Résumé: Au fil des jours, Harry et Severus parviennent à mettre des mots sur leur relation et à se mettre d'accord pour que les morsures soient le plus confortables possibles pour l'un comme pour l'autre.

Encore un peu de douceur et de bienveillance... Profitez :)

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Le lendemain matin, Harry s'éveilla tranquillement dans un rayon de soleil, puis s'étira en appréciant la douceur des draps et le confort moelleux de son lit. De leur lit, puisque Lucius somnolait encore et vint se coller contre lui dès qu'il bougea. Harry sourit devant le bras possessif qui s'enroula autour de son ventre et le souffle chaud sur son épaule. Avoir Lucius tous les matins pour lui tout seul, sans réveil matinal, sans précipitation pour partir au Ministère, était un plaisir dont il ne se lassait pas. Il ne manquait plus que...

Harry grimaça puis fronça les sourcils à cette absence qui devenait récurrente.

– Quel jour on est ?

– Samedi, marmonna Lucius, les lèvres sur sa peau.

– Pourquoi Severus n'est pas au Manoir ?

– Mmhh… Librairie... cheminée...

– C'est-à-dire ? gloussa Harry en se retournant à demi.

Devant son mouvement qui l'écrasait légèrement, Lucius grogna, frotta son nez sur son épaule puis consentit à répondre de manière plus articulée.

– Il est parti à la Librairie. Les techniciens doivent passer ce matin pour le réseau de cheminette.

– Oh !... Et après, il pourra enfin aller et venir sans se soucier de l'heure et de la lumière. C'est bien.

Lucius grogna son assentiment qui était aussi une protestation devant cet interrogatoire dès le réveil, puis se réinstalla un peu mieux pour retomber dans la douceur de sa somnolence.

– Allez, Blondie ! Debout ! Il est l'heure d'aller manger ! gloussa Harry avec une petite tape sur la cuisse de son amant.

Il savait très bien que la contrariété de ce surnom allait empêcher Lucius de se rendormir. D'ailleurs, son grognement fut encore plus prononcé, puis ce fut Harry qui glapit de surprise sous les dents qui venaient de saisir la peau de son dos.

– Hééé ! protesta-t-il.

– Eh bien quoi ? Tu n'aimes plus les morsures, à présent, ou tu n'aimes que celles de Severus ?!

– Elles sont plus agréables que les tiennes, c'est certain !

Il avait dû parler un peu trop vite car Lucius se hissa au-dessus de lui avec un sourire narquois qui allait le poursuivre pendant quelques heures.

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Dans la matinée, puisque Severus était encore coincé à la Librairie, ils profitèrent de la douceur et du soleil pour aller faire un petit tour à cheval – à l'allure calme et régulière du pas de leurs montures, la seule que Harry était capable de supporter pour l'instant !

À l'heure du déjeuner, Severus n'était toujours pas revenu, et ils finirent par prendre leur repas, puis le thé, sans lui. Rapidement, Lucius s'éclipsa dans son bureau, prétextant un courrier, un dossier, un appel... Pour s'occuper et puisque son amant semblait vouloir être seul, Harry décida de monter voir où en étaient les travaux des elfes dans leur salle de bains.

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Grâce à la magie, le chantier était propre mais loin d'être encore fini. La douche, les toilettes, la baignoire et la vasque, tout avait disparu, laissant une impression d'espace presque irréelle. Harry se demanda même un instant si les elfes n'avaient pas agrandi la salle de bains en empiétant sur la chambre d'ami voisine.

Pour l'heure, un elfe qu'il n'avait jamais vu était occupé à changer le carrelage des murs, troquant le beige que Harry ne pouvait plus voir en peinture contre des nuances de gris et de blanc, beaucoup plus lumineux et raffinés. Ensuite viendraient le sol, dans les mêmes teintes de carrelage avec quelques touches de bois sombre, puis les éléments qu'ils avaient choisis. Après moult réflexions, Lucius avait finalement abandonné sa baignoire sur pieds, trop désuète, pour un modèle plus moderne, très épuré, qui formerait presque un îlot central sous la future fenêtre. Tout le fond de la salle de bains serait consacré au vaste espace de douche, séparé du reste de la pièce par une paroi vitrée, et assez grand pour pouvoir s'y tenir à plusieurs. Il avait hâte de voir le résultat !

Un bruit tira Harry de ses pensées et il ressortit de la salle de bains pour voir Lucius qui entrait dans le dressing afin de changer de tenue.

– Tu vas où ? fit-il, surpris, en le rejoignant.

– Sur le Chemin de Traverse, j'ai une course à faire... Je n'en ai pas pour longtemps.

– Oh, je t'accompagne, tiens... Ça m'occupera !

Lucius haussa brusquement un sourcil puis acheva d'enfiler son bras, figé en l'air, dans la manche de sa veste.

– Si tu veux...

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Harry avait bien perçu le soupir retenu de son amant lorsqu'il avait dit vouloir l'accompagner, et il percevait encore davantage son agacement envers le tailleur. À grands renforts d'aiguilles, le pauvre homme tentait d'ajuster une chemise sur le corps de Lucius, mais il était dépassé par les gestes nerveux, les remarques acerbes et le regard contrarié de l'aristocrate, et ni ses courbettes, ni sa déférence ne semblaient l'amadouer.

Un juron étouffé signala l'aiguille qui frôlait Lucius d'un peu trop près pour la troisième fois et le tailleur bredouilla qu'il allait plutôt reprendre les mesures de l'aristocrate. Tâchant de se faire oublier dans un coin du salon d'essayage, Harry hésitait entre rire devant le comique de la situation et une compassion certaine pour le pauvre homme qui faisait les frais de l'humeur de Lucius. Mais lorsque le tailleur laissa échapper que l'aristocrate avait pris quelques centimètres de tour de taille depuis la dernière fois, Harry éclata de rire et fila s'interposer entre son amant et sa future victime.

D'un bras, il enlaça Lucius dont les yeux gris fulminaient de colère, tandis que son autre main allait caresser le ventre pourtant toujours aussi plat de son amant.

– C'est moi qui mange et c'est toi qui grossis ?! gloussa-t-il au creux de son oreille avant de l'embrasser.

Lucius se contenta de grogner avant d'enfiler sa propre chemise avec des gestes secs et ils quittèrent la boutique du tailleur en quelques minutes.

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À force de plaisanteries et de déclarations d'amour éhontées, Harry parvint à dérider son amant tandis qu'ils descendaient le Chemin de Traverse. Les regards des passants s'attardaient, curieux, intrigués, remarquant le sourire léger de Harry et ses éclats de rire en pleine rue, son bras pendu au bras de Lucius, leur familiarité malgré la mine revêche de l'aristocrate, et puis, parfois, le sourire en coin qui lui échappait, leur complicité...

Tout occupé à égayer l'humeur de son amant, Harry n'avait fait attention à rien, ni aux commentaires sur leur passage, ni au chemin qu'ils suivaient. Et lorsque Lucius l'entraîna brusquement par le bras dans une boutique, il fut surpris de sentir si puissamment la présence de son vampire, avant de reconnaître la Librairie.

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Sans lumière venant de l'extérieur, seulement éclairée par deux ou trois lampes, la boutique était bien plus sombre que dans son souvenir, mais l'odeur, elle n'avait pas changée. Un parfum de vieux livres, de poussière et de parchemin, une odeur de vieille bibliothèque gorgée de trésors qui le fit sourire dès que la porte se referma derrière eux.

– Qu'est-ce que... ? fit la voix grave de Severus au détour d'un rayonnage. Oh, c'est vous... Qu'est-ce que vous faites là ?

– Je venais voir où en était cette connexion, répondit Lucius avec une moue contrariée. Ça devait être fait ce matin. Enfin... on passait sur le Chemin de Traverse et...

Harry remarqua le sourire en coin de Severus qui fit immédiatement taire l'aristocrate et il gloussa discrètement.

– Les techniciens m'ont envoyé un hibou ce matin en disant qu'ils ne pourraient pas être là avant seize heures, expliqua le vampire.

– Tu veux dire qu'ils ne sont pas encore passés ?!

De justesse, Harry se retint d'éclater de rire devant l'éclat de voix presque boudeur de Lucius.

– Mais ils ont certifié qu'ils viendraient aujourd'hui, fit Severus en poussant son mari vers le fond de la boutique avec un sourire moqueur. Viens donc boire un thé, ça va te détendre !

À leur suite, Harry pénétra dans le bureau de Severus, encore plus sombre que le reste de la Librairie. Hésitant et vaguement mal-à-l'aise, il resta quelques instants debout sans savoir quoi faire avant de s'asseoir à son tour sur un fauteuil. Lucius et Severus discutaient ensemble, sans se préoccuper de lui, l'un dans le canapé et l'autre affairé auprès de son service à thé. Ici, Severus était chez lui, dans son antre, et il n'était peut-être pas le bienvenu.

Mais ce qui dérangeait surtout Harry, davantage que cette impression de ne pas être à sa place, c'était l'endroit. C'était ici que Severus avait été mordu. Ici que Vladimir l'avait retenu prisonnier pendant plusieurs heures, qu'il avait tenté de l'influencer, de le faire plier sous la menace, qu'il l'avait même embrassé... Et peut-être d'autres choses que Severus n'avait pas voulu avouer...

C'était ici que leur vie avait changé pour devenir cet immense gâchis, ces ruines sur lesquelles ils essayaient encore de survivre et de bâtir quelque chose.

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Dans leur conversation complice, Lucius et Severus semblaient loin de son état d'esprit, plutôt enjoués, frivoles, et l'aristocrate en avait oublié toute mauvaise humeur et jusqu'à la remarque du tailleur sur son tour de taille.

Pour Harry qui se tenait en retrait de leur discussion, la connivence entre les deux hommes était évidente. Leur façon de se sourire, comme si toute une plaisanterie tenait dans un coin de lèvre qui se soulève, la chaleur dans leurs yeux, leurs regards brillants, les phrases laissées en suspens mais que l'autre, par une longue habitude, devinait sans peine... La manière dont ils étaient presque penchés l'un vers l'autre.

