Chapitre 3 - Chatte de salon vs demi Fléreur
Hermione vit pluri-quotidiennement le hibou Grand duc de Malefoy pendant les jours suivants alors que Malefoy et elle ne cessaient de négocier l'un et l'autre certaines recommandations qu'il avait faites. Certaines d'entre elles - avertir Malefoy dès qu'elle quittait la ville par exemple, et surtout, surtout la visite de Malefoy à son domicile pour mettre personnellement des protections en place, chose qu'elle était au passage tout à fait capable de faire par elle-même - étaient proprement draconiennes, ce dont elle lui fit part en ces termes ("jeu de mot volontaire ; pardon").
Elle dût arriver à bout de sa patience à force de protestations car sa missive suivante fut inflexible.
Granger - Les ordres de Shacklebolt sur la protection du domicile de Granger ne sont pas sujets à négociation. Fais moi savoir quand ça t'arrange que je passe cette semaine pour la mise en place des protections. Si tu ne le fais pas, je risque de passer par défaut à un moment qui ne t'arrange pas. - D (pour Draconien)
Malefoy - Pas sûre que tu aies entendu mon soupir d'exaspération depuis Londres, je t'en fais donc part ici pour ton information. Je suis plus que capable de renforcer les charmes de protection de ma propre maison, ou de recruter une entreprise spécialisée. Mais si Shacklebolt insiste sur ton expertise en particulier, alors qu'il en soit ainsi. Regarde mon emploi du temps pour voir tes options, je viens de le mettre à jour. N.B : il y en a très peu ; mardi soir semble le plus probable, mais je suis le médecin (le Guérisseur moldu) de garde au cabinet local et je devrai peut-être partir en plein milieu. - H
Granger - Je sais ce qu'est un médecin. - D
ooo
Hermione prit le temps de consulter Tonks à propos de toute cette histoire de mesures de protection. Elle se rendit au Mitre où elle passa la tête par la Cheminette connectée à la maison de Tonks.
Depuis la cheminée, elle avait une vue de Tonks lovée sur son canapé, posée devant une télévision sur laquelle était diffusée une publicité pour un dentifrice recommandé par les dentistes eux-mêmes. Tonks baissa le son.
"Bonsoir Hermione," dit-elle.
"Tonks," répondit Hermione.
"Alors, qu'est-ce que tu penses de l'idée de Malefoy ? Plutôt sympa, non ? Il a l'air d'une chatte de salon mais il est du genre efficace, mon cher cousin."
"C'est son préféré," résonna une voix depuis la cuisine.
"Bonsoir Remus," le salua Hermione alors que Tonks levait les yeux au ciel. "C'est pour ça que tu as préféré confier ma protection à Malefoy plutôt qu'à Harry ou Ron ?"
"J'ai besoin d'Harry et Ron sur une autre affaire sensible en ce moment, mais entre nous, Malefoy est plus à même de mener ce genre de mission. Il n'hésitera jamais à faire usage de méthodes peu orthodoxes, ce qui est un avantage indéniable quand il faut protéger une cible contre des assassins potentiels. Il faudra que tu m'expliques ce que tu as fait pour te mettre dans une telle situation d'ailleurs. Kingsley n'a pas voulu me dire autre chose que -" Son visage se métamorphosa en celui de Kingsley, et Hermione fit face à une vision très étrange du Ministre en robe de chambre rose affalé sur un canapé. "- Il est vital qu'Hermione soit gardée en sécurité pendant toute la durée de son projet de recherche. Elle va très probablement être la cible de tentative d'assassinat au cours de l'année."
Tonks reprit son visage habituel. Hermione soupira.
"Kingsley exagère. Mes recherches sont en sécurité, et tant qu'elles le sont je ne suis pas en danger."
"Mais tu admets que si ce projet venait à être connu, d'une manière ou d'une autre, tu le serais ?"
"C'est fort possible, en effet," répondit Hermione. Ce faisant, elle admettait que l'idée d'une protection n'était pas forcément complètement superflue.
