Petite note pour Eeloo : Tu n'as pas de compte donc je ne peux malheureusement pas répondre à tes gentilles reviews mais sache que la dernière m'a beaucoup touchée. J'écris des histoires queer et féministes et je suis toujours heureuse quand ce type de discours résonne en vous. Merci de ton soutien !
Harry prit Sunday dans ses bras et caressa doucement le petit chat gris. Il l'écouta ronronner contre lui jusqu'à ce que les caresses l'ennuient et qu'il saute des bras de Harry pour s'enfuir dans le jardin. Nox éclata de rire à côté de Harry.
- En fait, celui qui aime le plus ce chat, c'est toi, avoue-le.
- Oh, c'est bon, grogna Harry.
Nox sourit mais ne répondit rien. Teddy descendit enfin les escaliers, ébouriffé et baillant à s'en décrocher la mâchoire. Il s'approcha de Harry, l'embrassa brièvement sur la joue et salua Nox. Il se servit un café à la machine de la taverne et s'accouda au comptoir près de Harry. Il s'était mis à aimer le café, même s'il le diluait encore avec beaucoup de lait. Harry avait aussi remarqué que quand Teddy se levait tard comme ce matin-là, il descendait prendre son petit déjeuner en bas. Visiblement, il n'aimait pas rester seul à l'étage. Le fait que le garçon préfère être avec lui faisait plaisir à Harry, même s'il ne faisait jamais de commentaire pour ne pas briser la magie du moment.
La Tête de Sanglier était ouverte depuis trente minutes et il n'y avait personne encore. C'était samedi, il y aurait surement du monde un peu plus tard. Nox avait nettoyé la cheminée et allumé un feu tandis que Harry avait passé un chiffon humide sur toutes les tables. C'était le mois de mars mais il faisait encore frais et le feu n'était pas de trop. Harry passa son chiffon sur le comptoir, machinalement, en écoutant vaguement les bavardages de Teddy et Nox qui s'entendaient décidément très bien, comme si Nox s'était trouvé un petit frère à choyer.
La porte de l'auberge s'ouvrit et Harry leva les yeux vers la porte, sans y penser. Son chiffon s'immobilisa brutalement sur le comptoir et il retint sa respiration pendant quelques secondes. Il y avait pensé, c'est vrai. Il s'était dit que Drago viendrait peut-être le voir mais le temps était passé et Harry avait compris qu'il ne viendrait pas. Pourtant, il était là, marchant vers lui d'un pas déterminé sans doute mais pas serein pour autant. Harry le regarda venir, pensant à ce que Leo Black lui avait raconté. Drago avait changé mais Harry n'aurait pas su dire en quoi. Son visage était plus dur peut-être, plus âgé. Il n'était plus maigre comme avant même si le Trench noir qu'il portait ne laissait pas voir grand-chose. Harry songea que c'était élégant. Il songea aussi qu'il n'avait rien à lui dire et que sa présence le rendait nerveux.
Drago s'arrêta devant le comptoir et fixa Harry. Il devait évaluer les dégâts des années, lui aussi. Harry se demanda de quoi il avait l'air avec sa barbe noire, ses cheveux un peu trop longs, son vieux pull et son jean troué au genou. Harry tressaillit légèrement quand Drago se tourna vers Nox et Teddy et leur sourit rapidement.
- Bonjour. Bonjour Harry.
- Bonjour.
Il y eut un silence tendu. A côté de Harry, Nox et Teddy semblaient fascinés par la scène, devinant que Harry n'était pas comme d'habitude.
- Je prendrais bien un café, dit Drago.
Harry ne bougea pas d'un millimètre et se contenta de le regarder. Il hésitait sincèrement à lui dire de s'en aller. Il était incapable d'expliquer pourquoi mais il se sentait envahi de colère. Le seul sentiment que lui inspirait la présence de Drago Malefoy, à cet instant, était la colère. Il se crispa quand Teddy posa une tasse de café devant Drago. Harry se tourna vers son filleul, se retenant de lui dire de s'en aller à lui aussi. Teddy dut le sentir car Nox et lui reculèrent vers le coin du comptoir, soudain très absorbés par des verres et des bouteilles à ranger.
- Je… commença Drago, clairement mal à l'aise. J'ai été étonné d'apprendre que tu vivais ici.
- Mmh, grogna Harry.
- J'imaginais que tu vivais toujours dans la maison de Sirius, que tu avais grimpé les échelons du Ministère, que tu étais peut-être devenu le Président Sorcier du Magenmagot, va savoir !
- Non, pas du tout, comme tu peux le voir.
Drago croisa les yeux de Harry puis se tourna légèrement sur son tabouret pour observer autour de lui. Harry se sentit soudain pitoyable de vivre là. Il avait refait l'enduit à la chaux des murs depuis qu'il avait hérité de l'endroit et c'était propre mais c'était tout de même assez minable, rustre et froid.
- D'une certaine façon, ça te va bien, dit Drago en revenant vers lui.
Harry ne sut pas comment interpréter cette remarque et se tendit encore plus.
- Pourquoi est-ce que tu es là ?
- J'avais simplement envie de voir ce que tu devenais. Ça… ça fait longtemps que je n'ai pas eu de nouvelles de toi. Avant j'en avais parfois, à la radio ou dans les journaux.
- Plus personne ne parle de moi depuis longtemps, dit froidement Harry.
- C'était ce que tu voulais, non ?
Harry ne répondit pas. Il n'avait aucune envie de faire la conversation avec Drago, il ne savait pas quoi lui dire. L'autre le sentait, évidemment. Harry espéra qu'il partirait.
- J'ai été libéré plus tôt, dit Drago. Ils avaient besoin de libérer des places, apparemment.
- Je sais, j'ai reçu une lettre. J'étais toujours ta personne à contacter.
- Ah…
Drago sourit pour lui-même, comme si cette pensée était absurde.
- Finalement, comme prévu, tu n'étais pas là à ma sortie, commenta-t-il.
Harry eut envie de lui dire d'aller se faire foutre. Pourquoi devrait-il être là à sa sortie ? Puis il devina que si Drago disait cela, c'était peut-être parce que Harry lui avait stupidement promis d'être là. Il aurait bien été capable de dire une connerie comme ça, à l'époque. Il ne s'en souvenait pas.
- Non, je n'étais pas là, dit lentement Harry. Parce que tu avais raison, dix ans c'est long Drago. J'ai arrêté de penser à toi il y a bien longtemps et j'ai aimé d'autres personnes.
Il espérait que ça blesserait Drago mais si ce fut le cas, cela ne se vit pas.
- Oui, moi aussi j'ai aimé d'autres personnes, admit Drago en haussant les épaules.
Et cela ne blessa pas Harry. Il avait écouté le dernier album de Petronilla Le Fay, il savait que les chansons d'amour n'étaient pas pour lui. Il n'en avait pas grand-chose à faire.
- Tant mieux pour toi.
Il y eut un nouveau silence, gênant. Harry pensa que Drago allait partir et sa main se crispa sur son chiffon. Il avait quand même envie de savoir quelque chose.