Devant lui, ils retenaient leurs gestes, de toute évidence; à peine des mains qui se frôlent en échangeant une tasse de thé... Mais le désir de rapprochement entre eux était palpable. Instinctif. Si Harry n'avait pas été là, Lucius aurait depuis longtemps embrassé Severus, si ce n'était pas davantage. Et sa bonne humeur retrouvée était un aveu en soi : l'aristocrate était en manque de moments passés avec son mari.

En raison de cette histoire de cheminette, Lucius et Severus ne s'étaient que très peu vus pendant toute la semaine; à peine une heure le soir, quand Severus ne disparaissait pas rapidement pour venir boire son sang. Trop peu de temps passé ensemble, des soirées écourtées, une autre à l'opéra, une encore devant un film, un manque de rapprochement physique, une disette de tendresse... et un agacement grandissant. Ce petit tour sur le Chemin de Traverse n'avait sans doute pas eu d'autre but que de venir voir Severus. Et à présent que Lucius avait retrouvé son mari, il s'était transformé en un homme souriant, agréable, tendre, plein d'humour et lumineux.

Harry n'était pas à plaindre : lorsqu'il se trouvait seul à seul avec l'aristocrate, il avait droit à tous ces moments où Lucius était charmant et où il savait si bien pourquoi il l'aimait. Mais là, il se sentait vraiment de trop.

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La sonnette de la porte d'entrée de la Librairie sonna soudain comme un gong salvateur. Severus fronça les sourcils, puis se leva avant de se diriger vers la boutique, et Harry se leva à son tour pour aller se pencher au-dessus de son amant, les deux mains posées sur les accoudoirs de son fauteuil.

– Il fallait me le dire si tu voulais venir voir Severus pour passer un peu de temps avec lui en toute intimité, murmura-t-il avec un sourire malicieux. Je ne me serais pas vexé !

Lucius ouvrit la bouche pour protester puis la referma en levant les yeux au ciel.

– Je vais vous laisser, reprit Harry. Il vous reste un peu de temps avant que les techniciens pour la cheminée n'arrivent... Profitez-en bien !

Harry plaqua un baiser gourmand sur les lèvres de son amant avant de transplaner sans attendre le retour de son vampire.

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Lucius revint au Manoir deux heures plus tard, avec le sourire repu d'Orion quand il parvenait à voler un morceau de poisson dans les cuisines. Mais seul.

– À peine rassasié et déjà, tu l'abandonnes ? gloussa Harry en se glissant entre les bras de son amant.

Les yeux gris et doux se posèrent au fond des siens, les mains aux longs doigts fins sur ses hanches...

– Les techniciens du Ministère sont passés, dit Lucius. Maintenant, il peut rentrer tout seul. Il avait juste quelques papiers à finir... Moi, je voulais m'assurer que tu n'étais pas... froissé.

– Parce que vous aviez envie de vous envoyer en l'air ? fit Harry avec un sourire espiègle. Non, je ne suis pas « froissé »... Je passe bien mon petit moment tous les soirs avec Severus... tu as droit au tien, même si vous ne faites pas tout à fait la même chose !

Harry se moquait gentiment de Lucius mais ses paroles étaient sincères : il avait bien conscience que par son état de calice, il accaparait, davantage que l'aristocrate, le peu de temps que Severus passait au Manoir... Mais les deux hommes étaient toujours follement amoureux l'un de l'autre; cela ne le dérangeait pas, il trouvait même cela charmant.

Ce que lui, il partageait avec Severus, ce n'était plus de l'amour mais c'était autre chose. Et ça lui appartenait.

D'une pression du bras, Harry colla Lucius un peu plus contre lui tandis que sa main libre partait s'aventurer sur la chemise de son amant, caressant son torse tout en cherchant à éveiller ses sensations.

– Et alors, qu'est-ce que vous avez fait, tous les deux ? susurra-t-il en glissant ses lèvres dans le cou de l'aristocrate. Est-ce qu'il t'a embrassé comme ça ?... Est-ce qu'il t'a caressé ?...

Ses mains accompagnaient ses mots, frivoles, légères. Curieuses. Puis osées...

– Tu sais de quoi j'ai très envie, là, tout de suite ? murmura Harry, la main sur le sexe couvert de tissu de son amant.

– Dis-moi, gémit Lucius sous la pression de cette main indécente.

– L'antichambre. Des cordes... Des tas de cordes qui flottent dans les airs... Et toi qui me fais l'amour comme si je volais...

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Pour la première fois depuis le week-end précédent, Severus partageait un repas au Manoir et Lucius était ravi. Fatigué mais ravi.

Le vampire était rentré vers dix-neuf heures, par la cheminée du bureau de son mari, alors que le soleil et la chaleur étaient encore éclatants au-dehors. Le seul écueil avait été de trouver les rideaux grands ouverts dans la pièce. La brûlure de la lumière rasante l'avait fait grogner mais il ne pouvait imposer à son mari de vivre dans une pénombre continuelle. Lucius et Harry faisaient déjà beaucoup d'efforts pour s'adapter à son « handicap ».

Ce jour-là, la soirée lui parut vraiment agréable. Presque détendue. Lucius semblait heureux et Harry plaisantait avec insouciance aussi bien qu'il savait le faire.

Severus avait envie de passer un moment seul à seul avec son calice, il avait envie de le mordre pour savourer son sang et sa présence, mais la soirée semblait presque trop belle pour vouloir l'interrompre. Ce fut Lucius qui en décida la fin, pas si tard que ça, mais il paraissait vraiment fatigué.

Tranquillement, ils montèrent tous les trois, et se séparèrent devant la chambre de Severus, Lucius s'éloignant après un dernier baiser à son mari. Le vampire rejoignit Harry qui l'attendait, assis sur son lit, avec sur les lèvres un sourire qui ne l'avait pas quitté de la soirée.

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Tandis que son calice déboutonnait sa manche, Severus s'installa à côté de lui, suffisamment près pour en être satisfait, mais pas trop pour ne pas l'indisposer. Ce qui n'empêcha pas Harry de se figer brusquement avec un air gêné. Pas la gêne qui fait monter le rouge aux joues et ricaner bêtement, mais celle qui embarrasse et qui rend légèrement coupable.

Severus fronça les sourcils puis tendit la main pour que Harry lui donne son poignet, ce qu'il fit sans rechigner mais sans le regarder pour autant. Ce n'était pas la morsure ou le don de sang qui le gênait ainsi... Severus repoussa lentement la manche de la chemise tout en caressant le bras de son calice, la chair, les muscles, les marques...

Severus les reconnut au premier coup d'œil : des marques de cordes. Des cordes serrées, nombreuses, des torsades imprimées dans la peau au niveau du poignet et de l'avant-bras, et plus haut, au niveau du biceps, là où la manche s'arrêtait dans un froissement de tissu. Des reliefs creusés qu'il pouvait sentir sous ses doigts et en les caressant du pouce. Des marques récentes.

– Je n'ai pas pensé que ça se verrait encore, murmura Harry. Je suis désolé...

– Ne le sois pas, fit Severus avec un sourire sans doute trop crispé. Ce qui compte, c'est que vous ayez eu du plaisir... C'était tout à l'heure, n'est-ce pas ? Quand Lucius est rentré de la Librairie ?

– Oui.

– J'aurais dû le savoir. J'ai senti que... j'ai ressenti ton bien-être, ta satisfaction. Mais je n'avais pas pensé à ça...

Sans même s'en rendre compte, Severus continuait à caresser la peau meurtrie de son calice.

– Je suis désolé, répéta Harry. Je n'avais pas l'intention de...

– Ce n'est rien, l'interrompit Severus. C'est juste que... ce qu'il y a de plus sauvage en moi proteste un peu devant ces marques.

Des marques d'appartenance, de possession...

Severus ferma les yeux. Il savait, pourtant, que Harry et Lucius s'aimaient, qu'ils faisaient l'amour, presque tous les soirs, il les avait même entendus à plusieurs reprises, jusqu'à ce que l'aristocrate ne mette systématiquement un sortilège de silence sur la chambre... Mais les cordes, c'était autre chose. C'était un abandon volontaire... en toute confiance. Tout ce qu'il avait perdu avec son propre calice.

– Est-ce que je peux te mordre ? murmura-t-il.

– Bien sûr ! fit Harry avec un sursaut de surprise.

– Ne t'inquiète pas. Le sang va calmer mes instincts et ma possessivité...

Les yeux fermés, Severus luttait pour ne pas mordre son calice au niveau du cou, mais il ne pouvait pas se laisser aller à ses envies et ainsi tout détruire. Il ne pouvait pas échouer, surtout pas aujourd'hui.

Enfin, dans un soupir, il attira le poignet de Harry vers ses lèvres et le mordit, le plus délicatement possible.

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Son calice parlait, murmurait des paroles, mais Severus n'en entendait rien, trop concentré sur le sang dans sa bouche, sur ses sensations et sur ses instincts primaires dont le tumulte s'apaisait peu à peu. Son esprit chatoyant de feu et de rouge retrouva lentement sa pénombre, striée de couleurs chaudes, mais calme. Et quand enfin, Severus fut à nouveau complètement détendu, il lécha le poignet de son calice avant de le relâcher.

– Tu as bu plus que les autres jours, remarqua Harry tandis que Severus descendait la manche le long de son bras avant de refermer le bouton au-dessus de sa main.

– Un peu. J'en avais besoin. Je boirai moins demain soir... Mais tu ne sentiras pas de différence.

Harry réajusta sans hâte le poignet de sa chemise, une expression incertaine sur le visage.

– Tu devrais y aller, dit Severus. Sinon Lucius va s'endormir avant que tu ne le rejoignes.

Lentement, Harry se leva avec une drôle d'impression au creux du ventre. Il se sentait chassé. Presque répudié. Comme un automate, il se dirigea vers la porte de la chambre jusqu'à ce que Severus ne le rappelle.

