Résumé: Severus a fait part de ses inquiétudes au sujet de Vladimir à son mari mais pas encore à Harry, pour préserver la quiétude de leur relation. Ils profitent tous les trois d'un petit week-end de détente à Paris, au cours duquel Lucius surprend une morsure entre le vampire et son calice, et Severus récolte de façon mystérieuse une blessure dont il ne veut rien dire à son mari.
Pas encore le retour de Mihai mais on va parler abondamment de lui ;) Bonne lecture!
(Cette semaine, j'ai atteint les 600 pages... Pour vous faire une idée, ce chapitre correspond aux pages 376 à 394 ^^ Je mise au moins sur une petite centaine de pages supplémentaires... )
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Harry remonta lentement l'escalier en colimaçon, perdu dans ses pensées. Ses recherches sur une potion de régénération cutanée avançaient bien mais pas toujours dans le sens qu'il souhaitait. Il avait déjà réussi pas mal de choses : à associer de façon stable deux ingrédients que tout opposait, à les associer avec des ventricules de dragon sans faire exploser ses chaudrons, à convertir toute cette préparation préliminaire sous forme d'onguent, mais…
Mais cette tentative semblait plus efficace pour aider à faire cicatriser une plaie qu'une brûlure, mais elle n'était pas stable dans le temps et demandait à être préparée juste avant d'être utilisée, mais elle ne correspondait pas exactement à ce qu'il voulait. En réalité, elle agissait comme un cataplasme qui comblait de la peau manquante et qui l'aidait à se reconstituer. Les médicomages de Sainte-Mangouste en étaient ravis pour faire les pansements de leurs interventions chirurgicales – et cela lui aurait sans doute servi pour éviter la cicatrice rosée qui courait verticalement sur son ventre depuis un an – mais ce n'était pas ce qu'il voulait. Et durant le week-end qu'ils venaient de passer à Paris chez Mark et Håkon, il n'avait pu s'empêcher d'y penser à chaque fois que son regard se posait sur l'ambassadeur.
Mark n'en avait plus jamais reparlé, et Harry n'avait pas osé le moindre mot sur le sujet, mais il y pensait tous les jours, et plus encore quand il voyait Håkon. Il n'arrivait pas à se sortir cette histoire de la tête et dans le moindre mouvement de l'ambassadeur, dans chacun de ses gestes, de ses attitudes ou de ses positions, il cherchait l'écho de cette blessure cachée sous les vêtements.
Parvenu en haut de l'escalier en colimaçon, Harry jeta un œil dans le Petit Salon où il n'y avait pas âme qui vive. Severus n'était sans doute pas encore rentré de la Librairie mais Lucius devait être quelque part par là. Du moins, il n'avait pas prévenu qu'il devait sortir…
Harry fit quelques pas dans le couloir, juste là où grinçait cette fichue latte de parquet, et poussa doucement la porte du bureau de son mari.
– Ah, c'est toi, sourit Lucius en levant à peine la tête de son parchemin. Je ne savais pas que tu étais rentré de Sainte-Mangouste. Aria n'est pas avec toi ?
– Non, fit Harry en s'avançant pour l'embrasser rapidement. Je viens de la ramener à Poudlard pour passer la soirée et la nuit avec ses mères. Je retourne la chercher demain matin…
Lucius hocha la tête avant de froncer légèrement les sourcils.
– Assieds-toi, je dois te parler, fit-il avec un mouvement du menton pour désigner les fauteuils devant son bureau. Tu as cinq minutes… ?
– Eh bien, hésita Harry, je suis juste repassé au Manoir pour jeter un œil sur mes potions et me changer avant l'entraînement…
Le match caritatif était encore dans plusieurs semaines mais il avait été réparti dans l'équipe de Meaghan McCormack, la capitaine de l'équipe de Portree; une joueuse brillantissime mais un vrai bourreau de travail qui avait décrété qu'ils seraient rien moins que lamentables si l'équipe ne s'entraînait pas ensemble au minimum trois fois par semaine. Et malgré tout, Harry en était secrètement ravi, même si cela lui demandait d'adapter son emploi du temps à ces nouvelles contraintes.
Il s'assit pourtant sur un fauteuil, surpris que son mari veuille lui parler de façon aussi formelle. Ses yeux gris levés vers lui, Lucius semblait à présent hésiter sur la pertinence de cette conversation puis il se résolut et posa le parchemin qu'il lisait sur un coin de son bureau.
Avant de se mettre à parler, il joignit les doigts sous son menton et soupira, comme si aborder ce sujet était délicat mais inévitable.
– J'ai reçu ce matin une lettre de Mihai… Il donne quelques nouvelles de Colibita, de la situation politique là-bas, des broutilles…
Lucius s'interrompit un instant; il soutenait son regard mais Harry le sentait presque embarrassé.
– … Évidemment, il demande de tes nouvelles… Severus a sa propre correspondance avec lui et je sais qu'il l'a tranquillisé à ton sujet. Je sais aussi que tu lui as écrit brièvement au mois d'août, mais je crois qu'il a besoin d'être à nouveau rassuré, d'entendre directement de toi que tu vas bien et que… Il se sent toujours coupable et responsable de ce qui s'est passé et il a besoin de ton pardon.
Harry avait grimacé depuis la mention du nom de Mihai, mais il se sentit tout de même obligé de demander :
– Comment il va ?
Lucius soupira à nouveau en pinçant les lèvres, ce qui lui fit froncer les sourcils.
– Il est… fatigué. Il n'a pas bu depuis trop longtemps et… Disons que ses périodes de torpeur sont devenues plus nombreuses que ses périodes d'éveil. Il règle ses affaires, il organise sa succession à la tête du peuple de Colibita… Il veut partir en paix. Et ton pardon en fait partie…
Lucius ouvrit le premier tiroir de son bureau et en sortit quelques feuillets de parchemin qu'il parcourut du regard avant de lui en tendre un. Harry soupira à son tour puis se leva pour le prendre et le lire rapidement.
« Severus m'a dit et redit que Harry allait bien et qu'il acceptait à présent parfaitement sa nature de calice, mais je ne peux m'empêcher de douter. Je regrette tellement de n'avoir pas su le protéger, de n'avoir pas pu empêcher ce qui s'est produit, de ne pas avoir été à la hauteur de la promesse que je lui avais faite… Harry ne méritait certainement pas tout ça et il aurait dû pouvoir être heureux sans traverser toute cette souffrance. J'aurais dû être présent dès le début et sentir que quelque chose n'allait pas… Mais j'ai préféré écouter la voix de la raison plutôt que mon cœur et mon intuition. Avec la mort de Tobias, cela restera une des plus grandes douleurs de ma vie et je me le reprocherai jusqu'à ce que le voile de la mort ne se pose définitivement sur moi. Il n'y a aucune façon d'expier ce qui s'est passé, et même si je ne peux pas me pardonner, j'espère que Harry est arrivé ou arrivera un jour à trouver la paix avec son histoire. Et que Severus prend réellement soin de lui…
Je n'ai pas pu être son vampire j'espère que Severus sera à la hauteur de ce que Harry mérite.
Transmettez-lui mes amitiés désolées. Que la magie veille sur vous trois.
Mihai »
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Harry ferma les yeux et tenta de déglutir lentement, malgré sa gorge nouée et le souffle tremblant qui ne parvenait pas à sortir de son torse oppressé. Il ne voulait plus penser à tout ça. Il ne voulait plus revenir en arrière et replonger dans ces jours d'horreur qui avaient failli le tuer. Il ne voulait plus songer à ce vampire qui aurait pu devenir son vampire et qui allait mourir assoiffé, sombre et seul.
– Je ne veux pas t'obliger à lui répondre, fit doucement Lucius. Mais il mérite peut-être quelques mots…
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Dans l'air vif et glacial du stade, Harry voletait en petits cercles concentriques tandis que les autres joueurs, en vol stationnaire, écoutaient Meaghan discourir sur les tactiques de jeu. Il était attrapeur, il se fichait des tactiques de jeu, des formations en M ou en W, des feintes de ceci ou des attaques de cela, de la façon dont jouait tel ou tel joueur qu'ils allaient rencontrer… Tout ce qu'il voulait, c'était traverser le terrain de long en large jusqu'à apercevoir le vif d'or et ne plus le lâcher du regard jusqu'à le tenir dans sa main. Oublier tout ce qu'il y avait autour de lui et se lancer à sa poursuite sans relâche, quels que soient la trajectoire ou le danger. Se focaliser dessus jusqu'à tout oublier. Tout oublier…
Oublier son reflet émacié la première fois qu'il s'était vu dans le miroir du pavillon chinois après des jours de morsures et de privations; oublier la honte abyssale qu'il avait ressentie lorsqu'il avait compris que Mihai était venu et l'avait vu dans cet état, couvert de sang, de sperme et de traces de coups; oublier leurs confidences étranglées d'émotion, un soir, dans une loge d'opéra; oublier qu'il avait promis de lui présenter sa fille et de se promener dans les jardins du Manoir un jour de grisaille… Oublier la façon dont Mihai avait joué avec sa langue espiègle tout en le regardant avec ce petit sourire onctueux, le jour où il lui avait donné son sang…
– Harry, bon sang ! Si tu n'es pas avec nous, c'est pas la peine d'être là !
