait touché de ses bienfaits, comment a-t-elle pu tout faire manquer ensuite de la sorte ? Tony fronce les sourcils.

— « Qu'est-ce que j'ai fait foirer ? »

— « Tu – Tu es venu nous voir et j'ai paniqué. Je me suis habillé en quatrième vitesse, j'ai à peine salué Thor avant de partir alors qu'il était encore dans mon lit. » Il déglutit. « … Je l'ai ignoré parce que j'étais terrifié à l'idée que tu entres et que tu nous surprennes… »

Le silence s'étend à nouveau entre eux. Lourd et menaçant. Tony cligne lentement des yeux. Plusieurs fois.

— « … Tu l'as ignoré ? Je t'en prie, dis-moi que tu es allé t'excuser pendant la matinée, que tu l'as embrassé et que vous vous êtes promis de faire plein de bébés ensemble. »

— « Comment aurais-je pu faire, nous avons toujours été ensemble ! Je n'aurai jamais pu aller le voir sans que tu ne comprennes ! », vitupère Loki d'une voix aiguë.

Sa respiration est courte, le sang bat à ses tempes. Il est bouleversé. Tony le regarde d'un air interdit avant de s'assombrir.

— « Ne m'accuse pas pour excuser ta propre lâcheté Loki », dit-il d'un ton sans réplique.

Le brun pâlit encore un peu plus pas la teinte qui lui sied le plus car il a déjà la peau blanche. Couleur de cendre. L'accusation est terrible et son ami le sait. Quand il se sent acculé, Loki ne sait réagir que d'une seule manière et elle n'est pas très glorieuse. Il fuit, métaphoriquement. C'est ce qu'il a fait quand Lucas et lui se sont séparés ne pas en parler ou pas vraiment, minimiser les faits, atténuer sa propre douleur et les effets de son cœur brisé.

Les mots de Tony résonnent douloureusement dans son esprit. Loki serre les dents.

— « … C'est arrivé mais ce n'est pas comme si cela avait vraiment de l'importance. »

C'est douloureux à dire mais il fuit. Tony hausse un sourcil narquois.

— « Hier soir n'était pas votre première nuit, n'est-ce pas ? On n'embrasse pas un homme comme ça pour la première fois. Thor et toi étiez déjà intime. »

— « … Nous avons couché ensemble il y a deux soir, après votre départ de Yggdrasil. »

— « Il a passé la nuit avec toi ? »

Loki hoche lentement la tête et son meilleur ami ricane d'un air sombre.

— « Une nuit entière et tu veux me faire croire que ça ne signifie rien ? »

— « Thor m'a avoué des choses le soir de la Saint-Valentin. Il buvait au comptoir d'Yggdrasil et il avait l'alcool triste. Il m'a confié ses doutes suite à sa rupture, sur le genre d'homme qu'il pensait que cela faisait de lui. Il avait perdu confiance en lui et en sa capacité à séduire. »

— « Et tu t'es généreusement offert parce que tu as le sens du service ? », siffle Tony d'un air mauvais. « Si la question pour lui n'était que de vérifier son sex appeal, il aurait très bien pu répondre aux avances de l'étudiant de la cabine 512. Il est plus jeune et il semblait très dévoué à lui faire plaisir c'était du sexe facile et rafraîchissant. Cela aurait été bien plus flatteur pour lui que de coucher avec toi, sans offense Loki. »

Le brun le fusille du regard. C'est vexé et blessant. Il ne veut pas entendre parler de cet enfant qui dévorait des yeux son amant dès qu'il le croisait sur le Naglfari. Il sait que Princeton se serait offert sur un transat du pont extérieur pour Thor, bras et cuisses ouverts.

Loki se racle la gorge. Elle est râpeuse, presque douloureuse.

— « J'ai un uniforme, ce jeune homme n'en a pas. La moitié des gens fantasment sur nos uniformes. »

— « Tu ne crois même pas ce que tu dis, tu sais que c'est complètement faux… », soupire lourdement Tony.

