Résumé: Après les fêtes de Noël qui ont marqué un rapprochement inédit entre Lucius et Severus, Harry est pris à partie par Lady Parkinson au cours de la soirée du Nouvel An du Ministère. Elle lui révèle que Severus a entrepris une vendetta afin de se venger de Vladimir et de le mettre hors d'état de nuire, et elle l'enjoint à se montrer particulièrement prudent car il est la faiblesse et la vulnérabilité de son vampire.

Aujourd'hui, les explications entre Harry et ses deux conjoints!

Ce chapitre fait directement suite au précédent, nous sommes le matin du 1er janvier et il est encore très tôt... Bonne lecture à tous!

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Severus se leva en s'étirant discrètement tandis que Mandy le raccompagnait vers une cheminée sécurisée. Malgré ce qu'il était, il se sentait un peu rouillé et ankylosé. Il savait qu'il avait tendance, comme beaucoup de vampires, à rester trop longtemps strictement immobile quand il était assis. Un seuil de douleur complètement différent d'un humain, l'absence de la plupart des désagréments du fonctionnement du corps, une conscience délayée du temps qui passait… Cette espèce de façon d'être, qu'ils avaient tous, en particulier les plus Anciens, comme s'ils étaient déjà figés pour l'éternité. Il avait besoin d'aller nager, sans doute… Et il avait un peu faim. Ou besoin d'un moment avec son calice.

– Bien. Je te remercie d'être passé, Severus.

Devant eux, dans un petit salon aux murs ornés de moulures dorées et aux plafonds peints dans un style Renaissance, se trouvait une belle cheminée de marbre italien.

– C'est moi qui te remercie. Surtout de m'avoir reçu aujourd'hui et à une heure pareille !

– Oh, je n'ai besoin que de peu de sommeil, assura Mandy. Et j'ai toujours été très matinale… Francis dort encore, très certainement, et si je le rejoins maintenant, il ne s'apercevra même pas que je suis debout depuis deux ou trois heures ! Il a toujours cru que je me contentais d'un café le matin, alors que je prends mon petit déjeuner bien avant lui !

Severus sourit, amusé de ce couple improbable, constitué pour des raisons plus politiques que sentimentales, et qui pourtant, était devenu quelque chose au fil du temps, mêlant la confiance, la tendresse et un certain attachement. Il avait presque l'impression de revoir Lucius et Narcissa autrefois, un mariage de raison mais une amitié réelle, et surtout une solidarité entre eux à toute épreuve.

– Je te tiens au courant dès que j'ai des informations plus récentes, ajouta Mandy.

– Merci, acquiesça Severus en rabattant son capuchon sur sa tête. Merci d'accepter de prendre part à tout ça…

– Oh, je le fais de façon très égoïste, ricana Mandy. Ce petit monde dissimulé de l'entre-deux du pouvoir me manque affreusement !

Severus esquissa un sourire devant son regard rusé et calculateur, puis prit une pincée de poudre de cheminette.

– Je serai tes yeux et tes oreilles ! rit-elle encore tandis qu'il disparaissait dans une gerbe de flammes bleues, blanches et rouges.

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Dans le vestibule, Severus déposa ses gants dans le tiroir de la console, puis ôta sa cape et ses bottes avant d'enfiler ses chaussures d'intérieur. L'elfe de permanence était occupé, au fond du Hall, à faire la poussière, et hormis le bruit chuintant de ses sortilèges ménagers, un silence profond régnait dans le Manoir. Il était encore tôt et le jour n'était pas levé; le ciel nocturne commençait tout juste à devenir plus bleu que noir et la lune à pâlir légèrement… Il avait encore un peu de temps avant que la lumière ne vienne à le gêner.

Tout en observant l'elfe de maison quelques instants, il hésitait. Il avait très envie d'aller nager dans la rotonde tant qu'il faisait encore nuit, sans avoir à mettre ce fichu sortilège d'obscurité qui lui donnait sans cesse l'impression d'être enfermé comme dans le pavillon chinois, mais il avait encore plus envie d'aller rejoindre son calice…

Hier, ils ne s'étaient pas beaucoup vus de la journée, la morsure avait été trop rapide pour être satisfaisante, et Harry était parti tôt de la soirée du Ministère, vaguement contrarié et préoccupé, sans même venir lui dire qu'il s'en allait… Ce départ anticipé pour aller chez Draco était prévu, ils en avaient parlé, mais Severus n'avait même pas pu lui dire un mot avant qu'il ne disparaisse, il n'avait pas pu lui souhaiter une bonne soirée, et encore moins une Bonne année, même avec quelques heures d'avance… Et il avait beau se dire, contrairement à Lucius, qu'il n'accordait aucune importance à ce genre de choses, il avait envie de commencer cette nouvelle année de la meilleure manière possible. Sous les meilleurs auspices…

De fait, rejoindre son calice et son mari sous la couette était plus que tentant. Il avait envie de tiédeur, de douceur, de se coller contre leurs corps délicieusement chauds, de partager leur réveil tout en volupté, et si une petite morsure pouvait s'inviter dans ces premières heures de la nouvelle année, il n'en serait que plus heureux.

Malheureusement, l'envers du décor de cette proximité le faisait hésiter. Il savait que les attentes de Harry ne se limitaient plus à des morsures assorties de quelques caresses, il savait qu'il en voulait davantage, et que Lucius, qu'il fuyait discrètement depuis quelques jours, – depuis la dernière fois qu'ils avaient fait l'amour et que son mari s'était offert à lui –, en attendrait tout autant. Ni l'un ni l'autre ne se contenterait d'une étreinte chaste sous la couette et d'un peu de tendresse, mais Severus n'était pas encore prêt à aller plus loin.

Et pourtant… il y était presque résolu. En forçant ses réticences et en le poussant dans ses retranchements, Lucius lui avait prouvé qu'il était capable de se maîtriser, quelles que soient les circonstances. La prise de conscience avait été violente mais à présent, Severus avait presque confiance en lui-même… Et il savait très bien ce que Harry attendait de lui depuis des semaines, presque des mois : renouer enfin corps et âmes, s'aimer jusqu'au fin fond de leurs chairs, allier le plaisir du sexe et celui de la morsure, s'unir dans une symbiose complète… Lucius était un autre problème qui ne se réglerait que lorsqu'il aurait le courage d'aller le trouver pour lui en parler, mais à la simple idée de pouvoir enfin faire l'amour à son calice, Severus se sentait fébrile comme un adolescent et il en aurait presque gémi d'impatience.

Restait à franchir le pas, avec toute la symbolique, la gravité et l'importance de cette première fois depuis le deuxième rituel dans le pavillon chinois. Ce qui ne serait sans doute pas pour ce matin car il s'agissait d'un moment très privé entre son calice et lui, qui ne supporterait pas la présence de Lucius pour cette première fois…

Et malgré toutes ces hésitations et ces réticences, Severus mourait d'envie de les rejoindre; il avait déjà souhaité une bonne année à son mari quelques heures plus tôt, mais Harry méritait lui aussi ces quelques mots et cette attention… Souhaiter que cette nouvelle année soit pour lui, pour eux, aussi belle que l'avaient été ces dernières semaines.