Il sursauta sur son balai, bénissant ses réflexes de ne pas être ridicule au point d'en tomber, et se concentra sur celle qui venait de lui aboyer dessus. Meaghan était sèche et dure, et c'était une meneuse d'hommes comme il en avait rarement connu, mais à cet instant, elle semblait plus soucieuse qu'autre chose.
– Qu'est-ce que tu as aujourd'hui ?… Tu es complètement ailleurs !
– Rien de bien grave. Balance donc un vif d'entraînement, j'ai besoin de me défouler.
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Harry ferma les yeux et soupira sous l'eau presque brûlante qui ruisselait sur son corps. Il s'était déjà lavé, mais il n'arrivait pas à sortir de là. L'eau cascadait sur sa nuque, sur ses épaules endolories, sur les muscles de ses bras, comme le plus divin des massages et il ne pouvait pas se résoudre à quitter cette chaleur bénie et délassante. Il pencha la tête et posa son front contre le carrelage frais, savourant la fatigue de son corps et le vide dans son esprit. Il serait bien resté là jusqu'à s'endormir…
– Désolée. Je vérifiais juste que tout le monde était parti avant de fermer les vestiaires et le stade…
Harry esquissa un pâle sourire avant d'ouvrir les yeux et de tourner la tête vers l'intruse. Il s'était douché le dernier, après tous les autres; il ne savait même pas pourquoi. Il avait eu envie d'être seul et de profiter de ce moment tranquille...
– Je pensais que tu étais parti depuis longtemps, fit Meaghan en l'appréciant des pieds à la tête.
Elle n'avait même pas l'air gênée ou quoi que ce soit, et elle ne cherchait même pas à cacher que son regard s'attardait plus que de raison sur son entrejambe. Ça changeait de tous ceux qui passaient leur temps à fixer son cou plutôt qu'à le regarder dans les yeux… À vrai dire, il préférait même qu'elle regarde son cul et son sexe plutôt que de chercher les marques de morsure sur sa peau.
– Un problème particulier pour que tu aies été complètement ailleurs aujourd'hui ?
Harry haussa les épaules avant de passer une main sur son visage pour chasser les gouttes d'eau qui ruisselaient sur son front et vers ses yeux.
– Tu devrais rentrer chez toi et aller manger… Tes mains tremblent.
Harry leva ses deux mains à hauteur de son ventre, surpris de voir en effet un très léger tremblement qui lui fit froncer les sourcils. Il était fatigué, voilà tout. Et Meaghan n'avait sans doute pas tort sur le fait qu'il avait besoin de manger…
– File… Et tu peux sécher l'entraînement de demain si tu veux. Tu as plus besoin de lui que tu n'as besoin de te défouler sur un vif d'or…
Harry grimaça avec une ironie désabusée. Elle ne savait rien de lui – du moins pas plus que les journaux n'en avaient raconté –, mais dans le fond de vérité de ses mots, il se demanda qui était réellement ce lui dont il avait besoin. Et il se souvint avec culpabilité et nostalgie de cette fascination trouble qu'il avait ressentie pour Mihai à une époque…
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Une fois séché et rhabillé, Harry transplana directement dans les cuisines du Manoir. Il était tard, l'heure du dîner était passée et même si Lucius avait un peu traîné en l'attendant, il était à présent certainement dans le Petit Salon.
Les elfes, Sky en tête, le servirent avec empressement et dévotion, garnissant son coin de la grande table de la cuisine de tous les plats qu'ils avaient en stock et il en y avait assurément beaucoup. Il mangea plus qu'à sa faim, lentement, perdu dans ses pensées et ses souvenirs, au point de ne pas prêter attention à ce qu'il avalait.
– Vous avez l'air soucieux…, fit une voix plus grave que celle des autres elfes de maison.
– Clay !
Pour la première fois depuis des heures, depuis qu'il avait eu cette entrevue avec Lucius au sujet de la lettre de Mihai, Harry sourit avec sincérité. Il était véritablement content de tomber sur l'elfe qui, pour il ne savait quelle raison, semblait moins présent au Manoir ces derniers temps. Ou bien, plus discret.
– Je ne suis pas soucieux, je suis… préoccupé.
En remplissant son verre vide d'une eau cristalline, Clay se fendit d'un petit sourire très ironique sur la nuance qu'il venait d'apporter.
– Oui, bon, gloussa Harry.
– Et qu'est-ce qui vous préoccupe ?
– Je… Tu te souviens de Mihai ? fit-il plus sérieusement.
Clay hocha la tête tandis que Harry mâchait pensivement une cuillerée de petits pois.
– Il se laisse mourir…
– Il n'a plus de calice, fit remarquer l'elfe.
– Il n'a pas voulu en prendre un autre.
Clay recula d'un pas et s'assit sur le banc en face de lui. Il semblait chercher ses mots, peser la façon de dire les choses sans le brusquer et avec le plus de délicatesse possible.
– Il aurait pu reprendre un calice, il était prêt à le faire… Mais il ne voulait pas n'importe qui.
– Oui, je sais, répondit Harry sombrement. Il me voulait, moi. Et j'ai choisi Severus…
– Vous ne pouviez pas sauver les deux. Votre cœur a choisi…
Il grimaça et grogna amèrement. Il avait choisi mais au prix de tout ce qui s'était passé dans le pavillon chinois. Son choix avait condamné l'un des deux vampires, et il le savait pertinemment au moment où il l'avait décidé. Son choix.
Malgré tout, il avait toujours eu un fond d'espoir, ou un fond d'illusion, pour se persuader que Mihai, même par dépit, même en dernier recours, prendrait un autre calice. Pour survivre… Mais Mihai était fatigué de vivre et préférait rester fidèle au dernier homme de sa vie. Il aurait fait une exception pour lui, parce que Harry avait réussi à rallumer une étincelle de désir et d'envie dans son cœur, mais sans lui, il ne voyait pas l'intérêt de continuer cette longue souffrance qu'était devenue l'éternité.
– Je devrais aller le voir… ? fit-il d'un ton qui lui parut presque implorant.
– Il vous en serait certainement très reconnaissant.
Harry grimaça à nouveau en jouant du bout de sa fourchette avec les petits pois dans son assiette. Ce n'était certainement pas la réponse qu'il voulait entendre, mais c'était assurément la vérité. Aussi dérangeante soit-elle.
– Vous savez, reprit Clay lentement, en pesant ses mots. J'étais là quand ils ont compris. Quand Charlie a compris qu'il se passait quelque chose d'anormal… J'ai vu la peur dans leurs yeux. J'ai vu leur inquiétude folle… Cette espèce de panique et la violence de leurs sentiments… Et j'ai vu la culpabilité de ce vampire. Il aurait donné sa vie pour vous…
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Harry monta l'escalier en colimaçon aussi lentement qu'il avait avalé ses petits pois, avec le sentiment que chaque marche était épuisante et qu'il n'arriverait pas à son sommet. Chaque pas était une question à franchir, un dilemme à résoudre, et ses pensées envahies de souvenirs amers tournoyaient dans tous les sens.
À peine en haut des marches, il aperçut Lucius et Severus dans le Petit Salon et il tenta de se recomposer un visage calme et apaisé, même si le froncement de sourcils de son vampire témoignait de l'inutilité de sa tentative à lui cacher quoi que ce soit.
– Enfin ! sourit Lucius. Tu rentres bien tard !
– Oui, l'entraînement a fini tard et je suis allé manger un morceau en cuisine, répondit Harry en allant rapidement l'embrasser. Vous ne m'avez pas attendu trop longtemps ?
– Non, on a dîné vite fait; je n'avais pas très faim, ce soir… Tu vas bien ? fit Lucius en fronçant les sourcils. Tu as l'air épuisé…
Harry secoua brièvement la tête, sans même essayer de cacher sa lassitude.
– Cette fille… Meaghan, elle est folle. C'est un bourreau de travail !
Puis il tourna la tête vers son vampire qui le regardait toujours sévèrement et demanda :
– Ça t'ennuie si on y va maintenant ? Je voudrais me coucher pas trop tard…
– Bien sûr, acquiesça Severus en posant les mains sur les accoudoirs de son fauteuil pour se lever.
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Dans le couloir, Severus hésita un instant entre l'escalier en colimaçon et la porte de son bureau, mais Harry le prit par le bras et l'entraîna rapidement vers la Bibliothèque. Il ne voulait pas d'un quickie vite fait, ni de l'ambiance trop intime d'une chambre; il voulait prendre le temps avec son vampire et quelque chose qui s'apparentait à… un câlin. Il grimaça devant cette idée bizarre et laissa Severus s'installer dans le canapé avant de se glisser et de s'asseoir entre ses cuisses.
