Résumé: Harry et Severus se rapprochent inexorablement, sans oser encore franchir certaines réticences. Après avoir été "convoqué" par les Gobelins qui lui demandent son aide pour une potion, Harry partage quelques confidences avec Lucius pour éclaircir leurs sentiments et leurs positions dans cette nouvelle relation à trois qui se dessine lentement...
Aujourd'hui, Harry va faire un petit cadeau à son vampire, et Lucius va lui faire un don particulier... Bonne lecture! ;)
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Le Manoir sentait la cannelle, l'orange et le pain d'épices. Le parfum des bougies et des feux de cheminée. Les sapins dans toutes les pièces et les décorations accrochées jusque dans les plantes qui ornaient la véranda et le mur de la rotonde… Noël.
Quelque chose de si doux dans l'air et dans son cœur que Harry avait l'impression de sourire en permanence. Peut-être parce que Draco et Daphnée étaient là, avec leurs enfants; peut-être parce que c'était son premier vrai Noël avec sa fille; peut-être parce qu'il était heureux, tout simplement. Si formidablement heureux que parfois, il se sentait étourdi de magie, de puissance, et qu'il brûlait de se faire mordre au fond d'un lit, enlacé par ses deux conjoints, pour évacuer un peu de cette effervescence. Mais le corollaire à la présence de toute la famille, c'était aussi qu'il était un peu moins libre et que ces désirs-là devaient attendre le soir et le coucher général.
Harry versa délicatement le dernier ingrédient du jour dans le chaudron et remua lentement la préparation. La potion des gobelins avançait bien, elle serait prête avant la fin de l'année et elle n'empiétait pas trop sur son temps en famille. Malgré l'absence de Charlie et Matthieu partis au fin fond de la Chine, il avait vraiment envie de profiter de la présence de tous les autres. Tant qu'il était dans le laboratoire, il en profita pour jeter un œil à ses essais pour la potion de régénération cutanée et réfléchir à la suite. La recette de la potion des gobelins lui avait donné de nouvelles idées et il venait également de recevoir de Neville de nouveaux échantillons de plantes dont il attendait depuis longtemps la floraison.
Des pensées plein la tête, il commença à remonter lentement l'escalier en colimaçon avant de s'arrêter net, surpris de se trouver nez à nez avec sa fille et Lucius, juste à côté d'elle, qui la tenait par la main en l'aidant à descendre les marches. Derrière eux, Minerva qui souriait, amusée de le voir si déconcerté, puis Scorpius et Draco qui fermaient la marche.
– Et où allez-vous tous comme ça ?!
– Ba Di… Ouf !
Harry baissa les yeux vers sa fille avec un sourire vaguement coupable devant les premiers mots qu'elle parvenait à dire.
– Tu vas faire Plouf ! avec Blondie ? fit-il en lui tendant la main tandis que Minerva gloussait fort peu discrètement.
Lucius grimaça amèrement devant ce surnom disgracieux devenu presque une habitude.
– Méfie-toi de ce que tu lui apprends ! Je pourrais très bien réclamer vengeance et t'entraîner là-dedans pour un petit duel, ironisa-t-il en désignant d'un signe de tête la salle de duel derrière eux, devenue inusitée au fil du temps.
– Quel genre de duel ? ricana Harry tandis que Draco levait les yeux au ciel devant leurs chamailleries pleines de tendresse et de dérision.
Ils achevèrent tous de descendre l'escalier, puis Draco s'éloigna rapidement avec Scorpius tandis qu'ils échangeaient un baiser rapide. Il restait toujours un peu mal à l'aise quand il leur arrivait de flirter en public.
Et tandis qu'ils passaient à leur tour sous le rideau de magie qui protégeait la piscine, Lucius l'enlaça brusquement pour venir murmurer à son oreille :
– Si la perspective d'un duel avec moi ne t'effraie pas, je pourrais aussi changer de punition : t'attacher nu dans l'antichambre et t'y laisser végéter jusqu'à ce que Severus vienne y chercher sa morsure du soir…
Harry frissonna violemment, les yeux brillants d'excitation et murmura en retour :
– Ce ne serait plus une punition, ça… Blondie !
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Harry arborait toujours un sourire pétillant pendant que les enfants se déshabillaient dans la rotonde embuée d'humidité et de chaleur. Lucius se chargea de sortir les draps de bains, Draco de transformer les sous-vêtements de ses filles en maillot de bains tandis qu'il installait Aria sur la petite bouée pirate qui avait autrefois servi à Scorpius, avec tout un tas de sortilèges de flottaison et de sécurité. Puis ils se déshabillèrent à leur tour, Draco leur tournant le dos, toujours un peu embarrassé devant la quasi-nudité de son père, et Harry adressa un sourire complice à son mari.
Cette attitude toute en gêne et en pudeur de Draco ne cessait de l'amuser, et pourtant le fils n'avait rien à envier au père. Ils avaient la même silhouette, le même corps, tout en finesse et en longueur, mais là où Lucius était mince, Draco avait gagné quelques muscles plus épais à force d'entraînements de quidditch. Il n'en restait pas moins qu'il était toujours affreusement gêné de voir le maillot de bains généreusement rempli de son père, et encore davantage lorsque Lucius était un peu émoustillé comme il l'était à présent.
Sans qu'il ne sache pourquoi, Harry avait bien remarqué que son mari était un peu à fleur de peau, ces jours-ci; pas de contrariété, mais plutôt de sensualité et de désir refoulé. Il était avide de contact, un peu fébrile dans ses envies et osé dans ses mots. Même s'ils ne faisaient pas l'amour tous les jours, il n'était pourtant pas en manque de sexe et de plaisir, comme en témoignait cette divine partie à trois, quelques jours plus tôt, ou ce moment devant un film dans la salle de cinéma, mais Harry sentait chez lui une tension sexuelle latente qui ne disparaissait pas.
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Ils jouèrent durant un bon moment tous ensemble, mais aussi tous les deux, échangeant entre eux provocations et petites phrases piquantes jusqu'à ce que Draco, excédé de leurs paroles trop suggestives, ne finisse par grogner :
– Il y a des enfants, ici !
– Je vois ça, gloussa Lucius avant d'ironiser : Je pensais qu'avec le temps, ça serait passé, mais tu es toujours aussi prude qu'à l'adolescence !
Harry ne put s'empêcher de rire, puis devant le regard vexé de Draco, il entraîna son mari un peu plus loin et se glissa dans ses bras.
– Sois charitable, un peu… Sinon, il va finir par être vraiment contrarié et… c'est Noël. J'ai envie de profiter de tout le monde sans disputes et sans tensions.
– Je n'y peux rien si Draco n'a pas d'humour ! protesta Lucius à mi-voix, avant de promettre : Je ne dirai plus rien.
