Résumé: Pris dans ses ambivalences entre son désir de se laisser aller avec son vampire et ses craintes liées à sa fille, Harry décide de s'éloigner quelques jours de Severus et lui annonce son départ. D'abord refroidi, celui-ci admet son besoin de distance et choisit de lui faire confiance malgré ses doutes et ses instincts de protection.
Un tout petit chapitre aujourd'hui, mais qui marque des moments importants et symboliques ;) Bonne lecture!
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– Tu es sûr que c'est une bonne idée ? insista Luna en fourrant pêle-mêle des bavoirs et quelques jouets dans le sac à langer de sa fille. Prendre de la distance, c'est comme prendre la fuite. Les problèmes seront toujours là à ton retour.
– Je ne fuis pas les problèmes, Luna, répondit patiemment Harry en rajustant sa fille sur sa hanche. Je m'éloigne pour me retrouver moi. Et il ne s'agit pas de disparaître ! Je ne pars que quelques jours.
Il savait que Luna jugeait son absence à venir comme une perte de temps inutile. Il se doutait surtout qu'elle faisait un parallèle – qui n'avait pas lieu d'être – avec sa disparition, des années plus tôt. Et il aurait pu lui faire la même réponse à l'époque : il avait eu besoin de distance pour se retrouver, pour se reconstruire. Ça avait juste pris beaucoup plus de temps.
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– Au fond de toi, tu sais déjà ce dont tu as envie. Tu as seulement besoin de l'admettre.
– Peut-être, fit pensivement Harry. J'ai surtout besoin d'être sûr.
Dans ses bras, Aria bascula brutalement pour agripper le long foulard qui lui servait de doudou et que Luna avait voulu mettre dans le sac, et Harry la rattrapa par réflexe. Par réflexe également et pour compenser sa frayeur, il se mit à grogner en lui faisant la leçon. Aria l'ignorait superbement, toute joyeuse d'avoir récupéré son objet précieux. Harry finit par lever les yeux au ciel et sourire devant ses mimiques enfantines. Il se souvint aussi que Severus l'avait rattrapé de la même manière quelques heures plus tôt, lorsqu'il avait trébuché, et ce souvenir réchauffa encore son sourire.
– Je la récupère demain soir chez Daphnée, alors ? fit Luna en caressant doucement les cheveux fins de sa fille.
– Oui. Je lui dépose demain matin à la première heure, juste avant de partir.
Aria n'avait passé que la soirée et la nuit à Poudlard, mais cela permettait à ses mères de couper un peu la semaine sans elle, et ce matin, Harry la récupérait avant que Luna ne file assurer ses cours.
– Elle aura passé toute la journée avec Scorpius, ajouta-t-il en ricanant. Je pense que tu n'auras pas trop de mal à la coucher le soir !
– Je dois y aller, grimaça Luna en jetant un œil à la pendule. À demain, ma chérie ? Je t'aime très fort. Et Padma aussi. Sois bien sage avec Daphnée et ne profite pas de la magie de Scorpius pour obtenir tout ce que tu veux !
Avec une tendresse impatiente, elle embrassa le front d'Aria qui se contenta d'un grand Bah ! pour saluer sa mère.
– Et toi, fais attention à toi, fit-elle en regardant Harry droit dans les yeux. Et dites bonjour à Severus pour moi !
Après une caresse furtive sur la tête d'Aria, elle saisit son gilet qui traînait sur le dossier d'une chaise, puis un épais classeur de parchemins sur la table. Harry en était encore à tenter d'interpréter ses derniers mots qu'elle avait quitté l'appartement sur un geste d'au-revoir de la main. Pourquoi Severus et pas Lucius ? À moins que Luna n'ait su, par une de ses étranges prémonitions, ce qu'il s'apprêtait à faire... Harry leva les yeux au ciel, prit le sac à langer sur son épaule, puis transplana jusqu'à Londres.
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L'heure était encore trop matinale pour qu'il y ait du monde sur le Chemin de Traverse, surtout un jour de semaine, mais la plupart des boutiques étaient déjà ouvertes. Harry hésita un instant à passer chez Florian Fortarôme pour acheter quelques pâtisseries en guise de second petit-déjeuner... L'odeur de viennoiseries chaudes qui flottait dans la rue était tentante, mais il ne voulait pas paraître s'imposer si Severus n'était pas disponible. Ou s'il n'avait pas très envie de les voir.
