Résumé: Severus a confié ses inquiétudes au sujet de Vladimir à son mari, mais pas encore à Harry qu'il surveille pourtant discrètement. Une lettre de Mihai, où il apparaît mourant et encore plein de culpabilité, décide Harry à accepter un voyage à Colibita en compagnie de Severus.

On revoit enfin Mihai dans ce chapitre, pour toutes celles et ceux qui l'apprécient particulièrement ;) Bonne lecture!

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La semaine qui précéda leur départ fut intense. Parce que Sainte-Mangouste l'appela en catastrophe pour une fièvre orientale qu'ils ne comprenaient pas et qui s'avéra être une morsure de serpent, parce qu'Aria, avide de découvertes sur deux pattes, passait son temps à parcourir le Manoir de long en large en explorant toutes les pièces et s'échappait vers les escaliers dès que Harry la quittait du regard, parce qu'il voulait terminer la phase préparatoire de ses potions avant de partir pour la Roumanie et que cela lui prenait des heures, et parce que Meaghan n'était toujours pas satisfaite de leurs performances et qu'elle les faisait s'entraîner comme des chiens.

Et puis parce que l'inquiétude. Une appréhension telle à revoir Mihai, et surtout de l'état dans lequel Harry allait le trouver, que Severus passait son temps, lors des morsures, à le prendre dans ses bras et à le rassurer. Il ne s'agissait plus que de moments suaves, feutrés et pleins de tendresse, et cela faisait diablement longtemps que le plaisir ne s'était pas réinvité entre eux. Harry s'en fichait; cela n'avait jamais été l'essentiel, bien au contraire. Mais cette présence chaleureuse, cette douceur entre eux était essentielle.

Au point que lorsqu'il trouva Severus avec Lucius endormi dans leur lit, un soir en rentrant d'un dîner chez Alicia et Blaise, il lui demanda de rester là pour la morsure, dans l'obscurité de la chambre, et même plus longtemps s'il le souhaitait. Au point que sur le canapé, dans la Salle de Cinéma, il reprit la place du milieu. Au point de se laisser aller, un soir, de la plus étrange des manières, à une chose impensable.

En choisissant le film, Lucius avait dû tomber sur le dvd de « Quatre mariages et un enterrement », parce que Harry l'avait regardé avec Mark quelques semaines plus tôt et qu'il devait être mal rangé… et ça lui avait paru une bonne idée.

Et c'en était une parce qu'il adorait ce film, ses acteurs, leurs réparties acides, cette douceur d'une Angleterre un peu surannée… mais au milieu de tous ces mariages, il y avait aussi un enterrement et avant même que la scène ne se profile dans le film, Harry sentait déjà l'émotion qui montait dans sa gorge, qui serrait son cœur, et quand Gareth s'effondra… et quand les premiers vers du poème d'Auden se firent entendre… il ne put s'empêcher de renifler, les yeux débordants de larmes et le cœur broyé.

Et le premier à réagir à son émotion, parce qu'il avait perçu son reniflement discret ou plus sûrement parce qu'il avait accès à une partie de ses sentiments, fut Severus. Dans un réflexe sans doute dicté par l'instinct de protection du vampire, il le prit brusquement dans ses bras, contre lui, avec une possessivité farouche et inquiète.

En s'abandonnant sans honte contre son torse, Harry renifla à nouveau, souriant de sa propre émotion absurde tandis qu'une larme roulait sur sa joue.

– Tu sais que c'est à cause du film, n'est-ce pas ? murmura-t-il le visage caché sur sa chemise.

– Peu importe la raison, je ne pourrai jamais supporter ça, maugréa Severus, le nez dans ses cheveux.

Et par « ça », Harry savait bien qu'il sous-entendait : lui dans cet état-là.

En devinant leur sursaut dans la pénombre et à entendre leurs murmures étranglés, Lucius s'était tourné vers eux et il posa une main compatissante qui glissa le long de son bras.

– Je te savais un peu fleur bleue, mais à ce point-là…, se moqua-t-il gentiment tandis que leurs doigts s'entrelaçaient.

– Je déteste ce passage, grimaça Harry en frottant son visage sur la chemise de son vampire pour effacer ses larmes. Il y a des personnages qui n'ont pas le droit de mourir !

Sur l'écran et dans le silence, les vers sombres et torturés du poème d'Auden s'égrénaient lentement et l'émotion le prit à nouveau.

Que les étoiles se retirent, qu'on les balaye,

Démonter la lune et le soleil,

Vider l'océan, arracher la forêt,

Car rien de bon ne peut advenir désormais.

– Vous savez que je ne pourrais pas vivre sans l'un de vous deux, n'est-ce pas… ? s'étrangla-t-il.

Et c'était d'une vérité sidérante… Jamais, jamais, il ne supporterait de perdre l'un ou l'autre de ses conjoints. Il ne pourrait jamais supporter de vivre avec cette perte abyssale, avec ce néant qu'il avait touché du doigt pendant la transformation de son vampire, avec ce gouffre en lui que rien ne pourrait venir combler. Rien de bon ne peut advenir désormais... Ni l'un. Ni l'autre.

– Personne n'a l'intention de mourir, Harry, murmura Severus tandis que la main de Lucius se resserrait sur ses doigts.

Il gloussa doucement, avec un pâle sourire un peu forcé sous ses yeux trop brillants. Enfin, il se redressa avant de se tourner, ramassé sur le canapé, pour faire face à Lucius. Autour de sa taille étaient restés les bras de son vampire et Harry l'incita à bouger à son tour pour que Severus soit tout contre lui, son torse épousant son dos.

– Mords-moi…

– Harry ! fit aussitôt Severus, et sa voix comportait une nuance de mise en garde.

– S'il-te-plaît…

Ses doigts n'avaient pas lâché ceux de Lucius, leurs regards étaient rivés l'un dans l'autre, bien trop conscients de ce qui se jouait là, maintenant. Et Severus dut comprendre aussi qu'il avait besoin de resserrer leur lien à tous les trois, de partager ce moment ensemble, ce moment plus important, plus intime, plus symbolique que tous les vœux de mariage du monde, et il pencha doucement la tête pour approcher de son cou.

La morsure lui arracha un hoquet sanglotant, non pas de douleur, mais de cette bête émotion née de l'émotion d'un film, de cette peur de les perdre un jour, de ce besoin de se tenir là, tous les trois, vivants, ensemble, aussi longtemps qu'il leur serait possible…

Et le pouce de Lucius caressait sa main, dérisoire et pourtant si extraordinaire par sa simple présence, mais Harry y puisait un réconfort aussi intense que dans la morsure de son vampire. Lucius faisait partie d'eux. Malgré leur lien particulier, malgré le tabou qui entourait les morsures et le don de sang, Lucius faisait partie d'eux et ils n'avaient rien à lui cacher.

Severus but encore, longuement, jusqu'à ce que Harry ait retrouvé sa sérénité et son calme, les bras de son vampire autour de lui et sa main dans la main de son mari. Ce n'était sans doute pas aussi érotique que ce que Lucius avait imaginé dans ses fantasmes, ça n'avait rien de sexuel, ni même de sensuel, mais cette morsure devant lui devait lui apparaître suffisamment chargée de sens, de symbole et d'émotion pour que, lorsque Harry rouvrit les yeux, il trouva le visage de son mari bouleversé et ses yeux étrangement brillants.

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Lucius pencha légèrement la tête pour observer les gestes de Harry dans le dressing et sourit doucement. Un par un, il déplaçait les cintres de la penderie pour jeter un œil à chaque pantalon, chaque veste, chaque chemise… sans en prendre aucun. Il farfouilla dans une pile de pulls, se recula pour considérer un instant l'ensemble de ses vêtements, s'approcha même de ses robes de cérémonies officielles, puis s'en retourna aux cintres, toisant pour la énième fois chemises, vestes et pantalons. Depuis dix minutes, sa valise grande ouverte sur une banquette de velours ne contenait toujours que quelques boxers et des paires de chaussettes. Et son pull préféré en cachemire qui était presque un fétiche pour lui.

Rien qu'à ses mouvements, Lucius pouvait voir que Harry était nerveux. Des gestes un peu secs, saccadés, brusques… et cette façon inconsciente de retarder l'inévitable, de ne pas se résoudre à choisir et à terminer sa valise.

D'habitude, quand ils partaient en vacances, Harry n'avait besoin que de cinq minutes pour faire ses bagages. De l'utile, du léger, des vêtements de tous les jours qui ne craignaient ni la poussière des longues promenades, ni de s'asseoir dans l'herbe s'il en avait envie… Quelques tenues du soir pour sortir au restaurant et des maillots de bains pour dorer sa peau au soleil…

Là, cela semblait différent. Ou bien il soupesait l'importance de chaque vêtement par rapport au statut et à la position sociale de Mihai, ou bien… il retardait l'inéluctable. Le départ de Harry et Severus était prévu pour le lendemain matin, après la grasse matinée du samedi et un solide petit-déjeuner mais plus l'échéance se rapprochait, plus Harry semblait anxieux.

– Veux-tu que je fasse ta valise à ta place ? proposa Lucius avec un brin de moquerie.

– C'est ça. Fous-toi de moi !

Mais l'ironie eut au moins l'utilité de le piquer au vif car Harry commença à sortir deux pantalons pour les plier et les poser dans sa valise.

Depuis le fauteuil où il était dignement installé, les jambes croisées, Lucius ne le quittait pas du regard, profondément amusé par les tergiversations de son jeune mari. Mais il savait aussi que derrière ces hésitations futiles de garde-robe se cachaient des inquiétudes plus profondes.

– C'est de revoir Mihai qui te rend si nerveux ?… Ou bien de te retrouver entouré de vampires ?

Harry grogna pour toute réponse en attrapant trois chemises pour les plier sommairement et les ranger dans sa valise. Tandis qu'il se retournait vers la penderie, Lucius lança discrètement un sortilège anti-froissage sur les vêtements tout en souriant; il n'était pas question que son mari ait l'air négligé ou dépenaillé parce qu'il ne pensait pas à ce genre de détails. Quoique… à voir les tenues qu'il choisissait, il faisait un effort certain pour paraître à son avantage.

Il pensait déjà que Harry ne répondrait pas à la question, par pudeur, par agacement devant son ironie, mais tout en restant loin de lui et bien tourné vers le dressing, il se mit à parler :

– Je me suis déjà trouvé au milieu des vampires quand j'avais été à Colibita pendant la transformation de Severus… Ça ira. Et puis maintenant que je suis un calice, je suis intouchable pour eux. Je suis protégé par ma simple nature, mais aussi parce que Mihai m'avait donné sa protection, et en plus parce que Severus sera avec moi…

– C'est donc de revoir Mihai qui te perturbe à ce point ?