Puis, doucement, il l'attira contre lui pour le serrer davantage dans ses bras et l'embrasser dans le cou, là où Severus le mordait habituellement, le faisant frissonner de tout son long. Sans avoir besoin de poser de questions, il savait très bien pourquoi ces fêtes étaient si importantes pour lui : celles de l'année précédente avaient été marquées par l'attentat du Boxing Day, par la colère monumentale de Lucius quand il avait appris qu'ils étaient tous partis se battre, par les violentes tensions avec Severus, et par leur sidération, à tous, quand ils avaient eu tant de mal à se remettre de ce choc tandis qu'ils tentaient de faire bonne figure devant les enfants.
Et puis, il avait choisi ce sortilège ancien pour s'unir à Severus, trop puissant, sans doute trop tôt après sa captivité et les traumatismes qu'il en avait ramenés, et qui avait eu toutes ces conséquences néfastes entre eux, entre violence et soumission imposée… Et enfin, il y avait eu ces aveux douloureux au sujet d'Aria, les mots si durs de Severus qui s'était senti trahi par son silence et cette crainte de devoir renoncer à elle à peine née. Aujourd'hui, Aria était là, avec eux tous, riant aux éclats quand elle tapait dans l'eau de la piscine pour éclabousser Scorpius et Minerva, et le monde était enfin revenu d'aplomb.
Alors il avait envie d'un Noël tout en douceur et en tendresse, il avait envie de profiter de sa fille, de ses conjoints, de sa famille, et vivre des fêtes aussi belles que celles de l'an passé avaient été difficiles.
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Et elles furent aussi douces et tendres qu'il l'avait souhaité. Les enfants étaient joyeux, émerveillés, ravis d'être ensemble et ils trouvaient même le moyen de jouer avec Axaya en s'installant près de l'un des nombreux miroirs où il pouvait apparaître. Les rires résonnaient dans toutes les pièces du Manoir, les cavalcades se répercutaient dans les couloirs, les jouets semblaient disséminés par des tornades pleines de vie. Il y eut aussi les cadeaux, bien sûr, – une quantité désastreuse pour chacun –, mais l'essentiel était dans cette effervescence qui les faisait paraître dix quand ils n'étaient que quatre.
Les adultes également étaient tous gagnés par cet enthousiasme. Daphnée était radieuse, enchantée de passer quelques jours au Manoir en famille et un peu de temps avec Lucius, toujours partante pour une partie de billard ou un tour dans les jardins, malgré le froid hivernal. Draco, lui, une fois rasséréné quand ils cessèrent leurs petites provocations, semblait plus détendu que jamais. Les matchs caritatifs qu'il avait organisés avaient eu un succès retentissant et sa nomination au poste d'entraîneur de l'équipe nationale pour la saison prochaine était encore officieuse mais ce n'était qu'une question de temps. Même Severus, calme et serein, souriait tout le temps.
Et puis, à défaut d'avoir Matthieu et Charlie, partis en Chine, ou Mark et Håkon, partis en Norvège, ils avaient Blaise et Alicia. En effet, après des années à passer Noël au travail ou dans sa famille, Alicia avait décidé cette fois de le fêter avec son amant-pas-tout-à-fait-compagnon. Ils arrivèrent très tard dans la soirée du vingt-quatre décembre, après avoir dîné chez la mère de Blaise, mais au moins ils étaient là tous les deux pour la journée de Noël, et Harry était ravi.
Et enfin, la présence d'Aria couronnait le tout. Son plus beau présent cette année, c'était sans doute celui-là : avoir Aria avec lui, et il ne pouvait que remercier généreusement ses mères de lui avoir fait un cadeau pareil. De par ses propres traditions, Padma ne fêtait pas Noël, et Luna, elle, n'avait plus que son père, à qui elle ne rendrait visite qu'un peu plus tard. D'elles-mêmes, elles lui avaient donc proposé de prendre sa fille pour le réveillon et elles en avaient profité pour partir en tête à tête et en vacances au soleil.
Et ainsi, il était là, subjugué par la présence de sa princesse, sa chérie, son premier Noël à l'entendre gazouiller et rire, les premiers cadeaux déballés en arrachant le papier qui s'avérait presque plus intéressant que la surprise à l'intérieur, son émerveillement devant les décorations des sapins et du Manoir, et puis sa première fois dans la neige, parce que les flocons s'étaient invités ce jour-là, de façon merveilleuse et imprévue. Les grimaces parce que c'était trop froid, la sensation étrange de marcher dans ce tapis immaculé, ce bruit si particulier, étouffé, sourd et crissant à la fois, et les cris indignés de Lucius quand il reçut une boule de neige dans le cou sous les rires de tous les autres.
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– C'est toi qui frappes ? proposa Harry en souriant à sa fille.
– Ha !
Aria trottina vers la porte avec un air enthousiaste et leva la main pour la frotter maladroitement sur le bois sombre.
– Comme ça, lui montra-t-il en refermant la main de sa fille en un petit poing serré et en l'entourant de sa propre main pour frapper doucement sur la porte.
Sans même attendre de réponse ou qu'il actionne la poignée, elle s'y appuya et tenta de pousser de toutes ses forces pour parvenir à la faire bouger. Avec un sourire amusé, Harry la regardait faire avant de se décider à ouvrir la porte tout en la retenant pour ne pas voir sa fille s'étaler par terre.
– Pa Da ! s'écria Aria en levant les bras de joie.
En se dandinant sur ses courtes jambes, elle se précipita vers les deux hommes assis sur le canapé du bureau de Lucius.
– On vous dérange ? gloussa Harry en les voyant s'écarter légèrement pour faire une place à sa fille.
– Oui, fit Lucius en levant les yeux au ciel.
Malgré le ton ironique, Harry y décela un fond de vérité qui lui fit regretter d'avoir choisi ce moment…
– Pas du tout, répondit Severus avec un petit sourire.
… mais tant qu'à avoir interrompu quelque chose, autant aller jusqu'au bout.
– Je vois bien que si ! fit-il en riant. Vous faites des cachotteries, tous les deux au fond du bureau, plutôt que d'être avec tout le monde… En réalité, j'avais besoin de te parler cinq minutes, ajouta-t-il à l'adresse de son vampire. Tu pourrais me garder Aria ?
– Moi ? s'étrangla faussement Lucius alors que Severus avait instinctivement tendu les bras vers sa fille avant de se raviser.
– Oui, toi ! gloussa Harry. Tu vas survivre ?
– Je vais surtout retourner avec les autres pour pouvoir gérer ce petit diable en culotte courte !
Harry se pencha pour glisser un baiser sur ses lèvres puis attrapa Aria sous les bras pour la coller dans ceux de Lucius.
– Cinq minutes… Et ne parle pas comme ça de ma fille ! Elle est adorable et elle t'adore ! Hein, ma chérie… tu vas rester avec Blondie ?
– Ba di ! opina-t-elle avec enthousiasme.
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– On peut s'installer dans ton bureau ?