"L'idée de Malefoy est géniale. Il sera prévenu s'il t'arrive quelque chose et pourra intervenir immédiatement. Et en attendant que ce que Kingsley redoute se produise, Malefoy peut continuer à travailler sur d'autres missions en parallèle - ce qui honnêtement m'arrange carrément. Toi tu restes relativement tranquille, et le jour où il arrive quelque chose tout est déjà en place pour assurer ta sécurité. C'est un bon compromis, non ?"
"Oui, l'idée est bonne, s'il faut vraiment que je fasse l'objet d'une protection," admit Hermione. "Je vais discuter des détails avec lui, il vient chez moi demain pour protéger la maison."
"Là dessus aussi, il est meilleur que la plupart des autres Aurors. Tu verras, il a inventé un sort de protection plutôt balèze. Je sais que tu ne l'apprécie pas - et que c'est réciproque - mais s'il faut vraiment que tu sois protégée avec le plus haut niveau de sécurité comme le demande Kingsley, c'est mon meilleur élément. Par contre, ne dit surtout pas à Malefoy que je t'ai dit ça, j'ai besoin qu'il continue de me craindre."
"Tu peux compter sur moi," répondit Hermione avec un sourire ironique.
Elle salua Tonks et quitta la cheminée.
ooo
Ainsi, le mardi soir suivant trouva une Hermione résignée en blouse de médecin et stéthoscope, debout près du portail de son cottage, attendant que Drago Malefoy lui rende visite à domicile.
Elle s'était abondamment plainte de cette situation à Pattenrond, qui avait approuvé chaque remarque de coups de queue nerveux et de feulements. Il semblait être suffisamment écoeuré lui-même par l'intrusion à venir pour disparaître dans un recoin sombre de la maison. Si Hermione n'avait pas eu à cœur de surveiller Malefoy, elle en aurait fait de même.
L'intéressé apparut dans un pop à distance du portail. Hermione leva sa baguette pour lui permettre de franchir les protections qu'elle avait mises en place. Il portait toujours ses sempiternelles robes d'Auror, mais son look impeccable était cette fois légèrement altéré par un énorme coup sur sa mâchoire.
"Qu'est-ce qui est arrivé à ton visage ?" demanda-t-elle alors qu'il arrivait près du portail.
"Un Cognard," dit Malefoy.
"Oh. C'est moche."
Elle scruta la blessure, évaluant les conséquences d'un tel impact. Il y aurait sans aucun doute un hématome impressionnant. Elle hésita un moment, puis, dans un geste de miséricorde, lui proposa : "Veux-tu que j'y jette un œil ?"
"Non. J'ai déjà mis un baume dessus," dit Malefoy en effleurant des doigts sa mâchoire qui bleuissait lentement.
Ce n'était pas un baume qu'il lui fallait mais un sort de Guérison. Il faudrait certainement vérifier que la mâchoire n'était pas fendue.
"Ça va te faire un bel hématome," insista-elle. Et encore, c'était un euphémisme.
"Je vais bien. Je suis venu pour poser des charmes de protection, pas pour une consultation."
Hermione pinça les lèvres. Tant pis pour lui. Mais quand même, s'il y avait une fracture, ça pourrait entraîner un désalignement dentaire en se ressoudant de travers…
"Est-ce que tu vas m'inviter à entrer ?" demanda Malefoy, l'air agacé.
Cela fit s'évaporer ses scrupules. Tant pis pour sa mâchoire, ce n'est pas elle qui finirait sa vie sous régime liquide.
"Entre, alors," dit-elle un peu sèchement en ouvrant le portail. Il s'avança en observant sa tenue.
"Tu as oublié de retirer ton appareil d'auto-asphyxie," dit Malefoy en pointant son stéthoscope du doigt.
"C'est un stéthoscope," dit Hermione, légèrement exaspérée devant ce manque flagrant de culture.
"C'est ça," dit Malefoy. "Fais-moi visiter, puis on s'y met."
Elle le fit traverser la pièce principale du cottage, son salon, dans lequel elle entreposait la multitude de livres qu'elle voulait numériser sans en avoir encore trouvé le temps.
"Tu m'as réprimandé pour un livre déplacé d'un demi-pouce. Regarde-moi ce désastre," dit Malefoy, l'air choqué par l'état de la pièce.
