Résumé: Durant les fêtes, Harry travaille toujours sur ses potions et même sur une préparation spéciale pour les Gobelins. Après les avertissements de Lady Parkinson lors de la soirée du Nouvel An, il provoque une conversation nécessaire avec son vampire. Il y apprend que Severus cherche à mettre Vladimir hors d'état de nuire, mais il comprend aussi à quel point c'est nécessaire et il propose même son aide à Severus, qui la refuse.

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Nous voici réunis pour ce dernier chapitre de l'année et on va commencer tout de suite par les mauvaises nouvelles: je n'ai plus que deux chapitres d'avance sur vous et un troisième en cours... :( Beaucoup trop peu pour que je me sente à l'aise dans ma progression et dans mon écriture. Comme je reviens souvent sur mes chapitres précédents pour les relire et modifier quelques détails, j'ai besoin de conserver toujours un minimum d'avance sur la publication. Et comme vous le savez, ma vitesse d'écriture, entre le travail et la vie quotidienne, est ridiculement lente, sans parler d'une certaine fatigue parce que ça fait maintenant plus de deux ans que je publie, entre les différentes histoires, un voire deux chapitres par semaine et que, mine de rien, ça me met une certaine pression. J'adore toujours autant vos reviews, vos commentaires et vos suppositions sur la suite de l'histoire, je vous remercie pour tout cela et je continuerai bien sûr à vous répondre, mais j'ai besoin de me détacher un peu de la publication et de me recentrer sur l'écriture et sur l'histoire.

Bref, tout ça pour dire que je ne sais pas quand paraîtra le prochain chapitre. Sans doute au mois de janvier mais je préfère ne pas donner de date précise ou de délai régulier. Je publierai quand je serai assez éloignée de chaque chapitre pour pouvoir le faire en étant sûre de ne pas avoir besoin de revenir dessus... J'espère que vous comprendrez et que vous resterez malgré tout fidèle à cette histoire et à notre trio favori :)

(La bonne nouvelle, parce qu'il en faut bien une, c'est que je suis lente aussi parce que j'alterne avec l'écriture d'une autre fic, au gré de mon inspiration)

Sur ce, je vous laisse profiter enfin de ce chapitre de fin d'année et je vous souhaite de très belles fêtes à tous. Bonne lecture!

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Harry sursauta brusquement au contact des mains qui se posèrent sur sa taille. Rapidement, il reconnut les longs doigts fins de Lucius et son parfum si particulier qui lui donnait toujours envie de sourire, et il se détendit. Il était si concentré sur ses chaudrons, si attentif au plus petit frémissement pour garder cet équilibre précis de température, qu'il n'avait pas entendu le moindre bruit avant que son mari ne soit derrière lui, les mains sur ses hanches et collé contre son dos.

– Tu as réussi à me faire peur, gloussa-t-il. Tu es content ? Heureusement que je n'étais pas en train de verser un ingrédient ou tu aurais fait exploser le Manoir !

– Severus a fait des potions pendant assez longtemps pour que je sache à quel moment il ne faut pas vous déranger ! ricana Lucius en glissant ses doigts vers son ventre.

– Il n'empêche que ce n'est quand même pas tout à fait le moment pour ce genre de choses ! protesta Harry en se défaussant devant une main trop entreprenante.

– Quel dommage ! Moi qui espérais exercer ma dextérité sur certaines parties de ton corps à défaut d'un piano…

Tout en coupant le feu pour faire redescendre la température au bout du temps imparti, Harry se permit de glousser discrètement. Lucius était privé de son instrument – et fort contrarié –, depuis qu'Orion avait trouvé le moyen de promener son poids excessif sur les touches du piano et de le désaccorder. Il avait bien contacté un musicien spécialiste de l'accordage, mais avec les vacances de Noël qui venaient à peine de s'achever, celui-ci n'avait pas encore trouvé le temps de s'en occuper.

– Ce soir ! gloussa Harry. Ou plus tard dans la journée, éventuellement…

– « Éventuellement » ?! gronda Lucius d'un ton offusqué en se reculant brusquement pour claquer une main sur ses fesses. Et je suis censé prendre ça comment ?!

Tout en riant devant l'attitude froissée de son amant, Harry mit un sortilège de stase sur son chaudron et se retourna entre ses bras. Doucement, il vint l'enlacer, cherchant à se faire pardonner d'un sourire et d'un baiser tendre qui atténua l'éclat outré de ses yeux gris.

– Heureusement que je ne comptais pas trop sur toi pour m'envoyer en l'air… !

– Il te reste Severus ! gloussa Harry.

– … tu as reçu un message de Gringotts.

Aussitôt, il haussa les sourcils de surprise. Deux ou trois jours plus tôt, il avait porté aux gobelins la potion qu'ils lui avaient demandée, le directeur l'avait déjà abondamment remercié et il pensait que les choses en resteraient là.

Lucius lui tendit le parchemin scellé aux armoiries de la banque et Harry le décacheta immédiatement pour en prendre connaissance, grimaçant peu à peu à mesure de sa lecture.

– De quoi s'agit-il ?

– C'est le directeur de Gringotts, répondit-il, le regard rivé sur le parchemin. Il me dit que la potion n'a pas eu l'effet escompté, que la maladie a peut-être évolué depuis la création de la recette… ou bien que les malades étaient trop atteints. Il me remercie encore mais…

– Mais quoi ?

Harry releva les yeux vers son mari, profondément ennuyé de la teneur du message.

– Mais j'aurais bien aimé y aller pour me rendre compte par moi-même… Voir si je ne peux pas faire autre chose pour eux. Tu viendrais avec moi ?

Lucius afficha un air surpris de sa demande.

– Quand ? Aujourd'hui ? s'étonna-t-il avant de secouer la tête devant son acquiescement. Impossible. J'ai rendez-vous avec Blaise dans une heure pour une vente aux enchères. Et pourquoi cet empressement à ce que je t'accompagne ? Severus t'a encore fait la leçon pour que tu sois toujours chaperonné ?

Harry leva les yeux au ciel devant l'ironie de son mari. Ils en avaient parlé, vaguement, de cette conversation si émouvante qu'il avait eue avec Severus, et de ses inquiétudes à le voir seul dans des endroits trop exposés… Lucius avait compris, bien entendu, tout ce qui sous-tendait les angoisses du vampire, mais il n'avait pu s'empêcher de ricaner. Et dans ses mots couverts, Harry avait deviné que Severus avait dû lui faire la même demande quelques jours ou semaines plus tôt.

– On en aurait profité pour aller faire les boutiques pour son anniversaire… ! Je ne lui ai encore rien acheté.

Cette fois, Lucius arbora une moue embarrassée qui ne lui était pas commune.

– Je devine que tu n'as pas parlé de ça avec lui… Severus ne veut plus fêter son anniversaire, de quelque façon que ce soit, révéla-t-il devant son silence. Je crois que… ça ne représente plus rien pour lui, maintenant qu'il est immortel. Et qu'au contraire, ça lui rappelle encore un peu plus sa condition de vampire qu'il n'a pas choisie… Je lui ai proposé quelque chose de plus simple, ou même de partir en week-end, tous les trois, mais il a refusé. Même un dîner au restaurant n'a plus de sens, maintenant qu'il ne peut plus manger… Il a tout juste accepté d'inviter Matthieu et Charlie, un soir, parce qu'on ne les a pas vus depuis leur retour de Chine, mais c'est tout ce que j'ai pu obtenir.

Harry grimaça malgré lui. Il comprenait que cela n'ait plus de sens pour son vampire, qu'une année de plus ou de moins ne représentait plus rien à ses yeux, mais lui il tenait à cette date. Il aimait cette idée de lui consacrer une journée, de lui offrir des cadeaux, de faire preuve de petites attentions, d'en faire un jour un peu plus particulier que les autres. Quelques heures pour célébrer le fait que Severus soit un jour entré dans sa vie et qu'il en ait fait, malgré les anicroches, malgré les hauts et les bas, quelque chose de merveilleux.

– Demande donc à Severus de t'accompagner à Gringotts ! reprit Lucius. Ça le rassurera de voir que tu tiens compte de ses conseils…

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Il avait d'abord rechigné à cette idée, puis il avait hésité, et puis finalement, la suggestion de Lucius ne lui était pas apparue dénuée de fondement. Severus avait besoin d'être rassuré sur le fait qu'il ne prenait pas de risques inconsidérés, ça ne coûtait rien à sa fierté, et Harry n'était pas contre le fait de passer un petit moment avec son vampire, hors de leur quotidien au Manoir, si Severus acceptait de sortir au grand jour… Et de fait, la journée était grise, le ciel bas et les nuages nombreux; ce n'était pas aujourd'hui que Severus serait incommodé par la lumière du soleil.

Harry attendit le départ de Lucius pour rejoindre Blaise, en fin de matinée, pour emprunter la cheminée du bureau de son mari et se rendre à la Librairie. Severus fut passablement surpris de le voir débarquer ainsi, au beau milieu de la journée et quand il sortit des flammes, il s'attendait de toute évidence à Lucius plutôt qu'à lui… Harry ne le prit pas mal; il soupçonnait depuis des semaines que l'aristocrate lui rendait de temps en temps quelques visites impromptues à la Librairie, des moments à eux, en tête à tête, même s'ils se tenaient un peu plus à distance l'un de l'autre depuis quelques jours. Ce dont il n'avait toujours parlé ni à l'un ni à l'autre et qui commençait d'ailleurs à lui peser…

Mais Severus se rattrapa bien vite et vint l'enlacer pour poser un baiser sur ses lèvres.

– Que me vaut l'honneur de ta présence ? sourit-il avant de glisser son visage dans son cou pour aller mordiller sa peau tandis que ses bras le serraient contre lui.

Pas ce genre de choses ! gloussa Harry en le repoussant doucement. Décidément ! Entre toi et Lucius, vous êtes en manque de sexe en ce moment !

Severus grogna, autant devant son ironie que de se voir refuser une petite morsure rapide, puis se redressa pour croiser son regard.

– Si ce n'est pas pour une morsure, je me doute que tu n'es pas là par hasard pour autant.

– Pas vraiment, reconnut Harry. J'ai reçu un message du directeur de Gringotts… La potion que je leur ai préparée pendant les vacances n'a pas eu l'effet qu'ils espéraient et… je voulais aller voir, si je peux faire quelque chose de plus. Et je me suis dit que tu m'aurais accompagné plutôt que de me promener sur le Chemin de Traverse tout seul…

Il sortit son plus beau sourire enjôleur pour charmer son vampire et Severus y répondit peu à peu en retrouvant un sourire amusé mais également plein de gratitude. Il savait, bien entendu, pourquoi il lui demandait cela… Leur conversation bouleversante n'était pas bien loin, et l'ombre de Vladimir planait quelque part au-dessus de tout ça, mais pour l'instant, ils ne voulaient retenir que cette confiance qu'ils avaient l'un en l'autre, toute l'importance qu'ils accordaient à leurs sentiments mutuels et cette perspective de passer quelques moments ensemble.

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Finalement, ils se présentèrent un peu sans crier gare – Harry n'avait même pas répondu au message du Directeur –, mais celui-ci les reçut dès qu'ils se signalèrent au comptoir de l'accueil principal. Les gobelins à l'arrière avaient échangé quelques murmures dans leur langue gutturale, ils les avaient observé avec des regards curieux mais respectueux; déférents, reconnaissants… Puis l'un d'entre eux était venu les chercher pour les conduire dans le bureau du Directeur.

