24 septembre 2006
« Daisy, il faut vraiment qu'on parle. »
Alors que la jeune femme se débarrassait de son sac et de son imperméable en les laissant négligemment tomber sur le canapé, Daniel Potter se demanda à quel moment de sa vie sa sœur jumelle était devenue cette étrangère devant lui, qui avait le visage et les cheveux noirs indisciplinés de James Potter et les yeux vert étincelant de Lily Evans mais dont le processus de réflexion lui était aussi impossible à décrypter que le contenu du manuscrit de Voynich.
Quelque part au cours de leur scolarité à Poudlard, probablement : lors de leur septième année – la toute dernière, pour les ASPICs, maman avait vigoureusement insisté et personne ne contrariait Lily Potter quand on tenait à rester en vie plus d'une journée – il n'avait pour ainsi dire pas du tout adressé la parole à Daisy, et toute de suite après la cérémonie de fin d'année, elle était partie loger en ville.
Plus spécifiquement, dans le Londres Moldu. Apparemment, elle s'était fourré dans la tête que puisque le monde magique ne parvenait pas à retrouver Viola, c'était parce que Viola ne se trouvait pas dans un lieu où il y avait de la magie. Danny trouvait l'hypothèse ridicule : après tout, environnement magique ou pas, les sorts utilisés pour essayer de retrouver sa piste visaient Viola elle-même, pas la magie qui l'entourait. La fille aînée de la famille Potter leur aurait été rendue depuis belle lurette si elle avait été en état d'être retrouvée.
C'était la seule explication possible aux yeux de Danny, Viola était morte, et ses restes avaient été si endommagés qu'il était impossible de les retrouver. Seulement, dès qu'il avait voulu faire entendre raison à ses parents, sa mère avait fondu en larmes et son père avait refusé de lui adresser la parole pendant trois semaines et demie, si bien qu'il n'avait plus jamais abordé le sujet.
A titre personnel, il ne comprenait pas le pourquoi de leur chagrin. Oui, la disparition de Viola était tragique, mais Viola avait à peine quinze mois la dernière fois que leurs parents l'avaient vue. Ils devraient être habitués à son absence, maintenant, même si celle-ci s'était retrouvée indéfiniment prolongée. Quant à lui, et bien, ce n'était pas raisonnable d'attendre qu'il passe sa vie entière à porter le deuil d'une inconnue. Il n'avait jamais rencontré Viola, pour l'amour de Merlin, comment était-il sensé la pleurer, vraiment ?
Bien sûr, son autre sœur avait décidé d'adopter le point de vue opposé. Ça avait toujours été comme ça, entre eux deux, dès qu'il faisait quelque chose, elle s'empressait d'agir dans le sens contraire. Il était sportif et elle était intellectuelle, il blaguait et elle était sérieuse, il marchait dans les traces de leurs parents et elle faisait de son mieux pour s'éloigner de la famille.
Très franchement, une Potter à Serpentard ? Le dernier membre de la famille à avoir atterri dans cette maison avait été Dorea Potter, la femme de Grand-oncle Charlus, et encore était-elle une Black par la naissance, donc ça ne comptait pas réellement. Alors que Daisy était née Potter, la fille d'une Née-Moldue, et elle avait fini à Serpentard, le bastion de la pureté du sang.
Ouais, ça avait jeté comme un froid dans la famille. Et dans la communauté sorcière toute entière – la bonne société n'aimait pas trop parler de « la fille dévoyée des Potter », qui avait d'abord jeté la honte sur sa parentèle en se démarquant d'eux puis avait craché sur le monde magique dans son ensemble en vivant dans le monde moldu et en prenant des commissions de moldus.
Même Lily et James ne parlaient pas tellement d'elle, ces temps-ci. Danny n'appréciait pas trop.
« Alors » lança-t-elle tandis qu'elle s'avachissait nonchalamment sur un fauteuil, l'invitant d'un geste à s'installer en face d'elle, « puis-je savoir ce qui t'amène dans mon humble demeure ? »
Il la zyeuta d'un air mécontent, s'efforçant de se draper dans sa dignité. Vu le sourcil noir que Daisy haussait, il s'y prenait comme un manche.
