Drago avait appris que ses chansons avaient fini par toucher l'Amérique. Le single Tu es le seul, cartonnait aux Etats-Unis et Petronilla avait de plus en plus de succès là-bas. C'était la consécration de sa carrière, sans doute, elle était excitée et heureuse. Il le sentait dans ses lettres ou dans sa voix quand elle lui rendait visite. Il souriait à son bonheur, il l'encourageait. Quand il avait fumé une Oubliette juste avant, il était vraiment heureux pour elle, il riait et s'excitait avec elle de ce que cela allait engendrer. Quand l'Oubliette ne faisait plus effet, il plaquait un sourire sur son visage et disait que « Oui, c'est merveilleux, tu dois être contente », en essayant de lutter contre la jalousie et l'amertume qu'il ressentait. Elle prévoyait de faire une tournée aux Etats-Unis, ça allait être incroyable. Il la croyait sur parole. Son horizon à lui ne dépassait pas la petite cour d'Azkaban.

L'Oubliette rendait sa vie plus supportable, ou du moins, c'était l'impression qu'il avait. C'était faux, bien sûr, c'était factice, mensonger, la sensation de bonheur ne durant que quelques heures avant de le plonger dans le désespoir. Il s'habituait au bonheur et il s'habituait au désespoir. La paix qu'il ressentait valait bien la tristesse qui suivait, il en était finalement convaincu. Franck avait arrêté de faire des remarques mais il observait tout cela d'un regard sombre et attristé. Drago sentait qu'il avait déçu Franck et c'était un sentiment insupportable. Heureusement que l'Oubliette le dissipait.

Pendant un temps, Jimmy alla mieux. Il se sentait moins angoissé et moins menacé. Il racontait à Drago, d'un air excité d'enfant, que l'Oubliette faisait taire les voix qui l'agressaient et qu'il n'avait plus peur. Tant mieux pour lui, sans doute, songeait Drago sans vraiment comprendre de quoi Jimmy parlait. Ce fut assurément la période la plus heureuse de leur vie à Azkaban, même si elle était induite par une drogue dégueulasse qui détruisait leurs cerveaux. Ils faisaient ce qu'ils pouvaient. Ce fut à cette période-là que la prison parut la moins étroite à Drago et la moins douloureuse. A cette époque-là aussi que Kyle se fit le plus silencieux dans sa tête et que Harry disparut de ses pensées. A cette époque-là que Jimmy entra un jour dans la cellule de Drago, un grand sourire aux lèvres.

- Regarde ce que j'ai réussi à choper ! s'écria-t-il en montrant à Drago le préservatif magique qu'il tenait précieusement, comme un trésor. C'est Noël avant l'heure ! J'adore les branlettes et les pipes mais j'ai terriblement envie d'essayer autre chose.

Drago aussi, surtout après avoir fumé. Ils virèrent Franck qui s'enfuit en les insultant et ils se perdirent un peu dans la brume de l'Oubliette avant de se déshabiller. La paix qu'ils ressentaient leur faisait oublier qu'un gardien pouvait passer, que des détenus pouvaient les voir en se baladant dans le couloir. Ils s'en foutaient. Drago s'allongea sur Jimmy, dans la couchette du haut et soupira en s'enfonçant en lui. Jimmy soupira aussi et ce fut bon, diablement bon, ça les fit transpirer et rire, ça colora un peu les murs de la cellule.

Ce fut à cette époque-là aussi qu'un nouveau prisonnier arriva à Azkaban, un certain Jesse, tatoueur de sa profession. Il demanda la permission d'exercer son art sur les prisonniers qui le souhaitaient. Le directeur accepta, tenté, il n'avait aucune raison de refuser. Jimmy fut tout de suite enchanté et il ne parla que de ça pendant des jours.

- Je veux des papillons, disait-il en boucle. Des papillons partout ! Je veux qu'ils volent sur moi, ce serait bien.

Drago l'écoutait, souriant, amusé par son enthousiasme.

- Et toi ? disait Jimmy. Qu'est-ce que tu voudrais te faire tatouer ?

Drago n'en avait aucune idée.

- Qu'est-ce qui te rend heureux ? Qu'est-ce que tu aimes dans la vie ? Tu n'as pas un bon souvenir ? Moi je crois que ça me plairait aussi de me tatouer un blaireau, là, sur le bras. J'étais bien à Poudlard, c'était chouette. Il y avait Aaron et on était bien, on s'amusait bien.

Jimmy semblait oublier qu'il avait essayé d'étrangler Aaron et Drago se garda de le lui rappeler. D'ailleurs, Jimmy n'en parlait jamais et Drago se demandait s'il ne l'avait pas réellement oublié. Clia Klein lui avait appris que ça pouvait arriver, quand le traumatisme était trop fort et trop intolérable. Drago ne doutait pas qu'il l'était. Il accompagna donc Jimmy se faire tatouer son blaireau. Il commençait par le tatouage le plus petit, pour voir. Pendant que Jesse travaillait, Drago réfléchissait aux questions de Jimmy. Quelque chose qui le rendait heureux ? Un souvenir heureux ? Il aimait écrire des chansons mais il n'avait pas envie de se tatouer ça. Il n'avait jamais été particulièrement heureux à Poudlard et il n'en gardait pas de très bons souvenirs. Il avait été heureux avec ses parents, enfant, quand il était encore insouciant. Quand son père l'aimait encore et que sa mère lui caressait les cheveux après un cauchemar. Il était heureux dans sa chambre, à l'abri du monde.

Finalement, emporté par l'ardeur de Jimmy et par l'euphorie de l'Oubliette, il se fit tatouer du lierre sur le bras, qui s'enroulait autour de lui et remontait jusqu'à son épaule. Comme le lierre qui recouvrait la tourelle de sa chambre et qui courait sur les murs du manoir. Son manoir que Kyle avait détruit. Ça lui fit mal mais il aima le résultat, contre toute attente. C'était joli. Jimmy adorait. Deux semaines après son blaireau, il se fit tatouer des papillons dans le dos, de toutes les couleurs. C'était beau et impressionnant, Jimmy semblait au bord de l'extase. Il disait qu'il sentait ses papillons voler sur sa peau, qu'il espérait bien s'envoler avec eux, un jour. Drago hochait la tête, habitué aux délires de Jimmy, trouvant que ceux-ci avaient le mérite d'être poétiques.

- Et moi, qu'est-ce que je pourrais me tatouer dans le dos ? demanda Drago, heureux et fatigué, allongé sur sa couchette à côté de Jimmy.

Jimmy se redressa et parsema le dos de Drago de baisers chauds et langoureux.

- Un dragon, dit Jimmy en arrivant aux fesses de l'autre. J'adore ton prénom, c'est merveilleux de s'appeler comme ça.

Il était bien le seul à le penser. En général, les gens se foutaient du prénom de Drago.

- Ah bon ? Souffla-t-il.

- Oui. Les dragons, c'est magnifique, c'est fort et puissant. Et ça vole ! On pourrait s'envoler ensemble comme ça, ce serait bien.

Parfois, les délires de Jimmy faisaient peur à Drago et parfois, ils le faisaient frémir de quelque chose de bizarre. Parce qu'ils rendaient Jimmy unique et que personne d'autre ne lui dirait jamais des choses comme ça. Il laissa les paroles de Jimmy couler en lui puis il alla voir Jesse pour demander un dragon. Cela exigea plusieurs jours pour le terminer mais le résultat en valait la peine. C'était un Boutefeu chinois, rouge, aux ailes déployées. Sa longue queue descendait au creux des reins de Drago, sa tête se nichant entre ses omoplates. Les ombres rendaient le dessin joli, sombre et parfait. Il ne regretta pas son choix.

Ils avaient été nombreux à aller voir Jesse et à lui demander un tatouage. Puisqu'ils étaient coincés là, puisque leur matricule serait à jamais gravé sur leur peau et que leur expérience à Azkaban les marquerait pour toujours, autant recouvrir tout cela de motifs qu'ils avaient choisis. Comme un souvenir de la prison, comme une tentative de se réapproprier un corps qu'on avait brimé et enfermé. Visiblement, ça ne plaisait pas à tout le monde. Les Mangemorts semblaient considérer que c'était trop moldu pour eux et méprisaient ceux qui allaient voir Jesse. Une marque de magie noire laissée par un sorcier tyrannique, c'était bon mais un tatouage, non. Drago les détestait encore plus et ignorait leurs remarques acerbes sur les misérables qui laissaient un Né-Moldu les graver comme des objets. Ils ne comprenaient vraiment rien.