Il renonça avec une grimace de dépit puis traversa la rue pour rejoindre la Librairie. La devanture présentait toujours quelques livres anciens soigneusement mis en valeur, mais un parchemin collé sur la porte d'entrée, juste en dessous du panonceau Ouvert, attira son attention.
« Le magasin est tenu par un vampire. Si vous entrez juste pour vous faire une frayeur ou pour satisfaire votre curiosité malsaine, ce sera sans doute à vos dépends. »
Harry ne put s'empêcher de glousser en lisant l'avertissement. À part le sien, Severus n'était pas capable de boire le sang de qui que ce soit sans se rendre malade mais il n'hésitait pas à effrayer les curieux. Durant ses conversations avec Lucius, il avait plusieurs fois sous-entendu que la Librairie était devenue un repaire pour jeunes en quête de sensations fortes et que la situation l'exaspérait. Suffisamment pour qu'il rentre certains soirs prodigieusement agacé et qu'il évoque même la fermeture du magasin. Lucius l'avait rassuré en lui disant que cela allait sans doute se tasser avec le temps mais Severus semblait le vivre assez mal. En plus du reste...
Mais ce matin, Harry allait peut-être lui mettre un peu de baume au cœur. Il sourit, respira profondément pour se reconnecter à la réalité et ouvrit la porte.
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Une fois de plus émerveillé par ce temple du livre ancien et par l'odeur presque magique de vieux papiers, Harry s'avança à travers les rayonnages. La devanture et toutes les fenêtres étaient obscurcies par son sortilège permanent, mais Severus avait disposé de nombreuses lampes pour permettre à ses clients de parcourir les ouvrages du regard. L'ensemble donnait une impression d'intimité assez étonnante, la sensation de pénétrer dans un grenier oublié pour y découvrir des trésors insoupçonnés. Harry s'y sentait étrangement bien.
– Qu'est-ce que... qu'est-ce que vous faites là ?!
La voix grave de Severus le fit sursauter, surprenant également Aria qui se cramponna à son pull et à son doudou. Mais aussitôt qu'elle reconnut le vampire, elle poussa une exclamation enthousiaste en agitant les bras vers lui.
Devant le grand sourire qui barrait le visage de sa fille, Harry se mit à sourire aussi, heureux de la voir si ravie.
– On est venus te rendre une petite visite, fit-il doucement avant de poser sa fille au sol.
Bien campée sur ses deux jambes, fière comme un paon, Aria ne se retenait à lui que par une main fermement agrippée à son index. Elle oscillait bien un peu mais Harry savait qu'elle avait malgré tout un bon équilibre. Avançant légèrement la main, il l'incita à faire quelques pas en direction de Severus, ce qu'elle fit avec empressement et une série de Da ! tous plus joyeux les uns que les autres.
– Toi et... Aria ? s'étrangla Severus.
– Da !
Harry gardait les yeux obstinément baissés sur les pas presque précipités de sa fille. Il n'avait pas croisé le regard de Severus et il ne tenait pas particulièrement à le faire, trop occupé à se mordre la lèvre pour contenir ses émotions.
Severus n'avait pas dit un mot de plus, ni fait un mouvement vers eux. Mais lorsque Aria lâcha son doigt pour faire deux pas toute seule et se jeter contre le pantalon sombre du vampire, Harry le vit brusquement accroupi devant elle, la réceptionnant entre ses bras avant de la serrer contre lui comme un trésor.
Le silence dans la boutique était étrangement lourd et étouffant, aussi pesant que l'aura tumultueuse qui s'échappait de Severus. Harry releva doucement les yeux vers eux pour ne voir que sa fille, minuscule, prise dans une étreinte d'ours. Severus avait la tête plongée dans le cou d'Aria, son visage complètement dissimulé par la position et par les cheveux fins du bébé. Autour d'elle, des bras immenses, puissants, qui la recouvraient presque toute entière tandis que ses pieds ballottaient dans le vide avant de se poser sur les cuisses du vampire. À cet instant-là, Harry aurait pu avoir peur, mais ce qu'il ressentait dans l'aura de Severus n'était qu'une émotion bouleversée qui lui serra douloureusement le cœur.
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Le moment durait, un temps infini à ce qu'il lui semblait, et Harry se sentait de plus en plus gêné. Il baissa les yeux sur ses chaussures. De toute évidence, Severus ne voulait surtout pas laisser voir son visage. S'il avait été encore humain, Harry l'aurait sans doute retrouvé avec des yeux brillants, bien trop humides pour pouvoir le regarder en face. Fugacement, il se demanda si les vampires pouvaient pleurer mais il préférait ne pas avoir de réponse à sa question. Et Severus, qui gardait si farouchement ses émotions pour lui, si raide de pudeur dès que quelque chose le touchait, ne lui donnerait certainement jamais la réponse.
