Résumé: Severus est revenu au Manoir, mais Harry se montre très réticent lorsqu'ils reprennent contact et il impose ses règles: des morsures en privé, au poignet et jamais au cou, aucun rapport sexuel et le moins d'interactions possibles entre eux. Bon gré mal gré, Severus s'y résigne mais les premiers jours sont difficiles, en particulier pour Lucius, témoin impuissant de la distance entre ses deux amants.

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Le matin suivant, sans savoir vraiment pourquoi, Lucius n'arrivait pas à se décider à se lever. La perspective de revivre la même journée que la veille ne l'enchantait guère, et le dîner qui se profilait avec Matthieu et Charlie lui donnait presque des sueurs froides.

Harry, lui, était déjà sous la douche, satisfait de leur petite bagatelle du matin, et comme toujours, pressé d'aller manger.

Allongé sur le ventre, les bras croisés sous son oreiller, Lucius tourna la tête vers la fenêtre. Les jours se suivaient mais ne se ressemblaient pas. Après le beau temps de la veille, la pluie était de retour, aussi grise que son humeur... Et aujourd'hui, pas moyen d'aller s'aérer par une promenade dans les jardins ou à cheval.

De toute façon, sans Severus, ces sorties avaient quelque chose d'injuste. Ils profitaient de ce qui lui était désormais impossible. Inaccessible. Et puis Lucius n'arrivait pas à se faire à l'idée qu'il ne puisse plus jamais sortir à l'extérieur. Faire un tour dans les jardins avec leurs petits-enfants, partager une baignade en famille ou simplement prendre un verre sur la terrasse, à l'ombre des voiles d'ombrage... tant de moments que Severus ne pourrait plus partager avec eux. Quel gâchis !

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Le coup léger frappé à la porte le surprit. L'eau de la douche coulait toujours; ce ne pouvait être que Severus qui entra d'ailleurs sans plus de formalités, plissant malgré tout les yeux devant la lumière, même morne, qui filtrait à travers les rideaux. Il n'avait dû frapper que pour avertir éventuellement Harry de sa présence...

– Bonjour, sourit Lucius d'une voix aguicheuse en se retournant entre les draps. Que me vaut l'honneur ?

– Je venais chercher quelques vêtements pour me changer. Pas qu'ils soient très sales vu ma nature, mais tout de même... j'apprécie encore de me laver et de me changer chaque jour.

De fait, Severus portait encore les vêtements avec lesquels il était arrivé deux jours plus tôt et qui n'étaient d'ailleurs pas son genre habituel. Est-ce qu'il avait fait des emplettes à Colibita ou bien Mihai avait-il poussé l'hospitalité jusqu'à partager sa garde-robe ? La pensée fit sourire Lucius qui s'attarda à observer son mari. La chemise était classique malgré son col rond; le pantalon l'était également, mais bien plus près du corps que ce que Severus portait habituellement, ce que Lucius ne réprouvait pas du tout. Mais par-dessus tout, il aimait particulièrement la veste de son mari; plus une redingote qu'une veste, à vrai dire. Noire comme le pantalon mais pourvue d'une dizaine de boutons argentés qui contrastaient joliment, portée ouverte et agréablement cintrée... Un col droit qui donnait un côté un peu formel et surtout un tissu lourd et épais, entièrement brodé d'arabesques qui rappelaient celles du corps de Harry. Un vêtement d'un style ancien, mais qui allait à Severus comme un gant !

– En tout cas, ça te va bien, gloussa Lucius. Tu es beau comme un prince, là-dedans !

– Je suis un Prince, ricana Severus en faisant allusion au nom de sa mère. Mais à Colibita, on m'appelait plutôt "Seigneur" !

Lucius laissa échapper un rire léger. C'était peut-être la première fois depuis son retour que Severus osait une plaisanterie ou l'ébauche d'un sourire. Merlin ! Ça lui avait manqué ! Lucius repoussa les draps et quitta le lit pour s'approcher de son mari, en toute élégance malgré sa nudité. À travers les pans ouverts de la redingote, il glissa une main pour aller caresser le torse de celui qu'il n'avait pas touché depuis des semaines.

– Quoi qu'il en soit, je peux me proposer pour aider au déshabillage, susurra-t-il avec un sourire enjôleur.

Malgré l'épaisseur de tissu de la chemise, sa main parcourait les abdominaux toujours aussi fermes, l'ébauche des côtes, le relief légèrement érigé d'un téton...

– Arrête, Luce, fit Severus en interrompant son geste d'une main sur son poignet. Harry est juste à côté... Et tu sais très bien que ça ne mènera à rien.

– Tous les chemins mènent au plaisir, chéri ! Et Harry devra bien se faire à l'idée que tu fais toujours partie de ma vie.

Severus tenta d'atténuer son refus d'un baiser rapide, mais il maintenait fermement ses poignets pour l'empêcher de pousser ses caresses plus avant.

– Le plaisir entre toi et moi paraît bien compromis, à présent que je suis un vampire. Et Harry passera toujours avant tout le reste.

Lucius fronça les sourcils, peu enclin à se faire repousser de la sorte.

– Écoute-moi bien, Severus... j'aime autant te prévenir que je ne vais pas supporter très longtemps de devoir me contenter de ça ! Il va me falloir un peu plus que te croiser de temps en temps dans le Manoir et prendre le thé avec toi. Que tu ne veuilles pas dormir avec nous parce que tu n'en as plus besoin et parce que Harry te fuit comme la peste, je peux le comprendre. Mais moi, ne cherche pas à me fuir !

La porte de la salle de bains qui s'ouvrit empêcha Severus de répondre quoi que ce soit.

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Harry leur jeta un regard désabusé tandis que le vampire relâchait les poignets de son mari. Leur position, presque corps à corps, était équivoque mais après tout, ils n'avaient rien à se reprocher. Lucius recula d'un pas, cependant, retrouvant un visage impassible. Severus, lui, prit le temps de détailler Harry qu'il trouva encore trop mince malgré son appétit, mais dont les marques noires sur le torse lui mirent un peu de baume au cœur. Il savait qu'ils étaient liés... mais le voir ainsi, sur le corps de son calice, était apaisant.

Il ne voulut pas prolonger le silence étrange jeté dans la pièce : Severus entra dans le dressing pour prendre quelques vêtements et regagna sa chambre.

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oooooo

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Ils avaient encore passé la matinée à se fuir l'un et l'autre... Lucius partit s'enfermer dans son bureau. Cette situation l'agaçait au plus haut point. Il était ridicule que Severus et Harry ne parviennent pas à se parler, ni même à se regarder ! Ils étaient des adultes, bon sang ! Certes, leur séjour dans le pavillon chinois avait été difficile et ne leur avait pas fait du bien, mais ce n'était pas la première période compliquée qu'ils traversaient tous les deux. La situation avait été bien pire après la captivité de Harry !...

Mais cette fois-là, Severus n'avait pas été responsable de ce qui s'était passé.

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Lucius ne croyait pas plus Severus responsable de ce qui s'était produit pendant leur enfermement, mais Harry n'était certainement pas de cet avis. Et Severus lui-même n'arrivait pas à s'en persuader. Lucius en venait à douter qu'ils puissent jamais se réconcilier... Peut-être l'amour n'était-il plus assez fort entre ces deux-là... Peut-être que ce n'avait été qu'une passion, aussi vive qu'éphémère...

En tout cas, Harry ne montrait rien. Aucune émotion, aucun signe qu'il allait se radoucir ou lâcher un peu de lest dans son attitude. Il restait aussi impassible qu'une porte de prison. Quant à Severus, il paraissait si soucieux de ne pas indisposer Harry que son comportement confinait à l'immobilisme le plus total. Seulement, le temps pressait. Ce soir, Matthieu et Charlie, et dès demain, Draco et toute sa petite famille, avec les enfants qui ne manqueraient certainement pas de remarquer le moindre détail… Le problème était insoluble.

Et puis un autre sujet plus personnel troublait profondément Lucius. Depuis le retour de son mari, ils s'étaient à peine touchés. Parler, oui, prendre le thé ensemble, rester dans la même pièce en lisant un livre... Mais à part un émouvant baiser de retrouvailles et quelques effleurements par-ci par-là, il ne s'était rien passé. Pire encore, chaque tentative de rapprochement de sa part se soldait par un refus d'aller plus loin et par de petites phrases sibyllines qui le tourmentaient sans cesse.

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Au bout d'un moment, Lucius se mit en quête de son mari pour obtenir des éclaircissements. Il le trouva dans la Bibliothèque, assis à la table de travail, entouré de livres ouverts et de parchemins. La pénombre dans la pièce était telle que Lucius se demanda comment il faisait pour distinguer quoi que ce soit. À quelques pas de distance, lui-même était presque incapable de déterminer l'expression de son visage...

