Acte III - Jeux mutins
Nous n'avions jamais reparlé de notre baiser dans ce bar. Sans doute par pudeur. Pourtant, il ne se passait pas un jour sans que j'y songe. Je ne cessais de me demander quelle tournure auraient pris les événements si je l'avais invité, comme prévu, à dormir chez moi. Peut-être aurais-je compris plus tôt que ce qu'il y avait entre nous était inéluctable. J'étais désormais certaine de mes sentiments, mais prenais un malin plaisir à voir Pomona trouver toujours plus de prétextes pour tenter de me séduire. Un jeu dangereux, car j'étais bien trop aveugle pour imaginer ne serait-ce qu'un instant que d'autres pouvaient éprouver les mêmes choses que nous. Cet hiver-là, les Trois Balais recrutaient une nouvelle serveuse, Winifred Abbot. Une femme élancée, bien pourvue par la nature, aux lèvres pulpeuses et aux grands yeux de biche. Partout les regards la suivaient avec un sourire goguenard.
Cette Winifred m'exaspéra au plus haut point dès notre premier contact, lorsqu'elle se jeta presque sur Pomona afin de la complimenter sur sa tenue dans de grands éclats de rire feints. J'aime Mona, mais si je lui reconnais un goût certain pour l'aménagement d'intérieur, il n'en va pas de même pour ses goûts vestimentaires. Je voyais donc là une tentative maladroite d'attirer l'attention de mon amie. Pomona la remercia du bout des lèvres et me fit signe de l'accompagner à une table en retrait où nous attendaient Poppy et Filius. Lorsque la serveuse vint nous apporter nos boissons, je vis très distinctement les yeux de notre ami se perdre dans son décolleté en rougissant. Sans même m'en apercevoir, je dus serrer les poings lorsque Winifred fit un clin d'œil à Pomona en lui annonçant qu'elle lui offrait ce verre. Poppy posa sa main sur la mienne et me glissa à l'oreille de me détendre.
- Tu ne peux rien y faire, Minerva.
- Oh j'ai bien quelques petites idées…
- Et à quoi bon ? Pomona ne t'appartient pas que je sache, il est temps que tu t'en rendes compte.
Je me tournais alors vers mon amie, et la regardais vider son verre, tout en lançant de temps à autre un regard vers la serveuse qui continuait de lui faire des œillades appuyées. Je sentais une rage sourde monter à chaque fois que Winifred approchait et faillit même me lever d'un bond à la suite de Pomona lorsque celle-ci alla jusqu'au comptoir pour aller nous chercher d'autres verres. Je ne pouvais détacher mes yeux d'elle et ressentis comme un coup de poignard lorsque je vis Winifred se pencher à l'oreille de la jeune femme, lui arrachant un sourire. Pomona revint avec un whiskey pour moi et une bièraubeurre pour elle. Elle me dévisagea quelques instants avant de me demander sur un air taquin :
- Quelque chose à dire, Mina ?
- Non…
- Allons, je vois bien à ta mâchoire serrée qu'il y a un problème.
- Je trouve juste l'attitude de cette serveuse… très vulgaire.
Pomona ne put s'empêcher de rire avant de glisser un bras autour de mes épaules et de déposer un baiser sur ma joue.
- Que veux-tu, tout le monde n'a pas ta classe et ton sens inné de la mise en scène !
Puis elle ajouta à mon oreille :
- Mais la jalousie te sied admirablement bien.
- Bien sûr qu'elle avait raison ! J'étais malade de jalousie et me rendais compte à cet instant que ce que je voyais en Pomona était visible de tous. Je n'avais jamais songé que mon jeu pouvait la lasser et la pousser dans les bras de quelqu'un d'autre. Peut-être était-il temps d'y mettre un terme. Alors que nous étions sur le point de partir, Pomona nous demanda de l'excuser quelques instants et se dirigea vers le comptoir. Elle en revint après plusieurs minutes et un regard vers Winifried manqua de m'arracher une pique bien sentie. Elle me fixait avec un air furieux. La neige commençait à tomber alors que nous regagnions le château, Poppy et Filius nous précédant de plusieurs mètres. J'aimais la sensation du froid sur les joues d'autant qu'elle me donnait l'impression, fausse bien entendu, de dissiper l'alcool dans mes veines. À côté de moi, Pomona rayonnait.