"C'est mon projet de digitalisation," dit Hermione en désignant d'un geste le scanner et l'ordinateur sur la table basse. " C'est un désastre temporaire."
"De digitalisation ?"
Ah oui, encore de l'informatique. Moins éreintée que lors de leur dernière entrevue, elle eut la patience de lui expliquer.
"Oui. Une préservation des connaissances magiques via des moyens moldus, comme j'en ai marre de me trimbaler d'énormes livres, de tomber sur des supports irrémédiablement abîmés ou perdus parce qu'un idiot à renversé son thé sur une page vingt ans plus tôt, et de devoir chercher des choses via des vieilles fiches d'enregistrement comme si on était en 1855. C'est un projet personnel pour mes ouvrages les plus rares. Malheureusement, je n'ai pas autant de temps à y consacrer que je le voudrais-"
Elle conduisit Malefoy à la cuisine où elle ne s'attarda pas, puis dans le solarium.
"Un jardin d'hiver?" demanda Malefoy en y pénétrant.
Elle lui jeta un regard dédaigneux devant cette remarque d'aristocrate privilégié. "Un jardin d'hiver ? On n'est pas à Ascott, ici. Selon l'agence immobilière, c'est un solarium."
Malefoy ne sembla pas convaincu, jetant un regard maussade vers la bruine qui opacifiait le plafond en verre.
C'est le moment que choisit Pattenrond pour faire son apparition. Ainsi il n'avait pas résisté à la curiosité et avait voulu voir ce grand poseur arrogant que lui avait décrit sa maîtresse. Il s'enroula dans les jambes d'Hermione.
"Coucou le chat," dit-elle à Pattenrond en guise de salut.
"Qu'est-ce qui est arrivé à ton chat ?" demanda Malefoy, se penchant pour observer Pattenrond avec un air inquiet.
Son insinuation offensa Hermione, mais pas autant que Pattenrond.
"Il ne lui est rien arrivé," répondit-elle. "Il est à moitié Fléreur, et il est très intelligent. N'est ce pas, mon chéri ? Mon tout doux ? Mon petit ange ?"
Elle lui massa les oreilles alors que Pattenrond toisait Malefoy avec dédain, lui demandant à quelle licorne il avait volé sa perruque.
Sur ce, il se tourna pour partir dignement, queue en l'air, pour bien lui montrer à Malefoy ce qu'il pensait de lui.
"Charmant," dit Malefoy.
Hermione l'emmena ensuite à l'étage. Elle commença par son bureau, où reposait Révélations sur son socle, figé dans son état déplorable par un sort de stase. Le grimoire retint l'attention de Malefoy. On touchait là de très près à son projet, elle utilisa une tactique de diversion.
"Une tragédie. Ne m'en parle pas ou je vais me mettre à pleurer."
Cela fonctionna, l'idée de faire face à ses larmes détourna Malefoy de ses questions. Elle l'emmena ensuite dans la chambre d'ami où elle faisait son yoga le matin. Il fixa les bougies qu'elle avait l'habitude d'allumer pendant ses séances d'un air pensif. Puis enfin, gênée, elle le guida jusqu'à l'intimité de sa chambre. Malefoy y jeta un coup d'œil silencieux.
Ce fut ce moment que choisit le portable d'Hermione pour sonner. Elle décrocha, c'était le cabinet médical. Une femme s'était présentée avec un bambin qui présentait des symptômes évoquateurs d'une appendicite. Elle allait devoir y aller. Elle raccrocha et se précipita dans l'escalier.
"Il faut que j'y aille. Tu en as vu assez pour t'y retrouver, je pense - fais en sorte que les protections laissent entrer et sortir Pattenrond, s'il te plaît. Il aime bien vagabonder. Je serai de retour dans quelques heures."
"Pattenrond ?" demanda Malefoy tandis qu'elle dévalait les escaliers.
"Le chat !" dit Hermione.
Elle détestait laisser Malefoy sans surveillance dans sa maison. Il faudrait qu'elle ajoute des caméras au cas où la situation serait amenée à se reproduire.
