ACTE II : Oderint dum amat
Jusqu'à ce jour où ma vie bascula dans le néant et le mensonge, je pensais que Socrate m'avait ôté tout sentiment humain. N'ayant reçu aucun amour, cette fantaisie tout juste bonne aux récits bon marché dont s'abreuvent les sang-mêlé ou nés-moldus m'était parfaitement étrangère, voire même illusoire. J'ai assez vu, autour de moi ou en parcourant les articles de la Gazette du Sorcier, jusqu'à quelles extrémités le sentiment amoureux pouvait mener pour m'en méfier et surtout m'en garder. Je savais que mon destin était d'être marié à un homme que mon père choisirait pour moi, sans que de quelconques émotions entrent en jeu.
Bien sûr que j'ai été envieuse de voir des couples autour de moi heureux et comblés de cet arrangement familial, mais je gardais à l'esprit qu'un jour ou l'autre, cela puisse se retourner contre eux. Or, je ne m'attendais pas à ce que ce que l'on nomme « amour » soit une force invasive que rien ne puisse arrêter. Que vous l'acceptiez, la repoussiez, l'appeliez de tous vos vœux, la passion trouve toujours son chemin jusqu'à votre cœur, quelles que soient les protections dont vous l'ayez entouré. Pourtant, je pensais que le temps, les tortures, les expériences, les arts occultes avaient fini par arracher de mon âme la moindre fibre d'humanité à laquelle un sentiment aussi prosaïque que l'amour puisse s'accrocher.
Ma main a tremblé lorsque je me suis retrouvée face à Basil, si semblable au seul portrait de ma mère que je possédais. Une chaleur étrange m'a effleuré à l'instant où il a passé ses bras autour de mes épaules… Que m'a-t-il fait ? Certes je l'ai rejeté, mais quelque chose s'est brisé en moi à ce moment précis. Pour la toute première fois, j'ai ressenti une forme d'empathie, j'ai pris conscience que mon père m'avait menti, et qu'il m'avait sciemment privé de ma mère, pour sa propre réputation, par pur égoïsme… J'ai surtout réalisé que contrairement à lui, j'avais quelque chose de plus qui me garderait de marcher dans ses traces : un cœur. Aussi corrompu soit-il, aussi vicieux soit-il, aussi condamnable soit-il, il était là, au creux de ma poitrine, et il battait de nouveau.
De nouveau oui. Je me dois d'être parfaitement honnête avec moi-même. Une seule fois avant ce soir-là il m'avait joué ce tour, et il me fallut attendre mon mariage pour comprendre ce qu'il avait voulu me crier ce jour de Décembre alors que j'étais présentée officiellement pour la toute première fois à la famille de mon futur époux. Bien entendu, je connaissais déjà la famille Parkinson, pour les avoir côtoyés lors de réceptions, mais je n'avais jamais rencontré qu'Orpheus et ses parents. Or, lorsque je suis arrivée avec mon père devant la demeure familiale, la porte fut ouverte par une elfe de maison qui nous fit attendre quelques instants dans le vestibule. En levant les yeux vers l'escalier d'honneur, je vis que nous étions observés par une personne à demi-dissimulée dans l'obscurité. Tout ce que je pouvais voir d'elle était une somptueuse robe dans les tons verts.
Cassiopée Parkinson vint nous accueillir et héla la silhouette, lui intimant de descendre accueillir leurs invités. À mesure qu'elle descendait les marches, je notais la grâce de ses mouvements, la lenteur théâtrale de cette entrée remarquée, le mouvement fluide de la robe sur ses courbes jusqu'à ce que son sourire étincelant ne vienne provoquer ce pincement dans la poitrine que j'attribuais au stress de la première rencontre. La jeune femme s'avança en premier vers mon père en tendant la main avec une élégance presque irréelle. Je notais que les yeux de Socrate ne la quittaient pas au moment où elle s'approchait de moi, les bras grands ouverts.
« Je pense que je peux vous appeler ma sœur, Modestia », et sans même attendre ma réponse, elle déposa sur mes joues le bout de ses lèvres dans une accolade toute protocolaire.
Après qu'elle se soit écartée de moi, son parfum continua de me chatouiller les narines, puissant, présent, entêtant, envoûtant à en devenir agaçant. Un parfum français à n'en point douter. Comme à mon habitude, je ne laissais rien paraître de mon trouble, tout en prenant garde à ne quitter ses yeux à aucun moment. Là encore, elle me surprit en soutenant mon regard, un léger sourire aux lèvres tout en jouant avec ses longs cheveux bruns qu'elle ramenait sur son épaule. Fascinant… j'étais plus qu'habituée à voir les autres détourner les yeux lorsque je les observais, sans ciller. Cette femme, qui qu'elle soit, était d'une autre trempe, ce qui me plaisait de plus en plus. Mrs Parkinson leva le voile sur son identité, nous présentant sa fille cadette, Elladora, tout juste revenue de France où elle avait étudié à l'école Beauxbatons.