OoOoOoO

Avoir Teddy avec lui changea la vie de Harry, évidemment. Il avait en permanence un enfant à ses côtés, qu'il devait protéger, écouter et aimer. Teddy était triste et inquiet pour sa grand-mère, elle lui manquait et il demandait souvent de ses nouvelles. Il était toutefois heureux d'être avec Harry aussi. Il aimait surtout quand c'était la semaine où Albus venait, ça lui donnait l'impression d'avoir un petit frère et il adorait ça. Ils allaient se promener dans la campagne vallonée qui entourait Pré-au-Lard, observant les hautes tours de Poudlard qui se découpaient à l'horizon. Ils couraient avec Vega, grimpaient dans les arbres, se laissaient rouler dans les pentes herbeuses. Au retour, Harry devait porter Albus sur ses épaules car le petit garçon était souvent trop fatigué pour revenir à pied.

Andromeda avait donné des leçons de toute sorte à Teddy jusqu'à présent mais Harry ne se sentait pas capable de continuer lui-même. Il envoya donc Teddy chez l'une de ses voisines, celle qui s'occupait des enfants de neuf et dix ans. Cela permit à Teddy d'avoir des amis de son âge, pour la première fois de sa vie. Il racontait tout cela à sa grand-mère quand ils allaient la voir à Ste Mangouste. Elle était faible mais elle tenait bon. Harry se demandait combien de temps elle tiendrait. Les guérisseurs avaient des remèdes qui permettaient de repousser l'échéance et de donner un peu plus de temps aux malades, mais ils n'avaient rien pour les guérir. C'était le prix à payer, disait Andromeda, le prix à payer pour cette folie de Sang Pur. Un sang tellement pur qu'il les tuait à petit feu.

Le printemps arriva et Abelforth montra à Harry et Teddy comment s'occuper des ruches et comment récolter du miel. Il avait appris à Harry à faire des compotes avec les pommes de leurs pommiers ou encore des confitures avec les framboises qui poussaient dans le jardin. Harry adorait ces moments-là, plus qu'il n'aurait su le dire. Il se rendit compte que personne ne lui avait jamais appris les choses de la vie de cette façon. Evidemment, il n'avait pas de parents. Sirius ne lui avait rien enseigné et Remus avait enseigné des trucs de prof. Dumbledore lui avait appris à mourir et à survivre. Personne n'avait pris le temps de lui montrer comment faire à manger, comment s'occuper d'un arbre ou d'une poule, comment repriser des vêtements ou coudre des boutons. Abelforth faisait tout cela, habitué à se débrouiller seul comme il l'était. Harry trouvait cela délicieux. C'était comme avoir un père, enfin, un vrai, qui lui confiait son savoir et lui apprenait à se démerder dans la vie.

Harry et Teddy s'occupaient donc des abeilles et des arbres fruitiers. Harry avait acheté des plants de cerisiers et de poiriers, pour varier les plaisirs. En été, ils ramasseraient les mures sauvages qui poussaient le long des murets de la propriété et ils feraient de la confiture. Teddy était assez grand pour aider vraiment et Albus assez grand pour assister un peu. C'était doux et paisible. Hermione lui faisait remarquer qu'il parlait de moins en moins, Ron disait qu'il ressemblait de plus en plus à un paysan rustre. Ça ne faisait rien, il s'en fichait. Il ne parlait qu'à ses garçons et c'était bien suffisant. Il n'était pas heureux mais il se sentait en paix, c'était étrange comme sentiment, il avait du mal à le décrire. Il y avait encore de la colère en lui mais elle somnolait.

Quand il apprit que Ginny s'était mariée avec Mikhaïl, il ne sut pas très bien ce que cela lui inspira. Pas grand-chose à vrai dire. Hermione lui raconta que Molly était dans tous ses états parce qu'ils l'avaient fait secrètement en Russie, sans en parler à personne, une semaine où Albus était chez Harry. Et selon Molly, c'était trop rapide. Leur divorce remontait à deux ans à peine, elle n'aurait pas dû, bla bla bla.

- C'est pour cela que je préfère ne plus trop les voir, dit Harry. Quoi qu'on fasse, ils jugent. Je sais que Molly veut le bonheur de ses enfants mais ne pourrait-elle pas les laisser trouver leur bonheur comme ils le souhaitent ?

Ron était d'accord avec lui, au fond, et il le lui dit. Cela acheva de les réconcilier, surement. Si la nouvelle du mariage avait chamboulé les Weasley et laissé Harry globalement indifférent, ce ne fut rien à côté de l'annonce de la grossesse de Ginny, quelques mois plus tard. Molly et Arthur furent plutôt heureux, Harry perturbé. Il espérait que ça ne changerait rien pour Albus, qu'il ne serait pas laissé à l'écart.

Harry lui posait des questions, pendant qu'ils faisaient des confitures. Était-il content d'avoir un petit frère ou une petite sœur ? Oui, assurait calmement Albus, ce serait bien. Il pourrait lui apprendre des choses. Il avait quatre ans, il se sentait prêt à être un grand frère. Albus ne parlait pas beaucoup, il ressemblait à son père. Il était toujours calme et attentif, il observait et se taisait. Il préférait vivre avec son père, avec le chien, les poules et la campagne plutôt que dans la maison luxueuse de sa mère et son beau-père. Il ne le disait jamais, bien sûr. Il aimait Teddy qui parlait pour deux. Il préférait les attentions bourrues d'Abelforth aux câlins de sa grand-mère. Ça ne voulait pas dire qu'il n'aimait pas sa mère et sa grand-mère, non. Il aurait été triste de ne plus les voir. Mais le silence et la campagne de Harry lui plaisaient plus.

A la fin de l'année 2008, Albus eut une petite sœur du nom de Katerina. Elle promettait d'être rousse comme sa mère et Harry félicita chaleureusement Ginny. Sans rancune, ou presque. Elle était nettement plus heureuse et épanouie que lui mais elle n'y était pour rien et il aurait été odieux de lui en vouloir pour cela.

OoOoOoO

Les Oubliettes avaient maintenu Jimmy dans une paix relative qui avait duré un certain temps mais qui vola en éclat un jour d'hiver. Cela aurait été un mensonge de dire que Drago ne l'avait pas vu venir, il l'avait vu. Les mots s'étaient faits plus rares dans la bouche de Jimmy et son visage s'était mis à perdre ses expressions, de plus en plus, jusqu'à redevenir le masque funéraire qu'il était au départ. Ses idées délirantes étaient revenues, insidieusement. Avoir une conversation était devenu de plus en plus difficile, au milieu des silences et des réponses incohérentes. Et puis ça avait explosé. Ça avait commencé dans l'après-midi, quand Jimmy n'avait pas voulu faire l'amour et s'était éloigné de Drago, l'air terrifié.

- Il va me dévorer. Le dragon, il va me dévorer.

Il s'était réfugié dans sa cellule et s'était recroquevillé sur sa couchette, sans parler, un sourire atroce sur le visage. Drago l'avait laissé tranquille, blessé et triste, espérant que ça passerait. Ça n'était pas passé cependant et tout était parti en vrille lors du dîner. Le monde dans le réfectoire, peut-être, la lumière, le bruit. Ou bien peut-être que ce serait arrivé quel que soit l'endroit. Jimmy ne mangeait rien et avait des gestes nerveux de la tête, comme s'il était embêté par un moustique bourdonnant à ses oreilles. Franck l'observait, silencieux et tendu. Drago était inquiet. A la table, les autres détenus finirent par regarder Jimmy et chuchoter entre eux, l'air de se dire que le gamin avait à nouveau pété les plombs. Drago leur demanda de la fermer, d'une voix hargneuse qui fit taire tout le monde. Malgré ça, Jimmy se prit la tête entre les mains, serrant le plus fort qu'il put, comme s'il voulait se broyer le crâne.

- Stop, dit-il.

Personne ne sut à qui il parlait. Il se leva du banc et s'éloigna pour se serrer contre le mur du réfectoire.

- Stop, répéta-t-il. Tais-toi, stop. Tais-toi ! TAIS-TOI !

Il s'était mis à hurler et tout le monde se tourna vers lui, dans un silence lugubre qui tomba sur la salle. Deux gardiens s'approchèrent lentement.

- Non, ta gueule, ne dis pas ça. Arrête ! Ne me parle pas comme ça. Non, ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai ! Je ne suis pas un assassin, non, non. Ta gueule !

Il ne s'arrêtait pas et de toute évidence, il se parlait tout seul. Les détenus murmurèrent entre eux, les gardiens hésitaient. Drago se leva pour s'approcher de Jimmy, effrayé.

- Jimmy, supplia-t-il. Jimmy qu'est-ce qu'il y a ? A qui est-ce que tu parles ?

Jimmy ne l'entendait pas. Il continua à crier contre l'invisible puis son attitude changea et il s'accroupit contre le mur. Sa voix devint plus aigüe, comme celle d'un enfant.

- Non, arrête, ce n'est pas vrai. Je ne suis pas un assassin, je ne voulais pas faire ça. Pitié, arrête. Non, non, ne me parle pas du train. Je ne veux pas aller voir le train. Maman, est-ce que je suis obligé d'y aller ? S'il te plait, je ne veux plus y aller.

Drago s'accroupit à son tour pour le regarder. Il tendit la main vers Jimmy, hésitant.

