26 décembre 2025
Quand les masses évoquaient la famille Potter, elles avaient tendance à oublier qu'en plus de deux filles, il y avait également un fils. Remarque, quand une fille s'amuse à se volatiliser dans la nature et que l'autre crache basiquement sur tout ce que représente sa famille, c'est un peu facile, même compréhensible, de négliger le garçon qui fait comme tous les autres.
Ça ne voulait pas dire que Daniel – plus tellement Danny, maintenant, il était père de famille et travailleur, Danny sonnait juste tellement gamin – appréciait d'être oublié. Oh, il comprenait, mais sérieusement, ça l'agaçait.
Par exemple, le réveillon – en soi très réussi, il avait accepté d'aller voir la belle-famille car le tour de Ginny était venu parmi les enfants d'Arthur et Molly de tenir compagnie à ses parents pour le 25 – avait été ruiné par ses propre parents présumant que bien sûr, il se rendrait chez eux pour ouvrir les cadeaux, alors qu'il leur avait envoyé une lettre deux semaines à l'avance pour les prévenir de ses plans. Bon, le malentendu avait été tiré au clair, mais il y avait quand même eu un sacré froid projeté sur les festivités.
Par contraste, Daisy ne s'était même pas montrée, mais au moins avait-elle eu l'obligeance de le signaler. Au moins elle communiquait au lieu d'essayer de noyer la voix d'autrui en parlant plus fort. Au moins elle essayait.
Bon, son défaut, c'était probablement qu'elle continuait à essayer même quand c'était visiblement absurde et contre-productif. Témoin sa croisade pour retrouver Viola, et peut-être aussi le fait qu'elle avait passé toute la journée de Noël à Sainte Mangouste pour tenir compagnie à Sirius. Enfin, il savait que ça ne mènerait à rien de l'engueuler là-dessus, elle finirait par claquer la porte et n'en poursuivrait pas moins son petit bonhomme de chemin. Pour une Serpentard, l'entêtement de Daisy était on ne peut plus digne d'une Poufsouffle.
Mais pour en revenir au vif du sujet, puisque Daniel ne produisait pas de vagues, tendait à être l'enfant normal au sein de sa génération, tout le monde présumait que ses opinions ne comptaient pas. Que forcément, il se rangerait du côté de ses parents. Que sa personnalité n'était qu'un copié-collé, réarrangé juste assez pour esquiver toute accusation de plagiat honteux.
D'une certaine manière, c'était tout aussi insultant que la discrimination à laquelle Maman avait dû faire face, simplement parce que personne d'autre qu'elle n'était magique au sein de sa propre famille.
Remarque, la question des Nés-Moldus prenait de plus en plus d'ampleur, ces temps-ci. À l'époque de la scolarité de Lily Evans, future épouse Potter, les catégories sociales étaient nettement tranchées, la coupure d'avec le monde Moldu irrévocable pendant tout le pensionnat. Et les étudiants d'origine sorcière nettement plus nombreux.
Les nouvelles années Vingt étaient furieusement décidées à ne pas ressembler aux années Soixante-Dix. Témoin la propre fille de Daniel, Li-Lu (le diminutif attribué à bébé Lily Luna, qui l'avait trouvé si à son goût qu'elle n'avait plus jamais répondu qu'à cela), qui était parvenue on ne sait comment à mettre la main sur un smartphone et désormais passait son temps dehors, dans les cafés dotés de Wifi illimité (ce que ça pouvait être, Daniel n'en avait pas la moindre idée), afin de regarder des films dessus. Des films on ne peut plus moldus. Oh, et elle parlait aussi de suivre son amie Maggie au Brésil après avoir décroché son diplôme, juste pour visiter, j'ai bien le droit, quand même ?
Son second fils David, pour sa part, avait décidé d'émuler sa tante et postulé en douce à l'université pour devenir ingénieur. Quand Daniel et Ginny avaient voulu lui demander les raisons d'un tel choix, un David étonnamment agressif avait lâché que peut-être, essayer de restreindre ses enfants à une seule société était un bon moyen de les faire fuir, et qu'il aurait bien voulu ne pas avoir à passer d'équivalences par ses propres moyens mais vu le total refus des professeurs de l'aider, quel autre option lui restait-il ?
Le monde magique rapetissait. D'année en année, de jeunes diplômés s'en allaient travailler dans le monde Moldu, des précautions toujours plus élaborées devaient être prises pour garder toute trace de sorcellerie loin des regards et des caméras non-informés du secret, les espaces se faisaient grignoter par des sociétés et des villes à l'étroit. Si cela continuait à ce train de vitesse, le Statut du Secret finirait par voler en éclats bien avant le passage au siècle prochain.
Évidemment, le Ministère trouvait la perspective franchement déplaisante. C'était sur les méthodes de gestion de la crise que les opinions divergeaient : les éléments les plus Traditionnels – bon nombre de Sang-purs là-dedans mais pas tous – insistaient pour un retrait encore plus virulent, style Atlantide. Les Progressistes réclamaient davantage d'intégration, au risque de perdre toute distinction d'avec le monde Moldu. Et les Modérés refusaient de se prononcer, préférant attendre que la crise soit sur le point d'éclater.
Fidèle à Dumbledore, la famille Potter se plaçait globalement dans le camp Progressiste. Intérieurement, Daniel ne nourrissait pas grand espoir de voir une conclusion paisible à ce désastre de plus en plus imminent. Il essayait de se tenir au courant de l'actualité en général, pas juste les derniers évènements en Grande-Bretagne ni même dans le Ministère anglais, et en dépit de n'avoir pas une goutte de sang voyant dans les veines, il pensait que le monde n'accepterait jamais cette révélation d'un monde secret vivant juste à côté.
Ce n'était tout bonnement pas dans la nature humaine d'être tolérant – la réponse primaire à toute rencontre un brin tendue était après tout flight or fight, la fuite ou le combat, pas le désamorçage des hostilités. Regardez donc l'Inquisition espagnole. Regardez donc le génocide au Rwanda. Regardez donc les attaques terroristes qui ravageaient l'Europe. Les gens avaient peur de ce qui était différent, de ce qui était caché – car s'il faut cacher quelque chose, c'est que cette chose est mauvaise, n'est-ce pas ? Une raison d'avoir honte. Une raison d'être mis à l'index.
Parfois, Daniel regrettait que la pensée occidentale ait conduit la magie à un tel cul-de-sac. Dans les régions du globe cherchant à se démarquer du modèle européen et nord-américain, c'était fou toutes les traces de magie qui sautaient aux yeux, même si ce n'était pas spectaculaire. Bon sang, le Japon, la majorité de l'Inde, l'Océanie et les deux tiers de l'Afrique crachaient carrément sur le Statut du Secret, leurs populations non-magiques côtoyant leurs sorciers comme si de rien n'était, et tout le monde s'en moquait. C'était contre l'extérieur trop curieux qu'il fallait faire barrage, pas contre leurs propres ressortissants.
Mais ces nations avaient eu droit à plusieurs siècles de cohabitation pour s'habituer les uns aux autres. Les enclaves magiques européennes n'avaient pas ce temps à leur disposition. N'avaient pas les moyens ou les nombres nécessaires pour se défendre. Bien sûr que ça finirait dans le sang et les larmes, et si la paix pouvait être atteinte, ce ne serait pas sans sacrifices.
Daniel espérait seulement que ce ne serait pas à sa famille de les commettre, ces sacrifices.