« Elladora refusait de rentrer en Angleterre. Elle demeurait chez nos cousins Lestrange, mais nous avons jugé qu'il était plus prudent qu'elle rentre auprès des siens. Tout le monde sait que les meilleurs partis pour une Sang-Pur se trouvent dans notre beau pays ! Les Français sont bien trop rustres pour comprendre ces choses-là. »
Mon père eut un rictus qui aurait pu passer pour un rire si ce mot lui était connu. Pour ma part, je continuais d'observer cette Elladora, me disant que cette soirée, à laquelle je m'étais présenté avec la plus mauvaise grâce, s'annonçait plus plaisante de par sa présence. Bien entendu, je ne pus échapper à un nouveau baise-main dégoulinant d'obséquiosité de la part d'Orpheus. Il avait bien appris son rôle : ma main tenait toujours un verre plein, je ne manquais jamais de petits fours, il tirait ma chaise pour que je puisse m'asseoir, me présentait sa main pour me faire monter les quelques marches menant à un balcon donnant sur les jardins… Son seul manquement à l'étiquette fut de ne pas remarquer que sa présence seule me portait sur les nerfs. Je n'aurais su dire pourquoi, aujourd'hui tout particulièrement, sa simple existence m'était un fardeau. Comme toujours lorsque je cherchais à supporter les bavardages aussi vides d'intérêt que d'intelligence, je hochais la tête d'un air poli et concerné, tentant d'imaginer mon interlocuteur sous les assauts de mes artefacts, ou à terre, secoué de spasmes sous l'effet de l'Endoloris.
Mais ce soir, même ce doux travail de projection ne me suffisait pas. Voir même il me répugnait. Orpheus n'en était même pas digne. M'est avis qu'au premier sort il me supplierait d'arrêter en pleurant ou implorant sa mère. Prétextant une envie soudaine de glaçons dans mon cocktail, je l'amenais à me quitter pour m'exaucer, goûtant ainsi quelques minutes de solitude en humant l'air frais du crépuscule. Seuls me parvenaient les bruits doux de l'eau coulant dans une fontaine en contrebas, le chant de la chouette effraie. Une nuit sans lune, comme je les aimais. Que n'aurais-je donné pour être loin d'ici… Soudain une note de parfum me tira de mes songes. Elladora m'observait, négligemment appuyée contre la fenêtre, son verre à moitié vide dans la main, les yeux brillants. J'avais remarqué que la jeune femme avait profité du fait que l'attention de ses parents était entièrement portée sur moi pour se resservir à de nombreuses reprises de l'hypocras, au point que celui-ci laissait une légère coloration à l'intérieur de ses lèvres. J'étais incapable de lui donner un âge, tant l'intensité de son regard vous donnait l'impression d'une intelligence et d'une maturité hors du temps. Tout le contraire de son frère.
« Orpheus ne parle que de toi. J'étais curieuse de voir si tu étais à la hauteur de ta réputation. » Sa voix chaude, profonde, me déclencha un nouveau frisson, tout en m'arrachant un léger sourire. Ce benêt ne savait rien d'elle. « Tu es un trophée. Une femme forte que son père est incapable de maitriser. Mais il pense que lui y parviendra. Orpheus s'imagine pouvoir… te soumettre. » Bien malgré moi, je ris à cette idée. Imaginer ne serait-ce qu'un instant que cette larve puisse un jour m'imposer quoi que ce soit était une douce illusion, et confortait ma résolution à haïr Orpheus. Quelle outrecuidance de penser que parce que je suis une femme, le mariage seul saurait faire ployer ma volonté ! « Je pense qu'il prend son désir pour des réalités. Il n'y parviendra pas. Personne ne le peut… » Le ton de sa voix m'interpella. Était-ce de l'ironie, ou bien une pointe d'envie, de jalousie ? Elle s'était rapprochée en prononçant cette dernière phrase. Elle souhaitait me dire quelque chose, cela se sentait, se voyait. Au moment même où j'étais entrée dans cette maison, j'ai su. Notre rencontre n'était nullement le fruit du hasard. Alors je lui demandais sans détour ce qu'elle espérait de moi.
Elle sourit, déposa son verre sur le rebord du balcon, et s'approcha, si près que je pouvais voir le moindre détail de ses iris, les gravant bien inconsciemment dans ma mémoire au point qu'aujourd'hui encore il me suffit de fermer les yeux pour me les représenter fidèlement.
« On raconte, Modestia Selwyn, que tu serais versée dans les arts sombres. On raconte que tu aurais bon nombre d'artefacts de magie noire. Et on raconte que tu t'en servirais sur des sang-mêlé et des sang-de-bourbe. »
Il y avait une telle avidité dans sa voix, que je sentais, au fil de ses mots une vague d'excitation me traverser. J'ignorais où elle avait pu entendre tout ceci, et j'en avais cure, seule m'importait la réponse à ma question. « Que peux-je faire pour toi ? » Après un silence, elle passa ses mains de part et d'autre de ma nuque. Et d'une voix suave, elle prononçait ces deux mots qui allaient sceller notre destin à toutes deux : « Apprends-moi. ».
