Mes petits chats,
Je vous propose aujourd'hui la troisième partie de la croisière de l'amour de Thor dans les Caraïbes :) Le Naglfari a quitté Miami et navigue à présent en haute mer et les journées sont riches en activités et en rencontres :)
Cette partie est un peu plus courte que la précédente. J'ai préféré la diviser pour garder un rythme de lecture plus agréable et léger, comme l'atmosphère que j'essaye de donner à cette histoire de Saint-Valentin.
Chère Marry, je te remercie pour ton commentaire toujours aussi enthousiaste. Merci pour tes compliments et ton ressenti. C'est très agréable à lire, ils m'aident à poursuivre dans la ligne directrice que j'ai choisi pour cette histoire. J'apprécie aussi ton avis sur les caractères de mes personnages. Pour être franche, j'avais imaginé au début une histoire où les rôles étaient inversées. Loki se faisait plaquer et Thor était le beau capitaine de navire. J'ai finalement trouvé que c'était un peu trop facile et attendu, le contraire provoque des situations et des caractères justement plus intéressants. Heureuse de constater que je ne me suis pas trompée :) Concernant la différence d'âge dans le couple, je prends bonne note de ta suggestion (tu es, de fait, une interlocutrice de choix sur ce point !). Je suis en train d'écrire la dernière partie de cette histoire, j'ai donc une bonne idée de là où je veux conduire mes personnages. Toutefois, n'hésites pas à me faire des retours si tu trouves que certaines situations sonnent faux. Certes, toutes les expériences amoureuses sont différentes et je ne serai peut-être pas de ton avis mais il peut être intéressant de confronter nos idées. J'ai la hantise des lieux communs en littérature (des situations trop attendues) même si le thème de la Saint-Valentin favorise quand même ce type de "cliché". Au plaisir de te lire à nouveau :)
Je vous laisse découvrir la suite.
Au plaisir de vous retrouver bientôt,
ChatonLakmé
The Miami Herald est un journal quotidien fondé en 1903 à Miami. Il propose une importante couverture de l'actualité nationale et internationale. La rédaction a remporté vingt prix Pullitzer depuis sa création. Il est distribué dans toute le sud de la Floride. J'ajoute que l'anecdote concernant l'impression à la demande des journaux est authentique. Cela fait effectivement partie des services de palace, y compris le repassage du papier…
Le Mercalm est un antihistaminique bien connu des gens malades dans les transports, utilisé pour prévenir et traiter les nausées.
Le Skidbladnir est un autre navire légendaire de la mythologie nordique, propriété à Loki avant devenir celle du dieu Freyr. Construit en bois et assez vaste pour accueillir tous les dieux, il a le pouvoir de naviguer sur terre et sur mer, de pouvoir être démonté et même rangé dans une poche.
Le Valhalla (Walhalla dans sa graphie allemande) est le royaume merveilleux où sont accueillis les braves morts au combat dans la mythologique nordique et emportés par les Valkyries. Se trouvant au sein de la forteresse d'Asgard sur laquelle règne Odin, ils sont alors entraînés par ce dernier en vue du Ragnarök, la fin du monde.
PS : Le costume que porte Thor lors du dîner du capitaine (une réelle tradition des croisières) est, celui figurée sur le numéro de décembre 2014 du magazine PRESTIGE, édition de Hong Kong. Si vous voulez vous faire plaisir un instant, ça ne fait pas de mal :)
Asgard Luxury Cruises
o0O0o o0O0o
Troisième partie
Thor a toujours pensé qu'il était un homme pragmatique, sensé et raisonnable.
Il prend son temps pour réfléchir, pèse ses décisions et ne revient jamais sur ce qu'il choisit. Ça a toujours été sa ligne de conduite, depuis la leçon de choses qu'Odin lui a donné quand il avait douze ans. Un homme doit être honnête avec lui-même et assumer ses décisions.
Donc, Thor est un homme pragmatique, sensé et raisonnable.
Jusqu'à maintenant.
Il s'est senti très courageux et audacieux en venant seul à cette croisière de Saint-Valentin même s'il a eu besoin d'un moment pour l'assumer dans la file d'attente.
Maintenant qu'il est à bord, Thor peut dire sans hésitation qu'il adore le Naglfari.
Dommage que le Naglfari ne l'apprécie pas en retour.
Le blond passe sa première soirée et une partie de la nuit en proie à un atroce mal de mer. Entre deux nausées, il s'est demandé plusieurs fois ce qu'il est venu faire dans cet enfer sur l'eau, aussi luxueux soit-il.
Bon sang, son lit king-size tanguait et son estomac avec lui.
Au dîner, il a été vaguement réconforté de voir que Clint ne semblait guère plus vaillant que lui. Natasha leur a commandé à tous les deux des assiettes d'entrée pour qu'ils se calent l'estomac mais pas trop. Son regard entendu à ce moment-là a rendu Thor encore un peu plus vert. Ou pâle. Ou un très inesthétique mélange des deux.
— « Manger est une des meilleures manières de lutter contre le mal de mer. De toute manière, vous savez que tout ça se passe uniquement dans votre tête, n'est-ce pas ? Le navire est tellement gros que vous ne pouvez pas le sentir tanguer. Maintenant, avalez ça. C'est délicieux et c'est exactement ce dont vous avez besoin. »
Sans doute, Thor voulait bien la croire sur parole. C'est juste que la nourriture ne passait pas sa gorge trop serrée et que chaque bouchée qui parvenait à la franchir rebondissait dans son estomac comme un feu d'artifice. Définitivement écœurant.
Quand le serveur est venu débarrasser leur table, le blond a été sincèrement gêné par les assiettes presque pleines que Clint et lui ont renvoyé en cuisine.
