Le capharnaüm était sans précédent.

Remus Lupin tenait Sirius Black d'un bras, Tonks avait agrippé l'autre bras. Severus Rogue était acculé du côté du plan de travail de la cuisine et avisai d'un œil incertain le sorcier qui tentait de l'étriper.

- Calme-toi, Sirius ! le somma Remus.

- Je vais t'écorcher vif, espèce d'enfoiré ! vociféra Sirius. Je voulais déjà le faire au retour d'Harry et je me suis laissé convaincre, mais là ! Fils de pute ! Sale Mangemort répugnant et...

- Assez ! Cela suffit ! tempêta Dumbledore.

Un silence implacable s'imposa et le groupe de sorciers se figea. Le temps d'un souffle, on aurait pu croire qu'on sortilège avait arrête littéralement le temps. Jusqu'à ce que Sirius s'époumone à nouveau en insultes.

- Sirius, arrête, le pria Remus. Arrête !

À la surprise de tous, le sorcier se tut et un nouveau silence s'abattît sur la cuisine.

- Tu ne peux pas t'en prendre à Severus, le sermonna Lupin. Crois-moi, je comprends ta peine. Je pense que nombre de personne ici la partage, mais on était d'accord sur le fait que ce qui s'est passé avec le Severus Rogue de l'autre temps ne pouvait pas être imputé au Severus Rogue de notre temps.

Remus avisa un instant le maître des potions et Sirius en profita pour récupérer d'un geste sec son bras. Contrairement à ce qui traversa l'esprit de tous les témoins de la scène, le sorcier ne se jeta pas à la gorge de Rogue pour le démolir. Au lieu de ça, il avisa d'un œil sévère son meilleur ami.

- Comment peux-tu cautionner ça ? targua-t-il d'une voix dure.

- Et toi comment peux-tu me dire une chose pareille ? répartie Lupin. Je ne cautionne rien, je te rappelle juste que Rogue ici présent n'a rien fait à Harry.

- Question de point de vue, cracha Sirius. S'il l'a fait dans un temps il est capable de le faire dans n'importe lequel !

Severus, dont les lèvres demeuraient serrées, n'écoutait que d'une oreille distraite la chamaillerie entre les deux sorciers. Lui, songeait à cette autre version de lui-même. Potter était devenu plus réfléchi et, encore une fois, il reconnaissait un peu de sa patte dans les mots et réflexions du gamin. Effectivement, il ne doutait plus des propos de Potter sur la question de leur relation maître / disciple. Ses inquiétudes étaient exactement là où le jeune sorcier les avaient posées, à savoir, ses véritables allégeances. Et si son lui de l'autre temps avait été jusqu'à violer le gamin pour briser son corps et son esprit, c'était qu'il avait quelque chose en tête en le renvoyant.

Il allait devoir discuter avec Potter.

Et pour la première fois, il regrettait de ne pas avoir exigé de devenir son maître dans ce temps présent. S'il avait endossé ce rôle, déjà Black ne serait pas dans ses pattes en ce moment même, mais en plus il obtiendrait toutes les réponses qu'il voulait beaucoup plus facilement.

Le lendemain matin, Harry se leva après une nuit agitée. La discussion de la veille avec Ron avait remué beaucoup de souvenirs pour le jeune disciple, bons comme mauvais. Et alors qu'il prenait une douche brûlante pour s'extirper une bonne fois pour toutes de ses sombres pensées, il songea à son futur, chose qu'il ne faisait presque jamais, même avant d'être disciple. Avec Voldemort au-dessus de lui tel un couperet prêt à tomber et le tuer à tout moment, il n'avait jamais eu envie de se projeter. Aujourd'hui, il lui arrivait de se demander si, dans l'hypothèse où il survivrait à la chute de Voldemort, il parviendrait un jour à avoir une vie normale. Une liberté. Pour le moment, ça lui semblait tout bonnement impossible. Penser par lui-même était un exercice désormais complexe. Et même maintenant qu'il était le disciple de Remus Lupin, Severus Rogue s'imposait constamment à son esprit. Il était toujours son Maître, il le craignait encore de mille et une manières. Il lui manquait aussi. Souvent. Être sans lui c'était un peu comme avoir perdu le cap. Et c'était sans doute mal, car dans ce temps présent il n'y avait qu'un seul sorcier qu'il devait servir.