– Harry ?... Tu as encore la médaille que Mihai t'avait donnée ?

– Celle avec les armoiries de Colibita ? Oui. Elle est dans ma table de chevet.

Enfin... La table de chevet de Severus jusqu'à ce qu'il n'ait plus besoin de lit, ni de table de chevet, ni de dormir avec eux.

– J'aimerais que tu la portes, ou au moins que tu l'aies sur toi, même si tu ne la mets pas en pendentif... Même sans la voir, les vampires perçoivent sa magie et sa puissance. Tu portes mon odeur mais l'affiliation à la maison de Mihai te protégera encore mieux, si jamais tu fais de mauvaises rencontres. Tu t'es promené plusieurs fois seul sur le Chemin de Traverse, ces derniers jours, et... on ne sait jamais. Tu es un calice et par ce fait, tu es normalement intouchable, et je sais que ta magie est extraordinaire de puissance mais... ça me rassurerait.

Harry haussa les sourcils, surpris par l'aveu de cette faiblesse et par l'inquiétude sous-jacente qu'il devinait, puis il hocha la tête.

– Je le ferai. Bonne nuit.

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Rapidement, Harry se réfugia sous les draps et dans les bras de son amant, cherchant l'étreinte, le réconfort, l'apaisement. Ce soir, la morsure ne l'avait pas détendu, ni excité. Il restait mal-à-l'aise et Lucius le perçut immédiatement malgré son demi-sommeil.

– Qu'est-ce qui ne va pas ? murmura-t-il, inquiet. Ça ne s'est pas bien passé ?

– Si mais... Severus a vu les marques des cordes et je crois que ça l'a... blessé.

– Oh !... Je lui parlerai demain matin... Ne t'en fais pas, Severus accepte bien plus de choses que tu ne le penses.

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ooOOoo

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– Je te dérange ? fit Lucius en entrant dans la Bibliothèque.

– Bien sûr que non.

Comme pour le prouver, Severus se redressa immédiatement et tourna la tête vers lui, abandonnant sa plume et ses parchemins.

– Vous avez déjà pris votre petit-déjeuner ? Je ne vous ai pas entendus...

– Non, pas encore. Je viens de descendre et Harry est encore sous la douche. Les elfes n'ont pas fini les travaux dans notre salle de bains et il faut utiliser celle de la chambre d'Aria. Et elle est trop petite pour y aller à deux !

– Vous auriez pu utiliser celle de ma chambre, protesta Severus.

– C'est ce que j'ai fait ! gloussa Lucius en s'approchant. Je ne me suis pas gêné. Mais je ne pense pas que Harry soit prêt à ça...

D'un regard, il parcourut les parchemins de son mari et les livres ouverts sur la table de travail. Dans la pénombre de la pièce, il ne distinguait pas grand-chose mais cela ne ressemblait qu'à de vieux grimoires de runes anciennes sans beaucoup d'intérêt à ses yeux.

– Il était embêté hier soir, fit négligemment l'aristocrate.

Debout derrière la chaise de Severus, Lucius posa les mains sur ses épaules et les remonta légèrement pour caresser sa nuque.

– Harry ?! Pourquoi ?

– Il avait l'impression que cette histoire de marques de cordes t'avait blessé...

– Oh. Ça...

Non seulement Severus ne réagissait pas quand il caressait sa nuque, mais quand Lucius glissa ses mains pour les croiser sur le torse de son mari, celui-ci renversa la tête en arrière pour la poser contre lui. Un rare moment d'abandon comme il n'en existait plus depuis que Severus était devenu un vampire. La preuve s'il en était que cela l'avait touché.

– Ça va, répondit pourtant Severus. Je ne m'y attendais pas, c'est tout. Harry me laisse boire tous les jours, mais la proximité physique me manque et c'est parfois compliqué à vivre. Et c'est pour moi presque aussi important que le sang... Ça passera tout seul. Hier soir, j'ai été surpris mais c'est plutôt rassurant s'il accepte encore ce genre de pratiques. C'est que je ne l'ai pas complètement traumatisé.

Severus avait fini sur un ricanement amer que Lucius fit taire d'une caresse.

– Pas assez pour qu'il ne soit pas inquiet pour toi et attentif à ce que tu ressens...

– C'est le monde à l'envers, soupira Severus en fermant les yeux. Sa capacité à pardonner est presque effrayante, et je ne mérite certainement pas...

– Ça suffit, gronda Lucius. Harry ne t'a pas pardonné mais il essaie d'aller de l'avant. Tout le temps. Quelles que soient les épreuves. Il n'a pas le temps de s'attarder sur ce qui le blesse. Essaie d'en faire autant.

Severus voulut ouvrir la bouche pour protester puis se résigna à se taire. Lucius savait bien que son mari était encore incapable d'aller de l'avant. Même si Harry semblait aller bien, Severus se sentait encore bien trop coupable pour arriver à se pardonner.

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oooooo

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– Tu as vu les journaux ? fit Lucius à son mari en attrapant la carafe de jus de fruits pour se resservir.

Harry les avait rejoints au petit-déjeuner, enfin levé, lavé et habillé. Un peu plus tard que les autres jours, mais il avait passé une mauvaise nuit, et même la faim avait eu du mal à le tirer du lit.

– Non. Quel est le sujet ?

– Nous ! gloussa Lucius tandis que Harry levait la tête pour les écouter. En long, en large et en travers !

Harry s'étrangla avec une gorgée de thé sous le regard moqueur de l'aristocrate.

– C'est une image, n'est-ce pas ? pouffa-t-il devant les pensées licencieuses soulevées dans son esprit.

Severus sourit tandis que Lucius reprenait en poussant les journaux vers son mari.

– De toute évidence, en ce qui concerne les images, les journalistes sont plus discrets qu'autrefois ! À croire qu'ils ont trouvé un endroit pour se poster près de la Librairie et qu'ils y ont passé leurs journées !

Interloqué, Severus reposa sa tasse de thé et déplia un des journaux jusqu'à arriver aux pages « people » où plusieurs photos s'étalaient, en long, en large et en travers. On y voyait la Librairie, voilée de rideaux mais avec son panonceau « Ouvert »; Harry, seul, pas très loin de la porte, sans qu'on puisse deviner s'il en sortait ou s'il allait y rentrer; Harry et Lucius, beaux comme des princes, à l'opéra au milieu de quelques personnalités, et enfin, les deux hommes, à nouveau, bras-dessus bras-dessous, marchant tranquillement sur le Chemin de Traverse, souriants et complices, jusqu'à ce que Lucius ouvre la porte de la Librairie et qu'ils rentrent tous les deux à l'intérieur.

« Jamais l'un sans l'autre » titrait la double page.

Après un rappel de leur histoire récente, l'article expliquait que Severus avait rouvert la Librairie, malgré sa nouvelle condition, et qu'on y avait vu, à plusieurs reprises, l'un ou l'autre de ses compagnons venir le rejoindre... Le deuxième journal insistait davantage sur Lucius, débarrassé de ses fonctions ministérielles et que l'on avait rarement vu si souriant et détendu en public. Le troisième dressait un portrait plus qu'élogieux de Harry, Sauveur du monde sorcier, génie des potions, amant de l'ancien Ministre et calice du vampire le plus connu d'Angleterre.

Une photo extrêmement zoomée, extrêmement floue également, montrait en gros plan sa main droite sur laquelle on devinait une alliance aux gravures illisibles... Mais le journaliste mentionnait dans le sous-titre les armoiries des Malfoy, pour peu qu'on soit prêt à le croire sur parole.

– Il va falloir annoncer vos fiançailles, ricana Severus en désignant la photo à son mari.

De l'autre côté de la table, Harry tendit la main et le vampire poussa les journaux vers lui.

– Vous avez fixé une date, d'ailleurs ?

– Non, répondit Lucius en jetant un regard tendu vers Harry. Cet automne, peut-être... ou bien au printemps prochain. Je n'aime pas les mariages en hiver.

À la façon dont il semblait tâter le terrain, Lucius n'en avait de toute évidence pas du tout reparlé avec Harry et Severus eut vraiment l'impression d'avoir fait un faux pas. Mais le jeune homme leva la tête des journaux avec un sourire serein.

– Quand tu veux, je n'ai pas de préférence... Tu connais ma seule exigence, gloussa-t-il.

– Oui, acquiesça Lucius en levant les yeux au ciel. Un mariage en petit comité et pas en grandes pompes !

Severus se permit de glousser à son tour. Tant que Harry ne renonçait pas au mariage pour éviter de le côtoyer, c'était tout ce qui comptait.

– Et vu qu'on ne pourra pas faire un mariage en extérieur, je ne suis pas sûr que ça soit la peine d'attendre le printemps, réfléchit Harry à voix haute. La grande salle de bal sera assez facile à assombrir, si elle est assez clinquante pour toi !...

Devant l'ironie de son amant, Lucius lui adressa une grimace presque enfantine tandis que Severus restait figé d'émotion. Assombrir… Cela voulait dire l'inclure, d'une façon ou d'une autre.

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ooOOoo

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– Harry ?

Deux yeux verts comme la forêt se levèrent brusquement vers Severus et Draco qui se tenaient côte à côte. Le jeune homme était allongé à plat ventre par terre dans la salle de jeux, appuyé sur ses coudes, avec Scorpius installé de la même manière, en une parfaite imitation de son « oncle » préféré. Devant eux, un troupeau d'animaux miniatures galopait entre les poils du tapis, immenses comme des hautes herbes.

– Oui ?

– Est-ce que ça t'ennuie de jeter un sortilège sur les baies vitrées de la rotonde ? Iris voudrait qu'on aille se baigner et je ne peux pas l'accompagner dehors...

Severus se sentait bien un peu humilié par la situation, mais Harry était le seul capable de lancer correctement ce sortilège de son cru. Malgré ses efforts, Severus n'y était pas parvenu, et celui de Lucius, même après de nombreuses explications, n'était pas assez puissant pour qu'il se sente confortable en plein jour.