- Jimmy… Personne ne t'oblige à y aller, ce n'est pas grave.

Jimmy s'écarta violemment de lui et son visage devint haineux. Il eut un geste, comme s'il voulait mordre Drago.

- Dégage ! Le dragon veut me dévorer, dégage ! Il va me sucer le sang, comme un vampire. Tu vas me sucer le sang ! Tu vas me sucer, tu vas me sucer, dégage !

Drago le fixa, horrifié. Dans son dos, les détenus murmuraient plus fort, presque avec mépris et amusement cette fois. Les gardiens décidèrent d'intervenir maintenant. Ils attrapèrent Jimmy qui se mit à hurler et à se débattre tandis que Drago les suppliait de ne pas lui faire mal. Finalement, ils neutralisèrent Jimmy et l'emmenèrent à l'infirmerie, ne sachant quoi faire d'autre. Là, on lui donna des potions qui le calmèrent. Le guérisseur dit qu'il fallait arrêter l'Oubliette, que ça allait aggraver son cas. Quand Drago vint le voir, Jimmy n'essaya pas de reculer. Il se contenta de fixer Drago d'un regard vide, aussi vide que l'expression de son visage.

Jimmy sortit de l'infirmerie, abattu par les potions qu'on lui avait données. Elles faisaient taire les voix dans sa tête, de toute évidence, mais elles faisaient aussi taire tout le reste. Jimmy était totalement apathique et Drago dut à nouveau l'emmener dans les douches pour le laver. Il veillait à ce que Jimmy mange et boive. Il le serrait contre lui et lui caressait les cheveux, inquiet, souffrant de voir son compagnon comme ça.

Il écrivit une lettre à Clia Klein pour lui parler de Jimmy. Il voulait avoir son avis, il voulait des réponses, il voulait l'aider. Clia vint le voir et eut l'air triste en disant qu'elle avait bien reçu sa lettre. Oui, elle avait une bonne idée de ce dont Jimmy souffrait et non, elle ne pouvait pas l'aider. C'était justement pour cela qu'elle se battait, avec Gabriela autrefois. Pour soigner les sorciers comme Jimmy dont la communauté magique ne savait pas quoi faire. D'ailleurs, elle avait contacté le Sorcier Libre, elle avait une interview avec Oliver Fudge la semaine prochaine. Elle s'était constitué un réseau, elle voulait obtenir un poste à Ste Mangouste pour y faire de la psychologie. Si elle y arrivait, il faudrait que Jimmy vienne la voir à sa sortie. Elle pourrait peut-être l'aider à ce moment-là.

Drago était effondré, pas autant que Jimmy bien sûr mais effondré quand même. C'était terrible de voir quelqu'un qu'on aimait dans cet état-là, de savoir qu'il existait un moyen de l'aider et que tout le monde s'en foutait. Il aurait aimé sortir Jimmy d'Azkaban, le confier à Clia et le sauver. Il ne pouvait pas. Il se contentait donc de tenir Jimmy contre lui et de faire en sorte qu'il reste en vie. Au bout de quelques temps, Jimmy sembla se reconnecter avec lui-même, à peu près, et se remit à manger tout seul. Dans la cour, alors qu'ils regardaient les vagues poussées par le vent, Jimmy dit brusquement, d'une voix qui n'était pas tout à fait la sienne :

- J'ai étranglé Aaron. C'était mon meilleur ami.

Puis il ne parla plus pendant des jours.

OoOoOoO

En septembre 2009, Teddy entra à Poudlard. Ce fut un déchirement pour Harry et Albus, bien plus que Harry s'y attendait. Il trouvait cela totalement insupportable qu'encore une fois, on veuille lui arracher une personne qu'il aimait. Les autres le supportaient peut-être, mais pas lui. Peut-être que les autres s'en foutaient de perdre leurs enfants à leurs onze ans, mais pas lui. Il intégra donc le Conseil d'administration de Poudlard en utilisant son nom, pour une fois. Il savait qu'on l'avait chaudement accepté parce qu'il était Harry Potter et c'était tout ce qu'il voulait. Il suggéra, dès la première réunion, de modifier le fonctionnement de l'école. Pourquoi les enfants ne pouvaient-ils pas rentrer chez eux le weekend ? Après tout, ils étaient des sorciers, ils avaient suffisamment de moyens de transports magiques et efficaces pour renvoyer les enfants chez eux. Était-ce réellement nécessaire à la scolarité des enfants qu'ils soient arrachés à leur famille dès onze ans ? Les autres membres du Conseil furent abasourdis, on n'avait jamais discuté de ça, c'était la tradition, c'était comme ça, on n'avait jamais fait autrement. Mais effectivement, on n'avait pas vraiment de raisons de maintenir ça non plus. Oui c'est sûr, ce n'était pas réellement nécessaire. Plusieurs parents d'élèves membres du conseil se mirent à dire qu'ils étaient d'accord avec Harry. Il y eut des débats, il y eut un vote, puis on annonça au professeur McGonagall que désormais, les enfants pourraient rentrer chez eux le weekend.

- Mais… nous n'avons rien pour superviser…

- Il suffit de relier les cheminées au réseau de Cheminettes, il y en a suffisamment comme cela à Poudlard, professeur.

- Dans ce cas, n'importe qui pourrait entrer !

- Je suis certaine que vous trouverez un moyen de sécuriser les cheminées durant la semaine, rétorqua la présidente du Conseil d'administration.

- Et que ferons-nous des enfants dont les parents ne peuvent ou ne veulent pas les récupérer le weekend ?

- Pourquoi des parents ne pourraient-ils pas récupérer leur enfant ? demanda sèchement Harry. Et s'ils ne le veulent pas, alors c'est inquiétant, peut-être cela vous permettra-t-il de repérer les familles qui ont un problème et d'agir en conséquence. Vous êtes une école après tout.

Pour finir, il y eut des aménagements à Poudlard et les enfants rentrèrent chez eux chaque weekend. En vérité, cela plut à beaucoup de monde. La Gazette et le Sorcier Libre firent un article sur le sujet et on remarqua que seuls les vieux critiquaient la réforme, arguant que de leur temps, on ne rentrait qu'aux vacances et qu'on s'en portait très bien. A côté de ça, il y eut beaucoup de témoignage de parents se disant ravis de voir leurs enfants plus souvent. Certains disaient même que leur enfant avait retrouvé le sourire depuis qu'il savait qu'il rentrerait plus souvent. On associa cette réforme à Harry Potter, puisqu'il l'avait proposée et défendue. Il aurait préféré qu'on ne parle pas de lui mais tant pis, il assumait pleinement d'avoir changé les choses à Poudlard. Il aurait souffert, lui, de rentrer chez les Dursley tous les vendredi soir mais pas de rentrer avec Ron chez les Weasley. Il aurait même adoré ça.

Teddy rentrait à pied chaque vendredi, descendant la longue allée qui menait à Pré-au-Lard. Harry l'accueillait avec un sourire bourru et une caresse dans les cheveux. Il l'écoutait parler des professeurs, des cours, de ses camarades de Poufsouffle, du Quidditch. C'était bien et l'enfant semblait heureux. Il aidait Harry à servir au pub, il l'aidait à nettoyer et à ramasser les œufs. Parfois, Harry était obligé de lui dire qu'il savait bien qu'il le faisait pour éviter de faire ses devoirs et ça suffit maintenant, va faire ton travail, ne redescends que quand tu auras terminé, je vérifierai !

En novembre 2009, Abelforth mourut. Ce fut Harry qui le trouva dans la cour, étendu près du potager. Les guérisseurs dirent que son cœur s'était arrêté, il était vieux. Harry le pleura beaucoup et l'enterra dans le petit cimetière de Pré-au-Lard. Il y eut beaucoup de monde, presque tout le village. On connaissait Abelforth depuis longtemps. Teddy eut le droit de sortir de l'école pour assister aux adieux, Ron et Hermione vinrent également, de même que Neville qui se rappelait bien Abelforth. Hagrid pleura dans son mouchoir usé. Harry hérita de l'auberge. Il le savait, ils en avaient discuté l'année précédente. Abelforth avait demandé à Harry si cela lui plairait de posséder la taverne à sa mort ou s'il préférait faire autre chose une fois qu'il ne serait plus là. Harry voulait bien garder la Tête de sanglier, il se sentait bien ici. Abelforth avait été content.

Il dut embaucher quelqu'un pour l'aider à la taverne, il ne pouvait pas tout faire seul. Il avait ses garçons et il ne pouvait pas les laisser seuls tous les soirs. Il embaucha donc Nox, qui habitait chez ses parents, un peu en retrait de Pré-au-Lard. Nox avait une vingtaine d'années, des cheveux noirs qui lui tombaient devant les yeux, des jeans serrés qui laissaient voir ses jambes un peu trop minces et des pulls trop grands qui dissimulaient tout le reste. Nox parlait peu, ne respirait pas la joie de vivre et était efficace. C'étaient exactement les critères pour bosser à la Tête de sanglier. Harry l'aimait bien. Bien sûr, les clients avaient observé Nox avec curiosité au début, ils se posaient tous la même question. L'un d'eux, un peu plus vulgaire que les autres, avait fini par la lui poser un jour. Nox l'avait regardé avec haine et mépris.