Il a laissé un pourboire royal en guise d'excuse.
Thor n'est parvenu à passer une nuit à peu près correcte que grâce à la présence d'esprit de Joseph, le majordome privé mis à disposition des clients VIP. Le blond le partage avec les occupants de trois autres cabines mais l'homme a été très dévoué en voyant sa mine pathétique. Il l'a presque mis au lit, lui a déposé une plaquette de comprimés sur la table de chevet avec une carafe d'eau. Thor s'est laissé faire comme un enfant, un peu misérable.
Joseph vient de la Jamaïque. Il est un peu plus jeune que lui, les yeux noirs, la peau foncée et un accent chantant teinté de créole.
Un accent très rassurant et doux quand Thor serrait douloureusement les dents pour contenir ses nausées.
Au matin du premier jour de la croisière, il a atrocement faim. Il est guéri.
Le jeune homme passe un long moment à se réveiller tranquillement sur le balcon, emmitouflé dans l'épais peignoir de sa cabine et ses pieds nus dans ses pantoufles. C'est agréable, un peignoir brodé à son nom.
Quand il aperçoit des dauphins sauter au large, à quelques dizaines de mètres de la coque, il a envie d'éclater de rire et d'envoyer des dizaines de photo de ces petits points noirs à Freya.
Au revoir tristesse, bonjour bienheureuses vacances !
Thor prend une longue douche brûlante puis allume la télévision pour regarder le journal du matin, un petit rituel qui insupportait Aidan.
— « Thor, s'il te plaît ! Mon grand-père fait la même chose et il a soixante-dix ans. Si tu commences à lire un journal papier au petit-déjeuner, je te promets que je ne couche plus avec toi jusqu'à ce que tu arrêtes. Tu n'es pas un vieil homme ! »
Thor a modifié son abonnement au Miami Herald pour le faire livrer à son agence d'événementiel dans le quartier de Brickell à Miami.
Mince. Cette fois il pourrait le faire. Il pourrait lire le journal, entièrement nu sous son peignoir tout en buvant une coupe de champagne à neuf heures du matin personne n'y trouverait rien à redire.
Il peut faire ce qu'il veut, quand il veut et de la manière qu'il veut.
Oh liberté.
Son impression d'avoir des ailes dure environ dix minutes.
Dépité, la télécommande à la main, Thor ne peut que constater qu'il a complètement déréglé la télévision de sa cabine. Il cherchait la chaîne d'infos NBC, il a seulement un écran est couvert de neige. La mort dans l'âme, il se résout à sonner pour appeler Joseph. L'homme toque à sa porte à peine trois minutes plus tard.
— « Monsieur Odinson ! Avez-vous bien dormi ? »
Le majordome arbore un sourire contagieux, plein de chaleur et de gentillesse. Thor désigne la télé allumée d'un geste vaguement exaspéré.
— « Bien mieux que je ne l'espérais. Merci Joseph, c'est grâce à vous », admet-il en s'asseyant sur le bout de lit. « Et vous-même ? »
Joseph s'accroupit devant le meuble télé, un sourire encore plus large aux lèvres. Il semble ravi par la question.
— « Très bien, je vous remercie ! Le bruit des vagues et le ronronnement des moteurs me bercent toujours ! »
— « Vous êtes chanceux. J'ai eu besoin d'un comprimé de Mercalm pour trouver le sommeil. »
— « Cela vous passera. Si je peux me permettre, je vous trouve une bien meilleure mine ce matin, je pense que le pire est derrière vous. » L'homme fait pivoter l'écran de la télé pour regarder les branchements des câbles au dos. « Maintenant, vous devez manger, bien vous hydrater et prendre régulièrement l'air sur le pont. Et demain, nous accostons à Cozumel pour la première escale. Vous retrouverez la terre ferme. » »
Thor hoche la tête. Il observe les gestes rapides de Joseph et pose ses coudes sur ses cuisses.
— « Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? »
— « Rien de grave, vous vous êtes trompé de canal vidéo et vous avez enregistré votre choix par défaut. Vous auriez pu éteindre et allumer la télévision autant de fois que vous voulez, vous n'auriez toujours eu qu'une image brouillée. »
Le majordome lui montre les touches adéquates sur la télécommande et le blond opine sagement, attentif et concentré. … La télécommande a énormément de touches et au moins autant de fonctions associées.
— « Je suis navré de vous déranger pour ça… »
— « Je vous en prie, monsieur. Souhaitez-vous petit-déjeuner dans votre cabine ce matin ? »
— « Je peux faire ça ? », demande Thor en haussant un sourcil intéressé.
— « Bien entendu. Ce type de prestation est compris dans votre formule all inclusive Saint-Valentin. Sans offense, monsieur. »
Le jeune homme élude en haussant légèrement les épaules. Thor a fait la connaissance de Joseph en rentrant de dîner la nuit dernière, alors que le majordome préparait sa chambre pour la nuit. Il s'est très poliment étonné de l'absence de dame à ses côtés, puis de monsieur quand le blond a fait un rictus un peu douloureux. Joseph lui a juste offert un sourire plus sympathique que les autres, sans pitié ni dédain. Thor pensait qu'il allait vomir sur la moquette à cinq cents dollars le mètre carré de sa cabine mais il avait quand même été en mesure d'apprécier sa délicatesse.
Le blond allume la télé sur la NBC et baisse le son pour ne pas déranger ses voisins éventuellement encore couchés.
Il lui a semblé déjà entendre des rumeurs d'amour la nuit passée, certains doivent avoir du sommeil à rattraper.
Il observe Joseph qui est en train de ranger le meuble télé avec soin, comme s'il n'avait touché à rien pour réparer les maladresses de Thor.
