ACTE IV - Doutes et Raisons
Poppy ne put s'empêcher de nous couvrir de mille questions auxquelles nous répondions avec la plus grande sincérité, juste pour le plaisir de voir le rouge venir aux joues de notre amie. Elle vint cependant nous trouver, un jour que nous étions dans l'une des serres de Botanique, moi appuyées sur l'un des bacs des mandragores et Pomona en train de rempoter un filet du diable particulièrement énervé.
- Albus est venu me voir hier. Il soupçonne quelque chose.
- Comment ? demandais-je, interloquée qu'il ne soit pas venir me voir directement.
- Le château a ses yeux et ses oreilles… Vous ne pensiez tout de même pas qu'il n'en saurait rien ! Je pense qu'il préférait que je vous en parle. Vous connaissez les règles de l'école…
- Nous ne faisons rien de mal ! vociféra Pomona.
- Il ne s'agit pas de cela. Nous avons une responsabilité morale auprès de nos élèves, et cela passe par un comportement irréprochable. Nous devons être un exemple…
Poppy continuait de parler, énumérant toutes les règles de bienséance de Poudlard. Mon esprit s'embruma soudain et je me revis étant enfant, écoutant avec calme et attention l'un des prêches de mon père, la fierté que je ressentais d'être la fille d'un tel homme, l'envie que j'avais de correspondre à ses souhaits et à ses rêves. Mon regard se posa alors sur Pomona et ce doute me vint une nouvelle fois. Avais-je le droit de vivre ce bonheur ?
- Tout ceci est absurde, cracha Pomona.
- Je vous invite juste à la prudence, mes amies. Je sais qu'il n'y a rien de mal à ce que vous faites. Je souhaite éviter tout incident.
Les jours qui suivirent, nous prenions garde à restreindre nos contacts à la salle des professeurs et nos appartements respectifs. Malgré tout, les paroles de Poppy et les sermons de mon père ne cessaient de me torturer. Pomona s'aperçut vite que quelque chose me tracassait et m'invita à marcher dans la cour de l'horloge une fois le repas du soir terminé. La plupart des élèves ayant déjà regagné leurs dortoirs, nous ne craignons pas d'en croiser. Elle me poussa à parler. Alors que je refusais même de la regarder, elle m'adossa à l'un des piliers du cloitre, prit mon visage entre ces mains et m'embrassa.
- Mina, que se passe-t-il ?
- Et si ce que nous faisions était mal ?
- Mina, tu ne vas pas croire…
- Je ne sais pas. Je t'aime Mona, mais… quelque chose me dit que… je ne devrais pas.
- Il n'y a aucun mal à aimer. Hommes ou femmes, cela importe peu. Ce qui compte, c'est ce que nous avons dans le cœur.
Elle avait peur. Je le sentais à sa voix légèrement tremblante, au scintillement de ses yeux comme si elle était sur le point de pleurer. Comme je l'aimais ! Pour la rassurer, je lui retournais son baiser et l'entourais de mes bras, comme pour fusionner avec elle. Laisser de côté la moindre prudence, je m'affairais à me frayer un chemin dans son pantalon afin de saisir entre mes mains ces fesses que j'aimais temps. Elle me murmura de ne pas faire cela ici, mais je n'écoutais plus, redoublant de hardiesse lorsqu'un hoquet de surprise me fit tourner brusquement la tête. Là se tenait un jeune garçon d'un blond presque blanc qui à l'instant où je lâchais Pomona se mit à courir.
J'esquissais un mouvement pour me lancer derrière lui, mais Mona retint mon bras.
- Non… tu ne ferais qu'envenimer les choses.
- Mais il nous a vus !
- C'est trop tard. Que lui diras-tu si tu le rattrapes ? Tu vas le menacer ? Nous allons avoir des problèmes, pas la peine d'en rajouter… Il n'aurait rien de plus pressé que de le dire à son père.
- Et que crois-tu qu'il va faire au juste ?
- Oui, mais au moins tu n'as pas changé son fils en citrouille. Je vais aller parler à Albus.
- Je peux m'en charger.
- Non, Minerva. Laisse-moi faire.