- Qu'est-ce que ça peut vous faire ? avait craché Nox d'un ton hargneux.

Harry avait dû intervenir pour que le client, éméché et furieux, ne s'en prenne pas à Nox. Ils s'étaient retrouvés tous les deux dans les cuisines, derrière le comptoir, sous les yeux réprobateurs de Winky.

- Essaie de ne pas agresser les clients, avait conseillé Harry en soupirant.

- Il n'avait qu'à pas me demander ça.

- Oui… Au moins maintenant, ils ne recommenceront plus.

Tout s'était bien passé ensuite. Harry aussi s'était posé la question au sujet de Nox, bien sûr. Puis il avait décidé que ça n'avait aucune importance.

Un jour, Harry eut la surprise de voir débarquer dans sa taverne le professeur McGonagall et plusieurs professeurs de Poudlard qui venaient décompresser un peu et prendre un verre. D'habitude, ils allaient plutôt aux Trois balais mais ils avaient eu envie de changer. Et la Tête de sanglier n'était plus aussi mal famée qu'avant, même si les préjugés étaient coriaces. Harry salua Neville avec plaisir, il l'avait croisé à l'enterrement d'Abelforth et il savait que le jeune homme était devenu professeur de botanique quand Chourave avait pris sa retraite. A vrai dire, il ne restait plus grand monde de l'équipe d'autrefois en dehors de McGonagall et de Flitwick. Harry fit donc la connaissance de la nouvelle maitresse des potions, qui semblait bien plus avenante que Rogue, ce qui n'était pas très dur. Du professeur de Défense contre les forces du mal, un ancien Auror qui avait démissionné après la guerre contre Voldemort. Ils étaient tous enchantés de rencontrer Harry Potter, surtout l'ancien Auror qui avait vécu la guerre de près.

Il revint seul une autre fois. Il s'appelait Hugh Bennett, il avait une dizaine d'année de plus que Harry. Il avait combattu les Mangemorts pendant la guerre et même avant ça. Sa coéquipière et amie de longue date s'était fait torturer et tuer par Bellatrix Lestrange. Hugh avait démissionné après ça, dévasté et traumatisé. Il avait mis du temps à s'en remettre. Il enseignait à Poudlard depuis plusieurs années maintenant, c'était sa façon de se rendre utile et de mettre à profit les compétences qu'il avait. Harry aimait parler avec lui, ils avaient des douleurs en commun.

Hugh se mit donc à s'échapper de Poudlard pour venir voir Harry et coucher avec lui dès qu'il le pouvait. Ça les amusait, ils se sentaient rebelles et encore jeunes. Ça réveilla un peu Harry, qui était toujours taciturne, bourru et silencieux mais qui souriait quand Hugh venait le voir. Il se rendit compte à quel point il était ignorant sur le plaisir et sur les hommes, à quel point ses expériences avec Drago avaient été maladroites et tâtonnantes. Hugh savait y faire et il apprit beaucoup de choses à Harry, à donner du plaisir et à en recevoir, où toucher, où lécher, où caresser. Dans ces moments-là, Harry était bien content qu'Albus soit chez Ginny et Teddy soit à Poudlard. Il pouvait gémir comme il le voulait, il pouvait se laisser aller, il pouvait baiser Hugh jusqu'à ce que le lit grince et tremble.

Harry le savait déjà, au fond, mais il préférait être avec un homme. Pas de grossesse à redouter, pas de manières et de messages subliminaux que personne ne comprenait. C'était plus brut avec Hugh, ils ne parlaient pas de couple, de mariage ou de toutes ces conneries. Hugh ne le regardait pas avec agacement, l'air de vouloir qu'il devine un truc qu'il ne comprenait pas et Harry n'avait pas l'impression d'être un connard dès qu'il était honnête. Ils ne jouaient pas de rôle, ils n'essayaient pas d'être des hommes, des maris ou Merlin sait quoi encore. Ils étaient simplement eux, avec leurs souffrances, leurs mots, leurs silences, leurs émotions, leurs peaux et leurs queues. Et c'était bon, terriblement bon.

Un samedi, avec Albus et Teddy, Harry alla à la foire aux bestiaux qui se tenait dans la ville d'à côté et acheta une vache. Albus décida de l'appeler May, parce que c'était le mois de mai. Harry apprit à traire, Teddy et Albus aussi. Ils buvaient le lait de May, le matin, c'était parfait. Ils apprirent à faire du beurre, ce n'était pas si dur. Harry se rendait compte qu'il adorait ça, qu'il adorait s'occuper de ses animaux et de son jardin. C'était loin, très loin des combats qu'il avait menés autrefois, très loin de la mort et de la souffrance, très loin du Ministère, d'Azkaban et des injustices du monde. Il se sentait terriblement bien ici, il se sentait presque heureux parfois.

OoOoOoO

Un soir, peu avant la fermeture de la taverne, Harry vit Ginny pousser la porte. C'était une semaine où elle avait Albus et il ne s'attendait pas à la voir. Il se demanda ce qu'elle lui voulait, ça ne présageait rien de bon. Ginny s'assit devant le comptoir, pâle et tendue. Elle n'avait pas l'air bien.

- Donne-moi un verre de Whisky Pur Feu, demanda-t-elle en évitant son regard.

Il la servit et attendit. Nox n'était pas là ce soir et ils étaient seuls dans la grande salle, avec le feu qui crépitait dans la cheminée.

- Mikhaïl est parti, dit brusquement Ginny. Il m'a quittée. Il a dit qu'il ne m'aimait plus, que ce n'était plus comme au début. Il a dit que la Russie lui manquait et qu'il voulait rentrer. Il est parti.

Harry la fixa, bouche bée.

- Et Katerina ?

- Elle reste avec moi. Mikhaïl a dit qu'il rentrerait pour la voir.

Elle se mit à pleurer dans son Whisky et il la regarda faire, impuissant, comprenant parfaitement ce qu'elle pouvait ressentir. Il aurait aussi pleuré dans un verre de Whisky s'il avait été à sa place. D'ailleurs, il l'avait fait quand ils avaient divorcé. Il l'écouta parler, raconter l'enfer des derniers mois quand elle se rendait compte que Mikhaïl ne la regardait plus, ne la touchait plus, ne l'aimait plus. Il écouta sa détresse de se retrouver seule avec ses deux enfants, la peur qu'elle avait eu que Mikhaïl lui prenne Katerina. Heureusement que ses parents étaient là, heureusement que Harry était là pour Albus, elle n'était pas entièrement seule, elle le savait, mais ça allait être dur.

- Merci de m'avoir écoutée, dit-elle enfin en reprenant contenance.

- De rien. Si jamais… tu as besoin d'aide, pour Albus ou n'importe quoi, dis-moi.

-Merci.

Elle l'embrassa sur la joue, elle ne l'avait pas fait depuis longtemps. Il la regarda partir avec tristesse. Il ne lui avait jamais souhaité ça, même quand il était le plus en colère.

Evidemment, ça ne changea pas grand-chose pour Harry. Albus racontait que oui, il passait plus de temps qu'avant chez ses grands-parents mais ça ne le dérangeait pas. Mikhaïl ne lui manquait pas. Mikhaïl n'avait jamais été méchant avec lui mais il ne s'était jamais vraiment préoccupé de lui non plus. Harry apprit que les premiers mois, Mikhaïl revint toutes les semaines pour voir sa fille. Puis un peu moins souvent et encore un peu moins souvent. Il avait des matchs, c'était compliqué. Il avait loupé le Portoloin, c'était compliqué. Le décalage horaire, c'était compliqué. Il était crevé avec ses entrainements, c'était compliqué. Il avait une nouvelle copine maintenant, c'était compliqué. Ginny parlait de lui avec une haine qu'elle n'avait jamais ressentie pour Harry. D'un commun accord, tout le monde détestait Mikhaïl, de Molly à Ron en passant par Harry.

Et puis, un lundi matin, Albus arriva chez Harry l'air triste et déprimé. Il refusa d'abord de dire ce qu'il avait puis il céda.

- Kate n'arrêtait pas de pleurer, avoua-t-il.

- De pleurer pour quoi ?

- Parce que j'allais partir une semaine et que j'allais lui manquer. Elle pleure à chaque fois maintenant, elle ne veut pas aller chez grand-père et grand-mère toute seule. Elle voulait rester avec moi.

Ah. Harry n'avait jamais pensé à ça, sans doute parce que Katerina était jusqu'à présent trop petite pour se rendre compte qu'Albus partait une semaine. Maintenant, elle s'en rendait parfaitement compte.