Harry s'appuya contre lui avec un plaisir mêlé de soulagement et il se surprit même à fermer brièvement les yeux pour profiter de ce contact apaisant. Les bras de son vampire s'enroulèrent sur son ventre, possessifs et protecteurs, et Severus glissa doucement son visage dans son cou offert.
La pression de ses dents sur sa peau fut infime, un contact un peu appuyé, la caresse de ses lèvres autour des deux orifices d'où coulait le sang riche et onctueux. Harry se cala confortablement contre le torse puissant de son vampire, posa ses propres bras sur les siens et savoura cette espèce de torpeur béate qui s'emparait de lui. C'était plus fort et plus agréable que l'excitation des débuts, plus appréciable encore qu'un orgasme. Juste ce sentiment de plénitude, d'être à sa place et de faire ce pour quoi il était fait. Sans compter l'attachement de Severus qu'il ressentait dans sa douceur, dans sa tendresse, dans sa façon même de le mordre… Tellement d'affection et de dévouement, entre eux… Severus aussi aurait pu donner sa vie pour lui.
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Harry sentit les lèvres remuer sur sa peau, la langue de son vampire qui jouait avec les dernières gouttes de sang et la fin imminente de la morsure.
– Ce n'est pas parce que je suis fatigué que tu dois arrêter. Bois autant que tu veux…
Les lèvres sourirent sur sa peau puis s'éloignèrent à peine, laissant la fraîcheur de l'air effleurer son cou.
– J'ai assez bu. Tu devrais le sentir…
Oui, Harry pouvait percevoir que Severus n'avait plus faim mais pour un peu, il aurait voulu prolonger cette étreinte et cette morsure, fuir la conversation qu'il sentait poindre et rester dans cet état de confort absolu.
– Si tu me disais maintenant ce qui te préoccupe à ce point…
D'un geste instinctif, Harry fourragea de la tête contre l'épaule de Severus et termina le front niché contre sa gorge.
– Je ne suis pas… Luce a reçu une lettre de Mihai.
– Je sais. Il m'en a parlé.
La voix grave de Severus vibrait contre son visage, contre son oreille, à l'intérieur même de son esprit.
– Il va si mal que ça ? murmura-t-il.
– Mihai est sur la fin, répondit Severus après un silence. Il est de moins en moins conscient. C'est une question de semaines, de jours peut-être… Je pense qu'il attend les cérémonies de la Nouvelle Année pour la passation complète de pouvoirs, et ensuite… je pense qu'il choisira de terminer sa vie dans les bains d'argent.
Harry frissonna imperceptiblement, horrifié de cette perspective suicidaire et douloureuse. Il savait ce que représentait l'argent pour les vampires; il savait la douleur que ressentait Severus lorsqu'il pianotait sur le sortilège d'argent de la fenêtre, par jeu, par ennui, par besoin mortifère de ressentir quelque chose.
Depuis quelques temps, d'ailleurs, ce geste semblait lui être passé, ou du moins, cela faisait longtemps que Harry ne l'avait pas surpris ainsi, les doigts glissants sur le sortilège ondoyant comme sur des touches de piano, ou bien la main posée bien à plat sur la fenêtre miroitante et cette odeur de chair calcinée… Peut-être que c'était aussi le signe que Severus allait mieux.
Quand Mihai allait de moins en moins bien.
– Quelques jours…, murmura-t-il d'une voix troublée.
– Il n'a pas bu depuis cet été. Même pour lui, c'est un temps infiniment long.
– Cet été ?! s'exclama Harry en se redressant. Mais… Il a bu mon sang dans le pavillon chinois ?!
Severus grimaça puis releva une main pour se pincer l'arête du nez de dépit et de contrariété. C'était de l'histoire ancienne mais Harry n'avait jamais su tout ce qui s'était passé là-bas. Mais il avait aussi promis, autant qu'il le pouvait, de lui dire la vérité.
– Il ne t'a pas mordu, mais il a… cicatrisé certaines de tes plaies. Il a refermé toutes les morsures de ton cou que j'avais laissées en l'état.
Severus pinça les lèvres, de nouveau assailli par cette honte et cette culpabilité colossales et dont il ne parviendrait jamais à se défaire. Et puis, étonnamment, Harry gloussa et chercha à se caler contre lui.
– Il m'a léché des pieds à la tête ?!...
L'idée le faisait ricaner et il sourit franchement dans la pénombre.
– … Et tu l'as laissé faire ?!
– Je n'ai pas eu trop le choix, avoua Severus. Son aura m'empêchait de rentrer dans la chambre et il a pris un malin plaisir à le faire sous mes yeux.
– … Tu m'as fait une vie parce que d'Alagnac m'a adressé la parole à l'opéra, pouffa encore Harry, et tu as laissé Mihai me lécher des pieds à la tête ?!
– Il t'a sans doute sauvé la vie ce jour-là. À la fois en te soignant mais aussi en m'empêchant de m'approcher de toi…
Il ne voulait pas revenir sur la contrition de Severus, mais imaginer la confrontation des deux vampires avait quelque chose d'assez réjouissant. Pour une rare fois, Severus était tombé sur quelqu'un capable de lui remettre les idées en place, de l'empêcher de faire ce qu'il voulait, quelqu'un capable de le remettre sur le droit chemin. Et Mihai avait été cet homme-là, sans qui rien n'aurait pu se résoudre.
– Et le peu de sang qu'il a absorbé sur mon corps a suffi à le maintenir en vie jusqu'à maintenant… ?
– Je n'en suis pas sûr, répondit lentement Severus, mais je pense que Charlie lui a donné son sang quand Mihai est ressorti du pavillon chinois…
– Charlie ?!
Harry était sidéré. Il n'avait jamais revu Mihai, et Charlie ne lui avait parlé de rien de cela – à vrai dire, il ne lui avait jamais parlé de cette période où il avait séjourné au Manoir pendant son enfermement –, mais il n'imaginait pas Charlie donner son sang à Mihai et quelque part, tromper ainsi Matthieu. Mais l'idée était sans doute excessive; il ne devait s'agir que d'un simple don de sang, comme dans les maisons communautaires. Rien qui implique un quelconque rapprochement physique ou une relation sentimentale.
– Ils se connaissent bien, justifia Severus. Sans doute mieux que tu ne l'imagines, et ils sont assez proches. Mihai avait promis de veiller sur toi si le deuxième rituel d'union se passait mal, et même de te prendre pour calice s'il en venait à devoir me tuer… Charlie lui a juste donné les moyens de le faire.
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Harry grimpa lentement l'escalier en colimaçon vers l'étage des chambres, fatigué mais plus serein qu'en revenant de son entraînement de quidditch. Ce petit moment avec Severus lui avait fait du bien, même en remuant de mauvais souvenirs, même en parlant de ce sujet douloureux qu'était Mihai.
Ils avaient continué à discuter un petit moment, expurgeant des choses qu'ils ne s'étaient encore jamais dites, et puis le silence avait peu à peu gagné leur conversation jusqu'à ce qu'un bâillement n'y mette un terme pour la nuit.
Dans le couloir, le tapis moelleux étouffait le bruit de ses pas mais il doutait que Lucius soit déjà endormi. Un chandelier était même encore allumé quand il pénétra dans la chambre, pour l'accueillir peut-être, étant donné que Lucius était allongé dans le lit, tourné sur le côté et les yeux fermés. Il les ouvrit bien vite, cependant, à son entrée dans la chambre et son sourire ne tarda pas à suivre.
– Dépêche-toi de venir me rejoindre…
Harry fit un rapide tour dans la salle de bains et en ressortit nu comme un ver, prêt à se lover dans la chaleur douillette du lit et des bras de son mari.
– Je me couche trop souvent après toi, murmura Harry une fois glissé sous les draps.
– C'est vrai, reconnut Lucius. Mais il te faut du temps aussi avec Severus…
– Et il vous faut du temps aussi tous les deux. J'espère que vous arrivez à en trouver…
– Ne t'en fais pas pour nous, sourit Lucius en caressant le creux de sa taille et sa hanche.
D'une volute de magie qui illumina un instant les arabesques de sa main de vert émeraude, Harry éteignit le chandelier et plongea la chambre dans l'obscurité.
– Vous avez discuté un peu ? lui demanda Lucius. Et devant son acquiescement silencieux, il ajouta : J'imagine bien ce qui te perturbe tant aujourd'hui…
– Oui…
Il frotta sa joue sur le torse mince de son mari pour se réinstaller.
– Je… Severus m'avait proposé un jour d'aller à Colibita, rencontrer d'autres calices, découvrir leur communauté, voir comment ils vivent… revoir Mihai.