Harry relâcha le poignet de Severus tandis que celui-ci haussait un sourcil surpris puis acquiesçait avec une moue d'évidence. Il ouvrit la porte avant de la refermer soigneusement derrière eux, les plongeant dans l'obscurité habituelle de la pièce.
Sans attendre, Severus l'attrapa par le bras et le poussa doucement contre une des bibliothèques, se collant contre lui tout en glissant son visage dans son cou.
– Eh bien ? Tu avais envie d'une petite morsure à l'improviste ?
Harry frémit sous la sensation, ce qui ne l'empêcha pas de chasser la main baladeuse de son vampire d'une petite tape.
– Arrête tes bêtises ! gloussa-t-il. Après, si tu veux, mais j'avais vraiment quelque chose à te dire… et à te donner.
Severus semblait d'humeur sensuelle et leur proximité avait allumé un frisson de faim dans son ventre, mais il s'interrompit immédiatement à ses paroles.
– Me donner ? fit-il en redressant la tête.
Harry ricana et quitta l'étreinte de son vampire pour aller allumer une petite lampe sur le bureau et s'asseoir sur le sofa. Severus était d'une telle curiosité quand on savait l'appâter ! Il ne tarda pas à le rejoindre et s'assit juste à côté de lui avec un regard interrogateur.
– J'avais encore un petit cadeau de Noël pour toi…
Contre toute attente, Severus grimaça avant de s'excuser d'un sourire.
– Je me méfie un peu des cadeaux que tu offres hors de la vue des autres… Celui de Noël dernier ne nous a pas apporté que des bonnes choses.
À l'évocation du livre de sortilèges dans lequel il avait puisé celui qui avait présidé à leur union, Harry grimaça à son tour.
– Je sais que j'ai eu tort à ce sujet et que je n'aurais jamais dû choisir un sortilège qui allait aussi loin… Et je le regrette. Ceci dit, là, il s'agit de tout autre chose. C'est juste une babiole mais elle a un côté un peu trop intime qui fait que je préfère qu'on soit seuls tous les deux pour l'ouvrir…
– Intime ? releva Severus avec un sourire lubrique qui visait à détendre l'atmosphère. C'est quoi ? Un sous-vêtement ? Un sextoy pour mes longues nuits solitaires ?
Surpris, Harry éclata de rire avant de lui tendre un petit cadeau enveloppé de papier noir.
– Je rappelle qu'il ne tient qu'à toi que tes nuits ne soient pas solitaires et pouvoir profiter de mon corps ! Tiens, ouvre ! Tu verras bien par toi-même…
Severus baissa la tête sur le présent entre ses mains pour cacher l'expression de son visage, entre résignation et douleur. Il savait bien qu'il était celui qui rechignait aux gestes plus osés, à la proximité des corps et au plaisir charnel, mais c'était plus fort que lui. Il pouvait taquiner son calice, paraître lubrique tant que cela n'engageait à rien, éventuellement esquisser quelques caresses ou baisers lors d'une morsure, exceptionnellement une fellation, mais il n'était pas encore prêt à aller plus loin. Au grand dam de Harry – et de Lucius –, qui prenait son mal en patience avec abnégation.
Pour chasser ses pensées moroses, il se concentra sur le paquet entre ses doigts et entreprit de défaire l'emballage de papier cadeau. Apparut alors une petite boîte couverte de velours tout aussi noir et qui ressemblait à un écrin à bijoux. Il l'ouvrit, un peu fébrile sans vouloir se l'avouer, tandis que Harry expliquait :
– Tu te souviens du médaillon ?
– Tu n'as pas encore fractionné ta magie ?! fit brusquement Severus en relevant la tête. Tu sais que je n'aime pas beaucoup…
– Et tu sais aussi que ça n'a rien à voir avec un horcruxe, répondit patiemment Harry devant l'inquiétude soudaine de son vampire.
Severus fronça les sourcils sans répliquer et baissa à nouveau les yeux sur le bijou enchâssé dans son écrin. Il s'agissait d'une sorte de broche ou d'épinglette à boutonnière de trois ou quatre centimètres de haut, en forme de goutte et d'une couleur grenat, un peu plus sombre qu'un rubis. Et même s'il ne s'agissait pas de magie à proprement parler, il sentait que le cristal entre ses mains n'était pas qu'un morceau de verre inerte. Il semblait chaud, presque vivant, et la lumière dessinait en son sein des reflets onctueux et mouvants.
– Je ne sais pas si tu as fait attention, reprit Harry, mais d'Alagnac porte un bijou qui y ressemble, si ce n'est qu'il s'agit d'un vrai rubis… Et cette semaine, je suis allé à Gringotts, où les gobelins sont des maîtres orfèvres, et ils m'ont appris quelques petites choses sur leur art…
– Quel rapport avec le médaillon ? fit Severus abruptement.
– Parce que ce bijou contient aussi un peu de moi… Pas de la magie, cette fois mais un peu de mon sang. À l'intérieur, et dans sa structure même. Si un jour tu as besoin, si je dois m'absenter… Pour ne jamais avoir peur de manquer…
Severus leva les yeux vers le regard vert, intense et doux à la fois de son calice, avant de les baisser à nouveau sur le bijou entre ses doigts. Maintenant qu'il le savait et en le tenant dans sa main, il pouvait sentir sa particularité : comme une espèce de cœur battant dans le creux de sa paume, des pulsations infimes, sourdes mais rythmées. Quelques carats de vie, offerts comme un présent somptueux.
Severus ferma les yeux et respira profondément en refermant ses doigts sur le bijou. En effet, c'était quelque chose de très intime, de très personnel, qui n'avait peut-être de sens que pour lui mais qui avait une valeur inestimable à ses yeux. Harry lui offrait son sang; il n'était plus question de résignation ou de devoir, comme au début de leur relation de calice et de vampire; il n'était plus question de se laisser mordre pour partager un moment, une étreinte, parfois même du plaisir; il n'était plus question de cette responsabilité de le nourrir; il s'agissait d'un don, d'une offrande de soi, au cas où, pour les jours sans, pour les absences, pour qu'il n'ait plus jamais cette crainte sourde et enfouie de manquer. D'être dépendant.
Harry savait bien qu'il avait tous les pouvoirs dans leur relation, qu'il le tenait à sa merci, qu'il était celui qui pouvait décider de sa vie ou de sa mort lente, et aujourd'hui, ce qu'il lui offrait, c'était un peu de vie, un peu de liberté, un peu d'indépendance. Severus savait pourtant qu'il préférerait se laisser mourir de faim plutôt que de briser ce bijou pour pouvoir s'en nourrir, mais le symbole était d'importance. Il lui rendait sans doute une dignité qu'il avait l'impression d'avoir perdue depuis longtemps aux yeux de son calice.