- Alors, qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? Demanda-t-il.
- Je vais essayer de vivre ma vie, j'imagine. J'ai acheté une maison, pas très loin d'ici. Je vais la rénover.
Harry releva brutalement la tête.
- Pas très loin d'ici ? s'écria-t-il, la voix basse et grondante.
- Oui, dans les collines là-bas.
- Pourquoi ? Pourquoi faut-il que tu viennes ici ?
- Je ne savais pas que tu habitais ici quand j'ai acheté la maison. Il n'y a pas tellement de villages sorciers au Royaume-Uni !
Harry serra les dents, furieux sans même savoir pourquoi. Il n'avait aucune envie que Drago vienne habiter près de lui.
- Tu as un travail ? demanda Harry d'un ton presque agressif.
- Oui, en quelque sorte. On peut dire que j'écris.
Harry lâcha son chiffon et tapa sa main à plat sur le comptoir.
- Tu écris ? Tu écris, oui ! Tu écris tellement que pendant un an, je n'ai pas pu entrer dans une seule boutique, faire une seule fête, écouter une seule fois la radio, sans entendre Petronilla me supplier de courir plus vite pour venir te sauver.
Voilà, il l'avait dit. Il avait envie de le dire depuis des années et il pouvait enfin exprimer sa rancœur. C'était agréable. Drago, lui, écarquilla les yeux, comme s'il avait reçu un coup.
- Tu savais que c'était moi ? Souffla-t-il.
- Je l'ai su dès la première chanson. Ça ne pouvait être que toi !
Drago avait réellement l'air sidéré, comme s'il n'avait pas imaginé une seule seconde que Harry ait pu faire le lien entre les chansons de Petronilla Le Fay et lui. Mais Harry avait fait le lien, parce qu'il ne pensait qu'à Drago quand il entendait Petronilla, parce qu'il n'avait pensé qu'à Drago à l'époque du procès de Luke. Et il rougit un peu, conscient qu'il n'aurait sans doute pas dû penser autant à Drago.
- Tant mieux si tu savais, alors, dit Drago en rougissant lui aussi. Au moins j'ai pu te dire ce que je pensais.
- Trop aimable. Je n'avais pas envie de l'entendre.
Drago baissa la tête et Harry se sentit nerveux. Il ne savait pas pourquoi il ressentait le besoin d'être aussi dur et méchant envers Drago. Finalement, il n'avait pas réussi à lui pardonner. Drago avait dû parvenir à la même conclusion.
- Je ne m'attendais pas à ce que tu sois si en colère, murmura-t-il. Je pensais bien que tu ne m'accueillerais pas à bras ouverts mais je ne pensais pas que tu me détesterais à ce point.
- Et pourquoi pas ? Tu te pointes au bout de douze ans pour savoir ce que je deviens, vraiment ? Qu'est-ce que ça peut te faire ? Tu n'as jamais eu la moindre attention et le moindre respect pour ce que je pouvais penser ou éprouver. Même quand tu prétendais m'aimer, tu m'as traité comme de la merde, exactement comme tu l'as toujours fait. Tu m'as trahi, tu t'es servi de moi et de mes sentiments, tu m'as abandonné deux fois, tu as détruit tout ce qu'il y avait entre nous. Si tant est qu'il y ait jamais eu réellement quoi que ce soit entre nous. Alors quoi ? Tu veux savoir ce que je suis devenu ? Tu veux savoir si je suis heureux ? Eh bien voilà, regarde autour de toi, c'est ça que je suis devenu.
Drago contempla Harry un instant, sembla sur le point de dire quelque chose puis se retint. Harry attendait sa réponse en regardant Drago. Tout à coup, il vit les yeux de Drago, rouges par endroits, comme injectés de sang. Il vit ses mains trembler sur sa tasse à café et des gouttes de sueur perler sur son front. Il n'avait pas l'air bien.
- Tu as sans doute raison, admit Drago.
Il lâcha la tasse et essuya ses mains sur son pantalon. D'un geste nerveux, il se frotta les yeux. Un tic déforma son visage une seconde et Drago glissa une main dans la poche de son manteau. Harry repensa à ce que Leo avait dit. « Va donc prendre ta dose » pensa-t-il avec cruauté mais les mots ne franchirent pas ses lèvres. Il ne pensait pas qu'il pourrait être aussi méchant.
- Je n'aurais pas dû venir, dit Drago en fixant la porte avec l'envie manifeste de partir. Je pensais que… J'avais simplement envie de te revoir. C'était visiblement une erreur.
- Oui, confirma Harry.
- Je m'en vais. Prends soin de toi Harry.
- Au revoir.
Drago descendit du tabouret et s'éloigna. Avant qu'il atteigne la porte, Teddy était sorti de derrière le comptoir et s'immobilisa près d'une table vide.
- Vous êtes Drago Malefoy, n'est-ce pas ? demanda-t-il précipitamment.
Drago se tourna vers lui et le détailla un instant.
- Oui. Et tu dois être Teddy Lupin.
- Oui. Ma grand-mère m'avait parlé de vous, je sais ce qui vous est arrivé.
- Ah…
- Elle disait que c'était bien fait, déclara Teddy d'un ton décidé. Et que...
Drago eut un rictus nerveux qui ne ressemblait pas à un sourire.
- Oui eh bien j'ai passé onze ans à Azkaban, bien fait pour moi, coupa-t-il.
Teddy eut l'air horrifié et secoua la tête.
- Non, pas pour vous. Elle disait que c'était bien fait pour lui, l'homme que vous avez tué.
- Teddy, qu'est-ce que tu racontes ? gronda Harry d'une voix sourde.
Drago regarda l'enfant, un peu étonné. Sa grand-mère, c'était Andromeda Black, il le savait. Il se fichait pas mal de la bénédiction d'une tante qu'il n'avait jamais rencontrée et qu'il ne rencontrerait jamais. En revanche, il y avait une franchise et une détermination un peu touchantes sur le visage de Teddy Lupin. Comme s'il voulait réconforter Drago.
- Merci, dit-il en se détournant.
Il sortit de l'auberge et fit quelques pas avant de transplaner. Dès qu'il arriva chez lui, à Londres, il se jeta presque sur sa poudre d'Oubliette. Il était venu sobre cette fois-ci, dans l'espoir d'affronter dignement Harry sans avoir l'air défoncé. Conneries. Il n'aurait jamais dû y aller, Harry le détestait. C'était une pensée étrange qui lui broyait le cœur, en toute honnêteté. Il n'avait pas envie que Harry le déteste. L'Oubliette agit enfin et Drago oublia un peu que Harry le haïssait. Il y penserait plus tard.
OoOoOoO
Teddy était remonté à l'étage pour fuir Harry et Nox avait ressenti le besoin d'aller voir ce que Winky faisait. Harry se retrouva seul au comptoir, tendu et furieux. Furieux de quoi ? Il n'en savait rien et c'était sans doute ça le pire. Il savait qu'il avait été dur avec Drago et qu'il n'avait montré aucune compassion pour lui mais il estimait qu'il n'avait pas à le faire. Drago l'avait quitté depuis longtemps, ils n'avaient plus aucun lien. Harry ne lui devait rien. Il avait été suffisamment gentil comme ça par le passé.