- Et toi ? demanda Harry. Est-ce qu'elle te manque quand tu viens ici ?

Albus hésita et Harry se sentit terriblement coupable, coupable de l'expression de culpabilité qu'il voyait sur le visage de son fils à l'idée qu'il allait peut-être blesser son père.

- Oui, dit-il quand même. Un peu. Je n'aime pas quand elle pleure.

Deux semaines plus tard, Harry alla lui-même chercher Albus chez Ginny, en passant par la cheminée. Elle avait loué un appartement à Londres, à nouveau, maintenant que Mikhaïl avait vendu sa belle maison d'Oxford. L'appartement était vieillot parce qu'il fallait absolument une cheminée et il était assez petit. Ça les changeait du confort d'avant, c'était sûr… Ginny eut l'air soulagée de le voir et Albus vint embrasser son père. Katerina s'accrocha à Albus en pleurant.

- Kate, arrête, dit Ginny. Tu sais bien qu'il reviendra plus tard. Tu le reverras lundi prochain.

Et il y avait les pleurs de Katerina, le visage pâle d'Albus, les traits tirés de Ginny et Harry dit :

- Je pourrais… elle pourrait venir chez moi. Juste aujourd'hui, ou de temps en temps, tu pourrais venir la chercher ce soir.

- Non, non, dit Ginny en secouant la tête. Hors de question, tu n'as pas à faire ça. Elle va aller chez mes parents, ils nous attendent, ils…

- Ze veux Abus, pleura Katerina.

- Elle pourrait venir, non ? souffla Albus avec un visage suppliant.

Ginny céda, mais juste pour aujourd'hui. Harry ramena les deux enfants chez lui, se demandant s'il n'avait pas fait une énorme connerie en proposant ça. Comme s'il avait réellement le temps et la possibilité de s'occuper d'une petite fille en plus d'Albus et de son travail. Pourtant, tout se passa bien. Albus montra à Katerina le jardin, les poules et la vache. Ils coururent après Vega dans le jardin, Katerina riait quand le chien lui léchait les mains. Nox les avait accueillis avec une expression blasée.

- Ah, nous avons un nouveau membre dans l'équipe.

Ça avait été tout. Harry ne regretta finalement pas sa proposition. Il y avait réfléchi toute la semaine précédente et il s'était demandé de quel droit ils sépareraient le frère de la sœur toutes les semaines. Les enfants n'avaient pas à payer pour l'égoïsme et la défaillance des adultes.

Les mois passèrent et ce ne fut finalement pas « juste pour aujourd'hui ». Désormais, quand Albus venait, Harry prenait Katerina. Il la laissait à Winifred l'après-midi et elle y faisait sa sieste, tandis qu'Albus allait apprendre à lire chez le voisin qui s'occupait des enfants de six ans. C'était le compromis que Katerina avait dû accepter. Elle savait qu'elle retrouvait son frère l'après-midi après la sieste, qu'ils mangeaient ensemble dans la grande salle sous la surveillance de Harry ou de Nox ou de Winky. Ginny venait récupérer sa fille ensuite, pour la coucher. Un jour arriva où Katerina voulut rester dormir avec Albus chez Harry. Ginny dit non, Harry haussa les épaules, Katerina resta dormir. Il acheta un lit pour elle, qu'il mit dans la chambre d'Albus. Teddy avait emménagé dans l'ancienne chambre d'Abelforth, maintenant qu'il était plus grand. Katerina resta dormir souvent.

Hugh lui disait qu'il était bien aimable de s'occuper d'une fillette qui n'était pas la sienne mais que c'était pour cela que Harry était Harry. Ron l'avait remercié d'aider Ginny alors que rien ne l'y obligeait. Il avait haussé les épaules. Elle était son ex-femme et Katerina était la sœur de son fils. Il pouvait bien leur rendre service. D'autant qu'il voyait bien qu'Albus était heureux d'avoir sa sœur avec lui et qu'il préférait ne pas la savoir seule à pleurer dans l'appartement. Teddy aussi aimait la petite fille et s'amusait à jouer avec elle quand il rentrait. Ça convenait à tout le monde, c'était le plus important.

OoOoOoO

L'année qui s'était écoulée avait été compliquée pour Drago et Jimmy. Parce qu'ils étaient coincés là, loin de tout le reste, leur relation était la seule chose qui les préoccupait vraiment. Chaque dispute prenait donc des proportions qui n'auraient sans doute pas été aussi importantes s'ils avaient autre chose à penser. Si Drago ne parlait pas à Jimmy pendant une journée entière, cela leur semblait une semaine. Si Jimmy ignorait Drago pendant quelques jours, cela semblait la fin du monde. Pourtant, ça arrivait souvent. Jimmy avait des phases où il perdait pied, délirait complètement, se mettait à craindre tout et tout le monde, à repousser Drago et à rester caché sous la couverture de sa couchette. Drago était blessé à chaque fois, même s'il revenait toujours. Parce que Jimmy, après, quand il allait mieux, lui demandait pardon en pleurant, avec une haine de lui-même évidente qui broyait le cœur de Drago.

- Tu sais bien que je ne le pensais pas, disait Jimmy en se serrant contre lui. Ce sont les voix dans ma tête, elles disent que tu veux me faire mal et je les crois, je ne sais pas pourquoi, pardon.

Drago pardonnait. Drago pleurait aussi, parfois, de rage et de frustration, à l'idée de voir Jimmy dépérir à Azkaban. La prison ne faisait que renforcer sa folie, évidemment, et c'était désespérant à regarder. Personne n'avait aidé Drago après les traumatismes qu'il avait vécus et personne n'aidait Jimmy. Ça lui donnait envie de hurler. Ça lui rappelait qu'il était à Azkaban et que personne n'en avait rien à foutre d'eux. Ils étaient les oubliés, les délaissés, les invisibles. On les enfermait pour se débarrasser d'eux, parce qu'ils gênaient, parce qu'ils souffraient, parce qu'ils dérapaient, et on ne faisait rien pour les soigner. Drago admettait qu'il avait assassiné Long et parfois, il le regrettait, maintenant. Il aurait aimé ne pas devenir le méchant de l'histoire, il aurait aimé que ça se passe autrement. Il aurait aimé que quelqu'un comme Clia lui parle et lui dise qu'il n'y était pour rien. En revanche, Drago pensait fermement que Jimmy n'avait rien à faire là. Il était malade, il ne se rendait pas compte de ce qu'il faisait. Aaron n'était pas mort. S'il avait été envoyé à Ste Mangouste au lieu d'aller à Azkaban, et si, et si…

Drago avait vu dans les journaux que Clia Klein avait gagné. Soutenue par le Sorcier Libre, elle avait eu droit à son bureau à Ste Mangouste et à quelques chambres. Ils avaient dû lui en donner plus car finalement, ils avaient été envahis de demandes de soin. De nombreux parents qui cachaient les troubles de leur enfant l'emmenèrent enfin à l'hôpital pour qu'il soit soigné. De nombreux frères, sœurs, parents, époux et épouses purent enfin confier leur proche à quelqu'un qui voulait les écouter. De nombreux sorciers et sorcières qui y allèrent eux-mêmes, parce qu'ils souffraient depuis longtemps et qu'ils ne savaient plus quoi faire. C'était leur dernière chance. On en parla beaucoup à la radio et dans la presse, Clia fut invitée dans de nombreuses émissions. Les journalistes avaient le chic pour rappeler à chaque fois qu'elle était une Cracmol. Drago ne l'aurait pas remarqué autrefois, il aurait trouvé cela normal. Aujourd'hui, ça l'agaçait. Clia était bien plus que ça.

Il avait entendu parler du changement à Poudlard, il y avait eu des articles dans les journaux. Harry Potter avait accepté de parler à Leo Black mais pas à la Gazette, visiblement. Harry n'avait pas voulu être séparé de son filleul, ils avaient déjà suffisamment perdu comme ça. C'était un peu émouvant comme histoire, ça n'étonnait pas Drago que la population ait été de son côté et ait facilement accepté les changements. Cela voulait dire aussi que Harry s'occupait de Teddy, ce n'était pas le cas à l'époque. Drago ne savait pas ce qu'il ressentait à l'idée de Harry et de sa parfaite petite famille. Un arrière-goût d'amertume, sans doute. Une envie de lui faire mal aussi. Une envie de se détester en plus. Rien de très joyeux. Il imaginait la voix de Harry, froide et méprisante comme elle l'avait été durant toute leur jeunesse : Tu n'avais qu'à pas me quitter. Et oui, il n'avait qu'à pas.

L'année 2011 commença pour Drago par l'arrivée d'un gardien qui vint le chercher sans prévenir. Drago était là depuis dix ans et demi maintenant et il détestait toujours autant les surprises. Ça le perturbait et le mettait au bord de la crise d'angoisse. Ce n'était pas toujours rationnel car les surprises lui avaient permis de travailler avec Petronilla le Fay et elles n'étaient donc pas toujours mauvaises. Ce jour-là, cependant, Drago fut introduit dans une vaste pièce qui ressemblait à une salle de réunion. Il y avait plusieurs personnes assises autour d'une grande table : le directeur d'Azkaban, Agatha Greengrass et d'autres personnes que Drago ne connaissait pas. Il y avait une chaise vide, face à eux et on invita Drago à s'asseoir. On ne lui avait pas mis de menottes.