Bien sûr que Loki le sait, c'est une accusation particulièrement injuste envers son amant et un peu humiliante pour lui comme s'il ne pouvait attirer un homme que grâce à cette stupide casquette galonnée d'or. Le brun a fait du chemin depuis sa rupture avec Lucas mais il n'a jamais oublié qu'il est un homme séduisant.

Il déglutit, enfonce sa tête entre ses épaules.

Cette discussion est lunaire, elle rassemble tout ce que le brun appréhende le plus pourtant il se sent plus léger. Tony sait, il peut cesser de tricher avec lui-même. De toute manière, il est fatigué et il a le cœur en berne. Il est fatigué et il rend les armes. Ça fait trop mal de penser à ce qu'il a manqué. Tony a raison, il a été atrocement lâche.

— « C'est trop tard maintenant. Je me suis très mal comporté avec lui ce matin et il est parti », dit-il d'une voix rauque.

— « C'est vrai. Est-ce que tu as envie de le revoir ? », demande doucement son ami.

Loki esquisse un sourire timide mais un peu plus franc.

— « … C'est ce que je prévoyais de lui demander avant que tu ne viennes nous réveiller. Je pense que Thor n'y serait pas opposé. »

— « Cela me paraît évident. Est-ce qu'il a été bon avec toi ? »

— « Tony », proteste doucement Loki mais son ami insiste. « … Oui. Il a été parfait et pas uniquement pendant que nous faisions l'amour. Il était tendre aussi. »

— « Tu as aimé dormir avec lui ? »

Le brun acquiesce lentement, mortifié de sentir ses oreilles et son cou chauffer un peu.

Tony roule des yeux en riant avant de se lever souplement. Sans un mot, il se dirige vers le bureau, s'installe derrière l'ordinateur. Loki entend le cliquetis rapide du clavier, il hausse un sourcil un peu curieux. Son ami l'ignore toujours quand il s'empare du téléphone fixe et compose un numéro avec assurance.

— « Jake ? Ici le capitaine en second Stark sur le Naglfari. (Il rit) Oui, je vous remercie. Je me permets de vous appeler pour vous demander si la voiture immatriculée 969 YKZ est toujours dans notre parking ? (…) Non, il ne s'agit pas d'un autre voleur, je vous assure. »

Tony rit Loki n'en a pas envie. Il rougit violemment, fait de grands gestes pour indiquer à son meilleur ami de raccrocher immédiatement. Ce dernier secoue la tête, le combiné toujours à l'oreille. Soudain, son visage s'illumine. Loki a tout autant envie de savoir pourquoi que de l'ignorer soigneusement. L'espoir qui brûle dans sa poitrine est incroyablement fort.

— « Ah. Il y a eu un accrochage entre deux véhicules et la sortie est bouchée pour le moment ? (Tony plonge son regard dans le sien et le brun se fige) Je vous remercie pour ce renseignement (…) Non, inutile d'aller voir le client de la voiture concernée, je vais m'en occuper. Bonne journée Jake et mes respects à votre épouse. »

Le jeune homme raccroche le bruit du combiné sur sa base est très bruyant dans le silence du bureau.

Tony se renverse dans le confortable fauteuil de bureau et croise les mains derrière sa tête.

— « Au cas où tu n'aurais pas encore compris, Thor est toujours là », dit-il en haussant un sourcil.

— « Et que veux-tu que j'y fasse ? Que je lui cours après ? »

— « Cela dépend de toi. Quelle est ta capacité à vivre avec des regrets ? »

Tony hausse un sourcil.

Loki déglutit.

Une fraction de seconde d'hésitation mais c'est déjà trop. Quel imbécile il fait.

Il se lève brusquement, récupère sa casquette et sort de la pièce d'un pas de tempête. Sur le seuil, la main sur la clenche, il jette un regard à son ami par-dessus son épaule.

