23 juillet 2010
Si Kikyô pouvait tirer fierté d'un aspect de son métabolisme, c'était incontestablement de sa santé de fer : jamais elle n'avait contracté de maladie, même chez les Dursley et pourtant ce n'était pas faute d'avoir essayé, avec ses habits trop fins et sa nutrition pas du tout adaptée.
Si bien que ses récentes tendances à la nausée la laissaient on ne peut plus perplexe. Elle qui aimait tant son café matinal, voilà qu'elle vidait la cafetière dans l'évier de la cuisine pour se rabattre sur le thé vert, alors qu'elle lui trouvait un goût prononcé de savonnette.
« Ki, tu es sûre que ça va ? » insista Daiki, les sourcils froncés – l'ennui d'avoir un médecin pour mari, c'était qu'il avait tendance à ne pas vous lâcher quand vous étiez patraque.
« Tout à fait sûre » rétorqua-t-elle en lui décochant son sourire le plus insolent – effet hélas un rien gâché par sa fixité.
Bien entendu, loi de Murphy oblige – des fois elle voulait vraiment tordre le cou à l'entité responsable d'avoir établi cette règle universelle – une voiture passante décida de lâcher un pet retentissant de gaz carbonique dont les effluves frappèrent sans merci les narines du couple de fraîche date.
L'estomac de Kikyô se retourna et avant qu'elle ne puisse se reprendre, elle se retrouva pliée en deux, vomissant tripes et boyaux dans le caniveau, son mari paniqué la tenant par la taille et bredouillant des réconforts qu'elle avait du mal à entendre par-derrière le sifflement qui envahissait ses oreilles.
« Miséricorde, ça n'a pas l'air d'aller fort » commenta une voix inconnue, que la rousse détesta aussitôt, bien sûr que ça n'allait pas, à quoi ça ressemblait, andouille ?
« Effectivement pas » confirma le timbre anxieux de Daiki, trop poli pour l'envoyer promener.
« Oui, ce n'est pas très drôle au tout début. Mais courage, dès que vous aurez votre bébé dans les bras, vous oublierez toutes les avanies qu'il vous a infligé pour venir ! »
Le cerveau de Kikyô bloqua.
Pardon ?
Daiki n'avait pas souvenir de s'être jamais senti aussi désorienté alors que lui et Kikyô s'arrêtaient à la pharmacie pour acheter un test de grossesse avant de courir à la maison, attendant anxieusement de voir si le bâtonnet allait leur afficher un résultat positif ou négatif.
La brusque inspiration de Ki lui indiqua que le verdict venait de tomber. Il baissa les yeux sur le bâtonnet. Deux petits traits rose. Résultat positif.
Un bébé. Il ne savait pas s'il voulait s'évanouir ou empoigner sa femme pour se mettre à danser. Ne savait pas encore si c'était l'Apocalypse ou la Seconde Venue du Christ. Ce qui était sûr, c'était que l'événement était d'une importance douloureuse.
Pour sa part, Kikyô s'était pétrifiée, ressemblant davantage à une statue de cire qu'à une femme, fixant bêtement le test de grossesse à la manière d'un lapin regardant arriver la voiture qui va le transformer en ketchup.
« Ki ? » fit doucement son mari, lui touchant l'épaule du bout des doigts.
Il crut qu'elle allait se dégager à sa façon de se raidir, mais au bout d'un moment, elle se mit à parler, le regard toujours fixé sur le bâtonnet dans sa main.
« Tu savais que j'ai été adoptée ? »
Daiki cligna des yeux. Il se rappelait avoir pensé que sa future femme ne ressemblait pas beaucoup à ses parents ni à sa sœur mais n'avait jamais creusé la question. Si les Long étaient la famille de Ki, que ce soit par le sang ou l'adoption ne comptait guère.
Mais elle parlait toujours.
« Mes… géniteurs étaient toujours vivants, aux dernières nouvelles. Une petite famille parfaite. La jolie maison, les gentils enfants, tout. Et pour avoir ça, ils ont décidé de se débarrasser de leur tout premier bébé dans une famille qui ne voulait pas d'elle. »
La main pâle se crispa sur le test.