Lequel Directeur, bien que surpris de la requête de Harry, y accéda immédiatement. Il convoqua un de ses employés et après quelques consignes, ils furent emmenés au gré de couloirs interminables, creusés dans la roche et éclairés de loin en loin par des globes lumineux qui scintillaient de magie. Les bureaux avaient peu à peu laissé la place à des salles de réunion, puis à d'autres espaces moins formels. Ils crurent même apercevoir une bibliothèque monumentale qui attisa la curiosité de Severus et une sorte de réfectoire où une petite créature faisait le ménage en sifflotant.

Peu à peu, les couloirs s'élargirent, parcourus de nombreux embranchements qui semblaient s'éloigner dans toutes les directions. Ils croisaient davantage de gobelins, de tous les âges, plutôt surpris de les voir là, et même quelques « enfants » qui ouvrirent des yeux effrayés en les apercevant. Puis ils parvinrent enfin à une espèce de petite place circulaire pourvue de nombreuses portes automatiques et d'un panneau de commande doté de chiffres dégressifs. Le gobelin qui les accompagnait appuya sur le bouton qui correspondait à moins vingt-cinq et quelques secondes plus tard, une porte sur leur gauche s'ouvrit sur une cabine d'ascenseur.

Harry ouvrit des yeux ronds, surpris de cette modernité, tout en suivant la créature à l'intérieur.

– Les wagons pour descendre aux coffres, c'est pour le folklore, ricana le gobelin tandis que les portes se refermaient sur eux. Les sorciers ont tout intérêt à nous croire plus arriérés que nous ne le sommes.

– Mais je suis un sorcier, fit remarquer Harry, étonné de cette confiance.

– Plus tout à fait.

Dans l'angle de la cabine qui descendait sans un bruit, il surprit le sourire amusé de Severus, à demi dissimulé dans l'ombre de sa capuche, alors même qu'ils s'enfonçaient de toute évidence dans les profondeurs de la terre.

– C'est une véritable ville dans la ville…

– C'est exact, confirma le gobelin. La banque n'est que la partie émergée de l'iceberg, la façade qui nous permet de communiquer avec le monde sorcier… Le niveau zéro est celui de la banque et des espaces de travail; les coffres sont situés dans les cinq niveaux en-dessous, et le reste constitue notre « ville » : quartiers d'habitation, de loisirs, commerces et lieux de soins. Les étages les plus bas appartiennent aux forgerons et aux maîtres orfèvres…

… Et ils descendaient vers le niveau moins vingt-cinq sur un panneau de commande qui allait jusqu'à moins trente. Une vingtaine de niveaux d'habitation, sans doute aussi denses et labyrinthiques que le niveau de la banque, pour une population dont Harry n'avait aucune idée de l'ampleur… C'était assez sidérant.

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Une fois hors de l'ascenseur, ils furent conduits dans un petit corridor bardé de sortilèges de protection et de filtres de magie. Ils furent remis aux bons soins d'un gobelin vêtu d'une tenue blanche qui les y attendait, et après un dernier rideau de magie, l'employé de la banque qui les avait emmenés jusque là les laissa pour regagner la surface et son poste de travail.

– Nerveux ? gloussa Severus en voyant son calice frissonner.

– Vingt-cinq niveaux sous terre, murmura Harry en toute discrétion. Ça aurait tendance à me rendre claustrophobe !

Severus sourit et glissa une main dans son dos en une caresse réconfortante. Harry, tout comme lui, pouvait disparaître et transplaner d'ici jusqu'à n'importe quelle destination, mais il comprenait la sensation d'oppression qu'il ressentait, renforcée par ces filtres magiques qui séparaient le monde sain de cette zone contaminée par la maladie des gobelins.

Celui qui devait être l'équivalent d'un médicomage les conduisit à travers le centre de soins, leur expliquant les effets de cette affection ainsi que ce qu'ils avaient espéré de la potion et qui n'avait pas eu lieu. Rapidement focalisé sur la conversation plutôt que sur ces angoisses latentes, Harry posa bon nombre de questions, à la fois sur les épidémies précédentes et sur les spécificités de fonctionnement de l'organisme des gobelins. Et puisque rien ne semblait plus parlant que la réalité, le médicomage finit par les faire pénétrer dans une chambre où reposaient deux corps sombres et presque inanimés entre des draps trop blancs. Une émotion douloureuse à fleur de peau, Harry s'approcha d'un des lits, découvrant d'un peu plus près un visage décharné couvert d'un masque de souffrance, une respiration laborieuse, presque sifflante, et les creux qui se formaient au-dessus des clavicules à chaque inspiration.

– Est-ce que je peux… ? murmura-t-il à l'adresse du médicomage tandis que les arabesques sur ses mains s'illuminaient de lueurs vertes.

– Faites ce que vous voulez, soupira le gobelin avec résignation. Ils n'en ont plus que pour quelques heures.

Aussitôt, sa magie se déploya dans la chambre, serpentant en volutes émeraudes vaporeuses qui enveloppèrent le lit, puis le corps du malade, avec une délicatesse extrême. Harry avait fermé les yeux, tout entier tendu vers les sensations que lui renvoyait sa magie, et les secondes s'égrenèrent dans un silence religieux que ni Severus, ni le médicomage n'osaient troubler. Cela donnait l'impression qu'il ne se passait rien de plus que cette brume verdâtre qui dansait dans la pièce, mais il pouvait sentir la magie bourdonner, vibrer jusqu'au fin fond de son corps, et le gobelin devait le sentir tout autant. Enfin, au bout de plusieurs minutes, les volutes se dissipèrent peu à peu, laissant un Harry déçu et légèrement chancelant, que Severus s'empressa de prendre contre lui.

– Je ne peux rien faire de plus, regretta-t-il. Et je doute que ce soit suffisant pour les améliorer. Mais j'ai pu… comprendre certaines choses et je pense pouvoir améliorer un peu la potion.

Le médicomage hocha la tête avec gratitude et un respect infini au fond des yeux.

– Quel que soit le résultat, les gobelins vous seront toujours reconnaissants du simple fait de vouloir essayer.

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Le médicomage les avait raccompagnés jusqu'aux ascenseurs et les avait quittés là, après de nombreux remerciements d'une sincérité désarmante. Son calice frissonnant entre ses bras, Severus s'étonna à nouveau de voir à quel point ces créatures si indépendantes, si orgueilleuses en apparence, semblaient si reconnaissantes dès qu'il s'agissait de leur apporter de l'aide ou un minimum de considération. Les sorciers auraient sans doute gagné beaucoup à les traiter avec davantage de respect et à s'en faire des alliés plutôt que de vouloir les dominer, mais il n'était pas – ou plus, puisqu'il n'était plus humain – celui qui pouvait résoudre cette situation-là.

Dans le chuintement doux de la cabine d'ascenseur qui remontait vers la surface, Harry frissonna une nouvelle fois et s'abandonna un peu plus contre lui, posant son visage aux yeux clos contre son épaule.

– Est-ce que ça va ? murmura Severus en resserrant ses bras autour de lui.

– Oui. Juste un peu fatigué, souffla-t-il en glissant son nez dans le creux de son cou.

Harry avait visiblement besoin de tendresse et de réconfort mais ce n'était pas le lieu ni le moment pour une morsure.

– Tu sais que tu ne peux pas sauver tout le monde…

– Je sais, soupira-t-il d'un ton résigné.

Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent quelques secondes plus tard, le même gobelin qui les avait conduit là un moment plus tôt les attendait avec fébrilité.

– Seigneur Rogue, s'empressa-t-il. Le superviseur Ragnok a appris votre présence dans nos murs et il souhaite s'entretenir brièvement avec vous.

Tout en guidant son calice hors de la cabine, Severus haussa un sourcil surpris.

– Bien entendu. Je serais honoré de répondre à l'invitation du superviseur…

Sans attendre, le gobelin les guida à nouveau à travers le dédale de couloirs jusqu'aux locaux plus familiers de la banque et un bureau un peu à l'écart et richement décoré. La pénombre y régnait déjà, à peine troublée par la lumière diffuse d'une lampe basse et Severus apprécia d'un hochement de tête obligeant la sollicitude du superviseur. Ragnok se leva à leur entrée, les saluant d'une poignée de main ferme avant de les inviter à s'asseoir.

– Seigneur Rogue, Lord Potter… Je vous en prie, installez-vous. Puis-je vous offrir quelque chose à boire… ou à manger ?

Severus jeta un œil à son calice qui semblait sur le point de refuser la proposition, mais il le devança pour répondre. Harry venait de dépenser une grande quantité de magie et manger lui ferait certainement du bien.

– Avec plaisir. Du thé fera l'affaire. Et… peu importe pour la nourriture.

Il ne fallut que quelques instants pour qu'on leur apporte de quoi se restaurer et le sourire sur le visage de son calice à la vue des pâtisseries fut plus qu'éloquent. Severus se servit une tasse de thé tandis que Ragnok sortait d'un tiroir de son bureau une épaisse liasse de parchemins et que Harry hésitait encore sur la première sucrerie qui rejoindrait son estomac. Une hésitation inutile au demeurant puisqu'elles suivraient toutes le même chemin !

Ragnok également semblait un peu hésitant avant de finir par se lancer :

– Puis-je…, fit-il avec un léger signe du menton envers son calice.

– Vous pouvez parler librement, assura aussitôt Severus. Je n'ai rien à cacher à Lord Potter.

Harry fut si surpris qu'il haussa les sourcils et s'arrêta au beau milieu de sa mastication, puis il salua ses paroles d'un hochement de tête reconnaissant. Après tout, maintenant que son calice était au courant de tout, il n'avait plus rien à lui cacher. Et au contraire, Severus avait grand besoin de lui prouver sa confiance et de se montrer digne de la sienne.

Sa réponse sans ambiguïté rassura Ragnok qui reprit rapidement :

– Je suis heureux d'avoir une bonne nouvelle à vous annoncer, Seigneur Rogue. De façon tout à fait exceptionnelle, bien entendu, et eu égard aux services que vous avez rendus à la nation gobeline, le Conseil des Gobelins a accepté votre requête. J'ai donc rassemblé ici, fit-il en posant ses doigts griffus sur la pile de parchemins, toutes les archives des ouvertures de comptes par des vampires depuis la création de Gringotts.

– Depuis la création ?! s'exclama Harry.

– C'est exact. Depuis l'an mil quatre cents soixante-quatorze, pour être précis. Pour plus de commodité, j'ai également pris la liberté de les classer : d'une part, les coffres ouverts par des vampires anglais, et d'autre part, par des vampires étrangers. De plus, les comptes clôturés ou qui n'ont pas connu de mouvement d'argent depuis au moins deux cents ans sont marqués d'une astérisque rouge.

Severus écarquilla légèrement les yeux et salua d'un mouvement de tête appréciateur l'aide précieuse du gobelin. Ragnok lui avait littéralement mâché le travail. Ce qui prouvait par ailleurs qu'il savait précisément ce qu'il cherchait, mais cela n'avait plus grande importance : à présent que même Harry tentait de les aider à surmonter cette épidémie, Severus était certain de leur alliance et de leur fidélité.