- Qu'as-tu donc à sourire comme ça ?
- La soirée était très plaisante, tu ne trouves pas ?
- Si l'on peut dire. Qu'as-tu dit à cette serveuse ?
- Ahhhh je me demandais quand tu me poserais la question !
Le rire de Pomona résonna une nouvelle fois dans la nuit sans lune alors qu'elle me saisissait les mains et m'attirait vers l'un des murets bordant la route menant au château. Elle m'y adossa et m'entoura de ses bras.
- Je lui ai dit que j'étais flattée de ses attentions. Que d'ordinaire j'aurais été plus qu'heureuse de partager… « un dernier verre » avec elle. Mais qu'actuellement… j'avais… d'autres projets.
- Oh ? Vraiment ? la gourmandais-je en l'attirant vers moi.
Nos visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres. Mina's dream faisait toujours son office, mais cette fois-ci, je restais maitresse de mes sens. Je savais parfaitement ce que je faisais. Je vis Pomona mordiller sa lèvre inférieure avant de se fendre d'un sourire tout à fait charmant.
- Oui. Avec une femme autrement plus charmante que cette Winifred, que je poursuis de mes ardeurs depuis bien trop longtemps maintenant. Et qui est prête désormais à me céder.
- Quelle présomption !
- Que tu peux être belle quand tu essaies de mentir.
- Je ne cherchais plus à le faire. J'étais bien résignée à ne plus déguiser mes sentiments sous une fausse pudeur. Mais alors que je m'apprêtais à franchir les dernières centimètres séparant nos lèvres, ce fut elle qui arrêta mon geste. Surprise, je lui demandais des explications.
- Laisse-moi profiter de ma victoire. C'est à mon tour de te torturer, Mina.
C'était de bonne guerre et c'est main dans la main que nous sommes rentrées au château. Pomona fit bien les choses. Elle me laissa dans l'expectative pendant plusieurs semaines, prétendant lorsque je tentais de lui parler de ce soir-là qu'elle ne comprenait pas de quoi je pouvais parler. Du moins jusqu'à ce qu'elle ne laisse éclater son rire cristallin. Elle m'avoua préparer quelque chose de spécial, mais refusa de m'en dire davantage. Je vivais dans l'attente de cet instant jusqu'à ce que, comme toujours, le destin en décide autrement. La journée touchait à sa fin et le repas allait bientôt être servi. Pomona avait tendance ces derniers temps à ne pas voir les heures s'écouler, aussi prenais-je l'initiative d'aller la chercher dans les serres. Lorsque j'arrivais au niveau de la serre N° 3, j'entendis un cri puis un bruit sourd et me précipitait, baguette brandie.
Rien ne me préparait à la vision qui devait me hanter pour les nuits à venir. Pomona, au sol, secouée de spasmes, l'écume aux lèvres et devant elle un pot brisé duquel émergeait une tentacula vénéneuse dardant en tous sens ses tiges empoisonnées.
- Immobilus !
Je me jetais à terre, prenant Pomona dans mes bras et l'attirais le plus loin possible de la plante. À une vitesse qui me sembla une éternité, je tentais de me remémorer tous mes cours et les conseils qu'elle m'avait prodiguée quant à la réaction à adopter face à ce genre de cas. Soudain, la solution m'apparut et je me précipitais vers la boite où le professeur de botanique conservait ses outils pour en sortir un couteau. Je cherchais sur son corps la marque de morsure de la tentacula et la découvrais au poignet droit, juste au-dessus du niveau de ses gants. Là je pratiquais une incision en tentant de mon mieux de réprimer mes tremblements tandis que son corps était toujours secoué de spasmes. Une fois ceci fait, je vis un liquide verdâtre s'échapper de la plaie. Lorsqu'il redevint rouge, je remarquais que les spasmes s'espaçaient jusqu'à cesser. Je criais pour appeler de l'aide, tentant de toutes mes forces de retenir mes larmes au cas où quelqu'un finisse par entrer. Ce fut le préfet des Serpentard qui me découvrit et eut certainement la peur de sa vie lorsque je le menaçais de le changer en furet pour le reste de ses jours s'il ne prévenait pas Miss Pomfresh au plus vite.