- Bonjour Mr. Malefoy, dit le directeur avec un sourire engageant.

Drago se crispa, méfiant et effrayé.

- Bonjour…

On présenta les gens assis, tous membres du Magenmagot. Ils inclinèrent poliment leurs têtes pour le saluer. Personne n'avait été aussi poli avec lui depuis des années et Drago eut envie de s'enfuir.

- Si je ne me trompe pas, vous êtes ici depuis dix ans et cinq mois, dit le directeur.

- Oui, souffla Drago.

- Je n'ai jamais eu de problème avec vous, vous avez toujours été un détenu exemplaire et respectueux des règles, je vous en remercie.

Drago le fixa comme si l'homme allait se jeter sur lui à tout moment et le directeur eut un sourire nerveux.

- Nous avons réexaminé votre dossier, Mr. Malefoy, intervint une personne du Magenmagot. Nous avons conclu que dix ans et cinq mois étaient suffisants, surtout si nous prenons en compte votre bonne conduite. Nous avons décidé de réduire votre peine et d'avancer votre sortie.

Drago arrêta de respirer et la contempla, sidéré.

- Vous pourrez sortir lundi prochain, acheva-t-elle.

Les mains de Drago se mirent à trembler sous la table.

- Félicitations, Mr. Malefoy, dit le directeur en souriant.

Il y eut un silence. Ils avaient l'air d'attendre une réaction mais Drago n'était pas capable de parler ou de sourire. Agatha se leva.

- Je vais le raccompagner, c'est une nouvelle inattendue.

Drago se retrouva dans le couloir avec Agatha et un gardien. Elle leva les yeux vers lui, mal à l'aise.

- Vous allez bien ?

- Pourquoi ?

- Je vais être franche avec vous, nous manquons de place à Azkaban. On a ordonné au Magenmagot de revoir les dossiers et de désigner des détenus qui pourraient sortir plus tôt que prévu pour libérer de la place. Votre nom est arrivé dans la liste.

- Je vois…

- Vous allez bien ? Répéta-t-elle.

- Je ne sais pas, je suis un peu sous le choc, je ne pensais pas…

- Je comprends. Prenez le temps de digérer la chose, vous vous rendrez compte que c'est une très bonne nouvelle.

- Oui.

Elle ne comprenait pas mais il n'eut pas le courage de le lui dire. Il retourna dans sa cellule et s'appuya contre les barreaux de la porte pour regarder Franck. Ce dernier lui jeta un coup d'œil interrogateur.

- Qu'est-ce qu'ils te voulaient ?

- Je sors lundi prochain.

Franck tressaillit.

- Quoi ?

- Réduction de peine pour faire de la place.

- Ah… c'est…

Drago vit les efforts de Franck, sa stupeur, son incrédulité, le fracas de son cœur qui se brisait puis son visage qui redevint calme.

- Je suis content pour toi Drago, il est temps que tu sortes d'ici et que tu vives ta vie. Tu as tellement de choses à faire encore.

- Merci.

Drago n'en parla pas à Jimmy dans la soirée et ne dormit pas de la nuit. Il resta allongé sur sa couchette à fixer le plafond, incapable de remettre de l'ordre dans ses pensées. Il se leva comme un robot, le lendemain matin, ne parla presque pas et évita le regard de Jimmy. Puis il retourna à sa cellule et attendit l'heure de temps libre. Il avait une espèce de t-shirt sous son uniforme et sous le pull que son bienfaiteur anonyme lui avait tricoté. Il le retira et le fourra dans sa poche. Dès que les grilles s'ouvrirent, Drago sortit et marcha vers les escaliers avec détermination. Il avait choisi Rabastan Lestrange, parce qu'il était diabolique et qu'il méritait de mourir. Personne ne le pleurerait en dehors de son frère, ce ne serait pas une grosse perte. Drago sortit son t-shirt en l'enroula lentement sur lui-même, comme s'il voulait l'essorer. Ça ferait l'affaire, il faudrait être rapide et serrer le plus fort possible mais heureusement, Drago avait de la force. Il étranglerait Rabastan sans problème.

Il fit trois pas dans le couloir avant qu'une main de fer se referme sur son épaule et l'arrête net. Drago se retourna pour regarder Franck, surpris. Ce dernier le plaqua contre le mur et baissa ses yeux sombres sur lui.

- Ne fais pas ça, dit doucement Franck.

- Je…

- Ne fais pas ça, ce serait la pire décision de ta vie.

- Tu n'en sais rien, tu ne comprends pas.

- Si, je comprends très bien. Tu ne dois pas faire ça, petit.

Drago tressaillit au « petit ». Cela faisait des années que Franck ne l'avait pas appelé comme ça. Il n'était plus un petit maintenant, il avait trente-et-un ans. Mais il y avait de la tendresse dans la voix de Franck et Drago eut envie de pleurer.

- Je ne veux pas sortir, murmura-t-il.

- Je sais mais il ne faut pas faire ça.

Franck arracha le t-shirt des mains de Drago et l'entraina avec lui dans les escaliers. Ils retrouvèrent leur cellule et Franck s'appuya aux grilles pour bloquer le passage. Comme si Drago risquait de s'enfuir. Drago lui lança un regard éperdu.

- Je ne veux pas sortir. Qu'est-ce que je vais faire dehors ? Je n'ai personne, je ne connais personne ! Je veux rester avec Jimmy, je veux rester avec toi.

- Je sais.

- Arrête de dire ça, tu ne sais pas ! Toi tu as des gens dehors, tu as des amis et tu as ta famille. Moi je n'ai rien, rien du tout. Qu'est-ce que je vais faire ? Je ne sais plus… je ne sais plus comment on vit dehors, je n'ai pas de maison, je n'ai absolument personne.

- Drago, dit fermement Franck. Une maison ça se trouve, tu en achèteras une. Tu as de l'argent grâce à tes chansons, tu ne seras pas à la rue. Jimmy doit sortir dans un an, ce n'est pas si long. Tu viendras le voir, c'est plus facile maintenant. Tu viendras me voir, tu me raconteras ta vie.

Drago secoua la tête. L'idée que Jimmy sortirait bientôt l'apaisa un peu mais ce n'était pas suffisant pour le consoler. Il avait beau essayer, il ne ressentait aucune joie à l'idée de sortir. Il avait cru qu'il le désirait pourtant, il en avait rêvé, il avait supplié qu'on le laisse sortir. Mais maintenant que c'était vrai, il n'en avait plus envie.

- Je suis terrifié Franck, dit Drago d'une voix pitoyable. Je suis complètement terrifié.

- Je sais petit.

Franck s'approcha de Drago et le prit dans ses bras. Cela le consola plus que n'importe quoi.

- Tu vas me manquer, murmura Drago.

- Tu vas me manquer aussi, putain, tu n'as pas idée à quel point tu vas me manquer. Mais ça me rendra heureux de penser que tu seras enfin libre.

Drago s'accrocha à Franck de toutes ses forces.

- Je t'écrirai des lettres, je viendrai te voir.

- D'accord.

Dans les jours qui suivirent, Franck surveilla étroitement Drago. Ils avaient beaucoup discuté et Drago avait admis que Harry Potter ne l'avait pas sauvé de Long pour qu'il passe sa vie en prison. Il avait admis aussi que Long ne pouvait pas gâcher sa vie jusqu'au bout et qu'il fallait que Drago se libère, retourne dans le monde et vive la vie qu'il aurait dû avoir. Ce n'était pas facile pour autant.

Jimmy prit la nouvelle sans trop d'émotions, son visage n'eut aucune expression et il évita le regard de Drago. Ce n'était pas bon signe. Drago assura qu'il viendrait le voir et qu'ils se retrouveraient après, dans un an. Essayer de réconforter Jimmy redonna un peu de forces à Drago. Il arriva presque à se convaincre lui-même que ce n'était pas si grave que ça.

Il avait des affaires à régler avant de partir et il commença par aller voir Trevor. Il voulait savoir où il pourrait acheter des Oubliettes maintenant qu'il sortait d'Azkaban. Trevor lui donna une adresse. C'était un souci de moins. Ensuite, il alla voir un gardien, un qui n'était pas très sympathique mais qui répondait généralement à leurs questions.

- Est-ce que vous savez qui m'envoie des colis tous les mois ? demanda Drago.

Il avait déjà posé la question, quelques années plus tôt, à un jeune gardien arrivé depuis peu. Le gardien avait dit qu'il n'en savait rien mais qu'il pouvait aller se renseigner. Drago avait finalement dit que ça ne faisait rien. Agatha avait dit que la personne voulait rester anonyme et Drago avait soudain eu peur de savoir qui c'était. Il avait laissé tomber et il avait fantasmé pendant des années sur l'auteur de ces colis. Aujourd'hui, il voulait savoir.