Elle monta dans sa voiture et se mit en route pour le cabinet.
ooo
Quand elle revint deux heures plus tard, elle trouva Malefoy dans son jardin, sous la surveillance attentive de Pattenrond.
"Toujours là, n'est-ce pas ?"
Il était trempé et avait l'air complètement exténué.
"Je viens de finir," haleta-il.
Des gouttes de pluie coulaient de ses cheveux qui pendaient en mèches désordonnées, ses vêtements trempés collaient à son torse, moulant sa musculature développée, le vent agitait tortueusement ses robes. Le bleu sur sa mâchoire ajoutait une touche dramatique à l'ensemble. Il semblait sortir d'un combat acharné, victorieux après avoir bravé les ennemis et la tempête. À son grand désarroi, Hermione ne put s'empêcher de trouver l'image sexy. Elle cacha son trouble en embrassant copieusement la tête de Pattenrond. C'était Malefoy, par Merlin.
"Je pourrais avoir besoin de protéger ta voiture", dit-il, "Si tu t'en sers beaucoup. Et le cabinet moldu, si tu y vas souvent."
Cela lui éclaircit instantanément l'esprit. Elle fronça les sourcils. "Ma voiture est toute neuve. Tu ne peux pas l'enchanter ; tu vas casser des trucs."
Malefoy eut l'air confus et offensé. Elle ajouta : "Les voitures ont de l'électronique embarquée, maintenant. Peut-être qu'elles n'en avaient pas quand tu étais en cours d'Étude des Moldus."
Ses derniers cours devaient remonter à la deuxième année de Poudlard, soit vingt ans auparavant. Elle n'allait certainement pas le laisser bousiller sa Mini.
"Je mettrai un Scrutoscope dans la boîte à gant," dit-elle en guise de conclusion.
"Excellent," dit Malefoy, ironique. "Je suis sûr que ça te protégera d'un Bombarda Maxima sur un rayon de vingt mètres. Je dirai à Shacklebolt que toutes les mesures nécessaires à ta protection avaient pourtant été prises, le jour où on tirera tes restes calcinés des décombres."
L'image fit frissonner Hermione, qui céda. "Bien. Tu peux la protéger. Mais essaye de ne pas t'approcher de - des trucs au milieu, avec tous les boutons. À côté du volant."
Un long et bruyant grognement affamé résonna, dont la provenance était indéniablement l'estomac de Malefoy. Les yeux d'Hermione dérivèrent brièvement vers ce dernier en prenant bien soin de ne pas regarder ses pectoraux.
Il fallait probablement qu'elle lui propose d'entrer manger quelque chose mais elle n'avait plus grand chose dans ses placards. Et elle avait plus envie d'une soirée tranquille qu'une soirée de débats avec Malefoy sur ses mille recommandations. Mais bon, autant en finir.
"Tu dois mourir de faim. Tu veux entrer ? J'ai de quoi grignoter. On pourra discuter de tes recommandations - et de la bague."
Il considéra l'idée un court instant.
"Très bien," dit-il finalement.
Malefoy demanda à utiliser les sanitaires pour se rafraîchir un peu. Elle profita de ce moment pour faire l'inventaire de ses placards. Il lui restait un paquet de Curly au fromage et une boîte de thon. Rudimentaire mais ça ferait l'affaire. Elle referma le placard et ouvrit le frigo où elle trouva quelques tomates cerise pour équilibrer le repas. Elle sortit le parchemin interminable de Malefoy, ainsi que la bague, et elle posa le tout sur la table de la cuisine.
L'odeur du baume à l'arnica de Malefoy le précéda dans la cuisine. Ses cheveux étaient de nouveau ordonnés mais avait une démarche moins gracieuse qu'à l'accoutumée, signe qu'il devait être proprement éreinté. En outre, sa mâchoire devait le faire souffrir affreusement, mais elle se garda de lui proposer à nouveau son aide. Ils avaient du pain sur la planche.
