3 septembre 2015

Albus Dumbledore savait qu'il était capable de commettre des erreurs monumentales, et ce depuis cette sinistre journée d'été où sa sœur l'avait précédé dans la tombe. Si le monde sorcier l'avait ignoré pendant longtemps, plus aucun résident de la Grande Bretagne magique ne pouvait se déclarer inconscient de ce fait depuis la non-apparition de la Survivante à Poudlard vingt-quatre ans auparavant.

L'échec le plus retentissant de Dumbledore, revenu le hanter alors que l'aîné des neveux de Viola Potter – James Potter le Jeune, baptisé de la sorte en l'honneur de son grand-père – faisait son arrivée à l'école, pour honorer la tradition familiale et se retrouver à Gryffondor.

Vingt-quatre ans et Viola Potter n'avait toujours pas été retrouvée, en dépit de tous les efforts déployés par le Ministère ainsi que nombre d'âmes charitables. Cela avait porté un coup monstrueux à la fierté nationale des sorciers anglais, mais pour le directeur de Poudlard, la chose était tellement plus personnelle.

Après tout, c'était lui qui avait arrangé le placement de l'enfant chez sa tante maternelle – et il ne comprenait toujours pas comment cette femme avait pu se conduire de la sorte envers sa chair et son sang. D'accord, le vieux mage s'attendait à un soupçon de négligence – les nés-Moldus avaient une certaine tendance à se détacher de leur famille ordinaire, et celle-ci perdait fréquemment tout sentiment d'obligation envers ces enfants appartenant littéralement à un autre monde – mais pas à de la maltraitance pure et simple.

Car il s'était agi de cela, ni plus ni moins. Obliger une petite fille à coucher dans un placard, l'accabler de corvées et refuser de dire quoi que ce soit de positif à son sujet ? Dumbledore était vaguement familier avec l'histoire de Cendrillon, et n'avait jamais goûté la situation de l'héroïne. Si les elfes de maison ne méritaient pas d'être traités de la sorte, une enfant on ne peut plus humaine le méritait encore moins, non ?

Les Dursley avaient malheureusement refusé de regretter leur conduite quand leur trace avait été retrouvée dans une prison américaine, où ils séjournaient sous accusation d'avoir assassiné leur nièce – ce qui était complètement faux, le vieux mage le savait – si bien que personne n'avait eu le moindre remords à les laisser croupir dans leur geôle. Pas même Lily Potter – surtout elle, en fait. Apprendre que Pétunia avait joué un rôle non négligeable dans la disparition de sa fille ne l'avait guère inclinée à l'indulgence.

L'Amérique… Le Ministère avait sollicité l'assistance du MACUSA sans aboutir à rien pour ce qui était de retrouver leur ressortissante évanouie dans l'éther. Si Viola Potter avait habité au Nouveau Monde assez longtemps, son nom aurait été automatiquement entré dans les registres d'inscription à Ilvermorny et une lettre lui aurait été envoyée. Mais aucune destinataire répondant à ce patronyme précis n'avait été cataloguée, et l'examen de toute fille rousse du bon âge – au cas où elle aurait été adoptée et son nom changé – avait donné chou blanc.

Non, l'enfant avait bel et bien disparu corps et âme. Pour l'Angleterre sorcière, c'était un rude coup au moral. Pour la famille Potter, c'était une tragédie. Pour Dumbledore, c'était un cataclysme.

Viola Potter était supposée devenir le nouveau flambeau de la Lumière, un symbole de vertu et de compassion qui détournerait l'Angleterre sorcière des affres de la bigoterie et de la cruauté, l'incarnation du triomphe du Bien sur le Mal. Elle était supposée être l'élue destinée à vaincre leur plus récent égaré dans les Ténèbres, Tom Jedusor.

Non seulement l'annonce de sa disparition avait enhardi les partis Sombre et Gris, encourageant le préjudice à continuer à se répandre, Tom avait refusé de refaire surface. Ce n'était pas comme si Dumbledore voulait une autre guerre, mais la réapparition de son ancien élève aurait entraîné celle de son ennemie prophétisée. Une prédiction fonctionnait de manière précise, après tout.