Mais tout de même, il n'en revenait pas. Il ne savait même pas que les gobelins consignaient dans leurs registres la nature des créatures magiques à qui ils avaient affaire, et à moins d'avoir ouvert un coffre avant de devenir un vampire, Vladimir n'aurait jamais pu leur cacher sa vraie nature.

Severus avait demandé un simple accès au registre des ouvertures de coffres dans la banque, et il s'attendait, si sa requête était acceptée, à devoir éplucher des centaines de pages à la recherche d'un nom familier. Autant dire chercher une aiguille dans une botte de foin. Il s'était même dit qu'il allait se concentrer sur les années les plus récentes, puisqu'il n'avait pas d'indices sur la présence de Vladimir sur le sol anglais depuis plus de quelques mois… Mais Ragnok avait certainement raison : il devrait sans doute remonter bien plus loin en arrière dans le temps, et sa classification allait grandement l'y aider. D'Alagnac lui avait certifié que Vladimir possédait un compte à Gringotts… son nom était forcément quelque part dans ces listes.

– J'en profite également pour vous confier ceci, ajouta Ragnok en sortant d'un tiroir un lourd et ancien grimoire qu'il lui tendit précautionneusement. Il s'agit d'un livre particulier, très utilisé par nos forgerons et nos orfèvres, et qui répertorie toutes les magies liées à l'argent. Les malédictions, mais aussi les sortilèges de protection, offensifs ou défensifs, les métamorphoses, les enchantements complexes, comme celui que nous avions posé sur le pavillon ou les fenêtres du Manoir Malfoy, les runes que l'on peut lier au métal, ou bien certaines incantations qui font appel à la magie originelle, et que vous, sorciers, nommez magie primaire ou ancienne… C'est à ma connaissance le seul exemplaire de cet ouvrage traduit en anglais. Je me suis dit que vous auriez un peu de mal avec le gobelbabil…

Severus sourit doucement à cette attention louable et reposa sa tasse de thé vide pour feuilleter délicatement le grimoire hors d'âge. Les enluminures d'or et d'argent brillaient de mille feux, le texte était copié avec une précision magnifique et il pouvait sentir la magie qui vibrait dans ces simples mots. À ses yeux de collectionneur, ce livre était un trésor de raffinement, de beauté et de délicatesse… Et à ses yeux de vampire, il était peut-être la clé pour venir à bout de Vladimir.

– Je ne sais comment vous remercier, reconnut Severus avec déférence. Tout comme ce livre, votre aide est d'une valeur inestimable…

Car il ne doutait pas qu'il ne devait cet ouvrage qu'à la discrétion et la finesse d'esprit de Ragnok. Si le Conseil des Gobelins avait autorisé qu'il consulte les registres d'ouverture de compte, les secrets d'orfèvrerie et de magie des gobelins ne faisaient sans doute pas partie de leurs largesses.

– Vous savez très bien comment me remercier, assura Ragnok. Les temps troublés ne sont pas bons pour la quiétude des affaires, ni pour ma tranquillité d'esprit…

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Dans le grand Hall de la banque, Severus confia quelques instants ses précieux documents à son calice, le temps de remettre ses gants et de remonter son capuchon sur sa tête afin de se protéger de la lumière.

– Tu retournes à la Librairie ? l'interrogea Harry qui l'observait tranquillement.

– Oui, mais je vais fermer pour le reste de la journée et rentrer au Manoir. Je ne vais pas résister bien longtemps à l'envie de mettre le nez dans ce livre ! ricana-t-il.

Harry esquissa un sourire en lui rendant le livre et les précieuses listes des gobelins que Severus enveloppa d'un sortilège de protection avant de les dissimuler sous un pan de sa cape.

– Je t'accompagne, alors. À moins que... Tu ne préfères pas que je te fasse transplaner directement au Manoir ?

– Tu as dépensé bien assez de magie pour aujourd'hui, fit-il avec un regard protecteur. La cheminée de la Librairie fera très bien l'affaire.

Harry ne protesta pas davantage et se tint à ses côtés pour descendre les vastes marches du perron de Gringotts. Il le prit même par le bras pour remonter tranquillement les rues vers la Librairie, d'une façon si naturelle et évidente que Severus sentit quelque chose de chaud et de fier remuer dans le fond de son ventre.

Harry semblait parfaitement serein. Il n'était pas affligé par son incapacité à sauver les gobelins moribonds qu'ils avaient rencontrés dans le centre de soins, il avait intégré le fait qu'il passait ses nuits et son temps libre à se renseigner sur Vladimir afin de le tuer, il n'était pas bouleversé, même quand il avait la preuve de ces recherches sous les yeux… Il semblait plutôt apaisé d'être enfin au courant, et le fait que Severus ait laissé Ragnok parler de tout cela devant lui avait emmené une once de respect et de reconnaissance supplémentaire. Une confiance réciproque qui les unissait encore davantage et qui se traduisait par une proximité physique et émotionnelle qui faisait rougeoyer son esprit de plaisir.

Autour d'eux, la rue était calme et paisible. Les quelques passants emmitouflés de manteaux et d'écharpes qu'ils croisaient les observaient un instant, couple improbable où l'un était aussi sombre et dissimulé que l'autre était ouvert et lumineux, puis s'éloignaient tranquillement sans plus se soucier d'eux. Pas d'animosité franche, pas de méfiance déraisonnable... Des clients curieux passaient d'une boutique à l'autre, les restaurants et les cafés regorgeaient de monde et des odeurs alléchantes de nourriture s'échappaient de partout. Du coin de l'œil, Severus aperçut même Harry lever le nez et sourire à ces parfums délicieux, et ce petit geste souleva encore un monceau de tendresse dans son cœur. Un monde normal et simple, sans inquiétudes et sans menaces, avec son calice à ses côtés… un monde qu'il se battrait pour préserver et pour qu'ils puissent vivre, tous les trois avec Lucius, en toute sérénité.

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– Je suppose que tu vas aller travailler sur la potion des gobelins ? fit Severus en s'époussetant au sortir de la cheminée.

Il fit disparaître d'un Evanesco la cendre tombée sur le luxueux tapis de Lucius, puis posa son précieux chargement sur la grande table de travail afin de retirer sa cape et ses gants.

– Pas avant d'avoir déjeuné ! gloussa Harry. Toutes ces odeurs m'ont donné délicieusement faim !

Severus lui sourit, charmé de sa légèreté et de sa bonne humeur. Harry frotta un instant ses mains l'une contre l'autre pour les réchauffer, puis retira son manteau et son écharpe, que l'elfe en faction près de la cheminée s'empressa de récupérer pour aller les ranger dans le vestibule. Le bout du nez rougi par le froid et les yeux brillants, son calice était beau en diable, et s'il n'y avait pas eu ce livre dans lequel Severus rêvait de se plonger, il aurait pu reconsidérer la façon de passer son après-midi. Il se contenta de s'approcher et de l'enlacer doucement, toujours à l'affût d'une hésitation ou d'un rejet.

Mais Harry lui souriait simplement, légèrement surpris de cette manifestation inhabituelle de tendresse, puis il glissa à son tour ses bras autour de sa taille. Ils se dévisageaient, leurs corps collés l'un contre l'autre; Severus glissa ses doigts dans les cheveux de son calice pour éloigner une mèche qui voilait son visage. Les yeux émeraude cherchaient dans son regard la raison de cette étreinte, le manque, la tristesse, le besoin… et ne trouvaient rien de tout cela. Juste la simple envie de le tenir contre lui, de respirer son parfum et de se réchauffer à sa chaleur. Juste la douceur d'un moment qui n'appartenait qu'à eux, aussi intime qu'un baiser ou qu'une danse.

– Je peux ? murmura Severus en glissant son visage dans son cou.

– Toujours, répondit Harry en souriant.

Severus sentit une main chaude fourrager dans ses cheveux tandis qu'il le mordait doucement. Un soupir frissonnant s'échappa de la gorge de son calice, ses bras le serrèrent un peu plus. Il but quelques gorgées, chaudes et sucrées, pétillantes de vie. Suaves. Puis il se retira et embrassa doucement les lèvres tièdes de Harry.

– Tu ne m'en voudras pas si je t'abandonne pour le déjeuner ?

– Maintenant que tu es rassasié après ton propre « déjeuner » ? gloussa-t-il. Non. Je sais que tu ne vas pas pouvoir résister bien longtemps à ta curiosité légendaire. Et moi, je ne peux pas rivaliser avec un livre de cet âge !

Severus leva les yeux au ciel avec un sourire contrit en récupérant ses précieux documents. La tendresse et les plaisirs de la chair viendraient en leur temps… quand il serait certain de pouvoir en jouir librement et en toute tranquillité.

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Harry gloussa en voyant réapparaître son vampire à sa troisième part de poulet aux épices. Visiblement, la culpabilité de le laisser déjeuner seul avait été plus forte que l'attrait de ce livre des gobelins.

Severus tira la chaise qui lui faisait face avant de s'installer et de demander du thé à l'elfe qui faisait le service. Tout en continuant à manger distraitement, Harry observait son vampire en retenant un sourire amusé. Severus paraissait bougon, vaguement agacé, sans qu'il ne sache si c'était contre lui-même ou contre un élément extérieur.

– Eh bien ? Le livre de sortilèges des gobelins n'était pas assez convaincant pour retenir ton attention ?

– J'aurais tout le temps de faire mes recherches cette nuit, quand vous dormirez, maugréa-t-il en réponse.

Severus porta sa tasse à ses lèvres pour boire une gorgée de thé et leva les yeux vers lui, grognant devant son air moqueur.

– Luce n'est pas rentré ?

– De toute évidence, gloussa Harry puisqu'il déjeunait seul jusqu'à l'arrivée de son vampire. Il avait cette vente aux enchères avec Blaise; je suppose qu'ils ont déjeuné ensemble…

Severus grimaça de dépit devant son ironie puis avisa les journaux qui traînaient sur la table, près de son assiette. Visiblement, il cherchait un sujet de conversation qui ne prête pas à la dérision.

– Des nouvelles intéressantes ?

– Pas vraiment, fit Harry en jetant un regard aux titres accrocheurs. La Gazette s'est mis en tête de faire une série d'articles intitulés « Un jour, un portrait »… Lucius est le portrait du jour. À la fois très flatteur et grandiloquent, et à la fois un tas de boue et de rumeurs dignes de ce torchon.

À ses paroles, Severus fronça les sourcils et tendit la main pour récupérer le journal. Il ne lui fallut que quelques secondes pour trouver la double page consacrée à leur mari et parcourir les différents articles et jusqu'au plus désobligeant. Harry l'observa tandis que le visage de son vampire se faisait plus sombre, plus soucieux, puis il repoussa ce qu'il restait de son assiette un peu plus loin. Rassasié… ou écœuré.

Il avait lu cet article, il savait ce qu'il contenait, tous ces ragots sortis de la fange et du passé, qui l'indignaient et qui rendaient Severus furieux. Celui-là s'attardait particulièrement sur l'homosexualité de Lucius et sur son mariage arrangé avec Narcissa pour cacher sa vraie nature. Le « journaliste » ne l'exprimait pas ouvertement mais le ton de l'article était passablement méprisant. Il y évoquait même la relation dissimulée de Lucius avec Severus durant des années, tout en s'interrogeant sur la responsabilité du décès de sa mère durant son enfance pour expliquer cette « déviance honteuse ».

