5 avril 2027
Hiro l'avait pensé l'année dernière, et il le pensait toujours aujourd'hui : commencer l'école en avril, c'était juste bizarre. Même si le raisonnement était que ça coïncidait avec le printemps, qui symbolisait les nouveaux débuts dans la vie. Même lui admettait que ça se tenait, dans un sens plutôt poétique.
Le problème, c'était que le raisonnement en question lui avait été expliqué par Hime-sempai, qui en avait profité pour essayer de poétiser sur les cerisiers en fleurs sans grand résultat – Hime-sempai était une fille pleine de qualités, mais apparemment le sens du rythme n'en faisait pas partie. Aussi, elle l'avait invité à venir admirer les cerisiers parce qu'elle cherchait à trouver l'inspiration, mais après avoir accepté il s'était rendu compte qu'elle avait surtout envie du panier de pique-nique offert aux promeneurs dans le parc où elle l'avait emmené – un panier qu'elle avait dévoré à elle seule.
Des fois, Hiro se demandait si Hime-sempai n'aurait pas des origines oni, avec un appétit pareil. Bon, elle n'avait pas de cornes, mais peut-être que c'était parce que son sang humain diluait celui de youkai ? Il n'était pas très sûr.
Le truc, c'était qu'il ne pouvait pas demander directement parce que ça enfreignait le Code de Bonne Conduite – très important, ça, Yamabuki-sensei avait consacré au moins un après-midi chaque semaine à leur faire lire et réciter les articles – qui stipulait fermement qu'un youkai n'était aucunement obligé de spécifier sa race ou son clan ou parfois même son nom quand quelqu'un le lui demandait. C'était pour se protéger, avait expliqué Yamabuki-sensei, parce que des chasseurs ou exorcistes ou ennemis jurés utilisaient ce genre d'information pour faire du mal, parfois à des gens qui ne pouvaient pas se défendre.
Donc, il ne pouvait pas demander directement, mais il avait le droit de deviner, par contre, et Hime-sempai pouvait confirmer s'il allait dans la bonne direction avec son enquête. Jusque là, ça n'avait pas réussi, mais Hiro était déterminé à savoir. Les casse-têtes, il n'en laissait jamais un pas résolu.
Mais en attendant, c'était la nouvelle rentrée scolaire, et il était officiellement en deuxième année d'études à Mahoutokoro. Il avait un peu le vertige, et en même temps il se sentait très grand – cette fois, ce n'était pas lui le petit nouveau avec son japonais hésitant et son uniforme rose.
Maintenant, son uniforme était bleu tirant nettement sur le vert, indiquant ses progrès scolaires – sans être le doré des premiers de la classe. Il avait eu beau faire de son mieux, avoir passé toute sa vie à San Fransokyo voulait dire qu'il était en retard par rapport à plein d'autres élèves nés au Japon parfois pour des trucs tout bêtes, et apparemment il était un peu trop dissipé. Bon, ça, c'était pas vraiment sa faute si on en croyait le docteur, qui affirmait que les enfants kitsune avaient souvent plus d'énergie que les autres et donc plus de mal à rester assis tranquilles.
Hiro n'était pas totalement convaincu. C'est vrai qu'il y avait un peu de ça, mais c'était aussi parce que ce que racontait Yamabuki-sensei, soit il avait déjà compris soit ça n'arrivait pas à l'intéresser – et il était vraiment désolé parce que Yamabuki-sensei était vraiment la dame la plus gentille qui habite sur Terre et c'était grossier de ne pas l'écouter à cause de ça et aussi parce que c'était la maîtresse et qu'elle essayait de faire son travail, mais il n'arrivait pas à se concentrer.
Alors à la place, il essayait de lire des mangas dans le texte original – ce qui, bon, il avait encore du mal avec les hiragana alors tenter plus compliqué c'était sans doute un brin trop ambitieux – ou il fignolait ses projets pour le club de confection d'effigies – il adorait cette activité, s'il y en avait bien une qu'il comptait garder tout au long de ses études ce serait celle-là – ou il feuilletait en douce un manuel ou un autre piqué dans les affaires de son frère – si Dashi ne voulait pas se faire dévaliser, il n'avait qu'à mieux cacher son sac ou fermer les tiroirs de son bureau – ou encore autre chose. Parfois, ça ne se voyait pas qu'il n'était pas en train de faire attention, mais parfois il se faisait prendre.