Hermione ôta sa blouse de médecin et la fourra dans la machine à laver avant de s'asseoir à la table de la cuisine. Malefoy prit la chaise voisine, ce qui le plaça bien plus près d'elle que ce qu'ils avaient été jusqu'à maintenant. À présent, en plus de l'odeur du baume, elle sentait également son parfum ridiculeusement luxueux - des notes d'agrume piquantes et quelque chose de plus végétal, du romarin peut-être ? Elle se retint de foncer le nez et déroula le parchemin.
Elle avait passé un long moment à l'annoter de divers points d'interrogation et de contre-suggestions. Malefoy pâlit imperceptiblement à la vue de toutes ses annotations. Elle n'éprouva pas une once de regret, il avait commencé à ce petit jeu.
"Mes principales inquiétudes," dit-elle en pointant le menton vers le parchemin. "Mais d'abord, mangeons quelque chose."
Elle récupéra le paquet de Curly et la boîte de thon dans le placard puis les tomates cerises dans le frigo et les posa sur la table. Pattenrond se joignit à eux, passant sous la table en prenant soin de faire voler des poils en direction de Malefoy.
Malefoy mangea une tomate et Hermione le vit recracher trois poils de chat.
"Désolée !" dit-elle, un peu gênée. Elle fit disparaître les poils d'un coup de baguette. "Ils sont partout. Parfois, j'ai l'impression qu'il les fait apparaître par magie - à des endroits improbables."
Elle savait pertinemment que Pattenrond tirait un grand plaisir à gâcher le repas des humains qu'il n'appréciait pas. À l'époque de sa relation avec Ron, il réussissait toujours à lui faire avaler une quantité impressionnante de poils roux en essayant de lui faire croire qu'il mangeait ses propres cheveux. Pendant cette période, elle avait retrouvé des poils dans son four, sous sa douche, dans ses poches Extensibles (chose bien pratique dont elle ne passait plus) et même dans ses sous-vêtements. Un jour, le dépanneur en avait retrouvé une grosse boule dans l'évacuation de la machine à laver. Ron avait cru qu'il était sur le point de devenir chauve et avait fait une cure de Pousstif avant de se rendre compte de la supercherie. Néanmoins, Hermione elle-même n'avait jamais mangé un seul poil de chat. Elle ignorait comment Pattenrond s'y prenait, mais il parvenait à ses fins sans difficulté apparente.
"Pff" dit Malefoy en attrapant un poil récalcitrant. Il foudroya Pattenrond du regard qui lui répondit avec un regard suffisant que les poils de Fléreurs avaient d'excellentes propriétés contre l'imbécilité.
Avant que la situation s'envenime et que les deux mâles en viennent aux mains - ou en l'occurrence, aux griffes - Hermione ouvrit le paquet de Curly et le tendit à Malefoy.
"Qu'est-ce que c'est ?" demanda-il en en levant un devant ses yeux.
"Des Curly au fromage."
Il semblait dubitatif. Hermione ouvrit la boîte de thon et se mit à manger dedans directement.
"C'est déprimant, Granger," dit Malefoy.
"C'est des protéines," dit-elle. Mais, en regardant la table, elle était forcée d'admettre qu'il y avait somme toute du vrai dans cette remarque. "Je n'ai pas eu le temps de faire les courses."
À sa décharge, elle n'avait pas prévu que Malefoy resterait dîner. Elle-même ne mangeait que rarement le soir et mangeait sur le pouce au travail le midi, il ne pouvait pas s'attendre à ce qu'elle ait un festin de prêt pour lui.
"Pourquoi tu ne demandes pas à un elfe de maison - ?"
Il s'était interrompu, semblant s'être souvenu à qui il était en train de parler. Mais trop tard. Au-delà d'aborder le sujet sensible des elfes de maison, sa remarque montrait une fois de plus qu'il vivait en dehors des réalités dans son château d'argent. Elle cessa immédiatement de se sentir mal pour le repas plus que frugal. Après tout, une fois rentré dans son Manoir il aurait toute son armée d'esclaves pour lui préparer un repas quatre étoiles. Ce genre de personne l'horripilait.
Elle s'éloigna pour faire du thé avant de devenir désagréable. Elle ne voulait pas desservir sa cause en irritant Malefoy avant de négocier les termes de leur contrat.