La main de Lucius remonta pour chasser ses cheveux de son visage en une longue caresse qui glissa jusqu'à son épaule.
– … J'ai accepté. Je ne sais pas si tu voudras venir avec nous, mais je lui ai dit qu'on irait. Avant Noël.
Lucius tourna à peine la tête pour embrasser son front.
– Je ne sais pas encore. J'apprécie beaucoup Mihai et je serai heureux de le revoir mais c'est un voyage qui a plus de sens pour vous que pour moi…
– Je serais content que tu viennes aussi.
– Nous verrons. J'en parlerai avec Severus. Tout dépend quand il veut y aller et si je peux me libérer de mes obligations… et toi de tes potions et de tes entraînements de quidditch. Dors, maintenant… Que tu sois assez en forme demain matin pour que je puisse te faire l'amour jusqu'à ce que tu cries famine.
Harry gloussa avant d'égratigner le torse de son mari d'un petit coup de dents puis il se réinstalla et ferma les yeux. Avec derrière ses paupières les images d'un homme et de deux vampires.
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Le lendemain matin, le jour naissant le trouva étonnamment bien réveillé, frais et reposé après une nuit de sommeil d'un calme olympien. Il aurait pu faire des cauchemars des souvenirs qu'ils avaient évoqués la veille, il aurait pu se sentir d'humeur sombre ou maussade, mais Harry était au contraire d'excellente humeur et parfaitement serein. Peut-être que ce petit moment espiègle et joyeux dans la piscine avec son vampire y était pour beaucoup; ou bien cette petite gâterie quand il remonta dans la chambre pour aller réveiller Lucius avec des envies lubriques; ou encore le fait d'avoir pris une décision qui, quelque part, soulageait sa conscience…
Il se rendit de bonne heure à Poudlard pour récupérer Aria et rentrer prendre le petit-déjeuner au Manoir avec elle. Elle était toujours aussi gourmande, et vive, et enjouée, et passer du temps avec elle était un bonheur quotidien. Même Lucius, d'habitude plus distant et mesuré, éclata de rire quand elle lui éternua à la figure une gorgée de son biberon de lait.
Harry grimaça, le visage parsemé de gouttes blanchâtres qui coulaient le long de ses joues, tandis que Severus ricanait sans aucune discrétion.
– Une petite faciale de bon matin… Il paraît que c'est bon pour le teint !
– Je prends bonne note que ça ne te dérange pas tant que ça, gloussa Lucius.
Après une volute de magie pour nettoyer les dégâts et après la fin de son biberon, Harry se leva pour la prendre dans ses bras et monter la changer.
– Fais un bisou à Blondie, fit-il en passant près de son mari.
– Ba Di ! répondit Aria avec enthousiasme en collant sa bouche grande ouverte sur sa joue.
– Bravo, ma chérie ! pouffa-t-il en s'échappant dans l'escalier en colimaçon, ravi de sa petite vengeance.
C'était à peu près le seul mot construit qui sortait de sa bouche, avant même « Papa », et Harry ne se privait jamais de cette petite mesquinerie envers son mari. Même si, en réalité, il soupçonnait fortement Lucius d'apprécier de plus en plus ce petit surnom.
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Une fois Aria changée et habillée, il transplana pour Sainte-Mangouste où il avait deux ou trois patients à voir, puis fit un détour par le laboratoire de potions pour saluer Sam et Deirdre. Le reste de la journée fila à toute vitesse, entre les repas, ses propres potions dans le laboratoire du Manoir et la sieste d'Aria pendant laquelle il s'échappa une demi-heure pour aller chercher des ingrédients à l'autre bout du monde en la laissant sous la surveillance de Lucius et de Mark. Puis le dîner arriva rapidement, copieux mais rapide puisqu'il devait partir.
– Ça ne vous ennuie pas, alors, de vous charger de la coucher ? s'assura-t-il d'une voix inquiète.
– Bien sûr que non, répondit Severus en haussant les épaules. Je viens déjà de lui donner son dîner pour que tu puisses manger tranquille…
Comme à presque chaque repas… et la patience et l'abnégation de Severus forçaient à chaque fois son respect.
– Eh bien, viens donc avec moi que je puisse te donner le tien ! gloussa Harry en attrapant son poignet.
Severus se leva sans rechigner, plutôt content de pouvoir boire tout de suite, tandis que Lucius ricanait derrière eux en rapprochant de lui la chaise haute d'Aria.
– Tu veux aller dans la Bibliothèque ?
Harry jeta un regard vers l'horloge sur la cheminée puis secoua la tête.
– J'ai pas le temps. Ton bureau fera l'affaire.
Du coin de l'œil, il aperçut le sourire ravi de son vampire tandis qu'ils traversaient le couloir : Severus adorait l'intensité et la fougue de ces petites morsures rapides, et pour une fois, Harry avait presque envie de ça. Il avait été d'humeur un peu survoltée toute la journée, il avait diablement envie d'aller se défouler à cet entraînement de quidditch, et un quickie en guise de préliminaire lui convenait parfaitement.
À peine la porte refermée derrière eux, Severus le plaqua sans ménagement contre le mur, faisant tinter les cadres sur leurs accroches. Son torse pressait le sien, son visage était déjà dans son cou et il poussa même un gémissement de plaisir en enfonçant ses crocs dans sa peau. Harry se laissa faire et ferma les yeux, le souffle court sous la pression de son corps, et ses sensations en ébullition.
Ça n'avait rien à voir avec l'étreinte tendre et mesurée de la veille dans la Bibliothèque, rien à voir avec la sérénité tranquille qu'il avait ressentie alors, mais là, présentement, c'était bon.
Contre sa hanche se pressait l'érection proéminente de Severus et sans réfléchir, il baissa son bras pour la saisir à pleine main par dessus son pantalon et le soulager un peu. Lui, il ne savait même plus s'il avait déjà joui ou pas, mais le plaisir immédiat était dans la succion, dans cette bouche avide qui aspirait son sang à grandes gorgées aussi vite avalées, dans ces lèvres exigeantes sur sa peau, et brusquement, il eut envie d'antichambre, de cordes et de fellation.
La fébrilité diminua à mesure de la satiété de Severus, puis il retira ses crocs, lécha lentement les plaies et se redressa enfin, le regard bas, plus gêné que Harry ne l'aurait songé.
– Désolé. C'était un peu… brutal.
La main du vampire remonta jusqu'à son visage, caressa doucement sa tempe, ses cheveux, jusqu'à se raccrocher à sa nuque. Un instant, Harry crut qu'il allait l'embrasser, et il n'était pas sûr de savoir si cela le dérangeait. Mais Severus se contenta de poser son front contre le sien et de respirer profondément en fermant les yeux.
– Je suis désolé. Ça ne se reproduira plus.
– Ça va, fit doucement Harry en souriant. Je sais ce que c'est que l'effervescence de la morsure…
– Tu devrais y aller, dit Severus en se reculant légèrement, les yeux encore rouges.
– Oui, sinon je vais vraiment être en retard… Encore merci pour Aria, fit-il avant de glousser légèrement : N'oubliez pas de mettre un sortilège de silence sur votre chambre pour ne pas la réveiller avec vos bêtises, hein ! Et profitez bien !
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L'entraînement fut génial. Et si Meaghan fronça les sourcils de prime abord en le voyant arriver dans le stade, elle fut vite très satisfaite de sa motivation et de son enthousiasme.
À vrai dire, Harry était ravi d'être là. Il avait envie de jouer, de voler, de rire avec les autres sur une passe manquée ou un arrêt improbable, et de se donner à fond après le vif d'or. Et puis, tout était plus agréable après quelques entraînements en commun, leur équipe commençait à avoir une certaine cohésion et le jeu était plus fluide, plus efficace, et cela devenait un réel plaisir. Même si son poste était le moins impliqué au niveau collectif, il appréciait de faire partie de ce groupe et de son état d'esprit farceur et bon enfant. Et sa présence était tout aussi appréciée, comme en témoignait le clin d'œil et le sourire aguicheur de Meaghan lorsqu'il salua tout le monde pour transplaner au Manoir. Merlin merci, ils savaient tous qu'il était gay, marié, et plus encore, qu'il était un calice, et personne ne se serait avisé de lui faire un rentre-dedans plus appuyé.
Dans le vestibule du Hall d'entrée, il retira bonnet, écharpe et gants, ses chaussures pleines de boue et son blouson qu'il confia à l'elfe de service, puis il transplana directement dans la salle de bains. Il avait préféré prendre sa douche au Manoir, l'inspection approfondie de son corps par Meaghan la veille lui ayant bien suffi.
Il se déshabilla rapidement, remarquant dans le miroir ses yeux brillants et ses joues rougies par le froid. Ses gants en peau de dragon protégeaient bien ses mains, mais pour le visage, il ne pouvait rien faire. Il sourit cependant à son reflet; avec ces couleurs et ses cheveux échevelés par le bonnet, il avait l'air de sortir d'une partie de jambes en l'air ou d'une nuit à danser dans les vapeurs de l'alcool.