Il trouvait cela pénible de penser que Drago allait vivre quelque part pas très loin d'ici. Il aurait préféré le savoir loin, justement. D'un autre côté, Drago semblait avoir compris qu'il valait mieux ne pas revenir voir Harry et il n'y aurait certainement pas d'autres rencontres de ce type. Harry y pensa toute la journée, se demandant pourquoi Drago était venu, au juste. Pour avoir de ses nouvelles, avait-il dit. S'intéressait-il donc vraiment à la vie de Harry ? Il n'y croyait pas. Drago ne s'était jamais intéressé à lui. Jamais sincèrement en tout cas. Drago avait fait preuve d'égoïsme tout au long de leur histoire.
Harry cessa d'y penser et la vie reprit son cours. Il avait demandé à Teddy pourquoi il s'était senti obligé de parler à Drago et Teddy avait simplement haussé les épaules sans apporter de réponse satisfaisante. Ils ne parlèrent plus de Drago Malefoy. Il y avait d'autres choses à faire. C'était le printemps et il fallait préparer le potager, enlever les mauvaises herbes, retourner la terre à certains endroits, replanter ce qui devait l'être. Harry s'en occupa avec Albus pendant que Katerina jouait à côté d'eux. C'était exactement le genre de moment qu'il aimait.
Et puis il reçut une lettre de Drago, trois semaines après sa visite inattendue. Harry fixa le nom au dos de l'enveloppe, tendu à nouveau. Il la laissa sur la table, à l'étage et descendit travailler. Il la lirait plus tard, quand il rentrerait chez lui. Il n'envisagea pas de la jeter sans la lire, il était trop curieux. Et il ne détestait pas Drago à ce point-là. Il y pensa par intermittence durant la journée, essayant de deviner ce que Drago avait à lui dire. Des excuses peut-être, des explications qui clôtureraient définitivement leur histoire. Il ne voyait pas autre chose. Il craignait ce que Drago allait lui dire mais il avait envie de l'entendre.
Il remonta tard chez lui, après la fermeture de la taverne. Il se fit rapidement à manger et s'assit à la table de la cuisine. Ses enfants étaient chez Ginny, Teddy était à Poudlard. Il était seul et tranquille pour lire la lettre. Il l'ouvrit doucement, en se rappelant qu'ils s'écrivaient des lettres autrefois. C'était comme ça que Harry était tombé amoureux de Drago. Cela semblait très vieux.
« Harry,
Je suppose que tu n'as pas envie de lire ma lettre et que tu préférerais ne plus entendre parler de moi. Je comprends pourquoi, je pense. Tes reproches étaient assez clairs et je n'ai pas grand-chose à dire pour ma défense. Il y a cependant quelques points que je voudrais éclaircir, des points que je n'ai compris moi-même que bien plus tard. Je tiens à ce que tu le saches. Peut-être que ça n'aura aucune importance pour toi, peut-être que tu t'en fiches. Je sais que notre histoire remonte à longtemps et que tu as vécu d'autres choses après moi. Tant pis, je te le dis quand même, j'en ai besoin.
Je voulais que tu saches que je n'ai pas détruit notre histoire en tuant Long et en t'abandonnant. Notre histoire n'a jamais existé. Ça, je l'ai bien compris maintenant. Même si je n'avais pas tué Long et même si je n'étais pas parti, ça n'aurait pas marché entre nous. A cette époque-là, je n'étais pas capable de te donner ce que tu voulais. Je n'aurais jamais été capable de t'aimer, d'être à tes côtés, de te faire confiance, d'avoir une relation équilibrée et saine avec toi. J'étais bien trop brisé. Si j'ai pu me laisser aller un peu, te dire que je t'aimais et m'abandonner un peu dans tes bras, c'était uniquement parce que je savais que j'allais partir et te quitter. Je n'aurais jamais pu m'investir dans quelque chose de durable et de sérieux. Peut-être que tu ne comprends pas ce que je dis Harry mais la vérité est là : je ne pouvais pas.
Je ne pouvais pas non plus à Azkaban. C'était bien trop terrifiant et aliénant de survivre là-bas, je n'avais ni la force ni la possibilité de gérer une relation avec toi. J'ai essayé comme j'ai pu mais c'était trop difficile. J'avais d'autres choses à penser, des choses plus essentielles.
Tu as attendu de moi des sentiments et une attention que je ne pouvais pas te donner.
Je ne dis pas que c'est ta faute, je veux juste que tu le comprennes. Tu as raison, je me suis servi de toi, je n'ai pas pensé à tes sentiments, je t'ai abandonné. J'en suis désolé. Sache seulement que je ne l'ai jamais fait avec le but conscient de te nuire et de te blesser. A l'époque, je ne pensais qu'à Kyle et à ma douleur. Je n'étais pas capable de penser à autre chose.
Voilà, il n'y a pas de regrets à avoir, Harry. Nous n'aurions jamais pu nous aimer comme tu le souhaitais. Ce n'était pas le bon moment pour une histoire d'amour. Mais pour répondre à ton accusation de l'autre jour, sache que si, je t'ai sincèrement aimé. Je t'ai aimé comme j'ai pu, avec le cœur brisé que m'avait laissé Kyle. Ce n'était pas assez.
Amicalement,
Drago Malefoy. »
Harry relut la lettre plusieurs fois, pour être certain d'avoir toutes les informations en tête puis la reposa sur la table et resta assis là, immobile. La lettre de Drago le prenait de cours, elle était plus calme, réfléchie et respectueuse qu'il l'avait craint. C'étaient effectivement des excuses et des explications mais pas exactement celles auxquelles il s'attendait. En fait, il se demandait s'il s'était attendu à quoi que ce soit. Il ne savait pas ce que cette lettre lui inspirait, il n'arrivait pas à l'intégrer et la digérer. Il sentit une boule lourde tomber sur son estomac et s'installer, sans qu'il puisse y mettre de nom. Finalement, Harry alla se coucher et eut un mal fou à s'endormir. Il ne pensait qu'aux mots de Drago qui défilaient devant lui sans vraiment avoir de sens. Il avait l'impression qu'il lui manquait quelque chose, il ne savait pas quoi.
Il pensa régulièrement à la lettre pendant les jours qui suivirent et il accepta de rendre visite à Ron et Hermione le dimanche suivant. Il avait besoin de parler à quelqu'un de cette lettre, il ne savait pas quoi en faire. Il savait bien que Ron et Hermione ne portaient pas Drago dans leur cœur mais ils étaient quand même ses amis et ils se connaissaient depuis longtemps. Ce n'était plus comme avant, c'est vrai. Ils étaient moins proches, moins complices. Ils avaient chacun leur vie. Ils étaient ses meilleurs amis quand même.