Après une seconde d'incompréhension, Harry comprit de quoi il s'agissait et se redressa rapidement, les cheveux décoiffés et la chemise froissée au possible.

– Bien sûr ! Pas de soucis.

– 'a pisci' ? Ry ? 'a pisci' ?

– Oui, viens, poussin, sourit Harry en lui tendant les bras pour le porter. On descend deux minutes à la piscine et on remonte...

– Je crois que ce n'est pas tout à fait ce qu'il voulait dire, gloussa Draco en voyant son fils tenter d'enlever son tee-shirt en tirant désespérément sur ses manches. Venez donc vous baigner avec nous...

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Adossé contre le carrelage de la paroi de la piscine, ses bras repliés posés sur le rebord pour se caler, Severus soupira sans même s'en rendre compte; ce qui ne fut pas le cas de Draco à côté de lui. Le regard de son filleul suivait la même direction que le sien : Scorpius, debout à l'autre extrémité de la piscine, les jambes légèrement fléchies et qui s'apprêtait à sauter. Et juste devant lui, prêt à le rattraper pour l'aider à remonter à la surface, Harry, immergé dans l'eau jusqu'au milieu du torse, les cheveux noirs ruisselants et malgré tout en bataille.

– Ça a l'air d'aller mieux quand même, entre vous ? fit Draco en balayant la piscine des yeux pour surveiller ses filles qui jouaient un peu plus loin. Du moins, vous vous parlez, ce qui est un progrès indéniable par rapport au dernier week-end !

Severus grimaça devant l'ironie de son filleul mais ne répondit pas. On était dimanche, Draco était venu déjeuner et passer l'après-midi au Manoir en famille et il avait eu le temps, pendant le repas, de constater la différence avec le dimanche précédent. Quant à savoir si ça allait mieux, Severus n'aurait pas pu l'affirmer.

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Harry lui donnait son sang tous les soirs, ils se parlaient, ils arrivaient même à plaisanter, à passer des moments agréables, des moments qui avaient du sens, comme cet aria écouté en pleine nuit dans la Bibliothèque; Harry parvenait à l'inclure comme une évidence dans leur vie quotidienne, et même dans leurs projets de mariage, mais Severus doutait.

Hier soir, les marques de cordes l'avaient bouleversé et pour la première fois peut-être, il avait mesuré tout ce qu'il ne partagerait plus avec son calice. Jusqu'à présent, il avait voulu se faire pardonner, prouver qu'il n'était plus le même et qu'il ne recommencerait jamais ce qu'il avait fait. Puis il avait été dans une perspective de reconquête, de rapprochement progressif, d'effleurements subtils, un jeu de séduction comme il y a deux ans, quand Harry était apparu dans leurs vies. Mais s'il y avait une chose que Severus était certain de ne plus jamais partager avec Harry, c'était bien l'antichambre. La contrainte consentie... La preuve de confiance la plus absolue...

Ne pas pouvoir toucher son calice physiquement, charnellement, était une torture plus terrible de jour en jour, et contre laquelle il avait de plus en plus de mal à résister. Il avait peur de céder. Encore...

Et hier soir, Severus avait ressenti une certaine forme de jalousie vis à vis de Lucius qui, lui, pouvait tout cela, aussi bien jouir du corps de Harry que le traîner dans l'antichambre. Mais il était hors de question que cette jalousie ne vienne se mettre entre eux, peu importe à quel point cela le blessait.

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– Nom de... !

L'exclamation étouffée de Draco et son sursaut pour se précipiter tirèrent Severus de ses pensées moroses.

Là-bas, à l'autre bout de la piscine, Scorpius venait de sauter et de disparaître sous l'eau une seconde de trop pour son cœur de jeune père, avant de rejaillir, porté haut dans les airs par les bras de Harry qui souriait de bonheur.

– Arrête de t'inquiéter ! ricana Severus. Il n'arrivera rien à la prunelle de tes yeux. Harry a déployé tellement de magie que l'air vibre autour de lui. Je te rappelle qu'il a déjà perdu un enfant de cette façon; il sera plus attentif que tu ne le seras jamais !

L'évocation de la mort d'Axaya calma immédiatement Draco et il reprit sa place contre le bord de la piscine, le visage bien plus grave.

Harry et les enfants... une histoire aussi tourmentée que leur relation.

– Aria revient quand ? fit Draco qui avait suivi le même cheminement de pensée que lui.

– Je ne sais pas. Harry n'en parle pas. Du moins, pas à moi.

– Tu ne l'as pas encore revue ?

– Non. Et je ne suis pas pressé de le faire.

Draco tourna vers lui un regard sombre et plein de jugement.

– Pourquoi ?

– Parce que je ne suis pas certain que Harry me laissera l'approcher, et je ne suis pas impatient de vivre ce moment-là.

Draco détourna son regard vers Harry tandis que Severus fermait brièvement les yeux et renversait la tête en arrière.

– Mais bon sang, qu'est-ce qui s'est passé entre vous dans le pavillon chinois pour aboutir à ça ?! Tu l'aimes comme un fou et lui il n'aurait plus confiance en toi ?!

– Harry t'en parlera s'il le souhaite. Moi, je ne le ferai pas. Mais je ne peux pas le blâmer...

Et là-bas, Scorpius riait aux éclats dans les bras de Harry...

– Profite de ce que tu as, Draco, soupira Severus. On ne s'aperçoit que trop tard de ce que l'on perd... D'ailleurs, tu ne devrais peut-être pas laisser ta femme seule là-haut avec ton père ! ricana-t-il.

– Père n'a eu qu'une seule femme dans sa vie et il n'en aura jamais d'autre.

Parler de sa mère avait toujours rendu Draco très solennel, songea Severus.

– … Mais ne nous prend pas pour des ingénus ! reprit son filleul. Avec Daphnée, nous avons eu notre lot de disputes et de tensions. Nous avons même failli nous séparer plusieurs fois, quand je refusais de céder pour le mariage ou après la naissance d'Iris. Si tu n'avais pas été là pour t'occuper d'elle, je crois que notre couple n'y aurait pas résisté... Crois-moi, je mesure ce que j'ai. Mais je sais aussi que c'est quelque chose qui se construit, qui nécessite des efforts et des sacrifices. Rien n'est facile... Tu as traversé tellement d'épreuves avec mon père... et quoi qu'il se soit passé avec Harry, il est encore là et il te laisse boire son sang. Rien n'est facile, mais rien n'est perdu.

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– Tu ne lui as pas offert son cadeau d'anniversaire ? fit Draco en changeant de sujet. Je n'ai vu la photo nulle part...

– Non... Je ne sais pas quoi en faire... Ça paraîtrait ridicule maintenant... Et puis, c'est à cause de moi qu'il n'a pas pu le fêter. Et cette photo est tellement loin de ce que sont devenues nos vies...

Draco fronça les sourcils, avec un visage sévère et un regard glacial digne de son père.

– Arrête de te lamenter ! Merlin, je t'ai connu plus volontaire et plus opiniâtre que ça ! Vous êtes ensemble, tous les trois, et en bonne santé !...

Severus ricana doucement. Draco n'avait pas osé dire « vivants » mais il l'avait pensé.

– … Vous êtes capable de vous parler et de vivre ensemble en faisant abstraction de ce qui s'est passé. Mets-y un peu de bonne volonté au lieu de t'apitoyer sur ton sort, et avancez ! Bon sang, vous avez toutes les bonnes raisons du monde pour vous en sortir !

Une seconde, Severus écarquilla les yeux devant cette remontrance que Draco aurait pu tenir à un de ses enfants, avant que ses instincts de vampire ne se rebellent violemment. Une lueur rouge et sauvage traversa son regard tandis que son aura épaisse écrasait toute la pièce.

– N'oublie pas qui je suis quand tu me parles, Draco, gronda Severus d'une voix basse et vibrante. N'oublie surtout pas ce que je suis...

Il y a un problème ?

Là, à un mètre à peine, juste devant eux, se tenait Harry, Scorpius dans ses bras, les sourcils froncés et prêt à s'interposer. Severus n'aurait même pas su dire s'il s'était approché depuis quelques instants ou s'il venait de transplaner près d'eux en sentant sa colère et la menace de son aura.

Severus ferma les yeux et lentement, reprit le contrôle de lui-même. La proximité de son calice y aidait, certainement, et Harry le savait peut-être. Qu'importe. Draco n'y avait pas mis les formes, mais il avait sans doute raison sur le fond : il devait arrêter de s'apitoyer sur son sort et aller de l'avant. Avec une grimace pitoyable, Severus se souvint que Lucius lui avait dit sensiblement la même chose quelques heures plus tôt.

Non.

La voix de Draco, ferme et assurée. Severus rouvrit les yeux pour voir Harry au même endroit, les regardant toujours avec méfiance. Dans ses bras, Scorpius semblait tranquille alors que Severus percevait la respiration laborieuse de Draco, en proie à la puissance de son aura. Interloqué, il dissipa son emprise, puis s'aperçut que Harry protégeait Scorpius derrière une bulle de magie qui s'étendait visiblement jusqu'à Iris et Minerva et qui les avait préservées de son influence cinglante. La honte acheva de faire disparaître sa colère.

– Excuse-moi, soupira Severus. Je vais remonter et vous laisser tranquilles avec les enfants...

– Non, reste là, fit Harry. À moins que... Est-ce que tu as besoin de boire ?

Y avait-il plus humiliant que de se voir proposer du sang comme un vampire en manque ? Plus humiliant que le visage stupéfait, bouche bée, de Draco devant leurs paroles ?

– Non, répondit Severus avec une grimace contrite. Ça va aller...

– C'est de ma faute, intervint Draco. Je n'aurais sans doute pas dû te parler comme ça... Ce que j'ai dit n'en reste pas moins vrai.

– Je sais, soupira Severus avant de sourire à Scorpius qui tendait les mains pour venir dans ses bras.