Severus releva un regard soucieux vers lui. Ses sourcils froncés dessinaient un pli creusé entre ses yeux sombres et lui redonnaient cet air sévère d'autrefois, alors qu'il était encore l'ancien professeur de potion dont Harry était tombé amoureux. Aujourd'hui, il paraissait plutôt préoccupé. Voire inquiet.

– Il y a eu d'autres articles de ce genre sur nous ? Ou sur nos proches ?

– Pas que je sache, répondit Harry surpris, tandis qu'un elfe desservait la table et apportait le dessert. Celui d'hier était sur le chanteur des Bizarr' Sisters; le précédent sur un joueur de Flaquemare… J'ai vu une fois un article sur Dumbledore, mais c'est tout. Pourquoi ?…

Severus joua quelques instants avec le coin de la page puis referma le journal et le repoussa au milieu de la table.

– Parce que je commence à trouver étrange tous ces articles sur Lucius… Il n'a aucune actualité politique, il n'a pas fait parler de lui depuis l'inauguration du musée il y a plusieurs semaines, il se contente de quelques soirées mondaines de temps et temps, et pourtant il paraît des articles sur lui tous les trois ou quatre jours. Comme une campagne de dénigrement à bas bruit. Et tous ces articles évoquent à chaque fois les pires rumeurs sur lui, sur la mort de sa mère ou sur la folie des Malfoy…

La cuillère à mi-chemin entre son assiette et sa bouche, Harry eut un temps d'arrêt en cherchant à se remémorer les différents articles qui l'avaient ulcéré ces derniers temps.

– Tu penses que c'est… orchestré ? Par quelqu'un ?

Severus hocha lentement la tête.

– Je suis persuadé que c'est volontaire, même s'ils se servent de différents journaux et magazines pour parvenir à leurs fins. Et je ne serais pas du tout étonné que Vladimir se cache derrière tout cela…

– Vladimir ?! fit Harry en ouvrant des yeux ronds. Mais pourquoi ?!

– Une autre façon de nous atteindre, suggéra Severus. De nous faire du mal, de nous diviser… Quelque chose d'un peu plus insidieux que ses attaques frontales habituelles mais qui blesse là où Lucius est le plus sensible : son image publique. Il a été le moins impacté de nous trois pour l'instant; à part le fait d'avoir dû démissionner de son poste, il n'a été touché qu'à travers toi et moi : ta captivité et ma transformation… Alors que cette campagne de dénigrement à bas bruit le vise personnellement. Un lent travail de sape pour lui faire perdre son statut. Et même si Lucius prétend ne plus avoir de desseins politiques, ce genre d'article est loin de le laisser insensible.

Harry esquissa une moue désolée. Lucius n'en parlait jamais ouvertement mais son agacement et sa tension, la dernière fois qu'il s'était laissé happer par les questions indélicates de pseudo-journalistes, avaient été plus que palpables. Sans compter que l'évocation de tous ces souvenirs douloureux, de la mort de sa mère à celle de Narcissa, de la folie de son père à sa réaction face à ses préférences sexuelles, le meurtrissait chaque fois un peu plus. Toutes ces choses qui semblaient loin derrière lui, lui revenaient alors en pleine figure et lui faisaient serrer les dents.

– Difficile de faire supprimer tous ces articles, reconnut-il dans un murmure. Et tu n'as rien trouvé d'intéressant dans les registres d'ouverture de compte des gobelins ?

Severus eut un sourire en coin devant cet intérêt soudain pour ses recherches au sujet de Vladimir et la question sous-jacente que son calice n'avait pas formulée : lui proposer son aide, comme il l'avait fait lors de leur dernière grande conversation. Il voulait le moins possible le mêler à tout ça, mais il pouvait comprendre qu'il se sente concerné.

– Je verrai ça plus tard de toute façon, je pense que j'en ai pour des jours à étudier tous ces documents, même si Ragnok m'a considérablement avancé le travail… Et pour répondre à ta question, ajouta-t-il doucement : Non, je ne veux pas de ton aide. Tu as bien assez à faire avec cette potion pour les gobelins que tu veux améliorer.

Harry se contenta de secouer la tête avec un sourire résigné tout en attirant la théière vers lui pour s'en verser une tasse.

– Tu ne gagneras rien à te battre tout seul.

.

oooooo

.

Le nez au-dessus de ses chaudrons, concentré depuis des heures, Harry sourit en percevant la présence de son vampire toute proche. Une sensation douce et moelleuse, l'impression d'un cocon dans lequel il se sentait en sécurité, et puis brusquement, la force de leur lien éclata dans son esprit, le percuta de plein fouet, et cet amour immense qu'il ressentait pour Severus s'épanouit dans son cœur comme l'éclosion majestueuse d'une fleur. Il ferma les yeux quelques secondes pour mieux ressentir cet élan puissant vers son vampire, puis reprit le mélange de sa potion.

Severus mit quelques minutes de plus avant de pénétrer dans le laboratoire, sa longue silhouette sombre s'encadrant au niveau de la porte, puis il s'avança tranquillement vers lui. Comme souvent, lorsqu'il ne réfrénait pas particulièrement ses pouvoirs, il dégageait cette aura de puissance et de charisme qui donnait toujours à Harry l'envie de se rouler en boule entre ses bras et de ronronner de plaisir comme un chat. L'image le fit sourire un peu plus et l'envie de douceur, de volupté, de glisser ses doigts dans quelque chose d'aussi soyeux que la fourrure d'Orion, le fit rêver un instant. Il réfréna ses pensées avant qu'elles ne prennent un tournant un peu moins chaste et releva la tête vers son vampire.

– Alors, ce livre de sortilèges ?

– Passionnant ! avoua Severus. Certains sorts sont vraiment surprenants, et je suis loin d'avoir tout parcouru !… J'étais venu voir si Luce était rentré, ajouta-t-il en s'approchant pour observer son chaudron, mais les elfes en cuisine m'ont dit que ce n'était pas le cas.

– Il te manque ? gloussa Harry.

La pensée licencieuse que Severus pouvait avoir envie de son mari laissa rapidement place à l'idée qu'il était surtout inquiet de son absence prolongée, et son sourire fana quelque peu. La menace de Vladimir qui pesait en permanence au-dessus d'eux venait ternir même leurs moments de complicité.

– Et cette potion ? l'interrogea Severus sans s'attarder. Tu arrives à quelque chose de prometteur ?

Harry baissa son regard sur le liquide d'une belle couleur jaune safran qui remuait à gros bouillons dans le chaudron. Il mélangea doucement la potion et augmenta le feu violacé qui faisait perler une ou deux gouttes de sueur sur ses tempes.

– J'en attends encore mieux mais c'est déjà un peu plus efficace que celle que j'ai amenée aux gobelins.

Il resta songeur un moment, les yeux rivés sur les remous sirupeux du chaudron.

– Sev… Pourquoi tu n'as jamais repris les potions depuis ta transformation ? Maintenant que tu n'as plus de sensibilité aux vapeurs, ni de migraines ?

– Parce que…, commença Severus avant de s'interrompre un instant. Je ne sais pas… J'imagine que je suis passé à autre chose. La Librairie m'occupe beaucoup, les livres de magie ancienne, les traductions de runes… Je reprendrai peut-être le jour où je m'ennuierai.

D'un accord tacite, ils passèrent sous silence l'autre chose qui occupait tant de nuits de son vampire : la traque de Vladimir. Effectivement, quand tout ça serait derrière eux, quand Severus aurait davantage de temps…

– Je suis sûr que tu aurais encore plein de choses à m'apprendre ! gloussa Harry en rêvant à des potions à quatre mains. Et j'adorerais travailler avec toi !

– Pour m'entendre pester après le bazar sur ton établi ? ricana Severus. Après tes ingrédients mal découpés ou tes tours de louche approximatifs ? Je ne tiens pas à me disputer avec toi !

Harry se mit à rire, étrangement touché par ce désir louable de ne pas amener de sujet de discorde entre eux… Et puis l'envie de taquiner Severus prit le dessus et il le regarda droit dans les yeux avec un sourire espiègle.

– Tiens, tu veux pas me préparer une racine de mandragore, s'il-te-plaît ? Ça me fera gagner un peu de temps.

Devant son air qui se voulait angélique malgré la provocation, le regard de Severus devint brûlant, d'une noirceur lumineuse, son aura s'épaissit, puis sans mot dire, il attrapa un petit couteau de cuivre et s'attela à sa préparation sur la paillasse juste en face de lui.

Tout en mélangeant sa potion sans discontinuer, Harry l'observait en silence. À sa connaissance, c'était la première fois que Severus touchait un ingrédient de potion depuis sa transformation, sans doute même depuis des années. Quelquefois, la nuit, pour le laisser dormir, il s'était chargé de surveiller ses préparations, de les mélanger si besoin, d'augmenter ou de baisser la température d'un feu… mais prendre part de cette façon à une potion, c'était inédit. Et ce retour aux sources, même s'il avait lieu sous la provocation et l'ironie, avait quelque chose de terriblement beau et émouvant .

Parce que Severus était admirable. Tout ce temps perdu n'avait pas entamé le moins du monde la précision et la perfection de ses gestes. Comme en toute chose, comme pour écrire, dessiner des runes ou nager, chaque mouvement était soigné, millimétré, à mi-chemin entre une concision et une efficacité redoutables. Un ballet virtuose que Harry ne se lassait pas d'observer d'un regard fasciné et éperdu d'amour à la fois.

Rapidement, Severus acheva d'émincer la mandragore que Harry incorpora aussitôt dans sa potion. Le mélange mit quelques secondes à reprendre son ébullition, puis sa couleur changea peu à peu pour devenir plus orangée, parcourue de longs rubans sanguins tandis qu'une odeur amère s'élevait lentement.

– Qu'est-ce que tu en penses ? murmura-t-il.

– Je ne sais pas ce que tu cherches à obtenir, répondit Severus.

Harry coupa le feu puis resta songeur un moment devant les remous colorés de sa potion, avant de se redresser en grimaçant à l'encontre de son vampire.

– Tu le saurais si tu venais faire des potions avec moi !

Severus se contenta d'un sourire amusé puis partit se laver les mains à l'évier au fond du laboratoire.

– Un jour, peut-être…

Harry sourit sans répondre. Les mots de son vampire sonnaient davantage comme une promesse qu'une hypothèse; du moins, il choisissait de le croire.

– Tu as fini avec ta potion ? demanda distraitement Severus en s'essuyant les mains.

– Pour l'instant, répondit Harry en nettoyant sa paillasse d'un geste de magie. Je vais la laisser reposer jusqu'à demain et je verrai ensuite.

– Ça te dit de venir nager un peu avec moi ?

La manœuvre, pas très discrète, le fit sourire. Plus que son intérêt pour le livre de sortilèges des gobelins, c'était davantage l'envie de passer du temps avec lui qui avait éloigné Severus de la Librairie pour l'après-midi, mais Harry n'allait pas s'en plaindre. Bien au contraire. Ce temps précieux, volé à leur routine bien organisée de la semaine, avait quelque chose de délicieux et de très symbolique : il restait plus intéressant et plus essentiel qu'un livre rare de magie gobeline ou que des documents qui pouvaient étayer ses investigations au sujet de Vladimir.

