26 juin 2027

Comme toujours, une étrange nostalgie s'était emparée de Dumbledore alors que le château auquel il servait de directeur se vidait de ses élèves, parmi lesquels plusieurs qui ne reviendraient jamais. Oh, c'était une fin obligatoire et nécessaire, mais cela n'en demeurait pas moins une fin, et la nature humaine avait toujours eu du mal à digérer l'achèvement des choses.

Remarquez, ce n'était pas comme si les débuts étaient constamment positifs. Lorsqu'on repensait au commencement de la décennie actuelle, placée sous le joug de cette pestilence asiatique qui avait réduit le monde entier à se calfeutrer chez soi, la peur au ventre face à la possibilité de mourir en crachant ses poumons, ça ne laissait rien augurer de positif pour les dix ans à venir.

Et indiscutablement, quand on comparait la situation présente du monde sorcier anglais à celle du siècle précédent – non, à celle de la décennie précédente – le déclin était là, inéluctable, implacable, impitoyable.

C'était un fait avéré que plus les moldus gagnaient en science, plus le territoire sorcier se rétrécissait, imitant la fameuse peau de chagrin de l'écrivain français dénommé Flaubert. Un fait dont la jeune génération prenait vite – trop vite – conscience, qui les poussait à considérer la société sorcière comme un navire sombrant dans la mer et à faire des pieds et des mains pour quitter ledit navire avant de couler avec.

Les politiciens étaient plongés dans le désarroi, se creusant furieusement la tête alors qu'ils se demandaient comment conserver la jeunesse supposée être l'avenir de leur monde au sein de celui-ci. Aucun d'eux n'était venu consulter Dumbledore – le directeur était désormais jugé trop vieux, trop détaché de la société contemporaine pour avoir un conseil encore approprié, et c'était pour ceux qui ne se rappelaient pas le scandale Potter lui ayant coûté ses postes politiques – ce qui était peut-être tout aussi bien, vu que le sorcier plus que centenaire n'avait pas non plus la moindre idée de comment se mettre à gérer cette crise.

Très franchement, il préférait encore se concentrer sur d'inquiétants signes en Albanie et en Grande-Bretagne. Des signes indiquant potentiellement une résurgence d'un cauchemar auquel plus personne ne pensait guère, et ce depuis presque cinquante ans.

D'aucuns l'accuseraient de paranoïa, à voir l'ombre de Voldemort partout. Surtout après toutes ces années de paix, vides de terrorisme. Pour sa part, il jugeait que mieux valait explorer une piste qui tournait court plutôt que de ne pas prêter attention à un détail qui finissait par s'avérer une menace.

Vigilance constante, comme aimait à répéter ce cher Alastor – toujours aussi convaincu que des mages noirs l'attendaient à chaque coin de rue, donc la modération s'imposait quand même un peu – surtout s'il était question d'un personnage tel que Tom Jedusor.

Tom avait toujours été enclin à s'obstiner contre vents et marées, un trait de caractère qui avait conquis ses fidèles et terrifié ses opposants. Il ne renoncerait pas à ce qu'il considérait comme son dû, ni plus ni moins que la domination abjecte du Royaume-Uni, surtout pas sans prévenir. Et surtout, il ne renoncerait pas à laver dans le sang et l'ignominie ce qu'il considérait sans aucun doute comme la pire des humiliations, sa défaite aux mains de Viola Potter.

Viola Potter qui était toujours portée disparue, dont l'absence était considérée comme un mystère de légende en passe d'accéder à la notoriété immortelle mais ne parviendrait pas à protéger sa famille, loin de là – Tom brisait toujours tout sur son passage jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il voulait, surtout quand les victimes laissées dans son sillage avaient un lien réel ou imaginaire avec sa cible.

Et les Potter refuseraient de croire Dumbledore si jamais il tentait de les mettre en garde, à la fois par refus de s'effaroucher devant une menace qu'ils croyaient passée depuis belle lurette, et par défiance envers le directeur de Poudlard lui-même, l'homme qui leur avait coûté leur fille première-née, toujours impardonné depuis.