Lentement, il releva à nouveau la tête pour plonger dans son regard. Harry ne cillait pas, son cœur ne battait pas la chamade, il n'était pas inquiet ou nerveux, il était simplement là, serein et tranquille, immense de bienveillance et de générosité. Un sourire calme posé sur son visage alors que Severus se sentait balayé, écrasé, ravagé de sentiments tumultueux. Une émotion étranglée au fond de la gorge et un amour ténébreux qui ne cessait d'enfler au fond de son ventre. Des vagues sourdes et ardentes qui le nourrissaient de chaleur, une ferveur sans nom, l'attachement du vampire en lui qui était devenu une passion, solide, durable; sombre et brûlante…
Mais il ne pouvait pas dire ces choses-là à son calice. Parce que la pudeur, parce que la peur de l'effrayer, parce que ses sentiments n'étaient pas – plus – réciproques. Harry avait pourtant dit des choses semblables, il avait pourtant murmuré qu'il les aimait… Mais après une morsure et un orgasme, après un moment de plaisir partagé tous les trois, encore baigné dans les brumes de la jouissance. Des mots lâchés sans réfléchir, sous le coup de l'émotion, pensés dans l'instant sans être une vérité absolue.
Se pouvait-il que ses propres sentiments procèdent du même cheminement ? Qu'ils ne soient dictés que par le moment ? Par l'importance qu'il accordait à ce bijou offert comme une rédemption ? Severus était certain que non. Cela faisait bien longtemps, des jours, des semaines, que ces sentiments serpentaient dans son ventre, toujours plus puissants, et qu'il refusait de les regarder en face, de les affronter, de les assumer. Une seule fois, à Colibita, dans la ferveur d'une étreinte, il avait osé murmurer qu'il n'avait jamais vraiment cessé de l'aimer… Mais puisque Harry avait prononcé ces trois mots, même s'il doutait de leur sincérité, peut-être qu'il pouvait faire de même ? Peut-être qu'il pouvait oser soulager un peu son cœur, son esprit empêtré de sensations, d'instincts, d'émotions impétueuses ? Peut-être qu'il pouvait dire si simplement ce qu'il ressentait si confusément ?
Et pourtant, malgré l'immensité de ses sentiments, sa voix était si faible et le sourire de Harry si grand lorsqu'il murmura :
– Je t'aime.
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ooOOoo
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La soirée s'étirait, tiède et confortable. Un feu ronflait dans la cheminée, intense au point que Draco et Blaise avaient retiré leurs pulls pour rester en simple chemise. Severus, lui, n'était plus sensible aux températures, ni fraîches, ni élevées, mais il ressentait dans la pièce la même chaleur agréable et vivante que lorsqu'il se collait à son calice sous une couette. Daphnée avait même les pommettes un peu colorées – ou bien était-ce l'alcool ? – seul Lucius restait impassible, avec sa chemise et sa veste de costume, le sourire aux lèvres et les yeux pétillants de malice.
Il est vrai que depuis tout à l'heure, Blaise était la cible de leur conversation amusée; en réalité, depuis le départ d'Alicia et de Harry, une petite heure plus tôt, pour aller danser jusqu'au bout de la nuit. Les enfants étaient tous couchés depuis un bon moment, un verre d'alcool avait suivi le dîner, peut-être bien deux ou trois pour certains, et Blaise s'était retrouvé sous le feu des commentaires et des petites phrases piquantes, à présent que sa dulcinée s'était absentée.
La première fois d'Alicia au Manoir pour davantage qu'un dîner se passait évidemment très bien, mais pour quelqu'un comme Blaise, aussi farouchement célibataire, collectionneur de femmes mais également très attaché à sa vie « familiale », cela avait une saveur un peu différente : l'affirmation, même implicite, que la jeune femme avait une place à part dans la longue liste de ses conquêtes, qu'il était attaché à elle, qu'il était prêt à l'intégrer parmi ceux qui comptaient pour lui… Et cette différence si marquante avec toutes celles qui n'avaient servi que de faire-valoir dans les réceptions sans jamais mettre un pied au Manoir, avait déchaîné les remarques amusées et souriantes de Draco et Lucius, et même de Daphnée.
Severus se gardait bien de participer aux taquineries que Blaise supportait avec un flegme serein. À vrai dire, il le trouvait plutôt touchant dans sa relation avec Alicia… Ils étaient discrets en public, peu coutumiers de gestes l'un envers l'autre ou de marques d'attention, mais dans ses regards, dans sa façon d'être et sa simple présence, il se montrait attentif à elle d'une manière peu commune.
Elle, Severus l'aimait bien; pas tant pour ses goûts ou ses idées, mais parce que, quelque part, elle ressemblait à celui qu'il était avant : dure, intransigeante, sèche dans ses paroles, peut-être un peu moins sarcastique que lui, mais en revanche il admirait sa capacité à répondre d'un mot ou d'une phrase lapidaire aux questions qui la dérangeaient ou qui n'appelaient que mépris. Elle le faisait sourire; en toute discrétion, mais il l'appréciait.
Et Blaise, dont il n'avait jamais été très proche, se tenait là, droit et fier, attentionné et disponible, prêt à se plier en quatre pour elle, et Severus le trouvait presque émouvant. Tout, dans son attitude, criait l'attachement, les sentiments retenus et maîtrisés, mais aussi la sincérité la plus désarmante. Il avait presque l'impression de se voir aujourd'hui devant Harry : complètement offert, prêt à lui laisser toute son âme, toute sa dévotion, toute sa force, et se trouver grandi de l'affection que son calice éprouvait pour lui.
Severus sortit de ses pensées en fronçant les sourcils devant les regards moqueurs de Draco, Blaise et Daphnée, tandis que Lucius levait les yeux au ciel avec un air à la fois exaspéré et blasé. Il les dévisagea tour à tour, sans comprendre ce qui s'était joué devant lui; il devait avoir manqué quelque chose dans la conversation.
Puis brusquement, sans signe annonciateur, Lucius prit appui sur les accoudoirs de son fauteuil, se leva, l'attrapa par le poignet et l'entraîna manu militari.
– Allez, hop ! On va se coucher !
– Mais…
Trop surpris pour réagir, Severus se laissa faire sans résister et se retrouva bientôt à la porte du Petit Salon.
– Et surtout, bonne nuit ! gloussa Daphnée avec impertinence. Et ne faites pas trop de bruit, les enfants dorment !
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– Qu'est-ce qui se passe ? fit Severus en émergeant de l'escalier en colimaçon à la suite de son mari.
– Ce qui se passe, c'est que ça fait trois fois que je dis qu'il est tard et temps de monter se coucher et que de toute évidence, ces trois-là ont décidé de continuer à discuter toute la nuit, et que toi, tu ne te rends compte de rien du tout !