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Le lit dans lequel se glissa Severus était d'une douceur et d'une tiédeur exquises. Le parfum de Lucius et de Harry flottait dans l'air et imprégnait les draps. Il ressentait leur présence toute proche, le battement si lent de leurs cœurs, leur respiration profonde, presque lourde pour son calice alors que Lucius semblait dormir d'un sommeil plus léger… Il avait hésité à se coucher d'un côté ou de l'autre mais malgré les sentiments intacts qu'il portait à son mari, l'appel du sang était le plus fort.

Le plus doucement possible, Severus s'approcha du corps nu de son calice. Il dormait sur le ventre, la tête tournée vers Lucius, un bras glissé sous son oreiller et les jambes légèrement écartées. Sa chaleur rayonnait sous les draps, l'attirant comme un aimant, et il se colla contre son corps avec ravissement. Dérangé dans son sommeil, Harry frissonna, se rapprocha un peu plus de lui puis grogna instinctivement. Severus hésita à l'enlacer, peu désireux de le réveiller complètement par le contact de sa peau trop froide. Il avait gardé son boxer et sa chemise pour éviter ces désagréments à son calice, mais cela ne semblait pas suffisant.

Et puis Harry grogna à nouveau en remuant légèrement, Severus fut surpris par une lueur verte qui illumina brusquement la chambre et une sensation étrange et extraordinairement piquante le traversa de part en part. Il hoqueta et en ressortit frissonnant lui aussi, comme parcouru d'électricité statique, les poils de ses bras hérissés et même les petits cheveux sur sa nuque dressés par cette impression sulfureuse. Il mit plusieurs secondes supplémentaires à réaliser que ses vêtements avaient disparu et que Harry était collé, nu, contre lui. Tout aussi nu.

Ce fut le gloussement amusé de Lucius qui le tira de sa stupeur. À la faible lueur des arabesques de magie qui serpentaient sur la peau de son calice, Severus devina le sourire narquois de son mari et ses yeux entrouverts puis vite refermés.

– Il ne supporte toujours pas que tu sois habillé dans un lit !

– Vous le savez, marmonna Harry d'une voix endormie. Je ne sais pas pourquoi vous persistez…

– Parce que je ne voulais pas te réveiller avec ma peau glacée.

Le nez dans les cheveux de son calice, Severus inspira à pleins poumons son parfum chaud et sucré. Il ne l'avait jamais remarqué aussi intensément mais l'odeur de Harry le faisait presque saliver. Ou du moins lui procurait cette même sensation de faim gourmande et exigeante qui lui donnait envie de le prendre dans ses bras, de le caresser, de le mordre et de boire jusqu'à plus soif.

– Je connais une excellente façon de se réchauffer ! gloussa brusquement Harry en se trémoussant dans le lit pour lui faire face.

– S'il-te-plaît, non…, murmura Severus à l'oreille de son calice.

Aussitôt, les mains baladeuses parties explorer l'une son ventre et l'autre son sexe et ses bourses s'immobilisèrent, sans pour autant s'éloigner.

– Tu n'es pas très drôle, maugréa Harry avant de glousser de nouveau. Moi qui voulais te souhaiter une bonne année à ma façon ! Mords-moi alors, ça va te réchauffer !

De l'autre côté du corps brûlant qui les séparait, Severus vit Lucius sourire devant cette proposition éhontée. Un sourire complice et heureux de ces paroles, de ces attitudes qui s'affichaient maintenant sans honte devant lui. Quelque part dans l'esprit de Harry, le tabou de la morsure avait disparu, Lucius faisait complètement partie d'eux et il n'avait plus aucune appréhension, ni aucune gêne à ce geste intime en sa présence.

– Et moi je m'occupe de qui pendant que vous faites votre petite affaire ?

Les mots de Lucius firent rire Harry et lui rappelèrent sans doute une autre fois pas si lointaine où il avait été au centre de leur attention. Et Severus s'en souvenait tout aussi bien, l'esprit soudain submergé d'images lubriques et des sons indécents qu'avait gémis son calice ce jour-là.

– J'ai bien une petite idée, gloussa Harry. Qu'est-ce que tu en penses ?

Perdu dans ses pensées et dans la sensation licencieuse de la main qui enserrait toujours son sexe, Severus mit quelques secondes de trop à réagir aux murmures que s'échangeaient les deux hommes à ses côtés car son calice s'était soulevé dans le lit pour le pousser jusqu'à l'allonger sur le dos et le surplomber. À quatre pattes au-dessus de lui, Harry le dévorait des yeux avec un regard lubrique et un sourire un peu trop serpentard à son goût. Puis il baissa son bassin jusqu'à ce que leurs bas-ventres soient en contact et il commença à se frotter doucement contre lui.

Lucius profita du spectacle quelques secondes puis s'approcha à son tour, poussant doucement Harry pour qu'il se décale sur le côté. En un instant, sans qu'il n'en comprenne rien, Severus se retrouva avec le cou de son calice à portée de ses lèvres et d'autres lèvres, plus bas, qui furetaient sur la peau fraîche de son ventre, sur son pubis, à la base de son sexe… Un grondement rauque lui échappa tandis que son esprit rougeoyait de mille feux. Dans un geste réflexe, il referma ses bras autour du torse de son calice, le plaquant un peu plus contre lui, et plongea son visage dans son cou.

Harry gémissait, ou bien était-ce lui ? La bouche de Lucius s'employait à le sucer d'une façon si merveilleuse que Severus avait rejeté la tête en arrière sur les oreillers et s'était cambré au-delà de toute mesure. Le sang pulsait dans le corps de son calice, rapide, affolé, échevelé. Sa carotide bruissait juste sous ses lèvres et il geignait pour une morsure. Et quand Severus ouvrit la bouche pour le mordre enfin, le sang affola ses papilles, emplit sa gorge, quelques gouttes jaillirent même un peu plus bas et l'orgasme éclata dans toutes les fibres de son corps.

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Severus flottait encore dans les brumes du plaisir quand il sentit son calice se dégager doucement de son étreinte pour venir l'embrasser avec beaucoup de tendresse, suivi par les lèvres étrangement parfumées de Lucius.

– Voilà une bien jolie façon de te souhaiter une bonne année ! gloussa l'aristocrate quand Harry se fut rendormi entre eux..

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Harry gratta doucement à la porte du bureau de son mari et la poussa sans attendre de réponse. Lucius leva aussitôt les yeux vers lui, affichant un air contrit, tandis qu'il gloussait :

– Heureusement que tu en avais pour cinq minutes !

– Je sais… Excuse-moi, fit Lucius en ajoutant quelques mots rapides de la pointe de sa plume sur un parchemin. Mais j'ai reçu ce courrier et je voulais y répondre sans délai…

Harry hocha la tête, parcourant du regard le bureau de l'aristocrate avec ses meubles précieux, ses tableaux de maître et son lustre scintillant. Les rideaux étaient grands ouverts sur les jardins figés par l'hiver : le ciel était dégagé et un soleil généreux achevait de faire fondre les gelées matinales cachées dans les coins d'ombre ou au pied des haies. Une journée lumineuse.