Harry avait laissé Teddy seul à Pré-au-Lard, il était assez grand pour se surveiller lui-même. Il avait fermé l'auberge pour la journée, personne n'en mourrait. Harry pouvait bien avoir un dimanche à lui de temps en temps. Il se retrouva dans le salon de Ron et Hermione, qui avaient acheté une maison à la campagne quelques années plus tôt. Rose et Hugo jouaient un peu plus loin, laissant les adultes tranquilles un moment. Après avoir échangé quelques banalités pour se dire qu'ils allaient bien, Harry entra dans le vif du sujet. Il avait cessé de prendre des gants depuis longtemps.
- Drago est venu me voir, lâcha-t-il.
Ron se crispa un peu et ils eurent l'air surpris. Harry leur raconta comment il l'avait reçu et comment leurs retrouvailles s'étaient mal passées. Ron et Hermione n'avaient pas trop d'avis sur la question, Harry gérait bien ses relations comme il le voulait.
- Il m'a envoyé une lettre, après ça.
Il la leur tendit pour qu'ils la lisent eux-mêmes, ce serait plus simple. Après la lecture, Ron sembla mal à l'aise et jeta un coup d'œil à Hermione.
- Qu'est-ce que tu penses de cette lettre ? demanda prudemment Ron.
- Je ne sais pas. C'est comme s'il essayait de se dédouaner de tout en disant qu'il n'était pas capable de m'aimer et de faire autrement que me quitter. Il dit que nous n'aurions jamais pu être ensemble, je ne sais pas si…
- Evidemment qu'il n'en était pas capable, coupa Hermione d'une voix un peu agacée.
Harry leva les yeux vers elle. C'était ça qu'il avait voulu, en vérité, en venant les voir. Il avait toutefois un peu peur de ce qu'Hermione allait dire.
- Evidemment ? demanda Harry.
- Franchement, comment pouvais-tu t'attendre à autre chose ? Tu étais quand même l'Auror chargé de l'enquête, c'est toi qui as entendu tous les témoignages, c'est même toi qui as arrêté Long. Enfin, Harry, tu as quand même bien dû voir dans quel état ils étaient, tous. Drago a été violé et torturé par Long pendant un an et demi. Qui pouvait croire qu'il allait sortir de là sain et sauf, prêt à se lancer immédiatement dans une histoire d'amour ? Comme si tout allait bien, comme si son corps, son âme et son esprit n'avaient pas été complètement détruits par ce monstre.
- Ce n'était pas si…
- Bien sûr que ça l'était. Et franchement, la seule raison pour laquelle tu ne t'en es pas rendu compte c'est parce que tu étais presque aussi détruit que lui à l'époque.
Harry regarda Hermione, figé. Il ne savait pas quoi lui répondre. Dans sa bouche, tout était simple, évident et il se sentait stupide. Stupide et agacé, refusant d'admettre que c'était aussi simple.
- Si c'était si évident, pourquoi ne me l'as-tu jamais dit avant ?
- Parce que quand j'ai appris que tu étais avec Drago, il avait déjà tué Long et il était parti. Votre histoire était déjà terminée.
Harry baissa la tête, accablé. Il regarda ses mains, perdu puis regarda Ron.
- Tu penses comme elle ?
Ron haussa les épaules.
- Eh bien… Je suppose que si j'avais été à la place de Drago, une histoire d'amour n'aurait pas vraiment été ma priorité. Et oui, ce qu'il écrit me semble assez juste. Je veux dire… on comprend bien qu'à l'époque il n'ait pas été capable de faire mieux. Il devait avoir autre chose en tête.
Devant l'expression de Harry, Ron s'empressa d'ajouter :
- Mais ça ne change rien au fait qu'il t'ait traité comme un moins que rien, il le dit lui-même d'ailleurs. C'est juste que…
Ron écarta les mains d'un geste impuissant.
- Ce n'était pas le bon moment.
Harry tourna la tête, regarda par la fenêtre puis ricana avec exaspération.
- Vous n'étiez pas aussi tolérants et compréhensifs à l'époque.
- C'était il y a longtemps, dit Hermione.
- A l'époque, j'ai toujours dit que Drago ne t'apporterait rien, qu'on ne pouvait rien attendre de lui et qu'il devait payer pour son crime, dit sèchement Ron. C'est toujours ce que je pense, ou à peu près. Je suis d'accord, avec du recul et quelques années de plus, que son crime n'était pas si monstrueux que ça, que Long le méritait bien et que Drago aurait peut-être dû être puni moins durement. Mais ça ne change pas fondamentalement le reste. Et aujourd'hui, c'est la même chose. Sa lettre confirme ce que je pensais, à savoir qu'il n'avait rien de bon à t'apporter et qu'être avec lui était une erreur.
Harry s'était tendu et Ron inspira pour reprendre son souffle.
- Je veux dire… Peut-être qu'il a changé, qu'il a des opinions différentes sur la vie et qu'il est devenu quelqu'un de meilleur. Je le lui souhaite et j'admets volontiers qu'on change en vieillissant. Dans un autre contexte, j'aurais pu comprendre que tu lui trouves quelque chose. Mais à l'époque, ce n'était pas bien. Ce n'était pas sain non plus. C'était évident que ça allait mal tourner.
Harry hésita à s'énerver et s'en aller mais il resta assis à sa place. Il contempla Ron un instant, digérant ce que son ami lui avait dit, bien conscient qu'il était d'accord avec lui depuis longtemps. Ron avait raison et Harry le savait parfaitement. Il l'avait su quand Drago l'avait quitté à Azkaban et qu'il avait réalisé à quel point leur histoire était bancale et irréaliste, pleine de mensonges et de souffrances.
- Ça fait longtemps qu'on ne s'était pas parlé comme ça, dit brusquement Harry.
- C'est vrai, admit Ron.
Et ça avait manqué à Harry. Ses deux amis lui manquaient, parfois, même si c'était dur à admettre. Il ne regrettait pas d'être venu. Ils devraient se voir plus souvent.
Dans les jours qui suivirent, il ne pensa qu'à Drago, ou presque. Il alla faire de longues promenades dans la campagne avec Vega où il avait le temps de réfléchir et de parler tout seul, sans que personne ne vienne le déranger. Sa discussion avec Ron et Hermione avait déverrouillé une porte en lui qu'il avait soigneusement maintenue fermée jusque-là. Elle avait contenu une vérité dérangeante que Harry avait refusé de voir : il avait été aussi égoïste que Drago dans leur histoire. Et maintenant que la porte était ouverte, il ne pouvait plus y échapper.
