Cette fic est écrite dans le cadre de la 90ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Sorcière". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !
- Eh, la sorcière !
Hermione ne se retourna pas. Elle savait, pourtant, que c'était à elle que le cri moqueur s'adressait, mais elle avait pris l'habitude de ne plus y répondre. De faire comme si elle s'en fichait. Comme si les insultes ne l'atteignaient pas. Du moins, elle essayait de prendre l'habitude. De ne pas ralentir l'allure à laquelle elle marchait, de ne pas laisser voir aux autres élèves son regard qui vacillait un peu plus à chaque fois, d'aller aux toilettes de sa démarche la plus naturelle possible et de faire attention à avoir soigneusement verrouillé la porte avant de fondre en sanglots silencieux.
Elle ne savait plus où elle avait lu ces conseils de lutte contre les moqueries – probablement dans un magazine de la bibliothèque emprunté après avoir lu la plupart des autres livres. Elle s'était habituée aux réflexions, aux insultes sur son physique, sur ses capacités en cours, sur tout ce qu'elle pouvait dire ou faire qui serait aussitôt analysé, décrypté et utilisé contre elle par la plupart des autres élèves de l'école primaire où elle allait. Elle avait essayé contre eux chacun des conseils proposés dans le magazine en question. Répondre du tac au tac pour leur clouer le bec ? Elle n'avait pas assez de répartie ou d'imagination pour ça. Les menacer de les dénoncer auprès des professeurs ? Ce conseil était le plus nul qu'elle ait jamais lu, elle avait suffisamment la réputation d'être une lèche-botte je-sais-tout comme ça. Changer d'école ? Déjà fait, cela lui avait accordé deux semaines de tranquillité avant que tout ne recommence à l'identique, comme pour lui confirmer que le problème venait bien d'elle et non des autres.
Au final, le seul qu'elle avait retenu était l'indifférence. Faire comme si elle s'en fichait, car ce n'était pas tant les moqueries que sa réaction qui amusait les autres. Jusqu'à présent, cela avait marché. Un peu. Les élèves les moins assidus à se moquer d'elle avaient abandonné depuis qu'elle utilisait cette technique, et les autres semblaient trouver ça un peu moins amusant. Pourtant, cette dernière réplique se faufila au travers du bouclier d'indifférence qu'elle s'efforçait de porter et s'infiltra dans son esprit. Sorcière. Pourquoi ce mot lui faisait-il autant d'effet ?
Elle devinait aisément d'où venait cette insulte. Ses cheveux hirsutes et indisciplinés, ses dents trop grandes et trop pointues, son habitude de s'isoler dans un coin avec une tonne de livres pour passer le temps… Le parallèle était facile à faire. Mais, étrangement, cette réflexion là ne la blessait pas. Elle avait trop envié et admiré les sorcières de ses romans fantastiques pour s'en sentir touchée. L'espace d'une seconde, elle s'imagina devant un chaudron en train de concocter une potion magique, voler à califourchon ou en amazone sur un balai enchanté, brandir une baguette en criant un sortilège ou juste effectuer un mouvement compliqué des mains pour voir un rayon lumineux en sortir.
La cloche de l'école annonça la fin de la récréation mais, pour la première fois, elle n'avait pas envie de retourner en classe. Elle disposerait de cinq minutes, peut-être dix, avant que son absence ne soit remarquée. Et elle était bien, dans ce cabinet de toilettes, coupée du monde et des autres – mais avec ses livres et ses rêves. La cour de récréation devenait silencieuse. Lentement, elle se laissa glisser par terre, assise contre la paroi de la cabine, et ses yeux se refermèrent.