– Severus n'est pas là ?

– Non, répondit Lucius en paraphant sa lettre avant d'y apposer son sceau personnel. Il est parti pour quelques heures à la Librairie, mettre un peu d'ordre avant la réouverture…

Harry réfréna un sourire à mi-chemin entre l'amusement et l'inquiétude; il doutait que quoi que ce soit eut besoin d'être rangé dans le repère si minutieux de son vampire, en revanche il redoutait que ce ne soit qu'une excuse pour partir chercher un moyen d'exercer sa vengeance. Bien évidemment, il ne dit rien de tout cela à son mari et se contenta de lui proposer :

– Ça te dit un tour dans les jardins ? Il fait froid mais il fait un soleil magnifique.

Il rentrait tout juste de Sainte-Mangouste, des effluves de potions et de l'odeur si particulière des hôpitaux, hésitant entre désinfectant et relents de maladies. Il avait envie d'air frais.

– Pourquoi pas ? répondit Lucius en se levant avant de l'enlacer en ricanant à son oreille : Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu emmitouflé dans ta grosse écharpe avec le bout du nez tout rouge !

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Il n'avait pas menti : le froid était saisissant, et il n'était pas le seul à avoir le bout du nez un peu rouge. Cependant, un soleil généreux réchauffait agréablement leurs épaules et la marche les avait revigorés. Harry gardait ses mains enfoncées au fond des poches de son manteau alors que son mari, toujours aussi apprêté, avait enfilé des gants en cuir de dragon. De temps en temps, il sortait le menton de sa grosse écharpe pour souffler discrètement un petit nuage de vapeur blanche par la bouche. Ce genre de bêtises d'enfant continuait de l'amuser et il avait hâte de les montrer à Aria dans quelques temps.

Pour profiter du soleil, ils avaient fait en sorte d'emprunter les grandes allées découvertes du domaine, loin des arbres et des sous-bois. Leurs pas les avaient conduits vers les prés et les écuries, et puis Lucius l'avait pris par le bras pour les faire bifurquer et ils cheminaient maintenant sur un sentier le long d'une petite rivière. Harry ne se souvenait pas être jamais venu par là; d'habitude, ils dépassaient plutôt les écuries pour s'en aller vers le sommet des collines qui descendaient en pente douce vers les vallées parsemées de champs et de villages. Mais l'endroit était joli et le murmure chantant de l'eau, juste à côté d'eux, l'apaisait étrangement.

Ce fut peut-être cela qui le décida à sortir ce qu'il avait sur le cœur malgré la tranquillité paisible et silencieuse de leur promenade… Sur une impulsion, il jeta un sortilège de silence autour d'eux; Lucius s'arrêta net et lui lança un regard surpris et interrogateur. Avec un pincement au cœur, Harry remarqua également que son mari avait plongé une main dans la poche de son manteau, sans doute pour prendre sa baguette. Le connaissant, il l'avait certainement attrapée, serrée entre ses doigts, prêt à se défendre, à se battre, à n'importe quelle situation qui aurait justifié une réaction de sa part. Même sur les terres de son domaine, Lucius se tenait en permanence sur le qui-vive… Le triste résultat de cette espèce de harcèlement de Vladimir.

– Qu'est-ce qui se passe ? fit Lucius en se relâchant devant son attitude plus lasse qu'inquiète. Tu crains que nous ne soyons épiés par les petits oiseaux et les écureuils ?

Harry éluda d'un geste de la main la tentative d'ironie de son mari. Il n'aurait pas su dire pourquoi mais il se sentait plus en sécurité avec un sortilège de silence autour d'eux pour évoquer ses tourments.

Il remit sa main au fond de sa poche et baissa la tête, tapant du bout du pied dans un caillou qui roula jusque dans le ruisseau avec une éclaboussure discrète.

– Qu'est-ce que… qu'est-ce que tu sais de ce que Severus fait de ses nuits ?

C'était assurément une drôle de façon de tourner sa question… Lucius aurait pu prendre ça pour de la jalousie, comprendre qu'il songeait peut-être à une « infidélité » de Severus, et lui répondre d'une boutade et d'un sourire… mais son visage restait terriblement sérieux et ses sourcils froncés ne laissaient aucune place à la légèreté.

– Hum. Je suppose que tu veux parler de toutes ces nuits où il n'est pas au Manoir ou de ces rencontres régulières et surprenantes avec d'Alagnac ?

– Par exemple…

Ils se dévisagèrent de longues secondes, chacun cherchant dans les yeux de l'autre ce qu'il savait ou ce qu'il devinait de la situation. Puis Lucius le prit par le bras et ils reprirent leur marche silencieuse sur quelques dizaines de mètres.

– Officiellement, je ne suis au courant de rien, commença Lucius. Severus a catégoriquement refusé de s'étendre sur le sujet à chaque fois que je lui en ai parlé.

Harry ferma les yeux une brève seconde et soupira discrètement. Il était passé à côté de tellement de choses ces derniers temps…

– … Évidemment, comme toi, j'ai remarqué son petit manège, reprit Lucius. Ses absences répétées, la présence plus fréquente de Sebastiaan, dès que l'on sort quelque part, ou de d'Alagnac; je sais qu'il a même pris contact avec Mandy; il reçoit à la Librairie des courriers qu'il ne reçoit pas au Manoir… Il ne veut pas nous impliquer là-dedans, mais il se trame bien quelque chose qui, à mon avis, a un rapport avec Vladimir.

– Il cherche à… le traquer ?

– Sans doute. Il cherche en tout cas à étoffer son réseau et à glaner un maximum d'informations.

Harry serra les dents et avança machinalement de quelques pas.

– Depuis quand es-tu au courant de tout ça ?

– Quelques… mois, hésita Lucius. Je n'avais que des suppositions, de petites choses qui me dérangeaient, qui me mettaient la puce à l'oreille, jusqu'à ce week-end que nous avons passé chez Mark et Håkon à l'automne…

– Severus m'a avoué qu'il m'avait suivi ce soir-là, pour garder un œil sur moi quand je suis sorti danser avec Mark, fit Harry pensivement.

Lucius grimaça.

– Oui. Il est aussi revenu avec la trace d'un sortilège qui aurait pu le tuer s'il avait encore été complètement humain ! lâcha-t-il.

Harry écarquilla les yeux, le ventre brusquement noué d'une contraction douloureuse. Le tuer ?! Comment était-ce possible ? Comment avait-il pu ne se rendre compte de rien ?! Et qui était à l'origine de ça ?!

Il s'obligea à respirer profondément l'air pur et frais de ce petit matin d'hiver pour reprendre contenance. Il n'arrivait même pas à envisager que Severus, que son vampire, avec la puissance qui était la sienne, bien supérieure à la plupart des vampires de Colibita, puisse être blessé par qui que ce soit. Et il n'en avait rien su… À la simple pensée qu'il aurait pu perdre Severus, qu'il aurait pu mourir, blessé par une main ennemie, il sentait une sueur froide rouler le long de son dos.