Elle fut un peu plus brusque que nécessaire avec la bouilloire et les mugs. Elle faillit renverser la boîte de thé mais en la rattrapant elle remarqua deux paquets de biscuits qui avaient été rangés par inadvertance avec les infusions. Elle en ramena un sur la table avec leurs deux mugs qu'elle posa fermement. Malefoy, que les Curly ne semblaient pas avoir rassasié, se jeta sur les biscuits.
Hermione fit un effort pour mettre de côté son ressentiment pour l'abruti privilégié qu'était Malefoy et aplatit le parchemin.
Ils reprirent point par point les soixante points listés sur le parchemin et ils débattirent. Au point 14, pour que Malefoy accepte que les protections du laboratoire reconnaissent le personnel d'entretien (il accepta) ; au point 26, pour savoir si Hermione devait vraiment le prévenir en avance à chaque fois qu'elle quittait la ville (il ne céda pas) et combien de préavis (elle réussit à le faire descendre à 24 heures) ; au point 33, qu'est-ce qui définissait un 'événement public' (ils se mirent d'accord sur plus de 40 personnes) ; au point 34, pourquoi devait-elle l'avertir de sa présence aux événements moldus? (il ne lui donna aucune raison valable) ; est-ce qu'il pourrait ne pas rendre sa maison Incartable, elle avait des amis Moldus qui auraient peut-être envie lui rendre visite ? (il fut intraitable) ; etc etc jusqu'à ce qu'ils arrivent au point 56.
À ce point de la conversation, Hermione partit se resservir du thé et ramener l'autre paquet de gâteaux, puisque Malefoy, toujours aussi peu respectueux, avait avalé la totalité du premier.
"Alors. La bague," dit Hermione, sentant qu'ils en étaient arrivés au vif du sujet.
"La bague," répéta Malefoy. Il se redressa dans sa chaise. Les enjeux étaient gros, aussi bien pour lui que pour elle. S'ils arrivaient à un terrain d'entente, elle serait assurée d'être libérée de la présence de Malefoy, de pouvoir poursuivre ses recherches sans être dérangée, tout en tranquillisant Kingsley.
Comme l'avait suggéré Malefoy, elle avait consulté Bill Weasley, conjureur de sort à Gringotts, quand elle était allée récupérer son or pour les Gardiennes de la Source Verte. Il avait analysé l'objet et n'avait non seulement pas détecté de magie noire mais il avait trouvé le concept si brillant qu'il avait appelé ses collègues pour qu'ils puissent eux aussi inspecter et admirer la bague.
"Je l'ai fait analyser par quelques experts. Elle semble en effet inoffensive. Ils ont été assez impressionnés, en vérité."
Malefoy retrouva son air arrogant habituel et prit une gorgée de thé d'une façon extrêmement suffisante. Elle se retint de lever les yeux au ciel et continua :
"J'ai aussi parlé avec Tonks. Elle t'a probablement dit aussi à quel point elle aimait cette idée. Ça veut dire que tu peux t'occuper de nouvelles missions, pendant que tu me surveilles de loin. Donc - en résumé, beaucoup de louanges, avec un minimum d'inconvénients, je suis d'accord pour qu'on fasse comme ça. J'ai une question pour toi, cependant."
"Oui ?"
"Comment les informations captées par la bague te parviennent-elles ?"
Malefoy leva une main et agita sa baguette dans sa direction. Un anneau d'argent à son annulaire se dévoila à la vue.
"Ah," dit Hermione. Elle s'était doutée de quelque chose de ce genre. Son regard passa de la bague de Malefoy à celle sur la table. Elle avait bien une idée de l'usage d'origine de ces bagues, ça aurait tout à fait pu être des alliances qui se seraient transmises de génération de Malefoy en génération de Malefoy. Elle se demanda si Lucius Malefoy avait porté une de ses bagues. Il valait mieux ne pas savoir.
"Je ne vais pas te demander l'usage original de ces objets. J'ai l'impression que plus de détails pourraient me faire changer d'avis."