En rentrant chez moi ce soir-là, je peinais à rassembler mes idées. Avant de les quitter, les Parkinson avaient tenu à parler des formalités du mariage. Maintenant que je savais ce que Orpheus pensait de moi, je voyais, dans son regard, cette pointe de défi, d'impatience, mais aussi l'ombre grandissante du triomphe. J'écoutais d'une oreille distraite, songeant déjà à la manière dont je pourrais laisser s'exprimer la haine profonde que je ressentais désormais pour celui avec qui je devrais partager le reste de ma vie. Soudain, mon regard croisa celui d'Elladora. Son père venait de lui ôter son verre des mains et elle reposait désormais sur l'un des fauteuils près de l'âtre. Comment une telle créature, si déterminée, si excitante, pouvait-elle avoir le moindre lien de parenté avec ce chien me dévisageant comme une vulgaire pièce de viande ? Jamais le moindre désir ne m'avait effleuré. Mon attirance envers Gilderoy Lockhart était bien plus pragmatique. Mais Elladora éveillait en moi une curiosité, un besoin, une envie, un désir qui, comme une créature endormie depuis des âges, ne demandait qu'à être nourri.
Après m'être défait de ma robe de soirée et avoir passé ma chemise de nuit, je passais à ma coiffeuse pour me brosser les cheveux lorsque revinrent à mes oreilles les derniers mots échangés avec Elladora. Mon père venait de transplaner et je marchais encore quelques instants dans la nuit lorsque j'entendais quelques pas précités derrière moi. Je découvrais la jeune femme, pied nu, toujours souriant qui m'accrocha le bras pour m'attirer vers elle.
« Quand pouvons-nous commencer nos leçons ? »
Un tel enthousiasme était touchant, mais dangereux. Si j'avais réussi à passer entre les mailles du filet toutes ces années, c'est avant tout par ma discrétion. Je ne pouvais prendre le risque de lâcher dans Londres une femme qui ne saurait maitriser les arts occultes. Je recommandais donc la plus grande prudence. Il ne m'avait pas échappé que, pour une obscure raison, Elladora faisait l'objet d'une surveillance particulièrement tatillonne. Je n'étais donc pas à l'abri que ses parents voient d'un mauvais œil d'éventuelles sorties « entre futures belles-sœurs ». La jeune femme me rassurait sur ce point.
« Je saurais trouver les mots pour me soustraire à mes gardiens. Ils ne s'auraient s'opposer à ce que… l'honorable Modestia Selwyn me tienne lieu de chaperon. »
Je profitais de sa proximité pour passer la main sur sa joue, puis raffermir soudainement ma prise au niveau de sa nuque. Comme je m'y attendais, tout ce qui se lut sur son visage fut la surprise, puis la flamme du défi dans son regard.
« Prends garde. L'enseignement que je m'apprête à te donner demandera des sacrifices. Tu devras savoir et tester par toi-même certains des effets des sortilèges ou des artefacts afin de les comprendre. Si ta peau d'albâtre est trop délicate pour cela, je ne te retiens pas. »
En réponse à ma provocation, elle me montra l'intérieur de ses poignets jusqu'ici couvert par sa robe où figuraient des stries blanches.
« Je veux me sentir vivante à nouveau. »
Il me fallut attendre plusieurs jours avant de revoir Elladora à qui j'ai demandé de venir me voir directement à mon manoir afin de lui faire découvrir ma collection. Même si sa détermination ne m'avait pas échappé, je demeurais dans l'expectative. Me restaient en mémoire ces marques sur ses poignets. Qu'est-ce qui avait pu pousser une femme de bonne famille, belle, qui a tout pour être heureuse, à en venir à une telle extrémité ? Même à Azkaban, entourée des détraqueurs, alors que ma vie entière semblait n'être plus qu'un écran de fumée, je n'ai jamais cédé au désespoir. C'était là ma force. Ne jamais renoncer, ne jamais reculer, me battre, jusqu'au bout.
Je garde un souvenir très flou de cette période, à mon plus grand désarroi. Si jamais su comment les événements évolueraient, j'aurais pris soin de graver le moindre instant passé avec Elladora dans ma mémoire. Au lieu de cela, il me reste de ce quelques mois, une succession de rencontre clandestine, les effluves de son parfum, son rire, son sourire, et surtout la toute première fois où je l'ai vu appliquer mes leçons sur un sang mêlé qui avait fait l'erreur de vider le verre de trop. Alors que nous nous promenions dans le Chemin de Traverse, cet abruti, tout droit sorti du Chaudron Baveur, à tenter une maladroite approche de séduction envers Elladora qui, pour toute réponse, dégaina la lame maudite, toujours la même, celle dont je m'étais servie contre Mafalda à Poudlard. Un hasard ? Je ne pense pas. Nous l'avons entraîné, convulsant, dans un coin sombre. Contrairement à moi, Elladora avait une maîtrise de ses émotions impressionnante. Elle savait d'instinct quand enlever la lame pour causer à la cible une douleur maîtrisable. Puis recommençait, encore et encore. Au fil des soubresauts du Sang-Mêlé, le sourire sur les lèvres de la jeune femme se faisait plus carnassier. Elle était plus belle que jamais dans le simple appareil d'une vengeance savourée avec calme et minutie. Pourquoi vengeance ? Il ne m'avait fallu qu'un instant pour comprendre enfin à quoi ces marques sur ses poignets étaient dues. Et cette même nuit, alors que nous nous éloignions du Chemin de Traverse et regagnions ma demeure, elle m'avoua ce que je savais déjà. Le viol qu'elle avait subi le jour de son seizième anniversaire par un ami de la famille Lestrange. Malgré la honte qu'elle ressentait, Elladora s'en était ouverte à ses hôtes qui ne parurent pas plus étonnés que cela. Elle comprit alors que cet homme avait eu la « bénédiction » des Lestrange qui espéraient par ce biais forcer un mariage entre la jeune femme et cet individu. Ils avaient tout calculé pour qu'elle tombe enceinte. Lorsqu'elle s'en était aperçue, elle avait tout fait pour perdre l'enfant et avait tenté de mettre fin à ses jours.