Il attrapait une serviette propre pour la poser sur un fauteuil près de la douche à l'italienne quand un bruit sourd attira son attention. Un choc, comme un objet qui tombe ou qui bouscule un meuble, suivi d'un grondement grave et vibrant…
Surpris, il fronça les sourcils. Ça ne pouvait pas être Aria, il aurait senti s'activer les sortilèges d'alerte sur sa chambre… Et vu qu'il n'était pas si tard, il supposait Lucius encore dans le Petit Salon ou la Salle de Cinéma en compagnie de Severus.
Un nouveau bruit résonna, comme un râle rauque, et cette fois, le doute n'était plus permis. Le sourire aux lèvres, vaguement émoustillé, Harry s'approcha en silence de la porte de la salle de bains. Severus avait dû lancer un sortilège de silence, mais davantage à destination de la chambre de sa fille, et en tendant l'oreille, les sons, les mouvements et les grondements étaient parfaitement audibles. Il hésita un instant mais la tentation était trop forte : il éteignit la lumière de la salle de bains et il entrouvrit très doucement la porte.
Aussitôt, il prit de plein fouet l'aura de Severus, dense, profonde, et malgré tout excitante. Harry cligna des yeux sous la déferlante silencieuse. La porte ou le sortilège de silence avaient dû la filtrer, mais à présent, cette puissance pesait sur son esprit, sur son corps, sur sa libido, et en jetant un regard à son sexe, il fut amusé de constater qu'il en durcissait déjà.
Discrètement, il jeta un œil dans l'entrebâillement de la porte et sourit un peu plus. En définitive, il aurait pu laisser la lumière allumée parce que la chambre était éclairée de plusieurs lampes et qu'ils n'auraient certainement rien remarqué. Et ils n'auraient surtout rien remarqué parce qu'ils étaient passablement occupés.
Nus l'un et l'autre, immenses, tumultueux, Lucius et Severus semblaient pris dans un corps à corps furieux, sec, presque violent, mais qui respirait la passion. Tête bêche, le vampire allongé sur le dos, Lucius allongé sur lui et appuyé sur un bras, ils se suçaient mutuellement, voracement. Leurs peaux claires irradiaient de lumière et de sueur pour l'aristocrate. Puis, d'un mouvement brusque, Severus fit basculer le corps de son mari sur le ventre et il se retrouva bientôt à califourchon sur ses cuisses, grognant et frottant son érection massive entre les deux globes de ses fesses. Mais Lucius ne l'entendait pas ainsi, et après quelques moments de lutte, il parvint à se dégager et ils furent bientôt tous les deux à genoux, presque en face l'un de l'autre, chacun masturbant un sexe qui n'était pas le sien, leurs bouches affamées prises dans un baiser avide et impétueux.
Harry se mordilla la lèvre pour s'obliger à se taire et sans même y penser, sa main glissa vers son entrejambe pour empoigner son propre sexe. Il était là, dans l'obscurité et l'entrebâillement d'une porte, invisible et silencieux, à observer son vampire et son mari s'aimer furieusement, avec toute l'aura de domination de Severus qui écrasait la pièce.
Un gémissement surpris le fit sursauter – heureusement, pas le sien – et il vit Lucius s'arquer, pencher la tête en arrière sous la traction de ses cheveux enroulés autour du poignet de Severus et un instant plus tard, la jouissance le prit sous ce geste impérieux, renversant son corps, transformant son visage et faisant jaillir son sperme blanchâtre jusque sur son épaule. Severus se masturba sauvagement quelques secondes encore, un bras tendu appuyé sur le torse de son mari, puis son aura claqua dans la pièce et Harry aurait pu parier qu'il venait d'avoir un orgasme.
Sans demander son reste, il transplana hors de la salle de bains.
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Dans les cuisines, Harry grignotait pensivement des biscuits et des litchis, le regard noyé dans le vague. Il ne cessait de revoir en boucle dans son esprit les images de Lucius et de Severus en train de coucher ensemble, et à présent que son excitation était redescendue, il restait dans l'étonnement et l'expectative.
Il savait que son mari et son vampire s'envoyaient régulièrement en l'air, qu'ils trouvaient des moments en son absence, en toute discrétion, pour assouvir leur désir et leur besoin l'un de l'autre. Il savait aussi que les choses avaient changé entre eux depuis la transformation de Severus, que son caractère de vampire refusait toute soumission, toute infériorité, en toute circonstance et en particulier pendant le sexe. Il savait tout cela et pourtant il ne s'attendait pas à ça.
Leur corps à corps était plus virulent qu'il ne l'avait jamais imaginé. Severus refusait d'être pénétré, mais aussi de céder la moindre once d'ascendant à Lucius. Il paraissait même être devenu le plus dominant des deux, celui qui imposait son aura, celui qui imposait les positions, le rythme, les gestes, jusqu'à ce geste autoritaire en tirant en arrière les cheveux de Lucius, et Harry savait tout le désir fantasmé que le vampire vouait aux cheveux de son mari… le même qui avait soulevé une envie luxurieuse dans son propre corps.
Mais le plus surprenant avait peut-être été le comportement de Lucius lui-même. De toute évidence, et malgré le peu qu'il en avait vu, l'aristocrate jouait avec Severus comme avec un tigre armé de griffes. Il le provoquait, il attisait ses réactions, il réveillait en lui le vampire et ses désirs de domination, sciemment, volontairement, comme on joue avec le feu. Il paraissait se complaire à ressentir l'aura puissante de Severus, à le pousser à des comportements exacerbés et le petit sourire en coin que Harry n'avait pas manqué prouvait bien que Lucius adorait ça. Comme s'il profitait avec ravissement d'être face à quelqu'un qui soit son alter ego, aussi autoritaire que lui, avec autant de répondant, pour se laisser aller à des réactions que Harry ne lui avait jamais vues.
Et cet équilibre précaire entre eux, ce presque renversement des rôles, avait déchaîné dans son propre corps et dans son ventre un désir qu'il avait eu du mal à calmer malgré une douche froide dans la chambre de Severus.
Il n'aurait pas vraiment voulu participer, parce qu'il n'était pas prêt à cette promiscuité charnelle avec son vampire, mais voir… cela avait eu un côté piquant, inédit, interdit. Il les avait pourtant vus de nombreuses fois ensemble, auparavant : s'envoyer en l'air, baiser, faire l'amour… avec ou sans lui, et jusque dans l'antichambre, mais ce soir avait eu quelque chose de sulfureux qui le faisait encore frissonner de désir.
Et quelque part, s'il creusait tout au fond de lui ses sentiments, il devait bien s'avouer qu'il avait été un peu… jaloux. Severus était son vampire. À lui. Le voir baiser et avoir du plaisir avec un autre lui avait fait un drôle de pincement au cœur, et si ça n'avait pas été avec Lucius, il n'aurait pas été sûr de le supporter. Pourtant, raisonnablement, il ne pouvait pas s'opposer à ça, puisqu'il ne voulait plus avoir aucun contact charnel avec son vampire. Il ne pouvait pas empêcher Severus d'aller trouver du plaisir ailleurs…
Mais profondément enfouie en lui, sa nature de calice savait aussi qu'il n'allait pas tout à fait au bout de son rôle en se refusant de cette façon à son vampire. Et il n'était pas très à l'aise avec cette idée.
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Frissonnant dans le simple kimono qu'il avait emprunté dans la chambre de Severus après sa douche, Harry se résolut à monter se coucher. Il leur avait laissé le temps d'un deuxième round s'ils en avaient eu envie, et même d'une douche si besoin, mais à présent, il n'aspirait qu'à allonger son corps courbaturé et dormir bien au chaud, roulé dans une couette.
Il se leva, débarrassa rapidement la table d'un sortilège et se brossa les dents au-dessus de l'évier de la cuisine. Puis, sans un bruit, il transplana à nouveau dans la chambre.
Il avait craint un instant une mauvaise surprise, mais à présent l'obscurité régnait et hormis la respiration paisible et lente de Lucius, la chambre était figée dans le silence. Harry dénoua la ceinture de son kimono, le laissa glisser le long de ses bras et se faufila sous la couette.
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La présence de Severus le prit par surprise et Harry mit quelques secondes à comprendre qui était où. Ce fut son mouvement pour ouvrir la couette et se lever qui lui indiqua que le vampire se trouvait de l'autre côté de Lucius, vers le bord du lit, et qu'il s'apprêtait à partir pour les laisser seuls.
– Reste, si tu veux, murmura-t-il. Ça ne me dérange pas.
Incertain, Severus suspendit son geste, le pied pas encore posé au sol.