Le blond aime sa présence solaire et sa gentillesse sans obséquiosité, il n'a pas envie de le voir partir immédiatement. Il se racle légèrement la gorge.
— « … Vous travaillez depuis longtemps pour ALC ? Je ne veux pas être indiscret, je suis juste curieux. C'est la première fois que je fais une croisière et tout est très nouveau pour moi », s'empresse-t-il d'ajouter.
Joseph sourit toujours. Il porte le même uniforme blanc avec un col mao droit que la veille. Une discrète plaquette dorée à son nom est épinglée sur sa poitrine.
— « C'est ma cinquième saison sur le Naglfari. Avant, je servais sur le Skidbladnir mais je suis originaire des Caraïbes et mes absences duraient des mois. Maintenant, je peux travailler et revoir mes proches plus fréquemment. J'ai été rejoint par deux cousins et un petit neveu. Le capitaine Laufeyson a appuyé notre nouvelle demande d'affectation en insistant sur le fait que nos attaches locales font de nous de meilleurs interlocuteurs pour nos clients », explique-t-il.
— « J'en suis sûr. … Vous connaissez le capitaine ? »
Thor n'ose pas se faire confirmer s'il s'agit de l'homme en uniforme blanc ou celui en uniforme noir qu'il a vu lors de l'embarquement. Joseph opine vigoureusement, une étincelle de fierté luisant dans ses yeux sombres.
— « Le capitaine Laufeyson est un très bon capitaine. Il est respectueux de tout le personnel de bord et il n'oublie jamais un anniversaire ou de célébrer une naissance. L'année dernière, un autre majordome est devenu père alors qu'on naviguait dans le golfe du Mexique. Le capitaine l'a autorisé à utiliser le système d'appels privés de sa cabine pour contacter sa famille. Et il est resté très longtemps. Je le comprends, sa femme ressemble à la dernière Miss Brésil ! », rit l'homme.
Le blond sourit. Il gratte distraitement la toile de son jean d'un ongle.
— « Il a l'air d'être un homme bien », dit-il prudemment.
— « Il l'est. Vous pouvez demander à n'importe quel employé du Naglfari, ils vont diront la même chose que moi. » L'air bonhomme de Joseph s'assombrit brièvement. « … Tous les capitaines de la flotte ne sont pas aussi attentionnés et respectueux. »
Il lui jette un regard en coin, un peu gêné à l'idée d'en voir trop dit. Thor le rassure d'un léger sourire. Il ne commentera rien ni ne dira rien, ça ne le regarde pas. … Si ce n'est encore un détail. Un tout petit et minuscule détail.
— « Le capitaine s'appelle Laufeyson ? Il me semble avoir déjà lu ce nom quelque part… », note-t-il en fronçant les sourcils.
Oui, il l'a lu mais où… ?
Joseph s'active autour de lui, le pas léger et les gestes discrets. Thor l'observe replacer la chaise du bureau, ranger le peignoir négligemment abandonné sur le lit dans la penderie.
— « Les Laufeyson sont actionnaires d'Asgard Luxury Cruises », souffle-t-il après un court silence.
C'est ça.
Il l'a lu sur le prospectus de la compagnie, inscrit tout en bas dans les mentions légales relatives à la société. Leur nom apparaît, accolé au nom commercial de l'entreprise déclaré au registre du commerce. Il hoche la tête mais le majordome ferme un peu brusquement la porte de la penderie, les sourcils froncés et toute sa bonne humeur pleine de chaleur un peu envolée.
— « Le capitaine porte le même nom mais il a travaillé très dur pour obtenir le commandement du Naglfari, plus dur que n'importe qui d'autre », ajoute-t-il en hochant vigoureusement la tête.
Thor sourit. Belle loyauté.
Maintenant, il est aussi certain que l'homme à l'uniforme noir est le capitaine Laufeyson. Il a déjà vu une photo de Laufey Giantson il y a longtemps dans un article économique du Wall Street Journal. L'homme d'affaires aux multiples domaines d'activité est discret et fuit la lumière. Thor se souvient quand même du relief acéré de sa mâchoire, de son front haut et de son visage, plutôt beau bien que froid. Le brun a un peu les mêmes traits. En plus doux et avec un sourire des plus chaleureux.
Joseph revient vers lui et se tient à ses côtés, les mains dans le dos et attendant ses directives.
Thor jette un regard au balcon de sa cabine et sourit. Un petit-déjeuner presque au lit ? Il n'a pas fait ça depuis qu'il avait quatorze ans, alité et sérieusement grippé. Freya lui apportait gentiment de quoi reprendre des forces. Le blond n'avait plus ni goût ni odorat, il aurait bien été en peine de se souvenir ce qu'il avait mangé.
— « … J'aimerai beaucoup petit-déjeuner ici », admet-il.
— « Excellent choix, monsieur ! »
Joseph opine farouchement. Il marche jusqu'au bureau, ouvre un tiroir pour en sortir une luxueuse brochure sur papier glacé qu'il lui tend. C'est la carte des petits-déjeuners et elle fait plusieurs pages. Mince, Thor a envie de tout goûter. Même les prix discrètement affichés en petits caractères ne l'effraie pas. Il a déjà payé pour ce service dans le prix global de la croisière alors, vive le plaisir !
Le blond la détaille avec attention et gourmandise et le majordome rit joyeusement. Il marche jusqu'à la table de chevet et décroche le téléphone design avant de le caler à son oreille.