Rien ne s'était déroulé comme prévu, et Dumbledore n'aimait pas cela. C'était l'un de ses fâcheux défauts, cette obsession de tout contrôler, cette certitude douloureusement ancrée que tout irait de travers s'il n'y mettait pas son grain de sel.

S'il voulait récupérer un tant soit peu la maîtrise des événements, il lui fallait Viola Potter, vivante et acceptant sa destinée de futur étendard de la Lumière. Elle était l'indispensable clef de voûte.

Sauf que cette clef s'obstinait à demeurer perdue.

27 août 2017

Comme chaque année, Lily avait soigneusement examiné la tapisserie familiale des Potter. Et comme chaque année, aucun nom étrange n'y avait été inscrit – rien que celui de David, le second fils de Danny et Ginny, qui allait commencer à Poudlard en septembre, et qui n'avait heureusement pas le tempérament épuisant de son frère aîné.

Si les tapisseries familiales étaient aussi précieuses, c'était pour le fait qu'elles ne manquaient jamais de dévoiler tous, absolument tous les membres d'une lignée précise, à moins que l'un d'entre eux ne soit expressément retiré – comme les Black un tant soit peu décents avaient tendance à l'être de leur propre tapisserie.

Autrement dit, tout enfant né d'un parent Potter apparaîtrait, peu importe le lieu de résidence, du moment que cet enfant était en mesure de fréquenter Poudlard – dans le passé, cela avait conduit à des explications très gênantes lorsque la dame de l'époque découvrait que son mari avait engendré un bâtard, parfois pendant leur mariage. C'était infaillible.

Viola était leur fille aînée, plus âgée que Danny, avec ses trois petits. Quand les Potter se mariaient, c'était fréquemment tôt et les rejetons ne tardaient pas à suivre, finissant toujours détaillés sur la tapisserie l'année de leurs onze ans, l'été où arrivait leur lettre. Leur première-née, leur enfant perdue comptait maintenant trente-sept ans, ce qui était plus que suffisant pour avoir procréé.

Et même si Viola ne résidait pas en Grande-Bretagne, la tapisserie enregistrerait le nom porté par son enfant. Un nom qui figurerait forcément dans les archives de Poudlard, un rejeton Potter disposant automatiquement d'une inscription peu importe sa localisation – l'oncle Charlus de James habitait en France à la naissance de son fils, et celui-ci avait eu l'opportunité de venir à Poudlard même si celle-ci avait été déclinée.

Bien sûr, ce plan comportait des failles. Deux, précisément. La première, la plus évidente, était que pour qu'un enfant Potter apparaisse sur la tapisserie, il devait exister un enfant Potter à enregistrer. Si Viola avait opté pour le célibat endurci – une probabilité guère absurde, Daisy ne semblait guère portée à se fixer non plus – impossible de la retrouver grâce à sa progéniture. Vous ne pouviez pas suivre une piste imaginaire, après tout.

La seconde faille était nettement moins connue mais nettement plus vicieuse. En effet, la tapisserie ne comportait que les membres magiques de la lignée – ce qui tombait sous le sens, l'objet fonctionnait grâce à la magie, celle-ci cherchait à entrer en résonance avec la magie de ses propriétaires pour les archiver correctement, et l'absence de résonance signifiait pas de nouveau nom sur le tissu.

Autrement dit, Viola pouvait très bien s'être mariée et avoir eu un enfant déjà en âge de porter une baguette… mais incapable de s'en servir. Un Cracmol. Un handicapé aux yeux du monde sorcier. Un fardeau que personne ne voudrait jamais officiellement reconnaître comme membre de sa famille, pourquoi s'encombrer d'un aveugle dans un monde de couleurs, d'un sourd dans un univers de musique ?

Non, non, Lily ne pouvait pas se laisser aller à penser cela. Si Viola avait des enfants, ceux-ci seraient forcément magiques, ils apparaîtraient sur la tapisserie, et alors, enfin, le cauchemar s'achèverait, enfin leur fille pourrait rentrer à la maison.

Mais dans l'intervalle, en attendant de voir surgir un nom inconnu, elle devrait se contenter d'admirer le nom de son second petit-fils briller fièrement en fil d'or sur le tissu.