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Sans plus s'occuper d'eux, Harry s'était tenu non loin, un long moment, puis il s'était éloigné pour jouer avec Minerva, avant de remonter avec elle en les laissant barboter là, dans la piscine, songeurs et silencieux. Dans l'esprit de Severus persistait cette impression étrange que son calice n'était resté que le temps qu'il s'apaise complètement avant de repartir vaquer à ses occupations, et il ne savait qu'en penser.

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oooooo

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– Tu bois quoi, Sévie ?

Qu'est-ce que tu bois..., corrigea Draco en soupirant.

La salle à manger, un dîner en famille, un dimanche soir comme il y en avait eu tant d'autres... À quelques détails près : la lueur des chandeliers qui chassait difficilement les ombres et dansait sur leurs visages, l'absence de couverts devant lui, l'appétit insolent de son calice...

– Du thé, ma puce...

– Pourquoi c'est pas du sang de Harry ?

Un silence assourdissant s'abattit autour de la table, strié des grincements stridents des fourchettes des enfants. Tous les regards des adultes, excepté celui de Harry, se tournèrent vers Minerva qui se fichait bien d'avoir mis les pieds dans le plat. Ou qui l'avait fait exprès...

– Parce que ça ne se passe pas comme ça, répondit Severus qui ne voulait surtout pas entrer dans les détails.

– Mais c'est quand que tu le mords et que tu bois son sang ? insista-t-elle.

– Minerva ! cingla la voix sévère de Draco.

Tranquillement, Harry s'essuya la bouche avec sa serviette et leva son regard vers elle.

– Le soir, avant que j'aille me coucher...

– Et ça fait mal ? demanda encore Minerva qui cherchait visiblement l'accrochage.

Imperceptiblement, Severus se tendit, à l'affût des sentiments de son calice et inquiet de ce que pouvaient être ses propres réactions. Minerva était une enfant, mais la provocation était évidente.

– J'ai déjà répondu à cette question, Minerva, fit posément Harry. Et si tu veux savoir quelque chose, tu me le demandes directement, mais pas à table et pas en plein dîner.

Quelque chose dans le regard de Harry devait être suffisamment ferme et impérieux pour que la fillette détourne les yeux après quelques instants de confrontation. Plus efficacement que si Draco, Lucius ou lui-même étaient intervenus...

Severus fronça les sourcils. Harry semblait aussi serein que Minerva, comme si ce bras de fer de trois phrases et quelques secondes n'était qu'un énième épisode d'une conversation qui leur était propre. Harry tourna la tête, croisa son regard, lui sourit doucement puis se remit à manger aussi tranquillement qu'avant.

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Dès le départ de Draco et de sa famille, ils montèrent tous les trois à l'étage, après s'être concertés d'un simple regard. De toute évidence, Lucius et Harry étaient fatigués d'un mauvais sommeil la nuit précédente, de trop de bruit et d'agitation, d'un long moment passé dans la piscine pour son calice... et Severus n'était pas opposé à profiter de son petit moment privilégié avec Harry le plus tôt possible. Il aurait bien voulu parler un peu avec son mari également, mais cela devrait attendre le lendemain...

Dans le couloir, devant sa chambre, Severus n'échangea que quelques mots avec Lucius, puis un baiser, puis une étreinte presque tendre, avant de rejoindre Harry qui patientait sur le lit en déboutonnant sa manche.

Le moment semblait devenu rituel : Lucius qui filait vers sa chambre après un baiser, Harry qui s'installait en l'attendant, la manche lentement déboutonnée pour révéler sa peau douce et si appétissante. Un sourire, une caresse sur son poignet, et mordre les yeux fermés, pour mieux savourer le goût et la puissance du sang qui emplissait sa bouche, pour profiter de ce contact intime, le seul que Severus aurait jamais plus avec son calice, pour sentir l'énergie et les sentiments qui couraient dans son corps et son esprit...

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Et quand il avait fini, lentement redescendre la manche en effleurant son bras, refermer le bouton sur le poignet, lui rendre son élégance et sa noblesse... et réfréner l'autre faim qui tenaillait toujours son ventre. Renoncer.

Renoncer aux gestes tendres, à la caresse sur le visage, au baiser dont il rêvait. Renoncer à tenir son corps entre ses bras, à ressentir sa chaleur contre lui, à apprécier la rondeur de ses muscles, la puissance de sa magie. Renoncer à plonger dans ce regard émeraude sous peine de ne pas pouvoir s'en détacher. Renoncer au bonheur.

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Severus sourit doucement et abandonna le poignet de son calice sur sa cuisse. La journée avait été longue pour lui aussi et il était fatigué. Tout coûte plus cher quand on est fatigué... y compris les renoncements.

– Sev... Qu'est-ce qui s'est passé avec Draco, cette après-midi à la piscine ?

La voix de Harry sortit Severus de sa légère torpeur.

– Eh bien... Draco s'est en quelque sorte montré insolent... Au-delà de ce que je peux tolérer en tant que vampire... Il avait sans doute raison sur le fond, fit-il en souriant, mais la forme ne m'a pas plu, comme tu as pu le constater.

– Draco, insolent ?! gloussa Harry. Au point de ne plus savoir y mettre les formes ?

– Il n'a pas besoin d'être grossier ou insultant. Comme Lucius, Draco peut être d'une politesse irréprochable tout en étant d'une insolence sans borne...

– Rien de grave, malgré tout ? fit Harry en penchant légèrement la tête.

– Non, rien de grave, assura Severus.

Avec difficulté, il s'arracha au regard attentif de son calice puis à sa proximité trop douloureuse à soutenir. Lentement, pour ne pas paraître le fuir, Severus se leva pour ouvrir grand les rideaux puis la fenêtre. Aussitôt, la fraîcheur entra, une bouffée d'air de la nuit, chargée de parfums, d'humidité, de l'odeur de l'herbe et celle plus minérale de la terrasse. Severus huma la brise légère qui faisait danser les voilages dans la pénombre : il percevait même la fragrance résiduelle des roses du jardin.

– Et toi ? reprit-il. Qu'est-ce qui s'est passé à table avec Minerva ?

Dans son dos, Severus entendit Harry glousser puis il se retourna pour le regarder, posant ses reins contre le rebord de la fenêtre.

– Minerva est très très curieuse de ce que je suis et de ce que tu es, expliqua-t-il. Elle me pose beaucoup de questions, elle a dû lire tout ce qui lui tombe sous la main, y compris dans la bibliothèque du Manoir, et je la soupçonne d'avoir écouté encore une fois certaines conversations entre ses parents, ou bien entre Draco et toi... ou Luce... Elle est très intriguée par notre relation, et ce qu'elle perçoit de son évolution...

Parce que Harry considérait que leur relation avait évolué ?... Severus trouvait cela indéniable, mais l'entendre de la bouche de son calice avait quelque chose de rassurant.

– … Ce soir, elle a essayé de provoquer ta réaction... et la mienne... La première fois que je suis retourné à Torquay, avant ton retour, j'avais été très déstabilisé par les questions et l'insistance de Draco. Je ne pouvais pas justifier clairement ton absence, ni expliquer tout un tas de détails pratiques. Minerva l'a bien perçu, et depuis, elle veut savoir ce qui a changé, et surtout pourquoi...

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Devant lui, Harry parlait calmement, sereinement, sans gêne ni émotion particulière, pour dire à demi-mots à quel point il avait été mal, presque fragile, à sa sortie du pavillon chinois, et à quel point tout allait mieux maintenant...

Parce qu'il était revenu ? Severus se faisait des idées...

Harry allait mieux simplement parce qu'il avait réussi à passer outre la violence de ce qu'il avait vécu et qu'il avait retrouvé un certain équilibre, y compris dans sa production de sang. Que ce soit en le laissant boire ou en se saignant au-dessus d'une baignoire ne faisait en réalité pas grande différence.

– Tu devrais te méfier, gloussa à nouveau Harry. Elle va te chercher également... et tu n'imagines pas à quel point ses questions peuvent parfois être dérangeantes !

Sans répondre, Severus observa son calice glisser ses mains sur ses cuisses puis se lever.

– Je vais..., fit Harry en souriant sans achever sa phrase. Bonne nuit.

Severus sourit par automatisme avant de le saluer d'un signe de tête. Sous la ceinture du jeune homme, le tissu du pantalon formait un relief proéminent qu'un autre que lui allait soulager. Il ne réussit à fermer les yeux et à soupirer que lorsque la porte se referma derrière son calice.

– Bonne nuit, murmura-t-il.

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ooOOoo

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Les jours suivants s'écoulèrent lentement, paisiblement, dans une atmosphère tranquille que Severus savourait comme une succession de petits bonheurs.

Chaque jour, il empruntait la cheminée du bureau de son mari pour se rendre à la Librairie, mais il n'était plus contraint ni par le lever ni par le coucher du soleil. Il était beaucoup plus présent au Manoir, aux repas, dans leur vie en général... Parfois même, il rentrait pour le déjeuner du midi, ou bien il prenait sa matinée pour passer un peu de temps avec son mari, sans que Harry ne s'offusque des moments qu'ils partageaient en tête à tête.

Chaque soir, avant d'aller rejoindre Lucius, Harry venait dans sa chambre pour le nourrir, de façon tout à fait naturelle. Le rituel était bien rodé, presque immuable : ils prenaient le temps de s'installer, sans précipitation, Harry déboutonnait sa manche, le laissait boire autant qu'il voulait, puis Severus le rhabillait doucement. Après la morsure, ils prenaient le temps de parler quelques instants, comme pour prolonger la particularité de ce moment, puis son calice s'en allait rejoindre Lucius et souvent faire l'amour avec lui...

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Plus jamais Harry n'avait rechigné aux morsures. Au contraire, Severus percevait toujours une légère forme d'excitation juste avant qu'il ne pose ses dents sur la peau, puis son calice se calmait dès que le sang coulait. Durant tout le temps où il buvait, et malgré ses yeux fermés, Severus pouvait sentir le regard posé sur lui. Un regard attentif, délicat...

