1 janvier 2010

« Tu sais » commenta Kikyô d'un ton admiratif, « c'est bien la première fois que j'ai vu l'oncle Hervé mouché concernant son racisme sans que ça dégénère en empoignade. Façon la caricature ne parlons pas de l'Affaire Dreyfus, et tu vois toute la famille s'écharper dans la seconde case. »

« Je ne vois pas du tout de quoi tu parles » déclara Daiki d'un ton parfaitement innocent. « J'ai simplement été aussi courtois envers lui qu'il l'était envers moi. »

La femme rousse se cacha le visage dans un torchon – heureusement un sec, pas le mouillé qu'elle venait de reposer.

« Tu es impossible » commenta-elle, hilare, la voix légèrement étouffée par le tissu.

« Et c'est toi qui dis ça ? » lui renvoya-t-il d'un ton taquin.

Elle retira le torchon de son visage pour qu'il puisse la voir rouler exagérément des yeux, ce à quoi il répondit par un sourire rayonnant de bonne hygiène dentaire. Puis elle tendit le bras pour s'emparer de l'un des verres – ou de l'une des assiettes – sur l'égouttoir métallisé attenant à l'évier de la cuisine.

Ce fut ce moment que choisit l'un de ses deux bracelets – celui en corde sur lequel était enfilé une bague noire – pour se rompre, le morceau de corde cassée glissant du poignet pâle sur le carrelage à damier bleu et jaune, bientôt suivi de l'anneau dont la chute se termina dans un tintement cristallin.

« Zut ! » jura bruyamment Kikyô qui esquissait déjà une amorce d'accroupissement.

Daiki leva la main pour l'arrêter, mettant un genou en terre pour récupérer la bague. Celle-ci lui parut étrangement froide au toucher, comme si elle avait été rangée toute la nuit dans un congélateur. Et elle portait un drôle de signe, également : une sorte d'œil triangulaire à la pupille fendue.

« C'est une variante sur l'Anneau Unique ? » interrogea le jeune homme en retournant l'objet dans sa paume. « Il est plutôt inquiétant, ce signe. »

« Oh non » rectifia Kikyô, un rien de tension dans son timbre rauque. « Je… l'ai trouvée comme ça. »

Daiki plissa le front mais ne pressa pas davantage et tendit la bague à sa vis-à-vis.

La porte de la cuisine s'ouvrit en grinçant.

« Pour la vaisselle, c'est – oh mon Dieu ! »

Daiki et Kikyô tournèrent aussitôt la tête : Cassie les dévisageait, les mains sur la poitrine, souriant tellement que ses zygomatiques devaient être sur le point de rendre l'âme tellement ils étaient remontés au maximum de leur capacité.

« Heum, Cassie ? » parvint à bafouiller la rousse avant de se faire couper la parole.

« Oh mon Dieu – ENFIN vous avez décidé de vous lancer ! Presque trois ans qu'on attendait avec papa et maman – il faut que j'aille les chercher ! Et bien sûr qu'elle dit oui ! »

Tout d'abord, le cerveau de Daiki lui envoya un message d'erreur : de quoi elle nous cause, exactement ? Et puis il se livra à un petit processus d'analyse et réalisa brusquement quelque chose d'assez compromettant. À savoir, qu'il était actuellement à genoux devant la femme qu'il fréquentait depuis plusieurs années, lui présentant une bague.

Aux yeux du non-averti, ça ressemblait vraiment beaucoup à une demande en mariage.

Kikyô avait dû parvenir à la même conclusion car il vit ses yeux vert étincelant s'écarquiller de manière plutôt comique, sa bouche s'ouvrant dans sa meilleure imitation de poisson rouge hors du bocal.

« Heum » s'étrangla-t-elle de nouveau, mais Cassie s'était ruée hors de la pièce, sans doute pour aller claironner la nouvelle aux Long père et mère, si bien qu'elle en fut réduite à darder un regard affolé sur Daiki.