Le lendemain, nous étions convoqués dans le bureau du directeur. Abraxas Malfoy, arborant son plus beau sourire, nous y attendait accompagné de son fils et d'Albus Dumbledore, assis à son bureau. À peine étions-nous entrées dans la salle que Malfoy commença sa diatribe qu'il avait visiblement préparée dès l'instant où son fils lui avait envoyé le hibou racontant ce qu'il avait vu. Il se délectait de chaque mot avec une condescendance qui me donnait envie de vomir. Nous l'écoutions sans parler, sans même nous regarder, comme deux enfants prises en faute. Albus lui, ne nous quittait pas des yeux. Comme s'il n'écoutait pas Abraxas. Lorsque celui-ci eut terminé, le directeur le remercia d'avoir porté à sa connaissance ce qu'il nomma « un problème de personnel » et le congédia. Avant de partir, Abraxas me glissa à l'oreille : « Une souillure de plus à ton sang. Prépare tes bagages ! »
- Pomona, soyez assez aimable pour nous laisser, je vous prie.
- Albus, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je souhaiterais rester.
- Je sais que vous tenterez tout pour que je ne me montre aucunement sévère avec Minerva. Malheureusement, elle est directrice adjointe de l'école. Elle se doit de se montrer irréprochable, bien plus que vous. Et je vous connais assez pour savoir que ces… indiscrétions n'étaient pas à votre initiative.
- Permettez-moi de protester. Minerva n'aurait jamais…
- Vous la défendez, ce qui vous honore, mais je souhaite entendre la vérité de la bouche de Minerva. Et souhaiterez avoir un mot en privé avec elle.
Pomona me lança un dernier regard avant de partir. Albus m'invita à m'asseoir, mais je préférais rester debout, commençant à faire les cent pas. Je m'attendais au sermon initié par Poppy, mais à la place de cela, il me demanda si je me souvenais de notre conversation remontant à un mois après mon arrivée au château. Ma mère venait à cet instant de m'apprendre que Dougal venait de se marier. Albus m'avait surprise en train de pleurer dans mon bureau et nous avions passer la nuit à parler, à cœur ouvert. Je lui avais alors évoqué les sentiments de Pomona à mon égard et il m'avait avoué son amour pour Grindelwald.
- Vous souvenez-vous de ce que je vous avais dit à cet instant ?
- Que les responsabilités réclamaient parfois des sacrifices.
- Exactement. Vous avez des responsabilités, Minerva. Vous n'êtes pas n'importe qui. Alors vous comprenez pourquoi cette petite histoire ne peut pas durer.
- Je vous demande pardon ? Que je sache, Pomana n'est pas un mage noir ! Elle ne met pas en péril ce château ! Je ne vois pas en quoi notre relation…
- Posez-vous les bonnes questions, Minerva. Aimez-vous cette école ?
- Oui, mais…
- Aimez-vous votre métier ?
- Bien sûr, mais…
- Souhaitez-vous continuer à être ma directrice adjointe ?
- Bien entendu, mais je ne vois pas…
- Alors vous comprendrez que vous devez vous plier à mes règles. Et si vous ne le faites, acceptez du moins de reconsidérer si vos désirs valent le prix que vous devrez payer.
- Quel prix ?
Il se leva et me tendit une lettre. Je reconnus aussitôt l'écriture de ma mère. En la parcourant rapidement, je découvrais que mon père était mourant. Je réalisais alors que je ne leur avais pas vu depuis plusieurs années et que mes lettres, souvent très courtes, omettaient de prendre de leurs nouvelles. Ma mère avait dû comprendre par là que j'étais trop occupée par mon travail et n'avait pas souhaité m'alarmer en me tenant au courant de l'état de santé de mon père. Les larmes me montèrent aux yeux alors qu'Albus continuait d'enfoncer le couteau dans la plaie.
- Vous étiez si distraite par votre relation que vous n'avez même pas pris la peine de visiter vos parents ou vous préoccuper de leur sort. Et maintenant, il ne vous reste que peu de temps pour tenter de vous racheter auprès de votre père qui a été plus qu'affliger d'apprendre que sa fille bien-aimée était bien trop occupée à se prélasser dans les bras de son amante pour s'inquiéter de son sort.
- Comment avez-vous osé ? crachais-je en serrant les poings.
- Votre mère était inquiète de ne pas recevoir de lettres de votre part et tenait à s'assurer que vous soyez en bonne santé. Ironique, n'est-ce pas ? Et je lui devais bien la vérité.
- Ce n'était pas votre droit !