Drago n'avait jamais fait attention aux pensées, aux attentes et aux sentiments de Harry mais l'inverse était vrai aussi. Harry avait aimé Drago, il l'avait désiré, lui et tout le reste, sans penser que Drago ne voulait pas de ça ou n'en était pas capable. Comment Drago, traumatisé par Long et ses sévices, aurait-il pu se concentrer sur Harry et ses envies ? Aujourd'hui, Harry se rendait compte à quel point ça avait été puéril et égoïste de penser cela. S'il avait réellement aimé Drago, il l'aurait laissé partir après la mort de Kyle Long. Débarrassé de son bourreau, Drago aurait peut-être pu se reconstruire, panser ses blessures et retrouver un peu de bonheur. Au lieu de cela, Harry l'avait pourchassé avec une seule idée en tête : savoir si Drago l'avait aimé ou pas. Ça sonnait pathétique aux oreilles de Harry aujourd'hui. Il n'avait écouté que son amour-propre brisé et il n'avait pas pensé au reste. Il était allé voir Drago pour lui demander s'il l'avait aimé ou non. Comme si, dans l'horreur de la vie de Drago, c'était ça le plus important. Comme si Drago, après ses traumatismes et après avoir assassiné Kyle de sang-froid, avait envie de s'occuper de Harry et de ses névroses. Et à Azkaban, ça avait été la même histoire. Harry se sentait vraiment con. Pensait-il vraiment que Drago, qui venait de se rajouter le traumatisme du procès et de l'enfermement sur sa liste, n'avait que ça à penser que de gérer une relation à distance avec Harry ? Il avait été égoïste tout du long. Une histoire d'amour, c'était sympathique mais c'était loin d'être une priorité. Drago avait eu des choses bien plus dures à gérer et encaisser qu'une pauvre et banale histoire d'amour.
Bien sûr, Harry savait bien qu'il n'était pas le méchant de l'histoire et que Drago s'était mal comporté avec lui. Il savait bien aussi qu'il avait ses propres souffrances à l'époque et qu'il avait un besoin pathologique d'être aimé et d'avoir à ses côtés quelqu'un qui le comprenait. Il s'était accroché à Drago, sans mauvaises intentions. Drago s'était sciemment servi de lui. Ils avaient leurs torts tous les deux mais Harry reconnaissait que dans ce contexte-là, les blessures de Drago saignaient plus que les siennes et qu'il aurait pu s'en rendre compte. Ils avaient été égoïstes l'un et l'autre. Il comprenait finalement ce que Drago avait voulu lui dire dans sa lettre. Ça n'aurait jamais pu fonctionner, ils n'en étaient pas capables.
Il ne savait pas s'il devait répondre à Drago et lui dire qu'il ne le détestait pas. Il rédigea quelques brouillons, n'en fut pas satisfait. Cela lui semblait trop tard, comme si ça n'avait plus vraiment de sens de se dire toutes ces vérités maintenant. Il repoussa l'échéance de sa réponse, pas vraiment certain de ce qu'il devait dire. Un mois plus tard, il n'avait toujours pas répondu et il se sentait coupable. Il n'avait plus envie de penser à tout ça. Il s'assit donc à la table de la cuisine pour écrire une courte lettre.
« Drago,
J'ai bien compris tout ce que tu as dit dans ta lettre. J'ai attendu des choses que tu ne pouvais pas donner, j'ai été égoïste moi aussi. Nous n'étions ni l'un ni l'autre capables de nous aimer correctement.
Tout cela est loin derrière nous cependant, inutile de se torturer davantage.
Bonne chance à toi,
Harry. »
Il estimait que cela suffisait, il n'avait rien d'autre à dire. Il n'avait plus envie de penser à Drago Malefoy.
OoOoOoO
Drago avait sincèrement cru que Harry ne lui répondrait jamais. Cela faisait naitre en lui un mélange de soulagement et d'humiliation qu'il gérait globalement en se défonçant à l'Oubliette. Finalement, il reçut une réponse. Il l'ouvrit avec fébrilité, appréhendant ce que Harry allait lui dire. Il fut surpris de lire que Harry avait compris et semblait lui dire « Oui, tu as raison ». Il se sentit un peu apaisé de le savoir. En revanche, la brièveté de la lettre et le commentaire de Harry lui disant en gros qu'il devait maintenant arrêter de le faire chier et passer à autre chose firent mal à Drago. Il n'avait pas vraiment espéré qu'ils puissent redevenir amis ou plus que ça mais c'était douloureux de se faire chasser de la vie de Harry de cette manière. Sans doute Harry avait-il ressenti la même chose quand Drago l'avait quitté à l'époque. Drago songea qu'il fallait se résigner. Ils avaient essayé, ça n'avait pas fonctionné, c'était trop tard maintenant.
Petronilla essaya de le divertir comme elle le pouvait et Drago essaya de laisser cette histoire derrière lui, comme Harry le lui conseillait. Il regrettait d'être allé voir Harry, il aurait dû laisser leur relation là où elle en était. Au lieu de ça, il était allé remuer et déterrer des choses qui le faisaient souffrir. Il se sentait misérable et pathétique, comme d'habitude. Il ne méritait pas l'affection de Harry autrefois, il ne la méritait pas plus maintenant. De toute façon, il ne méritait rien du tout.
Les travaux les plus importants de sa maison s'achevèrent. Les ouvriers sorciers avaient refait le toit et l'isolation de certains murs qui laissaient passer l'humidité. Drago avait fait poser un nouveau parquet dans le salon, dans sa chambre et restaurer les sols des salles de bain. Il pouvait donc habiter dans sa maison s'il le souhaitait. Il aurait encore beaucoup de choses à faire dans les mois qui arrivaient : refaire les sols des autres pièces, refaire les peintures et les papiers-peints, casser un mur pour faire fusionner ce qui étaient autrefois un bureau et une bibliothèque. Il voulait faire tout cela lui-même, il avait acheté un manuel de sortilèges de bricolage et rénovation. Il s'était dit que ça l'occuperait. Son travail de parolier lui laissait quand même beaucoup de temps libre et il passait trop de temps à penser à des choses négatives. Blaise l'avait encouragé dans ce projet.
- Ce qui est bien quand on est riche, c'est qu'on peut essayer, foirer ses travaux et faire appel à des professionnels ensuite pour qu'ils réparent nos conneries !
- Je ne vais pas foirer, dit Drago avec détermination.
Il emménagea dans sa maison et quitta Londres avec soulagement. Ici, il n'y avait pas de bruits en dehors des oiseaux. Il pouvait ouvrir la fenêtre et regarder les collines verdoyantes autour de lui. Il avait un jardin, délimité par un muret en pierre qu'il faudrait retaper aussi. Il pourrait planter des arbres et des fleurs, quelques arbustes aussi. Le petit portillon qui servait d'entrée et de sortie de la propriété mériterait un coup de peinture. Au-delà du portillon, il y avait un sentier qui menait à Pré-au-Lard. Drago fit la promenade et découvrit que le sentier bifurquait à plusieurs endroits. Il y avait des panneaux en bois à moitié déracinés par le vent qui indiquaient « Poudlard » ou « Inverness » ou encore « Loch Ness ». Il aurait donc plusieurs parcours à faire quand il voudrait courir.
