Bêta : Mokonalex
Elfe infernal certains jours (chaussette en vue) : Mirabelle31
Dédicace spéciale : A Sonia et Jessica pour leur premier anniversaire de mariage. Gros bisous de Crapou, les filles, et tout le bonheur du monde pour les belles années à venir.
Note de l'auteur : Un long chapitre, qui m'a pris du temps, beaucoup de temps... et pas mal de souffrance physique il faut le dire. Déjà deux interventions chirurgicales depuis mars et une très lourde se profile encore... et ce n'est pas terminé (j'en suis à 14 déjà effectuées et 5 ou 6 sont envisagées mini). Avec au bout l'idée de récupérer de l'autonomie... j'ai bon espoir. En attendant, les pauvres Severus et Harry ne sont pas au bout de leur peine.
Bonne lecture à tous !
Severus Rogue franchit les grandes portes donnant sur l'extérieur en utilisant la poterne qui l'obligea à se baisser un peu. Il sentit le regard d'Harry sur lui et son cœur se serra légèrement à la pensée de ne plus le revoir avant un temps indéfini. La porte pivota seule sur ses gonds et se referma avec un petit claquement métallique qui résonna dans le silence matinal seulement troublé par quelques pépiements d'oiseaux.
Le Maître des Potions s'immobilisa dans le jardin et ferma les paupières. Il huma avidement les odeurs familières des lieux qu'il n'aurait plus jamais l'occasion de sentir, puis rouvrit les yeux et se morigéna pour sa sensiblerie. Le Monde Magique ne voulait plus de lui. Après tout ce qu'il avait fait et sacrifié, on le chassait comme un malpropre. Confusément, il se mit à rêver que le Ministère de la Magie s'en repente et le regrette gravement un jour, enlisé comme il était dans le passé, refusant de progresser et de retirer ses œillères. Alors qu'il s'avançait dans l'herbe encore humide de rosée qui mouillait ses bas de pantalons, Severus vit un petit groupe de sorciers en longues robes se diriger vers lui.
Albus Dumbledore, Minerva McGonagall, Pomona Chourave et Filius Flitwick approchaient avec des mines de circonstance. Minerva semblait stoïque mais Pomona sanglotait discrètement dans un mouchoir plus sale que ses gants de jardinage. Sur l'avant-bras sec du Directeur, un jeune hibou noir aux yeux également de cette couleur était installé et tournait sa petite tête dans tous les sens, sûrement pour tenter de découvrir ce qu'il pouvait bien faire là.
— Bonjour, Severus. En ce triste jour pour notre école bien-aimée, nous avons tenu à vous faire nos adieux. Sachez, mon garçon, qu'aucun des enseignants de Poudlard ne cautionne votre renvoi, surtout pour une raison aussi… particulière. Harry est majeur et libre de fréquenter qui il veut et le règlement de Poudlard n'interdit pas les relations entre élèves et professeurs.
— Parce qu'ils ont oublié de le rajouter dans le règlement, fit alors Minerva, ou bien ils n'ont jamais supposé que ça pouvait arriver, au cours des siècles passés.
— Il y a des chances que personne n'ait jamais osé, Minnie, poursuivit Flitwick de sa petite voix haut perchée. En tout cas, ça tombe bien. Comme ça Monsieur Potter ne peut pas être renvoyé pour cette raison, il n'a pas violé les règles de l'école !
— C'est… c'est pô juuuuuuste ! beugla alors Chourave en cachant son visage dans le chiffon sale qu'elle nommait mouchoir.
— Allons, allons, Pomona ! Reprenez-vous, ma chère ! Il n'y a pas mort de sorcier, voyons ! tenta maladroitement Albus, peu habitué à devoir consoler des éléments féminins de son staff.
Le Maître des Potions, passablement surpris et il fallait le dire très ému par ces marques d'amitié, se racla bruyamment la gorge afin de se donner une contenance. Il choisit alors de se focaliser sur le hibou particulièrement original qui le dévisageait depuis son perchoir improvisé.
— Je peux savoir ce que vous faites avec ce hibou sur votre bras, Albus ?
— Mais mon cher enfant, ce petit trésor est tout simplement le cadeau que nous vous offrons à l'occasion de votre départ. Pomona nous a rappelé que vous ne possédiez pas de hibou personnel et comme nous souhaitons recevoir de vos nouvelles, Minerva a eu cette charmante idée et le choix de l'espèce a été collégial.
L'ex-professeur toussota et se racla encore une fois la gorge afin de dissimuler autant qu'il le pouvait son émotion. Il choisit alors de miniaturiser son carton et de prendre le temps de le ranger dans l'une de ses poches pour faciliter ses déplacements et les inévitables adieux.
— Un Strix Huhula ? fit-il en tendant une main vers le jeune rapace. Ce n'est pas une chouette typique de nos contrées. Ceci dit, elle est magnifique et je vous remercie de votre attention. J'apprécie énormément.
La main fine du sorcier caressa doucement la tête de l'oiseau qui ferma ses yeux noirs et ébouriffa ses plumes de plaisir. Son petit bec jaune vif s'ouvrit et se referma avec un léger claquement et la chouette se dandina sur l'avant-bras du directeur de Poudlard.
— C'est un jeune mâle qu'Hagrid s'est procuré par un ami. Il l'a nommé Midnight et je crains fort qu'il n'accepte pas de changer de nom, Severus, car il y répond de très bonne grâce selon notre expert-maison. Hagrid vous recommande simplement de le garder à l'intérieur cet hiver car il aura du mal à supporter le climat du Yorkshire, autant que celui de l'Écosse d'ailleurs.
— Je sais, trancha l'ancien Mangemort, les chouettes Huhul viennent d'Amérique du Sud.
Du dos de son index, Severus, un très léger sourire aux lèvres, grattouillait le poitrail menu aux plumes noires très finement striées de blanc.
— Qu'en dis-tu, Midnight ? Tu veux venir vivre avec moi ? Je te préviens, il risque d'y avoir bientôt avec toi une belle femelle Harfang des Neiges… Tu vas être choyé…
La chouette émit un petit « hou, hou » qui sembla visiblement satisfaire les sorciers présents. Severus tendit son coude vers le rapace qui sauta sur l'avant-bras de son nouveau maître sans se faire prier.
— Severus, si jamais le Ministère changeait d'avis, il va sans dire que vous retrouveriez votre place ici immédiatement, affirma Dumbledore en tapotant le bras du Maître des Potions.
Les autres directeurs de Maison approuvèrent en hochant la tête. Pomona sanglotait toujours dans son chiffon sale, Minerva regardait ses chaussures et Filius se dandinait en balançant ses deux bras pour se donner une contenance.
— Ils ne reviendront jamais en arrière, Albus, et vous le savez bien, répondit tranquillement Severus Rogue, résigné. Il est temps que je parte. Plus je remettrai ce moment, plus ce sera difficile. Merci à tous pour votre soutien. Albus, prenez soin d'Harry, je vous prie. J'ai bien peur qu'il ne se montre que fort peu coopératif et tente quelques coups d'éclat.
— Le connaissant, je ne m'attends pas à autre chose, mon cher garçon. Prenez soin de vous. Et si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas. N'oubliez pas que Dobby est fidèle à Harry et à vous par extension.
Le Serpentard plissa les yeux en deux fentes suspicieuses, les rouages de son cerveau soudain en action. Joindre Harry en utilisant Dobby pourrait être une solution en cas d'urgence. Sinon, il avait maintenant l'option du hibou perché sur son bras. L'oiseau le regardait avec intelligence, du moins autant qu'un rapace magique de cette variété pouvait le faire.
Après un dernier regard vers la poterne d'où il était sorti, le sorcier salua ses anciens collègues d'un signe de tête et pivota sur ses talons. Alors qu'il s'éloignait tranquillement en empruntant l'allée carrossée menant aux grilles donnant sur Pré-Au-Lard, le cœur de Severus se serrait de plus en plus. Il aspira une longue bouffée douloureuse et se tourna vers l'oiseau qui se faisait porter.
— Je vais transplaner dans quelques minutes, Midnight. Suis-moi jusqu'à la maison. Tu sauras me trouver ?
— Hou hou ! fit la chouette avec assurance.
L'homme esquissa un sourire. Il n'avait jamais possédé de hibou ou de chouette. Il n'avait jamais eu besoin d'en acheter un car il utilisait ceux de la volière de l'école. Le cadeau lui faisait très plaisir…
Si seulement il avait pu le recevoir dans d'autres circonstances…
Harry était resté figé dans le hall pendant de longues minutes. Hagard, le cœur battant la chamade, il s'était demandé comment il allait dorénavant supporter de vivre à Poudlard. Les Gryffondors le rejetaient dans leur quasi majorité et il n'allait plus pouvoir circuler dans les couloirs sans brandir sa baguette devant lui et arborer un air revêche et dangereux, histoire que personne n'ose se frotter à lui.
Quand enfin il se décida à quitter les lieux, il était remonté comme une pendule moldue. Baguette à la main, furieux et désespéré, estimant n'avoir plus rien à perdre, il était prêt à sauter à la gorge du premier qui allait le regarder de travers. Normalement, le jeune sorcier devait avoir cours de Botanique en première heure et Défense Contre les Forces du Mal en seconde. Dans une heure il allait donc devoir se rendre au premier étage où se trouvaient le bureau et la classe d'Edward Fiertalon. Cette salope d'Ombrage allait sans nul doute se pavaner si elle le croisait dans les couloirs… Qu'elle s'avise seulement de le regarder de trop près !
Bouleversé par sa séparation forcée d'avec Severus Rogue, Harry n'avait nulle envie de traverser le parc pour se rendre dans la serre numéro 3 afin d'assister au cours de Madame Chourave qui allait commencer dans quelques minutes à peine. Le jeune sorcier ignorait, tout comme ses condisciples, que la directrice des Poufsouffles serait en retard à son cours, tout comme McGo et Flitwick…
N'ayant aucune envie de tripatouiller du crottin de sombral, de la terre ou de la bouse de dragon pour en plus se faire croquer par des géraniums dentus, Harry choisit de sécher le cours. Il passa l'heure de botanique enfermé dans le placard de ménage de Rusard, derrière la statue ornant le hall, à pleurer toutes les larmes de son corps, abrité par un Collaporta et un Assurdiato. Une fois ses larmes taries et ses sanglots calmés, il se décida à quitter enfin son abri pour courageusement affronter la journée et – il en était certain – les ennuis qui n'allaient pas manquer de lui tomber dessus comme des Aurors sur l'Allée des Embrumes.