Quoi qu'il en était, il devait essayer de se reprendre, de faire du tri dans sa tête et ses émotions. Il devait aussi apprendre à comprendre son nouveau maître et découvrir les limites qu'il allait lui imposer. Et ça impliquait qu'il prenne quelques risques.

Néanmoins, à la fin de l'entraînement du matin, Harry avait perdu un peu de son assurance. Monsieur Lupin paraissait distant aujourd'hui, comme contrarié ou embêté par quelque chose qui lui tournait dans la tête. Quand son premier maître était dans cet état, la jouer profil bas était proche de l'instinct de survie. Quand était-il maintenant ?

- On reprendra cet après midi. J'aimerais que nous nous penchions sur ton don de guérison.

- Bien, maître.

- Disons vers 15h, que tu souffles bien ce midi, précisa-t-il en dévisageant son disciple.

Harry baisse les yeux en échos, craignant d'avoir paru désagréable ou faible bien qu'il n'avait pas ce sentiment. Il songea brièvement aux pensées qui avaient occupées son esprit ce matin et il se força à relever le regard sur son maître qui l'observait encore.

- Est-ce que je peux vous parler, s'il vous plaît, maître ?

Une expression de surprise passa sur le visage de Lupin, mais il se reprit rapidement pour acquiescer. Toutefois, Harry demeura muet, pris à revers par des angoisses venues d'un passé qui lui semblait encore trop frais. Son ancien maître ne supportait ni l'impertinence ni l'impatience ou la curiosité mal placée et les quelques questions qu'Harry tentait de formuler pouvaient entrer dans n'importe laquelle de ces cases.

- Est-ce que tu te souviens de ce que je t'ai dit, lors de notre première conversation maître disciple ? interrogea le sorcier d'une voix posée.

Surpris, Harry regarda son maître en remontant aussi vite que possible le fil de ses pensées.

- Je t'ai dit que je ne voulais pas que tu me craignes parce que je suis ton maître, Harry. Je veux que tu me respectes, mais que nous ayons confiance l'un dans l'autre. Tu peux me parler librement, tu dois l'entendre.

Les sourcils de l'ancien professeur de Poudlard formèrent un arc, à l'image de la peine que son disciple semblait lui inspirer. Harry secoua brièvement la tête en projetant son regard vers les pieds de son vis-à-vis.

- Je vais m'améliorer, maître, assura-t-il. Je... Je voulais vous parler de...

Harry inspira doucement par le nez, cherchant à contrôler son rythme cardiaque.

- Je voulais vous parler de Poudlard, expira-t-il enfin.

Lupin, d'un geste plus marqué que la dernière fois, releva le menton de son disciple à l'aide de son index et son majeur. Harry soutint son regard et se redressa, déstabilisé.

- Regarde-moi quand tu me parles, précisa-t-il d'un ton aimable mais ferme. Tu ne t'adresses pas à mes pieds, si ?

- Non, maître, pardon.

Harry voulut baisser la tête mais se ravisa.

- Tu veux savoir si tu vas retourner à Poudlard, j'imagine ?

Embarrassé, Harry plongea les yeux dans ceux de son maître, la gorge nouée par une émotion si forte qu'il se sentit trembler.

- Vous m'avez déjà exprimé votre souhait de m'y renvoyer après avoir trouvé comment justifier mon retour, articula-t-il comme il le put.

- Alors quelle est la question ? répliqua-t-il, ferme.

En vrai, il en avait un million.

- Si vous m'y renvoyer, comment concilier une vie d'étudiant et de disciple ? Vous ne reviendrez pas en tant que professeur, si ?

Son cœur palpita dans sa poitrine et ses pensées s'agitèrent dans sa tête. Remus se décala vers le bureau où Harry ne s'était pas installé depuis que le professeur Rogue lui avait fait copier des lignes en guise de punition. Lupin s'assît sur le rebord de la table et son silence broya les reins de son disciple qui resta en apparence impassible.

- J'aurais aimé attendre un peu pour discuter de tout ça avec toi, confia-t-il, plus doux. Avec Dumbledore, nous discutons en ce moment même à ce propos. Je ne peux pas revenir en tant que professeur, comme tu te doutes, puisque nombre de parents connaissent ma nature et il n'est pas possible de prétendre que tu m'as guéri. Déjà parce que nous n'avons pas assez de recul pour le certifier et, surtout, parce que ça impliquerait de dévoiler ta nature à toi et nous n'y tenons pas. Voldemort doit ignorer le plus longtemps possible tes capacités.