Harry faisait toujours attention aux quantités qu'il buvait, à la rougeur de ses yeux, à sa faim. Pas tant pour le surveiller que parce qu'il était ainsi : généreux, soucieux de ses besoins, et presque... dévoué. En le nourrissant tous les soirs, Harry avait trouvé un équilibre parfait dans sa production de sang, mais plusieurs fois, il lui arriva de proposer une morsure supplémentaire s'il l'avait senti contrarié ou fatigué. Severus refusait systématiquement mais la prévenance de son calice lui faisait chaud au cœur.

Il ne se faisait pas d'illusions pour autant : Harry n'était pas pour lui. S'il ne revit pas de marques de cordes sur le poignet ou le bras de son calice, Severus savait qu'il avait une sexualité tout à fait épanouie avec Lucius et leur amour crevait les yeux. Sans avoir encore arrêté une date, ils parlaient de plus en plus de leur futur mariage, de leurs tenues ou des détails pratiques de l'organisation. Harry ricanait en se moquant de son futur mari dès qu'il citait un invité, arguant que leur mariage ne serait pas l'événement mondain de l'année, et Lucius planifiait peu à peu l'annonce officielle de leurs fiançailles, à la presse aussi bien qu'à leurs proches...

Mais tout cela n'était ni mesquin, ni destiné à le mettre mal à l'aise. Au contraire, l'un et l'autre demandaient souvent son avis, cherchait à l'inclure le plus possible dans l'organisation de la cérémonie et Harry avait d'emblée mentionné les quelques aménagements à faire pour que Severus puisse être présent du début à la fin sans souffrir de la lumière du jour.

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Dès que Harry le laissait seul après la morsure, Severus redescendait dans la Bibliothèque. Il ne voulait pas s'attarder dans la chambre, près d'un lit, avec son désir lancinant et destiné à rester insatisfait. Dans la Bibliothèque, au contraire, il retrouvait, sur la fenêtre la plus à gauche, le sortilège d'argent capable de l'apaiser. Longtemps, en contemplant la nuit au dehors, en écoutant les opéras qu'il préférait, il passait et repassait le bout de ses doigts sur la vitre.

La plupart du temps, il se contentait d'effleurer le sortilège, sans avoir besoin d'y poser franchement la main. Malgré tout, il regrettait les bains d'argent de Colibita. S'il n'éprouvait plus vraiment l'envie d'y plonger son corps pour en finir avec tout ça, le spectacle fascinant de l'argent liquide lui manquait. Comme lui manquaient les conversations avec Mihai, et même celles avec les Anciens, qui étaient capables de lui apprendre tant de choses sur sa nature sans même le vouloir.

Il y retournerait peut-être, un jour... En y songeant bien, il aurait aimé y emmener Harry, pour qu'il sache, pour qu'il comprenne... Que la vie d'un calice n'était pas si horrible que ça. Que ce qui s'était passé dans le pavillon chinois n'était certainement pas représentatif de ce qu'était un vampire, de ce qu'était Severus, ni de ses sentiments pour lui... Peut-être que si les Anciens lui expliquaient l'influence qu'avait eue Vladimir sur sa transformation et ses premiers jours en tant que vampire, Harry les croirait... Il comprendrait que tout n'était pas de sa faute et que Severus n'avait jamais voulu lui faire du mal...

Il ne savait même pas si Harry avait fini par répondre à la lettre de Mihai... Il l'espérait, sans vouloir lui poser la question pour ne pas se montrer intrusif. Harry semblait un peu plus en paix avec le fait d'être un calice pour le restant de sa vie, d'être son calice, mais Severus craignait de raviver des souvenirs qu'ils voulaient oublier l'un et l'autre. Un jour, cependant, ils devraient à nouveau reparler de ça et crever l'abcès une bonne fois pour toutes, mais pour l'instant, ils se contentaient de ce statu quo calme et paisible.

Un peu de douceur, une sérénité relative, le sourire satisfait de Lucius. Personne n'oubliait, en réalité, mais ils avaient tous besoin de souffler.

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Et pendant ce temps, la vie reprenait son cours. Les morsures rituelles, avant que Harry n'aille se coucher, les soirées ensemble dans le Petit Salon, les films dans la salle de cinéma, tous les trois sur le même canapé, tant que Lucius se tenait au milieu... Un semblant de vie normale, sans heurts, sans accrocs, que Severus venait à apprécier de plus en plus.

Ces quelques jours furent aussi ceux du retour de Mark après ses vacances idylliques avec son Chaton... Severus fut surpris de le trouver un soir au Manoir, à son retour de la Librairie, et sa méfiance instinctive ressurgit aussitôt. Mais Mark était bien le seul à sa connaissance qui soit incapable de faire du mal à Harry, volontairement ou même inconsciemment. Sa bienveillance n'avait d'égale que sa douceur. Il n'était ni curieux de manière à l'incommoder, ni intrusif, ni sarcastique. Mark était l'idéal même d'une amitié pure, désintéressée, et dans les émotions de son calice, Severus ne perçut qu'une joie émerveillée à le revoir.

Il y eut aussi un dîner, pendant ces quelques jours, avec Matthieu et Charlie et le repas fut, autant que les convives, bien plus détendu que la première fois. Matthieu évita toutes les questions et les remarques ayant trait à leur relation, à leur façon de se nourrir ou à leur nature de vampire et de calice. Discrètement, Charlie veillait au grain, prêt à rappeler son compagnon à l'ordre, mais il n'eut pas besoin de le faire. Rapidement, Matthieu se rendit compte qu'ils se parlaient, qu'ils se regardaient, qu'il leur arrivait même de plaisanter, et cela lui rendit sa bonne humeur habituelle.

Il y eut aussi tous ces moments passés ensemble, comme autrefois. Il y eut des éclats de rire, quand Harry se laissait aller sans crainte dans les conversations, quand il n'hésitait pas à plaisanter, même au sujet des morsures. Il y eut ce matin, avant l'aube, où Harry le rejoignit dans la piscine de la rotonde, pour quelques longueurs qui se transformèrent en une compétition de vitesse que Severus remporta haut la main. Il n'avait aucun mérite, cependant, eu égard à sa force nouvelle, et Harry décréta en riant que les résultats ne comptaient pas, ou alors qu'ils devaient refaire la course après au moins quinze jours de jeûne pour Severus. Ce que ni l'un ni l'autre ne souhaitaient en réalité.

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Et puis, il y eut cette nuit, qui vit Harry descendre l'escalier en colimaçon en prétextant un appétit nocturne puis le rejoindre dans la Bibliothèque. Comme chaque nuit, la musique s'envolait dans la pièce, un étourdissement de cordes et de voix de soprano qui emplissait le silence d'une énergie vibrante.

Harry murmura juste quelques mots pour qu'il cesse de frôler le sortilège d'argent, puis il vint s'asseoir dans un fauteuil pour écouter la pureté de l'aria que ne troublait aucun bruit. Severus hésitait à s'approcher. Son calice était nu sous un kimono de soie entrouvert, splendide... si désirable. Il ferma les yeux pour se maîtriser, puis quand le calme fut revenu en lui, il vint s'asseoir à son tour, dans un fauteuil non loin, pour savourer la musique lui aussi.

Le temps semblait suspendu. Éternel ou bien immobile. Un moment parfait comme il en existe peu... Il aurait été encore plus parfait si Severus avait pu tenir son calice dans ses bras, voire même le mordre dans cette pénombre envoûtante. Il n'avait pas envie de boire, mais l'idée d'une morsure, de renforcer leur lien pendant ce moment si précieux, faisait vibrer son cœur gonflé de sentiments.

Un frottement fugace le tira de ses pensées et il aperçut Harry, pelotonné dans son fauteuil, emmitouflé dans un plaid qu'il venait de faire apparaître. L'image le fit sourire tendrement. À cet instant, Harry semblait aussi fragile qu'un enfant et pourtant, le sang que Severus avait bu quelques heures plus tôt et qui courait encore dans ses veines contenait plus de magie que la plupart des sorciers.

La musique se fit plus profonde, le chant plus lent, la tonalité de la voix perdit quelques octaves et les minutes s'étirèrent paisiblement. Même Severus se laissait bercer, à la fois par la mélodie et par les battements de cœur de son calice, un rythme calme et hypnotisant qui lui fit fermer les yeux et tomber dans une légère torpeur confortable.

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Ce fut une respiration un peu plus sonore qui l'en tira, un ronflement discret à vrai dire... Harry avait doucement glissé de sa position initiale pour s'installer la tête sur l'accoudoir en guise d'oreiller, recroquevillé comme un chat qui dort enroulé sur lui-même, le plaid sur le nez et les genoux contre la poitrine. Severus ne put s'empêcher de sourire franchement. Son calice était adorable ainsi, mais il allait se réveiller dans quelques heures avec des courbatures prononcées.

Il l'observa un long moment, attendri mais indécis, sans même s'apercevoir que la musique avait cessé après le dernier morceau, plongeant la Bibliothèque dans un silence paisible. Harry serait bien mieux dans un lit pour dormir, il devait monter se coucher mais Severus n'avait pas le cœur à le réveiller. Et puis l'occasion de le toucher, de le tenir dans ses bras, fut une tentation trop forte pour qu'il résiste bien longtemps.

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Sans un bruit, Severus se leva, s'approcha de son calice puis s'accroupit devant lui pour remettre derrière son oreille une mèche de cheveux égarée sur son visage. Harry n'eut même pas un frémissement. Il dormait profondément, son souffle soulevant légèrement le plaid sur son nez à chaque respiration. Severus n'avait jamais compris cette capacité à dormir avec la couette ou l'oreiller sur la figure, mais cela ne semblait pas du tout déranger le jeune homme.

Il finit par se redresser et glisser délicatement ses bras autour de son calice, l'un dans son dos, l'autre sous ses genoux, avant de faire doucement basculer son corps vers lui. Percevant le mouvement dans un demi-sommeil, Harry grogna légèrement puis se cala contre son torse et se remit à ronfler en quelques secondes.