– Bien sûr. Je me sens coupable…

Lucius écarquilla brusquement les yeux. C'était le monde à l'envers ! Mihai passait la moitié de ses lettres à se blâmer et à s'excuser de n'avoir pas su protéger Harry et c'était lui qui se sentait coupable ?!

– Je ne suis pas sûr de supporter de le voir amoindri, confessa-t-il du fond du dressing. De pouvoir poser sur lui un regard plein de compassion alors que je suis en colère. Je ne veux pas ressentir de la pitié pour lui. Il ne mérite pas ça !

– Il ne mérite pas ta pitié ou ta compassion ?!

Harry se passa brusquement les deux mains sur le visage comme s'il tentait d'effacer la lassitude et les inquiétudes.

– Il ne mérite pas qu'on le regarde comme ça. Mihai devrait être ce qu'il a toujours été : un vampire puissant, fier, plein de vie, d'humour et de dérision… Quelqu'un de joueur et d'enjoué, avec une sensualité et une espièglerie à fleur de peau. Quelqu'un qui aime la vie et qui veut en profiter… Pas un mourant que l'on regarde avec pitié.

– Je comprends ce que tu veux dire… Et tu as sans doute raison.

Les deux bras tendus devant lui, les mains en appui sur le bord de l'étagère, Harry se tenait immobile, la tête basse, plongé dans ses pensées et ses états-d'âme.

– … Mais tu ne peux pas te blâmer pour des décisions qui lui appartiennent… Mihai ne veut pas survivre à Tobias. Il en a assez. Il a vécu de trop nombreux décès, il a perdu trop de gens, il est fatigué… Tu ne peux pas lui enlever cette liberté de vouloir abréger son éternité.

– Mais choisir de disparaître, c'est tellement égoïste pour ceux qui restent.

Doucement, Lucius se leva et s'approcha de la porte du dressing. Autant Harry semblait avoir trouvé sa voie avec Severus, une forme de relation qui leur appartenait et dans laquelle ils étaient pleinement épanouis l'un et l'autre, autant il était encore extrêmement affecté dès que l'on parlait de Mihai…

– Tu n'as côtoyé Mihai que quatre jours lorsqu'il est venu en Angleterre pour la signature du traité d'alliance, et quelques jours dans le pavillon chinois… Il est si important que ça pour toi… ?

Lucius avait essayé de formuler ses mots avec un soupçon de taquinerie, pour le faire réagir, pour ramener un peu de légèreté au milieu de leurs paroles si sombres, mais Harry fronça brusquement les sourcils.

– Je ne l'ai même pas vu dans le pavillon chinois, répondit-il durement. Il m'a trouvé inconscient dans la salle de bains et je le suis resté tout le temps où il a été là. Ou du moins, quand je me suis réveillé, j'étais enfermé dans la chambre et il n'est pas venu me voir. D'après ce que m'a dit Severus, il est resté un peu après avoir pris soin de moi mais il s'est contenté de l'empêcher de m'approcher, le temps que je récupère…

Lucius fronça les sourcils à son tour, brusquement conscient qu'il avait sans doute minimisé la violence de ce qui s'était passé là-dedans. Il n'avait jamais imaginé, à travers ce que lui en avait dit chacun de ses maris, que Harry était resté inconscient plusieurs jours le temps de recouvrer ses forces et sa magie.

Mais le temps n'était plus aux regrets de cette période sombre et mortifère. Aujourd'hui, Harry et Severus avaient dépassé ces débuts catastrophiques et ils s'aimaient à leur façon, dans un mélange de tendresse, de dépendance et de dévotion, et c'était magnifique à voir… Quant à Mihai, c'était autre chose qui minait Harry.

Lucius s'approcha un peu plus, attrapant doucement le poignet de Harry pour le tourner vers lui et pouvoir glisser ses bras autour de sa taille.

– C'est parce que vous avez eu ce petit coup de cœur l'un pour l'autre que tu es si touché par sa situation… ?

Aussitôt, la réaction de Harry fut édifiante : son visage afficha un air embarrassé, il ouvrit la bouche pour se défendre mais sans oser proférer le moindre mensonge et il rougit brusquement.

Avec un sourire tendre, Lucius attira son jeune mari un peu plus près de lui, collant leurs bassins l'un contre l'autre, tout en plongeant dans son regard troublé.

– Je… Ça n'a rien de…

– Chut, sourit-il en le faisant taire d'un baiser. Je ne suis pas idiot. Ni aveugle. Et Mihai et moi en avons longuement parlé quand il a séjourné au Manoir avant de pénétrer dans le pavillon chinois. Je sais très bien que lui non plus n'a pas été insensible à tes charmes, ni à ton sang… Et il m'avait promis de te ramener, que tu sois devenu le calice de Severus ou le sien. Et toi, tu es capable d'aimer tellement de personnes en même temps…

– Je… Je suis désolé.

Lentement, Lucius pencha la tête et s'empara des lèvres de Harry pour un baiser doux, tendre et profond. Un baiser plein de compréhension et de pardon.

– Tu n'as pas à être désolé. Je comprends parfaitement ce qui t'attire chez lui; je sais à quel point Mihai peut être fascinant, même s'il n'est pas le genre de personne qui moi me fascine… Et je sais aussi parfaitement ce qui lui a plu chez toi. Ta fraîcheur… cette espèce d'innocence, de résilience, qui fait que, justement, tu es capable de pardonner et d'aimer tout le monde… Même lui. Et cette possibilité l'a séduit.

Lové entre ses bras, Harry secoua la tête avant de nicher son visage dans son cou, à la recherche de tendresse et de réconfort.

– … Tu as cette capacité à te faire aimer… Mihai donnerait sa vie pour toi. Comme moi. Comme Severus… Nous t'aimons tous beaucoup trop pour notre propre bien !

Lucius gloussa en caressant lentement le dos de Harry enlacé contre lui, avec presque le sentiment qu'ils allaient se mettre à danser, seuls dans le fin fond d'une garde-robe, dans la pénombre qui gagnait lentement la chambre, le Manoir et les jardins.

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Ils restèrent un long moment ainsi avant que Lucius ne se mette à ricaner :

– Allez. Dépêche-toi de finir cette valise que nous puissions descendre dîner… Et choisis des vêtements qui mettent bien tes charmes en valeur si tu veux inciter Mihai à ne pas se laisser aller !

Harry secoua la tête en gloussant tandis qu'il chassait les mains gourmandes posées sur ses fesses.

– Tu m'incites à user de mes charmes pour appâter Mihai ?!

– Il faut lui faire miroiter de belles choses si tu veux le convaincre.

Le sourire aux lèvres, Harry leva les yeux au ciel avant de se tourner vers la penderie.

– Tu crois que je devrais prendre une tenue un peu plus… formelle ? Qu'il risque d'y avoir un dîner officiel ou… une réception ?

– Un dîner ?!

Lucius gloussa en songeant à une tablée de vampires en train de contempler Harry en train de manger un de ses plantureux repas. Ceci dit, il y avait plus de chances que ce soit lui qui se fasse manger tout cru par Severus ou Mihai.

– Prends; on ne sait jamais… Je doute que Mihai soit en état de conduire une quelconque cérémonie, mais peut-être que le vampire qui lui succède souhaitera le faire. Je crois que Severus est plutôt bien vu, là-bas…

Le sourire de Harry s'illumina d'un soupçon de fierté, puis il se tourna brusquement vers lui, le visage bien plus sérieux et le regard grave.

– J'aurais aimé que tu viennes avec nous…

Lucius s'avança d'un pas et parcourut rapidement les cintres pour choisir une tenue officielle pour son jeune mari.

– Je crois que ce n'est pas ma place. Du moins, pas cette fois… Tu as besoin de voir ce qu'est réellement cette société, et de revoir Mihai en tête à tête, mais c'est une histoire qui vous regarde, lui, toi et Severus. Vous avez beaucoup de choses à vous dire; il a besoin de ton pardon parce qu'il n'a pas su te protéger de Severus et tu as besoin du sien parce que tu as choisi de sauver Severus et non lui… Je n'ai pas ma place dans vos liens de calice et de vampires.

– Tu as toute ta place, affirma Harry.

Lucius sourit en sortant un costume sombre qui allait divinement à son amant. Sa réponse lui faisait doucement chaud au cœur. Savoir qu'il n'était pas mis de côté par la relation particulière de ses deux maris était toujours réconfortant. Et il était bien conscient que Harry et Severus avaient fait preuve d'une incroyable abnégation en osant une morsure devant lui… Que malgré tous les tabous et l'intimité que cela demandait, ils lui avaient montré leur immense confiance et surtout qu'il faisait toujours partie d'eux, et il en avait été terriblement ému. Et honoré.

Et cette nouvelle affirmation de Harry qu'il était le bienvenu pour les accompagner à Colibita le bouleversait encore doucement.

– Pas cette fois… Tiens, prends celui-ci. Il sera adapté quelles que soient les occasions…

Harry le regarda longuement puis hocha la tête avant de plier délicatement le costume pour le poser dans sa valise.

– Et toi, qu'est-ce que tu vas faire pendant notre absence ?

– Oh, ne t'inquiète pas pour moi ! fit Lucius en souriant. J'ai assez à m'occuper avec cette inauguration la semaine prochaine et James Lincoln sera bien heureux de m'avoir à sa disposition tout le week-end pour peaufiner les derniers détails !

– Et pas de bêtises avec ce bellâtre blondinet, hein !

Lucius se mit à rire devant le visage diablement sérieux de Harry.

– Même si je te concède le côté bellâtre, Lincoln a plus de cheveux blancs qu'autre chose, chéri !… Et il n'a certainement aucun charme comparé à toi.

Du bout des doigts, Lucius attrapa le menton de son mari pour l'obliger à tourner la tête vers lui et il l'embrassa voracement. Peut-être que là, tout de suite, debout les bras appuyés contre la penderie… ou bien sur ce fauteuil au milieu du dressing… Pour rappeler à Harry à quel point aucun autre n'avait la moindre chance d'éveiller son désir et ses envies lubriques.

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Severus ouvrit la porte-fenêtre et entra en même temps qu'une grande brassée d'air froid, puis s'arrêta net, surpris par le feu ronronnant, la lumière discrète et la présence de son mari. Car Lucius était là, dans la Bibliothèque, enfoncé au fond d'un fauteuil, les jambes croisées et un verre à la main.

Rapidement, il se débarrassa de son capuchon et de sa cape, nettoya ses chaussures puis s'approcha. À présent, il percevait la musique classique qui émergeait de la chaîne hifi nichée entre les livres, une sonate, quelque chose de lent et de doux. Severus allait embrasser son mari, mais juste avant de se pencher, il perçut nettement l'odeur d'alcool tout en remarquant la bouteille de cognac quasiment vide sur la table basse et se ravisa. Sans un geste de plus, il partit s'asseoir dans le canapé.