Le regard appuyé de Lupin sonna comme un avertissement et Harry hocha la tête sans desserrer les lèvres.

- Je voulais te faire revenir régulièrement auprès de moi, tous les week-ends par exemple, mais Dumbledore veut que tu restes sous la protection de ses pouvoirs et de Poudlard, ce que j'entends.

Harry tenta de réfléchir aussi vite que possible, de faire des conclusions perspicaces et raisonnées, comme il avait appris ces cinq dernières années.

- Vous allez donc revenir à Poudlard en secret ? demanda-t-il poliment.

Lupin acquiesça.

- Dumbledore va me donner un accès et nous aurons un espace dédié dans le château. Ce sera une information secrète, tu te doutes. Sauf pour Hermione et Ron, si tu le souhaites.

Harry esquissa un sourire, mais gardait une certaine réserve. Il avait du mal à croire qu'il puisse être sans Maître plusieurs heures ou jours par semaine. Ça lui semblait même impossible qu'on lui accorde une telle liberté, avec Lyro surtout dont il pourrait prendre la forme à sa guise. La crainte de devoir porter le collier constamment dans ces moments séparés de son maître était à peine contenable.

- Qu'est-ce qui t'effraie ? questionna Remus.

La perspicacité de son Maître le crispa, mais il essaya de ne pas réagir comme il l'aurait fait en tant normal et garda la tête levée avant de se confier :

- Allez-vous m'ordonner de porter le collier à Poudlard en votre absence, Maître ?

Sa voix avait été mal assurée et l'ancien professeur de Poudlard l'avisa quelques secondes.

- Pas si je peux avoir confiance en toi, murmura-t-il. J'estime que cet objet s'approche davantage d'une punition que d'une solution de confort pour moi, non ? Rogue l'avait créé avec quelle idée en tête ?

Hésitant, Harry se redressa un peu, songeant qu'il avait relâché ses épaules pour une posture trop décontractée. Quelques souvenirs affluèrent à sa mémoire et le visage de son ancien maître s'imposa sans difficulté à son esprit.

Harry recula de plusieurs pas, jusqu'à buter contre le bureau de son maître.

- Reviens ici, ordonna Severus.

Son regard noir et implacable ne laissa pas place à la réplique. Il tenait un collier en cuir dans sa main et Harry se sentait horrifié. Les larmes lui montèrent aux yeux sans qu'il ne parvienne à les maîtriser.

- C'est quoi ça ? trembla-t-il. Vous allez m'obliger à mettre ça ? Comme un chien ? Mais pourquoi ?

Les sourcils de Rogue se soulèvent succinctement et Harry comprit tout de suite que son ton n'avait pas plus à son Maître. D'ailleurs, il ne l'avait même pas nommé "maître". Devoir le dire à presque chaque phrase commençait à lui racler la gorge.

Par instinct de survie, il contourna le bureau sans faire dos à Rogue et se plaça derrière.

"comme si ça allait pouvoir te sauver" songea-t-il.

- Qu'espères-tu en plaçant un meuble entre toi et moi ? sembla se moquer le sorcier.

Harry eut l'impression que son maître était ironique, mais son visage impassible ne lui permis pas de l'affirmer.

- Pourquoi vous voulez me mettre ça ? s'enquit-il d'une voix cassée par l'angoisse. Qu'est-ce que j'ai fait de mal encore ?

Il était disciple depuis un an maintenant. Ses rapports avec son maître commençaient très légèrement à s'adoucir, c'était du moins l'idée qu'il avait bêtement eu en tête la veille lorsqu'ils avaient plaisantés quelques secondes avant qu'il aille au lit.

Une hésitation passa rapidement dans le regard de Rogue. Sans doute était-il en train de peser dans la balance la perspective de châtier l'insolence de son disciple tout de suite ou après lui avoir hurlé dessus. Harry était convaincu qu'il allait encore se faire battre et il n'était même pas 9h du matin. La journée allait être affreuse et longue.

À sa grande surprise, Rogue croisa seulement les bras sur sa poitrine. Le collier dans sa main attira le regard du disciple qui sentit un frisson glacial remonter le long de sa colonne vertébrale.

- Qu'est-ce que j'ai fait de mal encore ? répéta posément Severus Rogue. Tes fautes de discipline se cumulent à peine sorti de ta chambre, si tu veux tout savoir, et ma patience est mise à l'épreuve constamment, mais pour une fois ça n'a rien à voir. Le collier est une garantie que je veux tester.