Harry était déjà arrivé au palier du premier étage lorsque la horde bruyante des élèves quittant les classes prit les escaliers d'assaut. Prudent, le jeune Gryffondor s'était lancé un Protego totalum à mi-hauteur du grand escalier de marbre, lorsqu'il avait perçu le raclement des bancs repoussés dans la Grande Salle. Ce boucan indiquait la prochaine sortie des élèves en étude et il valait mieux prévenir que guérir. Alors qu'il s'éloignait vers la classe d'Ed Fiertalon, son second professeur préféré du moment avec Severus Rogue, Harry ne put s'empêcher de sourire comme la maxime favorite de Maugrey Fol Œil lui revenait en mémoire : vigilance constante ! Eh bien, il allait faire de ces deux petits mots son leitmotiv…
Curieusement, le premier à se montrer dans le couloir du cours de Défense fut cette sale fouine de Malefoy. En le voyant arriver ainsi, le nez en l'air et la mine pincée, Harry eut une soudaine envie de meurtre. Ce salopard était l'un des deux responsables de son malheur. Qu'il s'avise seulement de bouger un petit doigt, de faire un seul mouvement de baguette, et Lucius récupérerait son héritier en pièces détachées. Drago parut surpris de trouver Harry Potter tout seul devant la porte de la salle de classe. Et puis il se souvint alors de ce que les autres membres de la Brigade d'Ombrage lui avaient raconté : les Gryffies et d'ailleurs la plupart des élèves des autres Maisons dénonçaient Harry comme un pervers sodomite et déviant et ne voulaient plus avoir affaire à lui. Évidemment, les Nés-Moldus et certains Sangs-Mêlés mal éduqués ne voyaient pas les choses ainsi. Pour ces moins que rien, Potter et son amant Rogue étaient normaux et leur relation ne les choquait pas plus que ça !
Malefoy eut envie, en voyant son ennemi, de lui jeter quelques méchants sorts et autres Maléfices Cuisants. Mais Potter semblait sur le qui-vive et jouait négligemment avec sa baguette, ce qui était certainement une ruse pour riposter plus vite. Seul, Drago n'avait aucune chance, le vaurien étant puissant voire même redoutable. Chacun avait pu s'en rendre compte lors des démonstrations organisées par le Professeur Fiertalon. Bien entendu, dès que les autres arriveraient, la donne changerait…
Théodore Nott fut le second élève à arriver après Malefoy. Derrière lui, le troupeau en robes de sorciers s'avançait lentement, alourdi par les sacs de cours. Théodore venait de se faire rembarrer méchamment par Hermione qui était encore là pour le moment. Pour cette raison, il était rouge de colère et fulminait en ressassant son infortune.
— POTTER ! hurla le Serpentard. Je croyais qu'on t'avait dit qu'on ne voulait pas de toi ici !
Avant qu'il n'ait eu le temps de poursuivre sa diatribe, Hermione lui sauta au visage :
— NOTT ! TU VAS LAISSER HARRY TRANQUILLE ? OU JE TE PRÉVIENS, ÇA VA MAL FINIR !
Les yeux noirs de la brunette lançaient des éclairs alors qu'elle brandissait sa baguette magique en direction du jeune inquisiteur. Derrière elle, l'encadrant presque, Dean et Seamus se tenaient prêts, la mine sévère et les yeux froids. Lavande et Parvati semblaient terrifiées de ce qui allait probablement se passer. Le reste des élèves qui venait d'arriver dans le couloir jugea bon de rester à l'écart. Quasiment aucun d'eux n'oserait montrer une quelconque animosité envers Harry sachant de quoi il était capable.
— Moi je m'approche pas, murmura Parkinson à Bulstrode. Potter c'est un cinglé. Non mais tu te souviens Milli, quand il a blessé Fiertalon au premier cours ? Et ce con n'avait même pas fait exprès ! Nan ! On lui montre un sort, il le fait pour essayer et paf ! Ça traverse le bouclier du prof qui doit aller se faire recoller les morceaux à l'infirmerie ! Un Auror, entaillé comme un bout de Cheddar ! Même pas en rêve que je m'approche du Balafré sans la Brigade au grand complet !
— T'as raison, renchérit Millicent en lorgnant le Gryffondor incriminé du coin de l'œil. Je vais pas plus loin tant que le prof a pas ouvert la porte.
Méfiante, tenant son sac de livres et parchemins contre sa large poitrine tel un dérisoire bouclier, Millicent Bulstrode resta en arrière, tout comme Pansy Parkinson. Les deux filles regardèrent les autres élèves Serpentard et Gryffondor les dépasser sans chercher à les suivre.
— Regarde Drago, fit Pansy du bout des lèvres. Et ce gros benêt de Nott ! Ils cherchent des noises au Balafré, ça se voit comme le nez au milieu de la figure !
— Je serais eux, je me méfierais… Saint-Potter n'a plus rien à perdre, il va devenir méchant. Ils sont bien bêtes s'ils ne s'en rendent pas compte. C'est l'évidence même !
Les paroles de Pansy et Millicent semblaient prémonitoires car Nott, surprenant un peu tout le monde quand même, jeta un Maléfice de Jambencoton à Harry. Celui-ci plus rapide et précis répliqua par un violent Repulso qui envoya le Serpentard valdinguer à l'autre bout du couloir, entraînant avec lui Crabbe et Goyle qui amortirent sa chute. Des cris se firent entendre lorsque les autres membres de la Brigade pointèrent tous leurs baguettes sur Harry en même temps et que celui-ci, les yeux glacés et la bouche pincée, lança un très joli Maléfice de Miroir inconnu du commun des sorciers. Ce sortilège très simple au demeurant et aussi très utile réexpédiait à l'envoyeur tous les sorts mineurs et peu puissants. Sympa pour des petites blagues de potaches, mais pas vraiment utile normalement en duel… sauf pour un sorcier aussi puissant qu'Harry Potter car là, il renvoyait quasiment tout.
— C'est tout ce que tu peux faire ? ricana Malefoy un peu trop sûr de lui. Tu es pitoyable, Potty !
— Ventus Maxima ! Expelliarmus ! Veracrassus ! lança alors le jeune banni en faisant un mouvement large avec sa baguette de houx, alors qu'il entendait Hermione crier quelque chose également.
— Locomotor Mortis ! faisait-elle en visant Nott qui venait de se relever furibond et allait retourner se jeter sur sa cible du moment.
Alors que Malefoy, Zabini et quelques autres victimes collatérales étaient propulsés vers le plafond de pierre par un souffle violent, désarmés et pour finir transformés en veracrasses bien gluants dès qu'ils retouchaient le sol, Théodore Nott, les deux jambes paralysées par le sort d'Hermione retombait par terre avec un grand ouille que tout le monde entendit. Dean et Seamus, en voyant les veracrasses grouiller sur les dalles de pierre, leurs lancèrent des Maléfices Cuisants avec des cris de joie. Les autres élèves, méfiants, reculèrent, choisissant la prudence la plus élémentaire.
Un bruit de pas résonnant sur les pavés de pierre se fit entendre de l'autre côté de la porte qui s'ouvrit avec violence. Ed Fiertalon avait entendu les bruits de la joute magique en sortant de son bureau situé au fond de sa salle de classe.
— QU'EST-CE QUE C'EST QUE CE BORDEL ? fit-il, les yeux écarquillés en levant les pieds pour éviter de les mettre dans la bave qui engluait le dallage du couloir.
— C'est Potter ! répondit Lavande d'une voix tremblante. Il a transformé les Serpentards en veracrasses.
— Cafard ! siffla l'incriminé entre ses dents.
Fiertalon jugea la scène d'un coup d'œil expert. Six veracrasses lui barraient le chemin, Nott gémissait, allongé sur le sol en se tenant le nez à deux mains, les jambes visiblement paralysées par un Bloque-Jambes et Harry Potter, les joues rouges et les yeux brillants de colère, brandissait dans sa main gauche un bouquet de baguettes magiques obtenues de toute évidence par un désarmement en règle.
Le professeur lui jeta un regard lourd et soupira, puis négligemment il agita sa baguette vers l'ensemble des élèves.
— Finite Incantatem… Nott, allez voir Madame Pomfresh, les autres si vous n'avez rien, entrez, le cours va commencer dans deux minutes. Et je ne veux rien entendre ou il vous en cuira ! D'ailleurs, dix points en moins par élève qui se trouvait dans ce couloir ! Je me fous de qui a fait quoi ! Les duels sont interdits dans les corridors, je vous le rappelle ! Potter, rendez leurs baguettes à vos camarades, je vous prie.
— Oui, Professeur, dans une minute, accepta Harry sans sourciller.
Les veracrasses étaient redevenus humains, et moulus, égratignés, décoiffés et débraillés, ils tentaient de se relever en se soutenant les uns les autres, tout en gémissant à cause des Maléfices Cuisants qui les faisaient souffrir.
Le jeune Gryffondor aux yeux verts, Hermione, Dean et Seamus furent les derniers à entrer dans la classe en arborant un large sourire de satisfaction. Harry avait conjuré un énorme baquet, l'avait rempli de bouse de dragon au vu de l'odeur répugnante et avec l'aide d'un Wingardium Leviosa, y avait plongé le lot de baguettes capturées.
Il annonça à la cantonade qu'il avait laissé les baguettes des Serpentards dehors et que s'ils les voulaient ils devraient aller les chercher là où elles étaient.
Des protestations bruyantes se firent entendre aussitôt que le « rangement organisé » par Harry fut connu. Fiertalon dut encore balancer des retenues à tour de bras puis retirer une quantité pharamineuse de points pour obtenir le calme. Un volontaire fut chargé d'aller magiquement les aider à récupérer leurs baguettes, Harry ayant refusé d'annuler sa petite installation et personne n'ayant réussi le faire. Nott, à peine revenu de l'infirmerie, avait donc dû utiliser sa baguette pour récupérer celles trempant dans la bouse et ensuite les nettoyer avant de les rendre à leurs propriétaires qui attendaient avec impatience et inquiétude de récupérer leurs biens respectifs.
Lorsque Severus Rogue transplana vers sa ville natale de Carbone-Les-Mines, il émergea dans l'étroite ruelle qui séparait sa maison de celle d'à côté. Le ciel était gris anthracite et un déluge auquel le sorcier ne s'attendait guère semblait avoir décidé de noyer le comté. Le vent violent accompagnant la pluie diluvienne fit vaciller l'homme et malmena ses robe et cape alors qu'il cherchait la grosse clé moldue de la porte d'entrée au fond de sa poche. Alors qu'il débloquait le vieux panneau de bois d'un coup d'épaule, une rafale un peu plus violente fit déborder la gouttière passablement bouchée et son contenu atterrit sur lui, le trempant de la tête aux pieds comme s'il était tombé dans le Lac Noir.
Grelottant, dégoulinant et furieux, le sorcier pénétra dans la vieille maison plongée dans la pénombre et referma avec difficulté la porte d'entrée dont le bois gonflé raclait la pierre de seuil. D'un mouvement de baguette agressif, il se sécha et ensuite visa la vieille ampoule grillée qui trônait solitaire sous un vieil abat-jour poussiéreux en tôle piquée de rouille.