Sorcière. Ce mot lui inspirait… Beaucoup de choses. Mais pas une insulte. Il lui inspirait un autre monde, un autre futur que celui du collège du quartier où elle entrerait l'année prochaine. Il lui inspirait des gens qui débarqueraient chez ses parents pour lui annoncer qu'elle avait des pouvoirs magiques. Il lui inspirait un monde coupé du sien, sous leurs yeux mais pourtant terriblement bien caché, un monde où elle aurait sa place. Il lui inspirait des découvertes, d'autres lieux enchantés et féériques qui ne cesseraient jamais de l'émerveiller au fur et à mesure qu'elle les parcourrait. Il lui inspirait des découvertes, des potions et des sortilèges dans lesquels elle mettrait toute son énergie, toute sa soif d'apprendre et ses rêves de gloire afin de pouvoir prouver qu'elle valait quelque chose. Il lui inspirait des amis. De vrais amis en apparence différents, mais pourtant si semblables, si rejetés, méprisés et solitaires qu'ils ne pourraient que s'entendre ensemble, se soutenir et se compléter pour former l'équipe de sorciers la plus soudée que leur monde n'aurait jamais connue.
- Hermione ? Tu es là ?
La voix inquiète d'une fille de sa classe la ramena trop brutalement à la réalité. Ses cinq minutes étaient écoulées. Elle était toujours assise dans les toilettes de son école, barricadée derrière une simple porte qui ne la protégerait pas éternellement. Elle était toujours une miss-je-sais-tout, une fille bizarre, une fille moche, une gamine intellote qui cranait devant les professeurs. Elle cligna des yeux plusieurs fois pour replacer son masque, son air froid et indifférent qui laisserait tout le monde penser qu'elle se fichait de leurs insultes. Elle sortit des toilettes, s'excusa auprès de la fille pour l'inquiétude posée et remonta en classe avec elle.
Quand elles entrèrent dans la salle de cours, les chuchotements moqueurs ou intrigués reprirent et elle s'efforça de rejoindre sa place sans ralentir, sans leur accorder un seul coup d'œil. Sans leur montrer que chaque regard, chaque ricanement, chaque insulte usait de plus en plus sa résistance et son envie de continuer. Sans leur montrer qu'elle savait pertinemment qu'un jour, ce harcèlement finirait par la tuer. Qu'un jour, elle n'aurait plus envie de se battre, plus envie d'attendre un miracle qui viendrait l'arracher d'ici. Qu'un jour, elle ne croirait plus aux sorcières, qu'elle ne croirait plus à la magie, aux sortilèges ou aux aventures. Qu'un jour, elle prendrait tout ça pour une fatalité et qu'elle accepterait le fait qu'elle n'aurait jamais pu avoir des amis, qu'elle n'aurait jamais pu être aimée ou admirée par d'autres personnes. Qu'un jour, elle arrêterait de croire à cet autre monde si attirant qui viendrait changer sa vie à jamais.
Je tiens à glisser quelques mots à propos de cet OS et de ce thème qui m'a énormément inspirée. Contrairement à tout ce que j'ai pu écrire dans ce recueil jusqu'à présent, rien de tout ça n'est inventé. La situation que je décris ici est on ne peut plus réelle, vécue et subie par des centaines d'écoliers et de collégiens. Peut-être que je me suis un peu trop investie dans cet OS, peut-être que, le temps d'une heure, je suis redevenue la gamine de 10 ans qui rêvait de voir sa lettre pour Poudlard arriver. Mais, si cet OS vous a touché, s'il vous a ému ou fait de la peine, alors rendez-moi un service : Gardez-le dans un coin de votre tête. Souvenez-vous, avant de prononcer des mots pour rire, pas méchant ou juste pour s'amuser, que derrière, il y a toujours quelqu'un qui souffre et qui s'effondre un peu plus à chacune de ces remarques. Pour Hermione, on connaît la suite. Pour tous les autres, la suite ne ressemble pas à la sienne, la suite est juste des adultes qui souffriront éternellement d'anxiété, de manque de confiance en eux ou de dépression à cause de ce qu'ils ont vécu étant enfant. Et ça, c'est pour ceux qui sont arrivés à l'âge adulte.
Je ne sais pas trop quoi dire d'autre à part répéter ma demande : Pensez-y. Merci.