Si le vampire ne dormait jamais vraiment, Harry savait qu'il appréciait de temps en temps de s'allonger, de savourer un certain repos de son corps et même de tomber parfois dans une torpeur satisfaite après une morsure ou après le sexe. Et il avait bien compris qu'avant de les déranger, les deux hommes étaient enlacés sur le côté, le bras de Severus serrant possessivement le ventre de son mari endormi.
– Tu es sûr… ?
– Oui, murmura Harry en glissant sa main sous son oreiller tout en savourant la tiédeur des draps. Tu peux même venir de mon côté et boire un peu, si tu veux. Je sais que tu n'as jamais vraiment ton compte quand on fait ça trop vite…
– De quel ça parle-t-on au juste ? ricana doucement Severus.
Harry gloussa devant ses propres paroles dont il ne mesurait l'ambiguïté qu'après coup puis il sentit le vampire hésiter à nouveau.
– J'aimerais beaucoup mais je ne veux pas t'imposer une morsure en sa présence…
– Il dort ! fit Harry en riant. Je crois que tu l'as assez épuisé tout à l'heure pour qu'il ne se réveille pas de sitôt !
Dans l'obscurité de la chambre, il devina que le vampire se levait. Après avoir fait l'amour avec Lucius, il était nu, mais Harry perçut ses pas feutrés sur les tapis, des bruits de frottements et de tissus, et quand il vint se coucher de son côté, Severus portait un bas de pyjama qui caressa ses jambes avec douceur.
– Tu ne m'en voudras pas si je m'endors pendant que tu fais ça ? gloussa Harry.
– Je trouverai ça particulièrement vexant, ricana Severus, mais je m'en remettrai. Dors, maintenant. Bonne nuit…
Severus l'enlaça comme il l'avait fait avec Lucius, puis il y eut la morsure et son plaisir fulgurant, puis la torpeur satisfaite d'après le plaisir, comme un voile léger sur son esprit. Et le sourire sur ses lèvres tandis qu'il sombrait dans le sommeil.
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ooOOoo
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Matthieu jeta un œil aux notes que Harry avait prises sur un parchemin et observa à nouveau les trois chaudrons qui mijotaient doucement sur les établis.
– Et dans celui-là, tu as changé quoi ? demanda-t-il en s'attardant sur le dernier.
– J'ai mis deux fois plus de ventricule de dragon et j'ai gardé une température constante bien en-dessous de l'ébullition.
– Une cuisson à basse température ? ricana Matthieu comme s'il s'agissait d'une recette de cuisine.
– C'est un peu ça, admit Harry avec un sourire. Ça préserve ses effets tout en augmentant sa capacité de pénétration dans la peau…
Matthieu eut une moue appréciative puis se recula pour observer les étagères et les rangées d'ingrédients sur le mur qui faisait face à l'entrée du laboratoire.
– Et ça marche ?
– Pas assez à mon goût, grimaça Harry en croisant les bras. Je fais des essais sur de la peau de cochon que me fournissent les elfes des cuisines mais c'est mitigé. J'obtiens de bons résultats sur la couleur, la souplesse, la finesse mais je ne parviens pas à faire cesser cette rétraction de la peau cicatricielle… L'aspect visuel est plus joli de prime abord mais au toucher ou à un examen attentif, ça reste rétracté, avec plein de brides et de tensions.
Matthieu avait eu une moue dégoûtée quand il avait dit faire ses expériences sur des déchets de boucherie, mais à présent il avait un air plus concerné et un sourire encourageant.
– Il te faut peut-être un ingrédient qui va jouer davantage sur l'hydratation de la peau, sur sa capacité à absorber l'eau, suggéra-t-il. Et puis n'oublie pas que tes essais se font sur de la peau morte alors que ta préparation sera destinée à une peau vivante, irriguée, et davantage capable de se régénérer… Allez, viens, les autres nous attendent là-haut… Je suis sûr que tu parviendras à trouver ce qui manque pour que ça marche !
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Tranquillement, ils sortirent du laboratoire et remontèrent l'escalier en colimaçon vers le rez-de-chaussée tout en poursuivant leur conversation.
– Autant de ventricule de dragon..., fit remarquer le jeune professeur. Au prix que vaut cet ingrédient !
– Ton mari est un bon fournisseur ! gloussa Harry en gravissant les marches.
– Hey ! Nous ne sommes pas mariés ! protesta Matthieu avec un coup de coude vengeur.
– Un jour viendra… !
Harry ricana doucement; Charlie restait un homme méfiant, prudent, long à démarrer et à s'investir mais il savait ses sentiments pour Matthieu profondément sincères. Et il avait été le premier à plaisanter sur l'organisation hypothétique de leur mariage au Terrier ou sur une plage à l'autre bout du monde, ou en parlant de leurs voyages comme d'un voyage de noces. Nul doute qu'un jour ces deux-là finiraient par franchir le pas.
– … Mais maintenant je comprends mieux son envie soudaine d'aller en Chine pour visiter une réserve de Boutefeux pour Noël !
– C'est sûr, vous ne serez pas là pour les fêtes alors ? regretta Harry. Ça fait chier.
– Pas cette année… Mais ce n'est que partie remise. Et crois-moi, tu ne seras jamais aussi dépité que Molly ! Elle nous a fait un scandale quand elle a su que nous ne serions pas là, gloussa Matthieu.
Harry grogna de dépit en pénétrant dans la Salle de Billard où se trouvaient déjà son mari, son vampire et Charlie, installés dans les fauteuils près de la cheminée. Lucius y avait fait servir le cognac après le dîner et Harry avait simplement profité de la migration de la Salle à Manger vers la Salle de Billard pour s'éclipser un moment avec Matthieu.
Il n'avait fait que lui montrer un aperçu de ses recherches en cours; faire des potions ensemble lui manquait mais Matthieu était bien trop occupé à Poudlard, entre ses élèves, ses copies, ses cours et sa charge de directeur de Serpentard pour en avoir le temps. Sans oublier le temps qu'il consacrait sans doute à Charlie et à leur vie de couple, et cette idée le fit sourire.
Se retrouver le soir dans les mêmes appartements, corriger des parchemins sur le même canapé en se partageant les perles des élèves, faire des rondes ensemble pour débusquer les aventuriers et les couche-tard, s'endormir dans le même lit, chaque nuit… quelque part, c'était la vie qu'il aurait rêvé d'avoir avec Severus, des années plus tôt. Aujourd'hui était bien différent, mais que Matthieu et Charlie puissent profiter ouvertement de cette vie-là lui faisait toujours chaud au cœur.
– En parlant de voyage, fit Matthieu un ton plus bas tandis qu'ils s'approchaient de la table de billard. Charlie m'a dit que vous aviez prévu d'aller à Colibita… ?
– Oui, reconnut Harry en remerciant intérieurement Matthieu de sa discrétion. Severus me l'avait proposé il y a plusieurs semaines mais je n'étais pas spécialement enthousiaste. Seulement, Lucius a reçu une lettre de Mihai, il y a quelques jours… Il n'a pas l'air très en forme, et… c'est sans doute le moment.
Matthieu esquissa une moue compatissante, bien conscient de tous les enjeux qui sous-tendaient sa réponse et son acceptation.
– Charlie m'en a touché un mot… Mihai sera sans doute content de te voir en si bonne forme. Et de constater que tout va bien avec Severus…
– Je sais, murmura Harry. C'est pour ça que j'ai accepté d'y aller.
En silence, il ôta le triangle qui maintenait les billes ensemble, attrapa sa queue préférée sur le râtelier et l'enduisit machinalement de bleu.
– Et… ça va aller ? s'inquiéta Matthieu tandis qu'il cassait le jeu sèchement.
Harry se redressa en contemplant les billes s'entrechoquer, rouler sur le tapis et s'immobiliser une par une.
– Je ne suis pas très emballé à l'idée de remuer à nouveau tous ces mauvais souvenirs, avoua-t-il après un silence. On a trouvé un équilibre et une sérénité que j'apprécie et que je n'ai pas envie de voir bouleversés en revenant encore une fois sur le passé… Mais sans doute que Mihai a besoin de ça et que ça permettra enfin de dire que l'histoire est close une bonne fois pour toutes. Je ne sais pas… Je comprends que ce soit nécessaire mais je n'ai pas hâte…
– Vous y allez quand ?
– Avant Noël, répondit Harry en se positionnant pour jouer à nouveau.
La bille blanche fila, sèche et rapide, et frappa une rouge en faisant un carreau parfait.
– Tu emmèneras Aria ?
Une grimace perplexe apparut sur le visage de Harry qui se releva en prenant le temps de réfléchir. La question n'était pas simple, de toute évidence, mais il la trancha rapidement.
– Je ne pense pas. Ce n'est pas… le moment. Ce n'est pas sa place et je préfère y aller seul.
– Mais tu auras Severus avec toi…, fit Matthieu avec un sourire.
Harry tourna la tête brusquement pour le dévisager puis il finit par se mettre à rire.