Visiblement agacé, Lucius s'efforçait de parler à mi-voix pour ne pas troubler le silence de la nuit et de l'étage, tout en remontant le couloir à grandes enjambées. Enfin, ils arrivèrent devant leur chambre, Severus fut presque poussé à l'intérieur, puis Lucius referma sèchement la porte derrière eux et jeta aussitôt un sortilège de silence.
– Bon sang. Harry n'est pas là de la nuit, on pourrait peut-être en profiter dignement !
En l'espace d'un instant, Severus s'était retrouvé acculé au bord du lit et il s'y laissa tomber sur le dos en soupirant.
– Je ne sais pas comment je dois prendre ton manque d'enthousiasme ! ricana Lucius.
Tandis qu'il fermait les yeux en retenant un nouveau soupir, Severus sentit le matelas s'affaisser à mesure que son mari grimpait sur le lit, à quatre pattes au-dessus de lui, avec un sourire carnassier digne d'un prédateur. En une seconde, il était passé de la contrariété à une humeur lubrique à la perspective de s'envoyer en l'air ensemble, et quand Severus rouvrit les yeux, son regard semblait déjà le dévorer tout cru.
– Luce… s'il-te-plaît.
– Eh bien quoi ?! Tu vas me faire croire que tu n'as pas envie d'un peu d'intimité ?
Severus hésita; il ne tenait pas à contrarier son mari par un refus ou des soupirs, mais à vrai dire, le cœur n'y était pas. Ou plutôt, il ne voulait pas se laisser entraîner sur ce terrain-là. Loin de ses tergiversations, Lucius était déjà en train de déboutonner rapidement sa chemise pour découvrir son torse, et bientôt, ses lèvres chaudes parcouraient sa peau glacée, s'attardant sans ménagement sur ses tétons. Severus grogna et cambra le dos sous la sensation. Merlin ! Lucius n'y allait pas par quatre chemins !
– Luce, s'il-te-plaît. Arrête ça !
Loin d'obtempérer immédiatement, son mari continua à le mordiller pendant quelques secondes, jusqu'à ce que Severus, grognant à nouveau, ne vienne pousser doucement son visage de sa main. Lucius se redressa alors au-dessus de lui, en appui sur ses bras tendus, alors que ses cheveux d'or cascadaient par-dessus son épaule. Sur ses lèvres, un sourire narquois dessinait un air manipulateur et son regard promettait de ne pas le laisser tranquille jusqu'à avoir obtenu gain de cause.
– Qu'est-ce qui se passe ? ricana-t-il sournoisement. Tu vas prétendre que tu n'en as pas envie ? Alors que tu n'as pas de rapports sexuels avec ton calice, et même rien qui s'y apparente ces derniers temps ? Alors que toi et moi, on ne s'est pas envoyés en l'air depuis des jours, depuis des semaines ?! Je te connais, Severus, et je ne crois pas un traître mot de tes protestations !
Severus grimaça sous les sarcasmes de son mari qui, bien malgré lui, le touchaient à un endroit sensible. La frustration serpentait sous sa peau comme un serpent insidieux, avide et affamé. Elle était facile à supporter avec son calice, parce que la tendresse et la douceur de leur relation lui suffisaient amplement, et parce qu'il craignait toujours l'émergence du désir entre eux… Partager une morsure était bien plus essentiel. Même les « quickies », quand Harry ou lui devait s'absenter pour la soirée, avaient perdu pour la plupart leur aspect urgent et frénétique qui faisait invariablement surgir le désir. Il s'agissait davantage d'une morsure douce, d'une étreinte, d'un presque-câlin d'avant une séparation de quelques heures…
Mais avec Lucius, le seul avec qui il pouvait se permettre des gestes plus osés et directifs, une certaine virulence à la recherche de son propre plaisir, le seul avec qui il partageait encore une nudité délicieuse et des rapports sexuels depuis sa transformation… la frustration était volontaire et parfaitement inconfortable. Des jours qu'il le fuyait consciencieusement… évitant les tête-à-tête ou les endroits périlleux, réfrénant ses propres envies comme un danger menaçant.
Et Lucius le savait bien, qui n'avait pas cessé de le caresser outrageusement jusqu'à ce que sa main ne descende sur son entrejambe dur et gonflé.
– Je crois que ton corps parle pour toi ! ricana-t-il avec un regard triomphant.
Malgré lui, Severus se crispa sous la main conquérante de son mari et retint un souffle qu'il relâcha trop bruyamment à son goût. Il ne pouvait même pas cacher que de simples effleurements le faisaient vibrer de désir : son propre corps le trahissait.
– Tu veux que je te dise ? poursuivit Lucius avec un ricanement insupportable. Ce n'est pas que tu n'as pas envie, c'est que tu ne veux pas ! Et tu ne veux pas parce que tu as peur. Tu as peur de te laisser aller, tu as peur de ce qui pourrait se passer, tu as peur des gestes que tu pourrais faire et de redevenir ce que tu étais dans le pavillon chinois. Tu n'oses même pas toucher ton propre calice qui ne demande que ça ! Et même avec moi, tu crèves de trouille !
La main de son mari un peu trop serrée sur l'entrejambe de son pantalon, Severus grogna de mécontentement. Son esprit rougeoyait dangereusement. Supporter la position de Lucius au-dessus de lui, qui le dominait avec cet air arrogant, était déjà difficile, mais venir taquiner la fierté de son côté vampire était pour le moins inconscient. Il avait beau se dire que sa relation avec son calice ne regardait qu'eux, évoquer des relations sexuelles, le toucher de cette façon alors que son désir était à fleur de peau, chercher à réveiller son orgueil pour le faire réagir, étaient des risques que son mari prenait sciemment, et de toute évidence avec un plaisir non-dissimulé.
Puis après une dernière pression sur son sexe dur, Lucius renonça et enjamba son corps pour s'éloigner sur le lit tandis que Severus s'empressait de se redresser en position assise. Il soupira, soulagé de cette capitulation sans réel combat. Il ne tenait pas à se fâcher avec son mari et pourtant Merlin savait ce qu'il lui en coûtait de renoncer à cette proximité charnelle avec lui.
– Bon. Puisque rien ne semble te faire réagir, peut-être que la manière forte le fera…
Severus n'eut pas le temps de se retourner qu'il perçut une brusque différence de température dans la pièce et une volée de sortilèges qui l'atteignirent dans le dos.
– Du plus bel effet ! ricana Lucius, la baguette à la main.
Severus vit rouge et grogna puissamment sous la douleur vive qui le parcourait. Non comptant de l'avoir déshabillé et entravé de cordes sombres sur sa peau si blanche, son mari venait de lui jeter un dérivé de sortilège cuisant qui le traversait de part en part. Il avait l'impression que de fins filaments d'argent serpentaient dans son corps, sous sa peau et le long de ses nerfs, et la sensation était délicieusement terrible.
