J'ai grandi dans un foyer presbytérien. Mon avenir semblait tout tracé au sein de ma communauté si mes pouvoirs ne s'étaient pas manifestés. Ma mère Isobel était tellement fière. Et pourtant, je pouvais percevoir sa tristesse et sa peur. Elle avait fait, avant même ma naissance, ce choix de se couper du monde magique par amour pour mon père. Néanmoins, elle ne supportait plus le poids de ce secret ni de devoir cacher la vérité à son époux. Robert McGonagall est un homme bon, droit, et profondément amoureux de sa femme. Il fut prompt à comprendre les raisons qui avaient poussé Isobel à lui cacher la vérité. Cependant, malgré la profonde tendresse les liant, la confiance s'en est allée avec ce secret. Je me suis toujours promis que jamais je ne ferais vivre cela à celui qui partagera ma vie.
Hélas, j'en étais bien incapable. Je suis tombée amoureuse, à mon tour, d'un moldu mais ne me suis pas sentie le droit de l'arracher à ses rêves pour suivre les miens. J'ai préféré renoncer à mes sentiments plutôt qu'à mes pouvoirs. Une nouvelle fois, l'amour m'ouvrit ses bras. Était-ce véritablement de l'amour… Je ne pense pas. Plutôt une forme de résignation. Elphinstone était un sorcier, il était aimable avec moi et me poursuivait de ses ardeurs avec tellement de courage et d'abnégation que je n'avais plus le cœur de lui refuser le mariage. Notre bonheur fut bref, mais il eut le bienfait de me faire comprendre que moi aussi, j'y avais droit. Oui. Ce mariage était bien une fuite. Je tentais d'oublier. Quelle ironie… Elphinstone mourut, victime d'une tentacula vénéneuse.
En sortant du cimetière, tenant mon parapluie contre moi, je ne vis qu'elle. Pomona. Sa pudeur l'avait convaincu de ne pas se présenter à l'enterrement, et la retenait de faire le premier pas. Pourtant, elle m'attendait là, appuyée contre un muret de pierre, de l'autre côté de la rue, la pluie dégoulinant de son chapeau, les manches de sa chemise retroussée. Elle se tenait parfaitement immobile et pourtant je pouvais voir quelques frissons la parcourir. La tête baissée, elle n'esquissa pas le moindre mouvement avant que je ne sois devant elle. Autrement dit, lorsque mes pieds arrivèrent dans son champ de vision.
" Tu es venue, Mona, lui dis-je.
- Bien sûr, Minerva. Je n'allais tout de même pas te laisser rentrer seule au château.
Je l'observais, en silence, avant de répondre d'un ton las.
- Même après tout ce que je t'ai fait ?
- Mina… Je te le répète : je suis ton amie. Et les amis sont là pour pardonner. Je serais toujours à tes côtés. Allez, je pense qu'il n'est pas trop tard pour se faire un petit thé. Comme avant.
- Avec une petite goutte de whiskey ?
- Bien entendu, pour qui me prends-tu ! renchérit-elle en me prenant le bras et initiant la marche jusqu'à Poudlard. "
Alors que nous traversions les rues de Pré-au-lard, je respirais à pleine bouffée d'air frais, cette délicate odeur d'herbe humide agrémentée de ce parfum si particulier de rose que Pomona appréciait tant. Je me revois alors dans la douce chaleur des serres, blottie contre son dos, mon visage perdu dans ses cheveux à m'enivrer sans fin de cette fragrance unique. Tout était si exquis en ce temps-là, avant que je ne brise ce rêve. Peut-être n'était-il pas trop tard.
Pomona et moi nous sommes rencontrées à Poudlard. Ayant deux ans de plus qu'elle, le château m'était déjà familier, si bien que je pus avoir pour elle le rôle de guide dans ses premières années. À dire vrai, avant son arrivée, il ne me manquait qu'une seule chose, sans que je n'en eut éprouvé le manque : une amie sincère. Non pas que je sois de nature solitaire, mais j'avais le mauvais goût de ne pas goûter aux mêmes passe-temps que mes camarades pour qui, parler des garçons ou vilipender nos professeurs était une véritable passion. Néanmoins, ce jour-là, assise dans ce compartiment du Poudlard Express, seule, je prenais conscience de ma négligence. Mon manuel de métamorphose ouvert sur mes genoux, la tête reposée négligemment contre la fenêtre, mon regard se posa sur les sièges vides en face de moi et je me pris à imaginer une ou des amies assises en train de babiller joyeusement. Non, décidément, je n'étais pas faite pour cela.