– Viens.
Harry releva les yeux vers eux, mais Severus s'était déjà redressé et lui tournait consciencieusement le dos, Aria juchée sur son bras. Elle babillait de bon cœur et elle poussa même un véritable cri de joie en levant la main pour toucher le visage de Severus. Harry se mordit à nouveau la lèvre, le ventre crispé d'émotion, et emboîta le pas du vampire vers le fond du magasin.
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Severus ouvrit la porte de son bureau et alluma une lampe d'un simple mouvement de la main. Il s'avança vers le salon au milieu de la pièce, s'assura d'un coup d'œil qu'il l'avait suivi, puis parut légèrement hésitant.
– Tu veux un thé ?
– Avec plaisir, murmura Harry en refermant la porte derrière lui.
Visiblement à contrecœur, Severus posa Aria au sol, près du canapé, avant d'aller chercher dans un meuble bas une théière, du thé et des tasses. Il revint poser le tout sur la table basse, protégée par un sortilège pour repousser les petites mains trop curieuses, puis il remplit la théière d'eau d'un Aguamenti avant de la faire chauffer. Assis dans un fauteuil juste en face, Harry observait les gestes presque mécaniques du vampire qui prenait quelques pincées de thé qu'il déposa dans le diffuseur intégré dans la théière avant de s'asseoir à son tour sur le canapé.
Severus gardait la tête baissée, les yeux rivés sur Aria qui s'était remise sur ses pieds et qui progressait gaiement le long du canapé pour le rejoindre. Elle se fendit à nouveau d'un long discours de gazouillis puis vint s'accrocher au pantalon de Severus qui mit une main derrière son dos en prévention. Aria agitait ses bras, désirant visiblement autre chose, et se mit à gazouiller un peu plus fort. Ses protestations véhémentes tirèrent un sourire à Harry mais il se garda bien de dire quoi que ce soit ou d'intervenir.
N'obtenant pas ce qu'elle voulait, Aria reprit son chemin en sens inverse pour s'éloigner un peu de Severus. Elle finit par se mettre face au canapé et entreprit de lever une jambe pour essayer de la glisser sur le coussin d'assise. L'entreprise était périlleuse, la hauteur paraissait insurmontable, mais à force de persévérance et d'obstination, elle parvint à s'arrimer au coussin et à l'aide de ses mains cramponnées au tissu, elle se hissa enfin sur le canapé.
Severus ne la quittait pas des yeux, prêt à intervenir en cas de chute et Harry lui faisait toute confiance pour être bien plus rapide que lui. Une fois parvenue à ses fins, Aria poussa un cri de victoire puis se précipita à quatre pattes vers les genoux de Severus. Il l'accueillit entre ses bras avec un sourire qui dépassait des angles de son visage baissé. Toujours silencieux, il colla sa joue contre elle et inspira profondément son odeur de bébé. Harry le vit même fermer religieusement les yeux avant d'embrasser ses cheveux pendant un long, très long moment.
– Ma chérie, laissa échapper Severus dans un murmure.
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Harry croisa les jambes avant de lisser doucement son pantalon, puis réalisa brusquement le geste qu'il venait de faire : le même que Lucius pour cacher son embarras ou pour gagner du temps. Il se fustigea mentalement en souriant puis avisa le thé qui devenait de plus en plus foncé dans la théière. Le plus discrètement possible pour ne pas interrompre les retrouvailles entre Severus et sa fille, il se pencha vers la table basse et versa le thé dans les deux tasses.
Severus lui adressa un hochement de tête obligeant avant de se retrouver à nouveau accaparé par Aria pour son plus grand bonheur.
– Tu as du sucre ?
– Oui. Excuse-moi, j'ai oublié.
Tout comme le café, Severus prenait son thé très noir et sans sucre, sans lait, sans rien du tout. Harry, lui, et encore plus depuis qu'il était un calice, y glissait volontiers un morceau de sucre ou deux.
– Ne bouge pas. J'y vais, fit-il quand Severus fit mine de déplacer Aria pour se lever.
– Sur l'étagère. En haut à gauche...
– C'est bon, j'ai.