– Comment… comment tu l'as su ? bredouilla-t-il.

– Il t'avait mordu dans la chambre et je vous avais surpris en sortant de la salle de bains, je ne sais pas si tu te souviens… Et finalement, il est venu me rejoindre sous la douche. Il n'avait juste pas songé qu'en le voyant nu, j'allais aussi remarquer cette blessure dans son dos… Il venait de boire; ton sang la faisait disparaître rapidement mais elle ne devait pas être belle à voir à l'origine.

Harry frissonna, perdu dans ses pensées angoissées et ses souvenirs.

– Et il y a eu toutes ces fois où il avait anormalement faim alors qu'il avait bu pas si longtemps auparavant… Comme s'il avait brusquement dépensé trop de magie.

– … Ses réactions exagérées à chaque article de journal qui parle de nous, ses inquiétudes à ton sujet, les portoloins d'urgence, etc.

Lucius lui adressa un sourire crispé puis embrassa d'un large regard le panorama autour d'eux. Au loin, quelques collines moutonnaient doucement; le ciel était limpide, le soleil resplendissant, l'herbe étincelante d'un vert vif. Un silence presque religieux s'étendait, à peine troublé par le chantonnement discret du ruisseau à travers le sortilège de silence.

Harry rentra son menton dans la grosse écharpe qui ceinturait son cou, allant presque jusqu'à y enfouir son nez. Il se sentait abasourdi au point qu'il n'arrivait même pas à plaquer un quelconque sentiment sur toutes ces révélations. Pas plus que Severus, Lucius ne lui avait rien dit. Certainement, aucun des deux n'avait voulu troubler sa quiétude, la relation qu'il reconstruisait patiemment avec son vampire, tous ces moments merveilleux qu'il avait passés avec sa fille ou à s'entraîner avec son équipe pour les matchs de quidditch… Severus ne lui avait fait part de ses appréhensions que contraint et forcé, quand Harry avait imposé de faire le point sur leur relation. Et là encore, son vampire n'avait pas dit la moitié de la vérité : il avait avoué son inquiétude au sujet du silence de Vladimir, mais pas celle, mêlée de culpabilité, au sujet de ses actions dans l'ombre qui allaient sans doute réveiller un jour la colère de leur ennemi…

Pourtant Harry n'arrivait pas à lui en vouloir, ni de son silence, ni de cette envie d'agir, de se rebeller contre l'attente anxieuse et inexorable du prochain grain de sable en provenance de Vladimir.

– Qu'est-ce qu'il essaye de faire, au juste ? De le débusquer ? De rassembler des preuves contre lui ? Je doute que Vladimir soit intimidé par un petit séjour à Azkaban !

Son ironie amère tombait à côté, une inquiétude sourde martelait son esprit, il se sentait démuni, et surtout impuissant.

– Et moi je doute que Severus s'en tienne à ça ! répliqua sèchement Lucius. Il ne s'estimera satisfait que lorsque Vladimir sera définitivement hors d'état de nuire.

– Définitivement… Le tuer, donc.

Lucius leva les yeux au ciel comme s'il s'agissait d'une évidence. Ça l'était, vraisemblablement, mais ça n'empêchait pas Harry d'être sidéré.

– Et tu n'as même pas essayé de le dissuader ? protesta-t-il aigrement.

Cela sonnait un peu trop comme un reproche mais Lucius se contenta de ricaner.

– Dissuader Severus quand il a une idée en tête ?! Connais-tu quelqu'un qui soit plus obtus que lui ?!

– Mais tu es Ministre ! Comment peux-tu cautionner…

– Je ne suis plus Ministre !

– Et quand bien même ! Severus ne peut pas juste décider de supprimer quelqu'un parce qu'il l'a décidé ! Et je suis pourtant bien placé pour avoir des choses à reprocher à Vladimir ! Pourquoi n'as-tu pas tenté de l'en empêcher si tu es au courant depuis des mois ?!

Pour la première fois depuis très très longtemps, son mari le dévisagea d'un regard froid et presque dédaigneux.

– Je ne me mêlerai pas de ce que Severus fait dans l'ombre, décréta Lucius en appuyant chaque mot d'une voix sourde. Il peut bien faire de la charpie de ce vampire que je ne lui dirai strictement rien tant qu'il le fait discrètement. Ose me dire que tu ne serais pas soulagé si Vladimir disparaissait définitivement ?!

Avec un silence buté, Harry donna rageusement un coup de pied dans un caillou qui s'envola sur plusieurs mètres. Les deux poings au fond des poches, il fourragea du menton dans son écharpe comme pour s'y cacher.

– Évidemment, reconnut-il dans un marmonnement presque indistinct. Mais ce n'est pas une raison pour valider ce genre de justice expéditive ! Il y a des tribunaux pour ça, des…

– Bien sûr que ce n'est pas moralement acceptable, l'interrompit Lucius en s'adoucissant. Mais c'est compréhensible. Severus veut vivre l'esprit tranquille, avec la certitude que personne ne viendra plus jamais s'en prendre à toi, ou à nous en règle générale. J'ai connu la guerre, comme toi autrefois, et je sais très bien qu'on ne peut pas toujours compter sur les institutions pour rendre la justice. Et de toute façon, le monde sorcier ne régit pas la façon dont les créatures se gouvernent elles-mêmes.

– Severus n'est pas une créature ! se défendit Harry.

Cette fois, Lucius l'observait avec un sourire attendri, une lueur de compréhension affectueuse dans le regard.

– Au risque de te choquer, Severus est une créature. Aux yeux de la loi, aux yeux de ses congénères et même à ses propres yeux… Et ça lui donne tout pouvoir pour aller tuer Vladimir lui-même.

Doucement, comme pour ne pas le brusquer, Lucius s'approcha de lui et posa une main sur son bras.

– Je sais que tout ça t'inquiète et je le comprends tout à fait. Comme moi, tu préférerais que Severus se tienne tranquille, qu'il oublie cette histoire de vengeance et qu'il se contente de faire profil bas pour ne pas attirer le regard de Vladimir sur nous et attiser sa colère. Mais ce n'est pas le choix de Severus… Et comme lorsqu'il te laissait partir à tes entraînements de quidditch sans te surveiller, tu le laisseras faire ses petites affaires sans interférer, avec ce même mélange de résignation, de confiance et d'inquiétude qu'il avait alors…

Harry geignit un son étranglé et franchit la courte distance qui le séparait de son mari pour jeter ses bras autour de son cou.

– Prends-moi dans tes bras, gémit-il.

Lucius l'enlaça avec toute la douceur dont il était capable, le serrant fort contre lui jusqu'à ce qu'il arrête de trembler.