Lorsque Poppy arrivait, Pomona ne respirait plus depuis quelques secondes. Nous l'avons emmené au plus vite à l'infirmerie et après deux potions, sa poitrine s'éleva, elle toussa puis s'évanouit. Ce ne fut qu'à cet instant, lorsque tous les regards indiscrets se furent dispersés, que je laisse libre cours à mes larmes. Pomona était livide et son souffle très faible. Poppy posa une main sur mon épaule et m'assura qu'elle s'en remettrait.
- La tentacula vénéneuse est mortelle, comment peux-tu être certaine qu'elle vivra ?
- Elle aurait déjà dû succomber si c'était le cas. Pomona est jeune et forte. Je pense que le spécimen qui l'a mordu ne devait pas être adulte… Tu as très bien agi, Minerva. Il faut la laisser se reposer maintenant. Je vais demander aux elfes de maisons de t'apporter de quoi manger. J'imagine que tu veux rester auprès d'elle, n'est-ce pas ?
- Oui… merci Poppy. Dois-je faire quelque chose ?
- Si elle se réveille, donne-lui encore de cette potion, une cuillère. Et assure-toi que le linge sur son front soit toujours humide.
Je restais à son chevet pendant une semaine, ne m'absentant que pour donner mes cours et me changer. Au bout de trois jours, Pomona ne tenait déjà plus en place et Poppy dut faire preuve de beaucoup de fermeté pour la maintenir à l'infirmerie. Chaque jour, une elfe de maison du nom de Weena venait apporter un plateau de victuailles pour Pomona et moi. J'appris qu'elle était lui était très attachée et lui donnait de temps en temps un coup de main aux serres, et continuait de le faire le temps de sa convalescence. Elle ne manquait pas de prendre ses instructions chaque jour auprès de la malade. Lorsque l'infirmière donna son autorisation, je raccompagnais Pomona jusqu'à ses appartements. Alors que je la mettais au lit, elle m'attrapa le bras :
- Je suis désolée, Mina. Je voulais que tout soit parfait pour toi. Et j'ai bien failli y rester.
- Que voulais-tu donc faire avec cette tentacula vénéneuse ?
- Cela faisait partie de ma surprise… mais elle sera bientôt prête, rassure-toi.
- Si tu me promets que tu ne mettras pas une nouvelle fois ta vie en danger, je veux bien te laisser encore un peu de répits.
Pomona sourit et s'endormit presque aussitôt. Deux jours plus tard, elle m'invitait à la rejoindre chez elle une fois la nuit tombée. En arrivant, j'eus le souffle coupé. De toute part, des bougies flottaient dans les airs comme dans la Grande Salle, nimbant la pièce d'une douce lumière vacillante et chaleureuse. Un bouquet de Mina's dream trônait sur la table basse aux côtés de plateaux d'argent recouverts de petits fours. Dans un bac de glaçons, une bouteille de champagne attendait d'être sabrée. Notant ma surprise face aux chandelles, Pomona m'avoua qu'il s'agissait là d'un cadeau de Weena.
- Elle a été très touchée de la manière dont tu as veillé sur moi et souhaitait te remercier, à sa manière.
- Je pensais pourtant tout connaitre de toi et voilà que tu me surprends encore. J'ignorais que tu t'étais fait une amie si précieuse.