Harry glissa les deux sucres – vu la taille de la tasse ! – dans son thé et se rassit tranquillement en face d'eux. Cette fois, Aria était debout sur les cuisses de Severus, levant une main intriguée vers ses cheveux.
– Je crois qu'elle se demande pourquoi tu n'as plus tes mèches blanches...
– Da !
À présent que son émotion immédiate était passée, Severus tourna enfin son regard sombre vers lui et Harry en fut profondément troublé. Le visage du vampire paraissait lumineux, transformé, et l'éclat de son sourire se lisait jusque dans ses yeux.
– J'ai rajeuni, s'amusa Severus. Et elle, elle pousse comme une belle plante...
Sa voix vibrait encore d'une légère émotion tandis qu'il caressait ses cheveux en la contemplant. Et l'émotion se propagea jusque sur son visage quand Aria ouvrit grand la bouche pour la coller sur sa joue en une imitation tendre de bisou.
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– Aria ! râla doucement Harry. Tiens toi tranquille pendant que je remets ta couche ! Si elle est de travers, tu vas encore te retrouver trempée après la sieste. Tiens, attrape ça, ça t'occupera.
Il lui tendit sa petite brosse à cheveux qu'Aria s'empressa d'attraper et de mettre à la bouche. Le contact des poils la fit grimacer mais au moins il put réussir à mettre sa couche correctement à l'anguille qui lui servait de fille.
Il boutonna rapidement son body puis décida de la laisser jambes nues pour dormir. Elle serait bien plus à l'aise ainsi et la gigoteuse suffirait à lui tenir chaud. Sans compter que le soleil commençait à donner de ce côté du Manoir et que la chambre était agréablement tiède.
Harry glissa quelques doigts sur son ventre pour la chatouiller, puis prit sa fille dans ses bras. Il n'avait sans doute pas trop intérêt à l'exciter s'il voulait qu'elle s'endorme rapidement mais c'était trop tentant. Il embrassa son ventre tout rond puis se tourna pour la poser dans son lit.
Surpris par une forme inhabituelle, il s'arrêta net en levant les yeux.
– Mais ! Qu'est-ce que...
Là, juste au-dessus du lit d'Aria, accroché au mur au fond de la petite alcôve, se tenait un cadre qu'il n'avait jamais vu. Il mit quelques secondes à saisir ce qu'il représentait : plusieurs mains en coupe, superposées les unes au-dessus des autres, et pour finir une main d'enfant, toute petite et pourtant détendue.
Il ne savait pas d'où sortait ce cadre, mais l'image était jolie et très apaisante. Sans savoir pourquoi, il lui trouvait un parfum d'ailleurs, très exotique, avant de réaliser qu'elle lui faisait penser aux statues de Bouddha qu'il avait croisées pendant ses voyages en Asie, assis en lotus et les deux mains posées en coupe sur les chevilles. Une invitation à la méditation et à la sérénité...
Ce fut l'éclat discret d'une alliance qui lui fit les reconnaître : ces mains étaient celles de Lucius, de Severus, d'Aria et la sienne... un jour où ils avaient joué à ces jeux de mains sans doute ridicules mais qu'il affectionnait particulièrement. Un jour de tendresse et de complicité tous les quatre. Il se souvenait même qu'Aria avait ri aux éclats comme jamais...
Harry sourit tristement à l'idée de ce qu'ils avaient perdu. Et aussitôt, il repensa à l'émotion de Severus quelques heures plus tôt à la Librairie. Il n'avait rien dit, il était resté digne, mais Harry avait bien vu à quel point tenir Aria dans ses bras pour la première fois depuis si longtemps – et avec sa bénédiction – l'avait ébranlé. Il lui avait fallu de longues minutes avant de parvenir à se ressaisir et à se relever. Même son aura avait frissonné de douleur et de bonheur mêlés.
D'autant que la réaction d'Aria, émerveillée et ravie, avait été comme une absolution pour le vampire qu'il était devenu. Comme avec Scorpius et Iris la première fois qu'il les avait revus à Torquay, Severus avait sans doute craint qu'Aria ait peur de lui et le rejette. Harry s'en voulut d'autant plus de ne pas y avoir pensé auparavant. Comme l'avait si bien dit Mark, il avait été horrible. Il avait refusé qu'Aria s'approche de Severus, il avait refusé qu'il la prenne dans ses bras ou qu'il s'occupe d'elle... Son propre comportement de défiance n'avait fait qu'accroître l'angoisse de Severus d'être rejeté. Et il ne souhaitait pas cela.