— « Tu te comportes vraiment comme un con parfois mais tu es un con bienveillant. … Merci, Tony. »

— « Dépêche-toi plutôt que de me dire des douceurs », grommelle le brun.

Loki esquisse un sourire timide et hoche la tête. Il est si empressé qu'il laisse la porte du bureau entrouverte et il entend son ami rire alors qu'il remonte le couloir vers les ascenseurs principaux.

Le brun jaillit dans le hall comme un diable de sa boîte et manque de renverser une jeune employée. Loki la retient par le coude, s'excuse distraitement. Il traverse la pièce d'un pas un peu plus mesuré, on le regarde et il porte son uniforme.

Dès qu'il descend de la passerelle sur le quai, Loki se précipite vers une petite voiturette marquée au logo du port de Miami, garée à droite. Un agent est assis derrière le volant, griffonnant sur des formulaires posés sur un support.

— « Capitaine Laufeyson ? Si vous venez à propos des voleurs de votre suite, je – »

— « Non, j'aimerais juste vous demander un service », l'interrompt Loki, une main serrée sur un montant de l'habitacle. « Si vous repartez, pouvez-vous me rapprocher du parking d'ALC ? »

— « J'ai entendu qu'il y avait eu un léger accident de circulation mais – »

— « S'il vous plaît. »

Loki trépigne – ou il a l'air suffisamment troublé – pour que l'homme opine lentement. Il s'installe précipitamment à côté de lui, les mains serrées sur le tableau de bord. Vite. Vite, plus vite. Quand il aperçoit les rambardes du parking, il soupire de soulagement et saute sur le bitume, la voiturette encore en train de rouler.

— « Merci ! », s'exclame Loki en le saluant d'un geste un peu vague.

Le brun entre sur l'esplanade d'un pas fébrile. Il regarde autour de lui.

Le parking est presque vide, l'accident de circulation est terminé.

Presque vide mais pas totalement.

Un petit groupe est rassemblé autour d'un break Toyota. Des cheveux blonds et bruns, une chevelure rousse couleur de feu. Des rires qu'il reconnaîtrait entre milles. Thor et ses amis sont encore en train de discuter.

Loki bénit Fortune avec dévotion tandis qu'il s'approche d'eux.


Thor a l'impression qu'ils ressemblent à des adolescents en train de se séparer après la meilleure colonie de vacances de leur vie.

Ils ont tous échangé leurs numéros de portable, leurs mails et leurs adresses postales.

Bucky est en train de consulter son agenda et celui de Natasha pour convenir d'une prochaine rencontre. Clint et lui tentent de programmer un rendez-vous professionnel dans les semaines à venir. Un des parents du blond possède un vignoble du côté de Haw River Valley en Caroline du Nord, un coin superbe qui serait très bien pour organiser des mariages selon Clint. Thor accepte avec enthousiasme. Il réalise qu'il ne pourra pas aller visiter Haw Estate avant plusieurs semaines et il ronge un peu son frein il a déjà plusieurs clients potentiels en tête.

Non loin d'eux, Bruce est plongé dans le moteur ouvert de la Toyota avec Steve.

— « Démarre Steve », dit-il en se penchant pour regarder à travers le pare-brise.

Le blond s'exécute. Le break râle comme un animal, le moteur crachote sans succès. Steve fusille le volant du regard. Bruce essuie machinalement son front d'un revers de la main. Thor remarque qu'il laisse une trace de cambouis sur sa tempe et il sourit. Clint lui donne un léger coup de coude dans les côtes.

— « Thor. »

— « Oui. Excuse-moi, je pense vraiment que je ne vais pas pouvoir me libérer avant le mois de mai. »

— « Laisse tomber Haw Estate, je ne te parlais pas de ça. »

Le blond fait un signe sur le côté et Thor tourne la tête. Il oublie tout. Le break dont le moteur ne démarre pas et sent l'essence, les promesses de retrouvailles qu'ils ont tous échangé plusieurs fois, cet énorme mariage dont murmure tout Miami entre une influence célèbre et un acteur de série télé à la mode que l'agence Miami Events lui dispute presque violemment.