– Bien sûr.

.

.

Dans la rotonde, la chaleur régnait, humide, épaisse de moiteur, presque suffocante et pourtant si divine quand on voyait la grisaille morne et glaciale qui s'étendait sur les jardins. Tout en se déshabillant rapidement, Harry observa les baies vitrées et ce que l'on pouvait deviner de l'extérieur. Il n'était pas intervenu, il n'avait pas dit un mot : maintenant que Severus maîtrisait le mot-clé du sortilège d'obscurité, il le laissait faire et s'en servir à sa guise s'il se sentait gêné dans les pièces où ils se trouvaient. Et au fil du temps, il était toujours agréablement surpris des quantités de lumière que son vampire parvenait à tolérer.

Aujourd'hui, Severus avait à peine voilé les baies vitrées pour obtenir une pénombre diffuse; il avait même accepté de sortir sur le Chemin de Traverse en plein jour, simplement caché par le capuchon de sa cape… Il portait toujours des gants à l'extérieur, il ne restait pas dehors plus longtemps que nécessaire, la journée était particulièrement grise et terne, mais les progrès n'en restaient pas moins indéniables par rapport à son retour de Colibita au mois d'août. Et un jour, peut-être, il l'espérait, les choses seraient encore plus simples…

Harry enfila un maillot de bain pour la décence et se laissa glisser dans l'eau divinement chaude de la piscine où Severus nageait déjà en enchaînant les longueurs. La sensation de l'eau sur son corps nu, de ce bain mouvant et brûlant autour de lui, était délicieuse. Pendant quelques minutes, il s'amusa à s'interposer sur la trajectoire de Severus, à l'interrompre, à le frôler, à le distraire, mais le vampire reprenait imperturbablement sa nage comme s'il cherchait à y épuiser son énergie.

Harry finit par aller s'accouder contre le rebord de la piscine, persuadé que Severus allait rapidement le rejoindre, ce qu'il fit quelques instants plus tard. Un moment comme tant d'autres qu'ils avaient partagés ici, dans cette même position l'un à côté de l'autre, propice aussi bien à la parole qu'au rapprochement des corps quasiment nus, et pour une fois, Harry ne savait que choisir. Il hésitait, tenté par la sensualité comme par l'exigence de vérité entre eux, et ce fut finalement le besoin d'éclaircir certaines choses qui prit le dessus. Il serait toujours temps de se laisser aller au désir plus tard.

– Luce m'a dit que tu ne voulais pas fêter ton anniversaire…, commença-t-il. Pourquoi ?

Severus haussa un sourcil, surpris de ce sujet parmi tant d'autres, et plus encore de la conversation sérieuse qui se profilait, mais il répondit sans tergiverser :

– Parce que ça ne représente plus rien pour moi. Et puis quoi ?… Manger un bon gâteau ? Ouvrir une bouteille de champagne ? Aller dîner au restaurant ?

Il grimaça avec une amertume qu'il laissait rarement transparaître et Harry se sentit désolé pour lui. Tous ces moments autrefois précieux ne voulaient plus rien dire pour un vampire qui ne pouvait ni boire d'alcool, ni manger, ni profiter d'aucun plaisir de la table…

– T'offrir un petit cadeau ? suggéra-t-il doucement. Ça reste tout de même ton anniversaire…

– Je n'ai déjà besoin de rien et je vais vivre pour l'éternité ! rétorqua Severus. Tout ça est tellement futile. Une année de plus ou de moins…

Harry remua légèrement dans l'eau pour se pencher vers son vampire et embrasser son épaule. Cette humanité perdue restait toujours aussi difficile à vivre pour Severus, et la moindre petite chose lui rappelait sans cesse ce qu'il n'était plus et le poids de son immortalité par rapport à eux qui allaient vieillir et mourir un jour.

– Je ne veux pas qu'un quelconque objet ou présent, même offert avec toute la générosité du monde, ne soit associé à ce fardeau d'éternité…

– Je comprends, murmura Harry en croisant le regard tendu de son vampire.

Severus tourna la tête vers lui et la posa sur ses bras croisés sur le rebord de la piscine, esquissant un sourire pour atténuer la dureté de ses propos.

– Ce qui ne m'empêchera pas de t'offrir un cadeau à chacun de tes anniversaires !

– Mon cadeau, c'est toi ! Et Lucius ! gloussa Harry avant de réfléchir quelques instants. Je suis d'accord pour faire l'impasse sur ton anniversaire, pour ne rien t'offrir et ne même pas te le souhaiter si tu ne veux pas… Pas de bougies, pas de gâteau, pas de repas, ni de petite fête avec toute la famille…

Le visage de Severus grimaça à la perspective de ce à quoi il échappait mais son regard restait dans l'expectative de la suite. Car il ne doutait pas d'une contrepartie à venir.

Mais… Je voudrais qu'on parte un peu tous les trois, acheva Harry. Qu'on prenne quelques jours, ensemble, qu'on quitte le Manoir et qu'on aille ailleurs, n'importe où; quelques jours de vacances, sans Librairie, sans vente aux enchères, sans potions… juste nous trois. J'ai besoin qu'on se retrouve…

Severus l'interrogea du regard, sans doute curieux de ce qui sous-tendait ce souhait, mais Harry n'avait pas envie d'expliquer cette impression latente de fatigue et de distance entre eux. La menace de Vladimir, cette préoccupation constante qu'il maintenait au-dessus de leurs vies, dans leurs pensées, les empêchait de se détendre, de simplement profiter les uns des autres et du temps qu'ils passaient ensemble.

Depuis qu'il savait que Severus menait cette vendetta, il avait l'impression qu'une partie de lui était toujours sur le qui-vive, toujours en alerte, jugeant le moindre fait et la moindre parole à l'aune de cette menace. Comme ce devait être le cas pour Severus depuis des mois, il n'était jamais complètement serein, ni détendu. Il avait besoin de souffler, sans doute, de changer un peu d'air, et de passer avec eux des moments précieux, qui ne soient pas dictés par l'inquiétude ou la crainte. Et il avait également besoin que ses deux conjoints se rapprochent et cessent d'être aussi hésitants l'un envers l'autre pour pouvoir à nouveau être tous les trois, ensemble.

– Je ne suis pas contre cette idée, fit Severus en souriant. Mais est-ce que tu ne seras pas celui qui aura le plus de mal à lâcher sa fille et ses potions ?

– Je me débrouillerai, gloussa Harry. Je ne veux pas forcément partir longtemps, juste deux ou trois jours, mais j'ai surtout besoin de changer d'air et de passer du temps avec vous deux.

Severus se redressa et se tourna légèrement vers lui pour le prendre dans ses bras

– Et où veux-tu aller ?

– Peu importe. À Torquay si Draco nous prête sa maison, en Provence, dans un hôtel pas loin ou à l'autre bout du monde… N'importe où tant qu'on est ensemble et que la lumière ne te gêne pas trop.

– Et que tu as assez à manger, gloussa Severus en venant nicher son visage dans son cou.

– Et que j'ai assez à manger, admit Harry en frissonnant. Tout ça pour que tu puisses boire à ta guise !

– Ce qui n'est pas un moindre mal… T'en plaindrais-tu ?

Sous les dents qui égratignaient doucement la peau de son cou, suivies par les lèvres doucereuses de son vampire, Harry ferma les yeux de plaisir et de bonheur. Leurs corps réchauffés par l'eau mouvante étaient collés l'un contre l'autre, les bras de Severus autour de ses reins, peau nue contre peau nue. Les cheveux mouillés de son vampire gouttaient sur son épaule, son torse frais épousait le sien à chacune de ses respirations, sa langue jouait le long de sa carotide, le faisant languir, comme toujours, sans que la morsure ne vienne le délivrer.

– Jamais, murmura-t-il d'une voix étranglée.

Severus gloussa et redressa la tête avec un sourire éminemment satisfait de lui et de l'effet qu'il lui faisait. Harry grogna de cette désertion qui le laissait avec un sentiment de frustration intense.

– Ce qui veut dire aussi, si on part tous les trois, que tu dois régler ton problème avec Lucius ! le sermonna-t-il en guise de vengeance.

– Quel problème ?! protesta Severus en se reculant légèrement pour affronter son regard réprobateur.

– Oh, à d'autres, Sev ! Tu ne peux pas nier que tu le fuis depuis quelques jours et que tu te comportes bizarrement avec lui ! On dirait que tu ne sais plus par quel bout le prendre pour ne pas le froisser. Je ne sais pas ce qui s'est passé entre vous mais je sais exactement de quand ça date : de la nuit après Noël où je suis parti danser avec Alicia… Et il n'est pas question que ça perdure si on part en week-end tous les trois !

Sous ses yeux, Severus se renfrogna littéralement comme un enfant boudeur, vexé d'avoir été percé à jour. Mais rapidement, un sourire rusé revint sur ses lèvres, il resserra ses bras autour de sa taille pour plaquer son corps contre le sien, et son visage retrouva le chemin de sa gorge, furetant sur sa peau brûlante.

– Et qu'est-ce que j'obtiens si je me réconcilie avec Lucius ? Le droit de boire quand j'en ai envie ?

Harry grogna devant la tentative de manipulation sans pouvoir s'empêcher de frissonner malgré tout.

– Ça, tu l'as déjà, avoua-t-il du bout des lèvres. Mais si tu ne te réconcilies pas avec Lucius avant notre départ, je pourrais par contre t'obliger à jeûner !

– C'est du chantage, ronronna Severus en mordillant sa peau.

– Autant que ce que tu es en train de faire ! s'étrangla Harry.

Il ferma les yeux, perdu dans les sensations affolantes que son vampire faisait naître dans son esprit, dans son cœur, dans son corps… Des frissons qui le parcouraient des pieds à la tête et jusqu'au fond du ventre, un désir flamboyant, un cœur qui battait la chamade et que Severus devait si bien percevoir, une bouffée d'hormones qui l'enflammait comme une décharge d'adrénaline… Et ce grand corps pâle et ferme collé contre le sien, celui de son vampire, quasiment nu hormis un ridicule morceau de tissu au relief avantageux, la puissance de l'étreinte de ses bras, le souffle de ses paroles qui se perdait dans son cou, le magnétisme de son aura… tout cela l'excitait et le faisait vibrer comme un diapason.

Le contact de leurs bas-ventres devenait électrique, sulfureux, leurs sexes en train de durcir hésitaient à se frotter l'un contre l'autre, attisés par le désir, par leur façon de se toucher, par l'envie de mordre et celle de donner… Et Harry avait décidé de ne pas se laisser faire.

D'un mouvement de hanche, il pivota pour plaquer le corps de Severus contre la paroi de la piscine et il déploya sa magie pour l'en envelopper et tenter de l'immobiliser.

– Aurais-tu oublié que tu t'exposes à certains dangers si tu continues à me provoquer comme ça ? sourit-il avant de se frotter outrageusement contre son entrejambe.

La réaction ne se fit pas attendre : il sentit l'aura de Severus s'épaissir autant que son sexe, ses yeux rougeoyèrent, et ses lèvres s'étirèrent lentement un sourire carnassier que Harry ne lui avait pas vu depuis bien longtemps.