« Tu as raté le baptême de David. En fait, tu n'as pas répondu à la carte d'invitation. Et avant ça, tu n'as même pas envoyé un mot de félicitation pour sa naissance. »
Ah, il venait de faire mouche : elle se mordillait la lèvre. Quand elle faisait ça, c'était qu'elle se sentait mal à l'aise.
« J'étais… occupée » tenta-elle de se justifier, mais elle évitait son regard.
« Occupée à quoi ? A pourchasser une énième piste qui s'est terminée en eau de boudin ? Sérieusement, Daisy, pourquoi tu t'obstines ? »
Une lueur dangereuse apparut dans les prunelles vertes de la jeune femme, mais il refusa d'avaler sa salive ou de ciller. Montrer le moindre signe de faiblesse devant une femme Evans, ça revenait à verser du sang dans une eau infestée de requins.
« Laisse-moi deviner » lâcha-t-elle d'une voix si frigide qu'un manchot empereur en aurait contracté la pneumonie immédiate. « Tu vas m'accuser de perdre mon temps et exiger de passer à autre chose ? »
« Je te demande de ne pas oublier ta famille » nuança Danny. « Non, ne me dis pas que tu fais déjà ça, je le sais que tu tiens à Viola. Ce que je te demande, c'est de ne pas te concentrer sur la famille que tu n'as pas au point d'en oublier celle que tu as. »
Daisy eut un petit rire qui sonnait creux.
« Une famille ? Danny, je crois pas pouvoir encore m'intégrer chez papa et maman. J'ai pris un chemin trop différent du leur. »
Le jeune homme soupira.
« Je sais ça, et c'est entre toi et eux. Mais je veux récupérer ma sœur. Je veux que mes garçons puissent profiter de leur tante Daisy. »
« T'as pas plus pourri comme titre ? » interrogea la jeune femme d'un ton si plat qu'il avait dû passer sous un rouleau compresseur.
« Oh pardon. Tu préfères Dee Dee, peut-être ? » suggéra-t-il avec une pointe de malice. « Ou la Reine du Vomi ? »
« Danny, je vais te castrer avec mon rasoir pour les jambes. Ne pense pas que j'hésiterais, tu as deux fils, c'est plus qu'assez pour perpétuer le nom. »
Il répondit par un sourire insolent. Victoire à lui, si elle en était réduite aux menaces – qu'elle n'oserait jamais appliquer, elle tenait bien trop à lui pour ça.
Enfin, il espérait.
6 mars 2008
« A l'avenir, je m'abstiendrais des réunions de famille » décréta Daisy d'une voix d'outre-tombe. « Je m'en fiche si c'est le baptême de ma nièce ou son mariage, la prochaine grande occasion à laquelle j'assisterais, ce sera mon enterrement. »
« Oh, arrête d'exagérer, tu sais que tu t'es amusée » répliqua Danny. « Et les garçons t'ont adorée. Jimmy m'a même demandé pourquoi tatie D ne venait pas plus souvent à la maison. »
Il essayait de lui faire du chantage affectif, le saligaud, elle le sentait. Pour un Gryffondor, son frère était loin d'être un imbécile. Et le pire, c'était qu'il était sûr que ça marcherait.
« Peut-être parce que ni ta femme ni papa et maman n'approuvent mon style de vie ? » lâcha-t-elle.
« Encore mieux ! Toutes les familles ont besoin d'un oncle ou d'une tante qui se conduit de manière scandaleuse. Tu te rappelles pas toutes les histoires que nous a racontées Sirius sur son oncle Alphard ? »
« J'essaie de les oublier » rétorqua la jeune femme. « Surtout le désastre Stuttgart. »
« Hé, c'était la faute du contrôleur ! S'il ne s'était pas planté de wagon... »
« Et tu crois peut-être que le contenu de la malle a arrangé les choses ? C'est juste traumatisant. Rien que l'idée d'aller en Allemagne, ça me donne des sueurs froides, et pourtant, j'ai souvent des enquêtes bien glauques. »
« La tante aventurière ! Non, décidément, Daisy, tu n'arranges pas ton cas. Il faudra te résigner à être la tante cool que tes neveux idolâtreront en cachette de leurs vieux rabat-joie de grand-parents » décréta joyeusement le père de désormais trois rejetons.
Pour toute réponse, sa sœur se cacha le visage dans les mains et poussa un grognement de désespoir.