Il n'avait aucun voisin proche et la première maison qu'il croisa était une sorte de petite ferme sur le chemin de Pré-au-Lard, à environ un kilomètre de sa maison. C'étaient des sorciers, à n'en pas douter. De toute façon, la région était essentiellement peuplée de sorciers. La rumeur disait que les habitants lançaient des sortilèges Repousse-Moldus illégaux pour pouvoir vivre en paix. Ça convenait à Drago. Il s'arrêta devant l'entrée de la ferme et repéra des enfants qui semblaient surveiller un petit troupeau de moutons, plus loin derrière. Une femme passa dans la cour en faisant léviter derrière elle des seaux remplis de restes de nourriture qu'elle destinait à ses cochons.
Elle aperçut Drago et vint le saluer. Ils échangèrent quelques informations et elle parut contente de savoir que le manoir du bout du chemin était désormais habité.
- Les enfants avaient peur, ils disaient que l'endroit est hanté. C'est à cause de son nom aussi, Ladystone. Les enfants racontent des histoires sur une dame blanche qu'on aurait entendu pleurer. Ce sont des bêtises bien sûr.
Charmant, pensa Drago. Il apprit qu'ils étaient deux familles ici, les Murray et les McLaren. Daisy McLaren était la sœur de Neil Murray et ils s'occupaient de la ferme familiale avec leurs conjoints respectifs. Les enfants étaient encore trop jeunes pour aller à Poudlard mais l'ainé y rentrerait l'année prochaine. Le grand-père était mort trois ans plus tôt, ils avaient hérité. Ce n'était pas toujours facile mais ils s'en sortaient bien. Ils vendaient pas mal de choses à Poudlard en vérité, c'était surtout ça qui les faisait vivre. Ils allaient aussi vendre leurs produits au marché de Pré-au-Lard. Oui, il y avait un marché tous les samedis. C'était toujours un moment agréable où tout le monde se retrouvait.
Drago remercia pour les précieuses informations et continua son chemin. Au moins, il aurait des relations cordiales avec ses voisins. Daisy McLaren ne semblait pas l'avoir reconnu mais il n'en fut guère étonné. Les journaux n'avaient plus parlé de lui depuis le procès et cela remontait à douze ans. Qui se souvenait encore de Drago Malefoy ? Personne, il l'espérait bien. Il ne voulait plus jamais qu'on parle de lui.
Le sentier grossissait à l'approche de Pré-au-Lard et il passa devant de nombreuses maisons avant d'arriver au bourg du village. La promenade lui avait pris un peu plus d'une heure, c'était parfait. Il flâna dans les ruelles, évita la Tête de Sanglier. Il croisa plusieurs personnes qui le dévisagèrent un peu, sans doute parce que c'était un étranger. Il entra dans quelques boutiques, acheta un sac plein chez l'épicier. Il put dire qu'il avait acheté le petit manoir à Ladystone et il se doutait que la rumeur aurait rapidement atteint tout le village. Ça lui convenait d'être uniquement connu comme le riche propriétaire de Ladystone par les quelques centaines d'habitants de Pré-au-Lard et de ses environs. Il n'avait pas besoin de plus.
Il commença par refaire le papier-peint du salon et de la cuisine. C'était plus facile qu'il l'avait pensé mais cela demandait beaucoup de concentration et il n'était pas capable de travailler très longtemps. Il faisait des pauses, sortait dans son jardin pour contempler la vue. Ça n'avançait pas très vite mais il s'en fichait. Il ne se sentait ni mal ni bien. Il était satisfait de son achat mais il n'aurait pas pu dire qu'il était heureux pour autant. Il avait écrit une lettre à Jimmy pour lui raconter et il était allé voir Franck. Ce dernier avait paru content que Drago avance dans la vie et ait des projets. Drago avait trouvé Franck vieilli et taciturne, il ne savait pas si c'était dans sa tête ou non. Depuis que Drago était parti, Franck n'avait plus beaucoup de motivation et de stimulation. Il allait avoir cinquante ans bientôt et il savait qu'il ne sortirait pas d'Azkaban. Certains jours devaient lui sembler interminables.
Quand le salon et la cuisine ressemblèrent à quelque chose, Drago put organiser quelques fêtes chez lui. Blaise et Petronilla venaient souvent le voir mais les autres découvrirent la maison avec enthousiasme. Il prit rendez-vous avec Cyprian, le jeune chanteur prometteur que Petronilla parrainait plus ou moins et ils écrivirent quelques chansons ensemble. Petronilla parlait de plus en plus de créer sa propre boite de production avec laquelle elle pourrait lancer les artistes qui le méritaient et qui ne craindraient pas de se voir proposer des actes obscènes en échange d'un disque. En plus, Drago pourrait venir dans les studios plus facilement, sans se cacher comme il le faisait jusqu'à présent. Car ni Drago ni Petronilla ne voulaient croiser de concurrents trop curieux qui viendraient poser des questions sur la présence de Drago Malefoy. Ils savaient que ça pourrait briser la carrière de Petronilla et lui-même n'avait aucune envie de subir un scandale médiatique.
Cyprian était très emballé par l'idée, tout comme d'autres chanteurs et chanteuses qui préféraient travailler avec Petronilla plutôt qu'avec le remplaçant de Sebastian Luke qui était toujours son ami et ne valait pas tellement mieux que lui. Drago sentait que Petronilla envisageait sérieusement la chose. Elle avait assez d'argent pour et elle aurait des soutiens. Elle pourrait aider des artistes à qui on ne donnait pas leur chance parce qu'ils n'étaient pas assez comme il faut, pas assez blancs, pas assez hétéros, pas assez féminines, pas assez masculins. Car en toute objectivité, le monde artistique sorcier était peu diversifié et peu nombreux. Un nouveau souffle ferait du bien à toute la communauté.
Le printemps s'installa définitivement et Drago fit quelques plantations dans son jardin. Il était allé sur le Chemin de Traverse pour acheter des graines et des plants. Il avait pris un arbre à papillons en pensant à Jimmy et il l'avait planté avec tendresse. Il se disait qu'il devrait peut-être prendre un chat ou un chien pour lui tenir compagnie, ou n'importe quel animal avec qui il se sentirait moins seul dans sa grande maison perdue au milieu des Highlands. Il ne savait pas trop. La rénovation n'avançait pas beaucoup, il n'arrivait pas à se concentrer plus de quinze minutes et il laissait tomber. Il était trop défoncé pour faire les choses correctement. Il avait croisé Harry, une fois, au marché. Il s'était presque enfui, trop nerveux à l'idée que Harry allait l'ignorer et que ça lui ferait mal. Il n'avait pas le courage d'affronter ça.
C'était le mois de mai et Drago avait invité plusieurs amis à dîner. Il faisait de mieux en mieux la cuisine grâce à son livre de recettes. Il avait découvert que cuisiner le détendait. Leo Black se moquait un peu de lui mais lui donnait souvent des astuces pertinentes et des idées de recettes délicieuses. Drago se demandait parfois pourquoi un mec comme Black savait aussi bien faire la cuisine.
- Parce que Philip adorait ça et que j'aimais cuisiner avec lui. C'était un de ces moments de couple paisible et agréable où nous faisions quelque chose ensemble sans trop nous prendre la tête.
- Je vois.