Le gardien ricana.

- Evidemment que je le sais, on le sait tous. On s'attendait bien à ce que tu t'empoisonnes avec tes chocolats mais non, tu es resté en vie…

- Comment ça ?

- Comment ça ? Bah à sa place, on t'aurait empoisonné. C'est vraiment tordu de t'envoyer tous ces trucs tous les mois.

- Qui est-ce ?

Le gardien réalisa seulement à cet instant que Drago ne savait pas. Il éclata de rire et le regarda comme s'il était stupide.

- Tu ne sais pas, vraiment ? Depuis toutes ces années, tu ne sais pas ? C'est Evelyn Long qui t'envoie des colis.

Drago se sentit froid.

- Evelyn Long ?

- Oui, la mère du type que tu as tué. Tordu, pas vrai ?

Drago retourna dans sa cellule, choqué. Jamais, au plus profond de ses fantasmes, il n'aurait imaginé que la mère de Kyle puisse lui envoyer toutes ces choses réconfortantes. Il ne savait pas quoi en penser. Il ressentait du dégoût, de la peur, de la colère. Il hésita à jeter les pulls qu'elle lui avait tricotés mais il y renonça. Elle avait fait ça elle-même, il voulait savoir pourquoi. Le gardien avait été assez stupide pour lui donner l'adresse d'Evelyn Long et Drago comptait bien s'y rendre. Ce fut, contre toute attente, sa seule vraie motivation à sortir.

Il fallut dire au revoir à Jimmy et Drago l'embrassa avec désespoir, triste mais certain qu'ils se reverraient bientôt. Jimmy sortirait et ils se retrouveraient. Il fallut dire au revoir à Franck et ce fut bien plus déchirant. Il savait que Franck ne sortirait sans doute pas d'Azkaban et qu'ils ne se retrouveraient jamais dehors. Ce serait toujours dans une salle de visite. Drago voulut dire des choses, voulut dire à Franck que sans lui, il serait mort et qu'il le savait. Franck le serra contre lui pour le faire taire.

- Arrête, pas besoin de dire tout ça, tu vas me faire pleurer.

Mais Franck pleurait déjà et Drago savait à quel point ce serait dur pour lui de se retrouver seul dans sa cellule sans Drago, à quel point ce serait dur d'avoir un nouveau camarade de couchette.

- Ne t'avise pas de l'aimer plus que moi, prévint Drago.

Franck sourit. Il avait une faveur à demander : Drago voudrait-il bien aller déposer des fleurs sur la tombe de Gabriela de sa part ? Oui, bien sûr, Drago voulait bien.

Drago dit au revoir à sa mère aussi, qui eut l'air heureuse de le savoir presque libre. Se séparer d'elle fut bien moins dur que de se séparer des autres. Cela faisait des années qu'ils s'étaient éloignés et qu'elle ne le comprenait pas. Il promit d'écrire et il savait qu'il le ferait. Il viendrait la voir aussi, de temps en temps. Ce serait suffisant.

Le lundi suivant, un gardien emmena Drago dans une salle vide où on lui donna un carton pour mettre ses affaires. Ses affaires, c'étaient les livres et les vêtements qu'Evelyn Long lui avait offerts. Il avait décidé de laisser la radio à Franck, il en aurait plus besoin que lui. Le gardien tendit à Drago ses anciens habits, ceux qu'ils portaient à son procès et avec lesquels il était arrivé là. Sa chemise blanche avait jauni au niveau du col et des auréoles de transpiration qu'il avait en sortant du procès. Drago éprouva du dégoût en l'enfilant. Elle était trop serrée pour lui, son pantalon aussi. Il n'était plus aussi maigre qu'à l'époque, assurément. Il était beaucoup plus musclé aussi. Pour finir, le gardien donna à Drago sa baguette. Il la saisit doucement, avec de la crainte. Une agréable chaleur remonta dans son bras et Drago ressentit une émotion violente qu'il tenta de refouler.

Hors de la salle, il fut soulagé de voir Agatha Greengrass. Elle lui avait promis de l'accompagner pour sa sortie. Ils signèrent les formalités et Agatha lui donna une bourse bien pleine qu'elle avait récupérée dans son coffre à Gringotts. De quoi subvenir à ses besoins pour les jours à venir. Sur le bateau, elle lista les choses qu'il devrait faire. Trouver un endroit où vivre d'abord. Avant ça, il pourrait dormir au Chaudron Baveur, il y aurait une chambre pour lui. Drago demanda si elle voulait bien l'aider à trouver un appartement à louer.

- Vous avez assez d'argent pour acheter quelque chose, vous savez…

- J'y penserai plus tard.

Il voulait juste un toit où dormir. Elle promit de s'en charger. Le bateau arriva enfin sur la côte anglaise et ils descendirent. Drago inspira l'air de chez lui, terrifié et perdu. Il ne put s'empêcher de regarder autour de lui et de constater que l'embarcadère était vide. Il sourit pour lui-même. Harry avait dit qu'il serait là à sa sortie mais évidemment, il n'était pas là. C'était comme ça. À ses côtés, Agatha hésita.

- Eh bien… Voulez-vous que je vous accompagne au Chaudron Baveur ou voulez-vous y aller vous-même ?

- Comment suis-je censé me rendre à Londres ? demanda sincèrement Drago.

- En transplanant bien sûr.

Drago baissa la tête.

- Je n'ai pas transplané depuis des années. Je ne suis pas sûr de savoir encore le faire.

- Oui, pardonnez-moi. Je vous y emmène. Mais ne vous en faites pas, ça reviendra vite.

Si les sorciers prenaient la peine de passer un permis de transplanage, c'était bien parce que l'exercice n'était pas si naturel et évident que ça. Drago se sentait incapable de le faire. Il posa doucement une main sur le bras d'Agatha et se laissa emporter à Londres. Il se fit la réflexion qu'on l'avait viré d'Azkaban aussi rapidement qu'on l'y avait enfermé.

Quand il posa le pied sur le trottoir londonien, Drago s'appuya contre le premier mur qu'il trouva, la nausée au bord des lèvres. Il avait oublié la sensation du transplanage et elle était extrêmement désagréable. Il reprit contenance, inspirant profondément puis s'éloigna du mur. Il y avait du monde sur le trottoir, des Moldus qui passaient sans le regarder, pressés, des écouteurs dans les oreilles. Il y avait des motos et des bus qui passaient, du bruit et de l'agitation. Drago ferma les yeux, sentant la crise d'angoisse monter. C'était insupportable, il ne comprenait pas ce qu'il faisait là. En plus, il avait été enfermé au mois d'août et il n'avait pas de manteau sur lui à l'époque. Il n'en avait donc pas non plus aujourd'hui et le froid glacial de janvier lui mordit la peau. Il eut envie de pleurer, d'attraper Agatha et de la supplier de le ramener à Azkaban. Au lieu de ça, elle lui prit le bras et l'entraina au Chaudron Baveur. Les bruits de la rue cessèrent comme par magie. L'auberge était presque vide à cette heure de la journée et le calme atténua l'angoisse de Drago. Il laissa Agatha parler et demander une chambre. Il paya machinalement pour la semaine à venir et répondit aux questions sans vraiment y faire attention. Oui, il prendrait ses repas dans sa chambre. Non, il n'avait besoin de rien.

- Mr. Malefoy, tenez, dit Agatha en lui tendant un sac.

Drago tressaillit, il n'avait même pas vu qu'elle le tenait depuis le début.

- Ce sont toutes vos affaires, celles que vous aviez dans votre ancien appartement. Des vêtements surtout. Je vais me renseigner sur les appartements sorciers à louer, je vous tiendrai au courant. Ce ne sera peut-être pas tout de suite, j'ai beaucoup de dossiers à gérer avec ces sorties anticipées…

- Aucune importance, souffla Drago.

- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, écrivez-moi.

- D'accord.

- Et… Mr. Malefoy… ça va aller, vous verrez.

Drago en doutait fortement mais il hocha la tête et elle s'en alla. Il se retrouva seul dans l'auberge, son sac à la main, son carton dans l'autre, sonné et terrorisé. Il suivit l'aubergiste jusqu'à sa chambre et fut infiniment soulagé quand la porte se referma derrière lui. La chambre n'était pas spécialement accueillante mais elle l'était mille fois plus que sa cellule de prison. Il y avait une cheminée avec du feu et Drago la fixa avec envie. Il laissa tomber son carton sur le lit et son sac sur le sol et se précipita vers la cheminée. Il tendit ses mains vers les flammes avec délectation. Du feu pour réchauffer sa cellule glaciale, il en avait rêvé pendant dix ans. Drago s'assit devant la cheminée, en tailleur sur le sol, et resta là longuement. Il n'avait rien d'autre à faire.