Pétri de culpabilité, Harry embrassa doucement les cheveux d'Aria et la coucha dans son lit avant de refermer la gigoteuse sur elle. Déjà, elle avait porté son doudou à son visage et se frottait le nez avec. Il tamisa la lumière de la chambre puis sortit sans faire de bruit.
Ce qu'il avait fait ce matin, leur permettre enfin de se retrouver, le soulageait. Il avait l'impression de s'être un peu racheté, mais la douleur était toujours là, au fond de son cœur. L'impression d'avoir trahi son vampire par manque de confiance.
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Un bruit dans leur chambre, juste en face, le tira de ses pensées abattues. Harry fronça les sourcils et ouvrit la porte, bien décidé à savoir d'où sortait ce cadre qui représentait un si beau souvenir.
– Luce ?...
– Le Maître est dans son bureau, Monsieur.
– Clay ! s'exclama Harry en souriant. Que fais-tu ici ?
L'elfe sortit du dressing avec une baguette à la main et un ricanement gravé sur son visage.
– Eh bien, je fais le ménage et je range les habits propres du Maître et de Monsieur, ce que nous, les elfes, faisons habituellement même si vous ne le voyez pas...
– Ce que tu fais avec une méticulosité exemplaire, je n'en doute pas, gloussa Harry.
– D'ailleurs, les draps avaient grand besoin d'être changés !
– Oh, ça va ! N'en rajoute pas, s'il-te-plaît ! pouffa-t-il. Dis-moi plutôt... Sais-tu d'où vient le cadre au-dessus du lit d'Aria ? C'est Lucius qui l'a fait faire ?
Clay hésita un instant et son ton était un peu plus déférent quand il répondit.
– C'est moi qui l'ai installé, Monsieur... à la demande de Monsieur Severus.
– Oh.
Harry n'était pas rentré dans la chambre d'Aria depuis qu'il l'avait ramenée à Poudlard hier soir...
– Quand t'a-t-il demandé ça ?
– Tôt ce matin. Avant de partir à la Librairie.
Était-ce... un geste d'apaisement parce qu'il avait annoncé son départ ? Une façon de montrer que Severus regrettait ces moments de complicité tous les quatre ? Qu'il tenait à lui, qu'il tenait à Aria, qu'il ne voulait pas les perdre... ou bien Harry se faisait des idées.
– C'est Severus qui l'a fait faire, alors...
Ce n'était même pas une question, juste une constatation énoncée à voix haute, surprenante, et Clay hocha la tête.
– Le cadre est au Manoir depuis des semaines, Monsieur, depuis avant la transformation de Monsieur Severus. C'était censé être votre cadeau d'anniversaire, mais Monsieur Severus ne savait pas comment vous l'offrir. Après ce qui s'est passé dans le pavillon chinois, il n'arrivait pas à trouver cela... opportun. Il m'a simplement demandé de l'accrocher dans la chambre de Mademoiselle, en se disant que si ça ne vous plaisait pas, vous le feriez disparaître... Et je ne suis pas censé vous avoir dit ceci.
Abasourdi, Harry se contenta de hocher la tête à la demande implicite de tenir sa langue puis Clay disparut dans un craquement sonore.
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La soirée fut aussi agréable que l'avait été la journée. Harry se sentait plus en harmonie avec lui-même, Aria était pleine de vie et de bonne humeur et Severus rentra ce soir-là en rayonnant littéralement de satisfaction. Il vint les rejoindre au Petit Salon et lorsque Lucius vit Aria se carapater pour le rejoindre sans que Harry ne l'en empêche, l'aristocrate afficha un sourire resplendissant.
Pour bien marquer toute son acceptation, ce fut même Severus qui lui donna à manger au cours du repas. Après avoir souri quelques minutes en voyant Harry s'escrimer entre sa propre fourchette et la cuillère de sa fille, il se proposa en désignant l'ogre miniature :
– Tu veux que... ?
– Si ça ne t'ennuie pas ?
Aria protesta deux secondes tandis que Severus l'installait à côté de lui, effrayée à l'idée d'être éloignée de sa nourriture, puis quand la première cuillère s'engouffra dans sa bouche, elle se tut jusqu'à la fin du dîner.