L'obscurité aurait pu lui donner d'autres idées, mais Lucius était là pour avoir des explications précises et il ne repartirait pas sans. Il se retourna et verrouilla la porte d'un sortilège avant de jeter un Assurdiato sur la pièce. Surpris, Severus releva la tête de ses parchemins, sa plume s'arrêta de crisser puis il finit par la poser.

– Que se passe-t-il ?

– À toi de me le dire, lâcha sombrement Lucius. Écoute, ça ne peut pas continuer comme ça... J'ai besoin de savoir ce que tu peux et ce que tu ne peux pas faire. Je ne peux pas imaginer qu'on ne puisse plus... Ça m'obsède depuis ce matin et je veux une réponse claire.

Il devina sur les lèvres de Severus ce qui semblait être un sourire moqueur. En tout cas, la voix de son mari était de toute évidence amusée.

– De quel sujet parle-t-on au juste ?

– Bon sang, Severus ! gronda-t-il. Ne m'oblige pas à te supplier !

– Ce serait inédit, en effet ! ricana le vampire.

– Je peux aussi employer d'autres moyens ! prévint Lucius en pointant sa baguette vers son mari.

Une poigne de fer s'abattit aussitôt sur son bras tandis qu'une lueur rouge traversait les yeux de Severus. Lucius n'avait eu l'intention que de le déshabiller, mais visiblement, la menace de la baguette était de trop.

– NON ! Ne t'amuse pas à ça ! fit Severus d'une voix basse et grondante.

Le vampire inspira profondément puis ses épaules se relâchèrent peu à peu, ainsi que son emprise sur le bras de Lucius.

– Je sais me maîtriser mais il y a certaines provocations qui ne passeront pas. Je ne vais pas te donner d'ordres... Ceci dit, essaie d'éviter certains gestes ou certaines paroles. Mes réactions peuvent être impulsives, même envers toi.

Severus soupira et sa main glissa lentement le long du poignet de son mari jusqu'à venir caresser la sienne. Un infime geste de tendresse pour adoucir la vérité.

– Et ce sera pareil pour le sexe... Je suis ton mari et mes sentiments pour toi n'ont pas changé. Mais je suis aussi un vampire, et comme tel, je ne pourrai plus tolérer certaines pratiques. En réalité, nous en sommes au même point, ajouta-t-il avec un sourire désolé. Je n'accepterai plus ce que tu n'acceptes pas toi-même...

– L'antichambre ? hésita Lucius en s'approchant d'un pas tandis que Severus l'attirait doucement vers lui.

Le vampire secoua la tête.

– Aucune forme de pénétration ? grimaça l'aristocrate.

– Je ne pense pas.

– Je pourrai te sucer, quand même ?!

Severus esquissa un sourire doux devant le visage désappointé de son mari.

– Ça oui et l'inverse également. Tant que tes gestes ne m'imposent rien...

– En gros, je ne peux me servir que de ma bouche et de mes mains ?! Et encore !

Severus fit légèrement pivoter sa chaise pour se mettre face à Lucius et le fit venir un peu plus près de lui, sans lâcher sa main.

– Ça ne me plaît pas plus qu'à toi, mais c'est ainsi.

Même dans la pénombre, Lucius ne pouvait pas lui cacher sa grimace crispée, ni sa contrariété.

– Aucune chance que ça change un jour ?

– Je ne sais pas, répondit lentement Severus. Peut-être que ce sera un peu plus facile quand je serai mieux nourri, si Harry accepte de me donner son sang régulièrement. La faim ne m'aide pas à contrôler mes instincts... Et puis, ma transformation est encore récente; j'ai un calice, ce qui devrait m'apaiser, mais nous avons des relations complexes et tendues.

C'était le moins qu'on puisse dire !

– Et depuis que je suis un vampire, je n'ai connu que lui sexuellement...

– J'espère bien ! grogna Lucius.

– Mais Harry est passif, et ce n'était certainement pas des conditions idéales..., reprit Severus, pensif. En réalité, je ne sais pas ce que je suis capable de tolérer comme gestes et comme pratiques, mais je sais déjà que mes instincts réfutent toutes les pensées... Toutes les pensées dans lesquelles ton sexe ou tes doigts me pénètrent de quelque façon que ce soit, acheva-t-il rapidement. Mon côté vampire n'acceptera aucune attitude de dominance, ou bien qui montre une suprématie ou un ascendant. Est-ce que c'est assez clair comme ça ?

En reculant d'un pas, Lucius soupira avec un air renfrogné.

– Très clair. Est-ce qu'il me sera encore possible de t'embrasser, ou même ça tu ne le supporteras pas ?!

En souriant doucement, Severus attira à nouveau son mari vers lui sans le brusquer.

– Tu l'as déjà fait à mon retour, il me semble... Et tu peux le refaire.

– Je... Ne crois pas que je ne pense qu'à ça, Sev, fit Lucius, soudain gêné. Mais tu sais comment je fonctionne... À la rigueur, les détails, ce n'est pas important, on se débrouillera pour faire autrement... mais j'ai besoin d'un minimum de contact, de sensualité, de proximité physique. Déjà, tu ne dors plus avec nous. Je ne te le reproche pas, mais ce sont autant de moments en moins pour se rapprocher... Et j'ai besoin de te sentir proche de moi. Sur tous les plans.

– Alors, commence par te rapprocher vraiment, fit Severus avec un sourire en coin. Je crois que nous avons bien des choses à redécouvrir ensemble.

En tirant doucement sur la lavallière que son mari portait nouée autour du cou, il incita Lucius à se pencher en avant pour se perdre dans un baiser étourdissant. Puis dans un ballet de mains curieuses. Puis dans un effeuillage minutieux...

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– Est-ce que... Est-ce que ça marche encore, au moins ?! s'exclama brusquement Lucius dans un sursaut de lucidité. Tu peux encore bander ?

Severus prit la main de son mari pour venir la plaquer sur son entrejambe.

– Je t'invite à le constater par toi-même...

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Ce petit intermède dans la Bibliothèque les avait apaisés l'un et l'autre. Lucius avait obtenu les réponses qu'il voulait. Elles n'étaient pas toutes à son goût, mais au moins il savait. Et à défaut de retrouver Severus exactement comme avant, il saurait se contenter de ce qu'il leur était possible de faire. Du moins, il l'espérait...

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Avec lenteur et minutie – avec une certaine dose d'émotion aussi –, ils s'étaient redécouverts. Lucius avait été surpris par la froideur de la peau de Severus et par sa force inédite. Si la seconde n'était pas dérangeante, tant que son mari n'en abusait pas, la première l'avait désarçonné. Il avait toujours connu Severus brûlant, échauffé, presque fiévreux pendant le sexe... Cette peau glaciale l'avait fait frissonner, même si tout le reste de l'attitude de son mari démontrait son excitation.

Mais ce n'était pas la seule différence. Après un temps de découverte prudente, Severus s'était montré aussi passionné qu'avant, mais ses gestes étaient plus brusques, plus directifs, sa voix grondait, bien plus grave qu'avant, et de temps en temps, une lueur rouge traversait son regard, malgré le glamour que Lucius avait senti sur lui. Par moments, il avait eu l'impression de jouer avec une braise incandescente, ou bien avec une bête sauvage à peine domestiquée : l'excitation du danger, mais aussi le risque réel de se brûler ou d'aller légèrement trop loin... Vers des pratiques que Lucius n'avait jamais voulu concéder, ou bien vers une suprématie du vampire sur lui.

À présent, il comprenait mieux que Severus ne puisse plus supporter aucune pénétration. La créature qui l'habitait ne tolérait aucun geste d'emprise ou d'ascendant, pas même une main sur la tête pour accompagner son mouvement quand Severus l'avait sucé. Pas même de maintenir ses poignets, de lui faire relever le visage en empoignant ses cheveux ou de se montrer trop envahissant dans un baiser. Lucius n'imaginait même pas ce qui se serait passé s'il avait aventuré ses doigts entre les fesses de son mari ! Pour une caresse, cela passait peut-être, mais pour le reste !... Severus avait dit qu'il serait sans doute plus calme lorsqu'il serait mieux nourri, et Lucius espérait vraiment que ce soit le cas ! Ils avaient eu du plaisir tous les deux – et même deux fois en ce qui le concernait –, des moments de tendresse également, mais ils restaient quand même limités dans leurs possibilités.

Et puis le plaisir de Severus était différent, aujourd'hui. Lucius le sentait satisfait quand il prenait davantage le contrôle, quand il initiait un changement de position ou de pratique. Une certaine aura de puissance émanait alors de lui, ronronnante de contentement mais dangereuse. Et lorsque Severus avait atteint ce qui ressemblait à un orgasme, cette puissance avait claqué dans la pièce comme une déflagration. Il s'était ensuite excusé; lui aussi avait besoin d'apprendre sur lui-même et ses nouvelles réactions...