Une maigre lueur blafarde éclaira alors ce qui fut autrefois le salon d'Eileen Prince et de Tobias Rogue.
Des bibliothèques lourdement chargées et parfois ployant sous les livres garnissaient l'intégralité des murs de la pièce. Des tas de grimoires poussiéreux étaient même empilés un peu partout faute de place pour les ranger. Près de la cheminée garnie d'un antique foyer de bronze vert foncé se trouvaient un vieux fauteuil de tissu écru complètement râpé et une lampe de lecture à l'abat-jour de tôle vert foncé. Elle était relativement récente mais devait quand même être alimentée par magie, la maison n'ayant plus d'abonnement à British Energy depuis la mort de Tobias.
Une bonne couche de poussière ne datant pas d'hier recouvrait la totalité des surfaces de la pièce et il fallait le dire, de la maison. Le vieux plancher en était gris, le miroir ovale accroché à un clou à la hotte de la cheminée était si sale que rien ne se reflétait plus dedans depuis des lustres. Sur la tablette en dessous, une vieille pendule mécanique de cuisine datant des années cinquante était oubliée, ses aiguilles figées depuis une éternité.
Ce qui fit tiquer Severus, alors qu'il sortait sa malle et son carton de déménagement rétrécis de la poche de sa robe, ce fut l'odeur particulièrement désagréable de moisi, d'humidité et de champignons qui flottait dans la maison. Le vieux papier beige uni se décollait des murs et des auréoles plus que suspectes marquaient le plafond autrefois blanc. Une flaque se formait d'ailleurs au centre de la pièce, et ce n'était pas la première fois s'il tenait compte de l'aspect verdâtre du plancher à cet endroit. Le sorcier se pinça l'arête du nez entre le pouce et l'index et ferma les yeux puis il remit dans sa poche sa malle et son carton, ce n'était pas le moment. Il n'osait penser à l'état de la chambre au-dessus si les fuites du toit avaient traversé jusqu'au rez-de-chaussée.
Enjambant la flaque, il se dirigea vers la cuisine dont la porte de communication était ouverte. Là aussi la poussière et la vieille crasse régnaient en maître. Par la fenêtre aux vitres sales garnies d'un store vénitien aux lamelles crasseuses, Severus vit le déchaînement de la nature dans le maigre jardinet non entretenu. Le lilas décharné balançait ses branches dénudées devant la vitre et un éclair creva alors le nuage qu'on pouvait apercevoir dans le ciel au-dessus de l'appentis à demi-ruiné. Une araignée sortit de l'évacuation de l'évier et entreprit d'aller se cacher dans un trou de l'antique carrelage mural.
La porte de service donnant sur le petit jardin et la courette était depuis longtemps vermoulue, mais elle avait depuis peu perdu une partie de la planche qui en composait le bas et l'eau qui ruisselait entrait par le trou, inondant le carrelage sale. Une partie de la vitre de cette porte était manquante et le rideau de dentelle usée que Severus avait toujours connu à cet endroit passait à présent par ce trou, aspiré par les rafales de vent. Distraitement, le Serpentard lança un Reparo et le carreau se reconstitua. Ce serait un miracle que la réparation magique tienne, car les maisons moldues, surtout anciennes et mal entretenues comme celle-ci, réagissaient très mal à la magie. Pour qu'une demeure soit aisément réparable magiquement, il fallait qu'elle soit d'abord construite par une entreprise magique, et que des runes très particulières soient gravées dans les fondations et les murs porteurs lors de leur réalisation. Bien évidemment, ce n'était pas le cas du numéro 70, impasse du Tisseur…
Le Maître des Potions jeta un coup d'œil désintéressé sur les placards qu'il savait vides tout comme le vieux frigo General Electric de sa mère qui ne fonctionnait plus que par magie également, faute d'électricité. Severus pivota nerveusement sur ses talons et retourna dans le salon. Il visa de sa baguette l'une des bibliothèques. Celle-ci pivota sur des gonds invisibles dévoilant un escalier étroit qui grimpait à l'étage et un autre en plus mauvais état qui descendait jusqu'à une cave. Dédaignant le sous-sol, le sorcier monta au premier, le cœur serré d'appréhension. L'état du parquet du salon laissait présager des dégâts importants dans la pièce située juste au-dessus et qui était son ancienne chambre d'enfant, aménagée depuis en labo de potions.
Les étroites lattes de bois patinées et usées grincèrent sous ses pas lorsqu'il atteignit le palier. Baguette allumée brandie devant lui, car il n'y avait aucune source artificielle ou naturelle de lumière disponible, Severus vit que la peinture verte au plomb qui était là depuis la construction de la maison s'écaillait en larges plaques lépreuses certainement à cause de l'humidité ambiante. De sa main gauche tendue, il poussa la porte située de ce côté du minuscule couloir et resta sur le seuil de la pièce ainsi dévoilée, figé par l'émotion.
Cette chambre au papier fleuri totalement défraîchi et moisi avait été son refuge d'enfant puis d'adolescent. À la mort de ses parents, Severus avait investi leur chambre après avoir remplacé le mobilier avec sa première paye de Poudlard. La seconde pièce était donc devenue son labo de potions. Des tables et des paillasses ainsi que des placards de bois avaient été installés là. Chaque été ou presque il s'enfermait dans son labo et dans la solitude et le silence mijotait d'infâmes mixtures qui le réjouissaient et faisaient son orgueil. Le potionniste s'était attendu en revenant dans la maison à retrouver son labo dans l'état où il l'avait laissé l'été précédent celui-ci. Des fioles et des bocaux d'ingrédients devaient garnir étagères et buffets tandis que chaudrons et cornues auraient dû prendre la poussière sur les tables et paillasses. Mais aujourd'hui, ce n'était plus le cas. Lorsqu'il poussa la porte, Severus découvrit une catastrophe à laquelle il ne s'était pas attendue. Le plafond de fin lambris autrefois peint en blanc cassé s'était effondré sur les tables, détruisant ainsi les cornues, éprouvettes, chaudrons et becs bunsen laissés là. Une poutre s'était également brisée, complètement pourrie. Des tuiles du toit avaient roulé sur le plancher et les meubles. Comme il pleuvait à seau, l'eau ruisselait largement du plafond éventré. Severus s'approcha et leva les yeux pour se rendre compte qu'il voyait le ciel à travers le plafond défoncé. Visiblement, une partie du toit s'était effondré lorsqu'un chevron de la toiture avait lâché, brisant dans sa chute une des solives du plafond de l'ancienne chambre.
Tobias avait dû vouloir isoler quelque peu le grenier avec des cartons aplatis car ceux-ci, détrempé par l'eau, voire même pourris, s'étaient délités et pendaient aux lattes de bois brisées comme des lambeaux de peau arrachée.
Choqué par cette vision apocalyptique, Severus recula, livide. Lorsque son dos heurta le mur près de la porte, il se laissa tomber sur le plancher et remonta ses genoux contre sa poitrine. Alors son regard quitta le plafond éventré et il baissa la tête pour la dissimuler entre ses mains.
La maison était une ruine même plus habitable en l'état actuel des choses. S'il avait dû attendre l'été suivant pour y revenir, il y avait fort à parier que le toit se serait totalement affaissé et qu'il aurait perdu toutes ses maigres possessions.
Et c'était ici qu'il était dorénavant condamné à vivre ? Sans or, sans emploi ? Sans avoir les moyens financiers et matériels pour réparer la maison menaçant de s'effondrer à tout instant certainement ? Seul et sans Harry ?
Pour la première fois depuis très longtemps, le désespoir le plus total et le plus sombre l'envahit alors. Après tous ses efforts, tout ce qu'il avait enduré depuis sa plus tendre enfance, après avoir enfin trouvé quelqu'un avec qui partager un avenir commun, après avoir enfin trouvé l'amour, il se retrouvait dans la même situation ou presque qu'un sans domicile-fixe moldu.
Pour la première fois depuis des années, Severus Rogue pleura.
À Poudlard aussi le ciel était plutôt gris et menaçant lorsque Harry et ses amis sortirent du château pour se rendre à la cabane d'Hagrid. Il était onze heures et le cours de soin aux créatures magiques allait bientôt commencer.
Tout en marchant dans l'herbe bien grasse, Harry ne pouvait s'empêcher de penser à Severus dont il était séparé depuis – allez… pas tout à fait trois heures. Trois heures de trop pour lui qui commençait à en ressentir les effets néfastes sur son corps et sa magie bien qu'il n'en soit pas encore conscient.
Hermione, elle, avait bien entendu remarqué la mine pâle et soucieuse de son meilleur ami.
— Tout va bien, Harry ? demanda-t-elle en fixant le visage défait du garçon et surtout son front où curieusement quelques gouttes de sueur perlaient alors que la température était clémente voire un peu fraîche.
— Ouais, ouais… j'y pense juste, tenta-t-il de la rassurer.
Et plus le jeune sorcier aux yeux verts pensait à son amant tout seul dans sa vieille maison si loin de Poudlard, plus son estomac pesait lourd et sa respiration se faisait difficile. La vue d'Hagrid, amical et souriant à l'extérieur de sa cabane lui redonna un peu de courage, jusqu'à ce que suffisamment près, Hermione identifie avec un cri outragé, la créature que le demi-géant tenait en laisse.
— Une… une Chimère ? Par Merlin ! Mais à quoi pense-t-il, il est fou ? Une créature classée cinq croix de dangerosité, ici dans Poudlard ! Et sans barrières, ni protections ! Une laisse ! Il tient une satanée Chimère en laisse ! Je vais le tuer !
Comme la jeune brunette partait en courant vers le fautif, baguette au poing, Harry entendit Dean rire derrière lui.
— Ça y est, Seam' ! Hermione est partie en croisade, on n'a pas fini d'en entendre causer, j'te l'dis, mec…
— Ouais, mais là elle a raison ! Putain, moi je m'approche pas. J'ai pas envie de m'faire bouffer comme ce joueur de Quidditch là, qui s'est fait mettre en pièces pendant ses vacances en Grèce. C'est pas que ma peau soit terrible, mais j'en ai qu'une et j'y tiens ! Bordel, y a des fois, Hagrid y yoyotte dur de la yaourtière !
Harry ne put s'empêcher de sourire en entendant ses deux amis derrière lui et comme il estimait qu'ils avaient raison tout comme Hermione qu'il voyait s'agiter devant un Hagrid penaud, il résolut de ne pas s'approcher non plus de trop près et s'immobilisa à une vingtaine de mètres de la cabane de pierres du demi-géant. Dans les cinq secondes qui suivirent, il fut si violemment bousculé qu'il se retrouva à plat ventre le nez dans l'herbe et les lunettes de travers avec une douleur sourde dans le dos. Un ricanement et une voix traînante bien connue se firent alors entendre.
