2 septembre 2027
Galileo Academy of Science and Technology n'avait pas toujours eu une excellente réputation en matière de discipline. Néanmoins, les efforts constants de l'administration pour améliorer la performance scolaire et la bonne tenue de leurs élèves avaient fini par porter des fruits plus ou moins respectables, si bien que Tante Cass avait décrété que laisser l'aîné de ses neveux s'inscrire dans cet établissement-là ne lui ferait probablement aucun tort.
Il ne s'agissait pas de l'unique raison, bien sûr : il fallait aussi compter avec la possibilité de choisir un chemin de carrière spécifique, ainsi que la perspective de ne pas se faire lyncher dans les couloirs pour appartenance à une minorité vu que la majorité des étudiants n'était pas d'origine caucasienne, et n'oublions pas qu'une institution visant principalement des familles défavorisées n'allait pas sucer vos sous jusqu'au dernier centime.
Pour Tadashi qui se trouvait être un métis japonais aux aspirations scientifiques précises et dont la tante – sans être pauvre – n'était pas riche non plus, Galileo s'imposait pratiquement comme une obligation dans la liste des établissements où poursuivre ses études. Le seul hic, c'était qu'il ne connaissait personne là-bas.
Quand Fred avait dû choisir son lycée, le garçon blond avait hésité entre Lowell High et Abraham Lincoln High School avant de finalement choisir la seconde option – apparemment, le prestige de fréquenter l'école où s'était tenue la première convention Star Trek du nord de la Californie dépassait tout ce que le pékin moyen était en mesure d'imaginer. Parfois, Tadashi se posait vraiment des questions sur le système de pensée de Fred.
(M. Lee n'avait été d'aucune aide là-dessus, se bornant à mentionner que sa grand-mère maternelle s'appelait Lovegood – juste, quel rapport exactement ?)
Bref, le lycée se présentait comme terra incognita. Mais bon, il avait survécu après s'être retrouvé un nécromancien sans crier gare, il avait survécu après avoir appris qu'il existait tout un monde magique différent du plan naturel et que son petit frère y avait gagné une place rien qu'en naissant, il avait survécu après avoir été embrigadé comme futur gardien de sanctuaire sans qu'on lui demande son opinion.
Après ce genre de périples, vécus alors que la puberté commençait à lui tomber dessus, le lycée s'annonçait franchement comme de la petite bière.
Donnie Payton se demandait sérieusement s'il parviendrait à survivre au lycée, et dans le cadre de cette éventualité, s'il s'en sortirait avec tous ses esprits intacts.
Il savait que c'était un mal nécessaire, qu'il fallait en passer par là afin d'accéder à l'âge adulte – où maturité et indépendance s'avéraient incontournables – et qu'il en retirerait une expérience formatrice précieuse pour son avenir social.
Il aurait quand même bien voulu pouvoir sauter cette étape. Juste… des gens, partout. Des garçons et des filles de son âge, qui criaient, riaient et parlaient trop fort. Qui mâchaient bruyamment leur chewing-gum avant de le coller sur les murs ou les pupitres. Qui se heurtaient aux autres dans les couloirs. Qui laissaient tomber leurs sacs et leurs vestes n'importe où.
Oui, Donnie était douloureusement conscient qu'il avait des problèmes, ses parents le lui reprochaient bien assez souvent pour qu'il doute pouvoir l'oublier à moins de développer un Alzheimer précoce. Oui, il savait que le reste du monde se fichait de ses problèmes, parce que le reste du monde était normal et ne voyait aucune raison d'accorder un passe à ceux qui ne l'étaient pas – tu as tiré le mauvais numéro, désolé mais c'est la vie, débrouille-toi tout seul.
Papa croyait furieusement que tant que tu confrontais les problèmes en face, comme un homme, tu pouvais t'adapter – au lieu de jouer le bernard-l'hermite et de te recroqueviller dans ta coquille. Et il pouvait voir les avantages de penser ainsi, il pouvait voir la logique de penser ainsi, mais il n'en demeurait pas moins que la veille de la rentrée des classes, Donnie s'était fourré la tête sous l'oreiller afin de sangloter de trac et de stress mêlés tout à son aise sans être entendu.