– Encore heureux !
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– Ça t'ennuie de nous ramener ? osa Charlie en posant les mains sur les accoudoirs de son fauteuil.
– Pas du tout ! répondit Harry en souriant.
– Vous êtes sûrs de ne pas vouloir rester dormir ? offrit Lucius. Votre chambre au Manoir est toujours prête…
Charlie salua la proposition d'un hochement de tête et d'un sourire mais son refus était clair.
– C'est très aimable mais on est en semaine et je suis censé être de permanence pour la surveillance des élèves. Luna m'a remplacé pour le dîner dans la Grande Salle mais je ne peux pas lui demander de faire la dernière ronde à ma place…
– Et moi je dois encore avoir la moitié d'un paquet de copies à corriger, grimaça Matthieu.
Harry jeta un œil à la montre de Lucius juste à côté de lui; il n'était pas si tard, mais si les deux professeurs avaient encore autant à faire avant de pouvoir aller se coucher, ils apprécieraient certainement de ne pas traîner.
Les embrassades furent rapides, avec la promesse habituelle de se revoir bientôt, puis après avoir récupéré leurs manteaux et écharpes, Harry les fit transplaner directement dans les appartements de Matthieu.
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– Viens avec moi cinq minutes, murmura Charlie alors qu'il s'apprêtait à le saluer avant de transplaner dans l'autre sens.
– Heu… oui, si tu veux, hésita Harry.
Depuis le canapé où il s'installait avec ses copies à corriger et une plume à encre rouge, Matthieu les regarda disparaître par la porte avec le sourire compréhensif de celui qui sait qu'une conversation privée doit germer dans un tête à tête tranquille.
Pendant un petit moment, Harry déambula avec Charlie dans les couloirs glacés de Poudlard, selon un chemin qui semblait fortuit mais qui ne devait pas l'être. De temps en temps, le dragonnier lançait un sortilège de révélation derrière une statue ou une tenture, mais soit les élèves s'étaient assagis, soit ils préféraient le confort et la chaleur de leur salle commune à la fraîcheur des couloirs.
Du coin de l'œil, Harry observait Charlie en souriant. De toute évidence, il avait quelque chose à lui dire ou à lui demander, mais il prenait des chemins aussi détournés que leurs pas dans le château. Mais lui aussi, il avait encore quelques obligations avant de pouvoir se coucher… Il devait jeter un coup d'œil à ses potions dans le laboratoire, et surtout il avait un vampire à nourrir et il ne voulait faire ça ni dans la précipitation, ni en étant trop fatigué…
– Tu voulais me parler peut-être, Charlie…
Le dragonnier sursauta quand sa voix brisa le silence et il s'arrêta net au beau milieu d'un couloir en se tournant vers lui.
– Oui. Excuse-moi… Je suis désolé de t'avoir traîné ici…
Harry sourit tranquillement pour l'encourager à se confier sans craintes.
– Je… Je voulais te remercier. D'aller à Colibita. J'imagine que ça ne doit pas être simple pour toi. Je sais qu'il y a beaucoup d'enjeux à revoir Mihai, à côtoyer autant de vampires d'un coup, mais… je te remercie de faire ça pour lui.
Charlie s'interrompit sur une grimace amère, la voix douloureusement émue.
– Je crois qu'il le mérite, fit Harry et ses pensées firent doucement écho aux paroles de Clay l'autre jour dans les cuisines du Manoir. Il m'a sans doute sauvé la vie dans le pavillon chinois. S'il tient à me revoir, je peux au moins faire ça pour lui…
– Il sera heureux de te revoir, assura Charlie avant d'ajouter : Et ça lui fera beaucoup de bien de te voir aujourd'hui comme tu es… Je crois qu'il a gardé en mémoire le souvenir de toi le jour où il t'a laissé dans le pavillon chinois et il n'arrive pas à s'en défaire.
Pire que cela, Mihai avait sans doute gardé de lui le souvenir du moment où il l'avait trouvé, inconscient dans la salle de bains, nu et sale, maigre à faire peur et avec des traces de coups et de morsures partout sur son corps. Effectivement, Mihai méritait peut-être de partir avec une autre image de lui que celle qui incarnait tant de regrets.
Harry soupira dans la pénombre des couloirs et fit quelques pas pensifs avant de s'arrêter à nouveau pour attendre Charlie.
– C'est Mihai qui t'a dit que j'avais accepté de venir ?
– Oui, fit le dragonnier en le rejoignant. Je crois que dès que tu as accepté, Severus le lui a dit ! Et Mihai m'en a parlé rapidement. On s'écrit… souvent. Une à deux fois par semaine, avec ces portoloins automatiques comme celui de Lucius.
– Qu'est-ce qu'il t'a dit d'autre… ?
– Qu'il était vraiment heureux que tu viennes. Qu'il était impatient de te revoir. Qu'il espérait être encore assez en forme pour profiter un peu de toi et de Severus…
Harry détourna le regard vers un tableau sur le mur de pierres où un chevalier le saluait en s'inclinant avec force moulinet de chapeau.
– Il est si fatigué que ça… ?
– Il est mourant, Harry, asséna Charlie d'une voix qu'il ne lui connaissait pas, assez ferme pour rendre toute l'intransigeance de la vérité. Vous ne passerez avec lui qu'une poignée de minutes à chaque fois avant qu'il ne doive se reposer ou qu'il ne sombre dans ces espèces de torpeur qu'il ne maîtrise pas. Il est… presque au bout. Et il refuse toujours de boire…
Et cette solution si simple… ce sang qu'il possédait en une telle abondance, aussi prolifique qu'une fontaine de jouvence et qui était pourtant interdit à Mihai depuis le jour où il était devenu le calice de Severus. Et si ce n'était pas lui, il y avait des milliers de donneurs à Colibita, des hommes, des femmes, dans les maisons communautaires, qui se seraient fait une joie et un honneur de le nourrir, et Mihai refusait toujours de boire ! Un gâchis tel que c'en était inconcevable…
– Harry, si tu vas là-bas, est-ce que…
Il se tourna à nouveau vers Charlie, surpris par le ton inhabituel et presque implorant du dragonnier.
– … est-ce que tu peux lui remettre ça pour moi ? fit-il en sortant une liasse de parchemins qu'il devait avoir avec lui depuis le dîner au Manoir. Ce sont toutes les lettres de Tobias que j'ai retrouvées… Je voudrais qu'il puisse les lire, qu'il puisse se souvenir… entendre à nouveau sa voix, même si c'est par écrit. Et puis… Tobias parlait beaucoup de lui… Je voudrais qu'il sache à quel point il l'aimait.
C'était un peu gênant, sachant l'attirance qu'ils avaient eu l'un pour l'autre, de lui apporter ainsi les lettres de son amour disparu, mais Harry comprenait. Il comprenait l'importance, et puis l'urgence…
– Et puis, dis-lui… Dis-lui que je viendrai, ajouta Charlie d'une voix éprouvée. Je ne peux pas m'absenter avant les vacances de Noël, mais je viendrai.
– Je croyais que vous alliez en Chine pour les vacances ? fit Harry trop spontanément et sans réfléchir.
Charlie grimaça pitoyablement.
– Je n'en ai pas encore parlé à Matthieu, mais ce sera sûrement la Roumanie plutôt que la Chine…
Par pudeur pour le désarroi de Charlie, Harry ne voulut pas épiloguer.
– Je lui dirai. Je lui dirai que tu viendras et qu'il t'attende… Et une fois que je serai revenu avec Severus, je pourrai t'emmener si tu veux. Le temps d'une journée, ou de quelques heures. Ça ne me pose pas de problèmes de transplaner aussi loin…
– Merci…
Quand ils s'étreignirent dans les couloirs sombres pour se dire au revoir, Charlie frissonnait et ce n'était sans doute pas dû au froid… Son regard, en revanche, criait une émotion douloureuse.
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En quittant Poudlard, Harry transplana dans le laboratoire du Manoir, pour jeter un œil sur ses potions mais aussi pour se laisser un peu de temps. Le temps de laisser sa propre émotion redescendre, le temps d'assimiler les paroles de Charlie, le temps de se projeter un peu plus dans la réalité de cette future rencontre qui le laissait tout sauf indifférent.
À mesure qu'il y pensait, il revoyait Mihai un peu différemment; à travers le regard des autres, à travers leurs souvenirs, l'attachement qu'ils avaient pour lui… La mémoire de ce qui s'était passé dans le pavillon chinois s'effaçait peu à peu devant les souvenirs de la complicité, les sourires tranquilles et parfois presque insolents qu'ils avaient échangés, la vivacité de son regard et cette espièglerie permanente… la luxure latente qui transpirait dans son attitude.
Et peu à peu naissait également une inquiétude farouche et désagréable : la crainte de voir Mihai diminué, sa faiblesse, ne pouvoir lui parler qu'une poignée de minutes avant qu'il ne soit trop affaibli… La culpabilité de ne pouvoir le sauver.