— « Avez-vous fait votre choix, monsieur ? »
— « Je vais prendre la formule complète continentale. »
— « Souhaitez-vous quelque chose de particulier en complément ? »
Thor ne s'étonne pas de n'avoir aucune question sur ses potentielles allergies alimentaires ou ses dégoûts. La compagnie a déjà enregistré toutes ses préférences grâce au long questionnaire client qu'il a rempli quelques jours avant l'embarquement. Asgard Luxury Cruises ne connaît que son goût immodéré pour le chocolat et le fait qu'il n'aime pas du tout la cannelle. Aucune information sur Aidan. Il ne s'agit que de lui, il est important. Cela lui donne l'impression d'être considéré et, il doit l'avouer, un peu choyé. Freya a raison, il pourrait rapidement se faire à ce luxe.
Le blond se mord les joues.
— « … Est-ce que le chef pourrait faire aussi des pancakes à la banane ? Je n'en ai pas mangé depuis une éternité… », avoue-t-il.
Joseph acquiesce, déjà en train de communiquer la commande à la cuisine. L'homme hoche la tête, sourit, dit un mot de remerciement en espagnol et se tourne vers lui, le combiné à l'oreille.
— « Encore autre chose pour accompagner votre petit-déjeuner, monsieur ? »
Thor repose la brochure sur le lit et secoue la tête. Il préfère ne pas être trop gourmand. Le souvenir de son assiette presque pleine rapportée en cuisine le soir précédent est toujours une humiliation. Il déteste le gaspillage, ses parents ne l'ont pas élevé comme ça.
Sur l'écran de la télévision HD, la jolie présentatrice de NBC commente un des titres du journal en souriant. Peu importe qu'il s'agisse d'une triste histoire de faillite d'une grande entreprise de construction dans le Texas, le prompteur ne doit pas souligner assez le caractère dramatique de la situation. Elle sourit vraiment beaucoup.
— « Est-ce que vous avez des titres de presse à bord ? », demande-t-il.
— « Que souhaitez-vous que je vous amène ? »
Thor secoue la tête, un sourire aux lèvres. Ça ne fonctionne pas comme ça.
— « Je lis le Miami Herald et le New York Times parfois mais il y a des centaines de titres de presse, vous ne pouvez pas tous les avoir. »
— « ALC est abonné à plus de quatre cents journaux nationaux et internationaux en version numérique. Je peux demander l'impression des numéros qui vous intéresse, faire repasser le papier et les relier à votre intention. Ils seront prêts au moment où je vous apporterai votre petit-déjeuner, dans approximativement… quinze minutes », explique Joseph en regardant discrètement sa montre. Souhaitez-vous lire les éditions du jour ?
— « S'il vous plaît. Ce serait parfait. »
Thor est stupéfait. Le monde du luxe et des ultra riches est réellement un monde à part.
Le majordome lui adresse un élégant salut d'un signe de tête et prend congé. La main sur la poignée de la cabine, il se retourne une dernière fois vers lui.
— « Si vous êtes amateur de dessert à la banane, permettez-moi de vous donner la meilleure adresse de toutes les Caraïbes quand nous ferons escale à Georges Town », dit-il joyeusement.
— « Vous les avez déjà goûtés ? »
— « Depuis j'ai l'âge de me souvenir du goût. Ma grand-tante tient la boutique depuis 1974 ! », s'esclaffe-t-il.
Thor lève les yeux au plafond, un sourire aux lèvres. Pourquoi pas.
Il range avec soin le menu, tourne l'écran de la télévision pour pouvoir la regarder depuis le balcon et retourne s'installer confortablement. Le blond écoute distraitement le journal télévisé, le regard porté au loin sur le golfe du Mexique pour guetter d'autres dauphins.
Sur NBC, Sharonna Pricley est en train d'annoncer la météo, présentée par Jonathan Nassau, quand Joseph revient.
Il pose devant lui un plateau si richement garni que Thor se sent heureux de ne pas avoir commandé plus. À côté de la cafetière qui garde la boisson au chaud – le jeune homme cligne des yeux en se demandant si elle est vraiment en argent massif – et de la vaisselle en porcelaine avec les pancakes, deux journaux sont soigneusement pliés. Thor est sûr que s'il les porte à son nez, il sentira l'odeur de l'encre fraîche et celle du papier neuf.
Le majordome lui souhaite un excellent petit-déjeuner avant de s'éclipser.
Se faire servir chez lui, traîner dans ce confortable salon extérieur hors de prix. Thor soupire de contentement tandis qu'il déplie le Miami Herald devant lui. Il pourrait vraiment s'y habituer.
Bienheureuses vacances.
Extrait de la brochure Asgard Luxury Cruises – croisière de dix jours dans les Caraïbes
« Troisième jour – Première escale
Troisième plus grande île du Mexique, Cozumel est une merveille naturelle. Inhabitée sur la moitié de sa surface, elle offre des endroits sauvages, parfais pour la randonnée et la découverte de la flore et de la faune locale. Réputée pour la beauté de ses eaux et de ses plages de sable blanc, elle vous donnera l'opportunité de plonger parmi les rares tortues marines dulceacuícolas et d'approcher au plus près du Grand Récif Maya, la plus grande barrière de corail d'Amérique. Le Naglfari y accostera pour une journée et vous permettra de découvrir ses merveilles dans un environnement préservé et luxueux. »
Thor vérifie une dernière fois son sac à dos en toile tandis qu'il enfile sa paire de mocassins.
Serviette de plage, gourde d'eau fraîche préparée par Joseph, un roman policier qu'il a commencé il y a des semaines sans réellement avancer dessus, vêtements de rechange.
Le blond porte un bermuda sable et un polo sans manches, ses lunettes de soleil sont posées sur son crâne. Il glisse dans ses poches son portable et un simple portefeuille en cuir avec un peu d'argent liquide.
Le Naglfari a jeté l'ancre au large de l'île mexicaine de Cozumel pour la première escale de la croisière.