– Je ne peux pas te promettre que tout va bien se passer, mais Severus fera toujours de son mieux pour te préserver, murmura l'aristocrate. Allez, ramène-nous au Manoir; on a tous les deux besoin de calme et d'un bon feu de cheminée pour se réchauffer…

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Il lui fallut trois jours pour digérer cette information; trois jours que Harry passa dans les bras de son vampire, cherchant le plus possible son contact, sa douceur et sa tendresse. Lové contre lui dans le canapé du Petit Salon, devant un film dans la salle de cinéma, le soir, ou bien dans leur lit, au moment de se coucher, pour une morsure. Une façon de s'assurer de sa présence aussi… Certainement. Et pour ça, il avait été prêt à abandonner tout désir de gestes un peu plus poussés que de la simple tendresse si Severus venait avec eux dans leur chambre.

Lequel Severus acceptait sans rechigner – et même plutôt satisfait – ce besoin de proximité. Il écartait les jambes pour que Harry vienne s'y glisser et s'adosser contre son torse, il soulevait un bras pour lui permettre de se nicher contre lui, il l'enlaçait dès qu'il s'approchait avec cette envie évidente de se blottir et de se rassurer.

Et il ne protestait pas davantage quand ce besoin le prenait au milieu de la nuit, quand Harry se levait sur une insomnie pour le rejoindre, nu ou enveloppé dans un vague kimono, quand il le cherchait dans toutes les pièces du Manoir, un peu plus affolé à mesure qu'il ne le trouvait nulle part, ni dans la Bibliothèque, ni dans les salons, ni dans la salle de billard… Il percevait le soulagement qui l'envahissait brutalement quand il le découvrait enfin dans la piscine de la rotonde, en train de nager avec cette régularité rassurante, quand il se laissait glisser dans l'eau pour l'atteindre enfin et soulager son besoin de se faire mordre.

Ce petit manège dura donc trois jours, au bout desquels, légèrement rassasié et apaisé, Harry se résolut à provoquer la conversation qui s'avérait nécessaire entre son vampire et lui.

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– Viens avec moi, ordonna-t-il dans un murmure.

D'une main, il attrapa le poignet de son vampire et le tira pour l'inciter à se lever et à le suivre vers la Bibliothèque. La pièce s'était imposée sans réfléchir, parce que c'était le lieu de leurs morsures habituelles, quand Lucius n'était pas présent, et parce qu'elle symbolisait un peu son vampire et tout ce qui les unissait, depuis les premières morsures tendres au creux de la nuit, des mois plus tôt, jusqu'aux ébauches de rapports sexuels qu'ils avaient partagés ces derniers temps.

Severus, pas plus surpris que cela, le suivit sans résister. Le temps de remonter le couloir, la main de Harry avait glissé le long de son poignet pour trouver la sienne, puis pour entrelacer leurs doigts, urgemment, puissamment, comme une prise à laquelle se raccrocher. D'une volute de magie, il voila les fenêtres, puis dans la pénombre, il poussa doucement son vampire jusqu'à ce qu'il s'installe sur le canapé avant de s'installer à son tour, entre ses bras, entre ses cuisses, contre son torse, comme pour une morsure.

Mais Severus avait dû percevoir quelque chose de différent dans ses émotions car, s'il l'enlaça aussitôt, son visage resta loin de son cou et sa voix était basse et légèrement pressante en demandant :

– Qu'est-ce qui se passe ?

– Je veux qu'on parle, répondit immédiatement Harry avant que le courage de soulever cette discussion ne l'abandonne.

– Très bien. De quoi veux-tu parler ?

Il passa une main nerveuse dans ses cheveux puis il soupira, rejeta la tête en arrière, sur l'épaule de son vampire, et ferma les yeux.

– Tu te souviens de cette chambre d'hôtel dans laquelle tu m'avais emmené pour… parler de nous, de ce qu'on attendait l'un de l'autre…

– Mmh oui… Et ? fit Severus d'un ton hésitant.

Harry, lui, s'en souvenait parfaitement. Il revoyait la décoration de la pièce, la tapisserie aux motifs verts, le canapé d'angle moelleux dans lequel ils s'étaient presque aimés avec bonheur, et ce tableau de chevaux sur le mur qu'il avait contemplé pendant toute leur conversation. Il se souvenait aussi des mots qu'avait dits Severus, de ses promesses et de cette sensation de communion…

– Tu avais promis que tu me dirais tout, lâcha-t-il.

– C'est-à-dire… ?

– Pourquoi tu ne m'as rien dit à propos de Vladimir ? reprocha Harry doucement. Que tu te renseignais sur lui, que tu cherchais à… le faire disparaître.

Derrière son dos, il sentit Severus se tendre légèrement avant qu'il ne réponde d'une voix lente et mesurée.

– J'avais promis de te dire si je sortais la nuit… Si j'avais envie ou besoin de décaler une morsure… Ou bien si quelque chose me gênait dans notre relation. Je n'ai jamais promis de tout te dire.

– Ne joue pas sur les mots, Sev ! s'agaça-t-il. Bon sang, ce n'est pas anodin ! Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?!

Lentement, Severus resserra ses bras autour de lui, caressant doucement ses mains pour l'apaiser, avant de glisser son visage contre sa tête, dans ses cheveux.

– Parce que je n'ai pas jugé nécessaire de le faire…

– J'aurais aimé que la communication entre nous ne soit pas qu'une question de nécessité !

– Je sais… Je suis désolé, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.

Harry respira profondément et soupira; il se sentait agacé, vraiment contrarié que Severus ne le prenne pas plus au sérieux, qu'il ne comprenne pas son besoin de s'expliquer sur son silence, surtout sur un sujet aussi essentiel.

Et il fut encore plus agacé quand, au bout de quelques secondes muettes, Severus glissa son visage dans son cou pour le mordre tout doucement.

– S'il-te-plaît, Sev ! Ne joue pas avec moi ! fit-il avec un geste irrité de la main pour le chasser.

– Jamais. Je ne joue jamais avec toi, affirma Severus d'une voix grave et basse. Je veux juste que tu puisses m'écouter.

– Je n'attends que ça ! marmonna Harry tout en reconnaissant qu'il se sentait déjà un peu plus calme.

Severus embrassa doucement sa peau à l'endroit de la morsure puis redressa la tête tout en jouant de son nez dans ses cheveux.

– Je ne voulais pas t'en parler si ce n'était pas nécessaire parce que je ne veux pas te mêler à tout ça. Toi et Lucius, vous avez déjà assez souffert de l'acharnement de Vladimir et de ce que je suis devenu. Cette histoire s'est transformée en un conflit personnel entre lui et moi, et je voulais vous en préserver au maximum.

– Lucius m'a déjà dit tout ça, protesta Harry. Ça ne me dit pas pourquoi tu éprouves le besoin d'aller jusqu'à le tuer ! Tu ne crois pas que Vladimir pourrait finir par… se lasser et passer à autre chose ?