Après tout, c'était tellement plus logique... Severus ne se nourrissait pas. Il se contentait de boire une tasse de thé, et encore pas à tous les repas, alors que Harry passait un temps infini à manger tout en devant donner la becquée à sa fille en même temps. À vrai dire, c'était le premier repas depuis qu'il avait récupéré Aria où il mangea sereinement. Et à sa faim.
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Aria couchée, ils traînèrent dans le Petit Salon, chacun sur un livre ou un magazine dans un silence reposant. Puis, comme souvent, Lucius jeta un regard à Harry qui lui, jeta un regard à Severus. Ils allaient monter se coucher, et eux, ce serait la dernière morsure avant son départ...
Il savait qu'il ne partait que quelques jours, il savait qu'il allait revenir, mais malgré tout, elle était symbolique. Importante.
Ils se glissèrent dans la chambre en silence et s'installèrent comme à leur habitude, sur le bord du lit, Severus assis à sa gauche, peut-être un peu plus près que d'habitude. Harry déboutonna sa manche avec des gestes lents et mesurés, comme s'il grappillait des secondes à un ballet trop bien réglé. La morsure fut douce et calme. Presque tendre. Et Harry résista désespéramment à l'envie de toucher du bout des doigts le visage qui le mordait.
– Tu n'as pas bu assez, murmura-t-il tandis que Severus redescendait déjà sa manche.
– Je ne tiens pas à ce que tu partes à l'autre bout du monde, en pleine jungle qui plus est, en étant fatigué et anémié.
Le sourire doux de Severus était aussi légèrement triste.
– Tu sais bien que dans quelques heures, il n'y paraîtra plus.
– Et tu ne sais pas si tu pourras te nourrir en quantité suffisante pour ton organisme. Je préfère que tu te préserves au cas où.
Harry hocha la tête, reconnaissant de cette prévenance.
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– Merci d'avoir emmené Aria ce matin.
– Merci pour le cadre... Il est très beau.
Severus sourit, puis sa main glissa le long de son bras en une ébauche de caresse, mais Harry ne s'en aperçut même pas, subjugué par l'intensité de son regard.
– Je serai parti tôt, demain matin, murmura Severus en pressant doucement sa main. Fais attention à toi.
Devenir un vampire n'y avait rien changé. Severus n'aimait toujours pas les adieux.
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Severus était tellement plongé dans sa lecture qu'il n'entendait même plus la musique. Il fallut la note plus aiguë d'une trompette pour qu'il perçoive à nouveau les autres sons, les balais de la batterie, le piano, la contrebasse... et qu'il se décide enfin à lever le nez de son ouvrage. Il respira profondément avant de pencher la tête d'un côté puis de l'autre pour s'étirer, jusqu'à entendre sa nuque craquer.
Il se sentait noué de partout, plus tendu que depuis des semaines, alors que tout semblait aller pour le mieux. Après un passage à vide, ses relations avec son calice s'étaient radoucies, il avait passé un peu de temps avec Aria sans que Harry n'y trouve rien à redire, il avait même apprécié le cadre fait spécialement pour son anniversaire... Il n'y avait que ce fichu départ qui révoltait son âme et son cœur, et qui le rendait nerveux au possible. Mais la volonté de Harry primait sur ses propres désirs.
Severus referma son livre et se leva pour aller se poster devant la baie vitrée. Des rigoles de pluie s'écoulaient sans discontinuer sur la vitre, scintillantes d'argent quand il posa le bout de ses doigts sur le sortilège. L'effet était de toute beauté, presque aussi merveilleux que les arabesques émeraudes qui dansaient sur la peau de son calice lorsqu'il se servait de sa magie. Mais le temps était exécrable et il n'irait certainement pas se promener dans les jardins cette nuit.
Comment ferait Harry s'il pleuvait là-bas, là où il allait ?! Comment ferait-il pour se mettre à l'abri, pour se garder au chaud, pour se nourrir à sa faim ? Harry avait assuré que ça ne lui faisait pas peur, mais Severus, lui, était inquiet. Il ne connaissait rien à cette vie, il ne l'imaginait même pas, et il savait bien que la magie ne faisait pas tout. La nature pouvait être un danger, il suffisait d'un animal, d'une plante, d'un manque d'attention une fraction de seconde... et il ne pourrait rien faire.
– Arrête avec ça...
Severus était tellement plongé dans ses inquiétudes qu'il n'avait même pas perçu le bruit de ses pas.
– Tu devrais dormir, répondit-il en se retournant, avec le même sourire que son calice. Surtout en sachant que tu pars tout à l'heure. Tu auras besoin d'être en forme.