- Disons que Weena et moi nous connaissons depuis longtemps. Elle était l'elfe de maison de mon oncle qui est mort, il y a deux ans. J'en ai hérité, mais je ne tenais pas à la garder à mon service alors je lui ai proposé de venir travailler à Poudlard. Un arrangement qui nous convient à toutes deux ! Mais nous ne sommes pas là pour parler d'elle, si Miss McGonagall veut bien se donner la peine de prendre place.
Je m'asseyais donc sur l'ottomane et profitais de ce merveilleux buffet. Le champagne était doux, la compagnie agréable. À voir Pomona, on avait peine à croire que quelques jours auparavant, elle avait frôlé la mort. Je notais sa nervosité, car elle ne cessait de babiller comme si elle voulait combler le moindre silence pourtant absent au vu des disques qui se succédaient. Souvent, nos mains se frôlaient. Je m'amusais, lorsqu'elle tendait le bras pour attraper la bouteille de champagne, à glisser un baiser dans son cou comme elle avait l'habitude de le faire. Enfin elle se leva et revint vers moi avec un petit paquet qu'elle me tendit, légèrement tremblante. Je défis l'emballage et découvrit un pendentif en or s'ouvrant sur un pétale bleuté que je reconnus immédiatement. Au moment où j'actionnais l'ouverture, je fus envahie par une bouffée de Mina's dream comme fraichement coupée.
- Ainsi, tu auras toujours à porter un petit peu de moi. J'ose espérer que je ne me suis pas trompée dans mes manipulations afin de conserver son parfum. Le poison de tentacula vénéneuse, une fois les toxines ôtées, permet de stabiliser les odeurs. Tu m'as surprise en flagrants délits : je tentais de récupérer le dernier échantillon qui me manquait.
- Tu as joué à un jeu dangereux… mais j'apprécie le sacrifice.
Je refermais le collier et me penchais vers Pomona pour l'embrasser. Rien ne m'était plus simple. C'était la fin du jeu. Le temps était venu pour moi d'accepter et de nous offrir enfin ce que nos cœurs avaient si ardemment désiré. Je m'amusais à voir soudain mon amie nerveuse. Inexplicablement, j'étais calme et sereine. Comme si rien ne m'était si naturel que de l'embrasser, de l'aider à se défaire de ses vêtements, d'ôter les miens après une tentative infructueuse de Pomona de déboutonner mon gilet. Je me perdais avec extase dans la contemplation de son corps nu tremblant sous mes caresses. Jamais je n'aurais songé être à ce point attirée et intriguée par chacune de ses courbes, ressentir ce désir inextinguible de parcourir sa chair de mes baisers, rechercher les frissons du plaisir qu'elle me donnait des ses doigts et de sa langue. Cette nuit et celles qui suivirent se confondent dans mon esprit comme une symphonie d'extase, de jouissance et de sensualité. Chacune d'entre nous jouait sa partition avec le plus grand souci de l'autre et un même goût pour la provocation.
Peut-être était ce dû au temps que nous pensions avoir perdu, mais l'évolution de notre relation nous poussa à l'imprudence. Comme si nous ne pouvions résister à ce délectable frisson de nous adonner à nos ébats là où nous pouvions être découverte. C'était un jeu dangereux, mais si exaltant ! Un baiser volé au détour d'un couloir, une main indiscrète glissée au bon endroit, une soudaine montée d'adrénaline puis nous nous séparions de nouveau in extremis. Nous réussissions malgré cela à conserver notre secret. À tous sauf à Poppy qui ne manqua pas de nous faire des allusions à notre « petite mine ». Cette nuit là, à mon souvenir, nous n'avions dormi qu'une poignée d'heure et avions bien failli manquer le petit déjeuner. Pomona répondit avec détachement qu'elle avait passé sa nuit à compulser un ouvrage des plus captivant. Elle avait prononcé ses mots avec un tel aplomb que je ne pus m'empêcher d'éclater de rire, ce qui bien évidemment vendit la mèche sur ce qui s'était réellement passé.