Harry soupira en remontant l'escalier en colimaçon. Certaines choses n'étaient pas de son ressort, il ne pouvait pas sauver tout le monde et il n'était pas responsable de tout un chacun… Mais tout de même.
Dans le couloir du rez-de-chaussée, un lustre tamisé ne jetait qu'une vague lueur pour lui permettre de se déplacer, mais toutes les pièces étaient éteintes, de la Salle de Billard au bureau de Lucius en passant par le Petit Salon. Son mari avait dû monter se coucher et son vampire était… nulle part en vue. Et peut-être bien qu'ils étaient même ensemble, en train de s'aimer, quelque part dans un lit, et cette pensée lui fit doucement chaud au cœur.
Sans même réfléchir, Harry se dirigea vers la Bibliothèque et y alluma une lampe et un peu de musique avant de s'installer dans le canapé, emmitouflé dans un plaid. Severus allait venir; tôt ou tard, il sentirait sa présence et il viendrait boire, comme chaque soir, comme chaque jour, comme chaque futur jour de leur petite éternité et c'était une bonne chose. Une petite chose infime à l'égard du temps et à l'échelle de l'univers, mais quelque chose de rangé, d'ordonné, une chose qui était bien à sa place, juste et harmonieuse.
En attendant son vampire, dans la pénombre et le silence, Harry se laissa porter par la dernière musique qu'il avait dû écouter. Un piano de jazz, virevoltant, exigeant (1), mais lorsqu'il saisit la mélodie au milieu des notes qui tourbillonnaient, il se laissa emporter, les yeux fermés, avec un sentiment d'exaltation aussi puissant qu'une morsure.
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La bouffée d'air froid qui s'engouffra dans la Bibliothèque en même temps que s'ouvrait la porte-fenêtre le fit sursauter violemment. Harry se retourna à demi pour voir Severus s'avancer dans la pièce au milieu d'une bourrasque de vent, enveloppé dans une grande cape sombre et ruisselant de pluie.
– Bon sang ! Mais qu'est-ce que tu foutais dehors avec un temps pareil ?!
Severus se contenta de sourire, de retirer sa cape qu'il posa sur le dossier d'une chaise et de lancer un sortilège de nettoyage sur ses chaussures.
– Moi qui croyais que tu étais bien au chaud à profiter de Luce !
– Tu as peur que je tombe malade ? fit Severus d'un petit ton moqueur et affectueux.
Harry grogna en se redressant pour faire de la place dans son dos à son vampire. Il n'était pas inquiet pour Severus, mais c'était un temps à ne pas mettre même un chien dehors !
– Dépêche-toi, grogna-t-il encore.
Avec son éternel petit sourire et ses vêtements froids, Severus vint s'installer derrière lui et le prit aussitôt dans ses bras. À son contact, Harry frissonna de tout son long. Les mains de son vampire étaient glacées, son pantalon humide jusqu'aux genoux et il s'empressa de libérer sa magie pour parcourir Severus de longues volutes vertes jusqu'à ce qu'il soit sec et réchauffé. Et à sentir la magie sur lui, ce fut le vampire qui frissonna à son tour, étouffant presque un gémissement sur la peau de son cou.
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Severus but, longuement et lentement. Harry était sûr qu'il avait les yeux fermés, comme lui, et de temps en temps, il sentait les mouvements de sa tête, au rythme de la musique nerveuse ou calme, comme pour battre un rythme qui n'était pas celui de son cœur. Les bras étaient serrés autour de lui, plus possessifs que jamais, et il ressentait le même désir de fusion, le même sentiment de complétude démesurée et extraordinaire que ressentait Severus. La musique, intense, enlevée, y était pour beaucoup, mais Harry éprouvait presque l'envie d'accomplir à nouveau un rituel d'union, ou au moins de boire le sang de son vampire pour renouveler ce moment de partage unique et cet échange ultime. Peut-être que ses pensées au sujet de Mihai et sa culpabilité latente jouaient aussi sur cette envie de resserrer le lien entre eux…
Puis Severus cessa de boire, lentement, presque à regrets pour l'un comme pour l'autre, mais il le garda serré contre lui, son visage maintenant chaud niché dans son cou, et Harry s'abandonna contre le torse de son vampire avec ravissement. Et presque un soupir de bonheur.
– Tu me fais tourner la tête, murmura-t-il.
Aussitôt, Severus se redressa, le délogeant brusquement de sa position si confortable, et chercha à croiser son regard avec un air inquiet.
– Tu ne te sens pas bien ?! Tu veux manger quelque chose ? Il fallait me dire que je te prenais trop de sang !
Son aura dense, mécontente et coupable, s'appesantit dans la Bibliothèque, aussi puissante que Harry l'adorait et il ferma les yeux, presque ivre de l'intensité de cette sensation. Mais parce que Severus était réellement inquiet, il libéra à son tour sa magie pour en envelopper son vampire, le rassurer de la caresse d'une volute et l'inciter gentiment à s'adosser à nouveau contre les coussins et à reprendre leur étreinte tranquille.
– Arrête… Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je vais très bien… C'est juste que… je suis tellement bien avec toi que c'en est improbable.
La magie dansait doucement autour d'eux, colorée, légère, aussi sereine qu'il était possible de l'être, et Harry sentit son vampire se détendre peu à peu sous son influence. L'aura de Severus, elle, était toujours étourdissante et c'était peut-être la première fois que sa magie se confrontait ainsi à la puissance brute de son vampire. Mais loin de se confronter avec violence, il s'agissait plutôt d'une danse, fluide et mouvante, presque sensuelle, où les volutes vertes cherchaient à rassembler, à envelopper cette densité sombre pour la rendre plus souple, plus légère et le spectacle dans la pièce ressemblait aux ondoiements lumineux d'une aurore boréale.
– … Quand je suis avec toi, comme ça, plus rien n'existe… C'est juste… un monde en soi.
Un univers entier, parfait, d'une justesse sidérante, logé là, entre les bras de son vampire et le bonheur suave d'une morsure, une sincérité qui le bouleversait et qui le liait à Severus avec une force inaltérable.
– Je ne peux qu'aller bien quand je suis avec toi…
Severus n'avait rien répondu, ne disait toujours rien, mais son sentiment d'inquiétude avait disparu et son aura exprimait une satisfaction un peu fière, sans doute quelque chose de l'orgueil flatté du vampire. Et loin de faire disparaître sa puissance, Severus lui laissa au contraire libre cours, drapant la pièce d'une intensité veloutée et soyeuse qui se mêlait si harmonieusement à sa magie. Le charme envoûtant des vampires dans toute sa splendeur mais Harry n'avait pas besoin de ça pour savoir à quel point il aimait son vampire. Leur lien était si évident si intense et si entier que rien ne pouvait les atteindre. Il avait presque l'impression, en laissant leurs magies se mêler l'une à l'autre, d'avoir atteint une forme de symbiose particulière, une ampleur insoupçonnée dont l'envergure était plus grande que la somme de leurs deux magies. Et cela le laissait dans un état de paix et de sérénité incroyables.
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Ils restèrent un long moment ainsi, dans cette espèce de torpeur un peu béate, à écouter la musique et à apprécier la simple présence de l'autre dans tout ce qu'elle représentait. Et puis quand Harry se sentit sur le point de glisser dans le sommeil, il s'obligea à rompre le silence entre eux :
– Sev… Est-ce que tu as décidé quelque chose pour Colibita ? Quand veux-tu y aller ? J'aimerais… ne pas trop tarder.
– Une raison particulière à cet empressement ? demanda Severus en frottant son nez dans son cou.
– J'en ai parlé un peu avec Charlie tout à l'heure… Ce qu'il m'a dit sur l'état de santé de Mihai m'a inquiété. Je ne voudrais pas… arriver trop tard.
Severus sourit doucement puis resserra ses bras autour de lui, caressant doucement ses bras de ses mains.
– Ne t'inquiète pas, nous irons à temps. Il tiendra ce qu'il faut rien qu'à l'idée de te revoir… J'en ai parlé à Lucius également, et il ne souhaite pas venir pour l'instant. Enfin… disons qu'il préfère nous laisser y aller seuls. Après, tout dépend quand tu pourras te libérer. Entre tes entraînements de quidditch, Aria, tes potions…
– Je me libérerai quand il faudra. Et aussi longtemps qu'il faudra.
– Alors… que dirais-tu d'y aller le week-end prochain ? Ce sera moins compliqué avec Aria…
Et brusquement, l'imminence de revoir Mihai se projeta dans la réalité.
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(1) Keith Jarrett, Köln Concert 1975 Part 1
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La semaine prochaine, nous serons à Colibita et nous retrouverons Mihai en chair et en os (enfin... si l'on peut dire ^^)
Au plaisir
La vieille aux chats