Natasha et Bruce ont déjà débarqué avec la navette du paquebot en début de matinée, la jeune femme rêvant de faire de la plongée dans les eaux cristallines avant l'affluence des touristes. L'île est réputée pour ses tortues marines et la beauté de ses plages.
Thor a décliné, préférant faire la grasse matinée dans son gigantesque lit king size. Il y aura toujours des tortues du côté du récif Columbia et le blond compte tenter sa chance dans l'après-midi. Le groupe a prévu de se retrouver pour le déjeuner à l'un des restaurants de plage en face du Naglfari pour déguster du poisson frais. En attendant le retour de ses amis de leur balade en mer, il va aller lézarder au soleil sur le sable chaud de Playa Palancar.
Thor sourit.
Cette croisière est un paradis.
Il quitte sa cabine, verrouille avec soin derrière lui. Alors qu'il patiente devant l'ascenseur, Thor croise Joseph, accompagné de deux hommes aux yeux aussi sombres que les siens. Ils portent l'uniforme des stewards, le blond reconnaît ceux du luxueux lobby bar du pont huit.
Le majordome lui sourit et hoche la tête en guise de bonne journée. Le blond le remercie d'un petit signe de la main.
L'ascenseur tinte doucement devant lui et les portes s'ouvrent. Thor s'apprête à entrer quand il aperçoit le vieux couple Jones d'Orlando le rejoindre à petits pas pressés, appuyés l'un contre l'autre. Le blond s'empresse de bloquer la porte puis leur laisse sa place, ils sont déjà à l'étroit.
La dame aux cheveux parfaitement blancs lui adresse un charmant sourire de remerciement. Elle porte un ravissant chapeau en paille orné de fleurs en papier, son mari a un nœud papillon au col de sa chemisette. Ils sont si adorables que Thor reste devant l'ascenseur jusqu'à voir les portes se refermer entièrement sur eux, juste pour vérifier que tout se passe bien.
Le blond remonte les lanières de son sac à dos sur ses épaules, regarde autour de lui et décide d'emprunter les escaliers pour regagner le hall principal. Six niveaux à descendre, quelle importance. La journée va être excellente.
Quand il rejoint le hall principal, le jeune homme remarque le brun en uniforme blanc qu'il a vu à côté du capitaine Laufeyson à son embarquement.
Debout sur le ponton d'embarquement de la navette qui rejoint Cozumel, l'homme adresse un mot aimable et un sourire à chacun. Il offre volontiers son aide pour monter à bord du petit bateau.
Thor pince les lèvres en remarquant la manière dont il tangue doucement sur l'eau, bien moins stable que la coque gigantesque du Naglfari.
Mince, dire qu'il se trouvait fier d'avoir maintenant le pied à peu près marin. Le blond frotte distraitement son ventre du plat de la main. Il semble que ça ne concerne que les luxueux paquebots de croisière à plusieurs milliards de dollars.
L'homme aide une petite fille à monter à bord, un peu pâle et les gestes prudents alors que son frère saute presque sur le pont. Elle s'agrippe très fort à sa main et jette des regards noirs à son aîné qui s'amuse à tanguer exagérément devant elle.
Thor esquisse un sourire un peu tordu.
Il sait que l'enfant s'amuse mais il se balance si fort d'un pied sur l'autre que l'observer pourrait lui redonner le mal de mer. Le blond essuie son front d'une main.
— « Est-ce que tout va bien, monsieur ? »
Thor tourne la tête.
Le capitaine en second lui sourit poliment mais ses yeux brillent de malice.
Le blond remonte son sac sur son dos d'un coup d'épaule. Il hoche la tête, fait un pas en avant pour enjamber courageusement le bastingage mais le bateau bouge soudain un peu trop à son goût. Il recule. Le brun s'esclaffe, il se penche pour attraper l'épais cordage amarré au pont et le tire puissamment vers lui pour coller la coque contre celle du Naglfari.
Thor le remercie d'un sourire un peu tordu. Il ne se sent pas très glorieux à cet instant. Un membre d'équipage traverse le pont et échange quelques mots en espagnol avec le capitaine en second qui s'assombrit imperceptiblement.
— « Il semble que le moteur a une petite avarie technique. Le départ de la navette est légèrement retardée », explique-t-il.
— « … Je vais attendre ici. »
Le brun rit joyeusement.
Les mains dans son dos, il observe avec attention l'équipage s'activer autour du puissant moteur, une caisse à outils ouverte à ses côtés. Thor les regarde aussi. L'affaire semble mal engagée s'il en croit les marmonnements en espagnol de l'homme qu'il suppose être le mécanicien. Il va vraiment attendre sur le pont.
— « Est-ce que votre séjour à bord se passe bien ? », lui demande le brun après un court silence.
— « Il se passe mieux… J'ai eu un peu le mal de mer le premier jour », admet humblement Thor.
— « Si vous ressentez encore le moindre désagrément, nous avons un médecin à bord. »
— « Ce sera inutile, je me sens beaucoup mieux. Joseph, le majordome attaché à ma cabine, m'a donné quelque chose et j'ai bien dormi. »
— « J'en suis heureux. » Le brun lui sourit. « Je ne me suis pas présenté, je suis Antony Tony Stark, le capitaine en second du Naglfari. »
— « Thor Odinson », répond-il en lui tendant spontanément la main.
Tony la prend, les yeux baissés sur son poignet.
Thor y garde soigneusement son bracelet bleu, discrètement marqué au logo de la compagnie. Joseph lui a dit qu'il pourrait accepter à une somptueuse plage privée sur Cozumel dont le bar fait les meilleurs cocktails à la tequila de cette partie des Caraïbes. Il serait très prétentieux de sa part de ne pas prendre en considération les conseils d'un habitant du coin.