Drago ne voyait pas, il n'avait jamais eu de moments de couple comme ça. En fait, il n'avait jamais vraiment été en couple. Quoique… Il avait de vagues souvenirs de Harry dans sa cuisine, préparant le dîner pendant qu'ils écoutaient de la musique à la radio. Peut-être que ça comptait.
Il n'y avait pas tout le monde ce soir-là, juste Petronilla, Blaise, Leo, David et Cyprian. Clia avait annulé au dernier moment à cause d'une grippe qui ne la lâchait pas. Ils avaient un peu pitié d'elle car les sorciers, généralement, ne tombaient malades de cette façon. David trouvait leur condescendance exaspérante.
- Ce n'est pas parce que vous êtes à moitié des surhommes ou je ne sais quoi qu'il faut vous la péter.
- Nous ne sommes pas des surhommes, chou, avait dit Leo en riant.
Ils avaient terminé le dîner et Drago avait mis de la musique. Ils étaient tous plus ou moins ivres, selon leur tempérament. Cyprian ne tenait pas très bien l'alcool mais il était drôle quand il buvait. Blaise et Petronilla buvaient toujours avec modération. Leo et David tenaient bien l'alcool et étaient rarement ivres morts. Drago avait trop bu. Il avait fini par dire à Leo, quelques semaines plus tôt, qu'il était allé voir Harry et que ça avait été une catastrophe. Comme il s'y attendait, Leo le savait déjà et avait eu l'air attristé pour lui. Drago avait songé que Harry avait dû raconter des choses horribles à Leo sur lui, sur leur histoire, sur sa lettre. Ça le rendait malade. Et ce soir, sans doute parce qu'il était saoul, Drago déclara avec amertume qu'il craignait d'aller au marché de peur de croiser Harry. Ou en fait non, il avait envie de le croiser mais Harry allait l'ignorer une fois de plus.
- Il vend souvent des choses au marché au printemps et en été, dit Leo d'un air désolé. Va lui acheter une confiture, il sera obligé de te parler.
Ils en plaisantèrent, imaginant des stratégies pour que Drago puisse avoir une conversation cordiale avec Harry. Petronilla était blasée et les regardait comme des gamins. Puis ce fut l'heure du karaoké, parce que Cyprian et Petronilla aimaient chanter plus que tout. Ils avaient tous suffisamment bu pour que ce soit drôle. Drago se leva et s'enferma dans les toilettes. L'Oubliette faisait effet de moins en moins longtemps, il trouvait cela angoissant. Il s'en versa sur la main, hésita, en remit encore un peu pour être sûr de le ressentir et sniffa la poudre rapidement. Il s'essuya le nez, se lava les mains, tira la chasse d'eau pour la forme et rejoignit les autres.
Blaise chanta en premier, parce que c'était le plus nul et qu'il voulait se débarrasser de cette corvée. Confortablement assis sur le canapé entre Petronilla et Cyprian, Drago l'écouta chanter, un léger sourire aux lèvres. Il se sentait bien à nouveau, voilà, tout allait bien. Il se sentait tellement bien qu'il avait envie de dormir. D'ailleurs, ses yeux se fermaient de plus en plus, il avait du mal à les garder ouverts. Il ne savait plus qui chantait. Quelqu'un le secoua par l'épaule, sans doute pour lui dire d'aller chanter mais Drago savait qu'il ne pourrait pas se lever.
- Je reste dans la cellule, dit-il. Va te promener sans moi.
Il y eut un rire étonné.
- Qu'est-ce que tu racontes ? demanda Blaise. Tu es complètement saoul !
- J'y vais alors ! dit Leo.
Drago arrêta d'entendre et ses yeux se fermèrent pour de bon. Il avait un peu froid mais ce n'était pas désagréable. Il se laissa glisser dans le sommeil, sa tête retombant sur l'épaule de Petronilla.
Leo avait presque fini sa chanson quand David se leva du pouf sur lequel il était assis et s'approcha vivement de Drago. Il le secoua sans ménagement, n'eut qu'une sorte de râle plaintif en réponse et se tourna vers Leo.
- Leo ! dit durement David pour interrompre la chanson. Leo ! Il ne se réveille pas !
- Il a trop bu, suggéra Petronilla, mal à l'aise.
- Non, non, dit David d'une voix de plus en plus anxieuse. Drago ? Drago ?
David lui mit une tape sur la joue moyennement forte qui ne déclencha aucune réaction chez Drago. Il se tourna à nouveau vers Leo.
- Envoie un message à ta sœur, il fait une overdose !
- Quoi ?
- Tout de suite ! Merde, lève-toi Petronilla, il faut l'allonger. Sur le tapis, là.
- Ses lèvres deviennent bleues, dit Petronilla, l'air horrifiée. Il… il ne respire plus.
Il y eut un affolement général. Petronilla et Cyprian fixaient Drago, l'air catastrophé. Leo avait l'air perdu, ne sachant que faire. Blaise était étonnamment calme et il s'agenouilla au-dessus de Drago pour vérifier sa respiration.
- Il respire encore mais c'est faible. Tu as envoyé un message à ta sœur ?
- Oui, confirma Leo. Mais elle est de garde, je ne sais pas si elle sera libre.
- On ne peut pas transplaner avec lui maintenant de toute façon, il est trop faible, ça arrêterait son cœur pour de bon.
Blaise défit la ceinture de Drago pour lui permettre de mieux respirer. Quelques secondes passèrent, angoissantes et interminables.
- Son cœur ne bat plus, dit Blaise d'une voix étrange.
- Quoi ? s'écria David. Pousse-toi, il faut lui faire un massage cardiaque !
Une incompréhension totale répondit à la remarque de David. Seul Leo eut l'air de réagir.
- Putain de sorciers ! cria David en s'agenouillant près de Drago et en posant ses mains sur sa poitrine. Vous ne savez même pas faire les gestes de premiers secours ! Et moi ça fait longtemps que… bordel de merde, comme ça je crois.
- Tu es sûr que… commença Leo.
- Chut, tais-toi. Un… deux… trois… quatre…
Il en fit trente, s'arrêta, souffla dans la bouche de Drago en lui pinçant le nez puis recommença. Tout le monde eut l'air soulagé quand Iris Morgan ouvrit la porte à la volée, l'air inquiète. Elle recevait rarement de messages d'urgence de son frère. Après cela, les choses allèrent très vite. Iris fit quelque chose à Drago qui se remit à respirer puis elle agita sa baguette pour prévenir Ste Mangouste et demander une ambulance magique. Elle baissa les yeux vers Drago, dont le teint était livide et les lèvres bleues.
- Ce n'est pas l'alcool ça, c'est quoi ?
- C'est la drogue d'Azkaban, murmura Leo.
Blaise fouilla les poches de Drago, trouva le flacon d'Oubliette et le tendit à Iris. Elle écarquilla les yeux.
- Ils la fument avec autre chose à Azkaban ! dit-elle. Nous avons déjà eu plusieurs prisonniers addicts à ça. Mais là, qu'est-ce qu'il fait avec cette poudre ? Il la prend pure ?