– Qui te dit que je n'y suis pas prêt ? Qui te dit que je ne le souhaite pas ?…

Malgré lui, Harry écarquilla les yeux, stupéfait de ce revirement qui voyait Severus évoquer une relation sexuelle avec envie. Et puis le désir reprit le dessus sur la surprise, ses lèvres fondirent sur celles de son vampire en un corps à corps enfiévré et sa main glissa dans son maillot de bain.

– Pas ici, murmura Severus entre deux mordillements. Un lit…

La magie se densifia autour d'eux, les enveloppant d'un même cocon de volutes vertes chatoyantes. Harry s'apprêtait à transplaner avec son vampire quand une voix familière résonna dans la rotonde :

– Je dérange, peut-être… ?

.

.

Harry grogna de dépit en reconnaissant le ricanement moqueur de Lucius. Il mordit un peu plus fort la lèvre de Severus pour évacuer sa frustration, puis tourna la tête vers son mari qui s'approchait tranquillement de la piscine.

– Et je vous surprends même la main dans le sac !

Brusquement, un peu gêné, Harry sortit sa main du maillot de bain de son vampire, délaissant le sexe épais qu'il avait pris entre ses doigts. Severus, qui léchait sa lèvre meurtrie, grogna en sentant l'élastique du tissu claquer violemment sur son membre tendu, tandis que Lucius éclatait de rire devant leurs visages désappointés.

– Plutôt que d'être fier de nous avoir surpris, tu ferais mieux de venir te joindre à nous, marmonna Severus.

Tandis que Lucius faisait quelques pas pour s'approcher et venir les observer de plus près, Harry ferma les yeux et posa son front sur le torse de son vampire, grimaçant de dépit. Ce ne serait pas pour aujourd'hui. Severus avait eu envie de sexe avec lui, il avait été prêt à franchir ses dernières réticences pour enfin renouer avec le plaisir charnel entre eux, il avait été joueur, taquin, excité et excitant, mais il n'allait rien se passer. L'arrivée de Lucius avait brisé ce moment et pour une fois, Harry en voulait presque à son mari.

Il aurait aimé savourer en tête à tête avec son vampire leur premier rapport sexuel depuis le deuxième rituel d'union, mais la présence de Lucius remettait en cause ce moment d'intimité tant attendu. Et il se retrouvait bêtement avec son érection inutile et sa frustration; sans caresses approfondies, sans corps à corps fougueux, sans pénétration, sans orgasme et sans morsure. Il grogna à nouveau et mordit la clavicule de son vampire de contrariété, s'attirant un regard surpris de sa part.

– Puisque qu'on ne fera rien aujourd'hui, vous allez vous débrouiller tous les deux, murmura-t-il suffisamment bas pour que seul Severus l'entende. Comme ça, tu vas en profiter pour régler ce que tu as à régler avec lui, et moi, je vais aller éponger ma frustration ailleurs et dîner dehors.

– Tu es sûr ? Tu n'es pas obligé de…

– Fais-le, sourit Harry en glissant un baiser rapide sur ses lèvres avant de disparaître.

.

Severus mit une seconde ou deux avant de réaliser que le corps de son calice n'était plus entre ses bras et à reprendre contenance. Harry avait transplané, sans doute dans sa chambre pour pouvoir se rhabiller, et ensuite quitter le Manoir pour la soirée. Et malgré sa frustration évidente, Severus ne percevait de son esprit que sa légèreté effervescente et joyeuse habituelle. La bienveillance de son calice était telle qu'il était prêt à laisser sa place à Lucius avec une grande générosité.

Et quitte à avoir manqué ces retrouvailles charnelles avec son calice, Severus devait au moins en profiter pour avoir cette fameuse conversation avec son mari.

– Mince. Je l'ai vexé ou je suis vraiment tombé au mauvais moment ?

Severus tourna la tête vers Lucius dont le visage profondément ennuyé témoignait de son inquiétude sincère.

– Tu es tombé au mauvais moment, reconnut-il, mais ça va. Il ne l'a pas mal pris.

– C'est à cause du tabou de la morsure ? Je croyais que ça le gênait moins, maintenant...

Tout en se hissant sur le rebord de la piscine pour sortir de l'eau, Severus adressa un sourire rassurant à son mari.

– Non, ça n'a rien à voir, ne t'inquiète pas. Il reviendra plus tard, dans la soirée; il voulait juste nous laisser un peu de temps tous les deux…

Ruisselant sur le carrelage de la rotonde, Severus s'approcha de Lucius à pas de velours, un sourire carnassier sur les lèvres. Avant d'aborder les choses sérieuses, il avait d'abord un léger souci à régler.

– Et puisque tu nous as interrompus avant la résolution de ce petit problème, ricana-t-il en lorgnant son entrejambe encore tendu, tu vas devoir t'y employer !

.

.

Comme il s'y était attendu, Lucius n'avait pas été très difficile à convaincre. À lui aussi, le sexe devait manquer, même si l'aristocrate pouvait s'envoyer en l'air avec Harry aussi souvent qu'il le souhaitait. Malgré cette opportunité permanente, Severus savait que son mari appréciait toujours le sexe avec lui. Leurs rapports charnels avaient ce côté marquant, sacré, fondateur de leur couple qui durait depuis tant d'années. Ils avaient eu le temps de se connaître de bien des façons, d'expérimenter bien des pratiques, et même s'il était depuis devenu un vampire et que cela limitait drastiquement leurs possibilités, Lucius ne s'était jamais détourné de lui et il aimait toujours autant – si ce n'était plus – le caresser, le sucer, le faire gémir et lui faire perdre le contrôle.

Et s'il ne se voilait pas la face, Severus devait reconnaître que l'intervention de son mari avait été salutaire pour lui faire comprendre qu'en réalité, il ne perdait jamais tout à fait le contrôle. Même sous la menace d'une baguette, même lorsque son côté vampire enflait hors de toute mesure et dominait son esprit, certaines réserves étaient si profondément ancrées en lui qu'il ne pouvait lui faire du mal, pas plus qu'il ne pourrait en faire à son calice. Il devait à Lucius d'avoir repris confiance en lui-même, de se sentir enfin prêt à franchir ce pas symbolique avec Harry et pouvoir retrouver avec lui les plaisirs de la chair qu'ils espéraient l'un et l'autre depuis si longtemps. Avec sa confiance inébranlable, Lucius était parvenu à effacer les derniers doutes qu'il lui restait depuis le pavillon chinois et c'était un présent inestimable qui ne faisait que renforcer son amour pour lui.

Un présent aussi inestimable que ce don de soi qui mettait pourtant Severus si mal-à-l'aise.

.

Et cette fois encore, Lucius s'était « offert ». Après un baiser époustouflant dans la rotonde, après que Severus les eut faits transplaner dans la chambre d'où Harry avait déjà disparu, après un effeuillage lent et minutieux, plein de sourires de connivence et d'effleurements subtils… Ils avaient fini sur le lit, entièrement nus, son grand corps tiède sur le corps fin et brûlant de Lucius, leurs lèvres enlacées et leurs sexes tendus d'un désir trop longtemps négligé.

Les caresses et les mains puissantes avaient laissé place au corps à corps impatient et aux frottements, puis à l'envie de se fondre l'un dans l'autre. Cette fois encore, Lucius s'était tourné sur le ventre, comme si le regarder droit dans les yeux, être face à face pendant qu'ils faisaient « ça », était trop pour lui. Et cette attitude n'avait fait que raffermir la décision viscérale de Severus.

Avec douceur, il avait pris son mari par l'épaule pour l'inciter à se retourner, à se mettre sur le côté, à revenir vers lui plutôt qu'à le fuir d'une certaine manière. Il avait embrassé Lucius longuement, amoureusement, pour ne pas le vexer par son « refus », pour bien lui montrer qu'il l'aimait toujours autant… Et pour lui montrer également que ce n'était pas une question de désir, il avait pivoté dans le lit pour prendre son sexe entre ses lèvres et le faire gémir jusqu'à l'orgasme, mettant le sien à portée de sa bouche si l'envie lui prenait d'en faire autant. Et Lucius avait été tout aussi généreux des caresses de sa langue jusqu'à le faire jouir à son tour.

Des caresses, du plaisir, et ensuite de la tendresse dans une douce communion… est-ce que ce n'était pas ça, une relation sexuelle, quel que soit le moyen de parvenir à ce plaisir ? Qu'il n'y ait pas la pénétration d'un sexe ou d'un autre entre les fesses de l'un ou de l'autre, ne faisait au final pas grande différence…

.

– Merlin ! murmura Severus les yeux fermés. Ça m'avait manqué…

Ils étaient côte à côte, allongés nus sur le dos au milieu des draps en bataille, décoiffés, encore essoufflé et humide de sueur pour Lucius. Le plaisir redescendait lentement dans leurs corps, laissant derrière lui une satiété confortable et tranquille.

– À qui la faute ? ricana doucement Lucius.

Severus se retint de grogner, pour ne pas montrer que les mots faisaient mouche. Il se savait le seul coupable de cet éloignement, mais il n'avait pas envie, alors qu'il se sentait si bien, de précipiter la discussion qui s'avérait nécessaire.

– Ceci dit, poursuivit Lucius devant son silence, maintenant que tu as retrouvé Harry et que tu peux batifoler avec lui comme avant, je comprends qu'avec moi, ça t'intéresse moins…

Cette fois, les paroles étaient si violentes que Severus en sursauta dans le lit, se redressant brusquement sur un coude pour se tourner vers son mari.

– Arrête ! Ne dis pas n'importe quoi ! protesta-t-il avec véhémence. Ça n'a rien à voir avec ça !

Et parce que ses mots si creux, si pauvres, n'expliquaient rien du tout face à ce sentiment d'inutilité et presque d'infériorité que suggérait Lucius, il se sentit obligé d'ajouter :

– Il ne s'est rien passé avec Harry. On n'a pas été plus loin que ce qu'on faisait déjà en revenant de Colibita. Et on fait certainement moins que ce qu'on vient de faire.

Il y avait pourtant des morsures avec certains gestes, des masturbations mutuelles, des attouchements, de rares fellations et Harry l'avait même sucé, une fois; mais rien d'aussi long, d'aussi étoffé, d'aussi partagé que la dernière demi-heure qu'ils venaient de vivre dans cette chambre. Et contrairement à ce que suggérait Lucius, il n'y avait jamais eu de rapport sexuel "complet", avec cette pénétration qui faisait tant rêver son calice.

En réalité, comme il s'en faisait la réflexion quelques instants plus tôt, Severus n'avait pas besoin de cette pénétration pour être satisfait et avoir l'impression de faire l'amour avec Lucius ou avec son calice, mais il savait que Harry, lui, y tenait particulièrement. Comme un accomplissement, comme une revanche sur le pavillon chinois… Une façon de tourner la dernière page et de refermer le livre pour commencer une nouvelle histoire, loin des tourments et des souvenirs amers.

– Alors quoi ?! fit sèchement Lucius en le ramenant à l'instant présent. Pourquoi est-ce que tu me fuis depuis dix jours ?!

Severus soupira et se laissa retomber sur le dos aux côtés de son mari, cherchant la manière la plus délicate et la moins blessante possible de dire ce qu'il avait sur le cœur. Pour un peu, il avait presque envie de voiler complètement les fenêtres avec le sortilège pour les plonger dans l'obscurité et retrouver cette intimité propice aux confessions sur l'oreiller. Cette fois, c'était lui qui n'avait pas très envie de croiser le regard de son mari ou de lire ses réactions sur son visage…

– Écoute, je… Il fallait que je t'en parle mais ce n'est pas si simple. C'est pour ça que Harry est parti, d'ailleurs, quand tu nous as surpris dans la piscine… Il voulait nous laisser, me laisser, l'opportunité de te parler à cœur ouvert.