– Non, répondit catégoriquement Severus avant de répondre d'un ton presque pensif : Tu sais, quand il m'a transformé, il m'a retenu de nombreuses heures, et nous avons eu le temps de « converser » longuement. Vladimir est un vampire ancien, plus ancien que Mihai lui-même, plus ancien que les plus anciens de Colibita… Il a vécu longtemps, à travers toute l'Europe, il a rencontré nombre de gens extraordinaires, des rois, des reines, des hommes politiques de tout bord, des artistes, des savants… Aujourd'hui, Vladimir est quelqu'un qui s'ennuie.

Severus se tut quelques secondes, jouant machinalement avec ses cheveux tout en caressant sa main de son pouce.

– Il vient d'une autre époque, révolue, et je pense qu'il n'apprécie pas vraiment notre monde moderne. Il ne s'y sent pas à sa place. Son seul plaisir, davantage même que de se nourrir, c'est de… manipuler les gens, les voir se débattre dans une situation, qu'il a créée ou non d'ailleurs; il aime disséquer les comportements, les sentiments, faire souffrir et regarder les cris, les larmes et le désespoir. Durant sa longue existence, il a eu le temps de vivre, de voir et d'expérimenter bien des choses… Et pourtant, dans toute cette lassitude et cette monotonie, nous avons, je ne sais pas pourquoi, éveillé sa curiosité. Un sursaut de vie, une étincelle qui le secoue dans ces siècles d'indifférence. Et s'il a trouvé un regain d'intérêt avec nous, il ne l'abandonnera pas de sitôt… Pas avant d'avoir joué sa carte maîtresse, qui sera la mort de l'un de nous trois pour savourer le chagrin des autres.

Harry frissonna et se nicha un peu plus contre le corps de son vampire, resserrant autour de son ventre les bras qui l'enlaçaient. Il n'imaginait même pas ce que pourrait être la mort de l'un d'eux. À la seule pensée de ce qu'il pourrait ressentir si son mari ou son vampire venaient à disparaître, au-delà de la question du sang, son cœur se serrait dans sa poitrine et il se sentait déjà déchiré de l'intérieur. Et en même temps, il comprenait ce que voulait dire Severus : ils n'étaient que des marionnettes dans le théâtre malsain de Vladimir et celui-ci ne s'arrêterait que lorsqu'il aurait tiré toutes les ficelles et épuisé leurs gesticulations ridicules.

Il soupira, glacé de cette pénible lucidité, et déploya sa magie pour faire venir à lui le plaid posé sur le fauteuil un peu plus loin. Severus l'aida à l'étendre sur eux, se drapant d'un cocon de douceur, puis ses bras retrouvèrent le chemin de son corps, enroulés puissamment autour de sa taille.

– Qu'est-ce que tu essayes de faire, au juste ? souffla Harry au bout d'un moment. De le provoquer pour l'affronter ?

– Non, pas du tout ! fit Severus avec un sourire dans la voix. Je m'emploie à quelque chose d'un peu plus subtil qu'une confrontation typiquement gryffondorienne… Pour l'instant, j'essaie surtout de glaner le maximum de renseignements à son sujet. Savoir d'où il vient, remonter le fil de sa vie, essayer de le comprendre… Mihai m'aide d'ailleurs particulièrement sur ce sujet. Et puis d'un autre côté, j'essaie de savoir ce qu'il devient aujourd'hui : les endroits où il « chasse », ceux où il réside, les gens qui l'entourent. Savoir s'il est attaché à quelque chose, à quelqu'un, s'il a une faiblesse… Il en a forcément une; tout le monde en a.

Brusquement, Harry fronça les sourcils, pris d'un doute violent et amer.

– C'est pour ça que tu m'as demandé de donner du sang à Mihai, quand nous sommes allés à Colibita ?! Pour…

– Pour qu'il puisse vivre, pour qu'il m'aide, reconnut Severus d'une voix tranquille. Je t'avais dit que mes motivations n'étaient pas altruistes… Mais crois-moi si je te dis que Mihai n'a pas hésité une minute. Je ne sais pas ce qui l'a le plus convaincu : pouvoir boire ton sang ou bien la perspective tout aussi jouissive de pouvoir détruire Vladimir… J'ai été honnête avec lui, ajouta-t-il lentement. Je ne l'ai pas utilisé, ou manipulé; Mihai sait parfaitement quels objectifs je vise et les dangers auxquels il se frotte. Il a fait ce choix avec une joie… presque sauvage.

Dans la chaleur confortable du plaid, Harry remua doucement pour s'installer un peu mieux contre son vampire. Pour chercher sa tendresse. Il comprenait ses motivations, il percevait la sincérité de ses paroles, il n'arrivait même plus à lui en vouloir de son silence… Cette nouvelle « quête » ne lui faisait pas plaisir, lui qui n'aspirait qu'au calme et à retrouver une vie paisible avec ses deux conjoints, mais il comprenait la nécessité qui animait la volonté de Severus, ce besoin de faire table rase des dangers qui les menaçaient pour s'autoriser ensuite à savourer la paix. Et en dépit de tout, et même avec l'aide précieuse de Mihai, il n'arrivait pas à se résoudre à le laisser gérer cela seul.

– Qu'est-ce que… je peux faire pour t'aider ?

– Rien du tout ! décréta Severus un peu vivement. Tu ne devrais même pas être au courant de ça !

La réaction épidermique du vampire traduisait davantage son inquiétude qu'un réel rejet et Harry ne s'en offusqua pas.

– Il se trouve qu'on m'a prévenu et que je suis au courant.

– Qui ?! Si ce n'est pas Lucius ?

– Parkinson…

Il perçut la surprise de Severus, à la fois dans son léger mouvement pour se redresser, mais aussi dans sa voix.

– Ah. Il n'est pourtant pas des plus hardis quand il s'agit de se renseigner et de prendre des risques !

– Pas lui. Elle.

– Mmh. Je comprends mieux… Elle est discrète et elle joue à merveille les potiches, mais elle a un vrai réseau autour d'elle. Que t'a-t-elle dit exactement ?

– Peu importe, soupira Harry en éludant d'un geste de la main, puis il se mit à glousser : Elle a dit que tu étais stupide !

– Vraiment ?!

– A peu près, fit-il en riant avant de reprendre plus sérieusement : Sev, je ne vais pas pouvoir rester à jouer les potiches, moi non plus. Surtout en sachant que tu prends des risques.

– Je ne prends pas de risques, affirma Severus. Du moins pas pour l'instant. Et tu n'es certainement pas une potiche ! Harry… je ne veux rien t'interdire. Je ne veux pas t'empêcher de faire ce que tu souhaites, d'aller où tu veux, mais… j'ai besoin de te savoir en sécurité. J'ai besoin d'avoir l'esprit tranquille et de savoir que tu fais attention, que tu restes sur tes gardes. Je sais que tu as le portoloin d'urgence et que tu es déjà conscient de tout ça, mais vraiment, en dehors du Manoir, de Poudlard et de la maison de Draco, tu n'es complètement en sécurité nulle part. Tu dois te méfier de tout, et de tout le monde, ne pas trop te montrer, fuir les endroits où tu es seul et vraiment, vraiment faire attention. S'il-te-plaît…

La voix presque étranglée, Severus avait posé son front à l'arrière de son crâne et Harry sentit son ventre se nouer à l'angoisse sourde et latente de son vampire. Il était évidemment une cible de choix, et plus Severus allait traquer et agacer Vladimir par ses recherches, plus il serait en danger. Et il ne supportait pas l'idée de créer de telles angoisses à son vampire.