Cet orgasme étrange avait laissé Lucius légèrement sur sa faim. Satisfait pour sa part, mais désarçonné, incapable de dire si Severus avait vraiment ressenti une forme de plaisir, et sans savoir si cela était normal ou non au vu de sa nouvelle nature. Heureusement, après ce « paroxysme », Severus était revenu à un comportement plus habituel : relâché, les yeux fermés, savourant cette descente après l'amour et la saine fatigue qui allait de pair. Il s'était montré très tendre, aussi, presque reconnaissant, et ils avaient ensuite pu parler à nouveau pour échanger leurs impressions et ne laisser aucune frustration en suspens.

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– Le tapis devant la cheminée, alors ? gloussa Lucius.

– Un peu raide pour toi, sans doute, ricana Severus. Moi, ça me gêne moins. Un des rares avantages de ma nouvelle condition...

Avant de se retrouver au sol, ils avaient commencé à s'effeuiller debout, ils avaient migré vers un fauteuil, sur le canapé, peut-être même utilisé la table basse, pour finir sur ce tapis trop mince mais appréciable pour s'allonger.

– Je n'ai même pas souvenir qu'on ait un jour terminé sur un tapis, comme ça !

– Oh si ! fit Lucius en souriant. Mais tu finissais toujours par râler de l'inconfort !

Pour sa part, allongé sur le corps de Severus, les bras croisés sur son torse et le menton appuyé dessus, il n'était pas si inconfortable, hormis la peau froide de son mari. La position n'était pas habituelle, mais aujourd'hui, Severus n'était plus dérangé par son poids et il semblait même prendre plaisir à le tenir ainsi sur lui, les mains glissant dans ses cheveux longs en une infinie caresse.

– Prêt à affronter ce dîner ? demanda l'aristocrate.

– Plus détendu, certainement, ironisa Severus. Et j'aurais droit au même traitement avant de partir à Torquay demain ?

– Autant que tu veux ! Si on trouve un moment en tête à tête...

… Parce que ce genre de choses, devant Harry ou dans leur chambre, paraissait pour l'instant inconcevable.

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En revanche, celui qui n'était pas du tout détendu, en cette fin d'après-midi, c'était bien Harry. Il avait déjà l'air crispé quand ils revinrent dans le Petit Salon, mais en l'espace d'une demi-heure, il trouva le moyen de se lever trois fois pour disparaître et revenir à peine quelques minutes plus tard. Il ne semblait même pas leur en vouloir de leur absence, si jamais il se doutait de ce qu'ils avaient fait dans la Bibliothèque... Ou il ne supportait vraiment pas la présence physique de Severus, ou il était malade, ou quelque chose n'allait pas.

Au bout d'un moment, il se mit à regarder fixement Severus, comme s'il voulait attirer son attention sans avoir à lui parler, mais le vampire l'ignorait délibérément. Il ressentait pourtant de plein fouet le mal-être de son calice, mais si Harry avait besoin de lui parler ou de lui demander quelque chose, il voulait l'obliger à faire le premier pas. Ce qu'il finit par faire en soupirant :

– Sev... ?

– Mmh ? fit-il en levant innocemment les yeux de son livre.

– Viens dans ta chambre.

Sans l'attendre, Harry s'était déjà levé et il avait disparu dans l'escalier en colimaçon.

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Face à Severus, Lucius haussa lentement un sourcil avec un sourire en coin tout à fait ironique.

– Amuse-toi bien ? gloussa-t-il.

– Je ne pense pas, répondit Severus en se levant. Mais je suis aussi surpris que toi.

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oooooo

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– Je suis là, fit Severus en refermant la porte de la chambre derrière lui. Que se passe-t-il ?

Harry était debout au fond de la pièce, devant les cadres de photos qu'il ne devait même pas distinguer dans la quasi-obscurité, les mains au fond des poches et passablement agité.

– Je peux allumer un chandelier ?

– Oui. Si tu veux. Même si je préfère l'obscurité, c'est la lumière du soleil qui me dérange, pas la lumière artificielle.

Sans même bouger de l'endroit où il était, Harry alluma d'une volute de magie les deux chandeliers au-dessus de la cheminée, révélant son visage tourmenté. Il hésita encore quelques instants, puis se lança enfin:

– Je veux que tu boives maintenant.

Severus en sursauta de surprise et haussa les sourcils sans comprendre.

– Pourquoi ? Cela fait à peine deux jours que tu m'as nourri. Je peux attendre.

– Parce que demain on va à Torquay et que je veux pas faire ça là-bas. Et du coup, tu ne pourras pas boire avant dimanche soir.

Le regard de Severus ne quittait pas son calice dont l'attitude nerveuse était plus que palpable. Lui, il pouvait attendre jusqu'à dimanche soir, mais Harry c'était beaucoup moins sûr. En le mordant deux jours plus tôt, Severus avait sans doute relancé un peu la production de sang de son calice et il ne pourrait plus tenir aussi longtemps qu'avant sans être mordu.

– On peut le faire demain, avant de partir, si tu veux, proposa Severus. Ou ce soir, après le dîner...

Entamer un dialogue, aussi ridicule soit-il...

– Pas demain matin, je voudrais pouvoir dormir un peu, après... et ce soir, on va finir de dîner tard. Je préfère maintenant.

Severus ne voulut pas objecter que si Harry voulait pouvoir dormir après, il aurait mieux fait d'attendre la fin de soirée, mais il n'en pensait pas moins. Son calice avait surtout besoin d'être mordu pour retrouver son calme. Quoi qu'il en soit, il n'allait pas cracher sur le fait de pouvoir se nourrir si tôt et de manière inespérée ! Surtout que ses petites galipettes un peu plus tôt dans l'après-midi avec Lucius avaient consommé une partie de sa magie.

– C'est comme tu veux. Mais encore une fois, rien ne t'y oblige, je peux attendre...

D'un signe de tête, Harry réfuta la proposition et vint s'asseoir sur le bord du lit, comme pour signifier qu'il était prêt.

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Puisqu'il allait boire, Severus passa une main sur son visage en murmurant le contre-sort qui annulait son glamour. Après tout, c'était ce que Harry avait réclamé la fois précédente, et même si, aujourd'hui, son attitude était radicalement différente, il tenait à le mettre face à ses propres exigences, aussi humiliantes soient-elles.

Mais cette fois, Severus ne détourna pas le regard et une certaine satisfaction surgit dans son ventre en lisant la culpabilité dans le regard de son calice. Culpabilité de ne pas l'avoir nourri et de voir la faim à même son visage, ou bien culpabilité de lui avoir imposé d'enlever ce glamour, il n'en savait rien, mais elle satisfaisait en tout cas son ego de vampire.

Lentement, il vint s'asseoir à la gauche de Harry, pas trop près cependant, tandis que celui-ci remontait la manche de son pull. Severus pris dans sa main le poignet qui lui était tendu et passa son pouce sur l'endroit où il avait mordu deux jours plus tôt. Aucune trace ne persistait sur la peau douce, aucune cicatrice, mais Harry sursauta sous le toucher de son doigt.

– Tu as mal ?

– Quand tu as bu ? Non, je n'ai pas eu mal.

– Bien. Mais je pensais plutôt maintenant, précisa Severus en caressant du pouce le creux du poignet de son calice.

– Non, je n'ai pas mal du tout.

– Tu as eu des vertiges, après ? Mal à la tête ? Une sensation de faiblesse ?

– Non, rien de tout ça.

– Bien.

Severus sourit doucement. Harry était déjà plus calme, mais il attendait de toute évidence qu'il boive.

– Je ne vais pas boire beaucoup ce soir, parce tu m'as déjà nourri il y a deux jours, mais si tu as le moindre vertige, dis-le moi aussitôt.

Harry hocha simplement la tête. Severus posa ses lèvres sur la peau fine du poignet de son calice et mordit délicatement en fermant les yeux.

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La pression était encore forte, mais cette fois, il s'y attendait. Dès que le sang jaillit dans sa bouche, Severus appliqua sa langue sur les orifices pour moduler le flux. Et effectivement, Harry n'aurait jamais pu attendre jusqu'à dimanche soir...

Goulûment, il but deux ou trois gorgées qui explosèrent dans sa gorge en une avalanche de saveurs, avant de se maîtriser pour savourer son plaisir. Le sang de Harry était un nectar, un délice, une jouissance qui emportait chaque parcelle de son corps et de son esprit, et dont il pouvait cette fois profiter avec une lenteur infinie.

Aussitôt que Severus l'avait mordu, la respiration de Harry s'était ralentie, tout comme les battements de son cœur. Le sang, s'il continuait de pulser dans sa bouche, n'avait plus cette puissance démesurée, presque affolée. Il pouvait boire, lentement, en prenant son temps, distinguer chaque saveur, sur sa langue, dans sa gorge, sur le chemin vers son estomac, il pouvait sentir la magie se diffuser dans son propre corps, y insuffler vie et chaleur, ainsi qu'un sursaut de jeunesse, il sentait le lien se renforcer, le désir qui montait aussi, mais qu'il ne pourrait assouvir...