— Tu tiens pas sur tes jambes, Potty ? Ah c'est vrai, toi tu préfères les écarter pour te faire défoncer le cul !
Alors qu'il remettait ses lunettes droites pour voir ce qui se passait, Harry perçut vaguement deux silhouettes encore troubles qui se jetaient sur celui qui venait de lui balancer ces insanités. À genoux, sans un mot et stoïque, il ramassa son plumier tombé de son sac de cours et qui s'était ouvert dans sa chute, libérant les plumes et leur petit couteau taille-plumes. Encore une chance que sa bouteille d'encre toute neuve soit incassable. Lorsqu'Harry se releva, sac de cours de nouveau en bandoulière, il toisa impassiblement Drago Malefoy qui se relevait également, les cheveux ébouriffés, les vêtements dérangés et saignant du nez copieusement sur sa chemise blanche. Baguettes en main, Dean et Seamus tenaient en respect Théodore Nott qui tentait de s'approcher de Malefoy.
— Dégage, Nott, ou on te colle un pain moldu dans le pif, tu pourras ainsi comparer avec un Bour'Pif et en discuter avec ton pote, ricana l'Irlandais.
— Mais moi j'le trouv' bien le sort du Bour'Pif, protesta Dean en s'admirant les ongles de la main gauche. On s'fatigue moins, et pis on a pas mal aux phalanges après…
Le jeune Gryffondor aux yeux verts ne put s'empêcher d'esquisser un petit sourire amusé en entendant les réflexions très naturelles de Dean. Le jeune noir avait l'habitude de dire tout ce qui lui passait par la tête et de façon toujours très fleurie. Encore une fois, il ne dérogeait pas à sa règle et d'ailleurs Seamus copiait de plus en plus son attitude. Harry fit un petit signe de tête un peu las à ses deux amis et se retourna pour reprendre, sans se presser, le chemin à travers la prairie afin de rejoindre Hagrid toujours en train de se faire remonter les bretelles par Hermione. Il aspira une large bouffée d'air, espérant ainsi calmer cette sensation étrange qui le prenait à l'estomac depuis qu'ils avaient quitté le cours de Défense d'Ed Fiertalon. Par la barbe de Merlin, il avait l'impression d'avoir avalé une brique tant la sensation était déplaisante. Et puis s'il voulait être honnête, ses sueurs froides et ses bras commençant à trembler n'étaient pas agréables non plus. Il ne manquerait plus qu'il ait attrapé la grippe ! Un 22 septembre ! Pfff… Au fait, peut-être qu'Hermione avait de la Pimentine dans son sac de cours…
Debout devant la fenêtre de son bureau donnant sur le Lac Noir, Albus ouvrit sa montre d'un coup d'ongle acéré et pointu. Ce geste nerveux, il le faisait presque toutes les dix ou quinze minutes depuis le départ de son Maître des Potions. Comme à son habitude, il surveillait le bien-être de ses deux jeunes gens préférés et ce que la montre lui révélait à chaque fois ne lui plaisait pas du tout, bien évidemment. Oh, ce n'était pas qu'il soit surpris, non. Il savait fort bien que Severus et Harry étaient épris sincèrement l'un de l'autre – pas qu'il n'en eut jamais douté – mais il semblait qu'ils vivaient tous deux assez mal leur séparation et ceci de façon bien plus rapide qu'il ne l'aurait pensé. Sa plus grosse surprise avait quand même été de découvrir précédemment que Severus pleurait, profondément déprimé tandis qu'Harry avait une aiguille sur « malade » et une autre sur « triste ».
Malade ? Si cela persistait, Poppy Pomfresh aurait certainement la visite du garçon et remédierait rapidement à ce malaise passager. Après tout, ça ne devait pas être si grave que ça, Harry et sa classe étaient en cours avec Hagrid, là… sous ses yeux.
Mais quelle était cette créature que le demi-géant avait apportée pour son cours ?
Ce n'était quand même pas… ? Non ! Il n'avait pas osé faire ça ?
— Fumseck ? Tu veux bien m'apporter mes multiplettes qui sont sur la table près de ta perche ? Je voudrais vérifier… un truc…
La situation ne s'améliora pas vraiment pour Harry Potter au cours de la journée. Au déjeuner servi dans la Grande Salle il mangea à peine, ce qui en soit n'était pas vraiment une nouveauté. Ce qui alerta Hermione, assise en face de lui, ce furent sa mine pâle, ses yeux cernés et les gouttes de sueur coulant de son front jusqu'à ses joues mal rasées. Le jeune homme regarda les plats proposés avec un air dégoûté tout en se serrant le ventre entre ses bras croisés. Ce geste n'échappa pas non plus à la brunette qui s'en inquiéta ouvertement.
— Harry ? Tu n'as pas l'air d'aller vraiment mieux. La Pimentine n'a pas suffi, on dirait. Il faut que tu ailles voir Madame Pomfresh ! Tu ne peux pas rester comme ça…
— Tu as raison, soupira le Sauveur, je sais pas ce que j'ai chopé, mais ça me met les boyaux en vrac. Je commence à être hyper mal… Ça va être dur de se concentrer cet après-midi en potions. Surtout qu'on va avoir le nouveau prof… Je vais encore faire mauvaise impression…
— Comme si tu t'étais jamais soucié de ça, pouffa la jeune sorcière en réprimant un fou rire qu'elle sentait venir. Selon le Professeur McGonagall avec qui j'en parlais ce matin après le cours, Horace Slughorn adore les célébrités et la dernière fois qu'il a enseigné ici, il avait créé une sorte de club très fermé, réservé à l'élite des élèves de l'école. Malheureusement, il ne les triait pas toujours par leurs notes ou leur mérite personnel, mais par la fortune et la renommée de leurs parents ou famille. Tu auras toute sa bienveillance, crois-moi !
— Mouais… maugréa Harry, pas vraiment ravi de la nouvelle. Encore un truc pour me faire remarquer un peu plus. Ron m'aurait pourri la vie s'il avait été encore là.
— C'est un fait… On en aurait entendu parler pendant cent sept ans. Tu es sûr que tu ne veux pas un peu de ces choux de Bruxelles ? Avec cette sauce au Cheddar, ça ne doit pas être mauvais… Surtout si je prends également des côtelettes d'agneau à la menthe… Mmmm…. Miam !
À l'énoncé de ces agapes prévues, Harry sentit son cœur se soulever et se leva brutalement du banc. Son amie le regarda avec surprise, une cuillère de service dégoulinante de sauce à la main.
— Harry ? Ça ne va pas ?
Hermione n'eut pas de réponse. Les sourcils froncés, elle vit son meilleur ami, la main sur la bouche se précipiter en courant vers les Grandes Portes et la sortie.
— Ben dis-donc, ça a pas l'air d'aller fort, Ry, aujourd'hui, marmotta Seamus la bouche à demi-pleine. Il avait mauvaise mine t'à l'heure en soins aux créatures. Ch'croyais qu'c'était à cause de la nouvelle bestiole d'Hagrid, moi.
— Je lui ai donné une Pimentine que je gardais dans mon sac de cours pour les cas d'urgence, mais on dirait que ça n'a pas suffi, soupira Hermione, déçue. J'espère que ce n'est pas une grippe ou un truc du genre.
Seamus se mit à rire tout en tendant son bras vers le plat de côtelettes afin de s'en saisir.
— Hermione… Hermione… Rappelle-moi, t'es bien une sorcière, nan ? T'as encore oublié que les sorciers sont immunisés contre la grippe moldue. On a bien assez de merdes comme ça l'hiver, nous autres, sans choper encore en plus les cochonneries des Moldus.
— Je ne pensais pas à la grippe moldue, Seamus, protesta la brunette agacée, mais à une pathologie magique du même style !
— Une pathoquoi ?
— Laisse tomber, Seam' pouffa Dean écroulé de rire.
Hermione abandonna toute idée de discussion avec l'Irlandais inculte et concentra son attention sur la table des professeurs, tout en portant une fourchette distraite à sa bouche.
Albus Dumbledore avait suivi du regard la fuite inattendue d'Harry Potter. Sa montre magique avait affiché toute la matinée que son petit protégé était indisposé et même « malade » et visiblement c'était un fait exact. Il lui avait semblé que le garçon avait été tout prêt de vomir. Se pouvait-il qu'il ait mangé au petit déjeuner quelque chose qui n'avait pas passé ? Un coup d'œil sur la foule estudiantine lui appris rapidement que les élèves ne semblaient pas incommodés d'une quelconque façon. Le cas Potter devait être un cas isolé. C'était bien dommage que Poppy Pomfresh ait décidé de boycotter la Grande Salle pour son repas de midi, car il l'aurait interrogée aussitôt sur ce sujet. Le vieil homme tourna la tête vers sa sous-directrice qui mangeait une part de l'abominable Haggis[1]que les elfes avaient eu l'audace de servir exclusivement à la table des professeurs pour faire plaisir à la redoutable Écossaise. Comment Minerva pouvait-elle ingurgiter une telle mixture ? Et en plus en se délectant et en l'arrosant copieusement de Whisky Pur Feu Vieil Ogden…
— C'est bon ? lui demanda-t-il d'un air suspicieux et dubitatif.
— Délicieux, mon cher Albus !
Et Minerva retourna à sa passionnante conversation avec Flitwick sur les mérites des chats Scottish Fold dont elle raffolait tout comme lui. Albus jeta son dévolu sur les côtelettes d'agneau plébiscitées par Hermione Granger à la table des Gryffondors mais évita la sauce à la menthe, se rabattant sur une banale et ô combien rassurante purée de pommes de terre. Après avoir reposé les plats devant lui et avant de se saisir de ses couverts d'argent massif, le Directeur ouvrit encore une fois sa montre et soupira. Les aiguilles de Severus indiquaient toujours « déprimé » et « triste », tandis que celles d'Harry étaient toutes plantées sur la mention « malade ». D'un coup d'ongle agacé il referma le boitier d'or et rangea la montre dans l'une des poches de sa robe. Se saisissant de sa fourchette et de son couteau il jeta un regard distrait vers sa voisine en soupirant dans son for intérieur.
° Du Haggis… par Merlin… Du Haggis… Comment arrive-t-elle à avaler un étouffe-moldu pareil ? °
— Mais enfin Poppy ! Vous avez bien une petite idée sur ce qui se passe, tout de même ?
Mains posées sur les hanches, Albus Dumbledore se tenait devant le lit d'hôpital du malheureux Harry Potter. Celui-ci semblait en proie à une violente fièvre et délirait, couvert de sueur. De temps en temps, il échappait à la main fraîche qui lui bassinait le front avec un linge mouillé et se tordait dans le lit en piaillant de douleur.
