La Grande Salle était aussi bruyante et agitée qu'à l'accoutumée. Personne n'avait noté le trouble qui habitait Drago, d'autant plus que ce dernier faisait tout son possible pour ne rien en laisser paraître.
Un spectateur attentif, cependant, remarquerait que son sourire crâne était plus crispé qu'à l'ordinaire, que ses yeux fatigués mais nerveux jetaient des regards vifs et inquiets autour de lui et à chaque mouvement brusque, ou encore que ses mains pâles et moites de transpiration tremblaient lorsqu'elles saisissaient le moindre aliment ou couvert…
Le toast entre ses doigts frémissait. Sa prise élégante avait disparu : il serrait trop fort et le pain s'effritait malgré lui. Les miettes sèches et blanches pleuvaient sur sa robe noire.
Ses lèvres s'entrouvrirent et une respiration qu'il aurait voulu un peu plus maîtrisée s'en échappa sans le soulager.
Il s'empara doucement d'un couteau. Encore une fois, il fallait être un observateur vigilant pour distinguer l'appréhension et le léger mouvement de recul quand la chair fragile entra en contact avec le métal tranchant. Il ferma les yeux, reprit son calme et sa poigne se fit plus ferme. Trop ferme. Il préleva un morceau de beurre plus épais et irrégulier qu'il n'en avait l'habitude. Ce fut quand il ramena le couteau alourdi vers lui, quand il commença à étaler son contenu sur le pain craquant que le cri résonna.
Était-ce un cri ? Chacun eut la sensation de percevoir celui-ci davantage avec ses os qu'avec ses oreilles. Si le tissu de la réalité, en se déchirant, avait pu produire un son, il aurait ressemblé à celui-là : à un hurlement strident, noir et acéré, fait pour ne jamais s'arrêter, et qui cessa pourtant d'un coup, aussi rapidement qu'il avait commencé.
Tous, élèves comme professeurs, interrompirent leurs discussions ou leurs actions en cours, s'immobilisèrent, écarquillèrent les yeux, et le silence succéda à l'horreur. Enfin, puisqu'on était à Poudlard, la vie reprit son cours après quelques secondes de flottement et autant de rires gênés et discrets.
Sauf pour Drago Malefoy, dont la robe s'ornait désormais d'une hideuse tâche de gras. Le couteau beurré lui avait échappé et était tombé sur ses genoux tremblants. La colère et la vexation coloraient désormais ses coups d'œil nerveux.
Bien fait pour lui.
Pattenrond s'éloigna de la vieille corne d'abondance en cuivre qu'il avait utilisée comme un mégaphone.
Il n'aimait plus du tout Drago Malefoy, et il comptait bien le lui montrer.