– Peut-être que l'antichambre te manque, en fait…
Instinctivement, ce fut le vampire qui prit le dessus. Son emprise et ses pouvoirs s'appesantirent lourdement sur la chambre, son aura s'épaissit, écrasante et poisseuse de colère, et Severus se redressa, les yeux rouges et incendiaires. Malgré le sourire narquois qu'il conservait, Lucius s'était légèrement recroquevillé sur lui-même, accablé par sa puissance. À genoux sur les draps, il s'appuya sur son poing serré autour de sa baguette et haleta difficilement, rassemblant son souffle pour lui jeter un nouveau sortilège.
Ivre de colère et de puissance, Severus banda ses muscles de toute sa force de créature. Les cordes qui retenaient ses bras prisonniers le long de son torse s'effilochèrent sous la traction jusqu'à céder une à une, et en une fraction de seconde, ses longs doigts griffus enserraient le cou de son mari. La baguette vola à travers la chambre, il plaqua Lucius à plat ventre sur le lit et sa main sur sa nuque pour l'immobiliser.
– Depuis combien de temps n'as-tu pas baisé, Severus ?! ricana impitoyablement l'aristocrate, la voix étouffée par les draps.
L'esprit incandescent, Severus rugit de colère. D'un sortilège brutal, il arracha les vêtements de son mari, le laissant nu et soumis sous sa main impérieuse. Lucius se permettait de se moquer de lui, de se moquer de sa relation avec son calice, de venir le narguer de toute sa suffisance ! Il se permettait de le menacer d'une baguette, de lui lancer des sortilèges et de venir piétiner son orgueil et sa fierté ! Puisqu'il voulait du sexe, il allait avoir du sexe ! D'un geste brusque, Severus lui écarta les jambes tout en le clouant sur le lit de sa main plaquée sur sa nuque. Les fesses pâles étaient là, juste sous lui, à narguer toute sa frustration et sa colère. Il recula le bassin, prêt à donner un grand coup de reins pour le pénétrer…
… Et tout s'arrêta brusquement.
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– Je… Je…, balbutia Severus.
Son regard errait des fesses pâles au corps fin qu'il écrasait à moitié, des longs cheveux blonds étalés sur les épaules de Lucius à son sourire tranquille et doucement moqueur. Son visage était serein, ses yeux fermés et il semblait confortablement installé, les bras croisés glissés sous sa joue comme un oreiller. Malgré ses jambes grandes écartées autour des genoux de Severus, son corps était parfaitement relâché et détendu, attendant simplement qu'il se décide à faire quelque chose.
Et Severus, hagard et sidéré, ne savait plus quoi faire. Il avait failli faire du mal à son mari, à Lucius, à l'homme de toute sa vie. Il avait failli le pénétrer sauvagement, par colère, par vengeance et par orgueil. Il avait failli le brutaliser. De la même façon qu'il avait brutalisé son calice dans le pavillon chinois. Il avait failli recommencer. Il n'avait pas changé. Il était encore capable de violenter même les personnes qu'il aimait le plus au monde. C'était ignoble. Il était ignoble. Il se recula brusquement, horrifié par son attitude, avant de se rendre compte de la main ferme qui venait de saisir son poignet.
– Arrête de paniquer ! gloussa Lucius en le tirant vers lui. Tu as eu un comportement admirable.
Abasourdi et choqué, Severus se laissa tomber sur le dos et cacha son visage entre ses mains. Il avait abominablement honte, il se sentait horrible, infâme et abject, il était pire qu'un animal.
À ses côtés, Lucius se redressa sur ses coudes et s'approcha de lui, écartant d'une main douce ses doigts crispés sur son visage.
– Calme-toi et regarde-moi…, fit-il avec un sourire tranquille dans la voix. Ce qui compte, ce n'est pas ce que tu as fait, mais ce que tu n'as pas fait. Tu as repris le contrôle de toi-même alors que je t'ai poussé au-delà de tes limites. Je t'ai provoqué, je t'ai menacé d'une baguette, je t'ai jeté des sortilèges… et tu as su t'arrêter avant l'irrémédiable. Même le vampire en toi a eu conscience de ce que tu faisais et a su s'arrêter.
– J'aurais pu te tuer, souffla Severus d'une voix étranglée. J'aurais pu te violer.
– Et je savais que tu ne le ferais pas, assura calmement Lucius. Je savais que tu ne pourrais pas franchir certaines limites. Tu ne peux plus être celui que tu as été dans le pavillon chinois, Severus. L'influence de Vladimir n'existe plus. Celui que tu es, le vampire que tu es, n'est pas capable de me faire du mal ou de faire du mal à Harry. Quelles que soient les circonstances, tu n'as pas à te réfréner ou à te sentir menacé avec nous. Le sexe n'est pas un danger, tu ne perdras pas le contrôle de ton vampire parce que même ton vampire ne nous veut aucun mal…
Severus cligna des yeux une fois, deux fois, encore sidéré et l'esprit vide. Il s'était arrêté à l'extrême limite mais il s'était arrêté. Il avait été brusque mais il n'avait pas été violent. Il avait maintenu son mari mais il ne l'avait pas étranglé, ni frappé.
– Tu l'as fait exprès ! réalisa-t-il soudain avec effarement. Tu as sciemment voulu me pousser le plus loin possible…
– Bien sûr ! gloussa Lucius avec un sourire narquois. J'en ai plus qu'assez de te voir tergiverser avec Harry, mais aussi avec moi. La peur de perdre le contrôle t'empêche de faire ce dont tu as envie alors que tu n'es plus le même que dans le pavillon chinois, Sev. Je voulais te prouver une fois pour toutes que tu n'as plus à avoir peur d'être toi-même !
– Tu es fou !
Severus ferma les yeux, désireux de fuir quelques secondes cette réalité trop déchirante pour y faire face. Lucius l'avait fait exprès et il aurait pu le tuer. Il ne l'avait pas tué. Il ne lui avait pas fait de mal alors que le vampire en lui dominait la moindre parcelle de son esprit. Même ses instincts les plus sauvages avaient plié devant celui qu'il avait en face de lui. Même son côté le plus sombre avait cédé face à Lucius…
– Oh, Merlin…
– Ça suffit, se moqua doucement Lucius. Viens ici…
Encore trop bouleversé pour réaliser quoi que ce soit ou émettre la moindre protestation, Severus se laissa entraîner par le bras de son mari jusqu'à se retrouver contre lui, dans ses bras, la tête posée sur son torse où battait une vie tranquille et sereine.
Severus ferma les yeux et soupira longuement, vidé de toute énergie. Sous sa joue, la peau était douce et chaude; la main de Lucius caressait tranquillement son dos avec des mouvements lents et réguliers, qui dans une autre vie auraient pu le bercer et l'endormir. Il n'arrivait pas à intégrer ce qui venait de se jouer entre eux. Il était encore dans la crainte, dans la honte, mais avec quelques minutes de recul, il réalisait aussi que tout le temps de ce petit numéro de provocation, Lucius n'avait pas frémi une fois.