Lucius ne réagit pas, attendant patiemment la suite, et c'était peut-être plus simple ainsi : dire les choses comme s'il parlait dans le vide, comme s'il n'était pas là, vider son sac sans être interrompu…

– La dernière fois…, commença Severus en fermant les yeux. La dernière fois qu'on a… qu'on s'est envoyés en l'air, tu m'as laissé faire ce que je pensais inconcevable : tu as accepté d'être en-dessous et… ça faisait bien des années que j'avais fait une croix sur cette possibilité. Ne crois pas que je n'ai pas aimé, bien au contraire ! C'était inespéré et merveilleux, et j'espère que je me suis montré à la hauteur et que tu y as pris autant de plaisir que j'en ai pris…

À présent qu'il avait commencé et précisé de quoi il parlait réellement, les mots s'enchaînaient plus vite, plus fluides, et même si son discours restait brouillon, il sortait plus facilement.

– Mais je ne peux pas, avoua Severus dans un souffle presque inaudible. Je suis désolé mais je ne peux pas… Pour moi, tu n'es pas celui-là, tu ne peux pas être en-dessous. Dans mon esprit, depuis toutes ces années où nous sommes ensemble, dans l'image que j'ai de toi… ce n'est pas ta position, ça ne fait pas partie de ta personnalité. Ça n'a jamais été le cas et je ne peux pas changer ça comme ça, du jour au lendemain, comme si tu devenais un autre, avec d'autres préférences et d'autres habitudes. J'ai beau être devenu un vampire, la façon dont je t'aime n'a pas changé et cette facette-là ne fait pas partie de toi; elle n'a jamais fait partie de toi. Que tu le fasses pour moi, pour t'adapter à ce que je suis devenu, ou qu'au fond, ça ne te dérange pas vraiment, ne change rien à mes yeux : je n'arriverai pas à te faire l'amour de cette façon-là… Pour moi, tu restes celui que j'ai toujours connu : puissant, charismatique; intransigeant et attentif à la fois, celui de l'antichambre et de la façon dont on s'envoyait en l'air avant. Je ne suis pas égoïste au point de vouloir te voir changer parce que je suis devenu un vampire et qu'on ne peut plus faire l'amour comme on le faisait. Ou pire encore, parce que tu crains une espèce de rivalité avec Harry et que tu veux m'offrir ton corps de la même manière que lui… Je préfère renoncer à cette façon de faire, je préfère qu'on soit limités dans nos possibilités plutôt que de t'obliger à devenir ce que tu n'es pas. Ou à faire ce dont tu n'as pas vraiment envie… Je suis désolé mais je ne pourrai pas.

Severus se tut dans un souffle, légèrement secoué par ce qu'il venait d'avouer, au-delà des questions pratiques de position ou de rôle pendant leurs ébats sexuels : son amour immense et inchangé pour son mari, son besoin de le voir à ses côtés comme autrefois, puissant, inébranlable, presque dominant… ou du moins, essayer de l'être, et l'idée le fit sourire. Aujourd'hui, il considérait davantage Lucius comme son égal, comme son alter-ego, même pendant le sexe. Mieux encore, et il ne l'avouerait pas de sitôt, il adorait cette velléité de suprématie de son mari, cette façon de l'aiguillonner, de venir taquiner sa dominance de vampire; une espèce de rivalité tendre, d'émulation, qui venait frictionner leurs personnalités jusqu'à provoquer des étincelles qui les électrisaient l'un et l'autre.

Mais le silence de Lucius perdurait, sombre, presque angoissant, et son absence de réaction, quelle qu'elle soit, l'inquiétait. Severus finit par tourner son visage vers son mari, à l'affût d'un pli amer de la bouche, d'une grimace pleine de rancœur, et il ne trouva qu'un petit sourire amusé qui le narguait dans la pénombre de la chambre.

– C'est tout ce que tu trouves à répondre ? lui reprocha-t-il devant son ironie évidente.

– Je te laisse t'enfoncer ! gloussa Lucius avant de se redresser pour s'asseoir en tailleur face à lui et reprendre plus sérieusement. Sev… on se connaît depuis assez longtemps pour parler de tout avec franchise et sans tourner autour du pot. Et il ne s'agit que de sexe ! Pas de quoi en faire tout un drame !

Severus serra légèrement les dents sous le reproche moqueur.

– Je n'ai jamais voulu être en dessous, comme tu dis si bien, reprit Lucius, parce que ça ne m'excite pas vraiment et que je ne trouve pas ça très agréable. Comme n'importe quel homme, quand c'est bien fait, j'arrive à y trouver du plaisir… Mais je préfère largement d'autres pratiques ou d'autres positions; je préfère largement te sucer plutôt que d'avoir ta queue dans mon cul. Tu ne veux pas réitérer l'expérience : ça me va très bien et ça ne me manquera pas. Pour toi, j'aurais pu le faire. Parce que c'est toi. Mais je n'irai pas jusque là pour Harry, acheva-t-il avec un sourire complice.

Severus sentit son esprit rougeoyer de plaisir, de fierté et d'amour tandis que le vampire s'agitait en lui. La revendication puissante de son mari le troublait plus profondément qu'il n'aurait su le dire. Lucius n'aimait pas vraiment ça mais il aurait pu le faire pour lui. Pour lui.

– Tu l'aurais fait si je n'avais pas été un vampire ? demanda-t-il malgré tout.

– Je ne suis pas sûr, reconnut Lucius avec un sourire. C'est parce que tu es un vampire que je ne peux plus te faire l'amour comme avant. Sans ça, la question ne se serait sans doute jamais posée. Comme elle ne se pose pas pour Harry…

Tout en contemplant le visage serein et détendu de son mari, Severus y réfléchit quelques instants. Lucius avait raison : sans sa transformation, leurs pratiques seraient restées ce qu'elles étaient, antichambre comprise. Devenir un vampire avait limité leurs possibilités en ce qui concernait la pénétration – pour lui parce qu'il ne pouvait pas y céder, et pour Lucius parce que finalement cela ne leur convenait pas –, mais cela en avait ouvert d'autres : des rôles plus équilibrés, des corps à corps plus fougueux… Des gestes plus osés de sa part, plus dominateurs, des mains plus aventureuses, une volonté qu'il imposait davantage… et du côté de Lucius, tous ces mots, ces sortilèges, ces provocations qui visaient à réveiller son côté vampire et à jouer avec le feu… Un renouveau que Severus appréciait grandement.

Et à voir le petit sourire malicieux qui illuminait le visage de son mari, celui-ci l'appréciait tout autant.

– Ma queue dans ton cul, hein ?! grogna Severus, encore offusqué des mots employés.

– Ta divine queue dans mon cul, précisa Lucius en se penchant vers lui avec un regard brûlant. Ou dans ma bouche, puisque tu sembles préférer ça. Ou entre mes doigts…

Tandis qu'il joignait le geste à la parole pour poser la main sur son sexe encore sensible, Severus se crispa et s'arqua en arrière tout en laissant échapper un gémissement. Malgré tout, Lucius avait encore l'art et la manière de le rendre dingue avec un geste et trois mots qui lui retournaient l'esprit et les sens. Et son sourire victorieux tandis que ses lèvres descendaient lentement vers son sexe et que sa main s'enroulait fermement autour de ses bourses valait tous les orgasmes du monde.

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Et il leur fallut encore un orgasme chacun avant de se sentir calmes et soulagés. Et sans doute rassuré en ce qui le concernait.

– Ça ne te manque jamais ? murmura brusquement Lucius.

La pénombre envahissait la chambre; pas volontaire, cette fois-ci, mais simplement due à la lumière du jour qui baissait rapidement et aux ombres qui gagnaient les recoins du lit à baldaquin.

– Quoi donc ?

– « Être en dessous », ricana-t-il.

– Si, avoua Severus, le regard rivé sur le ciel de lit.

Ils n'avaient pas bougé; du moins, après cette nouvelle offensive, ils étaient à nouveau allongés l'un à côté de l'autre, à ceci près qu'ils étaient sous la couette cette fois-ci, parce que Lucius avait frissonné sous la fraîcheur de la chambre. À ceci près que leurs doigts étaient entrelacés tandis que son mari jouait distraitement avec son alliance…

– Enfin… La sensation me manque parfois, précisa Severus. Sentir « ta divine queue » franchir les muscles, progresser à l'intérieur, aller caresser ma prostate… J'ai toujours aimé ça. Mais la position ne me manque pas, ni tout ce qu'elle symbolise pour moi et que mon côté vampire ne supporte pas.

– Et l'antichambre ?

Severus soupira longuement.

– Aussi. J'aime toujours la douleur. D'autant plus maintenant qu'elle me donne cette impression d'être vivant. De ressentir encore quelque chose. J'imagine que j'ai trouvé un dérivatif en jouant avec le sortilège d'argent… mais je ne pourrais plus supporter que la douleur me soit imposée, comme dans l'antichambre. Ce qui me manque surtout, c'est cette sensation de relâchement, après… quand la douleur cède, quand le corps est vidé de sa tension… cette sensation d'apaisement.

– Je comprends, répondit doucement Lucius en glissant un bras sous sa tête en guise d'oreiller. Moi aussi, ça me manque… ne plus pouvoir t'aimer de cette façon-là, ne plus pouvoir t'apporter ce calme après la tempête… Te voir attaché. Faire rougir ta peau. Admirer ta résistance…

Severus retint difficilement un grognement dubitatif. Il n'avait jamais compris – jamais ressenti – ce que Lucius aimait tant dans ces moments-là, mais depuis toutes ces années, il avait appris à quel point sa façon d'apprécier ces moments était sincère.

– Il te reste Harry.

– Ce n'est pas pareil. Harry préfère la contrainte à la douleur. Je pourrais l'attacher dans n'importe quelle position mais il ne raffole pas du tout du fouet comme tu le faisais… Et puis de toute façon, nous n'y allons plus que rarement. Peut-être deux ou trois fois depuis ta transformation…

Severus pressa doucement la main de son mari. Il savait que ces pratiques comptaient particulièrement pour Lucius, qu'elles avaient toujours compté d'une façon différente, comme une preuve de confiance inestimable, et il devinait que cela devait énormément lui manquer.

– On y retournera, assura-t-il. Avec Harry.

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– Et donc, Harry va revenir, maintenant que nous sommes réconciliés ? ricana Lucius d'un ton plus léger.

Severus sourit dans l'obscurité de la chambre, à peine troublée par les ombres plus denses des rideaux et des meubles.

– Harry va revenir. Et d'ailleurs, on va partir en week-end pour mon anniversaire, annonça-t-il, s'attirant un regard surpris de l'aristocrate. Harry en a envie et je suis d'accord avec lui : on a besoin de se retrouver tous les trois.

– C'est vrai que vous n'avez encore rien fait de plus poussé ? Depuis le temps qu'il attend ça…

Severus ne releva pas l'absence de commentaire sur leur besoin d'être tous les trois ensemble; il savait que son mari partageait cet avis. Sa curiosité, en revanche, le fit sourire encore.