– Je t'ai promis de faire attention, fit-il posément en resserrant ses bras sur ceux de Severus. Et je te le promets à nouveau. Je ne ferai rien d'inconsidéré. Mais si je peux t'être d'une aide quelconque, n'importe quand, même si c'est juste pour une morsure supplémentaire ou n'importe quoi d'autre, je veux que tu me le dises.

Dans la pénombre de la Bibliothèque, Harry sentit l'aura de son vampire s'échapper presque malgré lui; non pas sa puissance brute, mais quelque chose comme un trop-plein d'émotions, de fragilités, des angoisses rougeoyantes et presque animales, des craintes primitives. Une sensation si déroutante, si perturbante qu'il déploya à son tour sa magie pour les en envelopper et les rassembler, pour les contenir de volutes vertes, chaudes et apaisantes.

– Je serai toujours là pour t'aider.

– Tu m'aides déjà, Harry, confessa Severus d'une voix hachée et voilée. Depuis des semaines, des mois, depuis mon retour de Colibita, tu m'as aidé à tenir debout, tu m'as reconstruit, tu m'as redonné ta confiance… Tu m'as nourri et tu as fait preuve de plus d'humanité et de bienveillance envers moi que personne n'aurait jamais pu le faire… Sans toi, et je ne parle pas de sang, je ne serais sans doute plus là.

Le regard rivé droit devant lui, Harry se mordit la lèvre pour résister aux larmes d'émotion qui perlaient à ses paupières. La sincérité désarmante de son vampire jetait à bas toutes ses barrières, toute sa maîtrise. Severus disait ce qu'il ne disait jamais, tous ces sentiments qui vibraient dans son cœur, dans son âme, qui vibraient entre eux en un lien indéfectible et qui le faisaient trembler comme une feuille morte.

– Tu sais à quel point je t'aime, reprit Severus dans un murmure étranglé. Tu sais à quel point j'ai besoin de toi… Je ne ferai jamais rien qui puisse te nuire. Rien qui ne te mette en danger plus que tu ne l'es déjà. Tout ce que je veux, c'est te protéger, aujourd'hui et demain, comme tu m'as protégé depuis que je suis revenu. Je sais que je t'en demande beaucoup mais je te demande encore une fois de me faire confiance.

– Je…, gémit Harry en peinant à déglutir. Oh, bon sang !

Dans sa gorge, l'émotion s'était muée en une grosseur qui l'étouffait et il devait papillonner des yeux pour refouler ses larmes. Ses mains agrippées aux bras de son vampire s'étaient crochetées à ses mains, comme pour l'empêcher de s'enfuir. S'il l'avait pu, il aurait voulu ne faire qu'un avec lui, l'envelopper, l'embrasser, fusionner. Lui rendre tout ce qu'il lui donnait, tout cet amour, toute cette émotion qui ruisselait dans son cœur, dans son ventre, sur ses joues…

Et en même temps, cette émotion le grandissait, lui donnait de la force, de l'assurance, le remplissait de puissance. Les sentiments renouvelés de Severus, cette vulnérabilité qu'il n'hésitait plus à avouer, réparaient toutes ses blessures, tous les aléas de leur relation et Harry se sentait magnifié par son amour. Il relâcha lentement les mains de son vampire et se retourna pour s'agenouiller entre ses cuisses. Sa magie lui avait échappé à nouveau, les enveloppant de lueurs rondes et chaudes, vibrantes de ferveur. L'émotion avait fait place à un sentiment de sérénité invincible, de plénitude et d'accomplissement. Il prit doucement le visage de Severus entre ses mains, caressant ses pommettes de ses pouces, et glissa un baiser sur ses lèvres. Dans sa poitrine, son cœur enflait de sentiments auxquels les mots ne rendraient jamais justice et le lien frissonnait d'un attachement exalté.

– Tu mérites cette confiance, murmura Harry. Tu n'as fait que me le prouver depuis que tu es revenu ! Merlin ! Je t'aime. Je t'aime tellement...

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oooooo

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– Ah, vous êtes là ! Je vous cherchais pour…

Dans le brouillard flou de son esprit, Severus perçut la voix de son mari, légère, insouciante, si loin des émotions tumultueuses qui résonnaient encore dans ses pensées et dans son ventre.

– Harry n'est pas avec toi ? fit Lucius en pénétrant de quelques pas dans la Bibliothèque.

– Dans son « bureau ». Il avait besoin de… la forêt. Et de calme.

Dans le silence à peine troublé par la présence de son mari, Severus n'entendait même plus le grésillement produit par ses mains posées sur le sortilège d'argent. Il ressentait à peine la douleur. elle ne le réveillait même plus. Il résistait juste à l'envie d'y poser son front. pour bien faire, il aurait voulu y poser tout son corps, toute sa chair, brûler jusqu'à l'intérieur…

– Mais qu'est-ce que tu fiches ?! cria brusquement Lucius en le tirant par le bras pour l'éloigner de la fenêtre. Non mais qu'est-ce qui te prend ?!

Severus tituba d'un pas en arrière avant de s'immobiliser, le regard rivé sur le sortilège d'argent qui ondoyait doucement. Puis il baissa les yeux vers ses paumes calcinées dont la peau se reconstituait déjà à vue d'œil. À côté de lui, inquiet malgré sa colère, Lucius fronçait le nez devant l'odeur de chair brûlée. Il n'avait encore jamais été témoin de ça. Harry savait, lui. Ce besoin de toucher l'argent, de ressentir sa brûlure, sa puissance, le besoin d'éprouver ce qui pouvait le détruire et qui, paradoxalement, le calmait si bien. Lucius découvrait cette névrose étrange, malsaine sans doute, mais qui l'aidait à tenir debout.

– Salazar ! Si tu as besoin d'avoir mal, on peut aller dans l'antichambre !

Un instant, le désir de souffrir le fit frissonner des pieds à la tête. Ressentir à nouveau la morsure du fouet, la saturation des sens et puis le lent reflux, le calme souverain qui s'emparait de lui, après… Presque une nostalgie.

– Qu'est-ce qui se passe ?! le pressa Lucius devant son absence de réaction.

Lucius qui le comprenait toujours si bien. Même aujourd'hui.

– Rien. Ça va aller… On a eu… une conversation difficile.

– Vous vous êtes disputés ?!

– Non… Non, répéta lentement Severus. Mais… ce n'est pas toujours facile d'être lui et d'être moi. C'est parfois trop d'émotion.

Ses mains étaient à nouveau normales. Ou du moins intactes. Il releva la tête vers son mari, ses yeux gris de pluie, ses sourcils froncés, son regard nerveux, tendu, inquiet.

– Ça va aller, répéta-t-il avec un pâle sourire tout en se laissant happer par les bras de Lucius.