« Bien évidemment, mes parents n'en ont pas cru un seul mot. Pour eux, j'avais provoqué l'homme en question. Ils me prennent pour plus délurée que je ne le suis. S'ils m'ont rapatrié en Angleterre, c'est pouvoir me surveiller et me trouver un parti qui ne soit pas trop regardant quant à ma virginité. Comme si ce gars ne s'était pas déjà venté de sa prouesse auprès de ses amis… »
Elladora prit une nouvelle gorgée de vin avec un sourire amer. Je la regardais en silence. Un coude posé sur l'accoudoir de la banquette devant le feu, les jambes allongées, les pans de sa robe dégoulinant jusqu'au sol comme une mare de sang. Les flammes dansaient dans ses yeux. Toute la joie et l'exaltation ressenties lors de notre sortie s'étaient évanouies à l'évocation de ce souvenir douloureux. À mesure que nous nous rencontrions, il me devenait de plus en plus difficile de détacher mon regard d'elle. La jeune femme exerçait chez moi une attraction irréelle, une fascination lancinante, comme si détourner mes yeux de son visage, de ses courbes, de son âme me vouait à la plus amère tristesse. Seule dans ce grand manoir, mes journées n'avaient aucun sens, aucune saveur. Elle était ce sel qui rendait ma vie si trépidante. Tout aurait pu, aurait dû continuer ainsi. Cette parenthèse enchantée. Fiancée, mais non mariée. Mécène d'un hôpital prestigieux et d'un médicomage brillant. Libre de pouvoir exercer mon vice avec la femme qui hantait mes nuits. Une vie parfaite. Jusqu'à cette lettre de Portheus, cette inauguration, Azkaban.
La prison pour sorciers dépasse toutes descriptions. Se passe de mots. Froid. Lugubre. Effrayant. Seul. Hopeless. Dire que j'ai lutté est un doux euphémisme. Je suis devenue le jouet des Détraqueurs et pense pouvoir dire sans fausse modestie que je leur ai donné du fil à retordre. Les premiers jours, il leur a été difficile de trouver suffisamment de joie en moi pour se nourrir. Puis ils ont trouvé Elladora. Et le combat a commencé. Dans ma détermination à la revoir, à garder en mon cœur ces quelques instants de bonheur volés, je préférais sacrifier le peu de santé mentale qu'il peut rester après des nuits et des nuits bercées par les cris, les râles, les supplications. Jamais je ne me suis abaissée à cela. Je savais que je sortirais. Et même si je devais demeurer pour toujours entre ces quatre murs, pourquoi aurais-je imploré ? Pour garder ma raison, je me repassais encore et encore les derniers mois qui avaient précédé mon interpellation, me répétant comme une litanie les noms de ceux qui avaient précipité ma fin. Un en particulier : Orabella Wilkinson. Était-elle encore en vie ? Je l'espérais de tous mes vœux. Je refusais qu'elle meure entourée de soins et d'attentions. Il fallait qu'elle goûte à la vraie souffrance, celle que je pouvais infliger. Pour une raison que j'ignore, on me déplaça de cellule peu de temps avant que je ne sorte d'Azkaban pour me transférer juste à côté de Bellatrix. Douce ironie. Peut-être pensait-on que cela me ferait irrémédiablement basculer vers la folie, ou réduirait à néant mes dernières barrières mentales. Ce fut tout l'inverse.
Bellatrix et moi nous étions connues dans une autre vie. C'est elle qui m'a permis de faire mes premières armes, qui m'a fait goûter aux délices de la torture, humé l'odeur de la peur. Un petit trou entre les pierres nous permettait de parler sans trop avoir à forcer et sans crainte d'être entendues par les gardiens. Je lui narrais chacune de mes expériences, et finissais par lui parler d'Elladora. Elle ne fut aucunement surprise de ce qu'avaient fait les Lestrange, et je compris donc que son propre mariage avait eu son lot de souffrance.