— « Votre épouse préfère rester à bord pendant l'escale ? », reprend poliment le brun. « Peut-être avez-vous une ou deux idées à nous suggérer pour lui rendre sa journée plus belle ? »
Thor fronce légèrement les sourcils.
— « … Je ne suis pas marié. »
— « Vous portez le bracelet des clients VIP de la croisière », lui rétorque Tony du tac-au-tac.
— « … Les choses ne se déroulent pas toujours comme on le souhaiterait. Je me suis séparé peu avant le départ. »
— « Et vous ne pouvez pas annuler votre commande alors vous êtes venu. Je suis navré », grimace légèrement le brun.
Thor hausse les épaules.
Il se sent moins amer depuis qu'il profite seul de sa luxueuse cabine et de tous les équipements du navire. Le blond se demande si cela fait de lui un homme futile.
Reste quand même cette boule d'inconfiance en lui, bien nichée dans ses entrailles, depuis que Aidan l'a quitté pour un compagnon plus jeune, plus… tout à en croire Isaac, son ami artiste et prétentieux. Ça, ça fait encore vraiment mal. Il va lui falloir un peu plus de temps pour passer outre et retrouver son assurance, y compris dans la sensualité. La photo du corps à demi-nu de l'Autre, habillé de ce ridicule et minuscule slip de bain, danse encore devant ses yeux. Difficile de lutter contre tant de muscles fermes et de peau lisse avec quinze ans de plus. Dieu sait pourtant que Thor est un homme qui s'entretient, parfois jusqu'à l'obsession selon ses parents. Freya et Odin ne peuvent pas comprendre l'esprit de compétition et surtout, le besoin de se sentir rassurer sur sa capacité à séduire quand il regarde ses muscles encore gonflés par l'exercice physique. … Thor est peut-être plus superficiel qu'il ne le pensait. Malgré cela, il décide d'aller prochainement tester les équipements de la salle de sport du Naglfari. Juste pour voir.
Il sent le regard de Tony peser un peu sur son visage, le blond lui sourit maladroitement.
— « Ce sont des choses qui arrivent », élude-t-il en retirant sa main.
— « J'espère que vous trouverez matière à vous divertir agréablement. Faire cette escale à Cozumel est une excellente idée et le temps est splendide », dit Tony avant de sourire malicieusement. « N'oubliez pas la navette de retour monsieur Odinson, nous levons l'ancre à dix-huit heures. »
— « Je m'en souviendrai. Le restaurant du pont huit fait les meilleures pâtes aux fruits de mer que j'ai mangés de ma vie. »
— « Notre capitaine les apprécie également beaucoup », s'esclaffe le brun. « Je vous souhaite une agréable journée. »
Comme un pied de nez à ses paroles, le moteur de trois cents chevaux du bateau redémarre dans un ronronnement grave et rauque. Le pot d'échappement diffuse une vague odeur d'hydrocarbure mais les rives de Cozumel sont à quelques minutes de traversée alors Thor fait contre mauvaise fortune bon cœur.
Il monte à son tour à bord et salue le brun d'un signe de la main alors que la navette s'éloigne enfin. Tony lui répond avec enthousiasme, ses yeux noisette pétillant de facétie. Le regard déjà rivé sur les étendues de sable blanc de Cozumel, Thor garde distraitement dans un coin de son esprit le fait qu'il partage les goûts du capitaine Laufeyson.
Tony monte, tourne, marche dans les flancs du Naglfari en sifflotant de satisfaction.
Le navire est presque vide mais il bruisse de cette activité que provoque le départ des clients lors des escales et des retours au port. C'est un son qu'il aime, comme si le paquebot était vivant et que son corps frémissait sous son souffle et le tressaillement de ses muscles.
Certains pensent qu'être en mer la moitié de l'année signifie être seul. Ils ne peuvent pas comprendre ces subtilités, ces sensations que le brun a acquis après des années de service au sein de la compagnie Asgard Luxury Cruises.
Il ne changerait de travail pour rien au monde. Ni de capitaine.
En pensant à Loki, son sourire s'élargit. Il a hâte de lui annoncer qu'il a gagné le pari à trois lettres qu'il a passé avec lui sans en informer le brun.
Le splendide mec blond au simple sac de voyage en toile a eu le mal de mer. Et il est célibataire.
… Reste encore la réponse sur le modèle de ses sous-vêtements.
Tony ricane encore d'aise quand il entre dans le bureau du capitaine, situé sur le pont neuf non loin de la grande cabine de pilotage du Naglfari.
En uniforme et sa casquette posée en équilibre sur son genou droit, Loki est assis sur le canapé du petit salon voisin en compagnie d'un homme de belle stature aux tempes grisonnantes.
Mr Sullivan est le maître d'hôtel du très chic Walhalla, le restaurant le plus haut de gamme du navire. Il est assis sur un fauteuil à côté du brun et boit une tasse de café, le dos bien droit, tandis que Loki consulte une feuille imprimée.
Ce dernier lève à peine les yeux de sa lecture à l'arrivée de Tony et le salue d'un imperceptible signe de tête. Du même mouvement à peine visible, il lui désigne une petite table voisine sur laquelle est posée une cafetière d'un luxueux modèle italien. Le brun le remercie d'un sourire et va se servir à son tour une tasse de ce délicieux arabica dont le parfum embaume la pièce.
Tony se laisse tomber sur le canapé à côté de Loki.
Il pose sa casquette sur la table basse, juste à côté du plateau de go, avant de desserrer légèrement sa cravate.
Le brun ignore le regard réprobateur de Mr Sullivan.