- Écoutez-moi bien, Minerva. Je ne vous laisserais pas perdre votre père sans avoir eu la chance de pouvoir lui dire la vérité. J'ai laissé mon amour passer avant ma famille, et j'ai perdu l'être qui m'était le plus cher. Ne reproduisez pas mes erreurs, Minerva. Allez trouver votre père, expliquez-vous avec lui. Et lorsque vous reviendrez, vous comprendrez que votre relation avec Pomona doit cesser. Elle altère votre jugement et votre âme. Je sais ce qu'est une passion dévorante et j'ai besoin de votre esprit lucide à mes côtés. Partez maintenant.
- Il est étrange de remarquer comment certainement ont tendance à se déclencher de manière concomitante, comme s'ils étaient liés irrémédiablement. En arrivant chez mes parents, ma mère m'apprit que Dougal avait été tué par des mangemorts ainsi que sa femme et ses enfants. Je n'eus pas le temps de me recueillir sur la mort de mon premier amour qu'elle m'amenait voir mon père. J'étais arrivée à temps pour lui dire au revoir, non sans devoir faire face au sermon que j'attendais sur mon amour saphique. Le moment le plus pénible fut lorsqu'il me tendit une Bible et me demanda de jurer dessus de ne plus jamais avoir de relations avec une femme. J'aimais tellement mon père. Je l'ai toujours tant admiré. Jamais je n'avais eu de secret pour lui. Jamais je ne lui avais menti. Ce soir là, avant son dernier souffle, je posais la main sur la Bible, et jurais, la mort dans l'âme.
Alors que je regagnais Poudlard, une lettre m'attendait sur mon bureau. Elle était Elphinstone, l'ancien directeur de mon département au Ministère de la Magie. Il venait de prendre sa retraite et me demandait une nouvelle fois de le rencontrer à Pré-au-lard. Depuis que j'avais quitté son service, il m'avait rendu visite déjà par deux fois, me demandant en mariage. Je me doutais que cette nouvelle rencontre me vaudrait une nouvelle demande. Je songeais alors à mon père, à Albus, à Pomona que je n'avais pas revu encore depuis cette fameuse convocation chez le directeur. J'avais ignoré tous ses courriers. Je savais, j'avais compris alors que Albus ne m'avait laissé d'autres choix. Soit je renonçais à Pomona, soit il la renverrait. Et elle aimait beaucoup trop son travail pour que je n'envisage qu'un seul instant d'être la cause de ce renvoi.
Après deux jours de réflexion, je finissais par frapper à la porte de Pomona. Elle m'ouvrit avec un soupir de soulagement, me sautant dans les doigts. Cela faisait… tellement mal. Elle m'invita à m'asseoir, mais je refusais, restant près de la porte. Je lui racontais ce qu'il s'était produit ces derniers jours : Dougal, la mort de mon père, Elphinstone… Elle eut un petit éclat de rire lorsque je lui dis qu'il m'avait fait sa proposition une nouvelle fois.
- Comment il a réagi alors ?
- J'ai accepté.
- Pardon ?
Pomona se laissa tomber sur l'ottomane, livide. Il m'était si difficile de ne pas courir vers elle, lui assurer que je l'aimais, que je faisais tout ceci pour calmer l'esprit de Dumbledore… Mais il y avait autre chose. Ma promesse. Je lui répétais donc que j'allais épouser Elphinstone et que nous ne devions plus jamais nous connaitre intimement. Contrairement à ce que j'aurais pu penser, elle resta calme. Elle me dévisagea quelques instants, comme si elle tentait de lire dans mes pensées, puis se leva.
- Alors qu'attends-tu pour partir ? Que je te fasse une scène ? Que je te dise, une nouvelle fois, à quel point tu te trompes ? Non, je n'en ai plus la force, Minerva. Si tu ne m'aimes plus, c'est…
- Bien sûr que si, Mona…
- ALORS POURQUOI ? Tu n'es pas comme Albus, Minerva. Contrairement à lui, tu n'es pas lâche. S'il faut vivre cachées, soit. S'il faut garder le secret, soit. S'il faut se voir une fois par mois ou par an, soit. Quand bien même il faudrait nous contenter d'une relation amicale, soit ! Mais pour l'amour de Dieu, Minerva, ne le laisse pas croire, ni lui, ni personne, que tu n'as pas droit au bonheur ou que tu doives te jeter dans les bras d'un homme pour entrer dans une norme stupide !
- Tu ne sais rien de ce que cela peut faire ! Mon père, sur son lit de mort, m'a fait jurer… Je ne peux pas aller contre cela…
Pomona me regarda longuement, les mains sur les hanches avant de me lancer avec une pointe de mépris dans la voix.