Les lèvres pincées de Lucius montraient qu'il avait bien noté son geste avorté mais il ne fit aucun commentaire.

– Qu'est-ce que tu fais là ? osa enfin Severus. Je te pensais couché…

– Je bois, répondit sèchement Lucius.

Posant son verre sur l'accoudoir, il tourna une page du livre qu'il avait à la main tout en l'ignorant délibérément. Severus soupira discrètement, désolé que leur dernière soirée avant de partir à Colibita se termine ainsi mais il ne pouvait rien reprocher à son mari. La faute était la sienne, encore une fois.

– Harry ne va pas tarder à rentrer…

Lucius leva un instant un regard froid vers lui avant d'esquisser une grimace dédaigneuse.

– J'imagine. Sinon tu ne serais pas là.

Severus retint un frémissement sous la réplique acerbe mais il se refusa à réagir pour ne pas envenimer les choses.

– Et tu comptes lui parler quand ? demanda froidement Lucius. Tu comptes lui dire quand ce que tu soupçonnes au sujet de Vladimir ? Tu comptes lui avouer quand que tu le surveilles discrètement dès qu'il sort sur le Chemin de Traverse ou à ses entraînements de quidditch ?…

– Je… Bientôt.

– Ce serait bien. Qu'on puisse faire autre chose de ces moments où il n'est pas là.

Merlin. En substance, Lucius lui reprochait de le négliger pour aller plutôt surveiller son calice à qui il cachait délibérément ses inquiétudes… Et il n'avait pas tort.

Pour plein de raisons, Severus repoussait sans cesse le moment de parler à Harry. Pour ne pas raviver de mauvais souvenirs, pour ne pas retomber dans la crainte et la paranoïa, pour préserver cette période de calme et de paix entre eux que leur voyage à Colibita bouleversait déjà bien assez… Pour ne pas avoir à avouer qu'il surveillait ses arrières dès que son calice n'était pas au Manoir ou à Poudlard. Et que pour cela, il ne passait presque plus aucun moment en tête à tête avec son mari.

Sans compter cette bouteille quasiment vide qui ne lui disait rien qui vaille. Depuis qu'il le connaissait, Severus n'avait jamais vu Lucius ivre, et ce n'était certainement pas pour ce soir, même s'il n'en était sans doute pas à son premier verre de cognac. Il restait un aristocrate, impeccable jusqu'au bout des ongles, et toujours dans la maîtrise. Mais Severus avait suffisamment eu affaire à l'alcool autrefois pour craindre son côté insidieux et ses ravages. Et il ne voulait certainement pas être responsable de ça.

Des bruits et des voix dans le Hall d'entrée interrompirent le regard glacial et plein de reproches de Lucius, et quelques secondes plus tard, Harry fit son entrée dans la Bibliothèque, les yeux brillants et le nez rougi par le froid, les cheveux humides de sueur ou de bruine et une jambe de son pantalon maculée de boue.

– Hey ! Tu m'attendais ? L'entraînement a fini un peu tard, désolé…

Severus refusa de se sentir blessé parce que son calice s'adressait en premier lieu à Lucius. Mais lui aussi, il l'attendait, et non sans une pointe d'angoisse logée au fond de son ventre.

Harry se pencha pour embrasser rapidement son mari avant de lui adresser un sourire tranquille.

– Qu'est-ce que tu as fichu ? grimaça Lucius en désignant son pantalon d'un signe de tête. Tu t'es roulé dans la boue avec Meaghan ?!

– Oh, je sais bien que si je disais oui, elle me plaquerait à poil contre un mur en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ! gloussa Harry. Mais non… juste une manœuvre un peu tordue et je me suis retrouvé par terre. Mais rien de méchant.

Severus leva les yeux au ciel devant la provocation amusée de son calice. Depuis qu'il leur avait raconté le sans-gêne et le rentre-dedans pas très discret de la capitaine et depuis que Severus avait abondamment grincé des dents, Harry et Lucius s'étaient mis en tête de le taquiner sur le sujet aussi souvent que possible. Mais si cela permettait à Lucius d'être de meilleure humeur, il voulait bien jouer le bouc émissaire…

Ceci dit, depuis que Harry était entré dans la Bibliothèque, Lucius semblait avoir mis de côté leurs quelques mots houleux et il avait retrouvé son sourire et son entrain habituel en présence du jeune homme.

– Vous comptez rester là ? Moi, il faut absolument que je prenne une douche. Je ne sais pas ce qui se passe mais encore une fois, les douches du stade étaient en panne ! Vous voulez pas monter avec moi ?

Discrètement, Lucius tourna un regard froid vers Severus puis il referma son livre, posa son verre sur la table basse et se leva. De toute évidence, il le soupçonnait d'avoir trafiqué les douches pour obliger Harry à rentrer plus vite au Manoir… ce qui n'était peut-être pas tout à fait faux.

Severus hésita, incertain des intentions de son calice, puis finit par se lever pour les suivre. Il aurait préféré une morsure dans la Bibliothèque mais si Harry souhaitait monter…

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Parvenus dans le couloir de l'étage, Severus voulut s'éloigner en direction de sa chambre pour y attendre Harry mais une main sur son bras le retint et il se fit traîner comme un gamin désobéissant vers la chambre de Lucius.

En quelques secondes, Harry disparut dans la salle de bains et Severus s'installa dans un fauteuil près des fenêtres noyées d'obscurité. Il n'aimait pas cette soirée. Il n'aimait pas avoir disparu après le dîner pour aller surveiller l'entraînement de quidditch de son calice; il n'aimait pas s'être disputé avec son mari, surtout la veille de leur départ; il n'aimait pas se trouver là, mal à l'aise, sans comprendre ce que Harry voulait, ni ce qu'il avait en tête.

Et Lucius, lui, après s'être brossé les dents, était tranquillement en train de se déshabiller sous son nez, pour bien lui montrer ce à quoi il aurait pu avoir droit, et qu'il ne toucherait pas avant leur retour de Colibita. Et peut-être même bien après si Lucius avait encore des reproches à lui faire.

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Harry ne passa qu'une poignée de minutes sous la douche avant de ressortir de la salle de bains dans un nuage parfumé d'agrumes et de miel, les cheveux encore humides et… nu comme un ver. Severus frissonna en détournant le regard vers la fenêtre sur laquelle ruisselaient des gouttes de pluie.

Assis et adossé contre son oreiller, Lucius leva les yeux de son roman pour parcourir du regard le corps alléchant du jeune homme qui rejoignait rapidement le lit. Et il souriait avec délectation.

– Tu es sûr que tu ne veux pas manger quelque chose avant de te coucher ? demanda-t-il malgré tout. Fais-toi monter un petit en-cas ici…

– Non, ça va, fit Harry en se glissant sous la couette. Et puis je me suis déjà brossé les dents. Ça attendra demain matin…

Avec un soupir satisfait et un sourire aux anges, il attrapa son oreiller pour se caler confortablement et ferma aussitôt les yeux. Avant de les rouvrir pour grimacer.

– Sev, amène-toi.

Sur son fauteuil, Severus sursauta brusquement. Il devinait ce qui se tramait dans la tête de son calice : partager un dernier moment important tous les trois avant leur départ, partager une morsure en présence de Lucius, partager quelque chose d'un peu symbolique qui ressemblerait à leur vie d'avant, mais il n'était pas à l'aise avec ça. Particulièrement ce soir après s'être accroché avec Lucius.

– Tu ne veux pas… descendre ? Ou aller dans ma chambre ?

– Flemme, grommela Harry qui semblait avoir atteint son paradis personnel. Je suis crevé et j'ai mal partout. Hors de question de quitter ce lit avant au moins une dizaine d'heures !

Il avait tous les droits d'être fatigué : il était minuit passé, il sortait de trois heures intensives de quidditch et il était debout depuis tôt ce matin, mais ce fut pourtant avec réticence que Severus se leva pour aller s'asseoir au bord du lit, dans le dos de son calice.

– Ça peut attendre demain…

Harry ne prit même pas la peine de répondre : il se contenta d'attraper son poignet et de le tirer jusqu'à ce que Severus se retrouve à demi allongé derrière lui. Il vit simplement son calice ouvrir les yeux pour adresser un regard brûlant à Lucius.

– Éteins. S'il-te-plaît.

Lucius lui rendit son regard puis il referma son livre, le posa sur sa table de chevet avant d'éteindre les lampes d'un sortilège. Il embrassa rapidement Harry avant de s'installer sur le côté, face à eux, pour dormir.

Si les deux hommes ne devaient plus rien voir dans l'obscurité, Severus, lui, voyait parfaitement le sourire délicieux sur les lèvres de son mari. Et leurs mains entrelacées tandis qu'il mordait doucement son calice qui soupira de bonheur.

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ooOOoo

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– Halte là ! Qui êtes-vous ?

Harry avait presque envie de ronronner à sentir l'aura de son vampire librement déployée mais ce n'était pas le moment. Les gardes en uniforme qui faisaient cercle autour d'eux avaient l'air on ne peut plus sérieux et menaçants. À son tour, il déploya sa magie en volutes émeraudes qui serpentaient dans l'air et sur sa peau. Les lances pointées vers eux se brisèrent en craquements de bois et leurs pointes se mirent à fondre, répandant sur le sol de marbre de petites flaques d'argent liquide.

Derrière lui, il entendit Severus glousser mais il devinait aussi son soulagement. En tant que vampire, être menacé par des armes en argent n'avait rien de très confortable.

– Baissez vos armes ! ordonna un homme qui s'approchait d'eux à grands pas. Ou du moins, ce qu'il en reste… Seigneur Rogue, quel bon vent t'amène ?

– Alexandru… La qualité de l'accueil, certainement, grinça Severus.

Les gardes achevèrent de baisser leurs piques et reculèrent d'un pas ou deux tout en restant à proximité.

Ils venaient d'apparaître dans le vaste hall du Palais Seigneurial de Colibita. Derrière eux se trouvaient des portes massives de bois sombre, rehaussées de barres de métal et qui paraissaient pouvoir résister à n'importe quelle attaque. Les murs et les colonnes étaient sculptés et ornés de peintures ou de tapisseries immenses, mais l'ensemble dégageait malgré tout une impression d'austérité, de solidité, un côté massif et sobre qui contrastait terriblement avec le luxe doré et précieux dans lequel Harry avait l'habitude de vivre.