« Méfie-toi de tout le monde, Modestia, surtout de celles et ceux qui ont un joli minois. Je ne connais pas ton Elladora, mais sa famille oui. Cet Orpheus n'est pas à prendre à la légère. Tu joues à un jeu dangereux en tournant autour de sa sœur. »
Je l'assurais qu'il ne se passerait jamais rien entre Elladora et moi, et que je n'avais peur de personne. Elle ricana. Que ne l'ai-je cru… Car le lendemain, la jeune Parkinson vint me rendre visite. J'ignore encore aujourd'hui comment elle a obtenu ce droit-là. Malgré les odeurs nauséabondes de moisissures, d'urines, d'excréments qui nous entouraient, je reconnus son parfum. Malgré les chaînes, je me trainais au prix d'efforts considérables en dépit de ma faiblesse pour m'approcher au plus près des grilles de ma cellule afin de voir cette pointe de couleur irréelle au sein de la grisaille obscure nous environnant. Vêtue de sa sempiternelle robe rouge, Elladora avançait avec grâce jusqu'à moi et chassait d'un geste le gardien peu rassuré qui l'avait accompagné jusqu'ici. Alors qu'il s'apprêtait à répliquer, elle se retourna vers lui avec un immense sourire :
« Je suis une grande fille, je pense être capable de retrouver la sortie sans vous. »
Elle s'accroupit devant moi et posa délicatement sa main sur la mienne. Je la remerciais de ne poser sur moi aucun regard de pitié. J'ignorais à quoi je pouvais ressembler en cet instant, et je refusais de me l'imaginer. Ses yeux ne reflétaient qu'une infinie tendresse.
« Je ne te demanderais pas comment tu vas, il me suffit de voir que ton regard est encore plein de vie pour savoir… que ma Modestia est encore là. Je ne peux rester longtemps, mais je voulais t'assurer que tu vas sortir. J'ignore quand, mais tu as encore bien des choses à vivre. NOUS avons tellement de choses à vivre. »
Elladora… que cherches-tu à me dire ? J'entendais un léger ricanement dans la cellule d'à côté. Je tentais de retirer ma main de sous la sienne, mais déjà elle passait son autre main à travers la grille pour la poser sur ma joue. Elle était brûlante. Ce contact, cette chaleur pour la première fois depuis des mois… Malgré toute ma volonté, je ne pus retenir cette larme qui perla sur sa main.
« J'ai continué mes leçons, mais elles n'ont aucune saveur sans toi. Elles n'ont pas de sens. J'avais perdu tout goût pour la vie avant de te rencontrer, Modestia. Et tu lui as redonné un intérêt. Je ne peux te perdre. »
Je refusais de l'encourager. Allais-je vraiment sortir ? Allais-je toujours devoir épouser son frère ? Trop de questions m'assaillaient et ce n'était pas le pire. Je me voyais traverser ces grilles, prendre la main d'Elladora, l'embrasser, presser mes lèvres contre les siennes, accomplir ce que j'avais maintes et maintes fois vécu dans mes rêves… M'arrachant à ces pensées, je reculais. Elle se redressa, souriante.
« Tu ne me fuiras pas, Modestia. Nous sommes liées. Quoi que le monde puisse décider pour nous, il ne peut nous séparer. »
Et elle tourna les talons, laissant derrière elle, l'espace de quelques secondes, l'effluve de son parfum planer, comme une promesse, sous les rires de Bellatrix. En effet, je sortis quelques jours après cette visite. Je récupérais mes effets personnels et ma baguette. Comme elle m'était devenue étrangère ! En la prenant dans ma main, je remarquais à quel point mes mains étaient squelettiques. En retrouvant l'air libre, je respirais à grandes bouffées, à m'en brûler les poumons. J'étais libre. J'étais en vie. J'avais survécu à l'enfer. En arrivant chez moi, mon premier réflexe fut de demander à mes elfes de maison de me faire couler un bain, de faire un feu dans ma chambre et de me préparer à manger. Le contact de l'eau chaude sur mon corps meurtri par les chaînes fut douloureux, mais après quelques minutes, il laissa place à un bien-être tel que je m'endormis par deux fois. Régulièrement, l'eau était changée et lorsque je fus satisfaite du résultat, je me traînais en peignoir jusqu'à ma chambre. Là, pour la première fois depuis des mois, j'aperçus mon reflet dans le miroir de ma coiffeuse. J'eus toutes les peines du monde à me reconnaître. Un spectre. Je tentais de manger ce que les elfes avaient préparé pour moi, mais rien ne restait. Alors que je pensais pouvoir enfin me reposer, j'entendis frapper à ma porte. Quelques instants plus tard, Socrate faisait son entrée. Je souris intérieurement en voyant son air surpris voir un peu effrayé en constatant à quoi je ressemblais après des mois d'incarcération.
Je n'ai plus en mémoire tout son beau discours moralisateur sur mes agissements passés qui devaient prendre fin, sa colère quant à mon manque de discernement, les responsabilités qui reposaient sur mes épaules, tout l'argent qu'il avait dû dépenser pour me faire sortir, pour faire taire la presse. J'écoutais, mais je n'avais qu'un seul souhait, celui de le voir partir et de pouvoir enfin dormir. Puis il parla du mariage. Celui-ci aurait donc bien lieu, une fois que j'aurais… recouvré visage humain.
« Que nous soyons bien clair, Modestia. Tes petites frasques, tes expériences, l'usage de magie noire : tout ceci est terminé. Je t'avais prévenu que si tu n'étais pas vigilante, cela se retournerait contre toi. Je t'ai sauvé une fois. La prochaine fois, tu pourriras à Azkaban, et je n'aurais plus de fille. »
J'acquiesçais, consciente que je ne tiendrais aucun compte de ses avertissements. J'avais grandi dans l'idéal de la famille sang-pur. J'étais fière d'être une Selwyn. Mais ce que j'avais appris cette nuit-là lors de l'inauguration, je ne pourrais pas l'oublier. Ma vie n'avait été qu'un mensonge. Socrate avait été assez faible et assez bête pour croire qu'il pouvait battre sa femme sans que celle-ci ne se venge, pour penser qu'il pouvait menacer sa fille sans que celle-ci ne se rebelle ? À partir de cet instant, je décidais de vivre pour moi. J'avais droit à une seconde vie, et je n'allais certainement pas la gâcher en faisant exactement ce que l'on attendait de moi. Jamais je ne retournerais à Azkaban. Soit la vie, soit la mort. Il n'y avait plus aucune alternative.