À la question du Directeur, la médicomage leva les yeux vers lui un instant et haussa ses maigres épaules pour indiquer qu'elle ne comprenait rien à l'état du jeune homme immobilisé sous les drap et couvertures.
— Mes scanners magiques ne décèlent rien d'anormal. Enfin, tout du moins, rien qu'ils ne connaissent. Ce qui indique que ce n'est pas une maladie normale. Pas de microbe, pas de virus, pas de pathologie d'un sortilège ou d'effet secondaire d'une potion. J'ai interrogé Horace tout à l'heure après ses cours et il affirme qu'il n'a jamais rien vu de pareil et que ce n'est pas dû à une potion. Il n'a pas tort, si c'était une potion nos scanners magiques l'indiqueraient obligatoirement. Et vous le savez très bien, Albus, insista la maîtresse des lieux. Et ne me demandez pas si c'est une maladie moldue, vous savez également que nos sorts les détectent.
— Vous avez vu à quelle vitesse son état s'est dégradé ? protesta Dumbledore plus qu'inquiet et dont les yeux bleu pâle ne pétillaient plus du tout. Ce matin, je l'ai aperçu dans un couloir il était juste un peu pâlichon. À midi, il était nauséeux puisque je vous ai raconté qu'il avait fui la Grande Salle la main devant la bouche et sans avoir déjeuné. Or vous m'affirmez qu'à l'heure du thé il ne tenait plus debout et qu'Horace inquiet l'a lui-même conduit ici sur un brancard magique. C'est plutôt incroyable et même dérangeant. J'ai interrogé Miss Granger, Monsieur Potter n'a rien mangé de la journée à part une tasse de thé ce matin et deux malheureux toasts selon ses dires. Elle lui a fourni une Pimentine au milieu de la matinée et à sa demande.
— Le scan n'indique aucun poison non plus, précisa Madame Pomfresh qui en perdait son latin.
— C'est Dobby qui a préparé le petit déjeuner que Severus et Harry ont pris ce matin dans les cachots. Il n'aurait jamais empoisonné Harry, il l'adore et lui est plus que fidèle.
— Ah bon ? Monsieur Potter a passé la nuit dans les cachots ? Minerva m'a expliqué les soucis qu'elle a eu hier soir avec ses lions. Mais quand même Albus, vous êtes gonflé d'avoir autorisé ça ! Et si ça s'était su, hein ? Vous auriez eu une émeute sur les bras ! Vous savez bien que Dolorès est prête à tout pour vous nuire et d'ailleurs nuire à tout le monde ici-bas.
Le vieux sorcier en robe à fleurs n'eut pas le loisir de répondre. Dès la mention du prénom de Severus, Harry avait commencé à s'agiter. À présent il gémissait ce même prénom entre deux sanglots ce qui fit écarquiller les yeux à Poppy.
— Mais enfin, calmez-vous, Monsieur Potter, dit-elle avant de plonger le gant de toilette qu'elle tenait dans une cuvette d'émail blanc remplie d'eau froide. A-t-on idée de se mettre dans des états pareils pour si peu, franchement !
Si peu ? Albus leva un sourcil amusé en entendant la sorcière. Comme toutes les femmes de sa génération – et des autres – elle avait été mariée sans que son avis ne soit sollicité, à un sorcier falot et sans personnalité, bien plus âgé qu'elle et qui n'avait même pas su lui donner d'enfant. À son décès, elle avait repris la profession qu'elle exerçait durant son célibat puis était venue travailler à Poudlard à la demande de Dumbledore. Oh, son mariage n'avait pas duré bien longtemps. Cinq années seulement… Et elle n'avait même jamais songé à convoler de nouveau. Alors l'amour… il y avait bien peu de chance qu'elle y connaisse quelque chose. Il était même étonnant qu'elle ne soit pas complètement hors d'elle et dégoûtée des agissements de l'ex-Maître des Potions et de son Gryffondor autrefois haï. Peut-être l'était-elle, mais elle avait le bon goût de garder ses opinions pour elle-même.
Le Professeur Dumbledore était vraiment inquiet, bien plus qu'il ne le montrait actuellement. Lorsque Horace Slughorn était venu le prévenir qu'il avait lui-même convoyé Harry Potter à l'infirmerie et sur une civière, s'il vous plaît, son cœur avait fait un bond dans sa vieille poitrine maigrichonne. Le potionniste obèse ressemblant à un morse avec sa grosse moustache avait semblé très déçu de la fragilité apparente du Garçon-qui-avait-survécu. Fidèle à lui-même, Horace avait espéré rouvrir le fameux Club de Slug dès son arrivée ce midi même au poste précédemment occupé par le réprouvé Severus Rogue. Harry Potter y aurait été un membre de choix et sa présence aurait auréolé de prestige le vieux Maître des Potions malgré la condamnation récente et la révélation de l'infamie du garçon et de son anormalité. Le crime de bougrerie, par Merlin ! Et avec Severus Rogue, encore en plus ! Mais à quoi ces jeunes gens pensaient-ils donc ?
Mais bon, si on y réfléchissait bien, ils étaient tous deux des Sangs-Mêlés, ça devait être la raison de cette déviance qui – il en était certain – n'existait pas chez les Sangs-Purs. On avait beau dire ce qu'on voulait mais le sang moldu et celui des sorciers nés-moldus n'arrangeait pas les familles magiques de vieilles souches. Tout cela était terrible et les anciennes façons se perdaient. Autrefois ces mésalliances n'étaient même pas envisageables… Ah, si Salazar était encore de ce monde ! Que de choses aurait-il changées ! Et Godric n'aurait rien pu y redire !
Albus Dumbledore connaissait Horace Slughorn depuis presque quatre-vingt ans, il savait ce que le Serpentard pensait des mésalliances engendrant des Sangs-Mêlés vindicatifs et dangereux, épris de Magie Noire, élevés dans deux mondes trop différents et incapables donc de trouver leur véritable place et d'embrasser, sans se fourvoyer, les traditions ancestrales qui faisaient la grandeur du Monde Magique. Les ans n'avaient pas changé le vieux Professeur de Potions qui avait été depuis une quinzaine d'années un oisif fort ravi de son état de retraité. En vérité c'était un miracle qu'il ait accepté de façon impromptue de dépanner Albus quelques semaines, le temps qu'il dégotte un nouvel enseignant plus jeune, dynamique, et compétent. Par les chaussettes de Merlin, Severus allait être très difficile à remplacer, et il allait lui manquer malgré son caractère ombrageux et son manque flagrant de pédagogie.
— Poppy, je ne peux pas rester plus longtemps, j'ai des tas de choses à régler avec le départ du Professeur Rogue et le retour du Professeur Slughorn.
— Je m'en doute, répondit la médicomage en hochant sa tête surmontée de la coiffe blanche traditionnelle de sa corporation.
— Tenez-moi au courant si jamais son état s'aggravait surtout.
— Je n'y manquerai pas, ajouta la sorcière avec le plus grand sérieux tout en bassinant le front brûlant de son patient avec le gant de toilette mouillé et froid.
Après un dernier regard à Harry, Dumbledore se dirigea vers la cheminée de la pièce, y jeta une poignée de poudre de cheminette et se lança dans les flammes vertes en donnant l'adresse de son bureau.
Il n'était pas 19h30 lorsque le Directeur de Poudlard refit son apparition dans l'infirmerie du premier étage, rappelé par une Poppy Pomfresh à la limite de la panique. Dans la vaste salle aux voûtes gothiques où les rangées de lits s'alignaient, Minerva McGonagall livide était déjà présente, accompagnée par Horace Slughorn qui semblait totalement perplexe et regardait autour de lui tout en soutenant l'enseignante de métamorphose. Le spectacle figea un instant Dumbledore qui resta planté au sortir de la cheminette, les sourcils froncés. Il fallait dire qu'il y avait quand même de quoi ! Des volutes de magie pure ressemblant à une légère fumée couleur d'orage mais parfaitement visible émanaient du corps du jeune sorcier délirant qui s'agitait et gémissait dans son lit en sanglotant. Son visage était blême, ses yeux cernés de noir, une sueur malsaine et aigre trempait le pyjama rayé style Azkaban dont Poppy l'avait affublé. La magie s'échappant du corps du jeune sorcier était agressive et menaçante. Repérable à cause de son aspect brumeux, on la voyait bousculer les meubles, les objets qui garnissaient la pièce, pousser les lits contre les murs et même heurter les grandes vitres dont les carreaux commençaient d'ailleurs à se fendre avec des claquements secs. L'air crépitait autour des professeurs et de la médicomage. Leurs cheveux se hérissaient et les flacons de potions enfermés dans l'armoire s'entrechoquaient avec des bruits cristallins.
— De la magie pure et matérialisée… s'extasia le Directeur dans un souffle, j'en avais entendu parler dans ma jeunesse, mais je n'en avais jamais vu. C'est magnifique !
— Et surtout très dangereux, pesta la médicomage. Par la barbe de Merlin elle va tout casser ! Il faut calmer Potter, sinon nous allons être blessés, ou pire !
— Qu'est-ce qui se passe, Albus ? fit Minerva d'une voix inquiète en se précipitant vers le nouvel arrivant, j'ignorais que la magie accidentelle pouvait se voir, car il s'agit bien de cela, n'est-ce pas ?
— Reculez, Minnie, recommanda le rondouillard Maître des Potions dont la toque verte penchait dangereusement sous l'émotion. Nous ne savons pas de quoi il est question ici, c'est la première fois que j'assiste à un tel spectacle et d'ailleurs je n'en ai jamais entendu parler non plus.
— Ce n'est pas de la magie accidentelle, Minerva, expliqua Albus en s'approchant à grandes enjambées. Je pencherais au contraire pour une forme de magie extrêmement consciente. Regardez ces volutes, elles cherchent exprès à faire du bruit, à casser, à bouleverser comme pour hurler une protestation qu'elles sont incapables de formuler autrement.
— Mais enfin, Albus, Potter a une langue, non ? s'énerva Poppy qui craignait de voir son infirmerie détruite. Il est parfaitement capable de s'exprimer, alors que ne le fait-il ?
— Je crains que l'état d'Harry ne soit dû à un profond choc psychologique et que sa magie ait décidé de nous faire savoir qu'elle n'est pas du tout d'accord avec ce qui se passe actuellement. Monsieur Potter a été jugé, maltraité et même banni et trahi par ses pairs. Il a été séparé de force de la personne qu'il aime le plus au monde… Ne vous étonnez pas qu'une magie aussi puissante trouve le moyen d'exprimer son courroux.
— La personne qu'il aime… le plus… balbutia Slughorn soudain empourpré et fort mal à l'aise. Tu veux parler de Severus, je présume…
— Exact, mon cher ami.