Harry était là, pieds nus comme toujours, drapé dans un kimono vert émeraude, si dense et si sombre, si profond que Severus mourrait d'envie de caresser le tissu soyeux.
– Mords-moi.
Les mots lui firent l'effet d'une décharge électrique, d'un coup de tonnerre qui vibrait dans tout son corps et jusque dans son bas-ventre. Comme si Harry l'avait pénétré brusquement avec sa magie pour le faire jouir sur le champ. Ce n'était qu'une illusion mais les fourmillements de désir, eux, mirent de longues secondes à disparaître.
– J'ai déjà bu tout à l'heure, répondit posément Severus après avoir repris ses esprits. Je ne veux pas que tu partes affaibli...
Harry s'avança d'un pas pour se rapprocher de lui, le sourire aux lèvres, peut-être trop bien conscient de l'effet qu'il lui avait fait.
– Je comprends. Je ne te demande même pas de boire, je veux juste que tu me mordes. Avant que je parte, cette chose en moi a besoin de te prouver qu'elle t'appartient...
Severus frissonna puissamment des pieds à la tête, trop sidéré pour réagir autrement. Il ne pensait plus, son esprit n'était plus qu'un grand vide chatoyant de couleurs chaudes, dominé par le son mélancolique de cette trompette et par la sensation de ses cheveux hérissés sur sa nuque. Les mots de Harry résonnaient physiquement dans son corps tandis qu'il entendait les battements calmes du cœur de son calice. Il voyait son visage serein, son sourire tranquille... Il voyait surtout sa tête penchée sur le côté, volontairement, comme une invitation, et cette carotide qui pulsait au rythme lent de la musique.
– Mords-moi.
Harry fit un dernier pas et en un battement de cil sur ses yeux rouges, Severus fut sur lui.
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Ses bras se refermèrent d'un seul coup sur le corps souple de son calice. L'un barrait ses reins tandis que l'autre remontait sur tout son dos, la main glissée dans ses cheveux pour maintenir sa tête. Son visage était dans son cou, ses lèvres sur la peau si chaude, presque brûlante. Severus inspira à pleins poumons, le nez sur sa carotide. L'odeur de son calice était à se damner. Suave, envoûtante. Aussi belle qu'un fruit défendu. Et plus bas, dans son pantalon, il sentait sa propre érection douloureusement comprimée par le tissu.
La chaleur de Harry se répandait à travers lui, excitante et précieuse. Severus ne l'avait plus tenu dans ses bras depuis si longtemps qu'il en avait oublié à quel point c'était bon – vital – et Harry ne résistait même pas. Au contraire, son calice s'était cambré pour se laisser aller dans son étreinte possessive. Il avait même encore incliné la tête pour lui faire de la place dans son cou. Harry s'offrait à la morsure la plus intime qui soit. Harry s'offrait à lui.
Severus gronda son plaisir en un son bas et rauque. Il fit glisser sa joue le long de la mâchoire de son calice puis caressa du bout de son nez sa gorge si chaude, si délicate. Il voulait prendre son temps, s'emplir de son odeur aussi moelleuse que la musique qui les berçait en fond sonore, il voulait se réchauffer à sa chaleur, s'imprégner de son corps collé contre le sien, contenter tous ses instincts de vampire...
Ses lèvres coururent sur la peau fine sous laquelle pulsait le sang divin. Sa main se crispa dans les cheveux de son calice et Harry laissa juste échapper un gémissement plaintif en penchant un peu plus la tête. Du bout de la langue, Severus retraça le trajet de la carotide, frémissant de plaisir et d'impatience. Même Harry frissonnait entre ses bras et il raffermit un peu plus son étreinte pour le rassurer. Contre sa cuisse, il sentait une légère grosseur qui commençait à ouvrir les pans du kimono. Son calice était excité avant même la morsure !
Severus gronda à nouveau, tout aussi excité. Ses canines étaient sorties depuis longtemps, il en effleura la peau moite qui frémissait sous ses lèvres. Harry gémit encore, abandonné entre ses bras comme une poupée de chiffon. Severus ressentait presque un appel venant de son calice, la nécessité impérieuse de la morsure, le besoin d'être revendiqué, d'être marqué, avant qu'ils ne soient séparés.
Pris dans une ambivalence douloureuse, Severus frotta désespéramment son nez et son visage contre le cou de son calice, puis il soupira et posa son front là où auraient dû se trouver ses dents. Il avait l'impression que l'artère battait dans sa propre tête, pulsant comme une migraine. Contre sa peau, celle de Harry était une brûlure aussi cuisante que le renoncement.