Il se rendit compte qu'il était seul et qu'il n'avait pas été seul depuis plus de dix ans. C'était perturbant, agréable, effrayant, il ne savait plus. Il venait de passer un temps infini devant la cheminée quand il se leva enfin et déplia ses jambes ankylosées. Il avait eu une pensée soudaine qui bouleversait ses entrailles. Drago fit quelques pas dans la chambre et ouvrit la porte qui menait à la salle de bain. Elle était petite, avec une baignoire à la faïence abîmée par endroits et des toilettes vieillottes. Malgré cela, Drago eut un coup au cœur. Il se déshabilla sans même y penser, fit couler l'eau chaude et se glissa dans le bain. C'était merveilleux, merveilleux de se laver seul, sans être menacé, observé, attendu, pressé. Il se mit à pleurer dans son bain, sans vraiment s'en rendre compte et y resta jusqu'à ce que l'eau refroidisse. Ensuite, il se sécha dans la serviette de l'auberge et s'assit sur les toilettes, juste comme ça. Bon sang, il pourrait aller aux toilettes tranquillement, sans que Franck soit là.

Avant de s'attaquer au sac qu'Agatha lui avait remis, Drago ouvrit son carton d'Azkaban et en sortit une Oubliette. Il en avait acheté quelques-unes en stock, il savait qu'il en aurait besoin. Et oui, comme il en avait besoin ! Drago fuma lentement son Oubliette, enroulé dans sa serviette, devant la cheminée. Il se sentit mieux, la panique de la rue avait disparu et il se sentit en paix dans la petite chambre. Il put ouvrir le sac d'Agatha pour y sortir ses anciennes affaires. Tous ses vêtements lui parurent vieux et étroits. Ils sentaient le renfermé et ils ne lui allaient plus vraiment. Ça ferait l'affaire pour quelques jours mais il devrait en acheter d'autres. Drago s'approcha du miroir de la chambre pour se regarder, chose qu'il avait soigneusement évitée depuis qu'il était entré. Il eut du mal à se reconnaitre. Son visage n'avait pas tellement changé mais son expression, si, peut-être. Il ne savait pas. Il avait toujours les cheveux courts, il était allé voir le barbier de la prison dès qu'ils commençaient à être trop longs. Le barbier l'avait rasé la veille, pour sa sortie. Durant les dix années passées à Azkaban, Drago avait fait en sorte de se raser régulièrement. Il avait essayé la barbe, il n'aimait pas la sensation.

Son corps avait changé, en revanche. Ses pantalons et ses chemises sur-mesure ne lui allaient plus et il se rappela à quel point il était maigre à l'époque de Kyle, quand il ne mangeait rien et passait son temps à vomir pour un oui et pour un non. Il avait pris du poids, il ressemblait à un homme maintenant alors qu'il n'était qu'un garçon en arrivant à Azkaban. La chemise qu'il portait était serrée sur son torse et sur ses bras, là où ses muscles s'étaient développés grâce à Franck, aux pompes, aux tractions et aux combats amicaux dans la cellule. Il n'avait certes pas la carrure de Franck et il ne l'aurait jamais mais il était plutôt satisfait. Se sentir fort et en possession de son corps, c'était quelque chose dont il avait terriblement besoin.

Drago retira sa chemise trop petite et se regarda torse nu dans le miroir. Le lierre grimpant autour de son bras jusqu'à son épaule lui plaisait toujours autant. Il se retourna et se tordit le cou pour regarder le dragon dans son dos. Il ne l'avait jamais véritablement vu, c'était la première fois. Il lui plaisait aussi. Il pensa à Jimmy et il ressentit l'envie dévorante de le voir et de lui raconter le bain, les voitures dans la rue et le feu de cheminée.

- Tu crois que je lui manque ? demanda Drago à Franck.

Mais Franck n'était pas là. C'était étrange d'être totalement seul. Drago enfila la chemise la moins étroite et mit un pull d'Evelyn Long. Désolant que ce soit les vêtements dans lesquels ils se sentait le mieux. D'ailleurs, il y avait dans son sac des habits qu'il aimerait brûler. Il hésita à les foutre dans la cheminée mais il se retint. Ça allait surement faire de la fumée, ce n'était pas une bonne idée. Il s'en débarrasserait dès qu'il le pourrait. La chemise bleue, il la reconnaissait. Il se souvenait quand Kyle la lui avait enlevée. Il n'en voulait plus. Drago ferma les yeux et inspira profondément. L'Oubliette ne faisait plus autant d'effet qu'avant. Il faudrait bientôt qu'il en fume deux.

Drago rangea ses vêtements dans le sac et en sortit ses autres affaires. Des livres, un jeu d'échecs ayant appartenu à son père, une statue de Merlin qu'il avait reçue comme cadeau à un de ses anniversaires, du papier à lettres et des enveloppes, d'anciennes lettres qu'il n'avait jamais jetées. Drago se figea en lisant les premières lignes de la lettre au-dessus de la pile. C'étaient les lettres de Harry. De toute façon, qui d'autre lui avait écrit ? Elles étaient toutes là, les lettres qu'ils avaient échangées à l'époque où Drago faisait tout pour que Harry l'apprécie et lui fasse confiance. Dans un roman, sans doute, Drago aurait pu hésiter à les jeter au feu puis décider de les garder précieusement mais la vie de Drago n'était pas un roman et il n'eut pas la moindre envie de les jeter au feu. Il se rassit devant la cheminée et relut les lettres, étonné de se replonger dans cette vie qui n'était plus la sienne. C'était en lisant ces lettres, autrefois, qu'il était tombé amoureux de Harry. Cela paraissait presque inconcevable aujourd'hui.

Drago fut tiré du sommeil par des coups à la porte et il se redressa lentement, le corps douloureux. Il s'était endormi devant la cheminée, au milieu des lettres. Le feu mourait et il avait froid. Drago alla ouvrir la porte pour se retrouver devant un elfe de maison qui tenait un plateau avec ce qui devait être le dîner. L'elfe déposa le plateau sur la petite table de la chambre, remit une bûche dans le feu et s'éclipsa. Drago songea qu'il était temps qu'il allume les lampes. Il y en avait deux, sur les chevets et Drago se planta devant la première, hésitant. Sa baguette, où était sa baguette au juste ? Il fouilla sur son lit, au milieu des objets personnels qu'il y avait laissés et la retrouva enfin. Il ne l'avait pas utilisée depuis qu'il était sorti d'Azkaban. Il la tendit vers la lampe et hésita à nouveau. Quel était le sortilège pour allumer une lampe, déjà ?

- Lumos, dit finalement Drago.

Ce qui alluma sa baguette, non la lampe. Il jura, en proie à une terreur qu'il avait essayé de refouler jusqu'à présent. Il ne savait plus pratiquer la magie, il avait oublié tous les sortilèges du quotidien ou presque. Cela faisait plus de dix ans qu'il n'avait pas utilisé la magie et il avait dans son esprit des pensées bien plus envahissantes que des sorts de ménage ou de cuisine. Sans compter les Oubliettes qui lui permettaient d'oublier pas mal de choses. Un peu trop peut-être. Drago se sentit terriblement mal, misérable et pathétique. Bordel, il ne valait pas mieux qu'un Cracmol désormais. Ce qui était injuste car Clia Klein s'en sortait bien mieux que lui dans la vie. Drago essaya de se concentrer, prononça quelques formules au hasard, puis, prit d'une intuition subite, tapota la lampe avec sa baguette. La lampe s'alluma enfin. Drago avait envie de pleurer.

Il alla s'asseoir à la petite table et regarda son plateau. C'était sans doute meilleur que la nourriture d'Azkaban mais en toute honnêteté, il n'avait pas très faim. Il resta là, prostré sur la chaise, le regard vide. Que faisait-il là ? Qui était-il ? Qu'allait-il faire ? Il mourait d'envie de retourner dans sa couchette, près de Franck, de l'écouter respirer et de se sentir en sécurité. « Tu n'as jamais été en sécurité à Azkaban » dit la voix de Franck dans sa tête. Non, certes, ce n'était pas faux. Drago regarda autour de lui, perdu. Il pensa à la baignoire dans la salle de bain et il pensa à Theodore Nott. Pendant de longues minutes, il songea sérieusement à se suicider. Qui en serait attristé, de toute façon ? Pas grand monde à part Franck et Jimmy. Et encore, ils étaient restés à Azkaban, ils allaient vivre sans lui. Il n'avait personne.

Finalement, il ne se suicida pas, uniquement parce qu'il n'avait pas encore le courage de le faire. Il se dit que ça viendrait peut-être et qu'il attendrait patiemment le moment. Il se coucha sans manger dans le lit de la chambre, trop grand et trop confortable et il ne s'endormit qu'au petit matin, épuisé, malheureux à mourir et totalement terrifié par cette liberté inattendue qui l'écrasait autant que le corps de Kyle sur lui.