Severus restait figé. Ébahi, émerveillé, ému de pouvoir enfin tenir son calice contre lui. Percevoir sa chaleur, sa respiration qui soulevait doucement sa poitrine, les battements de son cœur qui vibraient presque contre sa peau... Ce corps tant aimé abandonné entre ses bras. Il ne l'avait plus tenu ainsi depuis le deuxième rituel dans le pavillon chinois, dans lequel il avait essayé de mettre toute sa douceur et sa tendresse, ce qui n'avait pas empêché Harry de le fuir pour aller se laver dès le rituel achevé.

Et aujourd'hui, après des semaines de distance, il tenait son calice dans ses bras, contre lui, léger comme une plume... Endormi mais calme et serein. S'il avait été encore humain, Severus en aurait eu les larmes aux yeux tant l'émotion gonflait son cœur. Il se contenta de les fermer et d'approcher son visage des cheveux de Harry, le plus doucement possible. Puis il inspira profondément, remplissant ses poumons, son esprit, sa mémoire, de ce parfum qui lui avait tant manqué.

Severus ne voulait pas que ses gestes puissent être mal interprétés, il ne voulait pas que cela porte à confusion, il avait même laissé son calice enroulé dans son plaid pour le prendre dans ses bras, mais pouvoir le sentir ainsi... Glisser son nez dans ses cheveux, se laisser emporter par les souvenirs – les regrets, aussi –, retrouver cette douceur si précieuse...

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Il ne sut même pas combien de temps il resta dans cette position, à porter son calice contre lui, les yeux fermés à respirer le bonheur, mais cela paraissait une éternité. Une éternité pendant laquelle le vampire et l'homme en lui s'accordaient à se dire aussi heureux l'un que l'autre.

Le tenir dans ses bras n'était pas une morsure, pas plus qu'un rapport sexuel, mais cela raffermissait malgré tout une partie de leur lien. C'était un vrai contact entre eux, pas simplement une main pour tenir son poignet pendant la morsure. Que son calice soit endormi, pas forcément conscient de ce qui se passait, comptait peu pour ses instincts de vampire. Au contraire, ils le poussaient plutôt à profiter de l'instant pour le toucher davantage, pour le mordre, mais Severus n'eut pas beaucoup de mal à résister. Il savait trop à quel point son rapprochement progressif avec Harry était précieux.

Il l'aurait bien gardé toute la nuit dans ses bras, mais son calice serait mieux dans un lit pour dormir. Severus releva son visage, abandonnant le parfum suave à regrets mais le sourire aux lèvres. Puis, le plus doucement possible, il sortit de la Bibliothèque pour gravir le grand escalier du Hall.

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– Qu'est-ce que ?! fit Lucius en se redressant à demi dans le lit. Sev ?!...

– Qui d'autre ? sourit Severus en faisant rougeoyer ses yeux dans l'obscurité pour rassurer son mari.

Cela ne suffit pas à Lucius qui attrapa sa baguette sur sa table de nuit pour allumer une pâle lueur bleutée à son extrémité.

– C'est Harry ? fit-il en apercevant le corps inerte entre ses bras, emmailloté dans un plaid.

– Évidemment ! Défais-moi plutôt les draps que je puisse le coucher.

– Qu'est-ce qui s'est passé ? s'inquiéta Lucius en obéissant malgré tout.

D'un grand geste, il rabattit la couette pour laisser Severus poser délicatement son calice dans le lit où lui-même ne dormait plus.

– Rien du tout. Il est descendu pour grignoter dans les cuisines et en remontant, il est venu dans la Bibliothèque où j'écoutais de la musique. Il a fini par s'endormir dans un fauteuil mais il sera mieux ici...

Lucius fronça les sourcils, incertain et l'esprit encore brumeux de sommeil. Mais le visage paisible de Harry et la douceur des gestes de Severus qui retirait ses bras en prenant garde à ne pas le réveiller, achevèrent de le faire sourire.

– Tu devrais lui retirer le plaid et son kimono... Il dormira mieux sans.

– S'il se réveille, je ne veux pas qu'il puisse croire quoi que ce soit, affirma Severus en se redressant. Sa magie finira par le déshabiller toute seule...

– Sev ! Je suis là, bon sang ! maugréa Lucius. Je sais bien que tu ne feras rien et j'en suis même témoin !

Mais avec un sourire de renoncement, Severus attrapa la couette pour en recouvrir délicatement son calice.

– Vous devriez dormir, maintenant. Il reste encore deux heures avant l'aube...

Lucius grogna son mécontentement avant de se laisser retomber sur son oreiller, l'air dépité.

– Reste là. Viens t'allonger avec moi...

Severus gloussa en haussant un sourcil de surprise.

– S'il-te-plaît ! grogna encore Lucius. Ça fait trop longtemps qu'on a pas dormi ensemble. Et même si tu dors pas, je m'en fous ! Tu sais très bien ce que je veux dire...

– C'est-à-dire ? sourit Severus.

La moue contrariée de son mari lui donnait un côté très attendrissant et si Harry n'avait pas été dans ce lit, il aurait peut-être accepté de le rejoindre.

– On ne fera rien ! promit Lucius. J'ai juste envie de te sentir à côté de moi... Vraiment à côté de moi. On ne passe pas assez de temps ensemble... Tu me manques.

Severus grimaça devant cet aveu fait du bout des lèvres, les yeux fermés. Pour se dévoiler ainsi, reconnaître cette faiblesse, Lucius devait vraiment avoir envie – besoin ? – de sa présence.

Il aurait pu jouer à le taquiner un peu, à le faire supplier, mais la confession de son mari avait des accents de sincérité qui le forçaient à se taire. Lentement, Severus fit le tour du lit pour s'approcher. Il avait juste l'intention de s'asseoir sur le bord du lit, près de son mari, mais celui-ci rabattit la couette comme il venait de le faire pour Harry. L'invitation était on ne peut plus claire.

– Déshabille-toi... S'il-te-plaît.

Severus haussa à nouveau un sourcil mais il n'eut pas le cœur à un sarcasme devant l'attente vibrante de son mari. D'un coup de talon, il fit sauter ses chaussures puis quitta ses vêtements en quelques secondes.

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Severus s'allongea aux côtés de son mari, dans un lit déjà tiède à souhait, doux et moelleux. Il s'installa sur le dos avec un presque soupir de bonheur, tandis que Lucius se décalait légèrement pour se tenir sur le flanc, la tête appuyée sur sa main. Les draps sentaient bon la fraîcheur de la lessive et le parfum de son mari et Severus eut envie de s'étirer pour savourer leur douceur suave. Il n'avait plus besoin de dormir mais se relaxer, allongé dans un lit, avec Lucius à ses côtés, était un plaisir qu'il n'avait définitivement pas assez pratiqué depuis son retour.

Deux ou trois fois, ils s'étaient retrouvés dans sa propre chambre, pour un peu d'intimité, puisque Severus ne voulait pas utiliser leur ancienne chambre conjugale où dormait encore Harry. Les moments calmes et tendres y avaient existé, mais peu nombreux et toujours à la suite de moments de sexe débridés, presque furieux, quand l'épuisement et la satiété prenaient le pas sur le désir.

En réalité, ils ne parvenaient à passer que peu de temps en tête à tête, sans que ce soit pour une conversation ou un thé dans le Petit Salon ou le bureau de Lucius. Et tandis que son mari exprimait davantage un besoin de proximité charnelle, de contact, de présence, Severus avait cruellement besoin de sexe.

Il n'avait aucun rapport charnel avec son calice, il ne pouvait pas le mordre dans le cou, il évitait le plus possible de le toucher pour ne pas raviver son désir... Lucius faisait les frais de ses envies inassouvies.

Au fil des jours, la sexualité entre eux était devenue plus simple, plus fluide. Plus ludique aussi. Chacun avait fini par se résigner à l'absence de pénétration mais la tentative d'ascendant était devenue un jeu. Lucius savait maintenant ce que Severus tolérait et ce qui était prohibé, mais il prenait de plus en plus de plaisir à s'amuser avec les limites. Un geste, une attitude, une main qui traîne pour l'inciter à réagir... et ce sourire vainqueur quand ses yeux rougeoyaient soudain dans la pénombre.

Ce petit jeu ne déplaisait pas à Severus. Lucius y mettait à chaque fois la pointe de fierté, d'orgueil ou de noblesse qui le faisait sourire et embrasait son cœur depuis toujours. Lucius aimait le voir puissant, rayonnant de magie et d'influence..., sauvage. Il aimait, comme avant, réussir à fissurer son impassibilité, réussir à lui faire perdre le contrôle jusqu'à ce qu'il soit un peu plus vampire qu'humain.

Mais à ce petit jeu-là, Lucius donnait aussi davantage, et Severus était parfois surpris de ce qu'il pouvait faire sans que son mari ne se rebelle sous ses mains. Des fellations qui devenaient virulentes, empoigner cette longue natte blonde pour imposer un mouvement, des doigts qui s'égaraient vers des endroits que Lucius avait toujours réprouvés... Une découverte que Severus savourait à sa juste valeur et qui lui mit à nouveau le sourire aux lèvres. Mais ce soir, il n'était pas question de cela.

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Sur son torse, Severus sentait les doigts de son mari parcourir sa peau, effleurer, caresser, dessiner des arabesques aériennes comme sur le corps de son calice. Des doigts chastes, cependant, qui évitaient ses mamelons, ou se perdaient le long de sa cuisse pour ne pas toucher son sexe. Lucius voulait qu'il se tienne près de lui mais il restait raisonnable.

Pour un peu, Severus avait même l'impression que son mari désirait se lover contre lui, poser la tête dans le creux de son épaule et s'abandonner dans ses bras... mais quelque chose comme de la fierté le retenait, et Severus n'osa pas le geste qui l'aurait incité à se laisser aller. Lucius n'aurait pas apprécié qu'il perçoive à ce point sa fragilité.