Il ne pouvait pas. Cela allait à l'encontre de tout ce qu'il s'était promis... Harry était consentant. Il le demandait lui-même. Il souhaitait une morsure plus intime; il le souhaitait, lui, son vampire, celui avec lequel il était lié... Mais Severus ne voulait pas de cette morsure dans ces conditions, alors que Harry était guidé par des instincts qu'il n'acceptait pas. Tant qu'il n'aurait pas pleinement accepté « cette chose » en lui, tant qu'il n'aurait pas admis ce qu'il était devenu, même avec ses côtés primaires et pulsionnels, Harry pourrait considérer cette morsure comme quelque chose qu'il n'avait pas vraiment voulu. Qu'il n'avait pas choisi.
– Harry..., soupira Severus contre la peau douce de son cou. Je ne te mordrai pas... J'en crève d'envie. Vraiment. J'en ai tellement envie que ça me brûle de l'intérieur, aussi douloureusement que de plonger la main dans un bain d'argent... Mais je ne le ferai pas. Pas aujourd'hui.
Un gémissement s'échappa de la gorge de son calice, vibrant contre son visage, et Harry se colla un peu plus contre lui.
– Le jour où je te mordrai à nouveau là, fit-il en frottant son nez contre l'artère qui pulsait un peu plus vite, ce sera toi tout entier qui le voudras, pas juste cette partie de toi qui en a besoin mais que tu détestes... Pas juste ces instincts de calice que tu n'acceptes pas. Je ne veux pas que tu puisses le regretter un jour, ou me le reprocher. Je veux que ce soit un moment qui comptera autant pour toi qu'il compte pour moi...
À regrets, Severus se redressa, s'éloignant de l'odeur si magnétique de son calice, et embrassa sa tempe.
– Je suis désolé, souffla-t-il.
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Ses bras l'enserraient encore comme un trésor précieux, plus tendres, moins possessifs, caressant doucement le bas de son dos et ses épaules. Il ne s'en était même pas aperçu jusque là, mais ceux de Harry s'étaient glissés autour de sa taille et le tenaient tout autant.
Severus aurait pu rester ainsi des heures durant, sans rien faire d'autre que tenir son calice dans ses bras, écouter la musique et entendre son cœur battre presque contre sa peau, mais il savait aussi que Harry n'était pas venu sans raisons.
– En réalité, ce dont tu as besoin avant de partir, c'est de raffermir le lien, avança Severus en caressant les cheveux un peu longs qui parsemaient sa nuque. Alors on va procéder autrement... Je ne vais pas te mordre, ni boire ton sang, mais tu vas boire le mien.
Sans le lâcher, Severus pivota légèrement jusqu'à se trouver dans le dos de son calice, un bras en travers de son torse. D'un coup de griffe, il entailla son poignet libre puis le porta vers les lèvres que Harry entrouvrit immédiatement. Tandis qu'il suçait le sang trop rare qui s'en échappait, Severus en profita pour caresser et embrasser doucement les cheveux de son calice. Merlin seul savait quand pareille situation se reproduirait !...
Sa nature de vampire faisant trop bien les choses, la plaie se referma très vite, mais Harry avait pu prendre quelques gorgées qui l'avaient fait gémir de plaisir. Dans le peu que Severus ressentait de ses émotions, il était totalement apaisé, pris dans un état de bien-être qui filtrait au travers de son corps en de fines volutes émeraudes qui venaient chatouiller sa peau.
– Merci, murmura-t-il.
Ils restèrent là un long moment, Harry relâché entre ses bras, bercés par la musique lente. La sérénité qu'ils ressentaient l'un et l'autre était celle qui suivait les morsures, le rituel d'union, les accouplements... Un bain de tendresse et de tranquillité.
Mais toute chose devait avoir une fin. Severus déploya largement son aura et son influence et le corps de Harry tomba endormi entre ses bras. Il n'aimait définitivement pas les adieux.
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Merci à tous de votre lecture et de votre fidélité, et bienvenue à tous les nouveaux qui arrivent en cours de route! N'hésitez pas à laisser un commentaire ou à me faire part de vos impressions... :)
La semaine prochaine, Harry est absent, et nous aurons un chapitre entièrement centré sur Lucius et Severus, en tête à tête au Manoir ;)
Au plaisir
La vieille aux chats