Ils regardèrent tous Iris l'air de dire qu'ils n'en savaient rien. L'ambulance arriva et des guérisseurs vinrent aider Iris à allonger Drago sur un brancard avant de l'emporter. Les invités restèrent plantés dans le salon de Drago, sous le choc, l'air hébété.
OoOoOoO
Drago se réveilla et se rendormit plusieurs fois avant de reprendre définitivement connaissance. Il n'avait aucune idée de l'endroit où il était et il en ressentit immédiatement une angoisse terrible. Il voulut se lever, se sentit affreusement mal, s'écroula contre son lit et resta allongé par terre avec l'espoir diffus qu'il allait peut-être mourir. Ensuite, il se passa des choses autour de lui, une guérisseuse arriva, on le remit au lit. Il finit par comprendre qu'il avait failli mourir à cause de la poudre d'Oubliette. Ses amis avaient contacté Ste Mangouste et on l'avait sauvé de justesse. Il avait eu de la chance. Il n'aurait surement pas la même chance la prochaine fois.
Drago ne ressentit rien en entendant le discours de la guérisseuse. Ni peur, ni honte, ni reconnaissance. Il se sentait anesthésié. Quelque chose pesait dans sa poitrine et il avait mal à la tête. Devant son absence de réaction, la guérisseuse lui annonça que c'était le petit matin et qu'il devrait attendre les visites pour la suite.
Tout changea quand Petronilla et Blaise arrivèrent, dès le début des visites. Elle était pâle, avait les traits tirés, était en colère et inquiète en même temps. Blaise avait le visage fermé et tendu lui aussi. Ils lui racontèrent ce qui s'était passé. Petronilla se mit à pleurer au milieu du récit. Drago se sentit affreusement mal à nouveau. Cette fois-ci, devant la détresse évidente de son amie, Drago éprouva de la honte et de l'angoisse.
- Est-ce que tu as fait exprès ? demanda finalement Petronilla. Est-ce que tu voulais mourir ?
- Non, assura Drago. C'était un accident, je crois. Je… Je ne m'en souviens plus très bien.
- Alors tu as peut-être fait exprès, dit sèchement Petronilla.
- Non, dit fermement Drago. Je n'aurais jamais fait ça lors d'une fête si j'avais voulu mourir.
Iris Morgan passa le voir avant de terminer sa garde et de rentrer chez elle. Elle était même déjà en retard. Elle rassura Drago, il allait s'en sortir. Ils lui avaient prodigué les soins nécessaires et maintenant, il n'y avait plus qu'à attendre qu'il récupère. Il pouvait rester ici durant la journée s'il le souhaitait ou rentrer chez lui avec ses amis. Sa vie n'était plus en danger dans tous les cas.
- Sauf si tu reprends de l'Oubliette, conclut Iris. Il faut que tu arrêtes. Si tu continues, ça arrivera fatalement à nouveau et il n'y aura peut-être personne pour te sauver.
Il hocha la tête, faible et incapable de discuter. Il n'avait aucune envie d'arrêter. Il voulait rentrer chez lui et se coucher dans son lit. Petronilla et Blaise le ramenèrent. Blaise n'avait rien à faire de particulier et Petronilla avait annulé ses rendez-vous du jour, ils pouvaient donc rester avec lui. Quand ils arrivèrent chez Drago et l'aidèrent à se mettre au lit, il y eut un silence pesant. Les deux amis semblaient attendre quelque chose.
- Est-ce tu vas arrêter ? demanda Petronilla.
- Je ne sais pas, dit Drago en détournant le regard.
- Tu es mort Drago, tu entends ça ? Tu étais contre moi et tu es mort, ton cœur s'est arrêté !
- Je sais…
- C'est ça que tu veux ? Tu veux vraiment finir comme ça ?
Il regrettait sincèrement de ne pas être mort et en même temps, il n'était pas sûr de vouloir mourir. Il ne savait pas ce qu'il voulait.
- Je ne sais pas, répéta Drago.
- Essaie de savoir alors parce qu'il va falloir prendre une décision. Tu ne peux pas continuer à vivre de cette façon, c'est de pire en pire. Tu… ne peux pas passer une journée sans prendre cette merde et ça détruit ton cerveau. Ne vois-tu pas ? Tu ne peux pas jouer du piano, tu n'arrives à rien dans ta maison. Même écrire des chansons devient compliqué ! Tu…
- Petronilla, souffla doucement Blaise.
- Quoi ? Il faut bien que quelqu'un lui dise !
Blaise baissa la tête.
- Elle n'a pas tort, admit-il. Il va falloir que tu fasses un choix Drago et que tu décides de la vie qu'il te reste à vivre.
Drago leur lança un regard haineux malgré sa migraine.
- De quelle vie tu parles ? demanda-t-il d'un ton hargneux. Comme si c'était facile ! Voldemort a commencé à détruire ma vie en me faisant faire des choses ignobles puis Long a achevé le reste et ensuite j'ai passé onze ans à Azkaban. De quelle vie vous parlez, putain ? Je n'ai pas de vie ! Je ne sais pas ce que je fais là, je ne sais pas qui je suis ! L'Oubliette est la seule chose qui m'aide à survivre jour après jour et vous voulez que j'arrête ? Impossible ! Sans ça, je n'ai plus rien, je ne suis plus rien. Vous auriez dû me laisser mourir.
Il se mit à pleurer, épuisé par l'accident de la veille, le visage caché derrière ses mains. Blaise détourna la tête, crispé, tandis que Petronilla le fixait, pâle et défaite.
- Je ne te laisserai jamais mourir, murmura Petronilla d'une voix cassée.
- Repose-toi Drago, conseilla Blaise. Nous reparlerons quand tu iras mieux.
Ils laissèrent Drago seul dans sa chambre et refermèrent la porte en échangeant un regard triste et impuissant. Ils descendirent dans le salon, fatigués, et se firent un café dans la cuisine de Drago.
- Tu crois que nous devrions chercher toute l'Oubliette qu'il possède et la jeter ? suggéra Petronilla.
- Non, dit Blaise après une seconde d'hésitation. Ça ne servira à rien, il pourra toujours aller en acheter d'autre. Faire ça par la force me semble inutile. Il faut surtout le soutenir pour qu'il prenne cette décision lui-même.
Elle hocha la tête et but lentement son café. Elle n'osa pas dire à Blaise qu'elle doutait que Drago prenne cette décision lui-même. Elle avait entendu sa tirade désespérée, elle l'avait bien écoutée. Et même si c'était horrible à admettre, Drago n'avait pas entièrement tort. Sa vie était tellement fracassée et douloureuse qu'il avait toutes les raisons du monde de ne pas réussir à la supporter. Où trouver de l'espoir là-dedans ? Où trouver une lueur de motivation ? Petronilla prit son châle et le passa autour de ses épaules avec détermination. Elle marcha jusqu'à la porte.
- Veille sur lui, je reviens rapidement.
- Où vas-tu ?
- Faire quelque chose de complètement désespéré et certainement stupide.