Severus soupira mentalement et but encore quelques gorgées en savourant la quiétude du moment. Avoir son calice qui lui donnait son sang, assis aussi calmement à ses côtés, tenait presque du miracle. Il ne l'avait pas mordu au cou, ils n'allaient pas faire l'amour ensuite, mais le progrès n'en était pas moins palpable. À aucun moment, Harry ne l'avait méprisé ou rejeté.

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Avec moins de regrets que la dernière fois, Severus se retira, lécha soigneusement la plaie jusqu'à ce qu'elle soit cicatrisée, puis se redressa en ouvrant les yeux. Harry était calme, mais très pâle. Figé.

– Est-ce que ça va ?

– Oui, fit-il après un instant de silence. Oui, ça va.

– Tu es sûr ?

Harry se contenta de hocher la tête, la main posée sur sa cuisse, sans même penser à redescendre sa manche. Severus avait déjà remarqué, sur son autre main, la présence de la nouvelle alliance aux armoiries des Malfoy, mais il constatait avec une satisfaction plus grande encore, que Harry portait toujours celle de leur union.

Pour sa part, le liseré vert sur son annulaire, sous son alliance de mariage, avait gagné en brillance lors de la dernière morsure, et Severus percevait maintenant son éclat encore plus intense, malgré l'excès de lumière dans la chambre. La nuance resterait sans doute invisible aux yeux des mortels, mais ses sens vampiriques mesuraient très bien la différence.

– Tu veux manger ou boire quelque chose tout de suite ? s'inquiéta Severus devant l'immobilisme de son calice.

– Non, répondit Harry en finissant par baisser sa manche. Je peux attendre le dîner... Je vais aller... me changer avant qu'ils arrivent.

Il essuya lentement les paumes de ses mains sur son pantalon, une deuxième fois, puis se leva sous le regard attentif du vampire.

– Tu as les yeux un peu moins rouges, fit Harry après un regard furtif.

Severus acquiesça, esquissa un sourire de remerciement, mais son calice avait déjà tourné la tête avant de quitter la pièce sans un mot de plus.

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oooooo

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– Ils arrivent à quelle heure ? demanda Severus en s'asseyant à califourchon sur les genoux de son mari. Tu crois qu'on a le temps pour une petite bagatelle ?

Lucius éclata de rire devant l'empressement de Severus, surpris et ravi à la fois. Il se doutait bien qu'il n'était pas à l'origine de cette envie subite, mais il était tout à fait d'accord pour en récolter les fruits.

– Dans trois quarts d'heure. On a largement le temps pour ça, et pour ça aussi, fit l'aristocrate en signalant du bout du doigt une tache de sang sur la chemise du vampire.

Severus grogna de contrariété devant ce gâchis qui ne lui ressemblait pas. Lucius n'aurait pas été là, il aurait sans doute léché sa chemise pour savourer encore le goût du sang de son calice.

– C'est pour ça que Harry t'a fait monter ?

– Oui. Il voulait que je boive maintenant. Il n'aurait jamais tenu jusqu'à ce qu'on revienne de Torquay, et il avait besoin de retrouver son calme tout de suite. Seulement, le sang, ça calme la faim mais ça réveille d'autres appétits, fit Severus en se redressant pour déboutonner son pantalon. Et Harry n'est pas encore prêt pour ça. Alors, à toi de jouer. Et sois à la hauteur de ta réputation !

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oooooo

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Severus frappa doucement à la porte de son ancienne chambre et attendit quelques instants. Harry n'était pas redescendu pendant les dix minutes de sa bagatelle avec Lucius, il y avait toutes les chances pour qu'il soit encore ici et il ne voulait pas paraître trop intrusif. Devant l'absence de réponse, il tourna la poignée et ouvrit la porte avec méfiance. Heureusement, les rideaux étaient assez tirés pour qu'il ne soit pas trop incommodé et il pénétra plus avant dans la chambre.

Avant de s'arrêter brusquement. Harry était là, sur le lit, allongé sur le ventre par-dessus les draps, encore habillé mais vraisemblablement assoupi. En percevant sa présence, il se réveilla, releva la tête, puis la laissa retomber sur l'oreiller. Severus ne put s'empêcher de sourire; il avait eu le temps d'apercevoir les jolies traces des plis des draps sur la joue de son calice.

– Grmmph... Me suis endormi, je crois...

– Tu as encore un peu de temps avant qu'ils n'arrivent. Tu es sûr que tout va bien ?

Il savait que Harry allait bien, il avait même senti pour la première fois depuis son retour que le mal-être de son calice avait disparu pour faire place à un certain contentement, mais son comportement, un peu trop amorphe et éteint, l'inquiétait.

– Oui, ça va. Je vais aller prendre une douche, ça va me réveiller. Qu'est-ce que tu voulais ?

– Juste prendre une chemise dans le dressing. J'ai fait une tache sur celle-ci...

Harry grogna son assentiment avant de se redresser péniblement pour s'asseoir au bord du lit, les cheveux plus décoiffés que jamais. Severus sourit à nouveau, mais il ne voulut pas insister et entra dans la garde-robe à la recherche d'une chemise convenable. Et pourquoi pas de la redingote que lui avait offerte Mihai et que Lucius aimait tant, si les elfes l'avaient déjà nettoyée...

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Si l'on n'avait pas de grandes exigences, aujourd'hui était presque un jour de fête : il s'était envoyé en l'air avec son mari – deux fois –, Harry l'avait appelé par son diminutif et non pas par son prénom – ni par un mot plus insultant encore –, il avait proposé de lui donner son sang spontanément et il avait eu à son égard un comportement bien moins vindicatif que la veille... On était encore loin de relations normales, mais à force de petites choses, ils progressaient quand même.

Quand Severus ressortit du dressing, Harry était parti sous la douche. Ce qui signifiait aussi qu'il n'avait pas eu besoin de se laver juste après lui avoir donné son sang...

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ooOOoo

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Quand les elfes annoncèrent que Charlie et Matthieu venaient d'arriver sur le perron, Lucius et Severus se levèrent de concert pour aller les accueillir.

– Harry ? murmura Lucius.

– Ne t'inquiète pas. Il va descendre.

Ils remontèrent le couloir pour les retrouver dans le Hall où les deux professeurs confiaient leurs manteaux aux elfes de maison, humides de la pluie qu'ils avaient traversée pour rejoindre les grilles de Poudlard.

En maître de maison, Lucius les salua chaleureusement tandis que Severus restait un pas en arrière. Charlie, le premier, se tourna ensuite vers lui, le considéra un instant, avant de lui adresser un simple signe de tête que Severus poursuivit par une poignée de main ferme. Loin de toutes ces considérations, Matthieu le prit dans une étreinte émue que, finalement, Severus supporta mieux qu'il ne l'aurait cru.

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Lucius entraînait déjà tout le monde vers le Petit Salon, mais juste avant d'y pénétrer, Severus prit son fils adoptif par le bras et le fit rentrer dans son bureau. Il alluma un chandelier, referma la porte puis y jeta un sortilège de silence, avant d'aller s'asseoir dans son fauteuil.

– Assieds-toi, s'il-te-plaît...

– Qu'est-ce qu'il y a ? fit Matthieu, surpris. Tu veux me parler ?

– Oui, quelque chose comme ça, soupira Severus. J'imagine que tu as plein de questions, sur ce qui s'est passé, sur moi, sur ma nouvelle nature, sur ce que ça change pour nous ou dans ma vie... C'est le moment de me demander tout ce que tu as sur le cœur, y compris ce que tu n'oserais pas demander, ou ce qui serait malvenu devant Lucius ou Harry...

Du coin de l'œil, Severus aperçut le chatoiement du sortilège d'argent derrière les rideaux tirés et cela l'apaisa aussi sûrement qu'une bagatelle avec son mari. Même sans y toucher, même sans jouer avec, cela avait le mérite de le tranquilliser.

– J'aime autant que tu le fasses avant de rejoindre tout le monde. Je t'en prie... pose tes questions...

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Réticent au début, et surtout interloqué, Mattieu mit quelques minutes avant de se lâcher et de redevenir, comme lorsqu'il était adolescent, un véritable puits de curiosité. Il interrogea Severus sur tout et n'importe quoi, sur ses nouvelles capacités, sur le fonctionnement très prosaïque de son corps ou sur ses intentions au sujet de la Librairie. En bon potionniste, il s'intéressa aussi à cette substance que sécrétaient les vampires et qui leur permettait de transformer ou de tuer leurs victimes.

Severus répondit du mieux qu'il put, avouant parfois son ignorance devant des choses qu'il comprenait encore mal ou qui restaient mystérieuses pour les vampires eux-mêmes depuis des siècles. Il apporta les éclaircissements qu'il pouvait, expliqua ce qui faisait son unicité : sa capacité à se servir de la magie sorcière malgré sa transformation, et qui fascinait tant les Anciens. Il parla aussi un peu de son séjour à Colibita et des gens qu'il avait rencontrés là-bas, autant que son vœu de silence le lui permettait.