Et l'homme qui descendait le monumental escalier de marbre à leur rencontre avait l'air tout aussi massif et rude. Avec ce petit quelque chose de suave et de pétillant dans le regard qui le désignait aussitôt comme étant un vampire.

– La situation reste tendue… les gardes sont assez méfiants en ce moment et on ne saurait le leur reprocher.

– Et nous aurions sans doute dû apparaître à l'extérieur du Palais et demander audience, concéda Severus.

Alexandru sourit à cette reconnaissance explicite de leur maladresse.

– Sans doute… Mais je constate que vous auriez pu vous débrouiller sans mon intervention, ricana-t-il en contemplant les petites flaques argentées sur le sol.

Harry sentit le regard du vampire remonter le long de son corps, des pieds à la tête, s'attardant sur ses mains parcourues d'arabesques émeraudes et sur sa position, debout devant Severus comme pour lui faire rempart de son corps. Le sourire du vampire s'élargit, presque moqueur, et il le salua d'un signe de tête avant de reporter son attention sur Severus.

– J'imagine que vous venez voir le Gouverneur Evanescu ?

– Effectivement, acquiesça Severus.

– Il est… fatigué, tergiversa le vampire. Je vais le faire prévenir, mais je ne sais pas quand il pourra vous recevoir… En attendant, je vais faire mettre des appartements à votre disposition pour vous reposer du voyage. Et je pense que le Conseil des Anciens sera ravi de te revoir !

Severus grimaça devant ce qui l'attendait. Se soumettre à la curiosité et aux questions infinies des Anciens l'épuisait déjà, et il était hors de question que son calice devienne pour eux un fascinant sujet d'étude !

Mais déjà le vampire s'adressait à un des gardes :

– Conduis-les dans les appartements pour invités les plus proches de ceux du Gouverneur. Et préviens les valets d'étage de se tenir à leur disposition.

Le garde hocha la tête et avec bien plus de déférence qu'à leur arrivée, il ouvrit le bras pour les inviter à monter le vaste escalier de marbre.

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oooooo

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Harry parcourut du regard les appartements dans lesquels ils venaient de pénétrer. Un salon et une chambre séparés par une tenture, une salle de bains attenante à la chambre, et une espèce de balcon/ terrasse en surplomb qui donnait sur une vue imprenable de la ville nichée dans le creux d'une vallée. La décoration était chaleureuse, plus accueillante que le Hall presque dépouillé à l'entrée du Palais, mais cela restait malgré tout sobre et fonctionnel.

D'un geste, Severus avait déjà posé le sortilège d'obscurité sur les fenêtres, modulé afin de laisser entrer suffisamment de lumière pour qu'il ne soit pas nécessaire d'allumer des lampes, mais assez pour qu'il se sente confortable.

– Avez-vous besoin d'autre chose dans l'immédiat ? demandait le valet d'étage en les regardant tour à tour.

– Non. Merci, sourit Harry. Ça ira…

Le garde, lui, avait disparu depuis quelques instants en les laissant aux bons soins du domestique qui désignait à présent un objet sur un buffet semblable à une grosse sonnette de comptoir d'hôtel.

– Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à sonner. Il y a toujours un valet disponible, quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit.

– Merci, répéta Harry. Mais ce ne sera pas nécessaire…

Le valet le regarda avec un petit sourire amusé qui sous-entendait qu'il aurait besoin d'eux tôt ou tard, puis il les salua et disparut en refermant la porte derrière lui.

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– Ça va ? fit Severus en se tournant vers lui et en fronçant les sourcils.

– Ça va, répondit Harry avec un sourire sans doute pâle. C'est… un peu déstabilisant de sentir tous ces vampires et toutes ces auras qui tourbillonnent dans tous les sens. Je ne me souviens pas que ça m'avait fait ça quand j'étais venu voir Mihai pendant ta transformation…

Severus s'approcha, légèrement hésitant. Lucius aurait été là, il aurait sans doute pris Harry dans ses bras et il l'aurait apaisé d'une étreinte, d'un câlin, d'un baiser tendre. Mais lui, il ne pouvait pas agir de cette manière. Il n'avait que de pauvres mots et sa bonne volonté.

– Depuis, tu es devenu un calice. Ça change certainement beaucoup ta perception de nos auras et de notre présence… Tu y es devenu plus sensible, plus réceptif, alors qu'ici, les gens vivent aux côtés des vampires depuis des siècles et ils sont parfaitement habitués, quelle que soit leur puissance… La plupart n'ont même pas besoin de moduler leur aura, ni de se cacher, et leur présence est imposante alors qu'habituellement, j'atténue toujours la mienne. Ni les gardes, ni les valets ne sont des vampires, mais à travers tout le Palais, il y en sans doute plusieurs dizaines en ce moment même… Je comprends que ce soit un peu étouffant.

Avec un sourire tranquille, Harry retira son manteau et le suspendit dans la penderie de l'entrée avant de se diriger vers la chambre.

– Ça va aller, je vais m'habituer.

Severus hésita un instant à le suivre : si son calice voulait s'allonger un peu, se reposer, il ne pouvait pas s'imposer. Mais depuis le seuil, il le vit simplement sortir sa valise, lui redonner sa taille normale et entreprendre de ranger ses vêtements dans l'armoire en leur jetant si besoin un sortilège de défroissage.

– Et pour toi, c'est comment ? C'est un retour aux sources ou bien tu te sens menacé à travers moi ? Est-ce que je dois… faire attention à ce que je dis ? ou bien ne parler à personne et ne pas sortir de la chambre ?

Devant ce que suggérait son calice, Severus frissonna violemment. Il aurait été encore vivant, il en aurait même eu des sueurs froides. De façon sous-entendue, Harry envisageait tout simplement de se plier à ses moindres caprices comme dans le pavillon chinois, de rester reclus, enfermé dans une chambre pour ne pas éveiller sa jalousie et sa possessivité. L'idée le dérangeait tellement qu'il en avait presque la nausée.

– Rien de tout ça ! fit-il un peu brusquement. Tu fais absolument ce que tu veux. Ici, les vampires perçoivent tous que tu es un calice et personne ne s'avisera de s'en prendre à toi, de te menacer ou d'essayer de s'immiscer dans le lien qui nous unit. C'est considéré comme un crime passible de mort et tous, ils respectent bien trop le choix des calices de se dévouer à un vampire pour songer à faire quoi que ce soit. Tu ne crains strictement rien d'aucun vampire dans cette région, et par conséquent, je ne me sentirai menacé par personne… Même si certains te regarderont sans doute avec curiosité, acheva Severus en grommelant.

Assis au bord du lit, Harry releva vers lui son regard vert et surpris.

– Pourquoi avec curiosité ?

– Parce que tu es un sorcier et qu'ils ressentent ta puissance. Parce que certains savent qui tu es et qu'ils seront curieux de savoir ce que devenir un calice a changé en toi… Et puis, parce que quand je suis venu ici la première fois, je ne buvais pas et la faim se lisait sur mon visage… et ils vont se demander ce qui a changé entre nous.

– Ça ne regarde personne, fit Harry avec un petit sourire tranquille. Et ce n'est pas la première fois que j'affronterai des regards curieux…

Les coudes posés sur les genoux, il parcourut la chambre d'un regard désœuvré.

– Comment tu te sens à l'idée de revoir Mihai ? demanda doucement Severus.

– Un peu… nerveux, mais j'imagine que c'est normal.

Son sourire était devenu presque triste, et puis brusquement il tendit la main, comme pour l'inviter à s'approcher. Severus la prit dans la sienne avec une tendresse qu'il ne pouvait pas cacher, il se sentit attiré vers le lit, et un instant plus tard, il se retrouva allongé dans le dos de son calice, le serrant entre ses bras, et Harry murmurait « Mords-moi... ».

Et Severus le mordit avec une infinie douceur, heureux de pouvoir lui apporter le réconfort dont il avait besoin, de pouvoir le rassurer et raffermir leur lien, et heureux de ce seul moment où il avait le droit de manifester toute sa tendresse et son amour pour son calice.

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Quelques coups légers frappés à la porte de l'appartement les firent sursauter l'un et l'autre. Harry se redressa brusquement, les cheveux en bataille et les paupières lourdes de celui qui s'était assoupi pendant quelques minutes dans la chaleur d'une étreinte.

– Laisse. Je vais voir, fit Severus en l'incitant d'une caresse à se rallonger.

En quelques pas, il rejoignit la porte d'entrée et l'ouvrit sur un homme portant la livrée officielle du Palais.

– Seigneur Rogue, salua-t-il. Le Gouverneur devrait pouvoir vous recevoir dans quelques instants, vous et Monsieur Potter. Je vais vous conduire à ses appartements…

Severus hocha la tête et se détourna pour aller chercher son calice mais Harry avait entendu et il entrait déjà dans le salon, une marque de drap sur la joue et ses vêtements légèrement froissés. Il souriait sereinement, moins fébrile que tout à l'heure, et Severus fut satisfait de voir que la morsure l'avait apaisé. Il avait également un peu l'air de sortir du lit après une partie de jambes en l'air, mais cette idée-là flattait son ego de vampire et il n'était pas question de détromper les suppositions du garde.

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– Veuillez patienter ici, fit le garde après les avoir conduits dans une antichambre au détour d'un couloir. Le valet du Gouverneur viendra vous chercher.

– Merci, acquiesça Severus.

Rapidement, Harry se laissa tomber sur un siège mis à la disposition des visiteurs et dans ce qu'il percevait de ses sentiments, Severus ressentait surtout sa fébrilité, même s'il n'en laissait rien paraître. Il se contenta de lui sourire – puisqu'il ne pouvait rien faire d'autre – puis s'intéressa aux livres de la bibliothèque, à la recherche d'une nouveauté ou d'un ouvrage intéressant pour passer le temps.

Il était déjà venu ici bien sûr, l'été dernier, quand il avait vécu plus de deux semaines à Colibita, la faim au ventre et les traits creusés. Assommé de culpabilité.

Les souvenirs qu'il en avait n'étaient pas agréables. Des jours de noirceur, de remord, de douleur. L'incompréhension la plus totale de ce qu'il avait fait. L'envie de mourir, de disparaître, de se faire du mal pour expier, des heures passées à contempler et à frôler les ondoiements magnifiques des bains d'argent…

Et puis les heures passées avec les Anciens, à répondre aux questions, à jouer les cobayes, à étancher leur curiosité. À essuyer leurs reproches aussi, d'avoir ainsi maltraité et abandonné son calice. Les regards de travers, les jugements, l'impression de se défendre, des heures durant, au procès de ce qu'il était devenu, le poids de la condamnation de ses pairs, alors qu'il avait fait ce qu'il avait pu, seul puis avec Harry, pour lutter contre l'influence de Vladimir et s'en affranchir.