Peut-être leurs petit-enfants auraient-ils une chance de s'évader et de se cacher, au moins David et la jeune Lily, tous deux capables de se réfugier dans le monde moldu pour y disparaître, mais qu'en serait-il de la lignée principale ? James et sa femme ne voudraient pas céder, ne voudraient rien faire qui puisse être interprété comme une capitulation – face à l'ennemi qui les avait traqué sans merci, soudoyant un de leurs plus proches amis et ruinant la vie de famille heureuse qu'ils ne demandaient qu'à mener, les Potter voudraient riposter, défendre bec et ongles la vie qu'ils étaient parvenus à reconstruire des ruines de la guerre.

Une conduite admirable, tout à fait digne de Gryffondor. Une conduite qui les verrait mourir, à moins qu'ils ne se remémorent les douloureuses leçons de leur jeunesse menacée.

Et le monde sorcier, comment se débrouillerait-il ? Probablement guère mieux. Tom était parvenu si facilement à intimider et soudoyer le Ministère la première fois, et les mœurs changeaient avec toute l'inertie d'un fossile lentement érodé par les pluies. Peut-être serait-ce plus facile encore, vu que les mémoires avaient oublié les anciennes exactions, que des jeunes ignares brûlaient de se dévouer à une cause sans se soucier des conséquences.

Il y avait de quoi en contracter des cauchemars chaque nuit pour une bonne douzaine d'années, au minimum.

La menace couvait bel et bien, et Dumbledore ignorait quand elle se déciderait à éclater et se répandre. Néanmoins, il pouvait formuler une hypothèse, basé sur la soif de grandiose de Tom – ce garçon avait toujours eu besoin d'impressionner, de se faire remarquer. Et le prochain grand évènement supposé se dérouler en Grande-Bretagne était le Tournoi des Trois Sorciers.

La tradition avait failli mourir de sa belle mort en 1994, après les haut cris poussés par les représentants internationaux devant la sécurité défaillante et les épreuves trop dangereuses ou pas assez spectaculaires. L'appât du prestige avait été trop alléchant pour enterrer la compétition à titre permanent, mais il avait été pompeusement décidé que les douze ans d'écart entre chaque Tournoi assureraient que les spectateurs contempleraient des épreuves palpitantes, et que les champions ne risqueraient pas de mourir dans l'arène.

Il fallait bien l'admettre, le Tournoi suivant à Beauxbâtons en 2006 avait été à la hauteur des attentes du public et des gouvernements – mais après tout, les français avaient toujours eu du nez pour le raffinement et le grandiose. Durmstrang avait eu davantage de mal pour remplir les conditions imposées – les tendances martiales et Sombres de l'académie scandinave ne se prêtaient vraiment pas à la modération – mais les critiques s'étaient déclarés plus que satisfaits par le Tournoi de 2018.

A présent, le tour de Poudlard revenait, et la compétition ragerait entre les murs vénérables du château pendant l'an 2030. Pareille atmosphère constituait la scène de théâtre parfaite aux yeux de Tom pour effectuer son grand retour.

Et cela signifiait que Dumbledore disposait d'à peine plus de deux ans pour espérer un miracle.

Il ne croyait plus que Viola Potter referait son apparition un jour – et il en était véritablement navré, pour Lily et James condamnés à ne jamais savoir ce qu'il était advenu de leur fille. Il était tristement probable qu'elle ait perdu la vie, ou mène une existence banale au sein de la populace moldue d'Amérique sans la moindre conscience de ses propres dons. La prophétie avait fait long feu.

La Grande-Bretagne avait bénéficié d'un miracle alors que les années quatre-vingts commençaient à peine, mais le vieil homme doutait fortement qu'un deuxième se produirait à l'avènement des nouvelles années trente.