Cependant, autant qu'il put, il évita de parler de son ressenti personnel et de son désarroi à l'idée de survivre à tous ceux qu'il aimait. Il ne parla pas plus de sa fascination pour les bains d'argent, ni du deuil de son ancienne vie qu'il n'arriverait sans doute jamais à faire. Certaines choses lui appartenaient et il n'était pas prêt à les partager, même avec Lucius – ou alors à demi-mots. Et pas avant très longtemps.

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Quand après un bon moment, Matthieu eut l'air rassasié de réponses et d'explications, quand il resta muet en suivant le fil de ses pensées sans plus poser une seule question, Severus posa son menton sur ses mains jointes, ferma les yeux une seconde avant de se lancer dans la mise en garde pour laquelle il avait pris Matthieu à part.

– Bien. Je constate que tu ne m'as posé que très peu de questions sur Harry et sur notre relation... J'imagine que tu comptes te faire ton idée personnelle, et sans doute lui demander certaines choses de vive voix. En tête à tête... Je me dois cependant de te faire une petite mise au point avant de les rejoindre.

D'emblée, Matthieu avait froncé les sourcils devant son changement d'attitude et son ton trop professoral qui lui rappelait sans doute de lointaines années.

– Comme tu vas vite le constater, les relations entre Harry et moi sont tendues. Ce n'est pas de sa faute. Ce n'est pas complètement de la mienne... Mais c'est ainsi. Ni lui, ni moi n'avons choisi cette situation, et même s'il s'est porté volontaire pour devenir mon calice, nous la subissons tous les deux. Ce n'est pas simple, et à tout le moins, nous avons besoin de temps pour que les difficultés s'aplanissent... J'attends de toi que tu ne portes aucun jugement sur ce qui se passe entre lui et moi, et encore moins que ce soit un sujet de plaisanterie ou de moquerie.

– Pour qui tu me prends ?! protesta Matthieu en serrant les dents. Harry est mon ami ! Jamais je ne chercherai à le blesser !

– Et ne t'avises pas de le faire ! menaça Severus. Même sans le vouloir !

Le vampire posa les mains sur son bureau et se redressa pour toiser son fils adoptif. Il savait que ses yeux devaient rougeoyer malgré le glamour mais son instinct le poussait à imposer son point de vue.

– Tu dois bien comprendre certaines choses, Matthieu, gronda-t-il sourdement. Charlie sait se comporter avec un vampire et son calice, mais toi non...

– J'avais rencontré Tobias !

– En même temps que son vampire ?! ricana Severus. Et encore, comparé à moi, Mihai est doux comme un agneau !

La menace plana quelques secondes dans l'atmosphère tendue de la pièce. De toute évidence, Matthieu se retenait de se lever pour lui faire face ou de quitter le bureau en claquant la porte.

– Je vais être clair, reprit Severus. Ne t'avise pas de blesser Harry par des mots, des insinuations ou des moqueries, que ce soit intentionnel ou non. Ne le mets pas sous pression, ne le pousse pas dans ses retranchements, ne le bouscule pas, verbalement ou physiquement, même pour s'amuser. Du moins, pas en ma présence. Si je te dis de te taire, tais-toi. Si je te dis de reculer, recule-toi. Si je te demande de partir, fais-le. Dis-toi bien que s'il y a un problème entre vous, je ne suis même pas en mesure de choisir ou de rester impartial. Harry est mon calice et certaines réactions me dépassent. Il passera toujours avant tout le reste, quelle que soit l'estime que je te porte.

– Je crois que c'est très clair ! grinça Matthieu en faisant un effort visible pour maîtriser sa voix.

Severus observa un instant le jeune professeur, mesurant sa colère difficilement contenue devant la menace, mais aussi sa nervosité devant l'aura puissante qu'il avait laissée s'échapper à dessein. Le message était passé et il n'aurait pas à revenir dessus. Il se permit de se radoucir un peu pour ne pas laisser Matthieu sur cette impression de dangerosité.

– Tu seras toujours mon élève, mon disciple, et surtout le fils que je n'ai jamais eu. Mais en ce qui concerne Harry, ne pousse pas trop loin mes instincts de protection...

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La conversation s'interrompit brutalement quand ils pénétrèrent dans le Petit Salon, tandis que trois regards aigus se tournaient vers eux. Severus se contenta d'un signe de tête à l'égard de son mari et de Charlie. Harry, lui, s'était approché pour accueillir Matthieu qui le prit dans ses bras en oubliant toute sa contrariété après leur entretien.

– Saluuut ! Je suis content de te voir ! fit le professeur en l'embrassant sur les deux joues. Ça fait plaisir !... Comment tu vas ?

– Ça va, ça va, hésita Harry. Et toi ? Qu'est-ce que vous foutiez, tous les deux ? Un tête à tête entre hommes ?

– M'en parle pas ! lui murmura Matthieu à l'oreille. Je viens de me prendre un sermon digne de la grande époque ! Qu'est-ce qu'il est possessif !

– Possessif ? Comment ça ?

– Possessif comme « mon Harry » par-ci, « mon calice » par-là... Encore pire qu'avant, et c'est peu dire !

– Qu'est-ce qu'il...

– Allez, venez vous asseoir, tous les deux ! fit la voix de Lucius qui interrompit leurs murmures. Matthieu, qu'est-ce que tu veux boire ?

Severus soupira en les regardant s'installer côte à côte sur le canapé. Finalement, Matthieu n'avait peut-être pas retenu grand-chose de son sermon s'il avait déjà oublié qu'aucun murmure ne serait assez discret pour son ouïe de vampire.

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– Hey ! Tu vas pas trinquer à l'eau, quand même ! gloussa Matthieu envers son voisin de canapé. Tu ne bois plus d'alcool ?

– Si. Si, bien sûr. Mais je commence à avoir un peu faim, et j'avais peur que ça me tourne la tête...

En toute discrétion, Severus surveillait et son calice, et Matthieu. Et rapidement, il s'aperçut que Lucius faisait de même... Il ne devait pas percevoir le contenu de leur conversation, mais l'aristocrate gardait en permanence un œil sur Harry et sur ses réactions.

D'après le peu que Lucius lui avait dit, la journée à Torquay avait été éprouvante pour leur amant, pris entre des questions intrusives et des réponses qu'il ne voulait pas donner. Ce soir, la même situation se profilait, et si Harry avait été gêné à Torquay, il risquait de l'être encore plus parce qu'aujourd'hui, Severus était présent, et que ni l'un ni l'autre ne pouvait cacher la tension qui existait entre eux... Heureusement que Harry avait tenu à ce qu'il le morde avant ce dîner, sinon l'état de nervosité de son calice aurait été insupportable. Pour Harry lui-même, mais aussi pour lui !

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La migration vers la Salle à Manger fut vraisemblablement précipitée par Lucius, sans que Severus ne le comprenne au premier abord. Pour certains petits détails, son mari semblait connaître Harry mieux que lui, et dès qu'il le vit se passer la main sur le ventre en grimaçant discrètement, Lucius se leva pour sonner l'heure du repas. Que les elfes soient prêts ou non importait peu, Harry trouverait toujours quelque chose à grignoter sur la table, ne serait-ce qu'un morceau de pain...

Contre toute attente, le dîner se passa relativement bien. Harry et Matthieu discutaient ensemble, l'un à côté de l'autre, de cette potion élaborée à quatre mains – à huit même, si l'on comptait les deux apprentis de Matthieu. Harry n'avait pas su le fin mot de l'histoire, pris par la mort de Severus, son échappée auprès de Mihai à la recherche d'une solution, puis par son enfermement avec son futur vampire; aussi Matthieu lui raconta l'heureuse maladresse de Lisbeth : un ingrédient jeté par erreur dans le chaudron qu'il avait laissé sur le feu, un Accio réflexe pour réparer sa bêtise, et le résultat miraculeux qui avait suivi. Puis la potion traînée au laboratoire de Sainte-Mangouste, les essais multiples, les jours et les nuits passés à brasser des dizaines de chaudrons avec l'équipe de Sam et Deirdre, la recherche fastidieuse d'ingrédients capables de se substituer à ceux, trop rares, qui constituaient sa potion de base, et puis le travail inlassable pour faire connaître leur résultat à tous les hôpitaux d'Europe.

De fil en aiguille, il ne fut bientôt plus question que d'équivalence d'ingrédients, de température de chauffe et d'idées pour améliorer encore leur création. Severus écoutait d'une oreille distraite... Si chacun pouvait se prémunir d'une morsure à l'aide de cette potion, cela signifierait bientôt la fin de la race des vampires... De sa propre race, à présent. Du moins, il ne resterait que ceux qui existaient déjà et qui finiraient par se tuer de lassitude ou de dépression. Mais qui pourrait vraiment regretter cette vie infinie, sans but, ni fin, ni espoir... ? Pas lui, en tout cas.