Pas une fois son cœur n'avait battu la chamade, pas une fois il n'avait émis ces odeurs caractéristiques de la peur, pas une fois il n'avait quitté ce petit sourire narquois et moqueur. Il avait réagi sous la puissance de son aura en se repliant sur lui-même, mais à aucun moment il n'avait eu peur de lui. Comme s'il avait toujours cru – su ? – qu'il ne craignait rien. Lucius lui avait toujours fait confiance…
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Ils restèrent ainsi enlacés de longues minutes, l'obscurité silencieuse de la chambre seulement troublée par la respiration lente de Lucius et par les battements sourds de son cœur qui résonnaient sous l'oreille de Severus.
Le calme revenait peu à peu en lui, à mesure que son esprit retrouvait ses couleurs habituelles, sombre et rougeoyant à la fois, oscillant entre le sorcier et le vampire au gré de ses pensées. Il avait failli déraper mais il n'avait pas failli à ce qu'il était. Lucius lui faisait confiance de manière absolue et inconditionnelle. Il pouvait peut-être se faire confiance à lui-même…
– Je persiste à dire que tu es fou, souffla Severus en caressant doucement le ventre de son mari. Qu'est-ce qui se serait passé si tu avais eu tort ?!…
– Je n'ai pas eu tort ! gloussa Lucius.
– Et si je m'étais arrêté trois secondes plus tard ?! Je t'aurais…
Severus s'interrompit, nauséeux à l'idée qu'il aurait pu pénétrer sauvagement son mari dans le simple but de le dominer et de le punir. Exactement ce que Lucius avait subi avec Voldemort des dizaines d'années plus tôt.
– Eh bien j'aurais survécu ! ricana-t-il. Même si je préférerais des manières plus douces pour recommencer ! D'ailleurs, en parlant de ça… maintenant que tu es calmé, si on en revenait à ce pour quoi on est montés se coucher… ?
La main de son mari agrippa son poignet et le fit glisser le long de son ventre jusqu'à ce que ses doigts rencontrent son sexe. Son érection avait baissé la garde pendant leur « accrochage », mais son sexe était toujours épais d'un désir latent et inassouvi, et il tressauta au simple contact de ses doigts.
– Luce… est-ce que c'est bien le moment après ce qui vient de se passer ?! protesta Severus.
– Oh, tais-toi, tu me fatigues avec tes états d'âme ! gloussa Lucius en insistant pour que sa main le caresse. On ne va pas remettre ça indéfiniment !
Severus se redressa légèrement pour regarder son mari dans les yeux et malgré l'obscurité complète, il pouvait deviner son sourire moqueur et blasé. Et il savait très bien ce que sous-entendait Lucius en parlant de « ça »… Il hésitait, bien trop conscient des enjeux, tandis que le sexe de son mari durcissait de seconde en seconde sous ses doigts. Il n'était même pas sûr d'avoir envie, mais il savait qu'il réagirait dès que les choses deviendraient plus concrètes. Peut-être bien que Lucius avait raison, cette fois encore, et qu'ils ne devaient plus remettre ça…
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oooooo
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Severus frissonna en percevant la main sur son épaule, légère et tendre. Complètement ailleurs et perdu dans ses pensées, il n'avait rien entendu des pas sur le parquet, ni même perçu la douceur à la fois gaie et fatiguée de son calice.
– Quelle heure est-il ? murmura Severus.
Au-dehors des fenêtres de la Bibliothèque, la nuit était encore parfaitement noire; même les étoiles étaient voilées de nuages, et dans la pièce, l'obscurité dominait jusqu'aux formes des meubles et des fauteuils. Seule la magie dessinait une lueur verte feutrée le long des arabesques qui ornaient la peau de son calice.
– Quatre heures du matin ou un peu plus…
– Tu rentres tôt, remarqua Severus. Je ne pensais vous voir qu'au petit jour.
– Alicia était fatiguée, gloussa Harry. Elle est montée se coucher directement. Moi, je pensais descendre aux cuisines et puis j'ai entendu la musique…
Brusquement, Severus perçut à nouveau la musique qui s'étirait dans la pièce : un piano assourdi et un saxophone triste… Des notes étouffées qui s'étaient peu à peu fondues dans l'obscurité et l'épaisseur du silence, dans la texture même de la nuit. (1)
– Et toi, qu'est-ce que tu fais là, tout seul dans le noir ? Sans même un livre ou un ouvrage à traduire ?
– J'écoutais de la musique…
– Elle est bien mélancolique, cette musique. Qu'est-ce qui se passe ?
Severus regarda son calice s'asseoir à côté de lui dans le canapé et lui adresser un sourire doux. Ses cheveux noirs étaient encore plus ébouriffés qu'à l'ordinaire, de larges cernes ornaient ses yeux et son corps dégageait une chaleur musquée où perçait l'odeur de la sueur. Un délice.
– Rien. Ça va…
– À d'autres, Sev ! Je te connais par cœur ! insista Harry avec un sourire moqueur. Dis-moi...
– Rien. C'est juste que… Même après tant d'années, Luce arrive encore à me surprendre…
Harry afficha un air surpris, sans doute moins de ses mots que de sa voix encore un peu trop bouleversée.
– Qu'est-ce qui s'est passé ?
Severus pinça les lèvres et secoua doucement la tête. Il ne pouvait rien dire, il ne pouvait pas confier ça à Harry, parce que certaines choses appartenaient à Lucius et que ce n'était pas à lui de les dévoiler.
Même s'il aurait pu avouer que Lucius l'avait provoqué jusqu'à faire émerger sa partie vampire la plus sombre et lui prouver qu'il savait se maîtriser, jamais il n'aurait pu lui confier la suite : ce qui n'était jamais arrivé de son plein gré ni avec lui, ni avec personne. Ni en quarante ans de relation, ni de toute sa vie… Lucius s'était donné à lui et il en était encore sidéré.
Depuis tout à l'heure, Severus repassait dans son esprit des images, des sensations, des soupirs… Ses yeux gris orageux voilés de plaisir. Son corps brûlant sous le sien. Son étroitesse qui avait failli lui faire perdre pied… Bizarrement, Lucius avait eu plus de mal à se plier à sa présence en étant sur le dos, leurs regards rivés l'un dans l'autre. Il avait gardé un genou relevé, le pied sur les draps, tandis que Severus s'efforçait à le détendre peu à peu. Il n'avait rien dit mais l'envergure du moment avait été palpable. Délicate…
Et puis, sur le ventre, il s'était enfin relâché alors que lui, il avait eu plus de mal, plus de craintes de mal faire. Au final, Severus n'avait pas eu d'orgasme, trop freiné par l'enjeu, par sa responsabilité, mais il s'était employé à ce que Lucius éprouve du plaisir, et plutôt deux fois qu'une ! Il avait voulu lui rendre ce don de soi, sa confiance inestimable, il avait voulu rendre toute l'importance de ce moment, y rattacher le plus grand des plaisirs et des souvenirs inoubliables. Il avait aimé son mari d'une façon sacrée, le plus magnifiquement possible jusqu'à le sentir trembler de jouissance entre ses bras. Et il n'était pas sûr de savoir ce qu'il ressentait face à tout ça…
Severus ferma les yeux, les nerfs à fleur de peau, trop bouleversé pour son propre bien. Il en avait presque oublié sa présence, comme il avait oublié la musique un peu plus tôt, mais Harry remua doucement à côté de lui. Il posa un genou sur le canapé, se redressa et l'enjamba lentement jusqu'à se retrouver assis sur ses cuisses, les bras autour de son cou.