À ma grande surprise, Elladora ne me rendit pas visite, pendant de longs mois après ma sortie de prison. Je compris bien plus tard que, ayant eu vent de sa venue à Azkaban, les Parkinson lui avaient interdit de venir me voir. Craignant que je ne sois capable de lui mettre quelques idées malsaines dans la tête. Jamais il ne les a effleurés que j'étais peut-être la plus sage de nous deux ! Je passais donc ces mois séparant ma libération et mon mariage dans une nouvelle prison, dorée cette fois, où mes seules visites étaient celle de mon père s'assurant que sa fille puisse être présentable le jour de son mariage, tout en tentant, maladroitement de la préparer à sa nuit de noces. Durant ses visites, je m'évertuais à être la future mariée parfaite, écoutant religieusement ses recommandations, récitant à merveille mes devoirs d'épouse, feignant de m'intéresser aux moyens de combler un homme, m'amusant à voir en de rares occasions le rouge venir à ses joues lorsque je prenais un malin plaisir à entrer dans les détails les plus scabreux. Tu veux jouer, vieil homme, alors jouons. La simple idée de devoir partager la couche d'Orpheus me dégoutait. J'espérais naïvement qu'une fois le devoir accompli je pourrais solliciter une chambre personnelle. À dire vrai, j'avais peur. Moi qui maitrisais toujours tout, je craignais d'être l'inférieure d'un autre et de ne pas être capable de lui tenir tête. Que m'arrivait-il ? Pourtant, j'avais jugé Orpheus et l'avait rangé dans la catégorie des larves que je pouvais écraser d'un coup de talon, mais hélas, à mesure que le mariage approchait, il m'apparaissait de plus en plus comme une ombre effrayante, démesurée, tentaculaire, une force brute que toute ma volonté ne pouvait faire fléchir.
La veille de mon mariage arriva. Ce jour-là devait se dérouler un repas chez les Parkinson, la première fois que je reparaissais dans le monde depuis mon retour d'Azkaban. Oui, j'avais changé. Mes joues étaient toujours un peu creusées, mais mon visage avait repris quelques couleurs. Mes cheveux, que j'avais été forcée de couper après les mauvais soins de la prison, avaient entièrement repoussé même si un œil attentif pouvait déceler quelques points blancs dans ma chevelure. Mes chevilles et mes poignets portaient toujours quelques cicatrices des chaînes, rien qu'une robe longue ne puisse dissimuler. Moi qui avais toujours été si à mon aise dans ce genre de réception, me sentait aujourd'hui comme un loup parmi les agneaux. Tout m'agressait. Je voyais l'hypocrisie derrière chaque sourire me congratulant sur « ma bonne mine », sur « la délicatesse de ma toilette », sur « mon teint frais comme la rosée du matin ». À les entendre, il semblait qu'un petit séjour à Azkaban soit le gage d'une bonne santé retrouvée ! Je les ignorais, en souriant, me mêlais aux groupes, plaisantant, parfaite dans mon rôle, comme toujours, sous l'œil avisé de Socrate. Soudain, je sentis une main m'attirer dans une alcôve, à l'abri de son regard. Avant que je ne puisse m'enquérir de ce qu'il se passait, cette même main se plaqua sur ma bouche.
« Ne dis rien. Mes parents ne veulent pas que je te parle. Feins de m'ignorer toute la soirée. Une fois le repas terminé, prétends être fatiguée et fais mine de rentrer chez toi. Retrouve-moi à l'endroit habituel. »
Avant de me laisser, Elladora déposa un baiser sur la joue et repartit retrouver les invités. Dans mes entrailles, la créature dormante depuis des mois se mit à ronronner.