Pour sa part, il conversait tranquillement avec Lucius et Charlie, que son mari semblait avoir pris en amitié pendant son absence. Cela ne lui déplaisait pas, à vrai dire : Charlie était un homme intelligent. Pas un rat de bibliothèque, ni un scientifique, ni un érudit, mais il avait cette finesse acquise au contact des dragons, ce sens de l'observation qui lui permettait de comprendre un comportement, d'analyser une attitude, et surtout d'anticiper les réactions des autres.

Et il avait très vite compris, contrairement à Matthieu, qu'il ne fallait pas s'interposer, d'une façon ou d'une autre, dans la relation entre Severus et son calice.

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Ils parlaient de la Roumanie lorsque la première tension, inévitable, survint. De Colibita, d'autres endroits que Severus n'avait pas eu le loisir de visiter, des réserves de dragons, des montagnes et des paysages... Un presque sentiment de nostalgie qui lui donnait envie de voyager quand les mots, en face de lui, le raccrochèrent à la réalité.

– Je n'avais pas vraiment compris, tout à l'heure, quand tu disais que tu avais un peu faim, gloussait Matthieu.

À côté de lui, Harry avalait sa quatrième ou cinquième assiette de nourriture, le dernier à manger tandis qu'ils avaient tous fini et qu'ils l'attendaient pour le dessert.

– C'est impressionnant, ce que tu peux engloutir, mais c'est vrai que maintenant, tu manges pour deux ! Ou même pour quatre, on dirait ! Je ne me souvenais pas que Tobias mangeait autant... Tu es sûr que Severus ne te prend pas un peu trop de sang ?

Harry avait brutalement pâli, sa mâchoire suspendue entre deux mastications, avant de déglutir péniblement. Et dans le lien, Severus perçut le malaise immédiat.

Que dire ? Qu'il venait juste de revenir et qu'il n'avait mordu Harry que deux fois ? Qu'il lui avait effectivement pris trop de sang à une période et que Harry avait failli en mourir ? Que la question du sang et des morsures était d'un domaine strictement privé entre le vampire et son calice, et certainement pas un sujet que l'on abordait en public ?!

Les yeux flamboyants, Severus maîtrisa à grand peine son mécontentement, mais le petit geste discret de Charlie à son compagnon pour le faire taire l'apaisa mieux qu'une altercation en plein repas. Et la réaction de Harry, superbe d'ignorance une fois passée l'amertume, acheva de le rasséréner.

– J'ai faim, je mange. Si c'est trop long pour toi, tu peux passer au dessert !

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Le second accrochage, un peu plus sérieux, eut lieu alors qu'ils buvaient un verre dans la Salle de Billard, après le dîner. Severus s'était posé près du feu, un peu las de cette effervescence, de tout ce monde avec qui il fallait interagir et de ses réactions à surveiller. Il avait besoin du calme de la nuit, de silence, de solitude et d'obscurité... Mais il devait encore patienter un peu. Avec un soupçon d'appréhension, il se demandait ce que ce serait à Torquay, avec les sollicitations permanentes des enfants !

Severus sourit en entendant Charlie raconter comment avait été perçue la démission de Lucius depuis Poudlard, par l'ensemble des professeurs, mais aussi par les fantômes et les quelques étudiants étrangers encore présents pendant l'été. Dans son discours, son mari disait ne toujours pas regretter son choix, et pour une fois, Severus avait l'intime conviction que c'était vrai. Même s'il ne l'avouerait jamais, Lucius avait été vraiment secoué par ce qui leur était arrivé depuis un an, que ce soit la captivité de Harry, la tentative d'enlèvement de Scorpius ou sa propre transformation, et il aspirait sincèrement à vivre autrement.

Le claquement sec des billes fit sursauter Severus. Entre la chaleur du feu et la fatigue, la torpeur n'était pas bien loin, malgré le sang qu'il avait bu avant le dîner. À la table de billard, Harry et Matthieu jouaient tranquillement, échangeant des paroles à voix basse qui formaient un murmure confus dans le brouillard de son esprit. Mais le volume sonore des paroles s'éleva imperceptiblement et la tension soudaine de son calice acheva de l'alerter.

– Qu'est-ce qui s'est passé entre vous pour que ce soit tendu comme ça ? Vous ne vous adressez pas la parole, vous n'échangez même pas un regard ! Severus m'avait prévenu mais je dois avouer que c'est un peu particulier comme ambiance. C'est comme si vous n'existiez pas l'un pour l'autre !

– Je ne veux pas en parler. C'est comme ça. Il faut juste s'habituer à la situation...

– Juste s'habituer ?! fit Matthieu en un murmure plus véhément. Tu te rends compte que tu en as pour l'éternité avec lui ? Vous ne pouvez pas rester comme ça !

– Les calices ne sont pas immortels.

De son fauteuil, Severus grimaça. Cette réalité-là faisait partie des plus difficiles à avaler.

– Et donc, c'est ça, ton objectif ?! reprit Matthieu. Attendre la mort en l'ignorant ? Alors que vous partagez un des liens les plus merveilleux qui soit ?!

– Tu ne sais rien des vampires et des calices, fit Harry en s'éloignant pour aller frapper une bille un peu plus loin. Tout n'est pas aussi merveilleux que tu le crois.

– C'est de le nourrir qui te dérange ? Tu as l'impression de lui servir de garde-manger sur pattes ?

Harry s'était figé. La bille avait claqué avec une force assourdissante. Et l'aura de Severus écrasa la pièce tout aussi violemment.

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Dressé devant son calice, sa colère rayonnait autant que sa puissance. Le glamour ne suffisait plus à camoufler le rougeoiement de ses yeux, et même ses canines sortirent pour appuyer la menace.

Matthieu avait reculé d'un pas dès qu'il était apparu entre lui et Harry, dès qu'il s'était interposé et il hésitait à reculer encore, le visage traversé par toute une panoplie d'émotions allant de la surprise devant son apparition inopinée, à la peur, en passant par la culpabilité et les regrets. Dans son dos, Severus entendait les battements de cœur de son calice se calmer, mais sa colère à lui n'était pas calmée pour autant. Malgré sa mise en garde, Matthieu avait blessé son calice; sa douleur et sa honte avaient été fulgurantes, il s'était senti humilié, écrasé... Même si Severus ne les jugeait pas pertinents, les sentiments de Harry avaient soulevé son désir de vengeance.

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Calmement, sans gestes brusques, Charlie s'était approché et venait de s'interposer entre eux, baguette à la main mais les bras baissés pour ne pas représenter une menace. Seule sa main libre était légèrement relevée en signe d'apaisement.

– Arrête. Matthieu ne pensait pas à mal... La plaisanterie était courante entre Tobias et Mihai, et Tobias était le premier à parler de lui-même en ces termes et à en rire...

Severus gronda, son aura agitée de colère et d'agacement. Il avait pourtant prévenu Matthieu !

Charlie recula d'un pas vers son compagnon, le regard fixé sur le vampire tout en évitant ses yeux.

– Je pense que nous allons en rester là pour ce soir et rentrer à Poudlard, annonça-t-il d'une voix mesurée.

Severus grogna sa satisfaction. Arrêter ou éloigner le problème, c'était tout ce qui comptait. Ça et les sentiments de son calice qui semblait passer à autre chose.

– La partie n'est pas finie, fit sèchement Harry. Pousse-toi, tu me gênes !

Severus se décala d'un pas tandis que la tension achevait de retomber, aussi vite qu'elle était montée. Il hocha la tête; Charlie se détendit imperceptiblement, puis rangea sa baguette. Harry se pencha sur la table pour viser sa bille. Matthieu était le seul qui restait interloqué, les sourcils froncés devant ce qui s'était joué trop vite pour qu'il le comprenne.

– Dans ce cas, c'est moi qui vais vous laisser, fit Severus. Bonne fin de soirée.

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À peine Severus avait-il quitté la pièce que Charlie se tourna vers son compagnon. Matthieu venait d'affronter pour la première fois son père adoptif dans son rôle de vampire et le bouleversement ne devait pas être simple à gérer. Il ne savait pas ce qui s'était dit entre les deux hommes dans le bureau, mais vraisemblablement pas assez pour éviter cette confrontation.

– Ne t'inquiète pas, murmura-t-il. Ce n'est qu'un incident sans conséquences comme il y en aura bien d'autres. Tu as blessé Harry d'une manière ou d'une autre et Severus a réagi. Ne le prends pas personnellement, ça n'a rien à voir avec ce que tu es pour lui. Il aurait fait pareil avec n'importe qui d'autre...

– Alors pourquoi il est parti s'il est censé protéger Harry ?

– Parce qu'il a réagi et que son calice l'a désavoué. C'est un autre problème qui se réglera entre eux.