C'est alors qu'une petite silhouette toqua avec peine à la vitre de mon compartiment. Je dis bien une silhouette, car en réalité, il m'était impossible de voir autre chose que le sommet d'un crâne dissimulé derrière une pile de livres. Alors que je lui ouvrais délicatement la porte, je la vis s'engouffrer en laissant tomber son chargement sur l'une des banquettes avec un soupir de soulagement.
"Merci beaucoup ! Cela fait près d'une heure que j'essaie de trouver un compartiment, mais je ne sais pourquoi, tout le monde finit par me jeter dehors ! Oui, j'ai tendance à m'étaler un peu, mais j'ai tellement peur de ne pas être au point avant mon premier cours de Botanique. J'ai passé tout mon été à compulser tous les ouvrages de ma mère, il ne me reste plus que ceux-ci ! Mais dès que les autres m'ont vu faire, ils m'ont demandé de partir et…."
Elle continuait de parler, sans discontinuer, tout en prenant les livres, les ouvrant et les disposant sur le sol en arc de cercle. Puis elle finit par s'asseoir au milieu d'eux, commençant à les parcourir du regard, l'un après l'autre en tournant les pages. Tout en continuant de me parler de sa passion pour la Botanique et des réprimandes des autres élèves face à sa tendance à lire parfois à haute voix. Avec calme et un sourire bienveillant aux lèvres, je regardais ce petit bout de jeune fille en train de tortiller une mèche de ses longs cheveux bruns tout en lisant. Un tic qui devait, à l'avenir, m'arracher toujours un élan de nostalgie. Je finis par regagner la place et mon livre tandis que mon chat, Toffee, observait avec une pointe d'inquiétude la nouvelle venue. Une caresse sur le sommet du crâne finit par le rassurer.
Soudain, elle leva la tête de sa lecture et posa un regard interrogatif sur moi en me voyant reprendre mon manuel.
" Tu es certaine que je ne t'embête pas ?
- Pas le moins du monde. Il est bon d'avoir de la compagnie, surtout aussi studieuse que la tienne. Toffee et moins pouvons bien partager. Au fait, je m'appelle Minerva.
- Enchantée, Pomona ! Tu n'es pas en première année, n'est-ce pas ?
- Non, en troisième. À Gryffondor.
- Oh ! J'ai hâte de découvrir ma maison ! J'espère être à Poufsouffle, ma mère y était. Il parait qu'il y a dans la salle commune plein de plantes !
- Vraiment ? Nous à Gryffondor, les murs sont recouverts de tapisseries et des portraits des anciens directeurs de maison.
- Tu n'as jamais visité les autres salles communes ?
- Non… à dire vrai je n'en ai jamais eu la curiosité.
- Eh bien, il va falloir remédier à cela, Minerva !"
Nous nous replongeâmes dans nos lectures respectives. Je ne pouvais cependant m'empêcher de lever de temps en temps les yeux dans sa direction. Il se dégageait d'elle un tel calme lorsqu'elle étudiait. Peut-être n'était-ce là que le fruit de mon imagination, mais je remarquais qu'elle lisait bien tous les livres en même temps, comme si les lignes se suivaient. Surprenant ma curiosité, Pomona m'expliqua avoir quelques difficultés de concentration et n'avoir trouvé que ce moyen de rester suffisamment concentrée sur sa lecture. Sa tâche se compliqua lorsque Toffee décida de venir s'installer sur l'un des ouvrages ouverts afin de réclamer davantage d'attention, considérant sans doute que je répondais pas suffisamment à ses attentes. Je m'apprêtais à le rappeler à mes côtés lorsque je vis Pomona le prendre délicatement entre ses jambes pour le caresser tout en continuant son étude.
Je gardais ma surprise pour moi. Toffee n'avait jamais agi ainsi avec qui que soit. Il devait y avoir chez Pomona quelque chose de spécial capable d'amadouer tout caractère sauvage ou solitaire. Son charme exerçait sur Toffee et moi une profonde attraction et une envie presque irrépressible d'être son amie. Impression qui ne se démentit jamais. Je devais apprendre très vite qu'en acceptant cette jeune fille dans mon compartiment, je lui avais ouvert grand la porte de mon intimité, et qu'elle comptait bien s'y faire un petit nid douillet. Moi qui jusqu'ici n'avais jamais éprouvé l'envie ni le besoin d'entretenir des relations amicales, voilà que je me retrouvais irrémédiablement attirée dans l'ouragan Pomona. Poppy, Filius, Rolanda, tous avaient accouru vers ce centre de gravité qu'était notre prodige de la Botanique. Et pour la première fois depuis que j'étais à Poudlard, j'attendais avec impatience l'heure de la fin des cours pour pouvoir les retrouver. Malgré notre cercle amical, ce qui existait entre Pomona et moi était unique.