L'homme a été embauché après avoir fait une grande partie de sa carrière dans de prestigieux palaces en Europe. Selon Tony, il en a gardé une rigueur toute britannique et une morgue très française alors qu'il a été formé dans une modeste école d'hôtellerie du Minnesota. Le brun a lu son dossier un jour d'ennui dans le bureau de son ami, cela l'a beaucoup amusé.
Il n'empêche qu'ils sont en milieu de matinée, le service du déjeuner ne commencera pas avant deux heures pourtant Mr Sullivan est déjà sanglé dans son uniforme de maître d'hôtel, ses chaussures parfaitement cirées.
Tony boit une gorgée de café et jette un regard à la feuille imprimée que tient Loki. C'est une liste de noms et le brun grimace. Ce moment arrive toujours trop tôt à son goût pendant les croisières.
Loki est silencieux, concentré. Mr Sullivan lui a apporté sa suggestion pour la composition de leur table lord du premier grand dîner, prévu pour le soir-même.
Le brun déglutit et se retient de tirer sur sa cravate pour la desserrer encore un peu plus. Tony a l'impression de sentir déjà le col toujours trop roide de sa chemise de smoking autour de son cou.
Asgard Luxury Cruises impose le port de l'habit lors de ces sortes de réceptions mondaines, Tony doit s'y plier même si Loki est à chaque fois officiellement l'hôte qui reçoit. Il n'aime pas ça. Le brun apprécie un bon repas avec des vins fins et Loki est un remarquable convive. Il est un épicurien hédoniste alors il pourrait prendre sur lui sans trop de difficultés s'il n'y avait la partie mondaine de l'exercice. Son ami y excelle aussi, Tony est un peu trop spontané pour savoir faire parfaitement semblant alors que l'ennui est souvent le compagnon de ces soirées. Il n'aime pas les faux-semblants, les rires trop perlés ou l'attrait ridicule de leurs uniformes qu'ils quittent pourtant pour ces soirées.
C'est juste fatiguant et parfois, franchement insultant.
Tony a encore en travers de la gorge la liasse de billets de vingt dollars qu'un client lui a mis dans la main il y a trois ans, caché entre deux portes, pour être placé juste à côté de Loki au dîner. Dieu seul savait pourquoi, l'homme ne cessait de se plaindre depuis leur embarquement à Miami et aucune nouvelle journée à bord ne semblait parvenir à le dérider. Insupportable.
Tony se penche un peu plus vers son ami.
Il a une excellente mémoire et reconnaît plusieurs noms. L'ensemble des invités proposés par le maître d'hôtel a payé pour la croisière privilège, cela fait partie du caractère exclusif de leur commande à environ vingt mille dollars. Les autres soirs, les clients seront d'horizons plus divers. Cela rend en général les choses un peu moins ennuyeuses et prétentieuses.
Après un silence, Loki hoche lentement la tête.
— « C'est un choix très judicieux. Je m'en remets à vous pour l'organisation du dîner de ce soir, Mr Sullivan », acquiesce-t-il en rendant la liste à son voisin.
Tony se renfrogne un peu.
Il reconnaît tous les noms et la perspective de passer la soirée en leur compagnie l'enthousiasme peu. Loki est un bien meilleur comédien que lui car il n'a pas cillé en lisant celui du couple mal assorti de la suite premium du pont sept. Le sexagénaire trop apprêté et sa jeune femme poupée avec le petit chien. C'est une cabine à mille cinq cents dollars la nuit alors Mr Sullivan a probablement noté son nom en premier.
Loki tourne la tête vers lui et l'interroge du regard. Tony acquiesce sans envie. Oui oui, un choix très judicieux.
Le maître d'hôtel termine son café, se lève souplement et va la rincer au petit évier à côté de la cafetière avant de la poser sur l'égouttoir à vaisselle.
— « Je vous envoie une proposition de plan de table d'ici midi ainsi que la liste des vins choisis par le sommelier. Est-ce que vous avez une préférence pour les cépages et les vignobles ? », dit-il en pliant soigneusement l'imprimé en deux.
— « Je n'ai aucune recommandation à vous faire, je sais que tout sera parfait », sourit Loki.
— « Je pensais faire réaliser un centre de table avec des hibiscus et une branche de bougainvillier pour rappeler notre escale à Cozumel. »
— « C'est très bien », acquiesce le brun.
Tony renifle légèrement. Il déteste l'air un peu pédant du maître d'hôtel quand il détaille par le menu ce qu'il va faire parce qu'il sait les faire. Le centre de table fleuri, les vins, la couleur des assiettes en porcelaine, le modèle des couverts en argent… C'est juste prétentieux. Comme leur smoking aux revers en satin.
Mr Sullivan les salue d'un signe de tête et quitte le bureau, la tête droite et le pas élastique. Le brun lui adresse un salut un peu goguenard.
— « Les fleurs de Cozumel sont très odorantes et il fait très chaud. Nous allons manger dans un champ de fleurs, ça me coupe l'appétit », grommelle le brun en achevant son café.
— « Je suis persuadé que Daniel y a déjà pensé. »
— « Tu veux dire qu'il va le faire exprès pour me gâcher le dîner ? »
Tony hausse un sourcil narquois. Loki sourit, un léger rire aux lèvres tandis qu'il s'étire, les bras au-dessus de la tête.
— « Je suis sûr que tout va très bien se passer. »
— « Tu arrives à tromper Sullivan mais pas moi, tu n'as pas la moindre envie d'être au grand dîner de ce soir », lui rétorque Tony du tac-au-tac. « La compagnie s'annonce horrible. Tu as vu qu'il y avait les occupants de la suite premium sur la liste ? »
— « … Je sais », grommelle Loki.
Le brun voit son ami et supérieur se raidir un peu. Tony se penche et presse gentiment son genou.
— « Je serai là pour te protéger de lui et de ses mains baladeuses », dit-il en tapotant sa jambe d'un air bonhomme.