Comme convenu, j'attendais sur un banc le long du Regent's Canal, un lieu de rencontre très pratique que nous avions trouvé avant que je ne sois incarcérée, car il avait l'avantage de se trouver dans le Londres moldu, proche de Camden Town, quartier où nos tenus de sorcières n'attiraient nullement l'attention. J'avais vécu le repas comme à travers un rêve, incapable de penser à autre chose qu'à mes retrouvailles avec Elladora. Même le mariage me paraissait lointain, comme un mauvais songe. Elle arriva enfin, vêtue à la moldu pour une fois, pantalon et veste de cuir, ainsi qu'un pull blanc. « J'aurais aimé me faire plus belle pour l'occasion, mais escalader la grille en robe n'est pas des plus aisés. » « Tu es sublime, Ella ». Elle s'approcha de moi et déposa un nouveau baisé sur ma joue avant de me prendre la main et de m'attirer vers Camden. L'agitation des rues était bienvenue après l'atmosphère guindée et orchestrée de ce soir. Nous passions de rue en rue, nous arrêtant de temps en temps pour prendre un verre, humant les mille et une odeurs de vie du quartier jusqu'à ce qu'elle me glisse à l'oreille : « Tu veux t'amuser, Modestia ? » Je savais à quoi elle faisait référence, mais malheureusement, en fouillant consciencieusement ma maison, je n'avais pu retrouver mes reliques de magie noire, sans nul doute confisquées par le ministère ou mon père. « Crois-tu que j'aurais laissé perdre ces trésors ? ». Alors elle écarta les pans de sa veste pour me montrer la dague. « Dès que j'ai su pour ton arrestation, je me suis précipitée chez toi avant que la perquisition ne soit menée. Je me suis dit que quand tu serais sortie, tu aimerais les retrouver. »
Alors la chasse commença. Le lendemain, une rumeur enfla dans le quartier que deux spectres hantaient les rues de Camden, laissant derrière eux des corps évanouis, couverts de marques noirâtres. Un, deux, quatre, je ne sais plus combien il y en eut ce soir-là. Je me souviens juste de sa beauté, de ce sentiment retrouvé de sentir peu à peu la vie quitter un corps sous mes mains, et ce plaisir inaliénable de l'inachevé. Ôter la dague au bon instant pour n'entendre plus qu'un mince filet de souffle dans les poumons de sa victime. À notre dernière victime, la pluie commença à tomber. Elladora ôta la dague et m'attira dans une ruelle étroite le temps que l'averse cesse. Tout le désir que j'avais ressenti pour elle dès le premier instant, dès sa première victime, ses longs mois d'apprentissage, ses longs mois d'enfermement, devenait inextinguible à cet instant où nous étions là blotties l'une contre l'autre, galvanisées, excitées, stimulées par la pratique de la torture. Soit la vie. Soit la mort. Demain serait le jour de mon mariage, une forme de mort. Ce soir, c'était la vie. Alors, comme je l'avais mainte fois rêvé, je l'embrassais et me rendais compte que non seulement Elladora me rendait ce baiser, mais qu'elle allait plus loin encore en passant sa main derrière mon dos, la descendant sur mes reins, puis mes fesses pour m'attirer vers elle. La créature dans mes entrailles poussa un mugissement de plaisir alors qu'Elladora murmurait à mon oreille : « Je te veux Modestia. » L'honnêteté me poussa à lui avouer que je n'avais jamais fait cela. « Amène-nous chez toi, je te montrerais ».
Arrivées chez moi, Elladora me plaqua contre le mur de ma chambre, redoublant de fougue et de hardiesse. Je sentis sa langue venir caresser la mienne tandis que ses mains s'appliquaient à me défaire de ma robe. L'imitant, j'ôtais sa veste et déboutonnais son pantalon. Mû d'un soudain instinct, je la faisais reculer jusqu'à mon lit pour l'y faire basculer. Ôtant ce qui lui restait de vêtement, je passais de ses lèvres au creux de son cou, lui arrachant un petit râle de plaisir. Prenant un peu de hauteur, j'admirais pour la toute première fois son corps nu, me remémorant les nombreuses fois où je n'avais fait que me l'imaginer. Tout était tellement plus réel, tellement plus beau. Je parcourais de ma main sa peau d'albâtre, notant chaque réaction, lorsque je passais un doigt sur sa poitrine, titillait le pointe de son sein, le prenait entre mes lèvres, le léchais du bout de ma langue. À cet instant, je sentis son corps se raidir légèrement puis se détendre. Elladora me fit basculer sur le dos. Jamais je n'oublierais son regard, pétillant, tendre, doux. C'était la première fois que quelqu'un me regardait avec cette lueur d'envie, de passion et d'affection. Là elle ôta la dernière barrière entre moi et la volupté du plaisir intime, déposant un baiser sur ma poitrine, puis sur mon ventre, sous mon nombril, puis sur mon mont de Vénus qu'elle commença à caresser avec douceur, s'appliquant à titiller de son pouce ce petit bout de chair qui, à lui seul était capable de procurer bien des jouissances. Elle continuait à le stimuler, tout en m'embrassant lorsqu'elle me demanda si j'étais prête. Je sentais déjà couler entre mes cuisses le fruit du plaisir d'elle me donnait lorsque je sentis un doigt, puis un autre me pénétrer. Passée la première douleur, je ressentis le besoin irrépressible de la voir continuer, l'encourageant en calant mes mouvements de hanches sur les siens. Bientôt, ce fut comme si tout disparaissait autour de moi. Il n'y avait plus qu'une réalité. Elladora et moi. Rien que nous. Elle, à l'intérieur de moi, et cette envie de la prendre, de la goûter, encore et encore. Et c'est ce que je fis. Une fois l'orgasme atteint, je fis basculer Elladora et me précipitais entre ces jambes pour y recueillir le précieux liquide, fruit de notre passion, m'amusant de ma langue à titiller son clitoris afin d'entendre de nouveau, ce gémissement de plaisir. Tout en continuant, à mon tour je glissais un doigt, puis deux, m'appliquant à exercer des allers et retours, lents, mais appuyés, ponctués de petits à-coups, me calant sur le souffle de ma partenaire et sur ses supplications. En fermant les yeux, je retrouve l'odeur de sa peau, de nos peaux mêlées, celles de nos sexes après l'amour, le goût salé de sa peau, la sensation de ses longs cheveux passant sur ma poitrine, le contact de ses doigts sur et en moi, la chaleur de son sourire, la sensation de son baiser dans le creux de mon cou une fois nos ébats terminés. Et ces quelques mots : « Je ne veux pas te perdre de nouveau Modestia. Je t'aime, tu es à moi. »Oui, indéniablement, j'étais à elle, et elle était mienne. Et je l'aimais.