- Oh que si, je sais. Mais j'ai compris, bien plus que ton père, ce qu'était Dieu et ce que je suis. J'ai lu ce livre, d'une moldu, une certaine Anne Lister qui dit ceci : « Je suis venue au monde ainsi. J'obéis aux ordres du Tout-Puissant. Partager la couche d'un homme serait pour moi contre nature, contre la volonté de Dieu. Le Seigneur nous a créé, tous sans exception avec nos richesses et nos différences. » Les sentiments que je t'ai inspirés sont son œuvre. Libre à toi désormais de te torturer comme bon te semble en te jetant dans les bras de cet homme. Moi je connais ta vérité.
Avant même que je puisse ajouter quoi que ce soit, elle me fit sortir. Je restais un moment là, interdite, entendant de l'autre côté de la porte les sanglots de mon amie. Ses paroles me hantèrent tandis que je prononçais mes vœux face à un Elphinstone rayonnant de bonheur. Il fut un mari si parfait. Je ne dirais pas que je fus amoureuse de lui et il en avait pleinement conscience. Je l'avais mis au courant de mon histoire, et il se passait rarement un soir sans que je ne lui parle de ma journée, des difficultés que j'éprouvais à me retrouver dans la même pièce qu'elle. J'étais presque soulagée de passer chaque nuit les portes du château et de rentrer à Pré-au-Lard.
La mort d'Elphinstone me porta un coup fatal. Contrairement à Pomona, je ne pus le sauver de la tentacula vénéneuse. Son cœur était bien moins solide, et je suis arrivée trop tard pour l'aider. Les gens se succédèrent dans ma petite maison pour faire un dernier adieu à mon époux ou pour m'assurer de leur soutien. Je savais que Pomona ne viendrait pas. Mais j'attendais bien une personne qui arriva au troisième jour. Lorsqu'il passa le porche, je l'invitais à me rejoindre à l'étage. Je regardais par la fenêtre la neige tombée et me retournais, plus décidée que jamais.
Albus, je vais être sincère avec vous. J'ai tenté de me conformer à vos souhaits. Mais je ne suis pas comme vous. Vous êtes un sorcier exceptionnel et vous avez une force morale dont je suis incapable. Je suis désormais convaincu qu'il n'y a aucun bien à retirer de refuser les évidences. J'ai par deux fois rejeté Pomona, et tout ce qu'il en a résulté est un profond chagrin et la mort d'un homme. Soyez assuré que jusqu'à mon dernier souffle, je combattrais pour ce château et ses lèves. Mais sachez que ce souffle ne m'est inspiré que par Pomona. Sans elle, je ne suis rien. Alors, c'est à prendre ou à laisser, Albus.
Il garda le silence un instant puis se leva.
Je pensais que nous partagions un même fardeau, et j'ai cru bon de vous encourager dans ma voie. Mais en effet, vous n'êtes pas moi. Et je dois dire que j'admire le professeur Chourave. Je ne l'aurais pas cru capable d'une telle abnégation. Je serais fou de vouloir me mettre entre vous. Je garderais votre secret, Minerva.
Il me laissa seule préparer les obsèques et me donna le temps que je désirais pour reprendre le travail. J'ignorais comment confronter Pomona, lui dire que ma fuite était terminée, que désormais, si elle voulait toujours de moi, je serais à elle, maintenant et à jamais. Et une fois de lui, c'est elle qui vint à moi.
Nous avons regagné le château et Pomona m'a servi une tasse de thé, non sans y avoir ajouté une petite goutte de whiskey avant. Après une gorgée, je me laissais tomber sur le dossier de l'ottomane et la regardait longuement, comme si c'était la toute première fois. Ses ongles coupés courts sous lesquels restaient quelques traces de terre, ses longs cheveux bouclés ramenés négligemment sur sa nuque, le tic nerveux de sa jambe appuyée sur la pointe du pied au sol… Tout ceci m'avait tellement manqué.
Sans un mot, je déposais ma tasse sur la table basse et la prenais dans mes bras dans une étreinte que je fis durer autant qu'il m'était possible. Mina's dream vint me chatouiller de nouveau les narines, me procurant immédiatement un sentiment de retour au foyer. J'étais là où je voulais rester pour le reste de mes jours, dans les bras de celle que j'aimais.
Il n'est jamais trop tard pour deux cœurs qui s'aiment d'un amour sincère de se trouver et de se garder, malgré les obstacles de la vie.
THE END