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– Harry, je suis désolé si j'ai dit quelque chose qui t'a blessé, s'excusa Matthieu tandis que Charlie regagnait son fauteuil près de Lucius. Je n'en avais pas conscience et ce n'était pas du tout mon intention... Je n'aurais pas dû parler de tout ça, je sais que ça ne me regarde pas mais...

– En effet, ça ne te regarde pas. C'est à toi de jouer.

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oooooo

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– Je suis là, si c'est moi que tu cherches...

Surpris par la voix sortie de l'obscurité, Lucius sursauta avant de rire de sa frayeur.

– Évidemment que c'est toi que je cherche puisque c'est ton bureau !

Un mouvement près de la fenêtre attira son attention, puis le rideau s'ouvrit sur la nuit extérieure et la faible clarté de la lune. Dans la noirceur de la pièce, Lucius n'y voyait toujours pas grand-chose, mais entre des nuances d'ombre et de gris, il devinait la silhouette de son mari et derrière lui, le chatoiement léger d'un sortilège sur la vitre.

– Je venais te dire qu'ils sont partis et qu'on va monter se coucher... Est-ce que ça va ?

– Oui, tout va bien, acquiesça Severus en s'approchant de lui. Désolé pour cet incident, mais cela risque de se reproduire, quoi que j'y fasse...

– Je me doute, fit Lucius en glissant ses bras autour de la taille de son mari. On s'y fera. Tant que ça ne porte pas plus à conséquence... Il faut juste que chacun apprenne à vivre et à se comporter avec ce que vous êtes dorénavant.

– J'ai essayé de prévenir Matthieu avant, soupira Severus. Mais j'imagine que ce n'était pas très parlant tant qu'il n'y était pas confronté... Comment a-t-il réagi, après ?

– Ça allait. Charlie lui a dit quelques mots... Il était plutôt embarrassé de ce qu'il a causé que furieux contre toi...

Entre ses bras, la tension de Severus se relâcha quelque peu et il glissa à son tour ses bras autour de sa taille.

– J'espère que ce sera plus calme à Torquay...

– Et avec les enfants ? Ils sont parfois maladroits...

– Ils ne craignent rien, si c'est ce qui t'inquiète, soupira à nouveau Severus. Ils sont mineurs. En tant que vampire, je ne peux pas leur faire de mal, quoi qu'ils fassent. Je n'en aurais pas fait à Matthieu non plus, du moins pas pour si peu, mais ma réaction est instinctive. Et la menace se veut dissuasive...

Malgré tout soulagé, Lucius embrassa les lèvres de son mari en le collant un peu plus contre lui. Il ne pouvait que deviner son visage dans l'obscurité, mais il sentait bien son corps glacial en quête de chaleur.

– Je vais monter. Harry m'attend... Il était un peu tendu, mais je ne pense pas qu'il t'en veuille.

– Je lui parlerai demain, fit Severus en venant embrasser son cou puis mordiller son oreille.

– Sev..., gloussa Lucius. Ça suffit. On se voit demain matin...

Severus grogna une réponse inaudible, puis à regrets, s'éloigna de son mari avant de le raccompagner vers la porte de son bureau.

– Bonne nuit, murmura l'aristocrate en l'embrassant à nouveau.

– Mmhh... Luce, s'il-te-plaît…

– Oui ?

– … Mets un sortilège de silence sur votre chambre.

Brusquement, Lucius se mordit les lèvres. Se pouvait-il que Severus, avec son ouïe de vampire, les ait entendus ? Qu'il ait perçu les gémissements et les cris de son propre calice en train de faire l'amour avec un autre ?

– Tu entends tout ?

– Pas vos conversations si vous parlez normalement. Mais une dispute ou d'autres genres de cris, oui...

– Je suis désolé, murmura Lucius. J'y veillerai, à présent... Mais tu es bien conscient que je ne peux pas te promettre de ne pas le toucher ? ajouta-t-il avec une pointe d'ironie.

Severus grogna avant de refermer la porte de son bureau.

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oooooo

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Lucius avait dû tenir sa promesse car ce soir-là, Severus n'entendit rien. Ou bien Harry était trop contrarié par la soirée... ou trop fatigué par son don de sang...

Quelques minutes après le départ de son mari, le silence s'étendit sur le Manoir. Un calme tranquille que ne troublait que le grattement de sa plume; un simple message pour Matthieu, pour ne pas rester sur cette confrontation. Il espérait que le jeune homme comprenne, aidé par les explications et la tempérance de Charlie...

Le dragonnier était vraiment quelqu'un de précieux, songea Severus en s'étirant. En toutes circonstances, il était calme et mesuré, avec un recul judicieux sur les gens et capable de modérer bien des caractères emportés. Sauf quand il avait bu... Tout le monde se souvenait encore de l'esclandre qu'il avait fait à l'encontre de Harry lors d'un dîner de famille. Mais en dehors de ce soir-là, Severus devait avouer qu'il appréciait sa compagnie et ses avis.

Il en avait entendu le plus grand bien également pendant son séjour à Colibita, que ce soit de la part de Mihai, d'autres Anciens, ou même parmi les serviteurs du Palais. Son amitié avec le calice du Gouverneur était connue de tous, et son chagrin bouleversant lors des funérailles en avait ému plus d'un. Charlie était apprécié en Roumanie, et pas seulement parmi les dragonniers...

Severus cacheta le message et se leva. Comme un réflexe, le chatoiement du sortilège d'argent l'attira vers la fenêtre, mais ce soir, il n'éprouvait pas le besoin de jouer avec. Il restait vaguement contrarié par l'altercation avec Matthieu, et surtout par la conversation qu'il devait avoir avec Harry sur le sujet, mais pas au point de vouloir ressentir cette douleur-là. Il tira un peu plus les rideaux pour profiter de la vue sur le jardin noyé d'obscurité et se perdit dans la contemplation du ciel étoilé. La nuit était devenue son univers, son refuge, un moment d'apaisement salutaire. Le calme qui s'étendait sur toutes choses, le silence, cette impression de respirer...

L'elfe en faction près de la porte ne se réveilla même pas lorsqu'il prit sa cape et ses gants dans le vestiaire du Hall d'Entrée, pas plus que lorsqu'il enfila ses bottes. Severus passa le capuchon sur sa tête avant de sortir sur la terrasse du Manoir; habitude inutile mais réconfortante. Un peu en contrebas, la piscine scintillait doucement. Il descendit les marches perdues dans l'ombre en inspirant à pleins poumons, assailli par les parfums de la nuit : l'humidité, l'odeur lourde des roses, de l'herbe et de la terre; une fraîcheur vivifiante...

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ooOOoo

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Severus remontait l'escalier en colimaçon quand des bruits dans le silence le surprirent. Il s'avança dans le couloir jusqu'à ce que ses pas l'amènent à proximité de la Salle à Manger. Il était encore tôt, trop tôt pour que quiconque soit levé en temps normal, mais Harry était visiblement déjà à table, en train de prendre son petit-déjeuner. Seul.

Severus avait prévu de monter prendre une douche dans sa chambre après sa séance prolongée de natation, puis de s'habiller avant de descendre travailler un peu, mais l'occasion de parler à Harry était belle. Peut-être unique...

Il se présenta dans l'encadrement de la porte, tout en restant suffisamment en retrait pour profiter de l'ombre du couloir.

– Déjà debout ? fit-il d'une voix qu'il espérait chaleureuse. Il est pourtant tôt...

– J'avais faim, répondit Harry avec un léger signe de tête en guise de salut. Pas assez mangé hier soir...

– Luce est descendu ?

– Non, il dort encore. Il a mal dormi cette nuit...

Severus fronça les sourcils, mais ne voulut pas s'appesantir. Il poserait la question directement à son mari... Si Harry semblait disposé à échanger quelques mots, il fallait en profiter.

– Est-ce que je peux te parler cinq minutes ?

Harry releva la tête sans comprendre, puisqu'ils parlaient déjà, puis il dut se rendre compte de sa position en retrait et de son désir d'une conversation sérieuse... D'un geste, il alluma un chandelier sur le manteau de la cheminée, derrière la chaise vide de Lucius, puis occulta d'un sortilège toute la lumière qui venait des fenêtres.

– Merci, apprécia Severus en pénétrant plus avant dans la pièce.

Le sortilège ne se contentait pas de fermer les rideaux et d'atténuer la lumière résiduelle qui filtrait à travers... il était bien plus puissant que cela, et la seule lueur tremblotante dans la Salle à Manger provenait de cette maigre bougie sur la cheminée. L'intention était louable, et pour lui, elle comptait particulièrement.

– Je voudrais m'excuser pour hier soir, déclara Severus sans préambule. Pour ce qui s'est passé avec Matthieu... Je me doute que tu ne dois pas apprécier ce genre de réactions qui peuvent paraître possessives et disproportionnées. Ou même complètement ridicules... Mais c'est quelque chose que je ne maîtrise pas et qui risque malheureusement de se reproduire...