Le monde m'a faite telle que je suis. Il ne m'aurait pas donné ce goût pour la perversion que j'ai dressé au rang d'art s'il ne voulait pas que je sois le monstre que la postérité retiendra. Mais pourquoi m'offrir cet amour, cette passion, cette addiction, cette drogue, pour me l'ôter ? Nous étions prêtes à ne vivre que dans l'ombre. J'ai accepté, le jour de mon mariage, de dire oui à un homme que je méprisais. J'ai accepté que le soir de mes noces, il fasse de moi ce qu'il désirait. Oui, je me suis débattu lorsqu'il m'a plaqué sur ce lit avec violence, sans ménagement, lorsqu'il m'a intimé le silence. Mais je me suis résignée, en sachant que, une fois cela fait, une fois qu'il aurait eu ce qu'il désirait, je pourrais la rejoindre. Pourquoi la Fortune m'aurait-elle donné un amour que je n'avais pas demandé, pour me l'arracher si cruellement ? Pourquoi faire cela, si ce n'est pour m'aider à accomplir ma destinée ? Je me repasserais en boucle, pendant des jours et des jours, enfermée dans ma salle de bain, des larmes de rage coulant sur mes joues, les événements de ce soir-là. Orpheus qui me dit au revoir, l'arrivée d'Elladora, nos baisers alors que je la conduis jusqu'à la chambre à coucher, nos « je t'aime » répétés, nos orgasmes lors de cette nuit parfaite, veillée par les étoiles et une lune pleine. Et soudain cette voix. Comment a-t-il pu revenir, sans un bruit, sans que nous n'entendions la porte être déverrouillée, ses pas sur le parquet ? Encore aujourd'hui je l'ignore. J'ai juste le temps de me retourner, aviser ma baguette sur la table de chevet, Orpheus lever la sienne. Une hésitation de quelques secondes. Et un éclair vert. Avada Kedavra. Pourquoi ne m'a-t-il pas visé moi ? Je revois juste le corps d'Elladora qui s'était redressé face à la porte basculer en arrière, sa tête pendant du lit, ses yeux encore ouverts regardant vers moi. Mon cri. Je l'entends encore lorsque je m'éveille de mes cauchemars, comme s'il continuait de résonner dans les murs de la maison. Je prends la tête d'Elladora entre mes mains, l'implorant de se réveiller, même si cela ne sert à rien. Je sais qu'elle n'est plus là. Son corps encore chaud de nos ébats devient peu à peu aussi froid que la mort qui vient de l'emporter. Pour la toute première fois, je supplie. Je supplie Orpheus de me tuer. Mais il reste là, immobile, alors que mon père entre à son tour dans la chambre. « Non, Modestia. Tu vas vivre. Mais à partir de ce jour, ta baguette sera entre les mains de ton époux. Si tu veux l'utiliser, si tu veux sortir, si tu veux vivre, ce sera à lui que tu devras demander la permission. J'aurais dû me douter que ton sang serait aussi corrompu que celui de ta mère. Remercie-moi de ne pas te faire subir le même sort. » L'heure de la supplication n'est plus. Je les maudis tous deux, leur jure qu'ils paieront pour ce qu'ils m'ont fait. Un sourire mauvais déchire mes lèvres. « Oui, vous paierez. Je suis morte désormais, je n'ai plus rien à craindre ! » Un dernier regard à mon amour, un dernier baiser déposé sur ses lèvres glacées, et je me lève, les poings serrés, mais le regard droit. Je sais ce que j'ai à faire. Une seule réponse : Orabella.
Modestia sourit en posant une nouvelle fois sa plume, essuyant une larme ayant coulé sur sa joue. Elle ouvrit un des tiroirs de son secrétaire et en sortit une photographie qu'elle caressa du bout des doigts avec un sourire triste. C'était là son bien le plus précieux. Son seul regret était qu'il s'agissait d'un cliché moldu, donc immobile. Elles l'avaient prise toutes deux dans une cabine de Camden Town lors de la première nuit où elles avaient consommé leur amour. Toutes deux étaient heureuses, souriantes, pleines d'espoir et de vie. Modestia la rangea précieusement, prit son verre de vin et se dirigea vers la cave. Après avoir introduit les différentes clés, elle poussa la grille qui s'ouvrit dans un grincement d'acier. Elle avança à l'aveugle jusqu'à la petite table sur laquelle il n'y avait qu'une petite lampe à huile qu'elle alluma avant de s'asseoir sur la chaise qui faisait face à son spectacle quotidien. Une fois en place, elle posa son verre, et s'adressa à la forme qui pendait, les bras et jambes en croix retenus par des chaînes. « Alors, ma chère Orabella, où en étions-nous ? »