Harry aussi l'avait tenu comme ça tout à l'heure. Fort; serré. Après avoir été si ému de ses mots puis avoir si magnifiquement proclamé son amour, il l'avait enlacé, précieusement, avec dévotion et fermeté à la fois. Comme Lucius le tenait maintenant, pour d'autres raisons…

La magie avait vibré entre eux et dans le lien; les sentiments de son calice emplissaient son esprit, immenses, puissants, si profonds qu'ils prenaient racine dans l'obscurité de son âme, là où Harry était forêt dense et sombre, magie primitive et instinct animal. Il avait affirmé son amour et cette fois, Severus le croyait. Il le ressentait. Et après tout ce qui s'était passé, après tout le mal qu'il lui avait fait, Harry l'aimait… et il en était hébété et sidéré.

Severus respira le parfum si doux de son mari et glissa ses bras autour de sa taille, son visage dans son cou. Merlin. Comme cette présence faisait du bien. La solidité de Lucius. Sa constance inébranlable et pourtant cette douceur dont il faisait preuve avec eux. Il était encore un peu bouleversé, sans doute…

– À toi aussi, il faudra que je parle, murmura-t-il. D'autre chose. Mais pas maintenant. Ça peut attendre…

– Je suis là.

Severus sourit sur la peau tendre qui frémissait sous ses lèvres. Il respira profondément pour s'en imprégner, s'enivrer du parfum de son mari qui savait si bien, au contraire, lui remettre les pieds sur terre. Il se sentait mieux. Il se sentait même si entier, si puissant, si grandi par leur amour, que son aura s'échappait à nouveau, tendre, enveloppante, presque suave.

Il se redressa lentement, son visage à quelques centimètres du visage de Lucius, et il vint le caresser doucement, glisser derrière l'oreille ces cheveux blonds qu'il chérissait tant, se perdre dans ces nuances de gris.

– Merci d'être là. Toujours… Je t'aime au moins autant que je l'aime lui…

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oooooo

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Severus sourit doucement et ferma un instant les yeux pour savourer la présence et les émotions de son calice qui sortait de son « bureau ». Harry avait l'air calme, apaisé, même s'il était encore un peu à fleur de peau. Et dans son esprit papillonnait une joie farouche et fière dont il ne devinait pas le sujet mais qui avait de toute évidence un rapport avec le lien entre eux.

Au bruit de ses pas et de ses battements de cœur, il suivit le chemin de son calice vers le Petit Salon et il tourna la tête pour le regarder arriver, avec ce visage d'ange, ces yeux d'émeraude étincelants de chaleur et ce sourire espiègle. Severus sourit à son tour, profondément heureux et satisfait de le voir aussi serein.

– Luce n'est pas avec toi ?

– Dans son bureau. À répondre à un courrier, expliqua Severus. Alors… ? Remis de tes émotions ?

Le sourire léger de son calice s'agrandit un peu plus, avant de grimacer devant son ton moqueur.

– Tu peux parler ! Et ne te fiche pas de moi, je te prie ! Tu ne me feras pas croire que tu es resté insensible avec ton cœur de pierre !

Harry s'approcha de lui et se pencha par-dessus le dossier de son fauteuil pour glisser ses bras autour de son cou.

– Tu ne te rends pas compte de ce que ça représente pour moi, murmura-t-il à son oreille. Que tu puisses me parler comme ça. Savoir que tu es capable de te dévoiler devant moi. De montrer tes failles et tes faiblesses… De dire que tu as besoin de moi…

Severus frissonna sous le souffle chaud qui frôlait sa peau.

– … Pendant si longtemps, tu as tellement refusé tout ça. Tu refusais de me dire quand tu avais des migraines, tu refusais de m'appeler quand le lien nous obligeait à être plus proches, tu as préféré souffrir le martyre quand tu étais parti à New-York plutôt que de t'abaisser à me faire venir… Aujourd'hui, tu as autant besoin de moi que j'ai besoin de toi. Alors oui, j'étais ému que tu sois capable de le reconnaître et de le dire. Et je le serais sans doute à chaque fois, parce que j'aime tellement mieux cette version de toi…

Les lèvres de son calice effleurèrent son cou, chaudes et douces, tandis que Severus ressentait un soupçon de culpabilité. Harry avait raison. Il avait été comme ça, fier et intransigeant, refusant d'admettre ses faiblesses avec lui alors qu'il était capable de se laisser aller devant Lucius. Il avait fait une différence entre les deux hommes de sa vie, déniant à l'un ce qu'il autorisait à l'autre. Et davantage que cela, il s'était toujours considéré comme « au-dessus » de Harry, plus âgé, plus posé, plus responsable et plus autonome, et cela, d'autant plus après la captivité de son calice. Il ne devait pas faillir, ni paraître faible. Il avait toujours fait en sorte de n'être tributaire de personne, de ne pas avoir à demander de l'aide, d'être farouchement indépendant. Sauf quand Lucius, qui le connaissait depuis toute une vie, savait lui faire lâcher prise ou accueillir ses états d'âme… Harry, lui, n'avait eu droit qu'à rien d'autre que cette distance mesurée mais volontaire.

Aujourd'hui, tout avait changé et Severus le savait bien. Il était celui qui avait besoin de son calice pour se nourrir, pour exister, pour contenter et apaiser le vampire en lui. Il était celui qui quémandait une étreinte, une morsure, quelques gouttes de sang pour combler sa faim ou sa gourmandise. Il était celui qui se languissait de sa présence, qui rêvait de pouvoir le toucher, l'embrasser, lui faire l'amour; celui qui le regardait, démuni et misérable, aller se coucher chaque soir avec Lucius sans pouvoir se joindre à eux… Et là encore, dans son absolue générosité et à travers tous les tabous que cela représentait pour lui, Harry l'incitait de plus en plus à venir avec eux, à le mordre devant Lucius, à partager ces débuts de nuit pleins de tendresse et même de désir. Et ce pas, qu'ils allaient bientôt franchir, à deux puis à trois, et que Severus appelait dorénavant de tous ses vœux, n'était que l'ultime étape de cet amour infini qu'il éprouvait pour son calice et qu'il ne considérait plus aujourd'hui comme une menace mais comme un accomplissement.

Tendrement, Severus vint poser ses mains sur les mains de Harry pour entrelacer leurs doigts. Il ferma les yeux de contentement, savourant sa présence, la chaleur de son visage sur son épaule. Puis, lentement, il leva leurs mains pour venir embrasser l'alliance de leur union, plus heureux que jamais de ce lien merveilleux qui les unissait.

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Merci à tous de votre lecture et d'être encore là malgré les aléas du site! ^^ Et bienvenue à ceux qui rejoignent l'histoire en cours de route ;) N'hésitez pas à laisser un petit commentaire...

La prochaine fois, ce sera mon petit cadeau de Noël: un long chapitre de plus de 20 pages (deux chapitres que je vais fusionner, en réalité) pour clôturer cette partie de l'histoire

Au plaisir

La vieille aux chats