« On aurait pu croire que quelqu'un aurait appelé la police, en voyant une petite fille se promener sans manteau en hiver, tondre la pelouse ou ne jamais être autorisée à jouer au parc. Mais quand ce n'est pas votre petite fille, quelle importance si elle dort dans le placard à balai, prend des gifles pour avoir osé regarder un chocolat et entend tous les jours qu'elle n'est qu'un sale petit monstre qui gaspille l'air rien que pour être née ? »
Ces derniers mots s'étaient achevés sur un presque sanglot.
« Personne n'a rien fait… Il a fallu que je fugue lors d'un voyage en Amérique… Moi toute seule, parce que personne n'aurait remué le petit doigt pour une gamine de sept ans qui n'attendait que ça. »
Daiki la prit dans ses bras. Kikyô se laissa aller tout contre lui, se cachant le visage dans le creux de son cou.
« C'est fini » lui rappela-t-il gentiment. « Tu as une famille qui t'aime, maintenant. Des parents qui t'aiment. »
« Mais pas depuis le début » gémit-elle. « Et si je deviens… comme eux ? Les problèmes, ça peut être dans le sang… Si je fais des horreurs à ce bébé ? »
Elle porta la main à son estomac encore plat.
« Peut-être que je devrais pas le garder. S'il devait m'avoir comme mère... »
Daiki saisit le menton de Kikyô aussi délicatement que fermement pour qu'elle ne puisse pas ne pas le regarder dans les yeux.
« Ki, tu crois vraiment que je te laisserais faire du mal à notre enfant ? Exprès ou autre ? »
Le minois de sa femme se chiffonna, des larmes fraîches se remettant à couler sur ses joues claires.
« Tu le promets ? » implora-t-elle d'une toute petite voix.
« Oui » répondit-il gravement. « Ce bébé, on va l'aimer. On va lui expliquer pourquoi il ne faut pas se conduire mal quand il sera méchant. On va en faire quelqu'un de bien, quelqu'un d'heureux. Et on ne va pas le détruire par négligence ou malveillance. »
Il s'autorisa un sourire espiègle.
« Si on se laissait aller à ça, tes parents nous tueraient. Remarque, il faudrait qu'ils nous déterrent et se contentent de nos restes, parce que ma mère ne manquera pas de passer la première. »
Ki eut un petit rire mouillé, mais c'était un rire, et rien que ça, c'était bon signe.
30 juillet 2010
« Alors, comment va la lune de miel ? » interrogea Cass, tout miel. « Ne me dis pas que vous en avez déjà marre des grands lacs et du sirop d'érable ? Parce que c'est toi qui a voulu partir au Canada, je te rappelle ! »
« Oh non » fut la réponse qui s'éleva du combiné. « C'est parfait, seulement… tes affaires de bébé, on les a pas toutes jetées, dis-moi ? »
Cassandra Long n'était pas née de la dernière pluie, si bien qu'elle réalisa immédiatement où sa sœur voulait en venir.
« Oh mon Dieu » souffla-t-elle, « oh mon Dieu ! T'es sûre ? »
Kikyô eut un petit rire.
« On a réussi à trouver un docteur – la croix et la bannière, je te dis pas – et oui, c'est confirmé, on va rentrer à trois plutôt que deux, alors il nous faut vraiment ces affaires. »
« Purée, il perd pas de temps, ton mari » décréta la jeune fille, toute fébrile – tatie ! Elle ! « Mais vous aurez assez de place ? Parce qu'il vous faudra le lit, les habits, les jouets... »
« On va se débrouiller. Si tu veux m'aider, ce serait pas de refus. »
« Tout ce que tu veux ! »
« Alors trouve-moi ces affaires, tu veux ? »
« Tes désirs sont des ordres » s'écria Cass.
Un petit neveu ! Pour ça, elle se serait jetée du pont Golden Gate sans hésiter.