Et puis au fil des jours, soutenu par Mihai, il avait gagné l'intérêt puis le respect de quelques Anciens, jusqu'à pouvoir comprendre certaines choses, accepter sa nature de vampire et s'accepter lui-même.

Au final, il n'y avait pas que pour Harry que ce voyage était symbolique… Lui aussi avait des choses à réparer. Et pour la première fois peut-être, parce qu'il avait reconstruit sa relation avec son calice, parce qu'il avait regagné sa confiance et rétabli leur lien, il allait pouvoir regarder ces Anciens en face, d'égal à égal. Et c'était une petite revanche sur leur mépris du début.

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La porte des appartements de Mihai qui s'ouvrit brusquement sur le valet les fit à nouveau sursauter.

– Le Gouverneur va pouvoir recevoir Monsieur Potter. Seul.

Ils étaient deux à le regarder avec insistance : le valet qui guettait son approbation tacite et Harry qui levait vers lui des yeux troublés, inquiets, incertains… pleins d'une insécurité soudaine. Il avait sans doute compté sur lui pour se sentir épaulé, mais quelque part, Severus n'était pas surpris. Mihai voulait s'assurer de la sincérité de son calice hors de sa présence, hors de son regard et de son influence. Il voulait lui laisser un espace de parole en toute liberté, en particulier si Harry devait dire des mots qui blessaient ou qui condamnaient son propre vampire.

Mais pour cela, Severus n'avait aucune inquiétude. Ou presque…

Il se contenta de hocher la tête en souriant au valet et à son calice, et après un instant d'hésitation, Harry se leva nerveusement. La confrontation tant redoutée, c'était maintenant.

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oooooo

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La pénombre surprit Harry. Autant l'antichambre, bien que sans fenêtres, avait été éclairée de lampes, autant les appartements de Mihai étaient plongés dans la quasi-obscurité.

Le valet avait disparu, refermant la porte derrière lui, et ses yeux mirent quelques instants à s'habituer et à distinguer la forme de quelques meubles. Cependant, il ne reconnaissait rien. Il n'était venu ici qu'en coup de vent, bouleversé par la mort inéluctable de Severus, et la décoration avait été le cadet de ses soucis. Ce fut la voix – ou plutôt le murmure – de Mihai qui le fit réagir et le resitua dans l'espace.

– Harry…

À présent, il devinait cette silhouette à demi-allongée sur un divan et il ne mit que quelques battements de cœur affolés à la rejoindre.

Il avait voulu garder de la distance et un peu de réserve, un semblant de dignité, mais maintenant qu'il était là, tout s'effondrait, ses réticences, ses résistances, et l'inquiétude jaillit dans son esprit, dans son cœur, dans son ventre, dans son regard sans doute, et il se laissa tomber à genoux sur le sol près du divan. Effaré. Il avait presque envie de prendre la main de Mihai dans la sienne, mais il n'osa pas. Parce que Severus, parce qu'il ne voulait pas donner de faux espoirs au vampire, parce que la pudeur…

– Mihai…

Et avec horreur, sa voix lui parut presque un gémissement.

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Ils restèrent un moment dans ce silence éperdu, vibrant, et finalement la voix de Mihai s'éleva, plus ferme, plus chaude, plus souriante.

– Assieds-toi… Tu es magnifique. Comment vas-tu ?

Encore sous le coup de l'émotion, Harry se redressa lentement et tira un fauteuil vers lui, au plus près du vieux vampire, comme pour se tenir à son chevet.

– Bien… Très bien. Je… Et vous? murmura-t-il d'un ton étranglé.

Mihai ne répondit pas mais dans la pénombre, sous les yeux à peine rougeoyants, Harry devina un sourire.

– Tu as bonne mine. Et tu as repris du poids… Tu as l'air d'aller bien mieux que la dernière fois que je t'ai vu…

Harry ne put empêcher une grimace amère à l'évocation de leur dernière « rencontre » dans le pavillon chinois. Depuis, tout avait tellement changé…

Pour lui, tout s'était arrangé jusqu'à parvenir à cette relation merveilleuse avec Severus, mais pour Mihai, chaque jour passé n'avait fait que l'emmener un peu plus près de la faim, de la faiblesse, de la déchéance. De la mort.

Dans la quasi-obscurité, Harry ne voyait pas précisément les traits du vampire mais il en était presque soulagé. Il en devinait déjà bien assez : un visage amaigri, pointu, des yeux enfoncés dans leurs orbites et des joues creuses. Le même masque mortuaire que Severus lorsqu'il avait ôté son glamour en revenant de Colibita… Même les cheveux autrefois magnifiques du vampire, noirs aux reflets bleutés, paraissaient aujourd'hui délavés, gris clair, et ils formaient la seule tâche de clarté dans cette pénombre étouffante mais bienvenue. La réalité aurait été trop difficile à regarder en face.

– Je vais très bien, insista Harry avec la voix la plus chaleureuse qu'il pouvait pour bien en convaincre Mihai.

Et avec la même assurance, il prit sa main dans la sienne, malgré sa maigreur décharnée, malgré les tendons saillants, et il la pressa doucement. Mihai avait besoin de vérités, de certitudes, et si son apparence en était déjà une, Harry devait aussi mettre toute sa force de conviction dans ses paroles.

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– Est-ce que… Severus te traite bien ?

Spontanément, Harry esquissa un sourire. Il savait bien d'où venait cette question, de quelles inquiétudes sous-jacentes et de quels souvenirs douloureux elle émergeait, mais tout ça était du passé.

– Il me traite parfaitement bien, assura-t-il. Il est tout à fait… exemplaire et… soucieux de moi. Il est parfait.

– Parfait ?! laissa échapper Mihai d'une voix légèrement voilée où pointait une ironie amère.

– Oui. Je vous assure que tout se passe vraiment bien. Il est très attentionné, il me respecte et il respecte la moindre de mes décisions ou de mes envies, et nous avons réussi à atteindre une relation très… douce.

– Est-ce que tu es heureux avec lui ?

Harry prit le temps de réfléchir, de creuser ses sentiments, de prendre un peu de recul sur le chemin parcouru et sur là où ils en étaient aujourd'hui… pour aboutir à une conclusion évidente :

– Oui. Et je ne regrette rien. Malgré ce qui s'est passé dans le pavillon chinois, je ne regrette rien.

– J'aurais dû pouvoir empêcher ça, soupira douloureusement le vampire.

Harry soupira lui aussi avec un sourire résigné. Il aurait aimé ne pas avoir à vivre cela, il aurait aimé pouvoir vivre un rituel d'union passionné avec Severus, pouvoir se donner à lui corps et âme comme il le faisait aujourd'hui, il aurait aimé de la douceur, de la tendresse, des morsures qui auraient couronné leur amour, mais cela n'avait pas eu lieu.

Peut-être parce qu'ils n'étaient pas les bonnes personnes pour ça… peut-être parce que les difficultés dans leur relation remontaient à bien avant : aux tensions qui existaient déjà entre eux, au sortilège d'union par lequel ils s'étaient liés… à sa captivité et à ce qu'il avait subi. Et encore une fois, tout ce cauchemar remontait jusqu'à Vladimir.

Mais ce cauchemar, ils en avaient fait quelque chose de bien, quelque chose de mieux. Il avait épousé Lucius, et sa relation avec son vampire était devenue si précieuse qu'il ne pourrait plus vivre sans… À coups de persévérance et de résilience, ils avaient dépassé ce cauchemar pour vivre une réalité plus belle et pour s'aimer à leur façon. Et c'était cela que Mihai devait comprendre. Les regrets ne servaient à rien d'autre qu'à se faire du mal.

– Mihai… vous n'auriez rien pu empêcher. C'était mon choix, c'était peut-être mon destin… Mais tout ça est du passé et l'on ne peut plus rien y changer. Ce qui compte, c'est aujourd'hui… et demain. Et aujourd'hui, je suis heureux de vivre avec Severus, j'aime notre relation, j'aime ses morsures, j'aime pouvoir le nourrir et me sentir utile pour lui, j'aime recevoir sa tendresse et compter autant à ses yeux… Et demain, je veux que tout soit exactement pareil.

Mihai esquissa à nouveau une grimace de dépit et sa voix était amère quand il répondit :

– Tu es plein de belles paroles et d'attachement pour ton vampire mais… Moi j'ai encore devant les yeux les images de ce jour où je t'ai trouvé inconscient dans le pavillon chinois. J'ai encore le regret de n'avoir pas pu empêcher ça, de ne pas t'avoir retenu le jour où tu es venu me trouver ici en espérant sauver Severus; j'ai encore le regret de tout ce que j'ai fait et surtout de ce que je n'ai pas fait… Mais peu importe. C'est mon fardeau. Je suis heureux de voir que toi, tu as dépassé tout ça et que tu as atteint cette relation si entière avec Severus. Tu mérites un vampire qui s'occupe bien de toi… même si ce n'est pas moi.

Harry baissa la tête et pinça les lèvres. Il savait bien ce que sous-entendait Mihai : qu'il était le seul calice dont il aurait eu envie et qu'il lui était définitivement interdit. Et la culpabilité l'assaillit encore une fois, immense et écrasante, au point qu'il craignit un instant que Severus ne s'invite dans la pièce en percevant ses états d'âme.

– Je ne t'en veux pas, murmura Mihai en constatant son trouble. Severus est toute ta vie. Et même si le chemin a été difficile, ce que vous partagez aujourd'hui prouve que tu as eu raison de choisir de le sauver.; Severus avait plus besoin de toi que moi…

Le vampire se tut un instant et cette fois, ce fut lui qui caressa doucement sa main dans la sienne.

– Je comprends tes choix. Et dans ta situation, j'aurais sans doute fait les mêmes. Je regrette juste qu'un autre chemin n'ait pas été possible.

La main cramponnée à celle de Mihai, Harry employait toute son énergie à ignorer l'émotion et la douleur qui rampaient dans son ventre. C'était une absolution, mais elle était horrible à entendre et à ressentir.

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– J'ai appris que tu t'étais marié, fit Mihai d'une voix plus chaleureuse après un silence.

– Oui, sourit Harry en relevant la tête. Avec Lucius, en septembre… dans les jardins du Manoir. Sous les étoiles et au milieu des parterres de roses.

Et comme Mihai l'avait sans doute souhaité, le souvenir de ce jour merveilleux chassa immédiatement ses relents de culpabilité.

– Ils m'en ont parlé tous les deux, répondit le vampire. Lucius et Severus… Il a beaucoup apprécié que tu te sois autant soucié de lui dans l'organisation de la cérémonie.

– Ce n'était pas que la cérémonie, murmura Harry sans réfléchir. Il vous a parlé de la morsure ?