— Severus Rogue aura décidément eu toute sa vie le chic pour s'attirer les pires ennuis. Lorsqu'il était élève ici il était parmi les plus mal aimés, et quadragénaire on le retrouve acoquiné imprudemment avec le Sauveur dans une relation interdite, pesta le Directeur des Serpentards.
— L'amour, Horace…
— Il a bon dos, cet amour, Albus ! Et quand on est un sorcier honorable on ne cède pas à ces pulsions contre-nature !
Dumbledore toisa Horace par-dessus ses lunettes en demi-lunes d'un air sévère. Qui ce vieux morse acariâtre espérait-il berner? Albus aurait parié sa réserve de bonbons au citron que si Slughorn se planquait depuis des décennies dans le monde Moldu c'est qu'il avait des choses à cacher au Ministère de la Magie… comme une orientation sexuelle particulière[2]… lui aussi.
— Hypocrisie, quand tu nous tiens… songea Dumbledore, agacé.
Puis il poursuivit à haute voix cette fois tout en s'approchant du jeune sorcier haletant et à la limite de l'inconscience, étalé sans défense dans le lit de fer à la peinture grise écaillée.
— Nous ne pouvons pas garder Harry ici.
— Sainte-Mangouste ? proposa aussitôt la médicomage avec un gros doute dans la voix.
— Non. C'est trop dangereux. Je vais le conduire là où il sera en sécurité et parfaitement heureux. Son état général s'améliorera dans les plus brefs délais, j'en mets ma barbe au feu ! DOBBY ?
Un « pop » typique de transplanage elfique se fit alors entendre, résonnant dans la vaste salle de pierre. L'Elfe préféré d'Harry Potter se matérialisa dans la pièce. Il était vêtu d'un vieux pull-over bordeaux tricoté main qui portait un H jaune sur le devant et qui avait été autrefois tricoté par Molly Weasley pour Harry. Il avait également un short de football vert pour enfant moldu trouvé on ne savait où et des bottes de caoutchouc roses à pois blancs.
— Professeur Dumbledore, Monsieur, a besoin de Dobby, Monsieur ? demanda le petit Elfe, avec un large sourire dévoilant ses grandes dents jaunes.
Avant qu'Albus n'ait eu le temps de répondre à Dobby, Minerva ne put s'empêcher d'intervenir pour un sujet lui tenant particulièrement à cœur.
— Vous allez faire partir Harry ? Mais alors, je vais perdre Miss Granger aussi ! Vous n'imaginez même pas le mal que j'ai eu pour la convaincre de rester ! Elle voulait partir tout de suite après l'arrestation d'Harry et Severus, appeler ses parents ! J'ai dû la supplier, Albus. Je lui ai promis que nous ne laisserions jamais Harry quitter l'école avant la remise des diplômes ou être renvoyé ! Si Monsieur Potter s'en va, je perds ma Préfète-En-Chef.
— J'en suis profondément navré, Minerva, mais je crains que nous n'ayons pas le choix.
— Mais… Albus… vous n'allez pas me faire ça ? Ma meilleure élève… c'est du gâchis !
— De toute façon, ce n'est pas plus mal, marmonna le vieux mage.
— Comment ? s'offusqua la Gryffondor, vous plaisantez j'espère ? Je ne vois pas ce qu'il y a de positif à perdre notre meilleure élève et avant qu'elle ne passe ses diplômes !
— Je ne me fais aucun souci pour Miss Granger, répondit Dumbledore en tapotant de manière rassurante l'épaule de la vieille femme. Elle a largement le niveau pour passer ses ASPICs en candidate libre dès la semaine prochaine si elle le souhaite. Mais nous en reparlerons plus tard… En attendant nous devons nous occuper d'Harry dont la situation est plus préoccupante.
Minerva hocha silencieusement la tête. Albus n'avait pas tort, Miss Granger était une jeune sorcière brillante et elle n'échouerait certainement pas. Mais elle allait lui manquer…
— Dobby, est-ce que tu saurais où se trouvent actuellement les affaires de Monsieur Potter, sa malle, son balai ? En bref, les possessions qu'il avait normalement dans son dortoir de Gryffondor.
L'Elfe se dandina d'un pied botté sur l'autre en hochant vigoureusement la tête.
— Dobby sait, Professeur Dumbledore, Monsieur. Harry Potter a réduit sa malle et son balai. Il les porte toujours sur lui ou dans son sac de cours.
— Merci, Dobby. Tu peux y aller à présent. Je t'appellerai si j'ai encore besoin de toi.
Dobby claqua aussitôt des doigts et disparut avec un petit bruit et un peu de fumée. Dumbledore se retourna alors vers la médicomage.
— Poppy, où sont les vêtements d'Harry ? Et son sac de cours ?
— Le sac est ici, entre le lit et la table de chevet. Ses vêtements sont dans le vestiaire de mon bureau. Potter essaie tout le temps de se débiner en douce lorsque je l'oblige à rester couché dans l'un de ces lits. Je n'ai pas le choix, je dois donc lui soustraire ses vêtements et sa baguette. J'ai cessé de le coller au matelas par un sort de glue lorsque j'ai compris qu'il n'oserait pas quitter l'infirmerie en pyjama rayé et pieds nus.
— Voulez-vous aller voir dans ses vêtements si sa malle et son balai réduits n'y seraient pas dissimulés. Je vais fouiller son sac. Nous devons nous assurer qu'il ne laisse aucune possession ici. Minerva, vous serez bien aimable d'aller à la volière pour expédier Hedwige chez Severus dès ce soir. Il ne faudrait pas que certains trublions n'aient l'idée saugrenue de s'attaquer à la chouette d'Harry.
— Mais enfin, Albus, objecta la Directrice des Gryffondors en affichant une mine offusquée, qui voudriez-vous voir attaquer cette pauvre bête ? Personne n'aurait cette cruauté !
— Je pourrais sans souci vous fournir une liste bien remplie mais je n'en ai pas le temps. Est-ce que malgré tout, ces deux noms vous suffisent ? Ronald et Ginevra Weasley… Ils en sont bien capables, croyez-moi ! Qui sait si Ronald n'a pas laissé des consignes à sa sœur ou bien aux membres de la Brigade de Dolorès avant son départ… voire à certains Gryffondors !
— Meuuuh non ! C'était juste un peu d'humeur de leur part, voilà tout. Mes lionceaux ne sont pas des criminels, ils sont juste sous influence : c'est Dolorès qui leur met des idées malsaines dans la tête, surtout à Ronald d'ailleurs. Je suis sûre que si j'en parle à Molly, elle va tout arranger.
— Oubliez cette idée, Minerva, croyez-moi. Vous n'avez pas assisté aux mêmes scènes que moi cet été. Molly n'a pas du tout le bien-être d'Harry en tête, je peux vous l'assurer. Ni celui de Miss Granger…
— Miss Granger, mais qu'est-ce – tenta la sorcière, surprise.
— Molly espère marier Ronald à Miss Granger, tout comme elle a tenté de fiancer sa fille Ginny à Harry en se servant de Sirius et Remus, alors qu'Arthur avait expressément désapprouvé cette initiative.
— Miss Granger avec Ronald Weasley ? Hors de question ! Cette fille est l'une des plus brillantes sorcières de sa génération, il est impensable de vouloir l'unir à ce… ce… protesta la digne enseignante, partagée entre sa fidélité aux Gryffondors de toutes les époques et son avis personnel sur le dernier fils de Molly.
— Je suis entièrement d'accord avec vous !
— Heuuu… Albus ? les interrompit Horace Slughorn en saisissant le Directeur par le coude. Quoi que tu aies en tête il faudrait faire vite pour Potter, parce que ça ne s'arrange pas de ce côté…
Les deux enseignants interrompus dirigèrent leurs regards vers la zone pointée du doigt par le vieux Maître des Potions. Les volutes de magie, habituellement bleu pâle d'Harry et qui sous la colère avaient viré au gris, devenaient de plus en foncées, tirant à présent vers un gris très foncé visuellement menaçant. Elles devenaient maintenant semblables aux émanations d'un volcan en éruption, roulant et ondoyant dans l'air afin de bousculer et même briser objets et mobilier.
— Poppy ! Allez donc vérifier dans les vêtements d'Harry si ses affaires sont réduites à l'intérieur et apportez-les. Vous tenez à ce pyjama ?
— Non, ils sont conjurés. Je les « evanesco » dès que mes patients n'en ont plus besoin, pourquoi ?
— Cela m'évitera la peine d'habiller notre jeune ami, ma chère Pompom.
Tandis que la maîtresse des lieux se dirigeait vers son bureau, Albus, sous les yeux attentifs de Minerva et d'Horace, se pencha vers la table de chevet, souleva par sa bandoulière un sac de toile marron passablement usé et le posa au pied du lit. Il entreprit d'en examiner le contenu, fouillant parmi les livres de cours et les rouleaux de parchemin. Le Directeur n'eut aucun mal à repérer la malle, réduite à la taille d'une grosse boite d'allumettes ainsi que le balai, guère plus long à présent qu'un crayon à papier moldu.
— J'ai trouvé, Poppy ! Dans son sac de cours !
— Pas étonnant, il n'y a rien dans les poches de son uniforme. À moins que des emballages de bonbons Honeydukes aient une quelconque valeur.
Madame Pomfresh revint dans la pièce en tenant entre ses mains les vêtements d'Harry soigneusement pliés par magie. Elle les tendit à Albus et rajouta la baguette du garçon sur le dessus de la pile.
— Dépêche-toi, Albus, lança alors Slughorn d'une voix vraiment inquiète.
Le vieux professeur n'avait pas cessé de surveiller la vaste salle de pierre, craignant que les curieuses émanations de magie ne deviennent franchement dangereuses pour leurs personnes. Juste comme il enjoignait Albus de faire diligence, un fracas de verre brisé et de bois éclaté se fit entendre. Le petit meuble contenant les flacons de potions venait de s'abattre sur les pavés, deux de ses pieds s'étant trouvés brutalement sectionnés.
Le Directeur jeta un coup d'œil en direction du bruit et grimaça. Il fourra pêle-mêle comme il le put la pile de vêtements, la baguette et les souliers d'Harry dans le sac de cours, le réduisit et le glissa dans sa poche. D'un geste de sa baguette de sureau, il conjura une civière qui resta en suspension dans l'air à un mètre du sol telle un balai de course attendant le bon vouloir de son propriétaire.
— Harry ? Harry ! Regarde-moi, mon petit ! Allez ! Ouvre les yeux ! insista le vénérable mage tout en surveillant du coin de l'œil la magie agressive qui dévastait toujours la pièce.
— 'ofesseur 'Umbledore… marmotta le Gryffondor aux yeux verts tout en luttant pour conserver le peu de conscience qu'il lui restait.