« Je suis désolé ! » s'écria-t-il par réflexe. « Oh seigneur – c'est si embarrassant... »

La jeune femme… se mit à rougir.

« Ce serait embarrassant, de se marier ? »

« Quoi – bien sûr que non » se reprit son interlocuteur en se levant d'un bond. « Mais un quiproquo pareil – je suis désolé, aborder la question du mariage comme ça, bien sûr que tu es gênée... »

A la vue de son expression, il arrêta immédiatement de déverser un flot d'excuses pour la considérer attentivement.

« Attends un peu – tu y penses sérieusement ? »

La rougeur de Kikyô avait envahi son visage tout entier et se propageait dorénavant à sa nuque, si bien que la différence entre ses cheveux et son front devenait de plus en plus difficile à distinguer.

« Est-ce que… tu y penserais sérieusement, toi ? » fit-elle, presque timidement.

Daiki ouvrit la bouche, puis la referma. Il baissa les yeux sur la bague noire, puis les remonta vers le visage de son interlocutrice.

« Seulement si tu le veux. C'est bien comme ça que ça marche, non ? »

Elle l'embrassa. En plein sur la bouche. Quand leurs lèvres se décollèrent, des étoiles filantes nageaient dans le champ de vision de Daiki.

« Ça veut dire… ? » souffla-t-il, un sourire niais lui retroussant les commissures.

« Oui » répondit Kikyô, le regard brillant, « oui, oui, OUI ! »

Quand Cassie revint accompagnée des Long, ils avaient recommencé à s'embrasser comme si leur sort en dépendait.

5 mai 2010

« On y est » déclara solennellement Cassandra, affichant une sérénité qu'elle était loin de ressentir – en fait, elle se sentait plutôt d'humeur à courir dans les rues en embrassant tous ceux qu'elle rencontrerait, y compris les sans-abris.

Comment aurait-il pu en être autrement, le jour du mariage de sa sœur ?

Dans sa robe de noces aux manches de dentelle, Kikyô resplendissait, un bouquet de pivoines rose pâle entre les mains, et Cassandra n'avait pas besoin de soulever son voile de gaze pour savoir qu'elle souriait.

Les portes de l'église s'ouvrirent : les bancs n'étaient pas très remplis, les Long n'étaient pas une très grande famille, et le côté japonais était encore pire – M. Hamada étant un fils unique orphelin depuis quelque temps et la famille de Mme Hamada ne comportant que deux sœurs dont une toujours vieille fille.

Mais tout ce qui intéressait les sœurs Long, c'était la silhouette en costume noir qui patientait devant l'autel, aussi nerveuse qu'émerveillée devant leur apparition.

Kikyô s'avança le long de l'allée, une main légèrement posée sur le bras de Papa, tandis que Cass partait s'asseoir à côté de Maman dont les yeux scintillaient de larmes.

« Elle est si belle » murmura la vieille dame, étranglée de fierté.

« Je sais » répondit la jeune fille.

« Mesdames et messieurs » retentit la voix grêle du prêtre, « nous voici réunis pour célébrer l'union de deux âmes... »

Et maintenant, il fallait que Cass sorte le paquet de mouchoirs, Maman sanglotait ouvertement. Peut-être bien qu'elle en sortirait un pour elle aussi, sa vision se brouillait.

« Daiki, acceptes-tu de prendre Kikyô pour épouse... »

A voir comment le concerné dévorait des yeux sa sœur, oui, il voulait vraiment. Cass savait que ça finirait ainsi, depuis le jour où Ki avait traîné à un dîner de famille le grand benêt trop poli qui lui avait volé sa sacoche par inadvertance.

Ils étaient parfaits ensemble.

« Alors je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage. Vous pouvez embrasser votre femme. »

Daiki souleva le voile, exposant brièvement le sourire rayonnant de Kikyô avant de le faire disparaître lorsqu'il posa ses lèvres sur les siennes. Une tempête d'applaudissements s'éleva sous les voûtes de l'église, Cass battant des mains au point de ne plus pouvoir les sentir.

Tout simplement parfaits ensemble.