– Oui, il l'a fait, affirma Mihai et il pouvait sentir le sourire dans sa voix. La première morsure où tu le laissais te mordre dans le cou, comme un calice… Et il m'a aussi dit que tu lui avais laissé ta nuit de noces avec Lucius.

– C'était… particulier. Il fallait équilibrer les choses…

Harry n'était pas surpris ou choqué que le vampire sache autant de détails sur cette nuit-là. Il n'arrivait même pas à trouver cela gênant. Quelque part, depuis le pavillon chinois, Mihai avait gagné le droit d'accéder à leur vie privée, à leur intimité… Et sans doute que de pouvoir se confier sur cela avait aidé Severus à comprendre et à traverser cette période de doutes et de bouleversements.

Brusquement, il se demanda même si le vampire savait que Severus et lui n'avaient plus de rapports sexuels depuis le pavillon chinois… Que leur « relation » se limitait à des morsures et de la tendresse. À part le plaisir spontané, quelquefois; de plus en plus rarement…

– Et tu arrives toujours à préserver cet équilibre avec Lucius ? Malgré ta relation particulière avec ton vampire ?

– Oui, répondit spontanément Harry. Je passe presque plus de temps avec Lucius, parce que nous dormons ensemble, et parce que la journée, Severus travaille… Mais j'essaye de faire en sorte que personne ne se sente lésé. Je leur laisse des moments tous les deux, aussi. Et puis, peu à peu, j'arrive à inclure Lucius dans notre relation. Même pendant les morsures…

– Pendant les morsures ?! fit Mihai d'une voix surprise.

Mieux que quiconque, il savait le tabou que cela représentait.

– Oui. C'est arrivé deux ou trois fois…, avoua Harry avec le souvenir nostalgique de ces moments particuliers. Au début, ce n'était pas volontaire; c'était parce que j'avais besoin d'une morsure à ce moment-là, ou parce qu'il nous a surpris… Mais Severus a très bien réagi, il a su me faire comprendre que je n'avais pas à me sentir coupable, et quelque part, Lucius fait partie de nous depuis le début… Une morsure en sa présence, c'est devenu comme une sorte de communion, un moment de partage ultime entre nous. Une façon de renouveler nos liens…

Mihai se tut quelques instants mais Harry ressentait sa profonde surprise, et également son respect.

– Vous formez vraiment un couple très étonnant, tous les trois…

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– Et comment va ta fille ? demanda Mihai après un silence qui devenait malgré tout de plus en plus calme et tranquille.

– Bien ! Très bien, s'empressa Harry avec un large sourire. Elle va avoir un an dans quelques jours… Elle grandit, elle marche toute seule, elle passe son temps à grimper partout… Il suffit que je la quitte des yeux quelques secondes et je la retrouve sur la troisième marche de l'escalier ! Elle rigole tout le temps et elle est adorable. Elle appelle Lucius « Badi » parce que je l'appelle « Blondie », et elle adore lui faire des gros bisous tout baveux, et il a horreur de ça ! gloussa-t-il. Ou peut-être bien qu'il adore ça et qu'il ne veut pas l'avouer… Et Severus… il s'occupe d'elle comme si elle était sa fille.

Harry ricana de lui-même. Il s'était peut-être un peu emporté, comme souvent, mais sa fierté paternelle ressurgissait à chaque fois qu'il parlait d'Aria. Et le sourire amusé et tendre de Mihai en était bien conscient.

– Tu ne l'as pas emmenée ?

– Non. Pas cette fois…

Il hésita un instant, sachant très bien qu'il allait rompre leur quiétude et leur conversation devenue plus tranquille, mais il était là pour ça aussi.

– … Il vous faudra venir la voir.

– Tu sais ce qu'il en est, Harry, soupira Mihai. Je suis trop faible pour ça.

– C'est pourquoi il faut boire. Et vivre. Trouver un donneur, ou reprendre un autre calice. Vous aviez promis de venir vous promener un jour dans les jardins du Manoir. Je vous attends toujours… Et bientôt Aria pourra venir trottiner avec nous.

Mihai ne répondit pas mais son pouce caressait doucement le dos de sa main.

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Ils restèrent un moment dans ce silence doux, calme et un peu ému. La chaleur confortable et feutrée de la pénombre. Et puis Mihai reprit la parole, presque à contrecœur :

– Harry… je ne veux pas te chasser, mais j'aimerais pouvoir dire quelques mots à Severus avant d'être trop fatigué. Est-ce que tu peux le faire entrer… et nous laisser ?

– Bien sûr. Je vous reverrai un peu plus tard…

Après une dernière caresse, Harry relâcha la main frêle et froide, se leva lentement et se dirigea vers la porte. Son vampire était là, dans l'antichambre, plongé dans un ouvrage plus ancien que Mihai lui-même. D'un signe de tête et d'un sourire résigné, il lui signifia que Mihai l'attendait et Severus disparut bientôt dans les appartements du Gouverneur.

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Il en ressortit à peine quelques minutes plus tard, le visage sombre et soucieux, tandis qu'un valet sorti de nulle part refermait la porte sur lui.

– Déjà ?! s'étonna Harry en se levant d'un bond de son siège. Est-ce que… tout va bien ?

– Il s'est… « assoupi », expliqua Severus. Il est trop fatigué pour le moment. Viens…

– Est-ce qu'il sera possible de le voir plus tard ? demanda Harry à son vampire autant qu'au valet. J'ai encore…

Des choses à lui dire; les lettres de Charlie à lui donner; besoin de le convaincre de vivre… mais il ne confia rien de tout ça.

– Je crains que ce ne soit pas possible avant plusieurs heures, expliqua le valet. Peut-être pas avant la tombée de la nuit, ou même demain… Le Gouverneur met toujours beaucoup de temps à s'en remettre et l'entrevue a duré longtemps.

Harry ouvrit des yeux ronds : il n'était resté qu'une dizaine de minutes avec Mihai. Peut-être un quart d'heure. Et Severus deux ou trois minutes… Un moment fugace et des heures pour récupérer de cette fatigue. La dégradation de l'état du vampire était plus palpable à cela qu'à le voir allongé et émacié, et cette nouvelle confrontation avec la réalité lui broya le cœur.

– Viens, fit Severus en passant un bras autour de ses épaules pour l'entraîner avec lui. Retournons à nos appartements. Il ne sert à rien d'attendre ici.

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Harry se laissa conduire, partagé entre une sorte de sidération et une inquiétude latente. Ils rejoignirent leurs appartements en quelques couloirs silencieux et déserts. Entre ces murs de pierre et de marbre, parfois sculptés, peints ou couverts de tapisseries monumentales, ils ne croisèrent, encore une fois, personne, et il s'en étonna auprès de Severus.

– C'est un monde de vampires, répondit-il en souriant. Le Palais est plus agité la nuit que le jour…

Bien sûr. Il était idiot de ne pas y avoir pensé, et en y songeant à présent, il se fit la réflexion que presque partout, la lumière était artificielle : lampes, lustres ou flambeaux, et que si fenêtres il y avait, elles devaient être cachées ou voilées la plupart du temps.

Une impression d'étouffement le prit brusquement à la gorge et quand ils pénétrèrent enfin dans leurs appartements, Harry fut soulagé d'y voir filtrer un peu de lumière du jour par la fenêtre. Il hésita un instant en regardant son vampire mais l'envie de lumière et d'air pur fut plus forte que tout et il ouvrit la porte-fenêtre pour sortir sur la petite terrasse.

La clarté le prit de plein fouet, tout autant que le froid cinglant, l'air frais et vivifiant qui pénétra loin dans ses poumons avec une impression de brûlure, et cette sensation d'immensité. Les montagnes couvertes de forêt s'élevaient sur sa gauche et sur sa droite, mais devant lui s'étendait la petite ville nichée dans le creux de la vallée, et plus loin, à perte de vue, une étendue d'eau limpide toute en longueur, bleue malgré le ciel gris, qui s'enfuyait vers un fleuve, vers la mer, et brusquement, il eut l'impression d'être en Écosse, au bord d'un loch, et c'était merveilleux.

Harry était perdu dans la contemplation du paysage et il mit quelques secondes à se rendre compte que Severus était venu le rejoindre sur la terrasse. Sous le couvert de sa grande cape, et le capuchon relevé sur sa tête au point qu'il ne voyait pas son visage, mais tout de même dehors !

– Tu es fou ! s'exclama-t-il. Il y a bien trop de lumière pour toi !

– Et toi, tu vas prendre froid ! le sermonna Severus. Ceci dit, étonnamment, je supporte mieux la lumière ici qu'au Manoir, ajouta-t-il après un silence.

Harry le regarda un instant, cette grande silhouette enveloppée dans les replis sombres de sa cape et de son aura, et il soupira avec résignation. Severus était assez grand pour savoir ce qu'il avait à faire. Puis il reporta son regard sur la multitude de toits rouges ou bruns, de rues, de petites places, sur la rivière qui serpentait jusqu'au lac à travers la ville et sur les forêts de pins qui dévalaient les pentes des montagnes, et il sourit.

– C'est magnifique.

– Oui, confirma Severus. C'est un joli pays. Est-ce que tu veux que nous allions visiter un peu le Palais et la ville ?

– Je… Sans vouloir te vexer… je vais avoir besoin de manger.

Il l'avait dit presque en s'excusant d'un besoin aussi trivial, mais de façon surprenante, Severus éclata de rire dans l'air cristallin et Harry fut subjugué.

– Bien sûr. Et ça fera une excellente raison de te mettre au chaud tant que tu n'es pas plus couvert !

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Severus se chargea de tout : de sonner le valet d'étage, de commander un grand repas– sous-entendu une version pour calice –, et de transformer la table basse pour qu'il puisse s'installer correctement pour manger…

Et quand il vit l'immense plateau devant lui, Harry faillit en pleurer de bonheur. Parce qu'il avait une faim de tous les diables, bien sûr mais surtout parce qu'il y vit tout un tas de souvenirs concentrés sous forme de nourriture : un grand bol de ciorba de perisoare, une assiette de zacusca, des sarmales accompagnés de mamaliga, un ragoût de viande et de pommes de terre dont il avait oublié le nom, et surtout, surtout, des mititei, et il aurait sans doute pu en manger une bonne dizaine de plus !

Merlin ! Tout ça le ramenait des années en arrière, les quelques mois où il avait vécu en Roumanie avec Charlie, les restaurants qu'ils avaient faits de temps à autre, et surtout les repas à la cantine de la réserve, les ragoûts qui tiennent au corps et qui donnent chaud, les rires des autres dragonniers autour de la table et les plaisanteries échangées à la volée, que Charlie lui traduisait quand il ne comprenait pas les mots familiers ou un peu crus…

Des souvenirs pour ses papilles et des souvenirs dans son cœur. Une nourriture aussi chaleureuse que les hommes de la réserve, aussi réconfortante que Charlie l'avait été… Et brusquement, Harry regretta un peu que le dragonnier ne soit pas venu avec eux.