Personne n'irait imaginer que les mâles baraqués souffrant d'une poussée de croissance précoce étaient en mesure de paniquer au point de vouloir vomir, alors pas de sympathie à attendre de ce côté-là. Déjà que les tendances anxiogènes exaspéraient plus qu'elles n'attendrissaient, il se ferait lyncher pour le culot de ne pas avoir la tête de l'emploi.
Remarque, probablement pas un lynchage : Galileo était un peu notoire pour pratiquer la mixité urbaine, alors une attaque racialement chargée ne devrait pas pouvoir passer comme une lettre à la poste. Probablement.
Il fallait juste qu'il croise les doigts, respire et fasse de son mieux pour sourire, et peut-être qu'il pourrait traverser la journée sans trop de mal. Répétez ça chaque matin jusqu'à début juillet prochain, et peut-être qu'il pourrait finir sa seconde sans être réduit à l'état de loque au niveau mental et moral. Peut-être.
Mémé avait dit qu'elle lui allumerait des bougies à l'église pour sa réussite. Il espérait qu'elle avait pris les grandes.
Pour le plus grand daim de Tadashi, sa sensibilité de médium refusait d'aller en décroissant (ce dont Grand-mère s'excusait à profusion, considérant cela comme un inconvénient de la lignée Takachiho). En fait, elle ne cessait de s'accentuer, au point qu'il avait décidé d'éviter les cimetières à l'avenir, ne voulant pas s'évanouir ou se retrouver possédé par un défunt errant dans les parages.
Et il ne savait pour quelle raison, cette sensibilité lui donnait actuellement une très forte nausée, le genre accompagné d'une furieuse migraine.
Galileo n'était pas un cimetière, pourtant l'établissement n'avait pas connu de grande tragédie type fusillade ou incendie, la mort n'était pas sensé avoir laissé sa trace quelque part dans les lieux, ou bien ladite trace était sensé s'être dissipée depuis belle lurette.
Sauf que quelque chose rôdait apparemment dans les couloirs, quelque chose dont la simple proximité le rendait malade. Pas exactement comme la monstruosité hantant les ruines désormais consumées de Freddy Fazbear's Pizzeria, mais qui y ressemblait vraiment beaucoup trop pour empêcher les sonnettes d'alarme de ne pas brailler furieusement dans sa tête.
Bien sûr, il n'arrivait pas à détecter de quoi il s'agissait précisément, parce que Murphy était un fichu salopard pourvu d'un sens de l'humour rien moins que lamentable et parce qu'il était sensible aux entités paranormales mais pas encore à un degré de ce calibre. Il pouvait juste percevoir que c'était… malsain. À la fois mal intentionné, et malformé – quelque chose de tordu autant dans son enveloppe que dans sa moralité.
Il ne pouvait pas rester les bras ballants, pas alors que cette chose fréquentait les couloirs d'un lycée rempli de gamins de son âge, lesquels ne se doutaient de rien et risquaient de se faire attaquer s'il laissait les choses suivre leur cours sans interférer. Pas alors qu'il savait qu'il existait un danger.
Bon sang, il allait devoir implorer l'aide de M. Lee en sa qualité de Sentinelle, pas vrai ? Bonjour les explications dont il se serait bien passé – le père de Fred avait beau être gentil, le métis japonais sentait bien que l'homme plus âgé était mis mal à l'aise par ses talents pour la nécromancie. Mais quel autre choix avait-il, ce n'était pas comme si le numéro personnel de SOS Fantômes figurait dans la liste de contacts de son portable.
Non, autant aller voir un adulte qui pourrait contacter les services adéquats afin de régler le problème. Tadashi venait de faire sa rentrée au lycée, il avait l'obligation de se comporter en être humain responsable.
Et puis, Tante Cass ne serait probablement pas d'accord s'il se livrait à ce genre d'activités extra-curriculaires.