— ALBUS, VITE ! cria alors Minerva paniquée.
Une bourrasque violente soufflait à présent dans l'infirmerie dévastée. Les vitres venaient d'éclater et les rideaux volaient en tous sens.
— HARRY ! Ecoute-moi ! Tu vas quitter Poudlard, je vais te conduire chez Severus. Tu vas le retrouver dans quelques minutes. Vous ne serez plus séparés, je te le promets, c'est fini, petit ! C'est fini… Nous partons…
— Sev' ? Sev'… Sev'… gémit alors le garçon les yeux brûlant de fièvre.
— Oui, tu vas le retrouver, viens… Nous allons prendre la cheminette… Tout va bien aller, maintenant. Horace, aide-moi… s'il te plaît.
— Oui, oui, bien sûr… répondit celui-ci en retenant d'une main ferme, sa toque brodée sur son crâne dégarni.
Ils ne furent finalement pas trop de quatre pour installer Harry Potter sur la civière malmenée par les bourrasques, le recouvrir d'une couverture grise à carreaux empruntée à l'un des lits et convoyer d'un sortilège ladite civière vers la cheminée.
Lorsque Dumbledore jeta la poudre de cheminette dans les flammes vacillantes de l'âtre le plus proche tout en annonçant à haute et intelligible voix l'adresse de la maison de Severus Rogue, les manifestations bruyantes et agressives de magie cessèrent. Le vent s'arrêta de souffler et les rideaux à présent en lambeaux s'immobilisèrent. Les volutes gris anthracite se calmèrent et changèrent de couleur pour devenir d'un joli bleu pâle. Elles se rapprochèrent d'Harry en scintillant sous la lumière déclinante de la fin du jour et alors que le garçon fermait les yeux en répétant le nom de Severus, elles disparurent dans son corps laissant les sorciers présents abasourdis devant les dégâts et assommés par le silence qui venait de revenir. Dumbledore ouvrit rapidement sa montre et la consulta, puis fronça les sourcils d'un air contrarié.
Poppy et Minerva se regardèrent interloquées tandis qu'Horace s'épongeait le front avec sa pochette de soie argent.
— Maintenant, j'ai tout à réparer et à nettoyer, bien entendu ! Ne restez pas là, Albus, par Merlin, ronchonna la médicomage. Si vous contrariez Potter il serait bien capable de détruire Poudlard !
— Mais non, mais non… tenta de la rassurer le vieil homme.
D'un geste de baguette il fit avancer le brancard dans les flammes vertes et alors qu'il se saisissait de l'une des poignées tous deux disparurent et le feu redevint orangé.
Le professeur et son élève brancardé sortirent de l'âtre de Severus Rogue de la même façon qu'ils étaient entrés dans celui de l'infirmerie. Mais là seulement cessa la comparaison.
Albus Dumbledore se figea devant le spectacle offert à ses yeux incrédules. La pièce était plongée dans la pénombre et l'air chargé d'humidité sentait le moisi, les champignons et autres choses indéfinissables : peut-être de la crotte de rat ou de souris ou du parchemin en décomposition. La lueur verte du réseau de cheminette avait – avant de s'éteindre – permis au vieil homme d'apercevoir son ex Maître des Potions favori avachi dans un vieux fauteuil ruiné, une bouteille vide de Whisky Pur Feu Vieil Ogden serrée contre lui. Severus Rogue ronflait, la bouche ouverte et la tête renversée sur le dosseret du siège. Albus laissa la civière d'Harry flotter dans la pièce et avec un claquement de langue agacé lança un Lumos informulé sur sa baguette de sureau puis approcha du sorcier ivre en deux enjambées.
Il le secoua par une épaule et tenta ensuite de le réanimer par quelques tapotements sur les joues. Severus ne bougea pas. Pas étonnant si on considérait ce qu'il avait avalé…
Le vénérable mage soupira et se redressa puis utilisant sa baguette comme un flambeau il entreprit d'examiner les lieux. La tache de moisi passablement verte qui entourait une zone trempée du plancher le fit tiquer et il leva les yeux vers le plafond pour y découvrir son homologue. Bon, il y avait une fuite. Pas très sûr que Severus ait fait quelque chose pour réparer les dégâts d'une quelconque façon, Albus entreprit une fouille en règle des lieux, rassuré par le calme d'Harry. Depuis que la civière avait franchi la cheminée, le garçon n'avait plus poussé un seul cri ou gémissement. Il reposait paisiblement, les yeux clos et la respiration régulière. Visiblement il dormait du sommeil du juste. Sa magie rassurée de sentir celle de Severus dans la même pièce ne se manifestait plus, du moins rien de visible ou d'agressif.
L'escalier grinça dangereusement sous les pas de Dumbledore qui leva un sourcil inquiet en regardant les marches branlantes. Décidément, ce n'était pas la joie ici…
Il fut soulagé en atteignant le palier mais ce ne fut que pour un tout petit moment, mais alors un tout petit. Albus resta figé, bouche bée, dans l'encadrement de la porte donnant sur la pièce qui fut autrefois un labo de potions soigneusement aménagé et chéri. Pas étonnant que les aiguilles de sa montre concernant Severus aient affiché toute la journée un désespoir sans nom et même des larmes. Pauvre Severus…
Le regard bleu du vieil homme fit le tour de la pièce puis monta vers le plafond défoncé à travers lequel on apercevait le ciel à présent débarrassé de l'orage ayant précédemment sévi dans la région. Les cartons qui pendaient par le trou gouttaient encore de toute l'eau ayant pénétré dans la maison depuis le matin. Albus tendit sa baguette vers les détritus, les poutres enchevêtrées brisées et les tuiles cassées qui avaient démoli le labo. Il hésita et interrompit son geste. Cette vieille maison moldue réagirait certainement très mal à des sortilèges de réparation. Il valait mieux éviter et plutôt la réparer - si c'était encore possible - avec des moyens moldus.
Cela allait coûter une fortune, et Severus n'avait PAS de fortune. Et bientôt il n'aurait même plus d'or du tout lorsqu'il aurait payé son amende. D'ailleurs il n'avait que huit jours pour ce faire. Il allait falloir qu'il le rappelle à ses deux jeunes gens favoris. Pas question qu'on aggrave encore leur cas en majorant l'amende ! En soupirant, Albus baissa sa baguette et recula dans le couloir, puis il ouvrit l'autre porte. La chambre de Severus qui fut autrefois celle de ses parents n'avait pour l'instant pas trop souffert. Elle sentait le moisi et il faudrait certainement remplacer les draps jaunis mais le mobilier relativement récent pour une vie de sorcier était en bon état. Le Directeur de Poudlard retourna dans le couloir et s'arrêta de nouveau devant la pièce dévastée. Il fallait faire quelque chose… Peut-être que Dobby aurait une idée ? Ce petit Elfe avait toujours des initiatives intéressantes et inattendues.
— DOBBY ?
Dans l'instant l'elfe appelé apparut un large sourire dévoilant ses grandes dents sur son visage gris au nez pointu. Albus ne lui laissa pas le temps d'entamer ses habituelles et interminables courbettes.
— Dobby, j'ai besoin que tu ailles demander une potion de dégrisement à Horace Slughorn. Dès que tu l'as, reviens pour me la remettre et ensuite il faudra que tu aides Harry et Severus ici. L'état de cette maison est… absolument épouvantable comme tu le verras. Il faudrait nettoyer la chambre à coucher et changer les draps qui sont jaunis et moisis. Je ne sais même pas s'il y en a de rechange ici. S'il n'y en avait pas, je te donne l'autorisation de te servir dans la lingerie de Poudlard. Ce ne sera qu'un emprunt provisoire. Harry et Severus nous les rendrons plus tard. Mais avant toute chose, la potion ! Va !
— Oui, Professeur Dumbledore, Monsieur… Dobby va et Dobby revient.
Albus descendit lentement l'escalier instable. Il vit qu'il se poursuivait, menant à un sous-sol quelconque mais choisit prudemment de ne pas tenter le diable. Peu importe ce qu'il pouvait bien y avoir plus bas, sa curiosité naturelle ne le pousserait pas jusqu'à là.
Dans le salon toujours plongé dans une presque totale pénombre, Severus Rogue cuvait toujours et Harry n'avait pas bougé d'un iota sur son brancard magique. Dumbledore choisit alors d'aller explorer la dernière pièce de la maison. Il ouvrit les placards, constata l'absence totale de denrées alimentaires et même de vaisselle, à part une cuillère en fer blanc et un vieux mug ébréché orné d'un tacot et de la mention « Papa » qui avait dû appartenir à Tobias. Curieux qu'il n'ait pas été jeté aux ordures, étant donné l'affection débordante que Severus témoignait à son géniteur indigne. Le vieil homme ferma les yeux et soupira pour la énième fois depuis son arrivée dans la maison de Severus. Cette baraque était un taudis ! Par Merlin, il n'y avait même pas de salle de bain ou de toilettes et pas d'eau chaude non plus si le robinet qu'il voyait au-dessus de l'évier de pierre était tout ce qui alimentait les lieux en eau. C'était un simple robinet comme ceux qu'on voyait souvent à l'extérieur des maisons moldues pour y brancher un tuyau d'arrosage. Une fois son amende payée, Severus n'allait même pas avoir de quoi remplacer son labo dévasté. Harry était certes un peu plus à l'abri et cela allait sûrement les aider mais la fierté de l'ancien Directeur de Serpentard allait en prendre un sacré coup…
Dobby popa près de lui sans un mot et lui tendit le flacon de potion demandée puis l'elfe laissa courir un regard étonné et même calculateur sur les placards vides, la crasse et le délabrement général qui l'entourait. Albus le remercia d'une voix lasse.
— Vois ce que tu peux faire, Dobby. Il faut installer Harry dans la chambre, il dort sur le brancard dans l'autre pièce. Son sac de cours contenant toutes ses affaires est rétréci à ses pieds. S'il reste des plats du repas de ce soir intouchés par les élèves, apporte-les ici, ils ne manqueront pas à Poudlard, je pense. Nous pouvons bien nourrir deux sorciers mangeant comme des oiseaux, avec tout ce qui est gaspillé chaque jour.
— Dobby va bien s'occuper d'Harry Potter et du Professeur Rogue, Professeur Dumbledore, Monsieur !
— Oh je n'ai aucun doute à ce sujet, Dobby ! Je te fais entièrement confiance. S'il leur manque quelque chose, pioche dans les vieux stocks de l'école, n'hésite pas. Il faut juste faire attention que les administrateurs ne s'en aperçoivent pas, ou d'autres professeurs qui pourraient devenir jaloux. Sait-on jamais… Donc cible les choses qui ne manqueront à personne.
— Dobby a compris, Professeur Dumbledore, Monsieur, affirma l'elfe en hochant la tête avec assurance.