Tout le monde était très gentil et compréhensif à chaque fois – merci docteur d'avoir signalé que Hiro avait des difficultés – et bizarrement ça rendait la situation encore pire. Si Yamabuki-sensei ou Sariatu-sensei ou même Kain-sensei qui était en charge du club de confection d'effigies s'était mis en colère, Hiro se serait énervé à son tour et aurait probablement mijoté un vilain tour. Mais comme les professeurs étaient juste déçus et désolés, il avait juste honte, et la honte donnait plus mal au ventre que la colère.
Tante Cass avait été consultée là-dessus, mais elle n'avait pas vraiment eu d'idées pour résoudre le problème, à part lui faire sauter des classes. Le truc, c'était que Hiro n'en avait pas envie : il avait quand même besoin des cours de base (comme l'écriture) et dans les classes supérieures tout le monde serait beaucoup plus grand que lui et beaucoup moins patient, c'était connu que les grands qui n'étaient pas encore des grandes personnes détestaient les petits qui la ramenaient, et il avait la certitude que non seulement Ao-chan le vivrait comme une trahison, Hime-sempai ne resterait probablement pas son sempai.
Il était obligé de bien s'entendre avec Ao-chan vu qu'il vivait dans la même maison qu'elle pendant la semaine, et puis elle était bien marrante quand elle le voulait, vu qu'elle était prête à n'importe quoi pour se faire caresser le ventre. Et Hime-sempai, toute goinfre qu'elle était, elle ne se vexait jamais quand il venait pour discuter ou demander des explications, même quand elle était en train de parler à quelqu'un d'autre ou de travailler.
Pour l'instant, Hiro suivrait donc le cursus normal, et ça voulait dire s'apprêter à entrer en deuxième année du premier degré – le premier degré était pour les petites classes, celles qui n'étaient pas encore pensionnaires, le second degré était pour les pensionnaires, et le troisième degré était pour ceux qui poursuivaient plus d'études après avoir quitté Mahoutokoro – avec une nouvelle professeure.
Plusieurs des élèves de sa classe avaient pleuré de ne plus avoir Yamabuki-sensei comme maîtresse – non, Hiro n'en était pas un, et si Ao-chan insinuait le contraire il verserait du wasabi dans son riz – mais comme elle s'occupait exclusivement des premières années et que ça l'occupait beaucoup, elle ne pouvait pas prendre les classes au-dessus. C'était complètement nul, mais c'était comme ça.
Il espérait que la nouvelle professeure serait à la hauteur de Yamabuki-sensei, ou il serait obligé de lui faire des farces et il ne savait pas où ça irait s'arrêter, mais il avait la certitude que les Okamoto ne seraient pas vraiment contents et que Tante Cass ferait à nouveau de son mieux pour se changer en dragon – un de ces jours, elle y parviendrait, ce n'était qu'une question de temps. Hiro était sûre qu'elle avait craché un peu de feu après l'incident avec le réparateur venu pour la fibre optique du quartier.
« Bonjour, bonjour ! Merci à tous d'être venus, et permettez-moi de me présenter : je suis Nura Wakana, et je serais votre professeur principal pour cette année. »
Nura ? Comme Nura Rikuo-sensei, le professeur qui avait été en charge de la visite guidée de l'école et avait convaincu Tante Cass de l'inscrire là-bas ? Hiro sentait ses oreilles frémir de curiosité.
La dame paraissait nettement plus âgée que Yamabuki-sensei, au moins quarante ans, avec des cheveux bruns un peu éclaircis par du blanc ça et là, et des petites rides au coin des yeux et de la bouche comme pour indiquer que la peau s'était usée à force de sourire. Tout comme Yamabuki-sensei, elle portait un kimono, mais le sien était dépourvu de motifs et était jaune uni tout simple.
Elle ressemblait un peu à Nura Rikuo-sensei, mais Hiro n'était pas sûr de pouvoir affirmer que c'était sa tante ou même quelqu'un de sa famille. Ça méritait une enquête.
Ce qui était bien aussi, à Mahoutokoro, c'était qu'il pouvait s'entraîner à faire le détective comme Batman. Il avait peut-être pas de gadgets, mais il étudiait la magie, alors vraiment il ne perdait pas au change.