"Bonne idée," dit Malefoy, confirmant ses soupçons
"Est-ce qu'il y a quelque chose de spécial à faire ou je dois juste - juste l'enfiler ?" demanda Hermione.
"Je vais le faire," dit Malefoy. "Il faut que ce soit fait par la personne qui porte, euh - le double de la bague."
Malefoy allait lui passer la bague au doigt. Situation gênante en perspective. Elle tendit la main gauche. Il la saisit de ses grandes mains froides, un peu bourru. Il ne la regardait pas mais elle voyait qu'il avait l'air aussi gêné qu'elle malgré l'air dignement professionnel qu'il essayait de garder. Hermione détourna le regard alors qu'il lui enfilait la bague, remarquant des détails inédits sur le papier peint de sa cuisine. Elle sentit l'anneau froid glisser le long de ses phalanges et ses joues rosir.
"La balise de détresse s'active en la tournant trois fois autour de ton doigt," dit Malefoy, rompant le silence inconfortable qui s'en suivit. "Fais-ça et je transplanerai aussitôt auprès de toi."
Hermione détourna le regard du papier peint, essayant de se refaire une contenance. "Très bien."
"Réserve ça pour les situations critiques, Granger - pas si tu as trouvé du thé renversé sur un livre."
Ce retour dans un registre familier finit de dissiper le moment de gêne précédent.
"J'espère de tout cœur ne pas avoir à m'en servir du tout," répondit-elle.
Elle observa l'anneau qui étincelait sur sa main. Mis à part l'étrange sensation de porter un bijou offert par Malefoy, elle ne sentit aucune émanation magique de la bague, elle avait juste l'air d'une innocente alliance. "Au moins ce truc n'a pas immédiatement essayé de me tuer."
"Ne baisse pas ta vigilance. Il attend peut-être son heure."
Malefoy tapota le parchemin dont ils avaient discuté le contenu toute la soirée, mettant au propre le résultat griffonné de leurs négociations. Puis il créa une réplique pour Hermione.
"Maintenant qu'on a finalisé ça, tu dois t'y tenir. Nous avons établi une responsabilité légale, et je préférerais ne pas me faire traîner devant le Magenmagot pour négligence professionnelle ayant conduit à la mort de la grande Hermione Granger."
"Je comprends," répondit-elle avec sérieux. Elle était maintenant officiellement sous la protection de Malefoy. Elle refoula cette pensée. Elle n'avait qu'à porter la foutue bague et le reste de sa vie demeurerait inchangé. Elle pouvait le faire. Pattenrond approuva en grimpant sur ses genoux pour finir la boîte de thon.
"Bien. A présent, avant que je m'en aille, une dernière chose." Malefoy plongea une main dans sa poche. "Mon hibou a perdu une demi-livre depuis qu'on est en contact, donc j'-"
"Donne-lui plus de tarte à la mélasse," l'interrompit Hermione.
"- j'ai décidé de céder à la tendance et d'acheter ces trucs," finit Malefoy. Il plaça sur la table deux Carnets à Papote de chez Weasley. "Tu as dû en entendre parler - ça fait fureur chez les jeunes. Les hiboux ne sont plus à la mode. Pas assez instantanés."
Elle en avait entendu parler oui. Pour être exact, elle était la personne qui avait inventé les Carnets à Papote. Les frères Weasley l'avaient juste aidé à les commercialiser. Elle se retint de rire.
"J'en ai entendu parler, oui," dit-elle, réprimant difficilement un sourire.
Malefoy sembla tergiverser devant son expression, se retenant de l'interroger. Finalement, il demanda en lui passant le petit carnet magique : "Donc tu sais comment ça marche ?"
"Oui, oui," dit Hermione, acceptant l'objet. "Merci. Je m'en veux pour ton hibou."
"Il va s'en remettre et il sera bientôt gros à cause du manque d'exercice."
Malefoy se leva avec un marmonnement de remerciement pour le thé. Hermione répondit avec quelques mots inaudibles de gratitude pour les protections.
Pattenrond tenta de faire trébucher Malefoy pour lui briser le cou alors qu'il était en chemin pour sortir de la cuisine.
Hermione faillit le réprimander mais se retint à temps.