Loki est là, à quelques mètres de lui.

Il porte son uniforme, tient sa casquette sous son bras. Son front est légèrement moiré de sueur, comme s'il s'était pressé. Pour lui ? Pour quoi ?

Le brun lui sourit doucement, presque un peu timidement. Thor déglutit et le rejoint en quelques pas.

— « … Est-ce que j'ai oublié quelque chose dans ma cabine ? Ou dans la tienne ? », demande-t-il discrètement.

Loki cligne des yeux avant de rire. Il secoue la tête.

— « Non, pas plus qu'après de ta première nuit avec moi. »

— « Que fais-tu ici dans ce cas ? … Tu as couru ? »

— « Certainement pas, je me suis fait conduire dans une voiture de fonction du port de Miami mais ce n'est pas la question. » Le brun passe une main dans ses cheveux. « … Je voulais m'excuser pour mon comportement ce matin. »

— « Ce n'est pas grave. Tony était à ta porte et nous étions encore ensemble, j'étais dans ton lit. Je ne t'en veux pas », répond doucement Thor.

— « Tu devrais. J'ai été cruel, tu ne méritais pas que je te traite comme ça pas après ce qu'il s'est passé entre nous. »

Le blond hoche lentement la tête. Il est atrocement soulagé en réalité et l'espoir explose à nouveau en lui presque douloureusement.

— « … Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? »

À sa grande surprise, Loki rit légèrement. Il est aussi beau que lors des tendres moments passés dans sa cabine, quand Thor pensait encore que tout était possible.

— « Tony est au courant, il nous a vu hier soir. »

— « Loki, je suis déso – »

Ses excuses meurent sur ses lèvres tandis que le brun tend une main et vient prendre sa joue en coupe. Il sourit gentiment et effleure sa peau de son pouce.

— « C'est une très bonne chose, je n'ai plus besoin de faire comme si j'étais encore l'irréprochable capitaine du Naglfari. »

— « Ne dis pas ça comme si faire l'amour ensemble était la pire des dépravations », proteste Thor.

— « Ce que je veux dire c'est que je n'ai pas besoin de continuer à me cacher. À te cacher. » Loki inspire doucement. « Si tu veux bien me pardonner mon comportement très stupide de ce matin, j'aimerais te revoir. »

— « Tu – »

— « Il n'y a pas non plus de bon ou de mauvais ordre pour vouloir se rapprocher d'une personne qui nous plaît, n'est-ce pas ? Je ne pense pas que le fait d'avoir fait l'amour avec toi avant de t'inviter à dîner ne me disqualifie pour toute autre chose… »

Loki a l'air un peu incertain et c'est tout ce que Thor a voulu voir et entendre depuis que le brun a quitté sa cabine ce matin en le laissant seul et le cœur tordu dans son lit. Il rit doucement.

— « J'en suis certain. … Je voulais te proposer quelque chose comme ça si on s'était correctement réveillé l'un contre l'autre tout à l'heure. »

— « Vraiment ? »

— « Oui. » Thor sourit. « Il serait facile de tomber amoureux de toi, tu sais. »

— « … Je pense la même chose à ton sujet. »

Les deux hommes partagent un sourire, ils se rapprochent un peu plus l'un de l'autre. Thor glisse doucement une main sur sa hanche puis ses reins pour le tirer vers lui. Loki se laisse docilement entraîner. Ses doigts effleurent sa mâchoire jusqu'à sa nuque. Ils jouent avec les petits cheveux courts et dorés.

— « … Je serais de retour à Miami dans un peu plus d'un mois, le Naglfari restera à quai pendant soixante-douze heures pour son contrôle de mi-saison. Est-ce que tu veux bien attendre ? »

Est-ce que tu peux m'attendre ? C'est implicite mais Thor l'entend parfaitement et comme il l'a déjà dit, il est un homme patient. Privilège de ses vénérables quarante-cinq années.