En souriant dans la pénombre, Severus songea qu'ils étaient sans doute deux beaux idiots. Chacun avait envie d'abdiquer face au besoin de tendresse, de renoncer à la fierté, de relâcher la rigueur, de céder à l'envie d'affection et de douceur... mais ils ne pouvaient pas. Lui parce qu'il était un vampire qui revendiquait sa supériorité et sa puissance, et Lucius parce que toute une éducation intransigeante et froide l'avait façonné à être celui qui donne et ordonne, mais ne reçoit jamais.

Se tenir l'un près de l'autre, nus dans un lit, à échanger quelques caresses et autres baisers, était ce qui se rapprochait le plus de la tendresse entre eux. Et comme ils ne savaient ni l'un ni l'autre communiquer autrement leur vulnérabilité si taboue, Lucius reprit peu à peu leur seule façon de se dire le besoin, et les gestes instinctifs destinés à éveiller son désir.

– Arrête ! marmonna Severus en creusant le bassin pour fuir la main tentatrice de son mari. Pas ici. Et certainement pas avec Harry à côté !

– Tu as peur qu'il t'entende gémir ? gloussa Lucius, une main sous la tête et l'autre caressant doucement la peau imberbe au-dessus de son sexe.

– Je ne gémis pas ! grogna Severus.

– Tu pourrais, sourit Lucius. Tu sais bien que quand il dort comme ça, rien ne le réveille ! Il n'y a que pour Aria qu'il réagit au moindre bruit...

À la simple mention de la fille de son calice, le visage de Severus s'affaissa brusquement. Le peu de désir que Lucius avait éveillé en lui s'évapora soudain pour laisser place au doute qui l'habitait depuis quelques jours.

– Tu sais quand elle doit revenir ? demanda-t-il à son mari.

– Non, pas exactement, répondit Lucius en fronçant les sourcils tandis que sa main se posait sur son ventre en le caressant doucement du pouce. Je sais que les filles lui ont envoyé plusieurs messages, pour savoir si ça ne le dérangeait pas qu'elles prolongent un peu leurs vacances en Italie... Harry est même allé les voir un après-midi. D'après ce que j'ai compris, elles gardent Aria un peu plus longtemps que prévu. Harry leur a dit de profiter de la petite tant qu'elles n'avaient pas repris les cours... Quand elles seront de retour à Poudlard, en revanche, il la gardera toute la semaine ou au moins une majorité du temps.

Severus soupira en fermant brièvement les yeux. Il ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine appréhension, une fébrilité nerveuse à l'idée de cette future confrontation, tout en se rendant compte qu'Aria lui manquait, à lui aussi.

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– Qu'est-ce qui t'inquiète ? fit Lucius qui, décidément, le connaissait trop bien.

– Rien.

Le petit sourire en coin de son mari montrait bien qu'il n'en croyait pas un mot.

– Tu as peur de la revoir ? gloussa Lucius.

Severus serra les dents sans répondre. Il avait plutôt peur que Harry ne le laisse pas la revoir; pas après ce qu'il lui avait fait... mais cela, il ne pouvait pas l'exprimer, même à son mari.

– Il n'en parle jamais, remarqua-t-il. Ou du moins, pas devant moi.

Cette fois, ce fut Lucius qui parut mal-à-l'aise. Dans la pâle lueur bleutée que jetait sa baguette dans la chambre, il grimaça légèrement tandis que sa main reprenait sa caresse apaisante.

Severus soupira à nouveau. Il ne pouvait pas en vouloir à son mari de savoir des choses dont Harry ne voulait pas parler devant lui. Il ne pouvait même pas en vouloir à son calice de le tenir à l'écart d'une partie de sa vie... Mais ça faisait mal.

Il aimait Aria comme... Il aimait Aria. Il l'avait veillée, endormie, bercée, il l'avait nourrie, il avait changé ses couches, il l'avait consolée, il l'avait faite rire, il l'avait tenue contre lui, sur ses genoux, dans ses bras, il avait éveillé de la joie dans ses grands yeux vert sombre, il l'aimait. Et elle manquait à sa vie.

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– Tu ne lui as toujours pas offert son cadeau d'anniversaire, releva Lucius devant son silence.

– Non.

La même réflexion que Draco... Le père et le fils avaient été aussi touchés l'un que l'autre par la délicatesse de la photo et par le symbole qu'elle représentait. Touchés avec une retenue toute malfoyenne, mais Severus avait vu cette même émotion dans leurs regards.

Comme lorsque Harry avait offert à Blaise une photo de lui avec ses filleuls, Severus avait extrait une image de ses souvenirs pour la faire encadrer. Un jour où Harry les avait entraînés à jouer avec sa fille à englober leur main l'une dans l'autre, pour ensuite les extraire et les reposer au sommet de la pile le plus vite possible, un moment de complicité et de chatouilles qui faisait rire Aria aux éclats...

Mais sur l'image en noir et blanc, on ne voyait que leurs mains, superposées et immobiles, celle aux longs doigts fins de Lucius, légèrement arrondie en coupe, puis la sienne, plus massive mais moins longue, posée dans le creux de la main de son mari, celle de Harry dans la sienne, légèrement plus petite et plus arrondie, et enfin la main d'Aria, minuscule, délicate, posée dans celle de son père comme un oisillon dans le creux d'un nid. La photo respirait la fragilité et en même temps un immense sentiment de protection et de sécurité. Le sentiment qu'ils formaient presque une famille autour de cette enfant qu'ils aimaient tous les trois...

– Venant de moi, ce serait ridicule aujourd'hui, lâcha durement Severus. Après ce que je lui ai fait, ce serait même... indécent.

… Une famille qu'il avait fait voler en éclats par son comportement. Aujourd'hui, il n'était même pas sûr que Harry le laisse à nouveau approcher de sa fille et il ne pouvait que lui donner raison.

La main de Lucius migra brusquement vers son visage pour l'obliger à tourner la tête et à croiser son regard.

– Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ?!

– Tu n'as qu'à lui offrir, toi...

– Si c'est moi qui lui offre, je lui dirai que ça vient de toi, fit Lucius sans se démonter.

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Après un instant de silence sans le quitter des yeux, il reprit :

– C'était ton idée et je trouve cette photo d'autant plus symbolique aujourd'hui. Ce qui s'est passé est du passé, mais tu ne peux pas fuir sans l'assumer. Affronte la situation. Les choses vont de mieux en mieux entre vous... Offre-lui ton cadeau; tout ce qu'il verra, c'est à quel point tu aimes Aria et à quel point tu regrettes...

– C'est justement parce que les choses vont mieux entre nous que je n'ai pas envie de tout gâcher en remuant les mauvais souvenirs, avoua Severus dans un murmure.

– Tu ne lui fais pas assez confiance !

Le ton était dur, la voix implacable, le regard sévère. Puis Lucius posa brusquement ses lèvres sur les siennes pour un baiser intransigeant, avant de se glisser au plus près de son corps pour poser la tête sur son torse.

– Et tu ne te fais pas assez confiance non plus...

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Dans le silence de la chambre à peine troublé par la respiration lente de Harry, Severus restait figé. Les yeux grands ouverts sur le baldaquin du lit, sans oser un mouvement, sans oser un mot, sans savoir quoi dire de toute façon... Que ce soient les paroles de Lucius ou sa position : la main sur son ventre et la tête posée sur son torse, tout était trop lourd de sens, trop symbolique pour ne pas remuer une tempête de sentiments dans son esprit.

La confiance... Ce qu'il souhaitait venant de Harry et qu'il n'était peut-être pas capable de donner lui-même... L'abîme mortifère de regrets, de doutes, dans lequel il se complaisait, et pourtant, là, tout au fond, cette envie d'y croire, ce désir de renouer avec son calice des liens d'attachement, d'amour... cet amour qui ne l'avait jamais quitté et qu'il sentait grandir de jour en jour, de morsure en morsure, à chaque fois que le sang de Harry courrait un peu plus dans ses veines et dans son corps.

Et cette même confiance que lui témoignait Lucius en s'abandonnant ainsi contre lui, la tête sur son torse tout en caressant doucement son ventre. Severus n'avait même pas le souvenir qu'ils aient été dans cette position un jour, depuis quarante ans... Et la surprise autant que l'émotion le figeaient sur le lit, raide et tétanisé.

– Je ne me ferai jamais à l'idée de ne plus entendre battre ton cœur, murmura Lucius.

Comme en réflexe, Severus releva les bras pour enlacer le corps de son mari et l'étreindre puissamment. Le vampire en lui s'agitait, cherchant à protéger celui qui comptait dans sa vie tout autant que son calice. Incapable de former une pensée cohérente dans son esprit envahi de rougeoiements, la gorge nouée d'émotion, Severus mit plusieurs minutes avant de relâcher quelque peu son étreinte.

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Peu à peu, il se détendit tout en continuant à tenir Lucius contre lui. Puis il ferma les yeux pour mieux ressentir sa présence et sa chaleur... Les sentiments s'apaisaient lentement. Sa main glissa vers les cheveux d'or de son mari pour les caresser. Leur douceur soyeuse lui faisait du bien. Il aimait tellement les sentir couler entre ses doigts, autant qu'il aimait effleurer la peau satinée de son bras... Le parfum de Lucius l'enivrait, une odeur qu'il chérissait entre toutes et qu'il respirait à pleins poumons, tout comme il avait plongé son nez dans les cheveux de Harry tout à l'heure...

À nouveau, Severus resserra un instant ses bras autour de son mari avant de reprendre ses caresses. En lui, le vampire ronronnait de contentement. Lucius remua légèrement, frotta sa joue contre son torse puis reposa son visage en toute quiétude. Son mari dans ses bras et son calice non loin... Severus en était presque satisfait.

– Mon cœur bat encore, murmura-t-il. Pour vous deux...

Sur son ventre, la main de Lucius glissa légèrement. Il s'était rendormi.

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Merci à tous de votre lecture, de votre fidélité et bienvenue à ceux qui rejoignent l'histoire en cours de route. N'hésitez pas à laisser un petit commentaire ou une trace de votre passage...

La semaine prochaine, Severus doute encore, et Lucius et Harry tentent de le rassurer comme ils peuvent.

Au plaisir

La vieille aux chats