La grimace de Harry ne passa pas inaperçue mais il ne fit aucun commentaire.

– Ma réaction était instinctive, en réflexe à tes propres émotions... Par essence, je me dois de te protéger; Matthieu a dit quelque chose qui t'a blessé et tes émotions m'ont conduit à m'interposer, que ce soit judicieux ou non...

– Tu perçois mes émotions ?! fit Harry d'une voix légèrement étranglée, son couteau et sa fourchette suspendus en l'air.

– De façon très basique. De la même manière que tu perçois ma faim, je perçois un état d'esprit, plutôt positif ou bien un sentiment de mal-être... Tout ça est plutôt bien expliqué dans le livret que Mihai t'a donné.

– Je n'ai pas tout lu, avoua Harry en reprenant son repas. C'est trop déprimant.

Severus serra les dents à ce qui paraissait presque une insulte à son encontre et envers leur lien. Pour cacher son trouble, il fit quelques pas et s'appuya de l'épaule contre la cheminée, les bras croisés sur son torse. Son attitude pouvait sembler trop fermée ou trop en retrait, mais il avait vraiment du mal à digérer le mot « déprimant ».

– Quoi qu'il en soit, reprit-il, à chaque fois que quelqu'un, en ma présence, fera ou dira quelque chose qui te blessera, je risque de réagir de la même manière.

– Donc, en gros, c'est de ma faute ? grinça Harry en même temps que grinçaient ses couverts dans l'assiette.

– Non, affirma immédiatement Severus. Ce n'est pas de ta faute, ni de la mienne. Ce sera la faute de tous ceux qui diront des paroles de trop ou qui se mêleront de ce qui ne les regarde pas. J'ai tenté de prévenir Matthieu avant le dîner, mais ça n'a visiblement pas suffi.

– Et ça peut aller jusqu'où, cette petite blague ? Tu lui aurais fait du mal ?

– Pas pour si peu. Ce n'était que dissuasif... Mais ma réaction sera toujours en proportion de ce que tu ressens.

Harry leva le regard vers lui et le considéra un long moment, bien conscient des sous-entendus de sa réponse. Puis il soupira et tourna la tête pour se servir un verre de jus de fruits.

– Et les enfants ? s'inquiéta-t-il.

– Lucius m'a déjà posé la question. Ce sont des enfants, ils ne sont pas responsables de leurs paroles, ni de leurs maladresses. Je ne peux pas leur faire de mal. En aucun cas.

– Et... Lucius ?

Severus esquissa un petit sourire.

– Lucius ne sera jamais capable de te blesser assez pour que j'intervienne. Venant de lui, je peux presque tout supporter, même qu'il te touche...

Imperceptiblement, les joues de son calice rosirent tandis que la gêne dominait ses émotions, ce qui le fit sourire encore davantage.

– Tu l'aimes et je l'aime également... Il ne fera jamais rien que je considérerai comme une menace.

Harry soupira, plus par lassitude que de soulagement. La conversation ne devait pas lui plaire, mais Severus, lui, savourait leur première vraie discussion au sujet de leur relation et du lien qui existait entre eux. On était encore loin de ce qu'il souhaitait, mais c'était toujours mieux que les consignes péremptoires données par Harry le premier soir à propos des morsures. Même pauvre, le dialogue s'instaurait lentement, et il permettait de poser les premières bases, les premières explications et de désamorcer les conflits entre eux.

– Et je dois m'attendre à d'autres genres de réactions ? marmonna Harry.

– Non, je ne pense pas, répondit Severus. Le reste, je parviens à le maîtriser... mais l'instinct de protection passe au-delà de tous mes contrôles.

– Quel « reste » ?

Severus grimaça sans répondre. Comment pourrait-il avouer son besoin viscéral de prendre son calice dans ses bras, de le caresser, de l'embrasser, de lui donner du plaisir ? Avouer qu'il devait lutter contre lui-même pour le mordre au poignet et non pas dans le cou, que ne pas lui faire l'amour après une morsure était une vraie torture, ou qu'il se battait pour ne pas le rejoindre dès qu'il était hors de sa vue...

Tous ces besoins se calmeraient peut-être, une fois terminés les quelques jours de cette « lune de miel » différée... ou bien ils se calmeraient lorsqu'il les aurait tous assouvis, ce qui n'était pas pour demain ! En attendant, Harry n'avait pas besoin de savoir.

– Je vais prendre ma douche et me changer, annonça Severus en mettant un terme à la conversation.

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oooooo

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Severus ouvrit doucement la porte avant de sourire en voyant son mari langoureusement étalé dans le lit. De toute évidence, Lucius dormait encore... Autour de son visage incroyablement détendu, ses cheveux blonds formaient une corolle claire étonnante, comme lorsqu'il se baignait et qu'ils dansaient en masse autour de lui comme une chevelure de sirène... Une main sur le torse, l'autre nichée sous l'oreiller, le drap en travers de la taille, attirant en diable.

Severus ferma les yeux et soupira en se pinçant l'arête du nez. Il n'était pas venu pour ça, juste pour prendre quelques vêtements et éventuellement savoir pourquoi Lucius avait si mal dormi... Mais la tentation était à la mesure de sa frustration. Il ne pouvait pas toucher Harry; et son mari, seulement de manière limitée.

De toute façon, trop de lumière filtrait à travers les rideaux et il ne pouvait pas s'approcher de Lucius sans avoir à traverser un rayon de soleil, même minime. Il poussa doucement la porte sans la refermer complètement et entra dans le dressing.

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Mais en ressortant, son envie n'avait pas du tout disparu et il profita d'un nuage qui voilait le rai de lumière pour s'approcher du lit. À peine Severus s'assit-il sur le bord que Lucius entrouvrit les yeux avant de les refermer et de sourire. Il devait somnoler davantage qu'il ne dormait réellement et son remue-ménage dans le dressing avait achevé de le réveiller.

– Ce n'était pas la peine de t'habiller si tu venais me rejoindre, gloussa-t-il d'une voix encore ensommeillée.

– Je venais prendre quelques affaires. Je vais demander aux elfes de mettre mes vêtements dans ma chambre, ça m'évitera de vous déranger tous les matins.

– Si c'est pour dire pareille bêtise, tu peux retourner dans ta chambre, effectivement, lâcha Lucius d'une voix qui ne plaisantait plus.

Severus sourit douloureusement, bien conscient d'avoir blessé son mari. D'une caresse sur son torse, il tenta de se faire pardonner.

– Il paraît que tu as mal dormi...

– J'ai mal dormi parce que Harry a mal dormi, maugréa Lucius. Il n'a pas cessé de s'agiter et de me réveiller par la même occasion.

– Pourquoi ? Il t'a dit quelque chose ?

– Non. Sans doute le dîner un peu tendu hier soir et l'appréhension du week-end à Torquay. Mais ça ne l'a pas empêché de...

Lucius s'interrompit brusquement avec une moue gênée.

– De ?

– Rien. Laisse tomber. Et continue plutôt à me caresser !

En recommençant à effleurer le torse de son mari, Severus sourit plus franchement. Lucius n'avait pas voulu avouer qu'ils avaient fait l'amour tous les deux hier soir, mais il s'en doutait déjà et cela ne l'atteignait pas trop. Il rêvait juste de pouvoir faire la même chose avec Harry, voire même tous les trois s'il arrivait à partager son calice avec son mari...

– Et si tu t'allongeais purement et simplement, suggéra Lucius d'une voix redevenue aguicheuse.

D'une main autour de son poignet, il l'attirait vers lui tandis que l'autre cherchait à s'infiltrer entre sa chemise et son pantalon.

– Luce... Pas ici. C'est votre lit, votre chambre. Harry n'apprécierait pas de me trouver...

– C'est notre chambre à tous les trois ! Et que je sache, c'est encore mon Manoir et je mets qui je veux dans mon lit !

Severus se laissa aller à rire doucement, touché, quelque part, de cette revendication attendrissante.

– Et tu n'y mettras personne d'autre que Harry, dit-il en arrêtant les manœuvres d'infiltration de Lucius. Ce n'est pas l'envie que me manque, crois-moi, mais pas ici...

– Et qu'est-ce que je vais faire de ça, maintenant ? grimaça l'aristocrate en glissant sa main sous les draps vers son entrejambe tendu.

– Tu vas prendre ton mal en patience, ricana Severus. Ou bien accepter certaines pratiques si tu veux que je m'occupe de te soulager...

– Dans tes rêves !

– Dans mes rêves, certainement ! Mais j'aimerais mieux dans la réalité !...

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Merci à tous de votre lecture et de votre fidélité. N'hésitez pas à laisser un petit commentaire ;)

La semaine prochaine, ce sera le retour de Severus à Torquay... ^^

Au plaisir

La vieille aux chats