– Rien de plus qu'avant : des morsures et du tripotage en règle, avoua-t-il tandis que Lucius ricanait devant la formule. Mais ça ne saurait tarder. Si tu ne nous avais pas interrompus tout à l'heure…

– Je suis désolé, gloussa l'aristocrate. Je suis vraiment désolé, répéta-t-il avec une sincérité évidente tout en pressant doucement sa main. Ceci dit, j'ai toujours dit que les morsures avaient un caractère très sexuel entre vous !

Severus sourit un peu plus, touché par l'attention bienveillante de son mari.

– Et donc, reprit Lucius d'un ton enjoué. Si on part en week-end, on pourra enfin s'envoyer en l'air tous les trois ?

Severus respira profondément. Il savait que c'était l'étape suivante, la suite logique… Refaire l'amour à son calice et ensuite le partager avec Lucius. Une étape bien plus proche, bien plus concrète que cette promesse vague de retourner un jour dans l'antichambre tous les trois.

– Tu crois que tu pourras supporter de me voir le caresser ou le pénétrer ? Tu sais que je le fais. Mais le voir, c'est autre chose…

– Je pense, répondit pensivement Severus. C'est déjà arrivé une fois qu'on s'occupe de lui tous les deux. Ou du moins, tu l'avais sucé pendant je le mordais… Il faudra sans doute quelques aménagements pour que tout se passe bien : que je puisse le mordre avant, ou le pénétrer le premier… mais si c'est le cas, je pense que je pourrais te laisser une place. Une petite place, ajouta-t-il pour le taquiner.

Lucius gloussa à ses côtés, puis d'un mouvement souple, il se redressa pour venir s'asseoir à califourchon sur ses hanches, son long sexe posé sur la peau froide de son ventre. Ses mains caressèrent un instant les creux de sa taille pour remonter sur son torse et il y prit appui pour se pencher légèrement.

– Une petite place sera suffisante, murmura-t-il à son oreille. Harry arrivait bien à nous accueillir tous les deux en même temps.

À l'évocation de ces plaisirs anciens, et malgré ce qu'ils venaient déjà de faire, Severus sentit une longue traînée de désir parcourir son corps et le creux de ses reins. Et ce fut encore pire quand Lucius se redressa avec un sourire lubrique, passant sa main dans ses cheveux longs pour les rassembler sur son épaule. La fluidité de son geste, la douceur soyeuse de cette masse chatoyante, firent tressauter son sexe à demi écrasé sous les fesses de son mari.

– Bon sang. Tu veux me tuer ou quoi ?! grommela Severus en soulevant légèrement son bassin dans une crispation de désir.

– Tu ne peux plus mourir. Et il paraît que les vampires sont dotés d'une grande endurance en matière de sexe… ! susurra Lucius en se penchant à nouveau sur lui pour venir lécher son torse. Et puis c'est ta punition pour avoir hésité à me parler de ce qui te perturbait tant entre nous à ce niveau-là…

Le mot « punition » le fit frissonner bien malgré lui, les cheveux de soie frôlaient sa peau, la langue de Lucius s'enroulait autour d'un de ses tétons… Severus laissa échapper une aura pleine de luxure et sa main glissa entre eux pour aller saisir le sexe de son mari.

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ooOOoo

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Severus sourit en sentant les mains de son calice se poser sur ses épaules. Il ferma les yeux brièvement, savourant la caresse des doigts qui remontaient le long de sa nuque avant de redescendre pour masser ses trapèzes. En quittant Lucius, il s'était simplement rhabillé d'un pantalon et d'un pull léger à même la peau, et Harry avait un large accès à ses épaules par le col évasé.

Au bout de quelques instants, une des mains de son calice se faufila jusque sous son menton pour lui faire renverser la tête en arrière, sur le dossier du canapé, puis Harry se pencha pour l'embrasser doucement. La musique s'étirait dans le creux de la nuit, dans le silence de la Bibliothèque et du Manoir, et ce moment était sans doute parfait. Severus prit la main de son calice pour embrasser sa paume puis la reposa sur son torse en entrelaçant leurs doigts. Merlin… Il s'était rarement senti aussi amoureux des deux hommes de sa vie que ce soir…

– Tu as mangé ? s'inquiéta-t-il à mi-voix.

– Oui, le rassura Harry avec un sourire dans la voix. J'ai dîné chez Luna et Padma, et les elfes de Poudlard m'ont nourri comme si je mourrais de faim !… Je vous ai laissé assez de temps ? ajouta-t-il pour le taquiner.

– Oui, ne t'inquiète pas. Tout va pour le mieux entre Lucius et moi.

– Et qu'est-ce que tu as fait de lui ?

Severus sourit, caressant du pouce la main de son calice. Il était seul dans la Bibliothèque, comme toutes les nuits, et Harry avait bien dû voir que toutes les pièces du rez-de-chaussée étaient éteintes.

– Il dort…

– Si tôt ?! s'exclama Harry. Il est à peine vingt-deux heures ! Mais qu'est-ce qui s'est passé ?

Malgré lui, Severus gloussa. En réalité, Lucius n'avait même pas dîné; il s'était endormi dans leur lit, tourné sur le côté, ses longs cheveux blonds drapés dans son dos comme un voile, et avec un visage apaisé comme rarement. Ou plutôt épuisé.

– Ton mari est un démon ! lâcha Severus en ricanant.

À vrai dire, lui aussi se sentait particulièrement las, lourd, les membres fourbus et il avait une faim de loup, que Harry devait sans doute ressentir. Et quand celui-ci comprit ce qu'il sous-entendait : que Lucius s'était endormi de fatigue après quelques parties de jambes en l'air, il éclata de rire.

– C'est aussi le tien, il me semble ! Et comme tu es un vampire, vous formez bien la paire, tous les deux !

Harry enlaça son torse de ses deux bras et se pencha un peu plus par-dessus le dossier du canapé pour venir poser ses lèvres dans son cou et l'embrasser là, puis le mordiller.

– Et c'était bien ? gloussa-t-il sur sa peau trop froide.

– Petit curieux ! fit Severus en glissant ses doigts dans les cheveux de son calice avant de les empoigner doucement pour lui faire pencher la tête et mettre son cou à portée de ses propres lèvres. Viens donc me nourrir !

Avec un large sourire, Harry se redressa lentement, mordillant sa peau et le lobe de son oreille au passage, puis fit le tour du canapé pour venir s'asseoir sur ses cuisses. Ses mouvements étaient souples, gracieux, presque sensuels. Son regard vert paraissait sombre dans la pénombre de la nuit; son corps irradiait de magie, au point que Severus la sentit presque picoter quand il ceintura ses reins pour le rapprocher de lui et coller leurs bassins. Harry était magnifique. Un corps somptueux, un sang parfait, une magie délicieuse… Severus allait boire, et s'il avait recouvré assez d'énergie, il profiterait peut-être ensuite de ce corps qui l'appelait si voluptueusement.

Harry épousa son torse du sien, si près que sa chaleur enflammait son esprit, et il pencha la tête de lui-même pour offrir sa gorge sensuelle à la morsure de ses crocs. Severus ne se fit pas prier davantage et ferma les yeux pour mieux savourer ce nectar qui venait ruisseler sur sa langue et dans son corps pour le faire renaître, comme chaque soir.

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Perdu dans les limbes du plaisir, Severus mit peut-être une seconde ou deux à comprendre que la main de son calice sur sa joue n'était pas une caresse, mais cherchait à le repousser doucement. Une valse de sentiments virevolta dans son esprit : inquiétude, colère, terreur d'être rejeté, incompréhension… Il retira brusquement ses crocs, sa bouche, ses lèvres, et releva la tête pour scruter le visage pâle de son calice.

– Qu'est-ce qui se passe ?!

– Un vertige, murmura Harry, la main sur son front. C'est rien, ça va passer.

Celui-ci n'eut même pas le temps de bouger sa main pour frotter ses yeux que Severus s'était redressé pour l'allonger sur le canapé, affolé et submergé d'un sentiment de culpabilité monstrueux.

– Je suis désolé, s'étrangla-t-il, honteux. Je suis désolé !

– Ça va, fit doucement Harry avec un sourire paisible. Ce n'est pas grave. Je me sens bien.

Pour le prouver sans doute, il se tourna sur le côté, face à lui qui s'était agenouillé au pied du canapé, la main encore posée sur le torse de son calice qui se soulevait tranquillement. La tête installée sur un coussin, Harry souriait doucement, un peu moins pâle au fil des secondes qui s'égrainaient dans la Bibliothèque.

– Je suis désolé, répéta Severus, contrit. J'avais faim mais je ne voulais pas boire autant, je…

– Ce n'est pas la quantité, l'interrompit Harry avec sérénité. C'est juste que tu as bu très vite. Mais ça va déjà mieux. Laisse moi encore quelques instants et tu pourras reprendre…

– C'est hors de question ! Tu…

Des doigts sur sa bouche vinrent interrompre sa protestation véhémente, puis la main glissa sur sa joue, sur sa nuque pour l'attirer vers le visage de son calice qui embrassa doucement ses lèvres au goût de sang.

La magie de Harry flottait autour d'eux, tendre et chaude; sa sensualité était devenue langueur, son corps respirait le confort et la quiétude…

– Chut… Tu vas finir de boire, parce que tu as encore faim, et parce qu'il n'est pas question qu'on reste sur une impression de malaise et d'échec. Je vais bien, et tu le sais. C'était juste un peu rapide pour moi. Je préfère quand tu prends ton temps, acheva-t-il d'un ton malicieux. Il faut toujours prendre son temps…

Severus resta quelques secondes à contempler le visage détendu de son calice. Sa sérénité emportait son inquiétude, calmait ses angoisses; son esprit était empli d'un amour immense. Il s'était juste montré un peu trop pressé et trop impatient.

– Tu es sûr que tu as assez mangé à Poudlard ? Tu ne veux pas que je te fasse venir quelque chose ?

– Non. Tout va bien, sourit Harry. Viens, maintenant…

Une main sur sa nuque incita Severus à se redresser légèrement sur ses genoux, à se pencher vers son calice. Ses lèvres étaient chaudes tandis qu'ils échangeaient un long baiser plein de pardon et de gratitude. Puis la main fourragea dans ses cheveux pour qu'il se glisse dans le cou tiède où affleurait encore une trace de sang que Severus s'empressa de lécher. Ses sentiments pour Harry enflaient dans son cœur : l'amour, la reconnaissance, la dévotion… D'un geste, il glissa ses bras autour de lui, enlaçant ses épaules comme un trésor précieux, puis il ouvrit la bouche pour s'abreuver au don si délicat de son calice. Harry gémit doucement, et il gémit sans doute aussi. La magie les enveloppa tendrement, parachevant cette communion au goût de sang si voluptueux.

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Merci encore de votre lecture et de votre fidélité et, malgré la parution qui deviendra aléatoire, j'espère tous vous retrouver en 2024. Je vous souhaite également un très Joyeux Noël et de belles Fêtes de fin d'année!

On se retrouvera la prochaine fois pour revoir un personnage qu'on n'a pas croisé depuis quelques temps: Mark ^^

Encore une fois, meilleurs voeux à tous et portez-vous bien!

Au plaisir

La vieille aux chats