– Mords-moi, murmura-t-il. Ça te fera du bien…
Severus serra les dents, submergé par la violente bouffée d'émotions qui le traversait. Les mains de son calice appuyait doucement sur ses épaules, dans ses cheveux, pour l'inciter à se laisser aller contre lui, à pencher la tête… L'endroit où se réfugier était inespéré et sans doute le plus beau au monde, et Severus glissa son visage dans le cou de son calice. Il le mordit, en désespoir de cause, parce qu'il avait éperdument besoin de se sentir mieux. Et Harry l'enveloppait d'une telle douceur, d'un tel pardon, qu'il aurait pu en pleurer.
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La musique dansait dans le silence et la pénombre, un peu plus légère, un peu plus vive. À un moment qu'il n'avait même pas remarqué, sans même bouger de leur étreinte, Harry avait allumé un feu, dont les flammes dorées projetaient des lueurs mouvantes sur les vitres et les couvertures des livres. La chaleur, l'émotion retombée, le sang de son calice et sa tendresse… Severus avait cessé de trembler. Il se contentait de rester là, le visage niché contre la peau chaude et parfumée de son calice, les bras autour de sa taille. Il avait à peine bu mais il avait davantage besoin de sa présence que de boire. Ceci dit, lentement, il se sentait plus apaisé. Ses émotions avaient cessé de tournoyer, son esprit avait retrouvé un certain calme.
– Ça va mieux ? murmura Harry avec un sourire amusé.
Non, pas amusé. À ce qu'il ressentait de son calice, il était plutôt tendre et satisfait, heureux d'avoir pu faire quelque chose pour lui. Severus se contenta de grogner, égratignant de ses dents la peau de son cou. Harry frissonna violemment et gémit de plaisir contre son oreille.
– Ne fais pas ça si tu n'es pas d'humeur, murmura-t-il. Parce que moi je suis vraiment, vraiment d'humeur !
La réaction de son calice lui tira un sourire; il avait grand besoin de cette légèreté et de cette insouciance. Et parce que ce sursaut de vie et de désir lui faisait presque autant de bien que la morsure, il mordilla à nouveau la peau veloutée de Harry, la léchant aussitôt pour effacer la goutte de sang qui perlait.
– Oh bon sang, Sev ! Arrête ça… J'ai dansé avec des mecs toute la soirée et la moitié m'ont invité à continuer ça ailleurs, Luce dort et ne va pas pouvoir me satisfaire, il ne va pas falloir grand-chose de plus pour que je te saute dessus !
Resserrant ses bras autour des reins de son calice, Severus grogna de frustration, de jalousie et de désir. Il était certain que Harry n'avait rien fait de tel, il faisait simplement exprès de le provoquer pour l'inciter à davantage et son côté vampire y réagissait parfaitement bien. Sans compter qu'il était resté sur sa faim en faisant l'amour avec Lucius et qu'il aspirait à se défouler.
Sur ses cuisses, Harry s'était rapproché de lui, leurs bassins collés l'un contre l'autre, et en roulant des hanches, il cherchait à se frotter contre lui. Ses bras agrippaient ses épaules, sa nuque, ses cheveux, ses mains maintenaient sa tête dans le creux de son cou, il gémissait faiblement, tandis que Severus continuait à fureter dans sa gorge, léchant et mordillant, lui-même emporté par l'envie. Il percevait dans l'esprit de son calice un bouillonnement de désir et de satisfaction à l'idée de ce qu'ils allaient faire. Un désir farouche et sauvage qui venait autant du calice que de l'homme qu'il avait si souvent aimé.
– Je…, hoqueta Severus entre deux éraflures vite cicatrisées sur la peau brûlante. Je ne te ferai pas l'amour cette nuit… Pas comme ça.
– Je m'en fous, souffla Harry entre deux gémissements éperdus. Fais ce que tu veux. Mais soulage-moi !
D'un mouvement brusque, il venait de reculer ses hanches pour dégrafer sa ceinture d'un grand geste et ouvrir son pantalon d'où émergea le sommet d'un sexe dur et larmoyant. Immédiatement, il empoigna son érection tandis que ses hanches roulaient à nouveau, secouées d'un désir spasmodique et convulsif. Severus n'était pas dans un meilleur état, ses lèvres et ses dents dans le cou de son calice, ses mains parcourant ses reins en hésitant à se glisser dans son boxer ou à revenir s'occuper de son propre sexe qui pulsait douloureusement dans son pantalon.
Au lieu de ça, il ceintura son calice et se souleva du canapé, le portant jusqu'à ce qu'il puisse l'allonger sur le tapis près du feu et s'étendre sur lui. Sans même réfléchir, ses lèvres quittèrent son cou pour fondre sur son visage et ils s'embrassèrent passionnément, comme il avait embrassé Lucius un peu plus tôt, tandis que leurs mains s'égaraient en caresses avides. Severus se décala sur le côté et glissa ses doigts dans le pantalon de son calice, attrapant ses testicules puis son érection pour la masser puissamment. Plus limité dans ses gestes, Harry se contenta de frotter la paume de sa main sur la bosse de son pantalon, gémissant désespéramment dans leur baiser enfiévré.
Severus sourit brusquement. Ce n'était pas ça, il n'allait pas faire l'amour à son calice comme il l'avait fait à son mari quelques heures plus tôt, parce qu'il avait eu assez d'émotions pour aujourd'hui, mais ils allaient jouir comme des adolescents, enthousiastes, emportés par le désir, libres et libérés. Et c'était merveilleux.
Et quand il quitta les lèvres de son calice pour aller le mordre dans le cou, les yeux rougeoyants de plaisir, ils basculèrent tous les deux dans une jouissance infinie.
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(1) Carla Bley/ Andy Sheppard/ Steve Swallow: Utviklingssang (Trios) Ecoutez! C'est aussi mélancolique que magnifique!
Merci à tous de votre lecture et de votre fidélité! J'espère que ce petit chapitre vous a plu ;)
Dans quinze jours, ce sera la soirée du Nouvel An pour nos trois héros, avec une petite révélation qui va déstabiliser un peu Harry... ^^
Au plaisir
La vieille aux chats