— « Tu vas me manquer mais je survivrai », acquiesce-t-il. « … Est-ce que tu seras à terre pour ton anniversaire ? »

— « Tu te souviens de ça ? », demande Loki d'un air ravi.

— « Je peux prévoir quelque chose si tu veux. »

— « Je t'y autorise si cela me permet de découvrir ta maison à Fort Lauderdale… Tu m'auras beaucoup manqué aussi et je pense que nous avons un peu passé l'âge de la lente séduction », répond le brun en haussant un sourcil entendu.

— « Ai-je quand même le droit d'essayer ? »

Loki roule des yeux mais Thor le sent presque se lover contre lui. Il noue ses mains sur ses reins pour le tenir plus étroitement. Le brun frotte câlinement sa joue contre la sienne, ses cheveux soyeux chatouillent sa mâchoire.

— « … Je vais devoir remonter à bord, le Naglfari repart dans vingt-quatre heures », dit-il avec regret.

— « Je sais, Joseph m'a expliqué. Regarde mes coordonnées dans mon dossier client et envoie-moi un message dès que tu seras dans ta cabine, j'aurai ton numéro. Même si tu es en mer, nous pouvons nous appeler. »

— « Tu lis dans mes pensées. »

Loki rit.

Il rit toujours quand il prend son visage à deux mains pour poser voluptueusement ses lèvres sur les siennes. Thor avale son rire. Il l'embrasse férocement à son tour, d'une manière dévorante et avide. Quelque chose qui dit « Reviens » et « J'attendrai » et « Tu me manques déjà ». Sous ses mains, il sent le brun se cambrer légèrement, souple et déjà désireux.

— « Vivement que tu reviennes, Loki », souffle fiévreusement Thor contre sa bouche.

Son amant rit encore. Il picore rapidement sa bouche de baisers, l'embrasse délicatement dans le cou et Thor se sent frémir jusque dans la moelle de ses os.

Les deux hommes s'éloignent, le brun lui jette un dernier regard avant de repartir. Derrière lui, Thor remarque la voiturette au logo du port de Miami. L'idée que Loki, si beau et digne, lui ait plus ou moins couru après dans cet espèce de petit véhicule de golf, lui donne envie d'éclater de rire.

Le blond lui adresse un dernier salut tendre avant de lui tourner le dos, un sourire béat aux lèvres. Ses amis le dévisagent en silence. Natasha ouvre la bouche, se mord les joues, fronce les sourcils avant de lever les yeux au ciel.

— « Thor, je crois que tu as des choses à nous raconter… », dit-elle d'un ton dangereusement doucereux.

C'est délicat de sa part, Clint l'est un peu moins. Il cligne des yeux, l'air parfaitement stupéfait et incrédule.

— « Tu couches avec le capitaine ?! Merde, Thor, foutu cachottier ! Comme tu as réussi à faire ça ?! », souffle-t-il.

— « Steve peut te faire un dessin Clint, il est plutôt bon avec un crayon et du papier », commente Bucky d'un ton nonchalant.

À côté d'eux, le break Toyota démarre enfin dans un cracha un peu rauque sous les mains habiles de Bruce. Personne n'y prête attention, Thor encore moins que tous les autres. Trop de bonheur, il a les oreilles qui bourdonnent.


... Et voilà, FIN (en quelque sorte) :)

J'espère que la fin de cette croisière dans les Caraïbes a été à la hauteur de vos attentes. Cette histoire restant une histoire de Saint-Valentin, il fallait un peu de romantisme échevelé tout de même. Les choses simples sont agréables, les choses un peu compliquées avant de devenir simples sont meilleures :)

Les aventures de nos deux amis ne sont pas finies, je publierai la semaine prochaine un épilogue pour conclure cette histoire, j'ai hâte de vous le proposer !

Bonne fin de semaine et à bientôt,

ChatonLakmé