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Une fois rassasié, Severus lui fit visiter quelques-unes des pièces monumentales du Palais, les salons d'apparat, les salles de réception, une immense bibliothèque qui avait sans doute plusieurs siècles d'âge et qui contenait des milliers d'ouvrages… Harry se fit expliquer son système de classement, puis après avoir parcouru les rayons, il demanda l'autorisation de consulter quelques livres que le conservateur fit aussitôt envoyer dans leurs appartements.

Après quoi, ils descendirent dans les sous-sols du Palais et Severus lui montra les fameux bains d'argent. En silence, ils contemplèrent un moment la substance mouvante et argentée qui luisait faiblement dans la lueur des flambeaux.

Puis Harry vit Severus s'approcher lentement, avec cette petite lueur fascinée dans le regard qui l'effraya immédiatement. La main de son vampire se promena avec délicatesse sur la surface ondoyante du liquide, l'effleurant dans un grésillement à peine perceptible, mais quand il vit Severus s'asseoir en amazone sur le rebord du bain d'argent, il s'affola et l'attrapa par le bras pour le tirer hors d'atteinte de ce danger trop envoûtant.

– Éloigne-toi de ce truc ou je te jure que tu vas jeûner pendant quelques jours !

Severus se contenta de sourire, de glisser son bras autour de ses épaules et un baiser dans ses cheveux.

– Jamais… Si j'ai pu y songer à un moment, tu m'as donné toutes les bonnes raisons d'oublier cette tentation.

Mais Harry n'était pas tranquille et il ne put respirer correctement que lorsqu'ils furent remontés des profondeurs du Palais et qu'ils se retrouvèrent dehors, à l'air libre, à découvrir les rues bordées d'arbres et les ruelles de Colibita.

Sous son capuchon qui couvrait entièrement sa tête et qui laissait son visage dans l'ombre, sous son immense cape noire et ses gants de peau de dragon tout aussi sombres, Severus n'était même pas reconnaissable, mais les passants ne cessaient de les fixer discrètement. Était-ce leurs tenues qui faisaient immanquablement d'eux des étrangers ? Était-ce son visage à lui et sa couleur de peau trop dorée qui surprenaient ? Ou bien l'aura de Severus qu'il laissait presque librement flotter autour d'eux… ?

Et puis, peu à peu, Harry se détendit, il oublia les bains d'argent et les regards, et il se contenta d'apprécier la promenade et la découverte de la ville. Pour une fois qu'il pouvait profiter de marcher librement à l'extérieur avec son vampire ! Sans avoir à le supplier de bien vouloir sortir malgré le jour et la lumière… Le moment était trop précieux pour ne pas le savourer pleinement et il finit par glisser son bras au bras de Severus le plus naturellement du monde.

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oooooo

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Harry reposa sa tasse de thé vide, referma son livre emprunté aux bibliothèques du Palais et s'étira avec volupté. Il était fatigué et repu : le dîner avait été aussi délicieux que le déjeuner et la promenade dans la ville l'avait étonnamment… vidé. Ça, et l'émotion douloureuse de revoir Mihai, et cet entretien étrange à leur retour au Palais avec le Gouverneur par intérim…

Un vampire, là aussi. Moins ancien que ne l'était Mihai, moins puissant peut-être, mais dont l'aplomb et l'assurance avaient été un peu déstabilisants. On sentait un homme de pouvoir comme pouvait l'être Lucius, sec, direct, autoritaire… Severus le connaissait déjà, de toute évidence, et il avait rapidement atténué ses craintes sur ses intentions en venant à Colibita.

Au fil de la conversation, le Gouverneur s'était adouci, mais en savourant le thé et les pâtisseries amenés spécialement pour lui, Harry avait été un peu mal à l'aise sous son regard curieux, puis vaguement envieux. Ici, les calices étaient sacrés mais cela n'empêchait visiblement pas d'examiner et d'évaluer ceux des autres…

Au final, il avait été bien content quand Severus avait pris congé pour remonter dans leurs appartements.

Depuis, la nuit était tombée et ils avaient pu ouvrir les rideaux et les tentures en grand, et il avait dîné en contemplant la vue sur la ville illuminée de lumières et sur les pentes sombres des forêts de pins.

Harry se leva de son fauteuil, soudain las, et il resta quelques secondes à regarder la nuit féerique par la baie vitrée. Puis il se détourna pour rejoindre Severus sur le canapé, le bouscula doucement pour se faire une place et s'installa entre ses cuisses. Leur position, habituelle et pourtant toujours si intime, ses bras crochetés autour de sa taille, comme pour l'empêcher de s'enfuir, mais ici, il était un prisonnier volontaire, consentant, et il n'aurait voulu s'enfuir pour rien au monde…

– Je suppose que ça veut dire qu'il est l'heure de la morsure ? ricana Severus tandis que Harry penchait la tête de côté pour offrir son cou.

– Oui. Je suis fatigué et je ne vais pas tarder à aller me coucher…

À ces mots, Severus caressa doucement ses bras et embrassa la peau de son cou.

– Beaucoup de changements en une seule journée…

Sans doute… Et pourtant, Severus l'avait mordu dans la matinée, pour le rassurer avant qu'ils n'aillent rencontrer Mihai, mais la journée avait été riche en découvertes, en émotions et en sentiments, encore trop confus pour qu'il arrive à y faire le tri.

Et sans s'attarder davantage, Severus le mordit avec une douceur moelleuse et confortable qui lui fit fermer les yeux de contentement.

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Calé contre le torse de son vampire, Harry n'avait pas très envie de bouger. Severus avait terminé de boire depuis un moment, mais s'il finissait par s'endormir là, bien au chaud entre ses bras, peut-être qu'il le porterait jusqu'au lit sans qu'il n'ait besoin de se lever… L'idée était tentante mais le ridicule de la situation le fit glousser malgré tout.

– Qu'est-ce que tu vas faire cette nuit, pendant que je vais dormir ?

Severus avait emmené un peu de travail pour s'occuper si besoin était, une traduction de runes anciennes, ou bien une étude de texte que lui avait commandée un éditeur, mais il n'avait encore rien sorti. Pour lui aussi, les ouvrages des bibliothèques du Palais semblaient un puits sans fond destiné à assouvir sa curiosité.

– Je vais sans doute sortir un peu, profiter de l'obscurité pour aller prendre l'air, même si on est déjà sortis cette après-midi. Et puis je suppose que le conseil des Anciens voudra me voir… Et ça risque de prendre une bonne partie de la nuit !

– Qu'est-ce qu'ils te veulent ?! s'alarma Harry. Est-ce que c'est… risqué ? Le gouverneur par intérim n'avait déjà pas l'air très avenant !

Il sentit Severus glousser dans son dos, franchement amusé, avant que ses bras ne le serrent un peu plus fort contre lui.

– Pas du tout, fit-il avec un sourire dans la voix. Le Gouverneur est juste méfiant. Il est responsable de toute la communauté de Colibita et de tout ce qu'elle représente, et la situation internationale reste tout de même tendue. Il voulait simplement être sûr de nos intentions… Quant au conseil des Anciens, ce sont juste de vieux vampires érudits en mal de nouveauté et qui sont fascinés par le fait que j'ai pu conserver ma magie de sorcier après ma transformation. Ils vont juste me poser un millier de questions et me demander de réaliser un autre millier de sortilèges pour comprendre comment je fais… Il est d'ailleurs possible qu'ils souhaitent te rencontrer… Est-ce que tu accepterais ?

– Tant qu'ils me laissent dormir quelques heures, maugréa Harry.

– Pas cette nuit ! ricana Severus. Ils respecteront ton besoin de sommeil… Mais si tu ne souhaites pas les voir, je refuserai en ton nom.

Harry haussa les épaules.

– Je ne suis pas à quelques regards curieux près…

– Je sais que c'est un peu lassant d'être un objet de curiosité ici, mais nous formons un duo un peu étrange pour eux…

– À ce point ?

– Ma puissance est importante et cela surprend d'autant plus que je suis un jeune vampire. Mais pour eux, la tienne est inédite. Ici, les sorciers forment une minorité de la population, et leur puissance habituelle est bien inférieure à celle de la plupart des sorciers anglais. Mais toi tu rayonnes littéralement de magie et les vampires en particulier perçoivent à quel point elle est particulière et différente d'une magie classique. Tu éveilles leur intérêt… Ils sont tous subjugués, gloussa Severus en fourrageant de son visage dans son cou avant d'embrasser l'endroit de la morsure. Et un peu jaloux.

Harry frissonna sous le baiser et sourit. Il devinait la fierté possessive de son vampire et le petit sursaut d'orgueil qu'il devait ressentir à chaque regard trop appuyé sur lui. Le Severus d'avant n'avait pas été si vaniteux et si arrogant, mais devenir un vampire, surtout depuis que leur relation se passait bien, avait allumé en lui un petit côté prétentieux et satisfait qui le faisait toujours sourire.

– Je n'appartiens qu'à toi, gloussa-t-il.

Et ils se figèrent brusquement, parce que ces mots-là faisaient écho à d'autres mots, presque rituels, qu'il avait prononcés avant… Avant la morsure, avant la transformation, quand il leur disait « je vous appartiens » comme une profession de foi et une confession de son amour.

Derrière son dos, il sentit Severus se tendre, se souvenir de ces jours d'avant, inspirer profondément et expirer douloureusement. Ses bras le serrèrent un peu plus fort et son front se posa à l'arrière de sa tête.

– Bon sang. Je n'ai jamais cessé de t'aimer.

Harry posa sa main sur celle de Severus, la caressa doucement avant d'entrelacer leurs doigts.

– Je sais…

Il ne voulait rien promettre, il ne savait pas où ils en seraient dans un an, dans dix ans, dans une éternité… mais Severus avait toujours compté. Et il comptait encore.

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Un long moment plus tard, Harry s'arracha à la torpeur qui le gagnait peu à peu et se leva lentement du canapé. Ils n'avaient pas dit un mot de plus, ils étaient restés sur cette confession farouche et craintive à la fois; des sentiments qui remuaient dans son ventre et des pensées qui tourbillonnaient dans sa tête et il était épuisé.

Il se prépara rapidement dans la salle de bains puis revint dans la chambre pour se déshabiller. Là-bas, sur le canapé, Severus n'avait pas bougé.

– Sev, viens te coucher avec moi… S'il-te-plaît.