Loki roule des yeux et lui donne un coup de coude dans les côtes. Le brun tire entre eux le plateau de go et sa partie entamée à leur départ de Miami. Loki et lui alternent les jeux dans la journée et au gré de la façon dont ils se croisent. Son ami a vite compris les règles de cet antique jeu de stratégie chinois et il se révèle assez bon.
Tony aurait dû s'en douter, Loki est un bon stratège. Excepté en ce qui concerne sa vie personnelle.
Le brun pose son menton dans sa paume et bouge une pierre.
— « Si nous parlions de gens plus intéressants ? »
— « Précise ta pensée, Tony. »
— « … J'ai croisé Thor Odinson sur l'embarcadère tout à l'heure. Il va passer la journée à Cozumel. »
— « Qui donc ? »
— « Thor Odinson, le client de la cabine 632. Monsieur slip ou short de plage. »
— « … Nous n'avons jamais parié à son sujet Tony. »
Le brun cache son sourire dans sa paume. Loki vient de jouer son coup, ses longs doigts élégants refermés sur la pierre noire. Il semble concentré sur le jeu mais Tony le connaît mieux que cela.
— « J'ai gagné quand même. Il a eu le mal de mer la première nuit. »
— « Te réjouir de ça est obscène », grogne Loki en lui jetant un regard noir.
Tony hausse les épaules. Il saura rappeler son gain à son ami la prochaine fois qu'ils jouent au scrabble. Un gain de trois lettres, ça ne s'oublie pas. Surtout qu'au scrabble aussi, Loki est un redoutable adversaire.
— « … Pourquoi est-ce que tu me parles de lui ? », reprend Loki après un silence.
Tony étouffe son sourire ravi en pinçant les lèvres. Le poisson a mordu à l'hameçon et il est bien accroché. Il déplace une pierre blanche.
— « Le fait qu'il aille à Cozumel est très banal, c'est vrai. Ce qui est plus intéressant, c'est qu'il y va seul. »
— « On annonce près de trente degrés cet après-midi, n'importe quelle personne sensée apprécierait de rester dans un navire de luxe climatisé », lui rétorque Loki d'un ton pince-sans-rire.
— « Il y va seul parce qu'il n'est pas marié avec cette rousse incendiaire. »
— « Elle lui tenait le bras. »
Oh, le poisson a tellement bien mordu.
Tony exulte. Il exulte en silence car Loki pourrait se vexer d'être si transparent.
— « Il est venu seul parce qu'il s'est séparé avant de début de la croisière », renchérit-il avec l'arrogance de ceux qui savent.
Loki place une autre pierre et hausse les épaules. Il joue mal le désintérêt.
Tony sait qu'il le fait.
Son ami n'en a sans doute pas conscience mais parfois, Loki suit le blond du regard quand il est sur le pont découvert et qu'il est en service dans la cabine de pilotage du Naglfari.
Il le suit longtemps, pensif et distrait.
— « Ça veut juste dire qu'il a une ex-femme quelque part », marmonne le brun en fronçant les sourcils. « Je dois retourner à mon poste. »
Il pose brusquement sa pierre sur le plateau de jeu et coiffe à nouveau sa casquette.
C'est une fuite ou il ne s'y connaît pas mais Tony n'ajoute rien.
Il soupire, se lève à son tour mais son ami a déjà disparu en marmonnant à propos d'un appareil de mesure à vérifier.
Il pousse à nouveau le plateau de go sur le côté de la table basse, silencieux mais un peu amusé aussi. Il est mille fois trop tôt pour faire remarquer à Loki son nouveau tic, il pourrait se braquer et lui rendre la vie vraiment infernale. Loki peut être une peste quand il le décide.
… Il est trop tôt mais cela ne l'empêche pas de faire son petit bonhomme de chemin de son côté.
Tony quitte le bureau et trottine jusqu'au Walhalla. Comme il s'y attendait, Mr Sullivan est en train de s'entretenir avec Suzana Rodriguez, la sommelière. Des bouteilles s'alignent devant eux sur la table couverte d'une table blanche, chacun avec un calepin à la main. Tony grommelle. Il y a bien trop de bouteilles pour un simple dîner, même un smoking.
— « Mr Sullivan ? Puis-je vous faire une suggestion concernant la table de notre capitaine ce soir ? », lui demande-t-il avec un sourire charmant.
L'homme se raidit un peu tandis que sa compagne esquisse un sourire. Tony apprécie beaucoup Suzana, elle lui a fait découvrir d'excellentes bouteilles qui ont charmé ses beaux-parents à leur première rencontre.
— « La liste a déjà été arrêtée par le capitaine Laufeyson. »
— « Je suis persuadé que ma suggestion lui fera plaisir. Je souhaiterais ajouter le client de la cabine 632, Thor Odinson. Il est venu seul à bord. »
— « Une table ne peut pas compter treize convives capitaine Stark. »
— « Eh bien supprimez les clients de la suite du pont sept. Nous serons onze et ils pourront être des nôtres demain soir. »
— « Ce sont des clients bleu et or. »
— « Je suis persuadé qu'ils peuvent attendre une journée supplémentaire. Cette modification est vraiment au goût du capitaine Laufeyson, Mr Sullivan. »
L'homme maugrée un peu entre ses dents serrées mais Tony sait que cela vaut acceptation. Le maître d'hôtel a un grand respect de la hiérarchie, il ne fera rien pour risquer de déplaire à Loki. Marché conclu donc. Repousser la confrontation avec le client de la suite premium, permettre à Loki de faire un peu plus la connaissance du très séduisant et très célibataire Thor Odinson.
Le dîner s'annonce un peu plus intéressant.