— Bien. D'ailleurs, je pense que tu devrais rester ici définitivement pour les aider. Mais ne t'inquiète pas, je te paierai toujours tes gages comme si tu étais encore à Poudlard. Ce sera notre petit secret.
— Dobby garde les secrets de ses maîtres, Professeur Dumbledore, Monsieur.
— Va, maintenant. Et couche Harry quand tu auras préparé la chambre. Je vais m'occuper de Severus.
Dobby claqua des doigts et disparut aussitôt vers l'étage supérieur. Albus serra un peu plus fort ses doigts noueux sur le flacon de potion puis le leva vers son visage pour en déchiffrer l'étiquette. C'était l'écriture de Severus. Parfait ! Au moins ça serait de la bonne et bien efficace !
D'un pas ferme et décidé, le sorcier retourna dans la pièce sombre et commença par conjurer quelques bûches dans l'âtre et y mit le feu d'un Incendio. Un peu de chaleur ne ferait pas de mal à cette masure. Et puis ça éclairerait un peu, car il n'y avait pas l'ombre d'une bougie[3] dans cette pièce ! Flacon de potion à la main, Albus se tourna vers le fauteuil occupé par Severus et qui se trouvait presque collé à la cheminée. Le Serpentard ronflait toujours, la bouche ouverte et la tête renversée. Calmement, le directeur fit sauter le bouchon de liège d'un coup d'ongle et ledit bouchon tomba le long du petit récipient transparent, retenu par un fin cordon gris. Le vieil homme tendit le bras et versa le contenu - relativement modeste - du flacon dans le gosier béant du gredin ivre mort. Celui-ci hoqueta et toussa, mais il avala la potion d'instinct tandis qu'Albus reculait pour vérifier comment se portait Harry un peu plus loin. Ce fut à ce moment-là que Dobby réapparut dans la pièce.
— Chambre prête pour Harry Potter, Professeur Dumbledore, Monsieur. Dobby a pris des draps à Poudlard pour la chambre. Dobby va coucher son Harry Potter Monsieur, Professeur Dumbledore, Monsieur.
— C'est bien, c'est bien, acquiesça Albus avec satisfaction.
Dobby toucha Harry de la main et claqua des doigts. Aussitôt ils disparurent et Albus fit s'évanouir d'un geste de la main le brancard devenu inutile.
— Huuuu ? fit une voix pâteuse derrière lui.
Le vieux mage se retourna alors, les mains croisées derrière le dos. Amusé et l'œil pétillant, il regarda son ancien Maître des Potions émerger, se frotter le visage à deux mains alors qu'une bouteille vide soudainement abandonnée tombait sur le sol et roulait un peu plus loin.
— Je vous ai donné une potion de dégrisement, mon cher garçon. J'ai besoin de vous en état. Vous n'allez plus être seul, Harry est là. Son état physique s'est dégradé lorsqu'il a été éloigné de vous et je ne m'explique d'ailleurs pas du tout ce phénomène. Sa magie semblait furieuse. Elle sortait de son corps en volutes quasi noires et détruisait ou malmenait tout sur son passage. L'infirmerie a été totalement dévastée.
— Des volutes noires ? remarqua distraitement Severus. C'est bizarre, d'habitude elles sont bleues.
— Vous voulez dire que vous avez déjà vu ça ?
Dumbledore attrapa le tabouret de piano qui se trouvait au coin de la cheminée et s'installa dessus illico.
Severus se mit à rougir et regarda sur le côté, honteux de devoir parler d'une telle chose à son mentor.
— À chaque fois que nous faisons… heu…. que nous faisons… enfin quand nous avons des relations… heu… sexuelles, Harry et moi…
— Oui ? insista le vieil homme amusé et intéressé.
Severus lui lança un regard lourd de sous-entendus. Par Merlin, ce vieux brigand n'avait aucune pitié pour sa pudeur ! Il soupira et poursuivit son récit à contrecœur.
— Je disais que lorsque nous avons des relations sexuelles, Harry et moi, nos magies sortent de nos corps et entament un ballet assez impressionnant, je dois l'avouer. Ma magie est bleu foncé et celle d'Harry bleu pâle. Harry dit souvent qu'elles font également l'amour.
— C'est étonnant. Je dois l'avouer. Mon cher petit, je dois vous laisser pour ce soir, mais je reviendrai demain. Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit. Je vous laisse Dobby, il a beaucoup de ressources. Je ne doute pas qu'il trouvera une solution pour vos soucis… de… comment dire… de fuite.
— Vous avez été voir ? Mais oui bien sûr, vous avez fouiné partout, maugréa amèrement le Serpentard en refusant de croiser le regard d'Albus.
Celui-ci tapota la main de Severus avec bienveillance et quitta son tabouret. Il chercha des yeux un récipient de poudre de cheminette et aperçut sur le sol dégoutant un vieux pot de fleur moldu en plastique tel qu'on en voyait dans les cimetières et qui contenait un vieux reste de poudre verte.
Il en prit une poignée et la lança dans les flammes en donnant l'adresse de son bureau. Lorsqu'il disparut pour de bon, Severus se leva péniblement et se dirigea d'un pas chancelant vers la cuisine. Il n'avait rien mangé depuis le matin, juste vidé la bouteille de whisky que Minerva lui avait offert pour Noël l'an passé et qui se trouvait dans son petit carton de déménagement. Mais à présent dégrisé, il mourait de faim. Est-ce que Dobby aurait une idée pour leur trouver un repas rapidement ?
Les élèves affluaient dans la Grande Salle pour le petit déjeuner. Les cours allaient commencer dans environ trois quarts d'heure et déjà la grande table des professeurs était complète. Albus Dumbledore trônait dans son fauteuil d'or, la mine fermée et regardait la foule des élèves dont certains chahutaient sans aucun complexe, faisant fi des règles de bienséance imposées par Dolorès Ombrage. Minerva, assise près de lui, semblait complètement abattue. Lorsque la vieille professeure de métamorphose avait annoncé à Miss Granger le départ définitif de son meilleur ami, celle-ci avait aussitôt décrété qu'elle quitterait Poudlard dès l'aube. Dès l'ouverture de la gare de Pré-Au-Lard, soit à six heures du matin, elle prendrait le Poudlard Express pour Londres où ses parents viendraient la chercher. Le Professeur McGonagall qui craignait cette réaction avait tout tenté pour convaincre Hermione de rester et de terminer son année. Mais la jeune lionne excédée depuis des semaines par l'ambiance plutôt détestable qui régnait au château n'avait rien cédé et avait exigé de signer immédiatement son Exeat[4]. Elle avait malgré tout promis à McGonagall qu'elle allait prendre ses dispositions pour passer ses ASPICs dans les prochains jours. Hermione avait besoin de son fameux papier d'équivalence pour entrer à l'université moldue. Il n'était d'ailleurs pas encore trop tard pour y entrer cette année selon elle.
La brunette avait donc quitté le château avant l'aube, malle réduite et panier à chat en main. La veille, elle avait emprunté un hibou de l'école pour prévenir ses parents et avait remarqué qu'Hedwige, la chouette d'Harry avait quitté la volière sans nul doute pour rejoindre son maître.
Minerva, passablement dégoûtée, fixait sans mot dire et la bouche pincée, la place laissée vacante par la jeune fille à la table Rouge et Or. Dean Thomas et Seamus Finnigan eux aussi, regardaient la place vide d'un air abattu. Curieusement, personne d'autre ne semblait avoir remarqué les disparitions de la Préfète-En-Chef et du Sauveur du Monde Magique… ou alors, ça les arrangeait bien !
Albus attendit que tout le monde soit bien installé et qu'Argus Rusard ait fermé les Grandes Portes, indiquant par ce geste qu'aucun élève n'était encore attendu. Alors il se leva tandis que d'un air blasé Minerva tapotait sa coupe en cristal avec son couteau d'argent.
Toutes les têtes se tournèrent vers le Directeur qui s'éclaircit la gorge, se lança un Sonorus informulé et leur fit un sourire aimable que la plupart des Poufsouffles lui rendirent.
— Mes chers enfants, et chers collègues, rajouta-t-il en se tournant vers ses voisins de table, j'ai le devoir de vous annoncer que Monsieur Harry Potter a quitté notre école définitivement hier au soir, et Miss Granger notre Préfète-En-Chef ce matin. Ils n'ont pas souhaité rester étant donnée la façon dont ils ont été traités…
Des cris de joie se firent alors entendre parmi les Sang-Purs de toutes les maisons, sous les yeux éberlués voire même outrés de la plupart des Nés-Moldus. Ginny Weasley eut même l'audace de se lever en brandissant un point vengeur et en hurlant un « ouais » victorieux que Minerva n'apprécia pas du tout. Elle se promit de se charger de cette petite peste dès la fin du repas.
—… une nouvelle Préfète sera choisie et le Professeur McGonagall vous annoncera son identité dès que possible.
Le vieil homme, le regard froid et sans pétillement, annula le Sonorus et se rassit sans un mot. Ces ingrats se réjouissaient… ils seraient les premiers à pleurer toutes les larmes de leurs corps, à gémir et supplier qu'Harry revienne, si jamais Lord Voldemort se décidait à refaire surface un jour. Que Merlin épargne le Monde Magique Britannique, ce jour-là…
Au bout de la table professorale, Dolorès Ombrage pavoisait. Elle s'agitait sur sa chaise, minaudait, gloussait, poussait des petits cris de joie, en bref tentait de se rendre intéressante. Juste à sa droite, Miss Octopus la regardait, les yeux rétrécis en deux fentes dédaigneuses et la bouche boudeuse. Ce vieux crapaud lui tapait sur le système à un point que nul ne pouvait imaginer. À cause de cette charogne, Harry Potter avait été chassé, et la charmante Miss Granger qui aimait autant les livres qu'elle, avait quitté Poudlard. Sa décision était prise : elle allait se venger de ce vieux machin dégoûtant emballé de rose. Ça tombait bien, elle avait l'après-midi de libre…
Oh, elle savait parfaitement à quoi elle allait employer ses heures de loisirs… Ombrage allait enfin piger sa douleur.
1 Plat traditionnel écossais consistant en une panse de brebis farcie d'abats de mouton (poumons, foie, cœur), d'oignons, d'avoine, de graisse de rognon de mouton, d'épices et de sel. Ce plat est servi avec une purée de pommes de terre, une purée de rutabagas et un verre de whisky.
2 Dumbledore se trompe. Horace se cache dans le monde moldu seulement parce qu'il est terrorisé par Lord Voldemort, pas pour dissimuler un fâcheux penchant au Ministère de la Magie.
3 Il y a un lampadaire moldu près du fauteuil, mais Albus ignore ce qu'est cet objet bien trop moderne pour lui.
4 Billet de sortie, ici définitif.
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