– Harry… je viens de boire. Et je te rappelle que je ne dors plus.

– C'est pourquoi j'ai dit « te coucher », et non pas « dormir ». S'il-te-plaît.

Severus se leva et vint s'encadrer dans l'entrée de la chambre, les sourcils froncés et le visage soucieux.

– Harry, qu'est-ce que tu veux ?

Croyait-il qu'il lui proposait autre chose, quelque chose qui réponde à sa confession ?

– Rien de plus que ne pas me coucher tout seul.

Harry était déjà presque nu, le dos tourné à son vampire. Il acheva de baisser et d'enlever son boxer et se glissa sous la couette rapidement.

– Viens.

Et puis brusquement, quelque chose céda en Severus et il retira ses chaussures avant de s'approcher du lit. Il n'allait pas se priver d'une occasion de tendresse si son calice le réclamait. Et tant pis pour sa frustration !

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Harry grogna de dépit quand il s'allongea à son tour et Severus mit quelques secondes à en comprendre la raison : le temps que la magie de son calice ne se promène sur son corps jusqu'à le laisser nu dans le lit. Et toutes lumières éteintes par la même occasion.

Aussitôt, Harry le poussa légèrement pour le faire basculer sur le dos et il s'installa contre lui, niché contre son corps, la tête dans le creux de son épaule et une jambe glissée entre les siennes. Comme il s'installait avec Lucius et comme ce n'était plus arrivé avec lui depuis bien longtemps.

Severus ferma les yeux et respira profondément pour maîtriser l'émotion qu'il sentait grandir en lui. Son bras se resserra autour des épaules de son calice et il glissa son nez dans ses cheveux pour inspirer son odeur et s'en rassasier. Un moment et une position tellement inespérés qu'il arrivait à peine à y croire et à réaliser son bonheur. Malgré tout, il choisit la dérision pour ne pas se montrer trop ému et effrayer son calice.

– Luce te manque ? ricana-t-il.

Harry gloussa, se pelotonna un peu plus contre lui puis avoua plus sérieusement :

– Oui. Je n'aime pas cette idée d'être parti loin de lui en le laissant seul. Quand c'est lui qui part, c'est différent…

– Ne t'en fais pas pour Lucius, il a de quoi s'occuper !

Au fond, les scrupules de Harry l'amusaient, même s'il les partageait un peu. Être là avec son calice mais sans Lucius avait quelque chose de dérangeant… mais aussi de savoureux. Rien que pour cette soirée, cette étreinte dans le canapé et maintenant dans le lit, il ne pouvait pas regretter que Lucius ne soit pas venu.

Harry était lové contre lui d'une manière qui n'avait plus existé entre eux depuis des mois. Il pouvait sentir la chaleur de son corps qui rayonnait vers le sien, tous ces endroits de sa peau qu'il touchait sans retenue, le coude replié sur son ventre et la main abandonnée sur son torse, la cuisse le long du pli de son aine et le genou qui comprimait son sexe.

Et plus il y pensait, et plus cela devenait de la torture, au point que Severus baissa la main pour écarter un peu ce genou qui allait finir par lui donner une érection malvenue.

– Bon sang, Harry ! Ne me pousse pas trop loin si tu ne veux pas avoir affaire à des réactions naturelles !

– Désolé, gloussa-t-il.

Mais il avait bien compris le message car sa jambe glissa un peu plus bas sur sa cuisse, loin de son bas-ventre et de la tentation.

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– Que crois-tu qu'il fasse ? murmura Harry d'un ton songeur.

– Lucius ?

– Mmhh… Tu crois qu'il est déjà couché ?

– Certainement pas, sourit Severus dans les cheveux de son calice. Là-bas, il est trois heures de moins qu'ici, et puis il était de sortie ce soir…

Harry redressa brusquement la tête :

– De sortie ?! Mais il ne m'a rien dit.

– Il ne voulait pas influencer ta décision de partir ou de rester, j'imagine… Mais du coup, il allait au théâtre avec Draco et Daphnée.

– Les deux ? Mais qui garde les enfants ?!

– Blaise et Alicia, je crois.

Harry gloussa, puis se mit à rire plus franchement avant de se réinstaller contre lui, le sourire aux lèvres.

– Tu crois qu'elle s'entraîne pour quand ce sera son tour ? fit-il d'une voix qui étincelait d'affection et d'amusement.

Severus ne répondit pas et se contenta de caresser doucement le bras de son calice. Il n'était pas proche d'Alicia, et pas vraiment de Blaise, et tout cela ne le touchait pas beaucoup mais la question des enfants était toujours importante pour Harry.

– Et toi, quand est-ce que tu remets ça avec Luna et Padma ?

Harry sursauta littéralement entre ses bras et tourna la tête en posant le menton sur son épaule pour le dévisager malgré la pénombre. Tenter de deviner à quel point il était sérieux et à quel point cela tenait de la plaisanterie… Mais malgré le sourire dans sa voix, Severus était on ne peut plus sincère.

– Je ne sais pas, fit Harry en reposant sa tête dans le creux de son épaule tandis que sa main caressait distraitement son torse. De toute façon, je ne veux pas initier cette demande; je veux que ce soit leur choix à elles… Et si elles veulent un autre père, je ne m'en offusquerai pas. Et puis je ne sais pas… si toi et Lucius, vous accepteriez…

– Alors c'est que tu nous connais encore bien mal.

Doucement, Severus libéra son aura pour en envelopper son calice et pour bien appuyer toute la vérité de ses paroles jusqu'à le sentir soupirer d'aise. Puis Harry déposa un baiser sur son torse et se serra un peu plus contre lui.

– Mihai m'a demandé si je l'avais emmenée…

Le glissement de leur conversation vers le vieux vampire le fit sourire dans l'obscurité. Depuis ce matin, Harry avait refusé d'aborder le sujet mais à présent, ses sentiments semblaient plus posés, plus mûrs, plus à même d'être confiés…

– Aria ?

– Mmhh… Je lui ai dit que non. Que c'était à lui de venir la voir en Angleterre.

– Tu sais bien que…

– Je lui ai dit qu'il n'avait qu'à se trouver un donneur ou un calice… Que s'il voulait me voir… la voir, c'était une question de choix.

Derrière la dureté apparente des paroles, Severus percevait toute l'inquiétude et le désarroi de son calice. Se sentir démuni, ne pas pouvoir influer sur ce choix, vouloir le convaincre et ne pas avoir assez d'arguments pour le faire… Et puis cette petite phrase, dont il n'arrivait pas à déterminer si s'agissait d'un lapsus ou si elle était volontaire…

Après avoir été si longtemps en colère, blessé et humilié par ce que Mihai avait pu voir et comprendre dans le pavillon chinois, Harry semblait revenu à cette espèce d'amitié flamboyante, irraisonnée et un peu trouble envers le vieux vampire. Cette fascination sulfureuse et maintenant anxieuse de le voir dépérir…

Severus en avait longuement parlé avec Lucius avant leur départ. Son mari avait tenu à ce qu'il soit bien conscient des sentiments toujours ambivalents que Harry entretenait vis à vis de Mihai, mais pour Severus, cela n'avait été qu'une confirmation de ce qu'il savait déjà. Dans le pavillon chinois, il avait même compté sur cet attachement pour que Harry devienne le calice de Mihai si jamais celui-ci en venait à le tuer… Et aujourd'hui, Harry se servait de cet argument pour essayer de pousser le vampire à vivre, un chantage affectif comme ultime ressort, et Severus ne pouvait pas lui en vouloir. Harry avait semblé si triste et désemparé en sortant de son entrevue avec le vampire que cela lui avait broyé le cœur.

– Qu'est-ce qu'il t'a dit, quand tu l'as vu ?

– Il m'a demandé si j'étais maquillé ou si je venais de te mordre pour avoir si bonne mine, s'amusa Severus. Il m'a dit qu'il était heureux pour nous. Qu'il était soulagé. Qu'il t'avait trouvé resplendissant…

Harry gloussa sur le mot resplendissant et Severus sourit à son tour. Il ne dit pas en revanche que de les voir l'un et l'autre si heureux et satisfaits de leur situation et de leur lien, avait conforté Mihai dans l'idée qu'il n'avait plus besoin de vivre pour garder un œil sur eux…

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Les yeux fermés, le visage enfoui dans les cheveux de son calice, Severus savourait. Harry s'était endormi depuis un bon moment, le corps lourd, la respiration lente et il était presque avachi sur lui. Severus ne s'en plaignait pas, bien au contraire. Le plaisir qu'il retirait de cette étreinte était inestimable, et surtout, il savourait la confiance implicite de son calice. Malgré la confession de son amour intact, échappée comme si elle lui brûlait les lèvres, malgré sa possessivité farouche, malgré le désir que Harry devait parfois deviner derrière ses morsures, il n'avait pas hésité à le faire venir dans son lit, nu, juste pour le plaisir d'être enlacé avant de s'endormir.

Il lui faisait confiance pour savoir se maîtriser, il lui faisait assez confiance pour réussir à s'abandonner au sommeil, sans défense, entre ses bras, dans un lieu inconnu et au milieu de dizaines de vampires…

Et cette confiance retrouvée, après des mois d'efforts et d'abnégation, était un baume magnifique sur ses blessures. Une caresse pleine d'apaisement sur son âme meurtrie et qui le faisait se sentir plus calme et plus puissant que jamais.

Severus sourit à imaginer ce que devaient ressentir les autres vampires, et même les calices, à la ronde. Il avait complètement relâché son aura, sa puissance, et son amour devait tellement transpirer dans ses sentiments qu'il s'attendait à des sourires moqueurs ou amusés la prochaine fois qu'il sortirait de leurs appartements.

Peu importe qu'ils n'aient pas de rapports sexuels, que leur amour – ou du moins le sien – reste chaste et platonique… leur lien était si puissant, si intense qu'il se sentait capable de renverser des montagnes. Et il ne doutait pas que quelque part, loin au fond de lui, et même si ce n'était pas de l'amour, Harry lui était attaché.

Je n'appartiens qu'à toi, avait-il dit, et Severus aurait pu pleurer à ces mots.

Et tandis qu'il les entendait encore, dans ce qui serait assurément un des plus beaux souvenirs de sa vie, il sentit ses yeux briller étrangement dans la pénombre et il serra un peu plus contre lui le corps chaud, doux et détendu de son calice.

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Merci à tous de votre lecture et de votre fidélité. N'hésitez pas à me donner votre avis sur ce petit voyage à Colibita ;)

La semaine prochaine, la deuxième partie de ce séjour en Roumanie entre Harry et Severus. Nous y reverrons aussi Mihai, bien sûr, et... Andréas ^^

Au plaisir

La vieille aux chats