- Une... Une garantie ? Mais.. Mais de quoi ?

- Que je peux contrôler ton animagus, répliqua-t-il sèchement. À défaut de maîtriser ta langue insolente, lui au moins je peux peut-être le faire taire !

- Harry ? souffla Remus.

Le susnommé tressaillit.

- Oui, maître, pardon. Monsieur Rogue disait que c'était un moyen de contrôler Lyro, qu'il devait avoir la possibilité de le faire taire quand il le désirait.

Remus acquiesça, songeur. Un silence s'instaura durant lequel Harry en profita pour calmer les battements de son cœur. Le collier ne l'effrayait pas tant que ça. Il ne provoquait pas de douleurs, du moins pas tant qu'Harry s'y soumettait, mais le silence de Lyro était assourdissant pour lui. La séparation était douloureuse émotionnellement et son ancien Maître ne lui avait jamais imposé plus de 3 jours. Et déjà 3 jours c'était une éternité !

- A vrai dire, je n'avais pas pensé au collier jusqu'à présent, avoua Remus.

Harry lui jeta une œillade étonnée.

- Je l'ai en ma possession, évidemment. Et au besoin, j'en userais, mais je pars du principe que nous pouvons nous en passer, même si ce serait sans doute une solution simple et efficace. Tu comprends ce que je veux dire ?

Un peu perplexe, Harry ne cacha pas son hésitation.

- Que... la balle est dans mon camp ? hasarda-t-il d'une voix timide.

Voix qui fit rire son maître.

- Tout à fait, acquiesça-t-il.

Harry aurait voulu rire également, mais trop d'angoisses parcouraient ses muscles jusqu'à comprimer sa poitrine. Il voyait bien que son nouveau maître était complètement à l'opposé de celui qui l'avait éduqué. Monsieur Lupin cherchait à lui insuffler un peu de son insouciance passée, un peu de liberté oubliée, un peu d'indépendance, mais tout ça lui semblait provenir d'une vie impossible à rejouer. Combien de gifles avait-il pris pour un mot mal placé ? Un regard trop perçant ? Une réplique trop à la limite de l'insolence ?

- Pour répondre à ta question, et tu vas comprendre pourquoi je voulais attendre un peu pour en discuter avec toi, lorsque je serai absent, je devrais te confier à quelqu'un.

Harry dévisagea son maître incertain de bien comprendre.

- Il ne sera pas ton maître, je ne lui donnerai pas le droit de te maltraiter, murmura Remus, doux. Mais si tu es disciple c'est pour plusieurs raisons. Et l'une d'elle reste, même si c'est difficile, qu'un sorcier adulte et expérimenté garde une autorité sur toi et ce que tu es capable de faire. Severus dispose de ce pouvoir sur toi. Sans doute plus que moi-même à l'heure actuelle.

Se sentant blanchir, Harry fut incapable de ne pas baisser les yeux.

- Je suis désolé que ça te blesse, souffla Lupin.

Ses mots surprirent le Survivant qui sentit ses yeux s'humidifier. Il se força à faire refluer les larmes et releva la tête.

- Est-ce qu'il y a vraiment d'autres raisons valables que je sois disciple ?

La question lui avait écorché la gorge, mais une rage depuis longtemps étouffée noua son estomac. Quelque part en son esprit, Lyro s'agitait, se débattait même d'un souhait de rébellion qu'Harry savait maîtriser la plupart du temps.

Remus se redressa avant de fixer son élève d'un regard impossible à identifier pour son disciple.

- Autre que te contrôler ? lança-t-il.

Le ton avait été plus sec et Harry acquiesça brièvement, bien conscient d'être d'une insolence terrible.

- Si tu les ignores c'est que ton ancien maître a échoué là où je l'imaginais avoir excellé.

Pour le coup, Harry n'avait aucune idée de ce que son maître voulait dire. Le regard des deux sorciers de chevilla. Lupin n'avait pas l'air si contrarié de l'impertinence de son disciple, songea Harry, mais il n'était pas content pour autant.

- Va manger, maintenant, ordonna-t-il.

Il y eut un instant de flottement, Harry n'ayant pas imaginé que la conversation se terminerait ainsi. Il se reprit et s'inclina, puis quitta la pièce sans se retourner.