Contrairement à moi qui avais découvert avec Poudlard la beauté et la splendeur du monde magique, Pomona eut beaucoup de mal à s'habituer au château. Née dans une famille de sorciers, la magie avait toujours été au cœur de son enfance. Originaire d'Irlande et fortement attachée à ses proches, son foyer lui manquait. De plus, elle avait une telle peur de les décevoir que chaque évaluation était pour elle source d'angoisse profonde et de longues insomnies. Ma mère elle n'attendait rien de plus de moi que de profiter pour nous deux du monde dont elle s'était coupée en épousant mon père.
Je trouvais un jour Pomona assise sur le bord du Lac Noir, en train de triturer du bout de sa baguette une algue iridescente. À ses yeux rougis, je compris qu'elle venait de pleurer. En silence, je prenais place à côté d'elle et passais délicatement un bras autour de ses épaules. L'ébauche d'un sourire au coin des lèvres, elle laissa sa tête se reposer sur moi et commença à me parler de son pays : des vastes étendues herbeuses, des lacs de Fermanagh, des falaises, de la couleur de l'eau, des chants, des danses, des rires, de son foyer.
"J'essaie de toutes mes forces ne pas y penser, de considérer Poudlard comme ma maison, mais… je n'ai aucun havre de tranquillité. J'aimerais juste avoir un endroit rien qu'à moi, où je puisse me rendre de temps en temps et juste reste là, quelques heures tout au plus…"
Je songeais à un endroit que j'avais découvert tout à fait par hasard. Ce devait être un mois auparavant. Je tentais alors de trouver un lieu assez éloigné du château pour pouvoir me passer les nerfs après une nouvelle prise de bec avec Malfoy. Il s'agissait d'une petite enclave, au bord d'un cours d'eau se jetant dans le Lac. L'accès était invisible à ceux qui n'y prêtaient aucune attention ou qui, comme moi, ne regardaient pas où ils mettaient les pieds. Un immense saule pleureur dont les branches retombaient comme un rideau opaque en masquait l'entrée entre deux rochers.
Le lendemain, je l'amenais visiter ce petit havre de paix et découvrais avec ravissement à son expression émerveillée que j'avais vu juste. Elle me sauta dans les bras et enfouie son visage dans ma chevelure en murmurant à mon oreille un « merci » étranglé. Ce refuge devait devenir notre nouveau point de rendez-vous dès que nous avions un moment de libre. Avec le temps, nous y avons apporté quelques améliorations qui lui conférèrent un confort qui n'avait rien à envier à nos salles communes. Je ne tardais pas à découvrir l'emplacement idéal du coin lecture, adossé à un rocher couvert de mousse, une racine du saule émergeant du sol comme accoudoir.
Pomona ne tarda pas à y amener plusieurs essences de plantes dont elle souhaitait observer la pousse. Au premier printemps, notre petite clairière fut envahie de fleurs des champs aux couleurs vives. Une rose attirait tout particulièrement mon attention. Ses pétales, d'un bleu profond, semblaient capter la lumière, renforçant le parfum envoûtant qui s'en dégageait. Alors que je demandais à Pomona de quelle essence il s'agissait, bien que je sois parfaitement incapable de distinguer un filet du Diable d'un Voltiflor, je la vis piquer un fard.
"Il s'agit d'un croisement que j'ai inventé. Elle n'a malheureusement aucune propriété magique j'en ai peur.
- Ce n'est pas le plus important. Une fleur, par nature, se doit juste de plaire à celle qui s'en occupe. Et elle est vraiment magnifique. Son parfum… est tout simplement divin. Je ne l'ai effleurée qu'un instant hier et pourtant, ses effluves m'ont poursuivi jusque dans mes rêves !
- Vraiment ?
- Oui, c'était d'ailleurs très curieux. Je ne me souviens plus de ce dont j'ai rêvé, mais c'est bien ce parfum qui m'a tiré de mes songes. Comme s'il était venu m'effleurer dans mon sommeil. Comment l'as-tu appelée ?
- Je n'y ai pas réfléchi… Pourquoi pas… Mina's dream ?
Je ne pus m'empêcher de sourire et sentis le rouge me venir aux joues. À partir de ce jour, Pomona ne porta plus autre chose que le parfum qu'elle parvint à synthétiser à partir des pétales de Mina's Dream. Il ne se passa plus un instant sans que les senteurs suaves de la rose bleutée ne la précèdent partout où elle allait, bouleversant mes sens. Après toutes ces années et la connaissance des événements futurs, je me demande encore si je n'ai pas ma part de responsabilité dans tout ce qu'il s'est produit. Aurais-je sans le vouloir encouragé ou provoqué l'évolution de notre relation dans une voie que je n'étais pas disposée à suivre ?
